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Jan Błoński

Villes

Literary Studies in Poland 22, 7-15

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Articles

L iterary Stu d ies in P o la n d PL IS SN 0137-4192

Ja n Błoński

Villes

La prem ière jo ie d u voyageur, c’est le guide et le plan. A vant mêm e q u ’il se m ette en route, il voyage déjà: les préparatifs ne déçoivent jam ais. L’au to m o b iliste accum ule les cartes, les itinéraires, cherchant la ro u te d ro ite et to u t à la fois plaisante, économ e, m ais riche en alim ents, profuse en cathédrales et en paysages. Le voyageur du rail m ène une lu tte silencieuse con tre l’ind icateu r: il désire tro m p e r ces signes m ystérieux, découvrir — parm i les om nibus, les auto rails, les train s de saison p ar tro p dispendieux — la liaison dédaignée, la possibilité in atten d u e qui lui p erm e ttra de visiter en quelques jo u rs bon n o m b re de villes o u de provinces. T ous deux se penchent égalem ent sur les plans de villes: dans cette co ntem p lation , ils voient le voyageur solitaire descendre d u train, l’au to m ob ile q u itte r l’au to ro u te , s’enfoncer lentem ent d ans les ruelles du centre ville et s’arrêter enfin, logée dans une place de parkin g encore libre. D ans le voyageur — et su rto u t dan s sa com p agne — s’éveille alors le souci du gîte et du couvert. O ù me reposer, où m anger? Voilà des q uestions q u ’on ne peut certes m ésestim er. Ce n’est pas que n otre voyageur soit m enacé de m o u rir de faim ni d ’épuisem ent, m ais une réponse ad éq u ate facilitera la re p ro d u ctio n d ’un chez soi, la localisa­ tion de sa p ro pre existence. C om bien de gens ne reg ard ero n t m ême pas un chef-d’oeuvre ta n t q u ’ils n’au ro n t pas calm é leur inquiétude de sans-abri? M ais en ce d o m ain e aussi, guide et plan sont secou- rables: quoi de plus simple que de relever les hôtels recom m andés, de se p ourlécher d ’avance su r le sym bole d ’un re sta u ra n t ou, dan s le pire des cas, de découvrir sur la carte — en se fo nd ant sur l’expérience — un lieu où d’o rd in aire (a u to u r des gares, des vestiges, des rues principales) se co ncentren t les institu tio n s d’assistance au to u riste et au voyageur?

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Ainsi donc, avant m êm e de nous m ettre en ro ute, nous ap p riv o i­ sons déjà l’espace m alveillant, en le m aîtrisan t p ar les sym boles des plans. N ous cherchons aussi un équilibre en tre les inclinations qui ne nous lâcheront pas de to u t le voyage, en tre la nostalgie du chaos et le désir d ’odre. Le sym bole de l’église perm et de rêver d ’architectures inouïes; la p ro m en ad e du b o rd de m er, en arc de cercle, résonne d ’un gai tu m u lte; les passages u rb a in s em b au m en t de m ets inconnus. T ou s ces sym boles, cepend ant, assu ren t à l'envi que nous ne nous p erdrons nulle p art et que n o us ne serons pas désenchantés, que notre place nous atten d déjà: dès lors q ue no us avons pu l’attein d re du doigt, nous l’attein d ro n s aussi en réalité. La carte et le plan, en effet, d o n n en t d ro it au rêve, m ais à u n rêve apprivoisé: ils développent l’im agination, m ais biffent, p o u r to u te sécurité, l’espace inco nnu et nous apaisent en n ous dép ay san t. Aussi to u s accum ulent- ils plus de plans et de guides q u ’ils n’en p o u rro n t jam ais contem pler en ce m onde. Rien de plus com p réh ensible: l’être hum ain a le d ro it de se sentir en sécurité. Q u a n d il voyage, p ar co ntre, il tient de l’enfant parti au bois p o u r y voir m oins le lou p que le lieu où le lo u p ... et qui s’effraie un peu à l’idée q ue le loup app araisse p o u r de vrai. La carte lui p ro p o se une av e n tu re to u te d ’apparence, de faux- sem blants (puisque les villes et les paysages les plus fantastiques, son im agin ation les façonne à p a rtir d’élém ents connus, gardés en mémoire), m ais l’o rd re d o n t il s’assure n’est pas le m oins du m onde fictif: l’espace de n o tre voyage a été a rran g é précisém ent com m e l’affirme la carte et le guide, difficile d ’en do u ter. C et o rd re est socialem ent vérifié et p ar cela mêm e, accessible à chacun. M ais qui n’a pas été trom pé, rou lé p ar un guide? D ev ant la g are se déploie une place incom préhensible, l’a u to b u s s’enfuit d ans les ténèbres, violenté par l’injon ction d ’un seul et m êm e sens unique, l’a u to ro u te file sur son viaduc au-desus de la ville et il n’est pas question de tro u v er l’em branch em ent qui m ènera à la co n trée prévue. D ’ailleurs, cette vieille ville n’a nulle entrée, il faut laisser la vo itu re au pied du ch âteau où l’on m o n tera p ar un éno rm e ascenseur bien caché d ans les entrailles de pierre de la m o n tag n e. Le piéton co m pte en vain les rues de traverse: le plan ou bliait ces ruelles qui poussent m ain ten an t com m e les tro u s dans un from age; les m o n u m en ts célèbres s’étendent en tre de banals im m eubles. M oins le plan est précis, plus il est facile de s’en servir, m ais un tel plan, bien sûr, ne parle guère de la ville

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environnante. Plus il est précis, m oins il est m an iable et utile, car il concen tre p ar tro p no te peine sur le décodage des sym boles. Les touristes se perdent aussi souvent d an s les villes que d an s les plans.

Dès lors, quelle so lu tio n choisir? O n peut, bien sûr, serrer son guide d an s un coin, v ag a b o n d er au h asard d an s les rues, rester des après-m idi entiers aux terrasses des cafés, en un m ot, se livrer au chaos d u m onde. M ais de co m b ien de villes ne som m es-nous pas p artis en ay an t l’im pression de n’y avoir pas passé? En fait, lorsque nous lisons une ville inco nnue, n ous nous servons d ’une gram m aire (esthétique, historique, économ ique) que nous avons apprise a u p a ra ­ vant: le dernier de nos pédagogues, c’est bien sûr le plan, le guide que nous devons bien suivre — ne serait-ce q u ’à contre-co eu r — sous peine de nous perdre, de m o u rir de faim ou de n’y rien com prendre. Si nous ne suivions au cun e g ram m aire tou ristique, nous ne serions que de tristes v agab o n d s ro u lan t leur ennui sur des pavés étrangers. L’o b stin atio n du to u riste naif prête cepen dan t à sourire: avant de se laisser rav ir p ar u n beau tableau, il d oit vérifier dans son guide que ce tab leau se tro u v e au b o n end ro it, le troisièm e à d ro ite à partir de l’entrée; il ne perçoit pas l’église ro m an e p uisqu ’il a oublié d’orienter son plan et q u ’il s’a tte n d à une beau té vue en face, tan dis que cette b eauté se tait éloquem m en t d an s son dos. Ce sont su rto u t les gens sérieux, posés qui préfèrent la jo ie de l’identification aux voluptés contem platives. Il est facile de se m o q u er de ces êtres qui ont dû venir à R om e p o u r lire d’un b o u t à l’a u tre leur bedeker. M ais la reconnaissance n’est-elle pas une co n dition de la com préhension? Et quel fat est-ce là, celui qui ose croire q u ’il re m a rq u era le chef- d’oeuvre innom m é! Le voyage sans l’érudition, c’est un m ythe, au même titre que les m ath ém atiq u es sans douleur.

Ainsi donc, le m o n de l’e m p o rte sur le plan, m ais le plan a p p ri­ voise le m onde. Il nous reste dans l’esprit ce qui a été o rdo nn e, q u o iq ue qu ’il ne reste ainsi que bien peu. U n voyage sans co n tra in te ne serait-il que chim ère? N e serio ns-nous que des esclaves — que ce soit du chaos du m onde o u d’un o rd re pédagogique? E t n’au rion s-no us retiré d u voyage que ce que nous étions capables de fo urrer d an s ces poncifs où nous consignons nos expériences? S’il en était ainsi, on p o u rrait dire — en p a ra p h ra sa n t l’expression: «nous ne pensons pas, nous som m es pensés» — que nous ne visitons pas, que nous som m es

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visités et q u e par nos yeux, un plan, un guide — stéréotype culturel d u voyage — regarde une ville.

Sienne et Venise font certainem ent partie des villes les m oins lisibles et les plus em brouillées. M ais seulem ent sur le terrain , sur place. Le plan de Sienne ne diffère pas particulièrem ent d u plan d ’une ville italienne banale. P rivé de ses lignes de niveau, il ne présage pas la m o indre surprise. L a ville se déploie en un Y bancal, quelque peu to rd u : la via Banchi di S o p ra bifurque dan s la via délia C ittà qui peut m ener à la cathédrale, ainsi que d an s la via B anchi di S otto qui co n d u it à l’université et aussi sensiblem ent plus loin, à l’église S an ta M aria dei Servi d ’où s’étale une belle vue sur les environs. La g ra n d ’place — le célèbre C am p o — se situe plus ou m oins au déb u t de la bifurcation. Des deux côtés de la colo nn e vertébrale de la ville q ue constitue cet Y, o n tro u v e à peine deux ou trois rues, plus ou m oins parallèles. D e la piazza M ateo tti, qui m arqu e le d ébut du centre ville, ju sq u ’à la cath éd rale d ’un cô té et l’université de l’autre, il n’y a pas plus de six cents m ètres. Bref, m aîtriser et apprivoiser l’espace siennois ne sem ble pas re q u érir d ’effort p a rtic u lie r... Venise, naturellem ent, est plus g rand e: de la gare et du p arking aux ja rd in s publics, on p arco u rt, à vol d’oiseau, plus d’un kilom ètre et demi. Il suffit cepen dan t de jeter un co u p d ’oeil sur la carte p o u r saisir la d isposition de la ville: un g ra n d S — le C anale G ra n d e — p artag e Venise en deux parties inégales, m orcelées p ar des ca naux plus étro its en rectangles bien lisibles to u t irréguliers soient-ils. Ainsi donc, il n’est nullem ent difficile de dessiner Venise de m ém oire, de signaler les points plus im p o rtan ts, églises, palais, m onum ents. M ais cela ne sera utile à personne.

En effet, cette o rd o n n a n ce de Venise est parfaitem ent inutile: le plan fait resso rtir une logique de voies d ’eau qui o n t perdu to u te signification. Les calle de la terre ferme p ar lesquelles, q u ’o n le veuille ou non, on doit aller et venir au jo u rd ’hui, on t été tracées to u t à fait au h a s a r d ... au hasard p o u r les piétons: on les rép an d it, en effet, selon les em barcadères. U ne ruelle sur q uatre, p o u r le m oins, se term ine en im passe; m ais cela aussi est incertain, car les unes, par des passages, trav ersen t les hôtels, d ’autres pas; ces passages d ébo uchen t soit sur des rues, soit sur des canaux. C h aq u e m aison, chaque logem ent presque a so n systèm e de com m u n icatio n p a rtic u ­ lier, p ar voie de terre ou p ar voie d’eau; l’absence de voitures et cette

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dim in u tio n des p ro p o rtio n s p ro p re aux voies piétonnières accroissent à l’excès une confusion de l’espace d o n t au cu n plan, aucu n guide ne peuvent bien sûr d o n n e r la m oindre idée. A peine a-t-o n fait quelques p a s ... une dépression de terrain , un changem ent de direc­ tion, une rue de traverse, un cul-de-sac, un porche, un passage, un em barcadère. M ais à quoi b o n parler de ce que tous connaissent.

L'effet de labyrinthe que suscitait à Venise l’in q u iétan t voisinage^ des élém ents naît à Sienne d ’un singulier m ariage de «droites vacillantes» et de différences de niveaux. C o n stru ite sur des collines, la ville se cam bre le long d’un m ince cours d’eau, se déploie de divers côtés. Elle abolit ainsi to u tes les relations spatiales familières du nouvel arriv an t venu des pays plats et des plaines raisonnables. Les lignes dro ites en ap p aren ce (ne serait-ce, p ar exemple, q u e la via Banchi di Sopra) se com p osent en fait de segm ents d ’ellipses anim és d’un balancem ent. Des lignes ap p arem m en t parallèles (celles des rues, celles des toits) s’écarten t ou se ra p p ro ch e n t l’une de l’a u tre plus ou m oins à m i-h au teu r des m aisons. Les lignes descendantes to u rn en t court ou, au co ntraire, s’allongent ind ép en d am m en t de la profo n d eu r des vallons au-dessus desquels s’élève la ville. C ertes, les différences d’élévations ne sont pas grandes, elles atteignent to u t au plus cin ­ q u an te m ètres: re m a rq u o n s cependant que to u t le centre ville s’étend sur une surface de six cents m ètres de long sur trois cent cin q u an te m ètres de large au m axim um . P a r là même, to u tes les m esures, ôtées du contexte de la ville, tro m p en t to u jo u rs, illusionnent ou m entent carrém ent. Le voyageur, en effet, ne distingue pas la distance m esurée en m ètres de l’effort causé p ar l’ascension, il perd le sens de la ligne d ro ite lorsque les rues chancellent, com m e ém échées; des édifices d ’égale h au teu r (mais de h au teu r im p o rtan te en général) se ra p p ro ch e n t et s’éloignent, ap p araissen t à gauche ou à d ro ite selon les h asards du regard. Et il convien drait encore d ’ajo u ter les traîtres raccourcis, les passages secrets, l’inclinaison des places et aussi, enfin, la peur des au to m o biles qui n’o n t pas encore été to u t à fait expulsées d ’une ville d o n t aucu ne rue n’excède cinq ou six m ètres de large.

J ’ai visité Sienne et Venise très consciencieusem ent et de façon naïvem ent systém atique, arm é du m eilleur des guides et d ’une p a tie n ­ ce exem plaire. Mes échecs d ’o rien ta tio n me su rp riren t d o n c d ’a u ta n t plus, ces échecs que je n’avais subis nulle part ailleurs. A Sienne, je ne parvenais pas à tro u v e r l’hôtel: je dus refaire to u t le chem in que

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je venais de p arco u rir p o u r discerner la ruelle où l’hôtel se tro u v ait. A m on troisièm e séjour encore, il m ’arriv a de chercher bien loin une m aison qui se tro u v ait presque en face de moi, de décrire de g rand s arcs p o u r arriver à la cath éd rale qui avec ta n t d’évidence dom in e la ville, de me fâcher à l’idée d ’être incapab le de re tro u v er une b o u tiq u e que m a m ém oire situait d an s le voisinage im m édiat. Aussi am u san tes furent, à Venise, mes difficultés avec C olleoni: je ne p arv enais pas à attein d re l’église des saints Jean et P aul devant laquelle veille la statu e d u condottiere. O r, je ne logeais pas loin, à cô té de S an M oise. Je m’écartais du bon chem in, cherchant les passages pittoresques, o b servan t les occup atio n s des au to ch to n e s ou ressassant des rêveries solitaires sur les palais délaissés. C 'est ainsi q ue je perdais la d irection et que je me retrouvais ta n tô t plus à l’ouest, près des sanctuaires de San Z accaria et de San F rancesco, ta n tô t plus à l’est, égaré d an s les ruelles dénuées d ’intérêt du q u a rtie r qui s’éten d au- -delà d u rio dei Santi A postoli. Le plus souvent cepen dan t, p o rté par la foule, je découvrais en rian t que j ’étais arrivé au R ialto, to u t sim plem ent. Et si, p o u r finir, je vis l’église des saints Jean et P aul, ce ne fut q ue conduit là p ar le h asard d ’une au tre p ro m en ad e: irrité que j ’étais, je ne g ardai m êm e au cu n souvenir de C olleoni.

Il est clair q u ’on peut, en b û ch an t son sujet, venir à b o u t sans tro p de peine des com plexités to p o g rap h iq u e s de Sienne et de Venise: personne encore n’y a disparu, égaré en chem in. Si je ne p arvenais pas gagner C olleoni, c’est que, to u t sim plem ent, je ne le voulais pas vraim ent. D e même, à Sienne, je désirais me p erdre en tre la cath éd rale, le C am p o to u t incliné et ce Chemin m uletier de B anchi di S opra, dans cet espace si hum oristiquem ent réduit que seul une g ran d e intensité de désir subconscient pouv ait induire l’oeil en erreu r et déco nn ecter le sens de l’o rien tatio n . C ’est ainsi q ue j ’en vins à cette évidence: en voyageant, nous ne désirons pas seulem ent connaître, m ais aussi oublier, non seulem ent découvrir, m ais égalem ent perdre. N ous apprécions un plan, n o u s lui som m es re c o n ­ naissants de l’o rd re avec lequel il com pose et sauve nos im pressions, m ais en m êm e tem ps nous voulons nous perdre au sein de l’excès et du chaos, g o û ter aux plaisirs suspects du labyrinthe. Les villes vraim ent belles se d énud en t et se voilent à la fois. Plus exactem ent: elles enveloppent de leur o rd o n n a n ce un hom m e qui s’identifie — du m oins partiellem ent — à elles; m ais «envelopper» signifie aussi

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dépasser, ne pas se laisser déchiffrer com plètem ent, to u t com m e ne se laisse pas déchiffrer un tab leau ou un poèm e. Si l’urbanism e co n tem ­ po rain est un échec si ab o m in ab le socialem ent, c’est aussi parce q u ’il construit des villes q u ’on peut lire vite, com plètem ent et de façon tout à fait univoque.

Mais peut-on se co n ten te r d ’une telle explication? T out de même, on voit venir cette qu estio n : p o u rq u o i et com m ent me suis-je trom pé? D es désirs bien définis on t dû diriger ces infractions au p ro g ra m m e ... Et voilà que dès que j'eu s com pris que je m ’étais perdu parce que je voulais me perdre, je saisis du m êm e co u p la chim ère qui avait déjoué les plans du voyageur. C ’était cette convic­ tio n dont je ne peux expliquer la source, mais qui ne me q u ittera plus sans d o u te: Sienne est une ville cruelle et som bre, dure, sévère, acharnée d an s sa beau té indifférente à l’hom m e; cette conviction — soit dit en passant — est to u t à fait incom patible avec la do u ceu r et la délicatesse de la peinture siennoise. L’arch itectu re siennoise, plasti­ quem ent, com blait en m oi une certaine idée du sublim e: la fascina­ tio n exercée p ar la verticale, p ar la densité des constru ctio n s, p ar ces énorm es m urs de briques s’unissait ici — sans que je susse to u jo u rs p ourquoi — à une subtilité et à une fluidité des relations spatiales, à l'im broglio d ’une hiérarchie principale sym bolisée par la ville. Me p ro m enant alors dan s Sienne, je descendais sans cesse p o u r — forcé de grim per au re to u r — m ’hum ilier devant ta n t de h a u te u r; je ne cessais de décrire des cercles p o u r — en regardant au trem en t la m êm e chose — ad o rer le caractère in sondable de cette m ajesté. Ainsi la Sienne officielle cédait devant la Sienne chim érique: car en fei­ g n an t d’obéir au guide, je choisissais en fait les lieux qui satisfaisaient

m a rêverie intim e. Seulem ent la mienne? P eut-être ne suis-je pas le seul pour qui existe une telle Sienne.

De mêm e avec Venise. Ce n’était pas seulem ent le m élange des élém ents qui m’a ttira it; c’était plutôt le caractère fortuit de cette beauté et l’inutilité de ce p ittoresque, traits causés par la d isp aritio n de la fonction économ ique de la ville. Je préférais d on c une ruelle à une rue, les annexes aux façades, la p o u rritu re au soleil et l’eau à la terre ferme: je me plaignais de n’avoir jam ais assez d ’argen t p o u r visiter to u te la ville en barque, je rêvais d ’intem péries alors q ue le soleil brillait, je rêvais d ’épidém ies et d’hab itan ts en fuite. En un m ot, je désirais que Venise devienne encore plus anéantie, agonisante,

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ab surde et irréelle. U n rêve peu original, sans d ou te, m ais qui avait ses d ro its to u t de même. Ainsi donc ici aussi — q u a n d je ne voulais pas parvenir au C olleoni victorieux — je dirigeais mes pas en ces lieux où je pouvais m’atten d re à de m eilleurs alim ents p o u r m a fantasm agorie privée. C ep endant, il n’y avait pas en cela l’om bre d ’une prém éd itation. Je m ’im aginais to u t au trem en t Venise — du reste, Venise est inim aginable. Ce n’est que graduellem ent, au con tact de la ville, que se co n stitu a cette lecture du texte urbain.

O n peut donc dire sans d o u te q u ’à Venise com m e à Sienne j ’ai bricolé peu à peu m a p ro p re carte et m on p ro p re guide, com m e si j ’avais désiré conférer m on o rd o n n a n ce particulière à ce chaos de la ville qui avait eu raison, en un clin d’oeil, de l’o rd re pauvre q uo iq ue vérifiable proposé par le plan. J’avais devant les yeux un texte peu com préhensible: la clé avec laquelle je voulais m ’y in tro d u ire, c’était le guide, évidem m ent. J ’appréciais donc, je respectais celui-ci. En m ême tem ps néanm oins — inconsciem m ent ou sem i-consciem m ent — je m ’occupais à le rem placer p ar un autre, plus judicieux, à m on avis du m oins. N aturellem ent, je ne pouvais conférer aucune objectivité à m a lecture de la ville, m on oeuvre devait rester avortée: et p o u rtan t, elle existait, étan t to u t sim plem ent une déviatio n par ra p p o rt à l’itinéraire, une erreu r intentionnelle, une faute heureuse grâce à laquelle la ville prenait un sens et rem ettait de l’o rd re dans ses élém ents et d ans mes sentim ents à la fois.

C om m ettrais-je le péché d ’audace en disan t que m oi aussi, je me dessinai un plan de la ville, plan à dem i voilé bien sûr, et difficile à tran sm ettre (car je ne suis ni peintre ni poète), m ais g ran dem ent réel puisqu’il servit encore au deuxièm e et au troisièm e voyages q u a n d je voulais arriv er vite et facilem ent là où je voulais? Et si je vous disais que moi aussi je visitais la ville, q u ’il n’y avait pas que la ville seule «se» visitant à travers moi? La ville, c’était le ch ao s; la carte et le guide, c’était une lecture socialem ent vérifiée; m on écart, c’était une lecture individuelle, faite grâce au guide, m ais co n tre lui. O u bien en d ’autres term es, plus littéraires: la ville était un m atériau, le guide — une convention, mes caprices — m on oeuvre qui suivait et enfrei­ gnait la convention. Sans doute, on peut dire que m a lecture était en quelque sorte program m ée p ar la culture dan s laquelle j ’avais été élevé. M ais de telles lectures, il peut y en avoir a u ta n t que de gens, une infinité donc. O r peut-on pro g ram m er l’infini? Je m’obstine p ar

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conséquent dans m a victoire de voyageur sur la carte, de to u riste sur le guide, d ’individu sur la convention, sur le système. C om m e l’écrivit M icinski: «E rreur, preuve de m a liberté».

Il est vrai que l’espace n’est pas — com m e le suggère la carte ou le guide — un m ilieu neutre où existent des signes. L’espace ne se con ten te pas d ’envelopper des signes, il est lui-m êm e signe; la littératu re ne cesse d ’en a p p o rte r des preuves. L’espace de VOdyssée est la to p o g rap h ie d ’un m ythe. Le cosm os de la Divine Comédie est une re p ro d u ctio n d ’un o rd re de pensée, un espace de la scolastique q u ’on peut reconnaître lorsque D a n te a ttrib u e aux zones célestes les différents arts libérés, no m m an t le ciel de la lune ciel de la gram m aire, celui de M ercure ciel de la dialectique, et ainsi de suite, ju sq u ’au Primum mobile de la m étaphysique, ju s q u ’à YEmpireum de la lum ière Divine. La géographie de Swift — rap p elon s-n ou s que B robdingnag et L ap u ta ont été localisés très précisém ent sur la carte! — est m archande, bien sûr, m ais plus encore p uritaine et obsession­ nelle. Le m onde de P ro u st se partag e to u jo u rs, lui, entre le côté de chez S w ann et celui de G u erm an tes, ne re tro u v a n t une unité que lorsque le déchirem ent ép rouvé p ar le héros cède la place à l’accord intérieur et à l’harm o nie d u n a rra te u r idéal. Ainsi donc, com m e le dit Cassirer, «le m onde des signes et des im ages créés par nous s’oppose à ce que nous appelons la réalité objective des choses et subsiste en celle-ci dans sa plénitude in d ép en d an te et avec sa force originelle», du m oins lorsque — ce qui n’est pas m on cas! — elle s’efforce de s’inscrire et de s’incarner au trem en t que dan s un vague souvenir.

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