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La morale politique de la Pologne des Jagellons

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O R G A N O N 24 : 1988 P R O B L È M E S G É N É R A U X

Stefan Swiezawski (Pologne)

LA M O R A L E PO L IT IQ U E D E LA P O L O G N E DES JA G E L L O N S

1

Les recherches poursuivies au cours des dernières dizaines d ’années dans les diverses disciplines historiques forcent à réviser nos opinions sur la notion même de la R en aissance1, et to u t particulièrem ent sur le X V e s. qui m arque un tournan t. En étendant l’histoire de la culture à toute l’Europe de l’époque, on aperçoit que la partie occidentale de notre continent était affligée p ar des m aux tels que la guerre de C ent Ans en France, le schisme occidental qui brisait l’unité de l’Eglise latine, les mauvaises récoltes et les famines, sans parler de la peste qui décim ait les villes et contribuait au déclin des deux principaux foyers spirituels médiévaux : Paris et Oxford. 1348, année où l’épidémie de peste culm inait, est celle de la fondation, par l’em pereur Charles IV, d ’une université à Prague, la capitale de son empire. L’axe des tensions intellectuelles com m ençait à se déplacer ; allant d ’ab o rd d ’Oxford à Paris, il relia les universités de l’Italie du N o rd et celles qui avaient Prague po ur aima mater. Il est significatif2 que les plus ém inents Polonais de l’époque jagellonne : Copernic, K ochanow ski et Jan Zam oyski (il y en eut beaucoup d ’autres!) aient fait leurs études à Cracovie et à Padoue. C ontrairem ent à l’Europe occidentale, l’Europe centrale et cen­ tre-orientale entra à la fin du M oyen Age dans une période de bien-être, d ’une paix relative et de puissance. A u XVe s. la Pologne-Lituanie était l’un des Etats européens les plus im portants.

C ’est le m ariage du jeune roi (sic!) de Pologne, Hedwige d ’A njou, avec Ladislas Jagellon, grand duc de Lituanie qui fut à l’origine de cette puissance. Les enfants issus des m ariages suivants de Ladislas fondèrent la grande dynastie des Jagellons qui régna, en plus des royaum es du centre de l’Europe, sur l’E tat polono-lituanien pendant 187 ans. Cet E tat com prenait un immense territoire qui s’étendait, littéralem ent, de la Baltique à la m er Noire. Casim ir Jagellon, père de quatre rois, d ’un cardinal et d ’un saint, reçut le surnom de « père de l’E urope »,

1 II s’agit surtout d ’une rectification de la concep tion de la Renaissance, lancée naguère avec succès par Jakob Burckhardt ( f 1897) dans sa célèbre Geschichte der Renaissance in Italien (1867).

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6 Stefan Sw ieżaw ski

et le dernier des Jagellons, Sigismond-Auguste, doux et tolérant, incarnait bien des qualités du souverain rêvé par les grands h u m anistes3.

2

Dans le grand royaum e jagellon, un rôle tout particulier était dévolu à l’Université de Cracovie, fille cadette de l’Université de Prague. En accord avec les idées de l’époque, le program m e appliqué à l’Université cracovienne m ettait l’accent sur la solution pratique des problèmes théoriques ; parm i les disciplines théoriques une im portance particulière était attachée à l’éthique. Les cours d ’éthique, de philosophie m orale consistaient surtout à com m enter YEthique

à Nicomaque d ’Aristote. N ’oublions pas que, d ’après Aristote, l’éthique concerne

la m orale individuelle et sociale et, dans cette dernière, une grande place est occupée p ar la Politique, traité politologique-éthique où A ristote développe les principes de la société. On se rendait com pte à Cracovie, et dans la lointaine Florence (Coluccio Salutati 4)que les m auvaises lois et les faux principes m oraux étaient plus nocifs que les fautes et délits commis par l’individu. A Cracovie régnait l’opinion que l'étude de la Politique était très im portante, parce que « ...

[sciencia] Politicorum [...] communitatem regere docet » 5.

Les sermons et les discours de l’époque à l’Université cracovienne avaient surtout po ur thèm e l’éthique de la vie civique. La notion de la com m unauté, de la république (chose publique) prit un sens imprégné de solennité et de majesté. Parmi les nom breux archétypes des com m unautés nationales plus ou moins grandes, le régime de Venise, l’aristocratique Serenissima, était tenu en Pologne p o u r l’idéal de la com m unauté n atio n ale6, la Pologne ayant des rapports fréquents avec les Italiens. Il est significatif que les rapports polono-italiens aient affermi l’attitude antimachiavéliste des savants cracoviens (Paweł Włodkowic répète nettem ent après l’apôtre Paul : « Non sunt facienda mala, ut eveniant

bona » [Rome III, 8 ]7), et aient en même temps provoqué une ouverture sur les

problèm es internationaux et les principes m oraux nécessaires dans ce domaine.

3 Cf. ibid. p. 321-322.

4 Salutati se sert de l’histoire d ’Icare et de sa chute (cf. S. Swieżawski, D zieje filo z o fii europejskiej w X V w. [H istoire de la philosophie européenne au X V e i.], V ol. V (U nivers), W arszawa 1980, p. 335, annotation 211.

5 Cf. P. Czartoryski, W czesna recepcja « P o lityk i » A rystotelesa na Uniwersytecie Krakowskim [Premières opinions sur la « Politique » d ’A ristote à l ’Université de C racovie], W rocław 1963. M onografie z D ziejów N auki i Techniki, X X I, p. 101.

6 Les chercheurs se sont intéressés au fait que ce n’était pas probablem ent par hasard que, ju sq u ’au X V IIIe s., toutes les relations diplom atiques entre R om e et la P ologn e s’effectuaient par l’intermédiaire de Venise (cf. H. D. W ojtyska, Z u r Entstehung und Organisation der Polnischen nuntiatur bis 1572, « M itteilungen des Österreichischen Staatsarchivs », X X X II, 1980, p. 64.

7 Cette phrase du Tractatus de p o tes ta te papae est citée dans K . Tym ieniecki, M oralność w stosunkach m iędzy państw am i w poglądach Pawia W łodkowica [La m orale dans les rapports entre les E ta ts d ’après les opinions de P aw eł W łodkowic], « Przegląd H istoryczny », X X , 1919, p. 9, annotation 2.

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L ’ « ethos » politique. 7 Les Polonais prenaient conscience que la terre ap partenait à tous les hom m es, chrétiens et non-chrétiens, et que l’hum anité dépassait largem ent les limites de la

Christianitas latine. W łodkowic essaya de créer to u t un code de m orale

in tern atio n ale8 et proposa que le pape, assisté d ’une curie rom aine réformée, reçut la fonction d ’arbitre dans les litiges entre les ro y au m es9.

3

L’élite intellectuelle de la m onarchie jagellonne qui allait s’afferm ir, se rendait parfaitem ent com pte que toutes ces conceptions et idéaux de com m unauté nationale et internationale resteraient lettre m orte ta n t q u ’ils ne seraient pas étayés d ’une solide et longue éducation civique. U n pouvoir réel avait pour devoir de veiller à cette éducation et à sa mise en oeuvre. On était de plus en plus persuadé que l’observation des modèles de com portem ent dont l’histoire abonde, était un moyen éducatif plus efficace que l’enseignement des règles et des principes abstraits 10. L’histoire enseigne les vertus civiques, elle est la meilleure éducatrice des souverains.

Stanislaw de Skarbim ierz, le prem ier recteur de l’Université cracovienne rénovée, n ’hésitait pas à proclam er : « Respublica magis virtutibus quam armis

adornatur » u , ainsi que : « Quod sapientia sit armis bellicis praeponenda » 12.

Parm i les vertus indispensables dans l’instruction civique, la prem ière place revenait à la sagesse. N ous lisons dans le message adressé par Ladislas Jagellon aux souverains chrétiens : « L’im punité [des seigneurs prussiens, c’est-à-dire de l’Ordre teutonique] [...] ne perm et pas à notre volonté de suivre la raison mais exige, au contraire, que la raison soit subordonnée à la volonté » 13.A l’Université cracovienne régnait toutefois l’inébranlable principe de la suprém atie absolue de

8 Cette doctrine de W łodk ow ic est résumée en 9 points par T. W yrwa, Les principes du d roit des gens établis p a r les Polonais à l ’aube des tem ps m odernes, dans : M élanges offerts à G eorges Burdeau. L e pouvoir, Paris 1977, p. 1173-1174.

9 Cf. S. F. Bełch, Paulus Vladimiri and his D octrine concerning International L aw and Politics, The H ague 1965, p. 26.

10 C ’est la raison de l’actualité de la Chronique de K adłubek au X V e s., de son com m entaire par Jan de D ąbrów ka (cf. M. Zwiercan, K om en tarz Jana z D ąbrów ki do K roniki M istrza W incentego zwanego Kadłubkiem [Com m entaire de Jan de D ąbrów ka à la Chronique de W incenty d it K adłubek], W rocław 1969, et aussi du grand ouvrage historique de Jan D ługosz.

11 Cité dans : W. Seńko, Z badań nad historią m yśli społeczno-politycznej w Polsce X V wieku [Parm i les études sur l ’histoire de la pensée socio-politique dans la Pologne du X V e j.J, dans : Filozofia p olska X V wieku [La philosophie polonaise du X V e j.], réd. R. Palacz, W arszawa 1972, p. 40.

12 Cité par J. D om ań ski, P o czą tk i humanizmu [Débuts de l ’humanisme■], W rocław 1982, paru dans D zieje filo z o fii średniowiecznej w Polsce [H istoire de la philosophie m édiévale en Pologne], IX , p.

179, annotation 20.

13 Cité dans : P. Jasienica, P olska Jagiellonów [La Pologne des Jagellons], 2e éd., W arszawa 1965, p. 107.

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8 Stefan S w ieżaw ski

la vérité et des « moyens pauvres » évangéliques14.L ’élite intellectuelle polonaise appréciait la sagesse au point q u ’un des délégués polonais au concile de Constance écrivit au sujet de Ladislas Jagellon : « Beata igitur terra Poloniae,

cuius rex ita sapiens e s t » 15. A côté de la sagesse, la deuxième vertu régissant la vie

collective est la justice. Paweł de W orczyn do n t l’activité se place d u rant le prem ier qu art du XVe s., auteur d ’un ample Commentaire à VEthique nicoma-

chéenne, considère la justice comme le fondem ent de toute vie collective 16.

4

La sagesse et la vertu étaient donc les vertus politiques p ar excellence. Elles réglaient la vie en com m un des hommes les plus divers ; elles perm ettaient de sages com prom is qui stim ulaient les com m unautés. W łodkowic soulignait que tous les hommes sont nos prochains : « Proxim i enim nostri sunt tam fideles quam

infideles indistincte » 17. Tous doivent jo u ir des mêmes droits, et quand les

infidèles veulent vivre en paix dans les pays chrétiens, il est interdit de leur n u ire 18. N ous avons le devoir m oral de conclure d ’honnêtes com prom is pour vivre côte à côte des hommes aux moeurs, religion, race différentes. N ous devons adapter les conditions de notre vie à celles de ceux auxquels le destin nous a attachés. Ainsi naît et se consolide la concorde dont l’absence est l’une des causes principales de la chute des Etats, comm e le rappelle Nicolas C op ernic19. Si la sagesse et la justice form ent les citoyens et les préparent à vivre au sein d ’une société pluraliste, la form ation du souverain futur revêt une im portance particulière. D ’après W łodkowic, la dignité de la charge royale s’exprime en un m ot : service. Le roi, serviteur et adm inistrateur des biens comm uns, doit agir de m anière à m ultiplier ces biens et à les p ro té g e r20. Cette conception du pouvoir

14 Paw eł W łodkow ic écrivit : « [...] quia lex evangelica est lex am oris, concordiae atque pacis et non lex timoris, d iscordiae vel bellorum [...] ideo dicit apostolu s, quod arma m ilitiae nostrae sunt spiritualia» (cité par : K. Tym ieniecki, M oralność..., p. 24, annotation 5).

15 Cité dans : H. Boockm ann, Johannes Falkenberg, der Deutsche Orden und die polnische P olitik, G ôttingen 1975, p. 129, ann otation 343. Chez W incenty Kadłubek lu et com m enté au X V e s. la sagesse prend la form e de prudence (cf. J. D. K orolec, Ideał władcy w K ronice M istrza Wincentego [L'idéal du souverain dans la Chronique de W incenty], Institut de Recherches Littéraires de l’Académ ie P olon aise des Sciences — sous presse).

16 Cf. J. B. K orolec, Filozofia m oralna [La philosophie morale], W rocław 1980, D zieje filo z o fii średniowiecznej w P olsce [H istoire de la philosophie m édiévale en Pologne], VII, p. 223.

17 Cité dans : A . N iesiołow ski, D w ie m etody nawracania. P ierw sza dyskusja polsko-niem iecka z okazji pięćsetlecia P aw ia W łodkowica [Deux m éthodes de conversion. Prem ière discussion polo- no-allemande à l ’occasion du cinquième centenaire de P aw eł Włodkowic], Potulice 1937, p. 19.

18 W łodkow ic : « [...] postquam infideles inter christianos volunt vivere pacifice, nuila m olestia in personis et rebus est eis inferenda » (cité dans : S. F. Bełch, Paulus Vladimiri..., p. 797).

19 A côté de la discorde, les principales raisons de la chute des royaum es son t la m ortalité, les m auvaises récoltes répétées, la dévaluation de la m onnaie (E. Lipiński, P oglądy ekonom iczne M ikołaja K opernika [Opinions économiques de N icolas Copernic], W arszawa 1955, p. 21).

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L ’ « ethos » politique. 9

royal résultait d ’une idée enracinée au M oyen Age en Pologne, selon laquelle le roi était soumis au droit et limité p a r les lois (pacta conventa, etc.). U n tel modèle de m ajesté royale était prôné p ar les ordres m endiants qui avaient une forte influence sur les esprits polonais. Saint B ernardin de Sienne dont la réform e eut des répercussions sur l’ordre des franciscains en Pologne, dit entre autres q u ’un

rector reipublicae idéal doit se distinguer p a r la sagesse, l’intégrité des m oeurs et la

clémence, et introduire dans la vie de la population q u ’il gouverne, la concorde, la justice et la modestie. De l’avis de saint Bernard, l’em pereur Charles IV (tl3 7 8 ) était proche de l’id é a l21.

L’éducation des fils des rois ne devait pas seulement leur rendre in sup po rta­ ble l’idée d ’un gouvernem ent despotique et de la tyrannie ; elle devait développer leur goût et leur com préhension d ’un gouvernem ent juste, pacifique, en accord avec la volonté du peuple. Les savants cracoviens connaissaient l’im portance du problèm e. Stanisław de Skarbim ierz écrivit le serm on A d dirigendum reges et

principes et praelatos in officiis su is22,et Jan de D ąbrów ka est l’auteur d ’un traité

sur les souverains nouvellem ent in tro n isés23.U n autre serm on de Stanisław de Skarbim ierz portait un titre significatif : De humilitate et superbia regis et praelati

et depatientia oppressorum 24,tout comme la liste des lectures destinées aux fils du

roi, dressée p ar Jan Długosz, et encore le traité De institutione regii p u e r i25 qui date du début du X V Ie s. D ans la Pologne des Jagellons, l’ensemble nettem ent défini des principes m oraux relatifs à la vie sociale et politique se cristallisait à la

21 Cf. L. Łuszczki, D e sermonibus S. Ioannis a Capistrano. Studium historico-criticum , R om ae 1962 (Pontificium A thenaeum A n tonianu m , Facultas theologica. Theses ad lauream 142), p. 241-242.

22 Stanislai de Scarbimiria, Serm ones sapientiales, Ire partie, éd. B. C hm ielow ska, W arszawa 1979 : sermon Vi, p. 5. L’union polono-lituanienne fut un exem ple des difficultés surm ontées dans la coexistence de plusieurs nationalités. Les docum ents qui confirm ent et renouvellent l’union contiennent de belles form ules prouvant que la fédération était une oeuvre consciente d’une grande im portance m orale. C itons à titre d’exem ple des déclarations des X V e et X V Ie s. Casim ir Jagellon écrit en 1446 : « N o s K asim irus D ei gratia electus rex P olon iae et m agnus dux Lythw aniae [...] v olen tes, ut regni incliti P olon iae et m agni ducatus Lythw aniae [...] incolae in unione caritatis [...] assidue perm aneant [...] ipsum regnum Poloniae et m agnum ducatum L ythw aniae utriusque dom inii consilio, voluntate unanimi et assensu in unam fratem am unionem iunxim us, copulavim us et annexim us, volentes ipsorum esse dom inus et rector divina disponente clem entia » (cité dan s : A k ta unji P olski z L itw ą 1385-1791 [A ctes de l ’union entre la Pologne e t la Lituanie 1385-1791], éd. S. Kutrzeba, W . Sem kow icz, K raków 1932, p. 116). Et à la D iète de Lublin en 1569, Sigism ond-A uguste déclare : « [...] un peuple libre se join t à un peuple libre, un égal se jo in t à un égal, ils se lient ensem ble et éliront toujours ensem ble un m aître com m un [...] » (cité : ibid., p. 379).

23 La traduction polon aise (de K . Popław ska) de ce traité dans : F ilozofia i m yś l społeczna X I1I-X V w. [La philosophie et la pensée sociale durant les X II I — X V e 5.], élab. par J. D om ań sk i, W arszawa 1978 (700 lat m yśli p olsk iej 1/700 ans de pensée polonaise I), p. 280-293.

24 Stanislai de Skarbimiria, Sermones sapientiales, IIe partie, serm on X L I, p. 5.

25 L’auteur de ce traité est probablem ent Maciej D rzew icki (cf. M . M arkow ski, N au ki w yzw olone i filo zo fia na Uniwersytecie K rakow skim w X V w. [Les arts libéraux e t la philosophie à l ’Université de Cracovie au X V e j.], « Studia M ediew istyczne », série A , W rocław 1965, V , p. 112, annotation 104.)

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10 Stefan S w ieia w sk i

cour royale, dans les milieux liés aux évêchés et à l’Université. Cet ensemble façonnait en grande mesure 1’« ethos » d ’une politique spécifiquement polonaise aux X V e et X V Ie s.

5

Cet « ethos » politique typiquem ent polonais apparaît nettem ent dans quatre attitudes qui caractérisaient la politique intérieure et étrangère de l’époque jagellonne. Elles exprim aient des tendances fondam entales pou r la vie collecti­ ve : oecuménique, tolérante, pacifique et dém ocratique. L’attitude oecuménique reposait sur le principe que tous les peuples habitant une terre sont égaux, comme sont égaux tous les h abitants de la terre p o u r la raison q u ’ils sont des hommes. Cette thèse était défendue au seuil du X V e s. p ar l’école de dro it de Cracovie et, à la fin du siècle, par l’école dite révisionniste de Salam anque où brillait F. Vitoria qui luttait po ur les droits des Indiens d ’A m ériq u e26. D ’après cette thèse, le com portem ent ne devait être a priori hostile envers les sociétés à culture ou religion différentes des nôtres. La chrétienté ne nous autorisait pas à guerroyer ni à imposer de force nos croyances mais nous confie une mission apostolique, un message d ’am our. W łodkowic écrit nettem ent : « Christus ampliavit fidem per

humilem doctrinam, per benignam admonitionem, per pacificam et virtuosam cornersationem [...] lex evangelica est lex amoris, concordiae atquepacis, et non lex timoris, discordiae, vel bellorum [...] » 27.

Les savants cracoviens et les hommes politiques de l’époque considéraient la Pologne bien plus comme un pays destiné à rem plir auprès de ses voisins une mission religieuse et culturelle, que comme bouclier (antemurale) de la latine

Christianitas faiblissante devant 1’« Orient barbare ». La célèbre appellation à' antemurale Christianitis ne convient pas à la Pologne jag ello n n e2 8. L’adoption

par W łodkowic de la notion d ’oecuménisme national, contenue dans le principe même de la m onarchie polono-lituanienne, rendait nécessaire un oecuménisme religieux authentique 29.Cela ne se rapp o rtait pas seulement à l’orthodoxie mais aussi aux divers courants protestants et au hussitisme qui avait en Pologne beaucoup de sy m p athisants30.L’oecuménisme religieux conduit à un oecuménis­

26 Cf. p. ex. R. M arcié, Geschichte der Rechtsphilosophie. Schwerpunkte — Kontrapunkte, Freiburg 1971, p. 256.

21 Cité dans : S. F. Bełch, Paulus Vladimiri... p. 896— 897.

28 C ette définition n’apparaît qu’à partir des années quarante du X V e s. en raison du danger grandissant d ’invasions turques (cf. H. D . W ojtyska, D ie Entstehung..., p. 63).

29 Cf. entre autres K. Tym ieniecki, M oralność..., p. 8.

30 Cf. J. G arbacik, A. Strzelecka, U niw ersytet Jagielloński wobec problem ów husyckich w X V e w. [L 'Université Jagellonne fa c e aux problèm es hussites au X V e «.], dans : H istoria U niversitatis C arolinae Pragensis V, fasc. 1— 2 (1964), p. 7-52 ; cf. aussi S. Sw ieżawski, Jan Hus — h eretyk czy prekursor Vaticanum secundum ? [Jan Hus — hérétique ou précurseur de Vaticanum secm d u m ?], « Tygodnik Pow szechny », 9 II 1986 N ° 6/1911, p. 1-2.

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L ' « ethos » politique. 11

me politique et culturel (p. ex. les nom breuses langues utilisées dans les chancelleries de la République nobiliaire : à côté du latin, le polonais et le ruthène

dans le G rand-D uché de Lituanie).

Sous form e d ’idées fédéralistes, l’oecuménisme politique était (tou t au moins à un certain degré) le fruit des recherches d ’une nouvelle idéologie politique, en raison du net étiolem ent de l’idée de la Christianita qui anim ait les esprits au cours du M oyen Age. A l’horizon pointait l’idée de l’hum anité, m ais la vision esquissée p ar Nicolas Krebs de Cuse dans le De concordantia catholica inspirait davantage l’E tat des Jagellons. A la place du modèle d ’E tat résumé comme « unit as in uniformitate », Nicolas proposait un E tat selon la form ule « unitas in

varietate » 31. La fédération polono-lituanienne d o n t la m onarchie aust-

ro-hongroise sera plus tard un pâle écho, réalisait justem ent un tel modèle pluraliste. Selon Paweł W łodkow ic la souveraineté, base de la m ultiplicité dans les Etats chrétiens et non chrétiens, résultait d ’un d roit naturel. En respectant la souveraineté de ses partenaires, l’E tat fédératif apprend à m ettre en pratique le principe de savoir-vivre avec tous ceux avec qui il nous est donné de cohabiter 32. Les corporations médiévales inspiraient, elles aussi, les tendances oecuménis- tes et celles qui encourageaient la réalisation d ’un E tat fédératif. Il s’agit notam m ent du corporatism e universitaire où îe souverain — le recteur — gouvernait une société com posée de diverses nations. Les universités cons­ tituaient une fédération, c’est-à-dire une union de plusieurs nations ; les grands conciles du XVe s. dont les participants appartenaient à des nationes diverses étaient, eux aussi, une sorte de fédération. Bien plus, chaque natio sem blait être une fédération de tribus et de peuples habitant des territoires voisins. N ous retrouvons une structure analogue dans l’E tat jagellon ; un écho de cet oecuménisme particulier est perceptible dans la célèbre form ule de Stanisław Orzechowski :« G ente Ruthenus, natione Polonus ».

6

T out oecuménisme véritable a pour suite logique une attitude tolérante. A l’époque jagellonne il s’agissait surtout d ’une attitude favorable envers les croyances religieuses, les non chrétiennes y comprises. Le conflit polono- teutonique bien connu servait de pierre de touche à la tolérance qui était la directive de la politique jagellonne. Souvenons-nous que la raison d ’être de l’O rdre teutonique était de propager la foi p a r la conquête des tribus païennes, leur conversion forcée et leur intégration dans l’aire de la culture chrétienne. L’union de la Pologne avec la Lituanie et le baptêm e pacifique des Lituaniens ont ébranlé la raison d ’être, le sens de l’activité et de l’expansion de l’O rdre

31 Cf. par exem ple : J. N . Figgis, From Gerson to G rotius 1414-1625, Cam bridge 1916, p. 70. 32 U n auteur anonym e du X V e s. écrit : « [...] et ideo certo m od o cum om nibus m os gerendus est » (cité dans : L. Ehrlich, P aw eł W łodkowie i Stanisław ze S karbim ierza, W arszawa 1954, p. 186).

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12 Stefan S w ieżaw ski

teu to n iq u e 33. Au nom de la Pologne W łodkow ic attaq u a pendant le concile de Constance la raison d ’être de l’Ordre q u ’il appelait une hérésie prussienne m enaçante et perfide.

Cette hérésie prussienne m éritait bien plus d ’être condam née que les opinions hérétiques des wyklifistes et des hussites34. Forcer les dissidents à em brasser la religion chrétienne en les assassinant et en pillant leurs biens, étaient des crimes attestant que cet O rdre religieux et m ilitaire « non [esi] adpromovendum, sed [...]

potius ad impediendum fïd em christianam » ! 35 La doctrine des Chevaliers

teutoniques exprimée p a r leur porte-parole Johannes Falkenberg, contraire à l’esprit de l’Evangile et à la tolérance, devait être, de l’avis de W łodkowic, ferm em ent réprouvée en tan t q u ’h érétiq u e36, to ut comm e hérétiques et non chrétiennes étaient les « croisades » organisées par l’O rd re 37. L’opinion des Chevaliers teutoniques qui estim aient que leur Ordre existait po ur exterminer les p a ïe n s38 était considérée par les Polonais foncièrem ent m auvaise et immorale, contraire à la tolérance évangélique. En même temps, Falkenberg appelait à l’assassinat de Ladislas Jagellon, « païen camouflé et pseudo-chrétien », et à l’exterm ination du peuple polonais tou t entier ! 39.

Les Polonais adoptaient une attitude totalem ent différente envers les païens, comme en témoigne le m ariage d ’Hedwige d ’A njou avec le grand duc Ladislas Jagellon, ainsi que l’opinion des savants cracoviens sur le statut des païens. W łodkowic, p a r exemple, réprouvait la thèse d ’après laquelle l’em pereur serait le souverain de toutes les terres païennes d u m onde entier ; c’est au pape que le savant attrib u ait la protection de ces territoires 40.Les propriétés des païens leur appartenaient p ar d roit naturel — et ce droit interdisait de les en priver. Stanisław de Skarbim ierz le souligne dans le De bellis justis 41 ,en rem arquant que ce d ro it se rap p o rtait aux fidèles et aux infidèles, si bien que, au cours d ’une guerre juste, les souverains chrétiens avaient le droit de recourir à l’aide des

33 H. B oockm ann écrit à ce sujet : « Schon kurze Zeit nach dem Übertritt Jagiellos zum Christentum hatte die röm ische Kurie den neuen Z ustand akzeptiert und den polnischen K ön ig als einen dem Orden gleichberechtigten Vorkäm pfer des Christentum s anerkannt. D as Kreuzzugs­ privileg des O rdens war w ertlos geworden » (H. B oockm ann, Johannes Falkenberg..., p. 125).

34 Cf. S. F. Belch, Paulus Vladimiri... p. 917. 35 Ibid. p. 889.

36 Ibid. p. 1020 ; et aussi : L. Ehrlich, P aw el W łodkowic... p. 80. 37 S. F. Belch, Paulus Vladimiri... p. 418-419.

38 Ibid. p. 253-254.

39 Falkenberg écrivit : « Qui P olon os et eorum regem pro D eo occidunt, faciunt opera pietatis » (cité dans : ibid. p. 1018), et W łodkow ic constate que, dans sa Satire, Falkenberg souhaite encourager le m onde chrétien à exterminer les Polonais et leur roi (cf. ibid. p. 1013— 1020).

40 S. F. Bełch, Paulus Vladimiri... p. 369, 384, 386.

41 Stanisław écrivit : « [...] n on licet pape vel fidelibus auferre dom inia sive iurisdicciones infidelibus, quia sine peccato ea possident et de iure » (cité dans : L. Ehrlich, P o lski w ykład praw a wojny w X V w. K azanie Stanisław a ze Skarbim ierza « D e bellis ju stis » [Interprétation polonaise du droit de guerre au X V e s. Sermon de Stanislaw de S karbim ierz « D e bellis iustis »], W arszawa 1955, p. 136).

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L ' « ethos » politique.. 13 p a ïe n s42. L’attitud e tolérante polonaise se voyait le mieux dans la sphère religieuse. N ul (même l’em pereur !) n ’avait le d roit de convertir quiconque par force ni de le soum ettre à son pouvoir 43 ; l’idée même d ’im poser la foi en exerçant la violence était, W łodkowic s’en déclarait persuadé, l’oeuvre de Satan et non du C h rist44 ; en outre, la propagation de la foi était l’affaire des théologues et non des m ilitaires !45 Les mêmes principes concernaient les Juifs. W łodkow ic écrivait : « E t Judaei m axime tolerandi sunt, quia per eorum códices veritatem et

fid em nostram probamus [...] » 46. C ’était renier clairem ent l’opinion (prônée

notam m ent p ar Falkenberg) que les Juifs devaient être convertis de force, même sous la menace de tortures et de m o r t47.

L’ensemble des opinions professées p a r les savants et les hom m es d ’E tat polonais définissaient la voie polono-lituano-ruthène de la liberté et de la tolérance ; les racines de ces opinions se trouvaient sur les bords de la Vistule, l’un de leurs rejets d ’une grande im portance ap p araîtrait plus tard à Salam anque et au N ouveau M onde. W łodkowic et son école sont de véritables précurseurs de l’école révisionniste de Salam anque, de Francesco V itoria et de Bartolom é de Las Casas. Voici des détails apparem m ent m arginaux : la cam pagne de la délégation polonaise au concile de C onstance déployée po ur défendre les païens et les schismatiques, ainsi que la lutte des théoriciens espagnols p o u r les droits des Indiens exterminés p a r les conquistadors eurent une im portance fondam entale p o u r l’avenir spirituel de l’Europe. Les chemins se séparent : l’un mène vers la victoire de la tolérance et du pluralism e (la C onfédération de Varsovie, le 28 janvier 1573, en fut l’expression symbolique), le second, em preint de fanatism e et de barbarie, conduit directem ent à la nuit tragique de la Saint-Barthélem y, le 24 août 1572 48.La voie choisie p a r la Pologne — et suivie consciem m ent à l’époque jagellonne — fut appréciée p a r le plus grand hum aniste du tem ps — Erasm e de R otterdam . Les Jagellons étaient une dynastie puissante qui entendait m ettre en oeuvre l’idéal du souverain esquissé p a r Erasm e dans son Institutio principie

christiani, et non pas le m odèle du m onarque absolu, foncièrem ent païen,

proposé p a r M achiavel. Les Jagellons avaient choisi en toute conscience la belle voie de la tolérance et cherchaient à faire de la Pologne-Lituanie un pays profondém ent hum aniste. Ce fait, ainsi que le caractère unique de la Pologne en

42 J. D om ań sk i, P o c zą tk i humanizmu... p. 179, ann otation 34. 43 K . Tym ieniecki, M oralność... p. 17— 21.

44 V oici les paroles de W łodk ow ic : « [...] m odum ad fidem convertendi per arma bellica non Christus docuit sed angélus Satanas » (S. F. Bełch, Paulus Vladim iri... p. 920).

45 Le m êm e écrit : « [...] am pliatio (fidei) [...] ad th eo lo g o s pertinet non ad m ilites... » (cité dans : A . N iesiołow ski, D w ie m eto d y nawracania... p. 31).

46 Cité ibid. p. 17. 47 Cf. ibid. p. 25— 26.

48 A ce sujet N . D avies écrit : « U n pays de longue date habitué à la coh ab itation du catholicism e, de l’orthodoxie, des A rm éniens, du judaïsm e et du m ahom étanism e, était unique en Europe. Seule dan s un continent déchiré par les guerres de religion, la P ologn e pou vait produire la célèbre P aix des

D issid ents prom ulguée par la C onfédération de Varsovie en 1573 » (N . D avies, H istoire... p. 324).

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14 Stefan Sw ieżaw ski

Europe, furent rem arqués avec perspicacité par Erasm e, aussi put-il écrire que seule la Pologne était fidèle à ses idéaux : « Polonia mea est » ! 49.

7

Une orientation oecum énique et tolérante doit avoir comme suite une attitude pacifique : réduction au m inimum des guerres et des litiges, propagation d ’un climat d ’entente, de concorde et de paix. Ceux qui font et consolident la paix, évitent les guerres, réprouvant en ta n t q u ’im m orales les expéditions, le pillage, les annexions, les colonisations, etc. Lorsque tous les moyens s’avèrent inefficaces et que la guerre devient inévitable, elle doit être la plus juste possible et menée d ’après des « règles du jeu » définies. Il n ’était donc pas étonnant que, alors que la Pologne et la Lituanie com battaient victorieusem ent le puissant Ordre des Chevaliers teutoniques, l’Université de Cracovie élaborât le prem ier en Europe projet du droit de guerre, sous la form e du serm on De bellis justis de Stanisław de Skarbim ierz. Il s’agit là d ’une précieuse contribution polonaise à la littérature du dom aine du droit international, où est exposée l’idée que seule est juste une guerre défensive (p. ex. la défense d ’une population opprim ée p ar l’Ordre teutonique) et que, dans ce cas, tous les citoyens o n t le devoir de défendre le pays, non seulement la noblesse m ilitaire et les soldats m ercenaires (telle était, par exemple, l’opinion de Jan O stroróg dans M emoriale) 50.

W łodkow ic adopte l’opinion com m uném ent admise : la guerre doit satisfaire à cinq conditions po u r être reconnue comme une guerre j u s t e 51, ajoutant toutefois quelques principes im portants. Foncièrem ent imm orale est toute action armée à caractère privé (incursion, rébellion, querelle de famille, de ville, e tc .)52. Il est interdit de m ener une guerre p o u r des raisons religieuses. La foi ne peut pousser à com m encer ni à m ener une g u e rre 53 ; en particulier toutes les activités militaires dirigées contre les infidèles (à p a rt la croisade entreprise p o u r libérer la Terre sainte), ayant p o u r unique m o tif le fait que la lutte a lieu contre des dissidents, ne peuvent q u ’être condamnées. U n principe obligatoire dans chaque guerre est la com pensation des dom mages causés, surtout dans les guerres injustes comme l’étaient les expéditions sanglantes des Chevaliers teutoniques

49 J. Tazbir, « Polonia m ea est » — sur les am is e t adeptes polonais d ’Erasme de R otterdam , « La P ologn e » N ° 12/1970.

50 W . Sobociński, « M em orial » Jana O stroroga a p o c zą tk i reform acji w P olsce [Le « M ém orial » de Jan d ’O strorôg e t les débuts de la Réform e en Pologne], « O drodzenie i R eform acja w Polsce » III1958 p. 49.

51 C on dition s rapportées par de nom breux auteurs, entre autres J. D om ań ski (P oczątki humanizmu... p. 166).

52 C ’est ce que souligne Stanisław de Skarbimierz (cf. J. Bardach, H istoria państw a i praw a P olski do p o ło w y X V wieku [H istoire de l ’E ta t e t du droit polonais ju squ 'au milieu du X V e s.], W arszawa 1957, p. 436).

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L ’ « ethos » politique.. 15

dans les territoires habités pa r de paisibles Lituaniens, Samogotes, L e tto n ie n s54. Les juristes cracoviens suivaient la voie d ’Erasm e, soulignant que l’hom m e est créé p o u r l’amitié, tandis que la guerre en est une contradiction ra d ic a le 55. W łodkowic se rendait p o u rtan t com pte q u ’une paix véritable ne p eu t régner q u ’entre des hommes « qui ambulant in veritate Dei » 56.

L’orientation pacifiste, opposée à l’idée des « guerres saintes » présentée p a r les Polonais au concile de Constance, eut un certain succès. W łodkow ic soulignait que, de nature, tous les peuples tendent vers la paix, la paix étan t la condition indispensable de la v ie 57, et « viam gwerrae [...] esse malam atque

insecuram » 58. D ans la mesure du possible les Jagellons évitaient la « via gwerrae ». Erasm e adm irait le gouvernem ent pacifique de Sigismond le Vieux ;

bien plus, il affirm ait que ce roi réalisait dans l’E ta t polono-lituanien l’idéal platonicien du gouvernem ent, étan t donné que ses politiciens principaux d ’E tat étaient adeptes d ’une philosophie com prise surtout comm e éthique réglant la vie de l’individu et de la collectivité à tous les éch elo n s59.

8

La quatrièm e tendance caractéristique de l’éthique régissant la m oralité politique dans l’E tat jagellon, était le dém ocratism e. En accord avec les enseignements de l’école juridique cracovienne, la conception de l’E ta t com prenait trois élé­ m ents : le peuple, le territoire et le gouvernem ent. En ta n t que collectivité hom ogène, l’E tat est issu de la volonté d ’un peuple cherchant à créer une com m unauté composée de ces trois éléments 60. Il en résultait que, justem ent, la volonté du peuple {demos) était la source secondaire du pouvoir royal (la prem ière étant Dieu !). Ainsi le concevait W incenty K adłubek, lu et apprécié aux XVeet XV Ie s., et aussi W łodkowic 61 .L ’ensemble des habitan ts d ’un pays devait

54 Cf. par exem ple K . Tym ieniecki, M oralność... p. 7, an n otation 3.

55 L ’idée est développée par Erasme dan s le célèbre adage « D u lce bellum inexpertis » (cf. Y. Charlier, E rasm e e t l ’am ité d ’après sa correspondance, Paris 1977, p. 40— 41).

56 Idée exprimée par W łodkow ic dans une lettre à Zbigniew O leśnicki (cf. S. F. Bełch, Paulus Vladimiri... p. 1092).

57 Ibid. p. 492. 58 Ibid. p. 1100.

59 Cf. par exem ple : J. D om ań ski, G losy do E razm iańskiej koncepcji filo zo fii... [Gloses à la conception érasmienne de la philosophie...], « A rchiwum historii filozofii i m yśli społecznej » 1969, X V , p. 30 ; M . K orolk o, K lejnot swobodnego sumienia. P olem ika w okół konfederacji w arszaw skiej w latach 1573-1658 [Le jo y a u d'une conscience libre. Polém ique autour de la C onfédération de Varsovie au cours des années 1573-1658), W arszawa 1974, p. 32.

60 S. F. Bełch, Paulus Vladim ir..., p. 281. K . G rzybow ski ( W łodkow ica nauka o państw ie a « proces doktrynalny » [La science de l ’E ta t selon W łodkow ic e t le « procès doctrin al »], « Zeszyty N au k ow e U niw ersytetu Jagiellońskiego », vol. X V III, 1961, Prace historyczne, n° 8, p. 26) rappelle que W łodkow ic reprend la concep tion de F rançois Zabarella.

61 S. F. Bełch, Paulus Vladimiri... p. 51 ; cf. égalem ent : W. Seńk o, L a philosophie m édiévale en P ologne..., dans ; « M ediaevalia philosophica Polonorum », W arszawa 1970, X IV , p. 13.

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16 Stefan S w ieżaw ski

donc pouvoir influencer le gouvernem ent de l’E tat donné. Souvenons-nous p o u rta n t que le processus de dém ocratisation n ’en était q u ’à son em bryon. N om bre de savants et de penseurs affirm aient alors que tous les hommes sont égaux p o u r la raison q u ’ils sont des hommes. C ’était un droit naturel. Cette thèse fut soulignée, entre autres, p a r Wawrzyniec de R acibórz 62 ; ainsi, il n ’y avait et ne pouvait y avoir d ’hom mes non libres « de nature ». W awrzyniec de R acibórz et Paweł de W orczyn étaient opposés à la conception aristotélicienne d ’ « esclaves nés », p rô n an t que ni l’esclavage ni la sujétion (corvéable) n ’avaient de fondem ent dans la n ature h u m ain e 63.

Il en était autrem ent en pratique ; l’esprit d ’une véritable égalité et de dém ocratie régnait, il est vrai, dans une partie de la noblesse (selon le principe q u ’ « un noble chez lui était l’égal du m agnat ») mais ne put s’étendre à la société to u t entière. Il n ’est to u t de même négligeable que le sentim ent d ’injustice et d ’inégalité sociale était ressenti et q u ’aux oreilles royales parvenaient des voix dem andant que justice fût rendue. On sait que Jan de Ludzisko, dans un serm on fait devant Casim ir Jagellon, défendit les paysans de l’oppression et de l’exploitation p ar la noblesse ; Jan soulignait que tous les hommes étaient égaux 64. La dém ocratie nobiliaire polono-lituano-ruthène était un phénomène unique en son genre, surtout à l’époque jagellonne. Exception faite des m agnats (il n ’y avait pas de titres de noblesse en Pologne) et des énorm es différences de fortune, on soulignait l’égalité et les libertés de to u t l’E tat de la noblesse. Parm i l’élite intellectuelle du temps, les voix ne m anquaient pas qui proposaient de transform er la population de l’E tat polono-lituanien en société « où le passage d ’une classe à l’autre serait largem ent ouvert et où tous les habitants p a r­ ticiperaient, actuellem ent ou potentiellem ent, au pouvoir » 6S.

Ce dernier trait, particulier à un type de gouvernem ent réellement dém o­ cratique, se consolide à l’époque jagellonne quoique son origine rem onte au début du M oyen Age. Le souverain est entravé p a r de nom breux droits et lois

(rex sub legé) et exerce son pouvoir assisté d ’un conseil qui représente la société

(consilium), car to u t ce qui concerne la société, doit être approuvé par elle. La Pologne devient un E tat régi p a r un gouvernem ent parlem entaire et c’est un pouvoir constitutionnel — non pas absolu — qui est en vigueur. L’absolutism e qui se propageait en Europe m oderne, n ’était pas bien vu en Pologne. L’E tat des Jagellons conservait un modèle dém ocratique et constitutionnel.

L’ « ethos » politique des Jagellons se distinguait nettem ent des modèles de pouvoir réalisés chez nos voisins orientaux et occidentaux. Les rois jagellons renonçaient à l’autocratie des tsars moscovites et aux idéaux absolutistes

62 P. Czartoryski, W czesna recepcja..., p. 119. W . Seńko écrit : « La base [...] du droit (de la nature) est surtout la capacité de raisonner de l’hom m e et l’égalité et la liberté de tou s les hom m es qui en résulte... » (W . Seńko, Z badań... p. 32).

63 P. C zartoryski, Wczesna recepcja..., p. 130-137. 64 Cf. entre autres J. Bardach, H istoria pań stw a..., p. 438. 65 P. Czartoryski, W czesna recepcja..., p. 137.

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L ’ « ethos » politique.. 17

auxquels les ducs allem ands étaient favorables en nom bre croissant. La Pologne n ’entra pas dans la voie des program m es totalitaires du tsarism e de la sainte Russie et de l’empire occidental ou du Sacrum R om anum Im perium . D ans la Pologne de l’époque ne s’im plantèrent pas non plus les modèles m achiavéliques qui filtraient d ’Italie, du souverain absolu dépourvu de scrupuleś et ne ten an t pas com pte de l’opinion et des réactions de la collectivité. Les m ots d ’ordre d ’« Etatolâtrie » et l’image du m onarque au-dessus et hors du droit n ’eurent pas de prise chez nous. Le program m e contenu dans le M emoriale d ’O strorôg (pouvoir royal basé surtout sur la noblesse moyenne) ne trouva audience que partiellem ent ; les Conseils de Kallimach où s’était glissé un certain penchant p o u r le pouvoir absolu, restèrent sans echo. Kallim ach s’adressait au jeune roi Alexandre Jagellon en ces termes : « Tâchez à to u t prix de n ’être roi q u ’à vous seul, de faire la loi à vous seul ; le royaum e en tirera un grand bienfait » 66. R appelons-nous q u ’à p artir du milieu du X V e s. dans toute l’Europe s’intensifiait le couran t du pouvoir absolu à la m ain dure ; dans cette direction allait la Siège apostolique et de nom breux souverains. L’E ta t jagellon polono-lituano-ruthène s’opposait à ces tendances. L’idéologie impériale fut toujours im populaire à Cracovie 67,tout comme en France et en Angleterre 68. W łodkow ic estim ait que l’afferm issement du pouvoir papal et l’accentuation de la souveraineté des rois de Pologne « R e x imperator in regno suo » 69 perm ettraient d ’échapper à la suprém atie impériale. Toutefois la notion d ’une Pologne politiquem ent dépen­ dante de Rom e était im populaire. Les partisans des solutions extrêmes, de larges couches de la société souhaitaient une ém ancipation visible dans le dom aine des lim itations imposées à la Pologne par les engagem ents envers le Siège ap os­ tolique. Ces tendances à une souveraineté plus com plète élargissaient le nim be dont on ento urait de plus en plus souvent la m ajesté royale.

Les Jagellons savaient garder une sage m odération. Us ne cédèrent pas aux tentations d ’un pouvoir absolu et ne perm irent pas de créer une Eglise nationale détachée de Rome. Il en fut autrem ent dans la Bohême voisine. Q uoique l’on puisse saisir des accents proches aux idéaux de l’union polono-lituanienne dans le « Projet de paix universelle » du roi Georges de P o d ë b rad y 70, l’union ecclésiastique entre la Bohême hussite et Rom e fut tragiquem ent rom pue p o u r plusieurs siècles. En Pologne où l’on critiquait violem m ent les abus de la curie rom aine et les déviations d ’un théocratism e radical (M ateusz de Cracovie et

66 Cité dans : J. D om ań ski, P o czą tk i humanizmu..., p. 172.

67 K. G órski écrit : « [...] le droit rom ain n’était'pas appliqué à Cracovie o ù l’id éologie impériale .restait im populaire » (K . G órski, P olski tra k ta t p o lity czn y z X V wieku w obronie Z w ią zk u pruskiego

[Un traité politique polonais du X V e s. défendant l ’Union prussienne], « R oczn ik O lsztyński », VIII, 1968, p. 150).

68 L. Ehrlich, P aw eł W łodkow ic... p. 7.

69 K . G rzybow ski, W łodkowica nauka... p. 27-28.

70 F. Śm ahel, Problèm es rattach és aux recherches sur le p rojet pacifique du roi G eorges, dans « Cultus Pacis », Prague 1966 « Sym posium Pragense C ultus Pacis 1464— 1964 » p. 155— 165.

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18 Stefan Sw ieżaw ski

l’évêque de Cracovie Piotr W y sz71), les liens entre l’Eglise polonaise et Rome restèrent intacts.

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L’un des problèm es les plus passionnants de notre histoire c’est celui des origines de cette attitude oecuménique, tolérante, pacifiste et dém ocratique qui a rendu l’E tat polono-lituanien unique dans son genre. La puissance née ainsi devait faire du m auvais sang dans les pays environnants qui afferm issaient leur pouvoir suivant des modèles de gouvernem ent dont la structure et l’éthique étaient totalem ent différents. Sans m ’attard er sur le sujet de la nature des Slaves et des Polonais (plus enclins à coopérer q u ’à annexer), je souhaite attirer l’attention sur l’un des éléments de 1’ « ethos » de la politique des Jagellons : le conciliarisme dont l’Université de Cracovie était devenue le bastion irréductible en Europe. Il serait faux de considérer le conciliarisme comme une doctrine attrib u an t une suprém atie du concile vis-à-vis du pape ; cette opinion n ’était pas professée que p ar les partisans d ’un conciliarisme extrême et hétérodoxe. P ar contre, le noyau même du couran t concevait l’Eglise comme une com m unauté de tous les croyants et le concile comme sa représentation participant à l’adm inistration de l’Eglise. Le rôle fondam ental revient ici à la notion de com m unauté nationale do n t la C ouronne était l’expression72. L’Université de Cracovie devint à tel point le porte-parole des droits conciliaires dans l’Eglise q u ’elle prit pour m ot d ’ordre de ne jam ais céder dans la lutte (pour les droits du concile !) : « N e cedat

Accademia » ! L’Université de Cracovie reçut les louanges de celle de Paris qui

voyait en sa consoeur cracovienne le b astion des idées conciliaires. D ans le contexte qui nous intéresse, il n ’était pas indifférent que parm i les universités européennes l’Université de Cracovie se tient le plus longtem ps du côté du conciliarisme — même lorsqu’en 1447 Casim ir Jagellon se prononça contre le concile de Bâle, acceptant l’obédience de Nicolas V 73.

L’Université si longtem ps favorable au conciliarisme ne pouvait m anquer d ’influencer les élites polonaises de l’époque. Ces élites forgeaient l’idéal

71 Z. K ałuża, A utor Spéculum aureum [ L ’auteur de Spéculum aureum], « Roczniki F ilozoficzn e » X X V III/1980, p. 203-232, fase. 1. D 'après K ałuża : « [...] ju sq u ’à la fin du X V e s., aucune form ule de théocratie ne trouva d ’accueil favorable à Cracovie » (Z. K ałuża, E klezjologia M ateusza z K rakow a [L'ecclésiologie de M ateu sz de Cracovie], dans : « Studia M ediew istyczne », 1977, X V III, p. 52.

72 En P ologn e la notion de la C ou ronne.apparaît au temps de Ladislas Petite-C oudée. La construction juridique de C orona Regni Poloniae détache la com m unauté polonaise E tat-nation de la personne du m onarque ; le blason du souverain devient l’em blèm e de l’Etat (cf. J. Bardach, H istoria państw a... p. 389-391).

73 L’Université de Cracovie ne passe sous l’obédience papale q u ’en 1449 (cf. par exemple J. K łoczow ski, Le conciliarisme à l ’Université de Cracovie au X V e s. et ses prolongem ents au X V Ie s., dans : « The Church in a C hanging Society » (C IH E C , Conférence in U ppsala 1977), U ppsala 1978, p. 223-224).

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L ’ « ethos » politique.. 19 antiabsolutiste du pouvoir, de la structure de l’E tat que les Polonais cherchaient à conserver après la chute de l’E tat des Jagellons. Le choix du conciliarism e convenait au tem péram ent polonais dans la sphère de la vie com m unautaire, davantage que les différents modèles de pouvoir absolu. D onc, parm i les raisons de l’étonnante spécificité de 1’ « ethos » de la politique mise en oeuvre p a r la Pologne des Jagellons, une place non négligeable revient au conciliarism e de l’Université cracovienne et de sa Faculté de Théologie en particulier.

Le conciliarisme véhiculait de nom breüx idéaux dém ocratiques et hum anis­ tes ; il avait pou r principe « plus ratio quam vis ». Les conciliaristes essayaient d ’introduire le modèle de com m unauté universitaire-corporative dans la com ­ m unauté ecclésiastique, notam m ent dans un concile universel représentant l’Eglise toute entière. La notion de représentation était devenue une sorte de signe de ralliement socio-politique hostile à toutes les m anifestations d ’absolutis­ me et de totalitarism e. Il semble donc juste d ’avoir à chercher la source de la théorie polonaise de la représentation typique de la m orale politique de la Pologne des Jagellons « dans les théories de l’Eglise [donc dans l’ecclésiologie] des m aîtres, partisans de l’attitude conciliaire radicale au milieu du X V e s » 74.

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