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«Parrhêsia» : la parole de la liberté : l'accréditation de la parole

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Academic year: 2021

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Nelli Przybylska

«Parrhêsia» : la parole de la liberté :

l’accréditation de la parole

Annales Neophilologiarum nr 5, 5-22

2011

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L I T E R A T U R O Z N A W S T W O I K U L T U R O Z N A W S T W O

NELLI PRZYBYLSKA∗ Uniwersytet Szczeciński

PARRHÊSIA. LA PAROLE DE LA LIBERTÉ

L’ACCRÉDITATION DE LA PAROLE

Que défend-on dans la pense occidentale comme vrai et le « vrai-dire » ? Comment l’authenticité se justifie-t-elle déjà par le choix de la forme du messa-ge ? Quel rôle joue l’attitude chez un « franc-parleur » ? Comment l’action du « vrai-dire » conditionne le processus de la connaissance ? Pour revenir un peu sur l’histoire des attitudes face au langage, nous examinerons la notion grecque parrhêsia.

La notion de parrhêsia illustre un double héritage quant à la manifestation de la franchise, celui de la philosophie grecque et de la théologie chrétienne.La vision grecque est fondée par Platon et travaillée surtout dans les derniers travaux de Michel Foucault1. La « libre parole » du christianisme primitif des

premiers Pères situe l’aptitude à la communication franche dans une disposition spirituelle. Le « vrai-dire » du « franc-parleur » reste une revendication majeure de la philosophie de Simone Weil.

Il s’agit de présenter avant tout le rapport du locuteur au signe et à la paro-le et d’analyser son attitude. Nous suivons paro-les suggestions de Jean Lecparo-lercq2

selon lesquelles, les humanistes et littéraires, embarrassés par la complexité du

Nelli Przybylska – doktor nauk humanistycznych w zakresie literaturoznawstwa. Zajmuje się filozofią mądrościową. Adiunkt w Katedrze Filologii Romańskiej Uniwersytetu Szczecińskie-go.

1 Voir surtout M. Foucault, F. Ewald, A. Fontana, F. Gros, Le gouvernement de soi et des

autres. Cours au Collège de France 1982–1983, Paris 2008 ; aussi M. Foucault, Herméneutique du sujet. Cours au Collège de France. 1981–1982, Paris 2001.

2 J. Leclercq, Miłość nauki a pragnienie Boga, przeł. M. Borkowska, Kraków 1997, p. 308.

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psychisme humain ont généré les gens « doubles ». La particularisation des sciences humaines ne contribue pas nécessairement à la formation de l’homme intégral3. Comme si le modèle éducatif moderne, séparant la pensée et le corps dans la nécessité de particulariser les savoirs, s’était opposé à celui qui formait l’homme à la simplicité et à la franchise, enraciné dans la sagesse grecque et surtout danscelle des Pères de l’Église.

Parrhêsia et rhétorique

La parrhêsia est une figure rhétorique, désignant la parole franche, qui ignore le risque personnel au nom du bien commun, de l’obligation morale, sociale ou politique. Cette figure d’expression de la liberté grecque correspond à la licence4 qui provient de la rhétorique classique latine. Elle fait abstraction

de la qualité du langage et du message. C’est la liberté du discours qui est no-tamment en jeu. Telles, par exemple, étaient les paroles et l’assurance de Pierre et Jean dans les Actes des Apôtres qui les ont rendus crédibles devant le peuple d’Israël5 (Ac 4, 13).

Il faut souligner que si l’art oratoire se fonde sur les procédés stylistiques et des techniques persuasives qui ont recours à l’éloquence, la parrhêsia rejette les principes de la gestion du discours. En d’autres termes, parler librement se passe de contraintes. Cette activité abandonne les règles de la séduction rhé-torique. Dans le livre, Rhetoric. Doing What Comes Naturally6, Stanley Fish reste ferme dans ses propos. Dès les premières pages de son livre, il débat sur la tradition qui considère la rhétorique comme une mystification issue d’un métier « diabolique ». Le fait de parler et d’argumenter aisément devient suspect dans la tradition occidentale. Les maîtres de la sagesse ne parlent pas nécessairement bien, voyons Plotin.

3 Les travaux de Krzysztof Jan Pawłowski appellent à une éducation qui forme l’homme à la recherche de la vérité. Voir son livre Dyskurs i asceza. Kształtowanie człowieczeństwa

w kontekście filozofii mistyki [nous traduisons : Discours et ascèse. La formation de l’humanité dans le contexte de la mystique philosophique].

4 Nous renvoyons à la définition de H. Lausberg, Retoryka literacka. Podstawy wiedzy

o literaturze, traduit en polonais par A. Gorzowski, Bydgoszcz 2002, p. 419–420.

5 « Ils contestaient l’assurance (parrhêsian) de Pierre et de Jean en se rendant compte qu’il s’agissait d’homme sans instruction et de gens quelconques, ils en étaient étonnés (Ac, 4, 13) ».

6 S. Fish, Rhetoric. Doing What Comes Naturally : Change, Rhetoric and the Practice

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Pour exposer le problème, Michel Foucault7 utilise la notion grecque de

parrhêsia qu’il ne tarde pas à traduire de plusieurs manières. La parrhêsia si-gnifie le « tout-dire » qui renvoie à la parole affranchie. Les latins traduisent le mot par libertas qui désigne le comportement décontracté du parleur. Les tra-ducteurs français ont cependant trouvé le terme répondant exactement au con-cept grec, remarque le philosophe. Il s’agit du franc-parler. Le franc-parler connaît toutefois des adversaires que nous avons déjà mentionnés. Ce sont no-tamment la flatterie et la rhétorique8. Michel Foucault met ensemble les deux

ennemis de la libre parole. La rhétorique se veut une technique qui opère par la flatterie. Par conséquent, elle a un rapport avec le mensonge. Sa fin consiste donc à persuader et à convaincre son auditeur, peu importe si les propos sont vrais ou faux. La vérité différencie le rhéteur du parrhêsiste qui privilégie la franchise à la persuasion, le risque de la mort à la vie en sécurité, la critique à la flatterie et la nécessité morale à son propre intérêt9. Néanmoins, Michel

Fou-cault place le danger dans le phénomène du pouvoir. La flatterie se fonde sur le schéma antagoniste : supérieur – inférieur. L’inférieur immobilise le supérieur en l’identifiant avec le pouvoir dont il dispose de façon arbitraire. C’est la flat-terie qui bloque un bon rapport à soi-même. Nous nous permettons de rappeler que le livre Herméneutique du sujet de Michel Foucault10 porte sur la «

conver-sion à soi », qui désigne le travail de la « subjectivation » ou du processus de la connaissance de soi-même. Autrement dit, la rhétorique, celle qui s’allie à la flatterie, retarde la prise de conscience du sujet. Pour résumer : tandis que la rhétorique cherche à agir sur un grand auditoire, la parrhêsia vise l’autre dans le but de le constituer. Foucault pense constamment le rapport des techniques de pouvoir en opposition à une « technique de soi ». Il se réfère donc à l’action de parler du parrhêsiste qui ne se laisse aucunement dominer par le discours qui n’est pas « vrai ». Comme le souligne Gerald Raunig, la parrhêsia signifie l’activité de dire franchement la vérité « sans jeux rhétoriques et sans double

7 Nous fondons notre résumé sur l’Herméneutique du sujet, mais nous renvoyons aussi au livre de M. Foucault, Fearless Speech, ed. by J. Pearson, Semiotexte, 2001 ; et Discours and

Truth : the Problematisation of Parrhesia. Six lectures given by Michel Foucault at the University of California at Berkeley, Oct-Nov., disponible sur : http://foucault.info/documents/parrhêsia.

8 N’oublions pas que les stoïciens – les philosophes du type ascétique – se soucient du côté persuasif. Il ne vont pas abandonner les règles rhétoriques, car, finalement, elles sont innées au langage. Il y a pourtant une rhétorique proprement stoïcienne.

9 M. Foucault, Discours and Truth… 10 M. Foucault, Herméneutique du sujet...

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fond, aussi et surtout lorsque cela est risqué »11. Dans la parole de la parrhêsia,

il n’y a place ni pour l’ambiguïté, ni pour l’ironie. Le « dire-vrai » privilégie le parler direct et franc qui assume la pleine responsabilité de son acte.

La prédication collective entraîne plusieurs facteurs d’action. « Quelle est au fond la fonction de l’éloquence populaire ? – s’interroge Michel Foucault. Premièrement, d’essayer de surprendre les auditeurs par des émotions fortes, sans faire appel à leur jugement. […] L’éloquence populaire, par conséquent, disons-le dans notre vocabulaire à nous, ne passe pas par le rapport de vérité »12.

Michel Foucault affermit encore davantage son discours, en opposant la rhé-torique à la philosophie : la première confond les fins avec les moyens en pri-vilégiant le mensonge, la deuxième privilégie systématiquement la vérité. De cette manière, Michel Foucault veut s’écarter des principes fondés par Aristote. Il dit : « La définition d’Aristote dans la Rhétorique est claire : C’est le pouvoir de trouver ce qui est capable de persuader »13.

L’exposé de Michel Foucault sur la parrhêsia se fonde toutefois sur des socles bien connus dans la culture occidentale. Nous pensons notamment au fameux dialogue de Platon qui s’intitule Gorgias. Platon y introduit une divi-sion entre ce qui est le discours rhétorique et philosophique, entre le dire faux et le « dire-vrai », entre l’orateur et le parrhêsiaste. Dès le début du dialogue, Gorgias, le rhéteur des rhéteurs, se reconnaît flatteur et il avoue : « je me flatte d’être »14. Socrate est donc obligé d’en tirer la conclusion décisive :

Eh bien, Gorgias, la rhétorique, à ce qui me semble, est une pratique à l’art, mais qui exige une âme douée d’imagination, de hardiesse, et naturellement apte au commerce des hommes. Le nom générique de cette sorte de pratique est, pour moi, la flatterie15.

11 G. Raunig, La double critique de la parrhêsia. Réponse à la question « Qu’est-ce qu’une

institution (artistique) progressiste ? », traduit par Y. Vaudable, disponible sur

http://www.repu-blicart.net.

12 M. Foucault, Herméneutique du sujet..., p. 383.

13 « La définition d’Aristote dans la Rhétorique est claire : C’est le pouvoir de trouver ce qui et capable de persuader » (M. Foucault, Herméneutique du sujet…, p. 365). Nous y trouverons le recours au passage de la Rhétorique d’Aristote (t. I, livre I, 1355b, trad. M. Duford, Paris 1967, p. 26). « La rhétorique est la faculté (dunamis) de découvrir spéculativement ce qui, dans chaque cas, peut être propre à persuader » (in Herméneutique du sujet…, p. 376).

14 Platon, Dialogues, Gorgias in Œuvres complètes, traduction et notes par L. Robin avec la collaboration de M.-J. Moreau, Paris 1950, p. 337.

15 En bas de page de l’Herméneutique du sujet..., p. 375, in Platon, OC, t. III–2, trad. L. Bodin et A. Croiset, p. 131.

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Socrate persiste à vouloir que Gorgias détermine bien son métier. Sa dé-termination lui permettra d’introduire la distinction entre la rhétorique et la parrhêsia, ainsi qu’entre la rhétorique et la philosophie. Nous nous permettons donc de constater que Platon fonde un moment crucial dans la pensée occiden-tale. Il révèle les catégories qui vont resurgir ultérieurement dans la culture oc-cidentale de saint Augustin à Jean-Jacques Rousseau. Dans ce contexte, la parrhêsia détermine la vraie philosophie, l’attitude de celui qui se charge de l’action du « vrai-dire ». Un franc parleur est un philosophe, un rhéteur reste un flatteur.

La parrhêsia serait donc considérée comme la figure de l’authenticité. Au-cun discours argumentatif, voire rhétorique ne saurait supporter le « vrai » qui se transmet dans la manière libre de parler, ainsi que dans une attitude complè-tement éthique et franche.

Se pose toutefois la question suivante : pourquoi Michel Foucault entame le problème de la parrhêsia au sein de l’ouvrage qui porte sur le « travail du sujet sur soi ». L’auteur pense la fonction établie entre le sujet et la vérité dans l’ascèse antique. Il affirme que le philosophe achève le discours vrai par un travail sur soi, à travers des techniques et des exercices. C’est dans ce sens-là que l’ascète cherche à dire vrai et que la parrhêsia est une action de dire vrai. De plus, la seule pratique de la parrhêsia, le « vrai dire » devient ultérieurement une action ascétique qui affirme la liberté de l’individu.

La Parrhêsia dans la mystique chrétienne

La parrhêsia se réfère originellement à une action oratoire de la Grèce An-tique. Toutefois, cherchant à traduire le problème du mythe adamique et le regi-stre évangélique, les Pères de l’Eglise s’attachent particulièrement au terme de la franchise et plus précisément au mot grec : parrhêsia. La parrhêsia se com-prend dans le contexte chrétien comme une liberté candide et une modalité plei-ne et positive dans la relation à la Transcendance. Les Pères essaient de trans-mettre, à travers la libre parole, le rapport spirituel. Le contexte, ainsi que l’usage du mot changent radicalement. Il ne s’agit plus de l’action anti-rhétorique dans le dessein de dire le vrai. La notion de libre parole désigne dans le nouveau langage la relation entre le Créateur et la création, autrement dit entre Dieu et l’être humain.

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Il y a des ouvrages qui mettent en exergue les deux usages différents de la notion. Citons à titre d’exemple : Parrhesia greca, parrhesia cristiana16 de

Giuseppe Scarpat et Friendship, flattery and frankness of speech. Studies on friendship in the New Testament World17, édité par John Fitzgerald.

Au prime abord, la parrhêsia, en tant qu’expression franche, ne reste pas en rapport direct avec l’ascèse comprise comme une maîtrise de la parole. Les Pères du Désert18 critiquent la liberté de jugement et le franc-parler, qui risquent

de conduire à une fraternité excessive avec les hommes, ce qui contribue à la distraction de l’esprit. La libre parole, comprise ainsi, empêche l’attention aux vraies causes. Toutefois, la parrhêsia se laisse réconcilier avec l’ascèse à travers le langage symbolique sur le plan mystique : la mystique, étant une ascèse spon-tanée, se sert du langage fortement figuratif. De même, il est possible de trans-poser l’activité du franc-parler sur le plan de la pensée de Simone Weil. La phi-losophe française lit et connaît les Pères de l’Eglise, ce dont témoignent entre autres ses Carnets de notes19. Jean Riaud a éclairé son attachement à la

litté-rature patristique dans le texte, intitulé Simone Weil lectrice des Pères de l’Eglise20.

La liberté continue à contribuer à l’essence de la parrhêsia. La liberté du langage désigne l’état le plus originel du premier homme du paradis. Les Pères de l’Eglise n’hésitent donc pas à puiser dans le langage grec, afin d’expliquer finalement le mythe de la création. C’est à travers la parrhêsia que le message du livre de la Genèse commence à s’éclairer. Nous admettons que le langage mythique de la Genèse renvoie à l’expression d’un message archaïque. Il n’est pas la production d’un psychisme imaginaire, voire fantasmagorique, mais il

16 G. Scarpat, Parrhesia greca, parrhesia Cristiana, Brescia 2001.

17 J. Fitzgerald, Friendship, flattery and frankness of speech. Studies on friendship in the

New Testament World [nous traduisons : Amitié, flatterie et la franchise de la parole. Les études sur l’amitié dans le Nouveau Testement], New York–Köln–Leiden 1996.

18 Nous renvoyons à l’introduction de la parrhêsia au Dictionnaire de spiritualité ascétique

et mystique fondé par M. Viller, F. Cavallera, J. de Guiberd, S. J. Contimé, A. Rayer, A. Derville,

A Solignac, t. XII, première partie, Paris, 19(36)84.

19 S. Weil, Œuvres complètes IV, Cahiers I 1933 – septembre 1941, édition publiée sous la direction d’A. Devaux et de F. de Lussy, Paris 1994 ; Œuvres complètes IV, Cahiers II septembre

1941 – février 1942, édition publiée sous la direction d’A. Devaux et de F. de Lussy, Paris 1997 ; Œuvres complètes IV, Cahiers III février 1942 – juin 1942. La Porte du Transcendant, édition

publiée sous la direction de F. de Lussy, Paris 2002 ; Œuvres complètes IV, Cahiers IV juillet

1942 – juillet 1943. La Connaissance Surnaturelle, édition publiée sous la direction de F. de

Lussy, Paris 2006.

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fait écho au désir intime de la dimension spirituelle et universelle de l’homme. Le langage du mythe reste profondément symbolique et il ne se fonde évidem-ment pas sur le message factuel. La force de son expression réside dans l’aptitude à formuler ce qui dans la langue courante échappe et se banalise. La vérité, selon Simone Weil, n’a pas recours aux discours factuels : « Le domaine de ce qui est éternel, universel, inconditionné, est autre que celui des conditions de fait, et il y habite des notions différentes qui sont liées à la partie la plus se-crète de l’âme humaine »21. Les Pères traduisent donc à travers la libre parole

une intégration pleine de l’homme à la réalité symbolique. Celle-ci condense toutefois en elle le factuel et désigne toujours la réalité, mais sous un autre angle. De même, Simone Weil considère le surnaturel comme l’existence la plus approfondie du réel. Et ce surnaturel resurgit chez Simone Weil dans la réduction maximale du réel. Cette transmission est bien reconnue dans les con-sciences de type mystique.

Le livre de la Genèse nous introduit donc au problème de la « parole libre » des premiers parents spirituels, ainsi que le veulent les Pères de l’Eglise. « L’Adam paradisiaque » s’adaptait donc pleinement à la réalité et ce phé-nomène s’avérait possible, parce qu’il faisait selon Dieu grâce à l’innocence de sa conscience originelle. Autrement dit, la volonté du premier homme s’accordait avec la volonté de Dieu. Adam était dans le sens mystique en par-faite communication avec toutes les créatures. La création le comprenait, elle recevait les noms du premier homme, du co-créateur. Le monde portait une signification directe. Il était manifestement tangible et se prêtait à la contempla-tion. Le premier homme jouissait d’une pleine compréhension où tout portait une logique et un sens inné et explicite.

La communication, donc dans ce contexte la parrhêsia, ne reposait nulle-ment sur le principe d’échange dans le sens où le paradis admet l’union de l’Esprit, de la pensée et de la parole. Nous osons dire qu’elle était en dehors du discours. L’action de parler était de la communication pure. Elle s’érigeait aussi sur l’unité fondamentale avec Eve. Le premier homme et la première femme ne se voyaient pas nus, et pourtant ils étaient nus : « Qu’était-il donc ? Il était nu, dépourvu de tout vêtement de peaux mortes, regardait avec une libre assurance (parrhêsia) le visage de Dieu et ne jugeait pas encore du bien d’après le goût et

21 S. Weil, L’Enracinement. Prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain, Paris 2003, p. 10.

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la vue »22. Mais, plus principalement, l’unité du premier homme et de la

premiè-re femme provenait de l’Esprit de Dieu. Autpremiè-rement dit, « la parrhêsia était la libre communication spirituelle de l’homme avec l’Etre, la communion existen-tielle d’Adam avec la réalité qui l’entourait, dans et par la Réalité de Dieu qu’il sentait constamment en lui. Elle tirait sa force et sa signification de l’union de son âme avec Dieu pour ne former qu’ ‘un seul esprit’ ; de cette union découlait la sagesse surnaturelle, la contemplation, la science, la tranquillité d’une nature impassible, qui ne pouvait mourir tant que l’union subsistait »23. Selon la

théo-logie médiévale, la quiétude originaire était due au fait que les facultés faibles dépendaient des facultés supérieures ; les sens s’accordaient avec la volonté et le désir répondait à la Transcendance.

L’acte de l’Etre, qui penchait sa conscience sur la Transcendance, ne se produisait pas pour Dieu, mais grâce à l’Esprit de Dieu. Telles étaient la parole et l’attitude des parrhêsiastes. L’intuition de Simone Weil cherchait la quiétude paradisiaque dans l’union originaire, dans l’unité du corps et de l’esprit, possi-ble à travers les exercices de l’attention et de la détente. Parallèlement, il ne s’agit nullement de concevoir Dieu selon sa propre volonté ou grâce à ses vains efforts. Dieu, dans ses écrits, n’est non plus aucune idole. C’est son Esprit qui agit dans la Création-même. Simone Weil admet une pleine dépendance à la Transcendance et elle la lie au langage :

C’est évident. Le langage ne sort pas du non-langage. Un enfant apprend à parler ; mais c’est qu’on lui apprend. On lui apprend à travailler, etc. L’enseignement divin implique-t-il une incarnation originelle ? Cela semble probable. Cela répond aux traditions24.

C’est comme si toute existence vraie demandait une relation nécessaire aussi bien à l’Immanent qu’au Transcendant. Ainsi, les Pères présentent la con-science heureuse d’Adam d’avant la chute. Simone Weil conclut le phénomène de la manière suivante :

22 G. de Nysse, Traité de la Virginité. Introduction, texte critique, traduction et index de M. Aubineau, Paris 1966.

23 Th. Merton, Le Nouvel Homme, traduit de l’anglais par M. Tadié, Paris 1969, p. 59. 24 S. Weil, Œuvres complètes IV, Cahiers IV juillet 1942 – juillet 1943…, p. 370–371.

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C’est pourquoi l’être humain parfait n’agit pas pour Dieu, mais par Dieu, de la part de Dieu, et n’aime pas les êtres humains en Dieu, mais de la part de Dieu et à travers Dieu25.

La Réception du signe

La Genèse se complète et s’explique par le premier Evangile selon Jean : « Au commencement était le Verbe et le Verbe était tourné vers Dieu et le Ver-be était Dieu. (Jn 1, 1–2) ». En s’inspirant de cette tradition johannique, Simone Weil s’attache à cette nouvelle dépendance de l’esprit qui engendre tout acte de langage : « Comme un poète compose un poème en pensant le silence, Dieu a engendré le Verbe en se pensant »26. « Le Verbe s’est fait chair (Jn 1, 14) »

renvoie au Logos du monde spirituel et influence directement la réception parti-culière du signe27. Simone Weil respecte le langage, à travers lequel se révèle le

sens logique, sensible et spirituel. Son écriture cherche à s’attacher à tous les aspects du signe. Elle se range du côté du Logos par lequel elle essaie de re-trouver la sensibilité. Elle tend donc à rejoindre les liens qui refondent le signe. La langue de Simone Weil s’oriente d’une manière générale vers le caractère spiritualisé, qui fait que ce qu’elle prononce, fait sens. Ce sens ressurgit lor-squ’on accepte un consentement à l’ordre des choses : « La connaissance des distances observées par les choses nous apprend l’obéissance, arrache de nous l’arbitraire, cause de toute erreur (nous soulignons) »28. La parrhêsia

tradui-rait le signifié attaché au signifiant. Le problème est que le réel, uni dans le charnel et l’intelligible, ne se donne pas spontanément à chaque instant et que l’homme a plutôt un rapport ambivalent au signe. Dans l’article, intitulé L’analogie et le signe chez S. Weil et Descartes29, Rolf Kühn réfléchit sur

l’inquiétude de Simone Weil à l’égard de la disjonction du corps et de l’esprit dans la société actuelle. Dans le fragment, intitulé De l’analogie dans l’art au

25 Ibidem, p. 196.

26 S. Weil, Œuvres complètes IV, Cahiers III février 1942 – juin 1942…, p. 98.

27 Nous renvoyons au fragment du traité sur La Trinité de Saint Augustin, intitulé Le verbe,

la représentation, la science et les signes, in Saint Augustin, Œuvres III, Philosophie, Catéchèse, Polémique, Paris 2002, p. 602.

28 S. Weil, Œuvres complètes IV, Cahiers III février 1942 – juin 1942…, p. 343.

29 R. Kühn, « L’analogie et le signe chez S. Weil et Descartes », in Philosophie, Paris, n° 43, p. 45–62.

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symbole religieux, il relève une citation importante de la philosophe : « La civi-lisation où nous vivons, sous tous ses aspects écrase le CORPS humain. L’esprit et le corps sont devenus étrangers l’un à l’autre. Le contact est perdu… »30.

Nous transmettons ce raisonnement sur la logique du signe et sur les ruptures qui se produisent pendant sa réception. La fraction du signe témoigne d’un état de conscience très marqué dans la réflexion de Simone Weil ; elle la qualifiera de péché. Par opposition à la conscience sereine du Logos, le péché est ressenti dans ce contexte comme une fraction du Logos. Dorénavant, le sensible se déta-che du spirituel et le Verbe se délie de la Chair. Cet événement ne se produirait nullement au profit du signifié. Bien au contraire, il a pour but d’éloigner infi-niment le signifié, afin de se focaliser sur le signifiant et sur sa portée qui n’aurait aucun rapport au Sens, au Logos et au Verbe. Les mots perdent le pouvoir de communiquer dans la mesure où l’être humain s’attache au concept, au signifiant et à la forme, sur le représenté et non sur l’essence que la repré-sentation veut désigner. La langue, un simple moyen de communication, peut paradoxalement s’emparer d’un pouvoir qui porte et emporte le sujet ailleurs. Elle risque de l’éloigner du Sens et du Logos. Simone Weil est parfaitement consciente de ce phénomène et elle se pose la question comment ne pas se lais-ser conduire par le langage vers une illusion : « L’imagination est la fausse di-vinité. (L’arbre de vie de la Genèse ?…) »31. Le remède existerait dans la

re-connaissance de sa propre nature fragile, faible et pécheresse. Saint Augustin explique le mécanisme ainsi : « Nier le péché originel, c’est nier le salut »32. La

Genèse, ce recueil des écrits sur l’origine de la création, porte évidemment sur le péché qui s’implique dès l’origine dans le corps d’Adam et d’Eve. C’est une liberté paradisiaque perdue. « Le péché est la dissolution du lien créateur-créature »33. D’après l’interprétation de la Genèse par les Pères, une fois le

pé-ché commis, la liberté et l’assurance (la parrhêsia) n’existent plus et la nudité

30 Ibidem, p. 54.

31 S. Weil, Œuvres complètes IV, Cahiers III février 1942 – juin 1942…, p. 325.

32 Nous renvoyons au texte du Saint Augustin, Christ et le péché originel, in Œuvres III,

Philosophie, Catéchèse, Polémique…, p. 866.

33 S. Weil, Œuvres complètes IV, Cahiers III février 1942 – juin 1942…, p. 249, elle conti-nue : « […] Mais en un sens (mais en quel sens ?) le péché originel, l’expulsion du Paradis terre-stre, la Passion, la Résurrection se produisent en même temps et à chaque instant ».

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fait honte34. La chute introduit le chaos au niveau des sens et l’arbitraire du

si-gne.

La Dé-création

L’idéal mystique et paradisiaque se retrouve dans les écrits de Simone Weil qui véhiculent l’idée de la conscience et de la volonté en Dieu. La philo-sophe revient à la pensée nue et pure non seulement par l’intermédiaire de son style d’écriture, écriture qu’elle prive d’épithètes et dont on caractérise le style, comme dépouillé. Elle médite plus précisément sur la signification de la liberté et de l’unité qui se laissent atteindre dans les moments cruciaux de la vie : « Il n’y a que deux instants de nudité et de pureté parfaites dans la vie humaine – avoue Simone Weil – la naissance et la mort. On ne peut adorer Dieu sous la forme humaine sans souiller la divinité que comme nouveau-né et comme ago-nisant »35. La nudité recherchée, soit ce rapport candide à la Transcendance,

renvoie aux moments extrêmes de la vie humaine. L’idéalisme de la parrhêsia ne se laisse pas atteindre par les enfants imparfaits d’Adam. La créature se con-çoit donc toujours corrompue, dès le commencement, par l’héritage qui néces-site une intervention.

La mystique prend comme point de départ sa nature déplorable. « La vi-sion de base de la métaphysique de Simone Weil est la condition pécheresse de l’homme »36. L’homme naturel se tache intrinsèquement par le péché.

Souli-gnons que la créature – une notion qui revient souvent dans le langage de Simo-ne Weil désigSimo-ne l’homme naturel qui manque déjà de parrhêsia. La conscience ne peut donc se constituer qu’à travers cet échec de base. L’homme se dépos-sède de la parrhêsia une fois séparé de Dieu, en tant qu’existence qui librement choisit le mal37. Voici la pensée qui se réfère explicitement à travers les

éclaircies et les opacités de la mystique weillenne au sujet que nous abordons :

34 « Liberté et péché. La possession d’un trésor implique la possibilité de le perdre ; néan-moins perdre une perle n’est pas avoir une perle. Le péché est un gaspillage de la liberté », in : Œuvres complètes IV, Cahiers II septembre 1941 – février 1942…, p. 360.

35 S. Weil, La Pesanteur et la Grâce (préface de G. Thibon), Paris 1988, p. 47. 36 M. Vetö, La métaphysique religieuse de Simone Weil, Paris 1997, p. 19.

37 M. Vetö expose bien le problème de la séparation de l’homme de Dieu. Voyons : « Que-stion et réponse sont explicites : en créant l’homme Dieu lui a fait don du libre arbitre qui entraîne l’autonomie. Ce n’est que l’existence autonome et non pas l’être tout entier qui sépare Dieu de

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Accepter de n’être qu’une créature et pas autre chose. C’est comme accepter de perdre toute existence. Nous ne sommes que des créatures. Or accepter de n’être que cela, c’est comme accepter de n’être rien. Cet être que Dieu nous a donné, à notre insu, c’est du non-être. Si nous désirons le non-être, nous l’avons. Nous n’avons qu’à nous en apercevoir –

Notre péché consiste à vouloir être, et notre châtiment est de croire être. L’expiation est vouloir ne plus être ; et le salut pour nous consiste à voir que nous ne sommes pas. Adam nous a fait croire que nous étions ; le Christ nous a montré que nous n’étions pas. Pour nous apprendre que nous sommes non-être, Dieu s’est fait non-être – Pour Dieu, le sacrifice, c’est laisser un homme croire qu’il est. Pour un homme, le sacrifice, c’est reconnaître qu’il n’est pas. Dieu charge le mal de nous apprendre que nous ne sommes pas38.

Qu’est-ce qu’est donc cette créature qui n’est pas un être ?

Or, ce non-être semble bouleverser l’ontologie et la conscience classiques. Il contredit l’être en privilégiant le non-être qu’on risque d’envoyer pré-alablement au néant, à la destruction, à la haine et à la mort. C’est comme si Simone Weil cherchait toujours à nuire à l’existence. Toujours favorable aux idées contrastées, elle prend un parti radical : le non-être devient notre comble, l’être est le néant. Adam souillé du péché se croit exister. Adam nous a fait croire que nous étions. Cette vision décisive, sérieuse et inquiétante s’apaise lé-gèrement lorsqu’on connaît ses transmissions des concepts apophatiques, hin-dous, bibliques et mystiques sur l’héritage occidental. Simone Weil se forge donc un appareil symbolico-conceptuel, afin d’exprimer sa propre expérience intellectuelle et spirituelle. Arrêtons-nous à un terme qui lui est nécessaire. Nous pensons notamment à la décréation – un sujet débattu par plusieurs de ses commentateurs39. La création de son propre terme lui permet de désigner une

activité ascétique qui est une action de suspendre et de relativiser les valeurs et les déterminations qui lui sont socialement ou naturellement accordées. Dans

Dieu. L’homme et la matière en tant que miroir, mais c’est l’écran seul qui fait obstacle à l’échange d’amour entre le Père et le Fils à travers ce miroir transparent qu’est la création matérielle » (M. Vetö, La métaphysique religieuse…, p. 23).

38 S. Weil, Œuvres complètes IV, Cahiers IV juillet 1942 – juillet 1943…, p. 252.

39 La notion de décréation est minutieusement travaillée dans les ouvrages suivants sur Si-mone Weil. Nous pensons à Joël Janiaud, SiSi-mone Weil. L’attention et l’action, Paris 2002 et M. Vetö, La métaphysique religieuse…

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ses écrits, il s’agit toujours de se laisser décréer des illusions collectives et in-dividuelles, des idéologies, de l’imagination fabulatrice et de rêveries fautives.

La décréation consiste à abandonner étape par étape les faux acquis et le langage suspect qui, au lieu de lier au monde, détache du réel :

On rêve de retrouver les circonstances concrètes d’un bien perdu, les signes où on puisse le lire. L’imagination combleuse de vide s’attache aux signes et non pas à la signification, qui n’est pas objet de la signi-fication. La liberté comme telle n’est pas objet de rêverie40.

La notion de décréation reste donc intensivement en rapport avec la par-rhêsia dans le sens où Simone Weil admet la nécessité du passage par la désil-lusion ou, en d’autres termes, la décréation ouvre la voie à la parrhêsia. Elle n’est possible qu’à travers l’acte libre de l’individu. Il est nécessaire d’admettre qu’il se produit sur le plan spirituel de l’individu et qu’il n’a aucun rapport à la destruction des forces extérieures. La liberté de l’homme est l’une des revendi-cations de Simone Weil. Elle la pense dans l’écriture, elle l’exige dans la vie. Justifions ce propos à travers la réflexion de Joël Janiaud :

La destruction du moi par l’oppression advient dans des circonstances socialement déterminées, et malheureusement très répandues selon le diagnostic de S. Weil, alors que la démarche mystique qui est la sien-ne suppose justement que le moi sien-ne soit pas tué de l’extérieur : il doit être dé-créé par consentement libre (nous soulignons), et non détruit par une pression sociale et politique41.

Peut-être que dans ce consentement libre, la culpa d’Adam devient felix. C’est dans ce contexte, que la felix culpa s’actualise. L’action de la décréation s’oppose à la volonté d’être. Toutefois, Simone Weil ne prône nullement la résignation face aux obstacles qui adviennent dans la vie de l’individu. En allant plus en profondeur dans son écriture, on découvre qu’elle oppose la décréation qui se fait par Dieu à l’estime de l’auto-destruction42. Simone Weil l’affirme :

40 S. Weil, Œuvres complètes IV, Cahiers II septembre 1941 – février 1942…, p. 206. 41 J. Janiaud, Simone Weil. L’attention et l’action…, p. 76.

42 « Qu’il y ait eu un fond de passion d’auto-destruction et de volonté d’expiation dans l’âme de Simone Weil est un fait susceptible d’éclairer la genèse empirique de ses idées sur la décréation, mais l’essentiel, du point de vue philosophique, c’est qu’elle condamne résolument la torture de soi ou le suicide, ce dernier n’étant qu’un ‘ersatz de la décréation’ (2, 187) », in M. Vetö, La métaphysique religieuse…, p. 30.

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c’est le « Suicide condamné comme ersatz de la décréation »43. La décréation

serait donc cette destruction qui s’opère sur le plan spirituel ; elle ne devrait provenir ni du monde extérieur ni du psychique suicidaire44. C’est la

Transcen-dance qui décrée la création à son libre consentement. Et le dialogue devient seulement possible dans l’abîme de l’Etre dans le divin. Telle serait la vision de la parrhêsia proposée par Jean-Louis Chrétien45.

Simone Weil souligne l’importance de l’acte libre et du consentement de la créature dans l’action de la décréation. La fameuse formule d’Epictète vouloir ne plus vouloir revient comme écho dans ses écrits, afin de se souvenir de la portée de son engagement volontaire dans la vie de l’Esprit. Le sommet de l’ascèse qu’elle propose repose sur l’épuisement de sa volonté et de son intel-lect. Elle proclame l’abandon mystique de son esprit dans Dieu qui, selon les témoignages mystiques est un dégagement de l’Esprit Vrai et transcendant, qui est en même temps inné à l’individu spirituel. Le renoncement à soi, l’acceptation de la volonté transcendante ne signifie dans le langage mystique qu’une pleine liberté, qui se manifeste aussi dans une liberté de parole.

43 S. Weil, Œuvres complètes IV, Cahiers II septembre 1941 – février 1942…, p. 363. 44 Une ascèse excessive, surtout celle qui châtie le corps, est très critiquée dans la spiritualité chrétienne. On juxtapose assez souvent le mystique à l’ascète, afin de révéler le contraste dans la démarche. Alors que le premier agit dans l’amour de l’Autre, le deuxième se focalise dangereusement sur la haine de soi qui se traduit par le châtiment du corps. La distinction est entre autres introduite dans le Dictionnaire de spiritualité ascétique et mystique, op. cit. Nous évoquons la pensée de Simone Weil : « A travers tous les péchés, penser au bien. Ne pas penser au mal à détruire, mais au bien », in Œuvres complètes IV, Cahiers IV juillet 1942 – juillet

1943…, p. 286.

Il y a plusieurs articles qui débattent le problème d’un prétendu masochisme de Simone Weil pour l’écarter en conclusion. Ce problème est relevé dans la thèse de P. Tomczak, Le paradoxe du

mystère, le mystère du paradoxe. Sur le discours religieux de Simone Weil. Th : Philologie

roma-ne, Poznań 1999 ; nous citons P. Giniewski (le livre qui a déclanché toute la polémique) : Simone

Weil ou la haine de soi, Paris 1978 ; sur la polémique qui s’ensuivit : W. Rabi, « Simone Weil ou la haine de soi » in Esprit, n° 9, septembre 1978, p. 30–42 et 146–148; R. Chenavier, Simone Weil. La haine de soi ? « Cahiers Simone Weil », t. XVI, n° 4, décembre 1991, p. 291–328 ;

M.-A. Fourneyron, Pour en finir avec le masochisme de Simone Weil (I), « Cahiers Simone Weil », t. XI, n° 1, mars 1988, p. 57–64 ; idem, Pour en finir avec le masochisme de Simone Weil (II), « Cahiers Simone Weil », t. XI, n° 2, juin 1988, p. 155–164.

45 Comme le remarque à juste titre J.-L. Chrétien, l’intimité parrhêsiaste avec Dieu se fon-de sur la Parole : « Ainsi le dialogue avec Dieu, loin d’être le lieu même où je me trouve en me trouvant, c’est-à-dire en étant d’abord dépris de moi-même, serait au contraire le lieu où je le perds en voilant ‘l’abîme de la transcendance’ qui échappe à toute adresse. A cela peut d’abord se faire une objection historique : la liberté, la confiance, l’intimité cordiale dans la parole à Dieu adressée, ce que les chrétiens nomment parrhêsia, au lieu de décroître et de s’affaiblir avec la reconnaissance de son absolue transcendance, accompagnent au contraire celle-ci », in J.-L. Chrétien, L’arche de la parole, Paris 1999, p. 36.

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La volonté d’être signifie donc, dans son langage, un refus de Dieu et le renoncement au privilège de se laisser transcender46. Notre péché consiste

à vouloir être. De ce point de vue, l’Etre se limite consciemment aux méca- nismes de la vie naturelle et biologique. Refoulant la crainte de la mort, l’Etre s’enferme dans une immanence qui le réduit à ses soucis de l’existence maté-rielle. Il se procure à l’excès des objets qui le protègent, mais qui en même temps obstruent le passage au vide et à la décréation. Notre châtiment est de croire être, parce qu’on se permet de se conduire dans les illusions. Naturelle-ment, l’être fuit la parrhêsia, donc la liberté qui du point de vue de la mystique ne peut que commencer et s’achever dans la Transcendance47, dans l’Etre

véri-table. Dans cette optique, elle trouve donc légitime de constater : « Etre orgueil-leux, c’est oublier qu’on est Dieu… »48, parce que l’être identifié avec Adam

après la chute reste dédaigneux. Les enfants d’Adam se servent d’un langage nécessairement imparfait. Ce trait adamique reste d’ailleurs très développé dans la réflexion qui porte sur le langage. Jean-Louis Chrétien le pense lors de l’examen de l’hébreu, langue traditionnellement reconnue comme parfaite : « dans la Divine comédie, Adam en personne enseigne (en italien) que la langue qu’il parlait s’est perdue, et que du reste, tout ce qui est humain ne cesse de changer, qu’il appartient à l’homme naturellement de parler, mais de diverses façons »49. Les enfants du Nouvel Adam peuvent toutefois se protéger contre la

parole rhétorique pour ne pas tomber dans le mécanisme de la langue et de ses règles internes – cause des apathies et des ennuis profonds.

46 Simone Weil avoue à travers une autre pensée : « Le passage au transcendant s’opère qu-and les facultés humaines – intelligence, volonté, amour humain – se heurtent à une limite, et que l’être humain demeure sur ce seuil, au-delà duquel il ne peut faire un pas, et cela sans s’en dé-tourner, sans savoir ce qu’il désire et tendu dans l’attente », in Œuvres complètes IV, Cahiers IV

juillet 1942 – juillet 1943…, p. 362 ; et puis : « Epuiser les facultés humaines (volonté,

intelligen-ce, etc.) pour le passage au transcendant », in Œuvres complètes IV, Cahiers IV juillet 1942 –

juillet 1943…, p. 391.

47 La « Dé-création en tant qu’achèvement transcendant de la création, anéantissement en Dieu qui donne à la créature anéantie la plénitude de l’être, dont elle est privée tant qu’elle existe », in Œuvres complètes IV, Cahiers III février 1942 – juin 1942…, p. 190.

48 S. Weil, La pesanteur et la grâce…, p. 49.

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Conclusion

La puissance de l’authenticité d’expression de Simone Weil repose proba-blement sur le fait qu’elle garde une attention particulière au signe. Sa parole cherche à s’unir et à synthétiser au niveau du sens. Reste la question de savoir si cette parole franche, libre et simple ne se garde pas dans notre culture pour les moments unique de crise où on revendique immédiatement la sagesse. Le lan-gage quotidien privilégie le bavardage ; le discours officiel a recours aux orne-ments. Quant à la parole sage, elle se manifeste à travers la parole rhéto-riquement pauvre, simple et brève, dite parrhêsia.

Sous une forme modifiée, cette article se trouve dans un livre de Nelli Przybylska, Ascèse de la parole, Editions Universitaires Europeennes, Saarbrücken 2010.

Keywords: Parrhêsia, Truth-teller, Truth-telling, Simone Weil, Church Fathers, Spiri-tual techniques, Asceticism, Genesis, Sign, Meaning

PARRHESIA – THE SPEECH OF LIBERTY

Summary

The word parrhesia appears in Greek literature and in the patristic texts. It means “truth-teller” or “truth-telling” and directs the problematic in a domain of speech and thought ; it is a typical figure of expression in speech and thinking. Parrhesia, a “free-speech”, characterizes expression of everything one has in mind. Since Antiquity, “truth-teller” and “truth-telling” correspond to “education of the soul”, which supposes spiritual guidance and ascetic techniques. This question of the truth and asceticism is shown in the latest work of Michel Foucault. A voice of the ascetic is not only a speech, but a whole attitude of speaker. The ascetic doesn’t flatter the public even when he risks sometimes his life, when sounds off. In the early Christian period, parrhesia determines one more rule ; the rule linked to a symbolic and theological problem of the “paradisia-cal speech” and the ideal communication. In the area of parrhesia, Adam and Eve are found in the agreement with the Transcendence. Their relationship consists in a total

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unity. In the patristic texts, the original meaning of sin is interruption of harmony, a perturbation of unity, a sort of break with Transcendence; in this point of view, it indicates a dissociation of symbol and meaning, and a differentiation of mind and body. The individual way of perfecting, according to a French philosopher Simone Weil, comes from the transgression of the ambivalence towards a symbol, a sign and ideas. In the Weil’s philosophy, it’s possible to get a lost paradise and the harmony of being through the way of denudation and negation of herself, what she calls “decreation”, so the voluntary perdition of ego, is a mystical acceptation of Christ and an opening to real sense of existence.

Translated by Sylwester Jaworski

PARRHESIA – MOWA WOLNOŚCI

Streszczenie

Słowo parrhesia występuje przede wszystkim w greckiej literaturze i w tekstach Ojców Kościoła. Określa „prawdziwego-mówcę” oraz „prawdziwe-mówienie”. Z dzi-siejszego punktu widzenia, ukierunkowując problematykę w dziedzinie mowy i myśli, jest nie tylko retoryczną figurą wysławiania się, lecz także myślenia. Parrhesia, jako klasyczna licencja bądź mowa człowieka wolnego, charakteryzuje retorykę naturalnej ekspresji i zachowania. Już w starożytności „mówca prawdy” i „prawdziwa-mowa” wiążą się z „edukacją duszy”, która zakłada duchowe kierownictwo oraz techniki as-cetyczne. Na zależność prawdy i ascezy wskazują ostatnie prace Michela Foucaulta. Głos ascety nie wyraża się tylko w mowie, ale jest świadomą postawą mówcy. Asceta nie schlebia publice i bywa, że ryzykuje życiem, zabierając głos. We wczesnych wiekach chrześcijaństwa parrhesia określa jeszcze inną zasadę: zasadę związaną z sym-boliczno-teologicznym problemem „mowy rajskiej”, tzn. komunikacji doskonałej. W przestrzeni parrhesia, z tego punktu widzenia, porusza się początkowo Adam i Ewa, a więc w pełnej zgodzie i porozumieniu z Transcendencją. Relacja ich polega na całko-witej jedności. Grzech będzie rodzajem rozbicia harmonii, zakłóceniem jedni, formą zerwania z Transcendencją; będzie oddzieleniem symbolu od znaczenia oraz dyfe-rencjacją umysłu i ciała. Indywidualna droga doskonalenia dwudziestowiecznej francuskiej filozof Simone Weil będzie polegać na przekroczeniu ambiwalencji wobec symbolu, znaku i pojęć. Według niej, poprzez świadomą drogę ogołacania i negacji

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siebie, którą nazwie dekreacją, jest możliwe dotarcie do utraconego raju i harmonii bytu. Dekreacja, czyli dobrowolne zatracanie swojego „ego”, jest mistycznym przy-jęciem Chrystusa oraz dotarciem do prawdziwego sensu bycia.

Cytaty

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