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Sobieski et la mission de la Pologne

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Soctété oe Satnt^Hugusitn,

DESCLÉE, DE BRO U W ER & Cie,

Imprimeurs des Facultés Catholiques de Lille.

(8)

---100666

(9)

/

.E A N Sobieski est généralement connu p a r

la délivrance de Vienne

,

mais cette victoire

immense dans ses résultats

n'est qu'un

épisode de sa vie.

A Vienne, le seulprestige de son nom relève

l'espoir de l'E u rope, entraîne une année à l'a t­

taque de forces cinq fo is supérieures, soumet à

son autorité d'illustres capitaines et frappe

les Ottomans de terreur.

Ce prestige, il l'acquit en douze campagnes

menées durant l'espace de trente ans, contre

lesTartares, les Ttircs} les Moscovites, les Cosa­

ques

,

les Suédois, fêu n e encore, ses fa its d'arm es

le conduisent aux dignités de m aréchal et de

hetman

,

et ses victoires au trône de Pologne.

L'em pire du croissant

,

alors à son apogée

,

était aussi redoutable à l'E urope centrale

qu aujourd'hui le colosse du N ord à la Turquie.

L a Pologne, destinée à recevoir le prem ier

choc des invasions

,

demandait un homme de

guerre

,

la chrétienté un rempart. Sobieski fu t

l'un et l'autre.

Capitaine, il n'est pas inférieur à Bonaparte;

même prom ptitude à concevoir

,

même audace

dans l'exécution; au contact du péril\ son esprit

jette l'écla ir du génie.

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L e chef-d'œuvre m ilitaire de Napoléon est la

campagne de 18 14 . Trois fo is, Sobieski engage

une lutte semblable, payant de sa personne en

paladin des temps fabuleux.

Comme Bonaparte aussi, que Dieu

«

daigna

bunirit, Jea n I I I , que Dieu voulut sanctifier,

fin it ses jours abreuvé de souffrances

et le

conquérant de Moscou emportait à Sainte-

H élène, parm i les épaves de sa fortune et ses

plu s chers souvenirs, le sabre de Sobieski q ttil

légua p a r testament à son fils .

M ais, p lu s que Bonaparte, f ean possédait la

tendresse, la magnanimité, la piété, ce qui en

fa it un héros complet, un chevalier du Christ.

Sa vie est une épopée ; on peut aussi la p ré­

senter en quelques pages, à cause de ses grandes

lignes (l).

I. Voici les sources où nous avons puisé :

Daleyrac. — Anecdotes de Pologne ou mémoires secrets du règne de Jean Sobieski I I I du nom. — 3 vol. Amsterdam. 1699.

Coyer (abbé). — Histoire de Sobieski. — 3 vol. Varsovie et Paris. 1741.

Malte-Brun. — Tableau de la Pologne ancienne et moderne. — 2 vol.

Paris, 1830.

Lettres de Jea n Sobieski à la reine, pendant la campagne de Vienne.

— Louvain, 1827.

Salvandy. — Histoire de Pologne. — 2 vol. Bruxelles, 1841.

Joachim Lelevel. — Histoire de Pologne. — 2 vol. Paris, 1844. La Pologne historique, littéraire et pittoresque, rédigée par une socié­

té de littérateurs polonais. — 2 vol. in-8° Paris, 1837. Chodzko. — La Potogne. — Paris, 1841.

Karl Toifel. — Die Turken vor Wien im Ja h re 168j .— 1 vol. Vienne,

1880.

(11)

fitéface,

'I

L a Pologne atteignit son suprême éclat sous

Jea n Sobieski. I l fu t son dernier roi national ;

après lu i régna l'étranger.

E n ijç ô , la Pologne a disparu définitivem ent

de la carte d ’Europe

,

et le sim ulacre de roi

,

valet des czars, q iielle possédait alors

,

abdiqua.

Deux fo is depuis

,

en 1830 et en

i

86

j

, la Pologne

voulut revivre. Ses insurrections

,

form idables

d'abord

héroïques toujours

,

épuisèrent ce qui lu i

restait de forces et l'agonie commença.

Une loi fa ta le pèse sur cette malheureuse

nation. elle subit les conséquences de ses révol­

tes ‘insensées contre le principe d ’autorité

,

de

son obstination à m aintenir le peuple en escla­

vage et d'une division sans exemple dans l'h is­

toire ; la Pologne s'est mise elle-même en lam ­

beaux.

Peut-être aussi

,

dans ses vues impénétrables

,

Dieu veu t-il grouper en un peuple puissant

toutes les races slavonnes.

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Chapitre premier.

L E S A N C E T R E S . — Incendie de Moscou. — L e gra n d - hetm an Ż ó łk iew sk i. — M arc Sobieski, « cham pion de la Pologne ». — R etraite de Cecora. — L a mort d'un héros___ Jacq u es Sobieski, « bouclier de la liberté ».

?E U X siècles avant le désastre de Napoléon en Russie, presque jour pour jour, en 16 12 , Moscou brûlait. Cette fois le conqué­ rant lui-même venait d’allumer l’incendie. Car la Moscovie était conquise : à Kloutzin, deux ans auparavant, l’ennemi avait dispersé son armée forte de cinquante mille hommes, et fait prisonnier le czar.

Cet ennemi, c’étaient les Polonais au nombre de huit mille soldats mais commandés par le vieux Stanislas Żółkiewski, grand-hetman de la couronne.

Aujourd’hui, menacé par l’insurrection des villes et des campagnes, isolé de tout secours, Żółkiewski lâchait sa proie et reprenait le chemin de la patrie, non pas en fuyard, mais en lion qui retourne à son antre. Cent mille maisons de bois, croûlantes, at­ testaient sa vengeance. Durant la nuit, ses régiments en retraite et toujours invincibles apparurent aux yeux des Moscovites dans une clarté d’apothéose terrible.

Parmi les chefs de cette cavalerie bardée de fer, marchait un jeune homme appelé Jacques Sobieski ;

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6

*rean soôtes&r.

il portait le bras en écharpe et conduisait « la troupe d’or », compagnie de hussards d’élite équipés à ses frais. D e loin il put saluer la tombe de son père, tué à l’attaque de Sokol, son père dont le roi Batory disait souvent : « S ’il fallait, comme au temps des Horaces, « se reposer sur un seul homme du salut de la patrie, « je n’hésiterais pas à désigner pour champion de la

« Pologne, Marc Sobieski, palatin de Lublin. »

E t Jacques était le digne fils du palatin. Cette héroïque retraite allait ajouter à la gloire de son nom. Sanglants et décimés, les débris de l’armée polonaise atteignirent les frontières. Zolkiewski s’était frayé le chemin sur un espace de cent lieues. Jam ais vainqueur ne fut reçu à Varsovie comme le grand- hetman de Pologne, traînant dans son triomphe le czar prisonnier.

Huit ans après, nous retrouvons Zolkiewski pour la dernière fois à Cecora, dans les steppes de la Moldavie. Il a soixante-treize ans, et il vient de faire reculer cent mille Turcs et Tartares avec dix mille Polonais. L a victoire est surhumaine comme à Kloutzin, mais elle a coûté cher. L e vieux chef, silen­ cieux, semble compter ses hussards et ses pancernes qui ne sont plus. Il reconnaît leurs cuirasses, leurs morions de mailles étincelant par milliers dans la plaine, aux feux du soleil couchant. « Un second combat et c’en est fait de nous », disent les soldats consternés. E t ils sont frappés de crainte, et ils fuient. Zolkiewski peut en rallier trois mille. A vec cette poi­ gnée d’hommes, il ne faut plus songer à la victoire mais au salut. E t le grand-hetman va recommencer une retraite, plus terrible que celle de Moscovie.

D ’innombrables chariots accompagnaient toujours l’armée polonaise en campagne. A u lieu d’un embarras, ils deviendront une défense. Zolkiewski les fait placer

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en carré long, tout attelés, sur sept lignes de profon­ deur ; en tête et en queue sur les deux fronts con­ traires de ce carré, l’artillerie ; au milieu, les blessés, les femmes, les munitions, la cavalerie ; le long des chariots et dans l’intervalle de leurs lignes, l’infanterie. Cette citadelle roulante est terminée aux dernières lueurs du crépuscule. Alors le vieillard s’agenouille, ayant à ses côtés son fils Jean et grand nombre de ses parents. Tous lèvent les yeux au ciel et récitent la prière du soir, avec le sentiment de naufragés qui vont se confier au radeau. Devant eux, les solitudes désolées de la Moldavie; derrière eux, l’ennemi. L ’or­ dre du départ est donné. L a masse des chariots, domi­ nés par le fer des lances, s’ébranle, et va s’enfonçant dans le désert et dans la nuit, avec la lenteur impo­ sante d’un convoi funèbre.

L e lendemain, les jours suivants, dans les steppes, le long des bois, l’ennemi a surgi ; il attaque, il har­ cèle cette forteresse. Sans cesse repoussé, il revient à la charge avec des renforts. Bientôt cent mille hommes s’acharnent autour de cette monstrueuse ma­ chine, qui vomit balles et boulets. Zolkiewski avance toujours. L e terrain descend, des nappes d’eau se­ mées de joncs barrent le chemin, canons et chariots s’embourbent dans les marécages; il faut passer ou mourir. On passe, en conservant l’ordre de bataille, sous les efforts continus du grand-hetman. Plus loin, ce sont des forêts; on y entre; au besoin la hache et les boulets fraient la route; s’il faut abandonner un chariot, les autres serrent les rangs, mais le carré reste formé. Durant six jours et six nuits on a marché en droite ligne, comme le sanglier poursuivi par la meute. A travers les obstacles de la nature, la flèche des Tartares et le feu des Turcs, on a franchi quatre- vingts lieues. Non seulement Zolkiewski doit re­ pousser les assauts de l’Ottoman, mais il lutte contre

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le morne désespoir et la rébellion grandissante des assiégés. L ’ennemi se fatigue; saisi d’admiration et de je ne sais quelle crainte superstitieuse, il n’inquiète plus que mollement cette inconcevable retraite. L a masse sombre d’où s’échappent à tous moments des jets de fumée blanche, poursuit sa marche traînante comme un gigantesque dragon blessé, et s’arrête à quelques lieues du sol natal. De loin, Zolkiewski montre à ses compagnons les montagnes de Pologne, la noire forêt de Bukovine et le château fort de Kot- zim qui marque la frontière. Un dernier effort e r ils sont sauvés. Mais cet effort est de trop; la faim, la fatigue, le sommeil, la maladie ont épuisé les forces. Les soldats refusent d’avancer; les valets d’armes mutinés retrouvent de l’énergie pour s’emparer des chevaux et prendre la fuite. L e grand-hetman a compris cette fois que tout est perdu; il se retire à l’écart et, en présence de la mort qui accourt là-bas sur un cheval Tartare, il se recueille pour écrire à son roi, le conjurant de provoquer une ligue sainte de la chré­ tienté, une nouvelle croisade, car tous les efforts de la Pologne doivent être sans cesse dirigés contre la puissance musulmane. C ’est là sa mission.

Puis remettant ce testament grandiose à son fils et à la garde de Dieu, il revient vers ses compa­ gnons.

— « Il faut capituler, il faut se rendre! lui crie-t-on. — « Dieu m’a confié l’honneur de la Pologne, à lui seul j ’en dois rendre compte, répond l'indomptable vieillard. Mourons mais ne nous soumettons pas. »

Un gentilhomme lui présente un cheval tout sellé, le seul qui reste dans le camp; son fils, ses amis le supplient de profiter de cette monture pour sauver sa vie.

Il perce la bête de son sabre et répond : <( L à ou reste le troupeau, là doit rester le pasteur. »

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Tous comprennent qu’il faut, à l'exemple de leur chef, faire noblement le sacrifice de la vie; et ils font ce sacrifice; ils vont mourir.Au bord du Dniester s’éten­ dent les paysages de la Pologne, colorés par la lumière de septembre. Sous les rayons de ce-soleil d’automne, la patrie semble leur adresser un sourire d’adieu. Mais voici lęs Tartares! Żółkiewski voit tomber ses soldats; le sang de sa famille rejaillit sur lui ; il voit tomber son fils. Ses forces défaillantes, en parant les coups, pro­ longent son agonie. Un cimeterre lui tranche la main. Alors il s’affaisse sur les genoux, demande l’absolution à son confesseur debout à ses côtés, et meurt percé de coups; son confesseur est massacré.

L e lendemain, Skinder-Pacha, général des Turcs, parcourut le champ de bataille à la recherche du redoutable Żółkiewski. Longtemps il contempla ce vieillard à barbe blanche, aux traits sévères et impé­ rieux, reposant maintenant dans le calme de la mort. La tête du héros fut envoyée à Constantinople.

L e rempart de la République étant tombé, les T a r­ tares entrèrent en Pologne. C ’est par eux qu’on apprit le désastre de Kobilta. Grande fut la consternation en Pologne, mais plus grande encore la douleur de madame Żółkiewski. Elle partit pour le champ de Kobilta à la recherche du corps de son fils et du corps de son mari. E lle ne trouva pas les restes de Jean, il était prison­ nier des Turcs, et criblé de blessures dont il mourut en revenant chez lui, mais elle reconnut le tronc mutilé de son illustre époux; rien ne put l’en séparer. L ’en­ nemi respecta cette noble douleur, et le corps de Żółkiewski fut transporté à Varsovie. L a noblesse en armes, les villes et les provinces coururent à ses funé­ railles; tous les drapeaux de l’armée et des palatinats, inclinés vers la terre, précédaient -le cercueil ; et trois femmes le suivaient. L ’une était la veuve du héros, l’autre sa fille, la palatine de Russie que le fer des

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Tartares allait aussi rendre veuve; la plus jeune, Théophila, petite-fille de Zolkiewski, devint la mère de Jean Sobieski.

L a dépouille du grand-hetman fut réunie aux cen­ dres de ses pères à Zolkiew; et les trois femmes firent graver ce vers du poète sur la pierre sépulcrale :

E xoriare aliquis nostris ex ossibus ultor!

A son tour, la Pologne érigea un monument à Kobilta. On y lisait ces mots inscrits en quatre langues: « Apprenez de moi, comment on meurt pour la patrie. » Un vengeur de Kobilta se leva l’année suivante. C ’était ce Jacques Sobieski, commandant de « la troupe d’or », élu depuis maréchal de la diète, honoré du titre d’Al- tesse et du surnom plus beau de « Bouclier de laliberté». A la tête de soixante-cinq mille Polonais, il battit à Kot- zim deux cent mille Turcs commandés par le sultan. Après cet exploit, il demanda la main de Théophila Zolkiewski et se retira dans son château seigneurial d’Olesko. Son premier enfant fut un fils; il l’appela Marc en souvenir de son valeureux père.

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L E S S O B IE S K I. — N aissance de Je a n . — M œurs polonaises. — Vie de château. — Les serfs. — Caractère de M arc et de Je an . — L eu r éducation. — L e ü r séjour à P aris. — Louise de Gonzague, reine de Pologne. — Influence de la Fran ce sur la Pologne.

?U fond du palatinat de la Russie Noire, aux pieds des Monts Carpathes, entre les sources du Boug et de la Vistule, se dresse le château féodal du canton d’Olesko ('). Il est bâti au sommet d’un mohilah, ou montagne funé­ raire des Slaves, construite de main d’homme.

C ’était le jour de la Fête-Dieu, en l’année 1629. L ’orage grondait sur cette partie de la Pologne. L e mohilah d’Olesko et son manoir à donjon pointu se détachaient en silhouette sombre sur le ciel déchiré par les éclairs. Dans la montagne, le vent brisait la flèche des sapins séculaires. On eût dit que les démons de l’air, pressentant l’arrivée de quelqu’ennemi, s’achar­ naient contre le vieux château. Quelquefois les com­ motions de la nature accompagnent l’arrivée de certains hommes dans le monde ou leur départ pour l’éternité. Sont-ce là des effets naturels ou des présages ? L e génie de Shakespeare a eu l’intuition de ces coïnci­ dences mystérieuses et en a tiré des chefs-d’œuvre.

Or, au milieu de cette tempête, un second enfant naissait au manoir d’Olesko ; c’était encore un fils et il reçut le nom de Jean.

L ’orage se perdit dans les Carpathes. Il semblait emporter avec lui les discordes et les guerres qui

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C H A T E A U D ’ O L E S K O , où naquit Jean Sobieski.

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grondaient en Pologne, depuis des siècles. D es jours d’été, lumineux et tranquilles, reparurent au lendemain de la naissance de Jean. Ils furent une image des vingt ans de paix qui allaient suivre et cicatriser les plaies de la patrie. Jam ais avant, jamais depuis, cette nation houleuse ne goûta pareille accalmie. Dieu laissait respirer la Pologne pour lui donner la force d’accomplir sa mission suprême sous la conduite d’un nouveau Machabée.

E t précisément, il faut vingt ans pour former un homme. L ’éducation de Jean put s’achever et par­ faire en lui l’œuvre du sang. Car Jean fut surtout l’efflorescence, le fruit de deux tiges puissantes en sève slave, greffée sur le Christ.

Laissons-le parler lui-même de ses aïeux. Dans une note manuscrite trouvée après sa mort, il s’exprime en ces termes :

« L e nonce apostolique désire connaître l’histoire de « ma maison; je le satisferai sans me perdre dans la «nuit des temps, ni même remonter jusqu’à Janik, « palatin de Sandomir, sous le règne de Lesko-le-Noir « (1280), guerrier célèbre dont les victoires sur les « Jogygens sont attestées par de grands mohilahs, «élevés dans mon patrimoine de Sobieska-Wola. J e « passe sous silence d’autres personnages de haute « renommée, et leurs glorieuses expéditions contre les « ennemis de la patrie. Les seules guerres que j ’aime- « rais à rappeler sont les guerres sacrées; les héros « dont je suis le plus fier de descendre sont ceux qui « baignèrent de leur sang la terre des Infidèles et « me transmirent en héritage de longues vengeances

« à exercer sur les barbares »

Jean était âgé de trois ans quand son père dut pré­ sider, en qualité de grand maréchal, la diète électorale de Varsovie. Parmi les candidats au trône se trouvaient Jean Casimir et Wladislas, les deux fils du roi défunt.

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i4

-Jean Soôieski.

L ’aîné, Wladislas, avait appris le métier de la guerre sous la direction de Jacques Sobieski. Il comptait peu de partisans. Son frère eut la magnanimité de renoncer à la couronne en sa faveur et de quitter le pays. Néan­ moins il fallut encore vaincre l’opposition de la diète. Jacques en vint à bout; il maniait la parole avec cha­ leur et habileté. Les étrangers émerveillés ne compre­ naient pas « dans un homme de guerre », dit une chronique, « ces trésors de faconde et de science ».

W ladislas à peine sur le trône, se fatigua de la paix. Il attaqua le czar et le fit reculer jusqu’à Moscou, puis il voulut recommencer les longues guerres avec la Suède, en faisant valoir les prétentions de la couronne sur ce pays. L a diète, heureusement, fut sage; elle s’y opposa. On traita avec la reine de Suède. Jacques Sobieski négocia au nom de son pays une trêve de vingt-six ans. 11 y eut bien encore çà et là quelque escarmouche avec le Tartare et le Turc, affaire de s’entretenir la main au sabre, mais la Pologne voulait la paix. L e roi fut obligé de tourner son ardeur inquiète vers le développement des arts et de l’industrie, qui depuis trop longtemps faisaient défaut à cette nation guerrière, demi nomade, mais supérieurement douée. D ès lors le style Renaissance fit son apparition chez les Slaves. Ils cessèrent de construire en bois leurs palais et leurs églises. Des ponts, des routes établirent des communications indispensables au faible commerce de ces riches contrées dépourvues de bourgeoisie. D es artistes italiens, appelés à grands frais, initièrent les Polonais à la peinture et à la sculpture. Varsovie se transforma. D es fresques représentèrent l’histoire de Zolkiewski dans le palais royal de W iasdova (‘ ). A l’exemple du roi, les grands seigneurs ornèrent leurs châteaux. L a presse répandit le goût de la lecture, et

I. Pierre le Grand les fit détruire, ne voulant point immortaliser la conquête de Moscou et la prise d’un czar par des Polonais.

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les Polonais révélèrent leurs remarquables aptitudes pour l’étude des langues.

Jacques Sobieski, studieux par nature, se trouva dans son élément. Il sut à peu près tout ce qu’on pouvait apprendre alors dans son pays, parlait grec, français et latin, et, de plus, écrivait. On a de lui un traité sur l’éducation. On le voit, un tel père pouvait et devait se faire l’éducateur de ses fils. Les loisirs de la paix lui facilitèrent cette haute et délicate mission. Il s’en acquitta avec le concours d’un savant, Stanislas Orkowsko.

L a mort de Zolkiewski, de sa veuve et de ses fils avait fait passer à Jacques l’immense héritage de cette famille. L e palatin s’établit avec sa femme à Zolkiew, ville forte située au centre d’une propriété comprenant cinquante villages et vingt lieues de territoire. On

signalait le château de Zolkiew comme étant tout entier

bâti de briques. C ’est dans cette résidence, au milieu de montagnes escarpées, en vue de forêts sauvages et profondes, que Marc et Jean passèrent leur enfance. Autour d’eux régnait un luxe de chevaux, de chiens, d’armes, de fourrures, de pierreries, de cassolettes à parfums, de tentures orientales tissées d’or, garnies de panoplies et de trophées de chasse, où les têtes d’ours, les massacres de bisons et les bois de cerf jetaient une note sauvage. L e personnel de la maison comptait une légion de valets, des sentinelles à toutes les portes, une troupe de musiciens, une suite de nobles sans le sou recevant aujourd’hui les coups de fouet du maître, et demain courant à cheval élire un roi, peut-être rois eux- mêmes.

Sous Wladislas, les chefs-d’œuvre de Florence et de Rome vinrent s’ajouter à l’ameublement; le marbre, les tableaux, la soie remplacèrent la peau de bête et les boiseries peintes. Mais cette opulence et les goûts artistiques s’associaient à d’étranges mœurs, rien moins

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qu’efféminées. Au son d’une musique langoureuse, les convives mangeaient avec le couvert qu’il était d’usage d’apporter avec soi ; on buvait dans des coupes ciselées, le vin de Hongrie renfermé dans des fûts cerclés d’ar­ gent; au dessert la fumée des grosses pipes se mêlait à la vapeur des aromates d’Arabie ; et très souvent ceux que le vin laissait debout, tiraient le sabre. Depuis la salle à manger jusqu’à la cuisine on ferraillait, car généralement les valets, après avoir prélevé leur part sur le festin, dégainaient à l’exemple des seigneurs.

Ce tumulte après boire effrayait peu les dames,

toujours entourées d’un respect chevaleresque.

Hardies dans le danger et humbles sujettes de leurs époux, elles luttaient de courage avec les hommes devant la mort, bravaient la neige en traîneau et se jetaient aux pieds de leur mari comme des esclaves, pour demander les choses les plus simples. Mœurs féodales mêlées de barbarie asiatique.

M algré la ferveur de leur esprit chrétien et leur obéis­ sance à l’Église, les nobles Polonais continuaient à trai' ter les paysans en serfs attachés à la glèbe, en bêtes de somme. Ces paysans, on les jugeait indignes de porter les armes. C ’était absolument comme chez les hordes de la Sarmatie. E n temps de paix, on pressurait cette gent taillable et corvéable à merci; en temps de guerre, on les pillait. Ils étaient sur la terre pour nourrir leur seigneur et, comme dans la fable, on leur faisait :

E n les croquant, beaucoup d’honneur.

Quelquefois la révolte grondait dans cette race foulée aux pieds, quelquefois le chien brisait sa chaîne, sautait à la gorge du maître et laissait entrer les voleurs ; c’était la jacquerie, ou bien l’appel aux Cosaques, ces frères opprimés, mais vengeurs, car ils avaient du moins, eux, le cheval et la lance, tandis

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que le pauvre serf ne possédait rien en ce monde ; pas même sa vie. Moyennant dix marcs, plus tard 1500 francs d’amende, tout noble pouvait la prendre.

E t nulle part on ne parlait encore de liberté et d’égalité si ce n’est en Pologne ; cette nation s’appe­ lait fièrement une République. Liberté, égalité, mais pour les nobles. Ceux-ci prônaient l’égalité si' haut que des maisons presque souveraines par leurs richesses, leurs alliances, leur gloire, leur ancienneté, n’avaient pas de titres. L es charges seules consti­ tuaient une suprématie et ces charges étaient tempo­ raires. E n fait de princes, il n’y avait que les fils du roi ; les autres, créés par le Saint-Em pire, à cause même de cette origine étrangère et suspecte ne comptaient pas. Un gentilhomme titré se faisait mal venir. D e quel droit prétendait-il s’élever au-dessus de ses pairs ? Accepter les faveurs d’un prince étranger, n’était-ce pas abaisser la noblesse de Pologne ? Les seigneurs résidaient habituellement dans leurs terres. E n dehors de la guerre, et des agitations civiles, la chasse, l’escrime, la musique et les voyages sous la tente occupaient leur vie.

Le

voyage sous la tente était leur plaisir favori, le dernier mot là-bas de

ce que nous appelons ici le sport. On partait à

l’aventure, avec sa maison, ses chevaux, ses invités ; on campait dans les beaux sites, sous de somptueux pavillons à l'orientale. Tant pis pour le paysan si les récoltes et les troupeaux étaient ravagés sur le passage de ces riches caravanes. L e vieux sang des nomades coulait dans les veines du Polonais.

T el est le milieu dans lequel Marc et Jean furent élevés. D ès leur bas âge on leur apprit la danse et la musique pour lesquelles, on le sait, les Slaves ont une passion. Non pas le menuet de Versailles, mais la krakoviak, la polonaise, la mazurek, accompagnées de chants nationaux où les talons éperonnés sonnent

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i 8

^Tcan Sobieski.

en cadence, où le corps déploie sa grâce et son élégance martiale, pas de caractère qui ont fait le tour de l’Europe dans les ballets-pantomimes.

Comme le palais de Zolkiew était encore le rendez- vous des savants et des artistes, la science et les arts occupèrent une large place dans l’enseignement des Sobieski. L e palatin lui-même initia ses fils à l’étude des langues, de l’histoire, des mathématiques, de la philosophie. Quant à l’art de la guerre et à l’éloquence il mit tous ses soins à leur en apprendre les secrets. A tous moments, soit pour formuler une demande, soit pour justifier leur conduite, il les faisait monter sur la première table venue et les obligeait à discourir en termes faciles et précis. Enfin qui dit noble polo­ nais dit sabreur et cavalier. Marc et Jean durent exceller en ces deux branches. A vec la lance, le sabre était l’arme nationale, le sabre identique au cimeterre turc mais plus long et plus pesant. Il fallait du biceps pour le manier. A cette fin, les gentilshommes avaient ordinairement à la main une hache d’armes fort lourde

nommée obouck, pour se rompre, disaient-ils, le

poignet et le bras à jouer du sabre. Ils y préparaient les enfants par l’exercice du bâton ; aussi les gamins se battaient entre eux et attaquaient les passants en guise de jeu. On s’amusait encore à tirer de l’arc. L e carquois, l’arc et le bouclier garnis d’or et de pierreries se conservaient comme ornement dans les costumes d’apparat, en souvenir des ancêtres.

Jean Sobieski, robuste, adroit et d’une vigueur peu commune ne tarda pas à surpasser les enfants de son âge dans tous ces exercices. Il était de nature géné­ reuse mais altière, avide de louanges et souffrant de la moindre humiliation. S a force de volonté le faisait braver tous les obstacles pour arriver à son but. L ’héroïsme austère des Zolkiewski renforçait en lui le valeureux sang des Sobieski. Cœur aimant,

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intelli-gence prompte à tout saisir, imagination vive, il ne put être artiste parce qu’il devint grand capitaine et orateur. Il jouait du luth, peignait, écrivait des poé­ sies. A yant au service d’une intelligence d’élite cette volonté de fer, il apprit à peu près toutes les langues d’Europe. D e l’ensemble de ces qualités allait jaillir un jour, au contact des événements, l’étincelle du génie. Jean avait aussi tous les défauts de son carac­ tère. S a mère s’en effrayait et lui préféra Marc, croyant celui-ci dépositaire des destinées de sa famille. Comment la petite-fille d’un Żółkiewski ne comprit- elle point l’âme d’un fils que bien des mères devaient lui envier ? Comme une autre Rebecca, voyait-elle en -Marc, enfant doux et docile, un nouveau Jacob ?

Mais Jean n’avait rien du rude Esaü que l’amour de la chasse. Jacques Sobieski en profitait pour habi­ tuer ses fils aux fatigues et développer leur adresse et leur intrépidité. Il les envoyait dans la montagne à la recherche de l’ours et du bison. Jean dépassait les espérances de son père jusqu’à lui faire peur. Une hache à la main et le poignard à la ceinture, il atta­ quait l’ours comme un héros des temps antiques.

Madame Sobieski était femme à seconder son mari dans cette virile éducation. E lle Voulait des héros. Tous les jours, elle ravivait les traditions de la famille et montrait à ses enfants une suite d’ancêtres morts au service de la Sainte Église et de la patrie; tous les jours, elle leur rappelait les cimeterres musulmans et les tlèches païennes teintes du même sang qui coulait dans leurs veines, et puis fixant leurs yeux sur le blason des Sobieski, de gueules au bouclier d'argent, elle leur disait avec un accent de Lacédémonienne inspirée par la foi du Christ : « Avec, ou dessus ! »

Dans l’église de Zolkiew, près du maître-autel, repo­ saient les Żółkiewski. E lle était parvenue à se procurer les restes de son frère et de son oncle abandonnés

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sur le champ de bataille. Jacques Sobieski, à prix d’or, avait même obtenu du sultan la tête du conquérant de Moscou. Depuis longtemps cette tête vénérable ornait les portes du sérail. Elle fut réunie au tronc mutilé du grand hetman et un monastère s’éleva près de l’église à l’intention des défunts. L ’aïeule reposait maintenant à côté du corps qu’autrefois elle arracha aux vautours de Kobilta. Sur cette tombe, Théophila prodiguait les sculptures de marbre, et priait tous les jours avec ses enfants. Alors elle leur racontait la mort héroïque du vieux Żółkiewski, leur lisait son testament et demandait à ses fils si quelque jour ces cendres ne seraient point vengées. L e vengeur était là. L a voix mystérieuse des ossements de Żółkiewski parlait au cœur de Jean. Jam ais il ne l’oublia. On peut s’en con­ vaincre par le manuscrit que nous avons cité.

Quand ses fils atteignirent l’âge de quinze ans, Jacques les fit voyager, ieur désignant surtout Paris pour achever de polir leur éducation, et l’empire Otto­ man pour leur apprendre à mesurer de près le terrible ennemi de la Pologne et de la chrétienté. E n leur don­ nant sa bénédiction paternelle, il ajouta : « Mes enfants, « ne vous occupez en France, que des arts utiles, car « pour ce qui est de la danse vous aurez tout le temps

i de vous perfectionner avec les Tartares. » Ce temps arriva plus vite qu’on ne le pensait.

Marc et Jean quittèrent donc Zolkiew. Ils visitèrent en passant l ’Allemagne et l’Italie et se fixèrent à Paris.

Présentés à la cour sur la recommandation de leur nom, ils furent reçus gracieusement par la reine Anne d’Autriche. Louis X I V était encore un enfant. L es deux Sobieski, bien faits, beaux cavaliers, spirituels et plus instruits que les gentilshommes de France, ne manquèrent pas d’obtenir du succès. Jean se trouva si bien dans ce milieu de la Fronde, fait à plaisir pour

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défrayer les romans de cape et d épée, qu’il s’engagea dans les mousquetaires rouges, après en avoir obtenu la permission de son père. Le voilà soldat et soldat d’un grand roi dont plus tard il allait éclipser la gloire.

Une ambassade polonaise vint à Paris, en 1645, demander la main de la princesse de Clèves de Gonzague, pour le roi Wladislas. Cette femme, âgée de trente-quatre ans, avait une réputation méritée de beauté et d’intelligence. E lle accepca, déposa son nom de Marie de Clèves en mémoire du malheureux Cinq- Mars qui l’aima jusqu’à l’échafaud, et s’appela désor­ mais Louise de Gonzague. L'ambassade, composée de huit cents gentilshommes, fit merveille. Jam ais cortège aussi somptueux ne traversa les rues de Paris. Il existe une relation détaillée de cette cavalcade. On la croirait tirée d’un conte oriental tant on y décrit de costumes, de housses de chevaux, de cimeterres étincelants d'or, de saphirs, de diamants. L es deux Sobieski y prirent rang avec une suite.

Après son couronnement, la nouvelle reine dt: Pologne passa quelque temps avec le roi à Zolkiew, chez Jacques Sobieski. Dans ce pays que l’humeur maussade de son mari lui fit paraître un double lieu d’exil, elle s’entoura des souvenirs de la patrie, et pour adoucir ce qu’elle appelait des mœurs barbares, elle ouvrit la voie aux idées françaises.

L es Jésuites français répandirent en Pologne le goût des sciences exactes et de l’astronomie. Depuis les officiers d’artillerie en quête d’aventures jusqu’aux cuisiniers et hôteliers accourus sur les pas des gen­ tilshommes picards, il y eut désormais en Pologne un élément français.

L a jeunesse polonaise alla compléter son éducation à Paris; et l’on venait de France en Pologne non plus comme en pays Scythe. De là, des mariages. La cousine de Condé épousa le chancelier de Lithuanie,

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tandis qu une de Lussé devint la femme de Michel Paz, brillant officier d’illustre maison et que l’envie devait rendre l’implacable ennemi de Sobieski. Parmi les filles d’honneur de la reine se trouvait Marie Casi- mire de laG ranged’Arquien.filledu marquis d’Arquien, capitaine des gardes de Monsieur. Sa mère avait été gouvernante de Louise deGonzague, Marie Casimire, grande amie de la reine, exerçait déjà autour d’elle, malgré son jeune âge, cette influence charmante qui devait la mener au trône.

Jean Sobieski avait vingt ans. Il fit la connaissance de Condé dans les salons de la duchesse de Longue- ville ; il y rencontra aussi Turenne, Bassompierre, Catinat, Luxembourg, Vauban et tous les génies littéraires de ce grand siècle. Chose étrange ou plutôt naturelle, Condé se lia d’amitié avec le jeune Sobieski. Pim tard ils eurent une correspondance suivie. Jean apportait de son pays des idées parlementaires qu’on n’avait pas encore en France. Il étonnait les courtisans du pouvoir absolu, en proposant la convocation des États-généraux comme un remède des plus simples aux maux politiques de la France.

La paix ne pouvait durer en Pologne. L a misère du peuple, la turbulence de la noblesse, la confusion des pouvoirs, la faiblesse de la royauté minaient sour­ dement ce pays comme des plaies cancéreuses.

L ’ordre équestre, fatigué de Wladislas, l’accusait de maintenir sur pied une armée dans le but d’assurer l'élection de son fils.Il dut licencier les vieilles bandes de Zolkiewski. Peu après, son fils mourut. L e roi déjà atteint de mélancolie par suite de sa longue inaction, tomba dans une maladie de langueur.

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L A P O L O G N E .— Sarm ates et Slaves. — Origine de la Pologne. Ses h ab itan ts.— Conversion des Polonais au ch ristian ism e.— Les Piast. — Le Sénat. — Les Jagello n s. — Charges civiles et m ilitaires. — Diètes. — Nonces. — D iétines. — Le liberum veto et les confédérations. — L a R o y a u té en Pologne. — Les W asas.

U A N D on jette les yeux sur une carte de l’Europe pendant la seconde période du moyen âge, on y voit la Pologne étendant ses limites depuis la Baltique jusqu’à la Mer Noire et sa protection sur les provinces tributaires de Moldavie et deValachie. A l’ E st,elle englobeSmolensk et tous les affluents du Borysthène, aujourd’hui en pleine Russie. Moscou est à vingt-cinq lieues de ses frontières, et la Prusse, une contrée imperceptible,n’est célèbre que par les exploits des chevaliers Teutoniques. L ’empire de toutes les Russies n’existe pas; les Rus- sies se trouvaient en Pologne. Il y a bien une Répu­ blique de Novgorod, là où s ’élèvera plus tard Saint- Pétersbourg, et puis le grand duché de Moscovie, mais le reste, occupé par les hordes Kaptchaques et Tartares, se perd dans la nuit. L a Pologne en ce temps était plus vaste que l’empire d’Allemagne. Sous Charles-Quint, elle s’amoindrit dans le Sud et à l’E st; la Porte Ottomane et les Moscovites en ont rogné une large part, cependant au Nord elle a gagné Dantzig et Kœnisberg, ports de mer, ainsi que la Courlande et la Livonie. Son territoire est toujours deux fois grand comme la France. Durant la guerre de Trente ans, elle reconquiert l’ Ukraine, qu’elle perd définitivement quelques années plus tard. L e X V I I e siècle marque l’apogée de la Pologne; malgré ses

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pro-24

-Jean Sobieski.

---vinces conquises c’est encore la nation la plus étendue de l'Europe, puis elle va déclinant. On peut dire qu’après Sobieski elle s’effondre. E t la Russie sort des ténèbres à la voix de Pierre le Grand.

L a Pologne aujourd'hui n’est plus; elle a disparu de ce monde, parce quelle a achevé sa mission, une âpre et sublime mission ; et parce qu’au milieu de la civilisation, elle a conservé les principes dissolvants de la société barbare.

Au delà des Carpathes, l’antiquité ne connaissait que les Sarmates parmi lesquels il faut chercher les Slaves dont le nom dérive de gloire (slawa). C ’est d’eux que descendent les Krobates ou Croates, les Slavons ou Esclavons, les Sorabes ou Serbes, les Roxolans, les Ruthènes, les Bulgares, les Moldaves, les Tchèques (’ ) de la Bohême et de la Moravie.

A l’invasion des barbares, il s établit dans le monde deux formidables courants de hordes, l’un venant du Nord de l’Europe, l’autre du fond de la Scythie; ce torrent de peuples rejeta les Celtes aux extrémités Nord-Ouest, en Bretagne, en Irlande, en Écosse et coupa le chemin des Slaves vers l’Italie. Plus tard, quand les races gothique, franque, saxonne et hon- gare se furent constituées en nations, les Slaves, formant en quelque sorte l’arrière-garde du monde chrétien, s’organisèrent pour défendre leurs posses­ sions contre de nouvelles incursions. Ils devinrent la digue de l’Europe contre le flot tartare et musul­ man ; et telle fut la mission que Dieu leur imposa en les groupant sous le nom de Pologne.

Ils aimaient la liberté, ces Slaves, ces « glorieux », ils l’aimaient d’un amour effréné; dans la steppe sans

I. Tchèques ou pre?niers parce qu’ils ont devancé les autres tribus

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limite, ils ne reconnaissaient pour maître que la foudre du ciel. Vêtus de peaux de loup, armés de lances, de flèches, de boucliers d’osier, ils erraient avec leurs chariots et leurs troupeaux, du Nord au Midi, dédai­ gnant le travail et les produits de la civilisation Romaine. Les soins de la vie matérielle étaient laissés aux esclaves, — leurs prisonniers de guerre — qu’ils traitaient avec une dureté impitoyable. Cependant les mœurs des Slaves étaient douces, pastorales, hospita­ lières. Procope vante leur loyauté et nous les montre plus experts à jouer du luth qu’à manier les armes.

L es Slaves voisins de l’Allemagne prirent, à l’exem­ ple des peuples germains, des demeures fixes — caba­ nes ou campements misérables — qui forcèrent du moins les habitants à cultiver ce sol.

Ceux plus éloignés au Nord et à l’E st tombèrent sous la domination des hordes Finnoises et Mongoles. L e Scandinave Rurik imposa son joug à ces nomades et en fit la nation d’où sortirent Novgorod, Moscou et le formidable empire russe d’à présent.

Entre la Vistule et la Crimée habitaient les Ross, Roxolans ou Ruthènes; ils donnèrent le nom de Russie à toute cette contrée, Russie Blanche, Russie Noire, Russie Rouge : ces dénominations ont rapport, croit-on, à la couleur brune ou blonde des races.

Quant au mot Pologne, il vient de Pôle qui veut dire plaine. Sau f dans le voisinage des Carpathes, la Pologne est en effet une immense plaine, ici maréca­ geuse, là sablonneuse et saline, parsemée de blocs granitiques, sillonnée de cours d’eau, couverte de forêts où dominent le sapin, le bouleau, le melèze, le chêne, le tilleul, pays fertile, riche en céréales mais de rude climat. L e centre de cette plaine était habité par une puissante tribu de Slaves appelés Lakes — d’où

Pollakes, plaine des Lakes

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depuis les Bohèmes ouTchèques jusqu’aux Russiens de toute couleur inclusivement. L es hommes libres et les esclaves formèrent deux races distinctes chez les Sarmates, l’une dominante, guerrière, toujours en mouvement, l’autre asservie, laborieuse, attachée à la glèbe, et aux pas du maître.

Ces deux races, on les retrouve en Pologne dans cette noblesse altière, et dans ce peuple de paysans écrasés par le servage. Ailleurs, sous l’influence de l’Église, les serfs peu à peu s’émancipent, arrivent à la bourgeoisie; les communes naissent, et, par la liberté, les nations atteignent la plénitude de leur force. L a Pologne au contraire,pour conserver l’esclavage, résiste aux efforts de Rome. Son attachement quand même aux traditions barbares de la Sarmatie se retrouve dans les lois, les mœurs jusque dans le costume, cette mani­ festation extérieure du caractère d’un peuple.

L es pelisses, les bonnets de peau, les armes restent toujours la partie essentielle et l’ornement de leur habillement, grossier d’abord, plus tard luxueux ; ce qui fit dire à la cour de Louis X I V : « les seigneurs polo­ nais, dans leur magnificence sauvage, sont couverts de diamants et n’ont pas de linge. » Ils conservaient aussi le singulier usage de se raser le tour de la tête en ne laissant subsister qu’une couronne de cheveux, comme le font encore maintenant les Cosaques et les Mongols.

Chez le noble polonais, orgueilleux, turbulent, folle­ ment prodigue de son sang autant que de son or, nous retrouvons le Slave avide de gloire et d’indépen­ dance, avec ses qualités et ses défauts. Impressionna­ bles, de conception prompte, les Polonais sont bien doués pour les arts et les sciences, gais, sans fiel, magnanimes. Mais leurs idées sont mobiles et, dans les revers, ils passent facilement de la présomption à l’abattement. En somme, tempérament du Nord, délymphatisé par un déploiement continu de résistance

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nerveuse, se rapprochant de celui du Gaulois, ce qui explique peut-être la sympathie qui règne entre Fran ­ çais et Polonais.>

Les guerriers, propriétaires et seigneurs du sol par­ tagé, s'appelèrent nobles; ils maintinrent leur indépen­ dance vis-à-vis les uns des autres, mais ils durent se réu­ nir de temps en temps pour régler les intérêts communs et décider la paix ou la guerre. D e là, ces assemblées nationales, basées sur l’égalité des droits de tous et sur l’unanimité des suffrages. N e pas y assister était abdiquer ses droits, et nul ne voulait encourir pareil déshonneur. L ’unanimité continue des suffrages était néanmoins chose impossible ; alors, comme la minorité ne pouvait ni ne voulait plier et qu’il fallait cependant conclure, on avait recours aux armes. Telle est l’ori­ gine des diètes polonaises.

L a première ville fondée dans ce pays vers le V I e siècle s’appela Gnesne. On dit qu’en faisant défricher une forêt dans cet endroit, le chef de tribu Lesko trouva un nid d’aigle blanc au sommet d’un chêne, et qu’il prit cet oiseau pour emblème. K rak bâtit Krako- vie. A ces origines se mêlent des histoires de monstres et de dragons: nous sommes dans les temps fabuleux de la monarchie des Lesko. Jusqu’au I X e siècle, on ne connaît rien de précis sur la Pologne, si ce n’est qu’elle était divisée en douze palatinats, commandés par des vaïvodes ou chefs d’armée choisis à l’élection et occupés surtout à se faire la guerre.

Vers cette époque, saint Méthode, saint Cyrille et surtout saint Adalbert, apportèrent les lumières du christianisme aux Slaves.

Méthode parvint en Bohême, baptisa Borzivoï, duc de ce pays et évangélisa son peuple (894). C ’est par la Bohême que la vraie foi entra en Pologne, mais un siècle plus tard, alors qu’une descendante de Borzivoï,

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la princesse Dobrowska, sœur de Boleslas de Bohême, épousa le duc de Pologne, Mièciwslas, encore païen. Elle entreprit de convertir son mari. Unissant le tact à la piété, justifiant son nom de « Bonne », elle l’ex­ horta à renoncer aux idoles, en évitant de froisser ses préjugés. E n 965, le duc fut baptisé avec plusieurs de ses nobles et s’employa aussitôt • à faire connaître le vrai Dieu à la Pologne. L e pape Jean X I I lui envoya un premier évêque accompagné de missionnaires. ' Mièciwslas mit une ardeur de néophyte barbare à faire

régner dans ses états les lois de la sainte E g lise; il ordonna d’arracher les dents « à tout Polonais con- « vaincu d’avoir mangé de la viande pendant le « carême ». Néanmoins il mourut regretté de son peuple, après un règne glorieux.

L ’amour du merveilleux, commun à tous les Slaves, portait bien les Polonais vers la supersti­ tion, mais ils embrassèrent la foi avec une ardeur austère, ajoutant aux jeûnes imposés par l’ Église celui du mercredi et de la septuagésime, et se livrant à des flagellations publiques et sanglantes. D e tous temps, les Polonais se sont distingués par leur atta­ chement à la religion catholique, leur indulgence pour les Juifs, et leur soumission au Pape. Intolérants jusqu a la cruauté pour les sectes dissidentes, ils laissè­

rent aux Israélites une telle liberté qu’on nomma la Pologne, le Paradis des Ju ifs . A u X V I Ie siècle encore, la puissance du Saint-Siège était plus respectée en Pologne que chez toute autre nation, puisqu’ayant pris sur elle de faire ses rois, elle n’osait les proclamer sans la permission du Pape, représenté par le primat. Les Russies, l’Ukraine et la Moscovie tombèrent malheu­ reusement dans le schisme de Photius et préparèrent ainsi la domination persécutrice des czars, au nom du panslavisme grec.

L a première dynastie qui régna en Pologne depuis

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sa conversion à l’É vangile est celle des Piast. Son fondateur fut appelé à ceindre la couronne tandis qu’il menait sa charrue. Une intervention miraculeuse du ciel avait, semble-t-il, désigné cet obscur paysan aux vaïvodes ou chefs des guerriers. Il a laissé la réputation d’un monarque vertueux et bienfaisant. L e premier il sut réunir en faisceau les tribus errantes. Son nom de

Piast signifie moyen, soutien, et ce nom est devenu un titre de gloire, une distinction nationale. Non seule­ ment on désigne ainsi toute sa lignée, mais encore les citoyens polonais donnés pour compétiteurs aux candi­ dats d’origine étrangère pendant la vacance du trône. Il importe de s’en souvenir pour le règne de Sobieski.

Un descendant des Piast, Boleslas I er, introduisit les bénédictins dans son royaum e, fonda l’ordre équestre composé de toute la noblesse, organisa des troupes et créa un conseil royal de douze nobles.

E n 13 19 , l’écusson de Wladislas, l’aigle blanc sur fond rouge, devint celui de la Pologne.

Le fils de ce roi, Kasim ir le Grand, fut le plus remarquable de cette dynastie. Il fonda l’université de Krakovie, et par sa sollicitude pour les faibles et les opprimés, il mérita le sobriquet de roi des paysans.

Sous les Piast, les villes jouirent d’une certaine existence politique, quoique toujours gouvernées par des subdélégués de la noblesse. A l’extinction de cette lignée, en 1370, elles perdirent les privilèges à peine acquis. Une seule institution politique s’établit durant ce long espace de siècles, le sénat. Il était composé de1- évêques, des palatins, des castellans, d’un staroste (') et de tous les grands officiers de la République.

l . Palatin. — Chef de la noblesse et gouverneur de son palatina'

ou province. 11 mène ses nobles à la guerre et au champ électoral.ll fui le prix des denrées.

Castellan. — Gouverneur de district, représente le palatin.

Staroste. — Gouverneur de château-fort et de ville royale dans le dis­

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-tTean sobtesfei.

Ces cent trente-six sénateurs avaient à leur tête, l’archevêque de Gnesne, primat du royaume, légat-né

du Saint-Siège, et censeur des rois, roi lui-même

durant les interrègnes.

L e sénat ne fit pas ombrage à la noblesse ; elle y voyait le gardien de ses intérêts, l’exécuteur de ses caprices. Mais le poste de sénateur ne put jam ais être héréditaire. Il fallut des siècles pour que la Pologne s’accoutumât à y voir une dignité. L e sénat était plutôt lié aux diètes qu’au trône. A la longue, il prit rang comme le second des trois ordres. L e roi consti­ tua le premier, le troisième comprit tous les nobles, c’est-à-dire la nation.

Vint alors le grand duc de Lithuanie, Jagellon. Il épousa Hedwige, l’héritière des Piast, et réunissant son duché au royaume de Pologne, il prit le nom de Wladislas IV . C ’était un vrai barbare, dur et cruel, adorateur de la foudre et du serpent sacré. Hedwige le convertit. A son tour Jagellon voulut convertir son peuple, mais à coups d’épée. L es Lithuaniens, pour la plupart de sang Finnois et Mongol, restèrent plus Moscovites que Polonais ; le schisme grec acheva de les fondre dans l’empire des czars modernes. Jagellon régna avec gloire jusqu’en 14 33: de son époque datent ces beaux monuments d’architecture, dont les ruines semblent pleurer aujourd’hui le passé de la Pologne.

L es Jagellons finirent en 1572. Jam ais la Pologne

ne

fut plus prospère que sous cette dynastie.

Les

sciences y prirent un essor inattendu ; elles enfantè­ rent Copernic.

Toutefois, Lithuaniens et Polonais ne purent jam ais former un seul peuple.

Il fut en vain stipulé que pour ces deux états il n’y aurait qu’une diète, un même prince, les mêmes lois, on distingua toujours les charges, les armées de Lithuanie d’avec celles de la couronne.

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Comme il sera souvent parlé de ces charges civiles et militaires, il importe d’en dire les attributions :

C H A R G E S D E L ’O R D R E C IV IL .

10 L e grand-m aréchal est le personnage le plus élevé en dignité. Au-dessus de lui il n’y a que le primat et le roi. M aire du palais, il traite aussi avec les ambas­ sadeurs. Il est chef de la justice et de l’administration, connaît de tous les crimes et juge sans appel. S a sanc­ tion est indispensable pour exécuter la peine capitale. Seule, la nation peut réformer ses jugements. C ’est lui qui maintient l’ordre et convoque le sénat. Il a toujours des troupes sous ses ordres.

’ 20 L e maréchal de la cour n’a de juridiction à exercer qu’en l’absence du grand maréchal.

30 L e gran d chancelier tient les grands sceaux de l’état. C ’est le ministre de la justice, le chef des magistrats.

40 L e vice-chancelier tient les petits sceaux. L ’un des deux est évêque pour connaître des affaires ecclé siastiques. Tous deux portent la parole au nom du roi aux diètes, en latin, le latin étant la langue officielle.

50 L e grand-trésorier, dépositaire des finances et des archives, administre les revenus de l’état. L a nation assemblée ou le sénat, jam ais le roi, décide de l’emploi du trésor. L e grand trésorier ne doit compte qu’à la nation.

Tous ces ministres, le roi les crée, mais la nation peut les révoquer. Ils n’ont pas voix délibérative dans le sénat.

C H A R G E S D A N S L ’A R M É E .

L e grand-hetman, chef suprême de l’armée, exerce un pouvoir sans limites et sans contrôle. Levées de troupes, organisation, discipline, armements, châti­ ments, arsenaux, forteresses, camps, préparatifs de

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guerre, ordre de marche, tout lui est livré. Son pouvoir * est suspendu lorsque le roi commande en personne.

L'hetman de campagne, lieutenant et trop souvent rival du premier, n’a d’autorité que celle que lui laisse le grand hetman.

L e strazenik commande l’avant-garde.

L e grand-enseigne porte l’étendard de la Pologne, exerce un commandement et ne marche qu’avec la

pospolite ou arrière-ban de la noblesse.

Loboznik, commissaire général, est le maréchal- des-logis des armées d’autrefois.

L es palatins, les castellans, les starostes étaient autant d’officiers supérieurs et avaient le droit d’équi- per et de commander des troupes à leurs frais.

Toutes ces charges,tant pour l’état que pour l’armée existaient en double : il y avait le grand maréchal de la couronne et le grand maréchal de Lithuanie, le grand hetman de la couronne et le grand hetman de Lithuanie et ainsi de suite, division fatale à la Pologne.

L E S D IÈ T E S .

Quand partout en Europe s’organisaient les États- Généraux, les Parlements, les Cortès, la Pologne

conserva la forme primitive des Champs de M ars,

cette tumultueuse assemblée de citoyens en armes. Cent mille nobles à cheval venaient discuter les intérêts du pays. Nourrir une pareille armée pen­ dant plusieurs mois entraînait la dévastation d’une contrée. E t puis les affaires traînaient en longueur, des provinces hostiles se rencontraient en armes, à chaque réunion : il fallait terminer brusquement les débats pour éviter la guerre civile. Les progrès du

temps amenèrent les nobles à élire des nonces ou

envoyés. Ces nonces étaient choisis dans les diétines

ou assemblées de chaque palatinat. Ils y recevaient des « cahiers» obligatoires et après chaque session de

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la diète ils étaient obligés de rendre un compte rigou­ reux de leur mandat.

On discutait dans la diète l’administration, la ju s­ tice, les lois, la paix et la guerre ; on y recevait les ambassadeurs; toutes les affaires de l’État y étaient traitées en public, à haute voix, portes ouvertes. Quel­ quefois les nobles électeurs accouraient pour surveiller leurs nonces et s’opposer au besoin à leurs lois. C ’est ce qu’on appelait « tenir la diète sous le bouclier ».

L e sénat et l’ordre équestre, c’est-à-dire la grande et la petite noblesse, composaient, nous l’avons vu, ces assemblées nationales, mais ils discutaient quelquefois à part, absolument comme les deux chambres de nos gouvernements modernes. Tous les deux ans, le roi convoquait la diète, à moins que des circonstances graves ne l’obligeassent à siéger plus souvent. Des cérémonies religieuses précédaient et terminaient la session, qui durait au moins six semaines. Pendant trois mois les nonces demeuraient inviolables. Était puni de mort qui portait la main sur eux. Rien de plus imposant, au premier aspect, que ces réunions nationales avec leurs pompes religieuses et civiles, leurs grands dignitaires, leur cortège royal, leurs ser­ ments solennels, leurs principes de fière et chevale­ resque liberté ; mais rien d’aussi lamentable dans ses résultats. L a violence, l’orgueil, la haine, l’intrigue, la vénalité, l’ignorance, toutes les passions, toutes les infirmités du cœur humain se donnent carrière dans ces débats législatifs. C ’est une confusion de disputes, où les intérêts de la patrie font périodiquement nau­ frage. L ’amour de la liberté dégénère en licence; et les institutions polonaises semblent avoir pour but d’armer l’opposition contre l’autorité. Pour avoir force de loi, les résolutions de la diète exigeaient Xunani­ mité àes suffrages. Du moment que le défaut d’unani­ mité créait une minorité, celle-ci avait le droit de

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constituer une assemblée à part nommée confédération.

L a diète alors était rompue; si elle continuait à siéger, les nobles confédérés se choisissaient un président, opposaient leurs décrets à ceux de la diète et au besoin la force à la force. Quelquefois le roi fut mis à la tête de ces confédérations; elles ouvraient une voie légale à tous les mécontents.

E n 1652, le principe de l’unanimité des voix reçut une application nouvelle, absurde, mais rigoureuse­ ment logique. Un gentilhomme s’enfuit de l'assemblée en criant : « Je m’oppose! » Aussitôt les débats furent suspendus et la diète se rompit par défaut d’unani­ mité. Ce singulier droit laissé à tout nonce, d’arrêter les délibérations, fut consacré sous le nom de liberum veto. Ainsi, dit Salvandy, « la passion de liberté personnelle reconnaissait à chacun le droit de tyrannie contre tous. » L e liberum veto eut de suite des parti­ sans : il flattait l’orgueil de la petite noblesse, armait les factions du pouvoir d’enrayer la marche des affaires et donnait une force corruptrice aux cours étrangères. A son tour, l’armée avait le droit de se confédérer, contre le roi, contre la diète, contre les généraux. Ces

confédérations m ilitaires ou rokoz se choisissaient un maréchal qui présidait leurs assemblées ou les menait au combat. L a faculté leur était laissée de déposer le grand-hetman ; ces rokoz s’organisèrent pour la pre­ mière fois en 1580.

E t le roi placé au faîte de ce gouvernement, quel pouvoir avait-il?

— « Vous autres, Polonais, vous n’avez point de roi, disaient les étrangers.

— « A u contraire, répliquaient les Polonais, nous avons le roi; mais, chez vous, c’est le roi qui vous a. »

Voici ce qu’un écrivain polonais, Chodzko, disait en 1839. après la ruine de sa patrie : « Nos rois n’ont

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guère sujet de nous aimer et ils en ont encore moins de nous craindre. Peuvent-ils nous aimer eux que notre liberté tient dans la servitude? Ce qu’ils proposent nous est toujours suspect; le bien même qu’ils vou­ draient nous procurer, ou nous le condamnons sans le connaître, ou nous le repoussons même après l’avoir examiné. Quelles raisons ont-ils de nous craindre ? Notre désordre est tel, qu’ils peuvent impunément se jouer de nos desseins, de nos projets, de nos efforts.... Il ne tient qu’à eux de tourner contre nous-mêmes les armes dont nous nous servons pour réprimer leur autorité. » Au nom de l’égalité, la couronne était à la portée de tous les citoyens, de sorte que chaque noble, pair du souverain, pouvait lui dire comme le comte de Périgord : « Qui t’a fait roi ? »

On sait les brigues et les luttes intestines qu’en­ traînait chaque élection au trône. Les Polonais le reconnurent si bien que, pendant longtemps, ils firent succéder les fils aux pères, proclamant ainsi la néces­ sité et la légitimité des dynasties.

E t par une contradiction tenant au caractère slave, peut-être aussi par orgueil national, ils entouraient leurs rois d’une cour resplendissante, cérémonieuse, pareille a celles des plus grands potentats; après les avoir insultés en pleine diète, ils se prosternaient devant eux.

A l’extinction des Jagelîons (1574), Henri de Valois fut élu ; mais ce triste prince s’enfuit de Pologne pour régner sur la France, à la mort de Charles IX .

Étienne Batory, prince de Transylvanie, fut élu à sa place. Il montra de grandes capacités civiles et mili­ taires.

L es W asas de Suède, alliés aux Jagelîons, ceignirent alors la couronne ; cette race qui ne cessa d’occuper le trône de 1587 à 1667, donna quelques rois illustres.

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guerre presque toujours défensive, car la Pologne était ouverte à toutes les invasions; Turcs, Tartares, Suédois, Moscovites heurtaient ses frontières comme les flots de la mer battent un écueil. Un jour, désa­ grégée, elle sera engloutie.

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L E S CO SAQ U ES. — Ce q u ’ils sont. — L e u r oppression p ar les Polonais. — Le m oulin de Bogdan. — Insurrection. — Jacq u erie. — In vasion . — Écrasem en t de la Pologne. — Le Château de Zamosc. — M ort de Ja c q u e s Sobieski. — A rriv é e de ses fils en Pologne.

U K R A I N E était une vaste province de la S *■“ ■% p[ Pologne, arrosée par le Borysthène; les pro- | J J L H priétaires polonais y voulaient tous avoir des biens, tant ses plaines coupées de steppes produisaient de riches moissons. L à demeuraient les Cosaques, ramas de Tartares, de Bosniaques, de gen­ tilshommes tarés des pays d’alentour, de serfs fugitifs, d’aventuriers de toute nation, soldats intrépides, bri­ gands et corsaires redoutables.

Jacques Sobieski les a dépeints dans ses Commen-% \ taires laissés à ses fils, et nous ne pouvons mieux faire que de citer ici le . père de notre héros : « A u retour des expéditions guerrières, enrichis par le pillage, ils ne songent plus qu’aux affaires de leur ménage et campent en quelque sorte au milieu des villes qui appartiennent à la couronne ou à la noblesse, avec leurs femmes et leurs enfants. Ils se dédommagent des ennuis du repos par de fréquentes assemblées, et leurs comices sont d’autres guerres souvent sanglantes. C ’est là qu’ils élisent leur hetman, en jetant leurs bon­ nets de peau dans les airs. Cette inconstante multitude brise souvent son ouvrage, mais tant que l’hetman règne il a droit de vie et de mort. Quatre conseillers l’assistent ; un notaire public correspond pour lui avec le roi, au nom de la nation et de son chef. L a ville de Tretchimison, en Kiovie, que leur donna Étienne

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Batory pour les récompenser de fidèles services, leur sert d’arsenal, de marché, de magasins, de trésor. L à est le dépôt de tout le butin enlevé par leurs pirates dans les places turques de la Romélie et de l’A sie-

Mineure.

sont conservées les chartes d’immunités,

flottent les étendards que le roi daigne leur envoyer chaque fois qu’ils prennent les armes pour le service de l’État.

« C ’est autour de l’étendard royal que la nation s’as­ semble. L ’hetman ne s’adresse à la multitude que le front découvert, l’air respectueux, prompt à se discul­ per de tous les griefs, habile à solliciter humblement sa part des dépouilles de l’ennemi. Des acclamations, des cris féroces, sont pour la nation l’unique manière de répondre.

«C es farouches paysans aiment la guerre avec pas­ sion. L e pistolet est une arme commune à tous. Grâce à leurs troupes agiles et courageuses, la Pologne peut braver l’infanterie des plus puissants princes de la terre, et ils sont aussi utiles dans les revers que pour la victoire. Battus, ils forment de leurs chariots rangés sur plusieurs lignes un camp retranché, auquel nul

autre rempart ne peut être comparé. Derrière ces tabor

ils défient les assauts du plus redoutable ennemi. » Il eût fallu à la Pologne un autre gouvernement que celui de ces diètes passionnées pour s ’attacher les Cosaques. Un grand roi sans entraves eût changé ces forbans en marins, et se fût créé une flotte.

Deux causes brisèrent le faible lien qui unissait la Pologne à l’ Ukraine: les Cosaques étaient de religion grecque; on prétendit les rallier à l’unité en chassant leurs popes, en détruisant leurs temples. D es inten­ dants, juifs pour la plupart, représentaient les seigneurs polonais en Ukraine ; une fois la guerre finie, ces paysans, tous soldats de la couronne, se voyaient

Obraz

table  a l’assaut.  Ce sont eux,  ces humbles soldats jugés  indignes  de  porter le sabre, qui protègent  la  retraite de  leurs  seigneurs  et  maîtres
table  noblesse  cede  à  la  voix  de  la  religion.  L ’évêque  de  Cracovie,  à  cheval  au  milieu  de  la  plaine,  ordonne  à  chaque  palatinat  de  s’assembler  pour  le  vote,  et  aussitôt  des  milliers  de  chevaux  manœuvrent  de  ma­
table  à  lui  seul  que  toute  une  armée.

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