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"Dieu pour l'amour de qui tu as traversé la mer" : la religion en quête de son identité dans "Saladin", texte anonyme du XVe siècle

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Academic year: 2022

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Université Jagellonne de Cracovie

« DIEU POUR L’AMOUR DE QUI TU AS TRAVERSÉ LA MER ». LA RELIGION EN QUÊTE DE SON IDENTITÉ DANS SALADIN, TEXTE ANONYME DU XV

E

SIÈCLE

Dans son livre Les croisades vues par les Arabes, Amin Maalouf cite les paroles de Saladin adressées à ses compagnons : « Regardez les Franj ! Voyez avec quel acharne- ment ils se battent pour leur religion, alors que nous, les musulmans, nous ne montrons aucune ardeur à mener la guerre sainte »1.

Ces paroles, vues dans le contexte de leur époque, ne sont pas seulement une louange de la vaillance des Franj2, mais expriment une admiration pour leur religion et leur foi qui fait embrasser avec générosité la faim, la soif, la fatigue, les tortures et la mort.

Saladin, sur le plan historique, comme le révèlent les chroniques occidentales et arabes, avait un sens de la religion extraordinaire. Il était sensible à toute marque authentique de spiritualité qui rayonne et devient un témoignage plus convaincant que les paroles. Le même trait a été attribué au Saladin romanesque dans le texte que nous voulons adopter aujourd’hui comme matière de notre réflexion. C’est sur l’exemple de ce roman en prose anonyme, écrit vers 1467, dans le milieu bourguignon (celui de Philippe le Bon)3, que nous voulons montrer comment la littérature se joint à un effort intellectuel propre à son époque – celui de redéfinir les principes de la religion chré- tienne, en démasquant des abus et en cherchant de bonnes voies à suivre.

Ce désir de redéfinir, de purifier, de reformuler ne vise pas les principes de la foi en tant que tels : il concerne la relation de l’homme à Dieu dans une dimension person- nelle et individuelle. Il s’agit d’une relation dynamique qui cherche à comprendre ;

1 A. Maalouf, Les croisades vues par les Arabes, Paris, Jean-Claude Lattès, 1983, p. 13.

2 Par le terme « Franj », les musulmans désignaient les croisés, sans faire distinction de leurs nationalités.

3 Il s’agit d’une mise en prose d’un roman en vers perdu du XIVe s., faisant suite aux chansons de geste de Baudouin de Sebourc et du Bastard de Bouillon. L’auteur semble s’inspirer aussi de la Chronique d’Oultre-Mer d’Ernoul, de l’Ordre de Chevalerie de Huon de Tabarie, des Récits d’un Ménestrel de Reims et des textes qui forment l’ensemble du Deuxième cycle de la Croisade (cf.

D. Queruel, « Le ‘Vaillant Turc et courtois Salhadin’ : un oriental à la cour de Bourgogne », in Images et signes de l’Orient dans l’Occident médiéval, Aix-en-Provence, Université de Provence, 1982, p. 302).

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d’une sorte de quête, à l’image d’une quête arthurienne, qui s’inscrit dans la nature humaine pour laquelle vivre c’est se mouvoir, c’est se mettre constamment en route.

***

C’est un texte étrange et curieux que le roman de Saladin. Même si, formellement, il est considéré comme appartenant au deuxième cycle de la croisade4, il exalte moins les chevaliers partis en troisième croisade que l’ennemi acharné de la chrétienté, faisant de lui le héros de première importance. C’est lui qui, paradoxalement, incarne l’effort des chrétiens partant en quête de l’identité de leur propre religion. Le « vaillant Turc et courtois Salhadin »5 devient meneur du jeu qui observe, qui juge et qui, surtout, pose des questions, en essayant de comprendre.

Dans cette quête du vrai visage du christianisme, nous pourrions distinguer deux étapes : la première se joue en Terre Sainte, la deuxième s’effectue en France. La première fournit des témoignages de la foi, formulés explicitement par les croisés et les pèlerins, donc par ceux qui sont partis pour la Terre Sainte pour l’amour de Dieu qu’ils veulent défendre et vénérer. La deuxième abonde en anti-témoignages donnés par ceux qui sont restés dans leurs demeures ou bien se croisent pour leurs propres intérêts.

D’un côté il y a donc des confesseurs et des martyrs ; de l’autre – des mystificateurs, des abuseurs, ou, tout simplement, des ignorants de leur propre religion. Les deux auront un rôle à jouer dans la recherche de la vérité.

Le roman de Saladin – plus que les textes épiques attribués aux cycles des croisades – donne à ses protagonistes l’occasion d’exprimer une motivation de leurs gestes et de leurs actions. Ces interventions verbales, introduites ou prolongées par le narrateur, permettent de dégager les principes de la religion dont ils sont confesseurs et souvent ardents défenseurs.

Les témoignages insérés ainsi dans notre texte sont courts, transparents, et convergent vers un seul principe qui focalise en lui tous les autres : c’est l’amour du Christ que les chrétiens arrivant en Terre Sainte nomment cause première de leur expédition.

Dans un des épisodes initiaux, relatant le départ du comte Jean de Ponthieu en pèlerinage vers Jérusalem, le narrateur explique :

En ce temps dont parle l’istoire, s’estoit party du pays de France ung prince nommé Jehan, lequel par droit heritage estoit seigneur et conte de Ponthieu. Et avoit avec luy amené .Vc. soldaiers, chevaliers et gentilz hommes, qui pour l’onneur et amour de Dieu avoient le voiage enprins d’aler visiter lez lieux ou nostre Seigneur fut mort et vif.6

C’est tout quant à la motivation : l’honneur et l’amour de Dieu sont évoqués comme seuls motifs de l’expédition. Ils trouveront leur confirmation dans le comportement des pèlerins.

4 Cf. M. de Combarieu du Grès, Introduction à Saladin, in Croisades et pèlerinages, Paris, Laffont, 1997, p. 417. Elle fait, en plus, remarquer que le texte fait suite à la Fille du comte de Ponthieu et à Jehan d’Avesne (cf. ib., p. 417). Voir aussi R.F. Cook et L.S. Crist, Le deuxième cycle de la croisade. Deux études sur son développement, Genève, Droz, 1972 ; S. Duparc-Quioc, Le cycle de la croisade, Paris, Champion, 1955 ; D. Queruel, « Le ‘Vaillant Turc et courtois Salhadin’ : un oriental à la cour de Bourgogne », op. cit., p. 299–311.

5 C’est ainsi qu’on le nomme dans le texte. En réalité, il était d’origine kurde.

6 Saladin. Suite et fin du deuxième Cycle de la Croisade, éd. critique par L.S. Crist, Genève-Paris, Librairie Droz-Librairie Minard, 1972, p. 53.

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Cette primauté de l’amour ne passe pas inaperçue, même pour les ennemis. Dans la suite de l’épisode, Saladin soumet Jean de Ponthieu (qui devient son captif) à un interrogatoire, en le conjurant : « Par la foy que tu doibs au dieu pour l’amour duquel tu as la mer passee, eulz tu oncques sereur en ta vie ? »7. Conjuration, à laquelle Jean répond avec franchise, à l’exemple des chevaliers courtois conjurés au nom de la dame de leur coeur.

L’amour de Dieu va de pair avec la noblesse d’âme et de sang, qui suppose la fidelité et la loyauté. Les croisés sont des « champions de Dieu »8, prêts à se battre et à mourir en vrais martyrs de la juste cause. Cette noblesse impressionne les sarrasins, tel Saladin qui – ayant reçu la fière réponse de Jean de Ponthieu refusant de renier sa religion – non seulement lui accorde la vie sauve pour la noblesse et chevalerie qu’il voit en lui, mais en plus, lui offre son amitié.

Dans la suite du roman, au cours d’un long épisode de l’adoubement de Saladin par Huon Dodequin9, qui devient un prétexte pour rappeler le sens et les origines de l’ordre chevaleresque (de façon d’autant plus détaillée qu’on les explique à un païen), l’auteur cherche à souligner un lien profond entre l’amour de Dieu et la noblesse de sang, lien qui se manifeste dans la signification symbolique du rituel de l’adoubement. Le bain, la couche, une robe rouge d’écarlate ou de soie, des chaussures brunes, une ceinture blanche, la remise de l’épée, une colée : tout cela en souvenir du Christ qui s’est livré au supplice pour devenir l’ami de tous et répandre l’amour en abondance. Chaque geste de l’adoubement est modelé sur cet amour et en reste imprégné au point de faire d’un chevalier un alter Christus sur la terre. Cette explication encourage encore plus Saladin à connaître la religion d’amour et de vaillance qui l’intrigue et l’attire.

L’amour et la noblesse : à cette double évocation des principes de la religion chrétienne qui se manifestent aux sarrasins par le témoignage des chevaliers-croisés ou chevaliers-pèlerins, ajoutons un témoignage sublime des dames et des demoiselles d’une place forte, aux alentours de Tyr, conquise par Saladin10. La princesse d’Antioche, qui prend la parole au nom de deux cents femmes captives, explique à Saladin qui lui demande d’être la dame de son coeur « qu’il devoit premierement amer Dieu que aultre chose avant qu’il requist dame crestienne d’amours »11. Le narrateur relate que cette réponse donna à Saladin une très bonne opinion d’elle12. Il s’en souviendra peut-être lorsqu’il découvrira, consterné, un comportement immoral de la reine de France.

L’amour est un devoir, mais aussi un sacrifice. C’est la Croix qui devient le point de repère constant de tous les discours et exploits de la première partie du texte qui se déroule en Terre Sainte. C’est autour du Calvaire que les batailles se font les plus

7 Ibidem, p. 57.

8 Ibidem, p. 61.

9 Ibidem, p. 73–78. Selon Danielle Queruel, l’auteur s’inspire ici d’un poème du XIIIe s., L’Ordre de Chevalerie (cf. « Le ‘Vaillant Turc et courtois Salhadin’ : un oriental à la cour de Bourgogne », op. cit., p. 306). Pour l’édition de ce dernier, voir L’Ordene de chevalerie, Paris, éd. Barbazan-Méon, 1808.

10 Cf. Saladin, op. cit., p. 68–71.

11 Ibidem, p. 70.

12 Cf. l.c.

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ardentes ; c’est le Golgotha qui devient un lieu symbolique de la mort des chrétiens- défenseurs de Jérusalem. Dans une scène dramatique, en plein milieu de la bataille, le Bâtard de Bouillon ramène le corps de son oncle pour le déposer auprès du Saint- Sépulcre :

Si s’en tourna vers le mont de Calvaire tout seulet, cuidant illec mettre le corps de Marbrun a sauveté, pour ce que tant avoit esté vaillant et bon crestien. Et quant il fu ung poy eslongié, Sarrasins l’aparçurent, disans a eulx mesmez qu’il s’enfuioit. Si coururent après plus de .iijm. dont il fu en peu d’heure enclos si qu’eschaper n’eust peu par nulle maniere.13

Quelques lignes plus tard, le texte évoque le sort tragique des compagnons du Bâtard de Bouillon, encerclés par les sarrasins :

Et lors plus ne parlerent et se mirent a la fuite, et payens après et au devant de toutes pars si ques tost furrent aconsieuvys et ainsi commez aculés sur le mont de Calvaire au lieu ou pres, comme le nomme l’istoire, Golgatas, ou les convint demourer ou eulx mettre en deffence ou villainement mourir.14

Inutile d’expliquer que le choix se fait sans hésitation : le martyre confirme le témoignage verbal. Martyre qui, lui non plus, ne restera pas inaperçu pour les chefs sarrasins qui rendront hommage à tant de vaillance.

Le témoignage des Européens se montre tellement convaincant pour Saladin qu’il décide de se rendre « en France a la court du roy a Paris veoir l’estat et la noblesse de par dela et le maintien dez crestiens »15. Il annonce sa décision à Huon Dodequin et Jean de Ponthieu qu’il garde en captifs, mais dont il a fait ses conseillers, en précisant :

[…] je voy en leur loy et la vostre aparance de plus grand bien qu’il n’a en la loy Mahon, je pourray par adventure, selon que congnoissance me admonestera, delaissier l’une pour l’aultre prendre et mettre en certaineté ce qui m’est en grand doubte.16

Le texte romanesque ne conteste nulle part la franchise de cette déclaration de Sala- din, même si certains historiens relatent des négociations avec Richard Cœur de Lion lors desquels, pour gagner la confiance de son adversaire, Saladin manifestait un grand intérêt pour la religion chrétienne, en faisant semblant de prendre en considération la possibilité de se convertir. Les Anglais y ont pressenti un piège et il est hors de doute qu’ils avaient raison.

Revenons pourtant à l’univers romanesque. Le grand voyage commence et avec lui commencent les désillusions17. Précisons que ces dernières ne concernent pas la reli- gion chrétienne en tant que telle, mais les chrétiens rencontrés à la cour de France.

Le trajet est long : de Jérusalem, nos héros se rendent à Brindisi, passent ensuite à Rome, en Lombardie et en Bourgogne, pour arriver enfin à Paris et finir leur séjour à Cambrai où Saladin remportera une victoire éclatante lors d’un tournoi chevaleresque.

Les découvertes sont nombreuses : surtout à Paris où Saladin – au contact avec la cour royale – découvrira une grande divergence entre ce que l’on confesse et ce que l’on pratique. D’abord, lors d’une fête tenue par la reine (en absence du roi), Saladin,

13 Saladin, op. cit., p. 52.

14 Ibidem, p. 53.

15 Ibidem, p. 78.

16 Ibidem, p. 79.

17 Il s’agit d’un voyage fictif, romanesque, qui n’a jamais été effectué par Saladin historique.

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observant les usages, remarque une table à laquelle sont assis douze pauvres18. Jean de Ponthieu lui explique qu’il s’agit d’une coutume de nourrir chaque jour douze pauvres en souvenir du Christ et de ses douze apôtres qui vivaient avec Lui dans la pauvreté.

Saladin, ayant remarqué que les pauvres invités étaient nourris des restes, constate : Et ne doibt l’en avoir foy a vostre loy, qui dittes que les biens que vous avés et dont vous vivés viennent du dieu ouquel vous croés, et a ses menistres, serviteurs et messagez ne donnés que ce qui vous puet demourer ou quy jamais ne vous peult servir.19

La deuxième surprise est causée par le comportement de la reine de France20 qui – bien que chrétienne et mariée – cherche à séduire le beau sarrasin qui donne libre cours à son étonnement :

Je suis ung simple chevalier, madame […] et vous estez royne haultement coloquee et prisee, si que petitement vouldroye a avoir l’amour d’une telle dame et mie ne l’ay desservy aussy. Et d’aultre part je mesprenderoye envers Dieu et envers le roy, car vous estez mariee.21

Dans la suite, il renoncera pourtant à ses objections, en cédant aux charmes et surtout au chantage auquel recourt la reine : s’il n’accepte pas ses avances, elle l’accusera de l’agression. La dame se montre tellement amoureuse du beau sarrasin qu’elle partira en croisade avec son mari et obtiendra – par le moyen d’une ruse (sous prétexte de vouloir convertir Saladin) – de revoir son amant à Jérusalem. La ruse démasquée, le roi punit la reine en la renvoyant à son père, le roi d’Aragon,

« renonçant a la compaignie d’ycelle par les excusacions de sa vie oultrageuse et de la male voulenté qu’elle avoit eue de vouloir converser avecq les Turcz »22. On pourrait se demander s’il ne faut pas voir dans cet épisode un écho lointain d’une aventure matrimoniale de Philippe II Auguste qui, veuf d’Isabelle de Hainaut, épouse en 1193 Ingeburge de Danemark qu’il chasse, sans donner de raison, le lendemain de la nuit de noces23.

Dans cette deuxième étape de la quête spirituelle de Saladin, l’amour se voit remplacé par une passion aveugle ; la noblesse cède la place à la trahison, la générosité se perd dans le conformisme. Pourtant, le dernier mot appartient au regard lucide d’une foi profonde, soutenue par la raison qui font choisir à Saladin, malgré toutes les déceptions, la conversion au christianisme. Comme le relate le narrateur dans la partie finale du roman, Saladin meurt à Babylone, mais avant de mourir, il fait venir les trois sages : juif, chrétien et païen, pour les faire disputer ensemble de leur religion et de leur foi. Après quoi, il fait apporter un bassin d’eau, fait un signe de la croix sur l’eau, prononçant des paroles mystérieuses, se verse de l’eau sur la tête et meurt. Le narrateur

18 Cf. Saladin, op. cit., p. 81 sq.

19 Ibidem, p. 81–82. Nous retrouvons une situation analogue dans Anseïs de Carthage, chanson de geste du XIIIe s.

20 Le personnage est fictif. Dans les amours prêtées à Saladin, on évoquait la femme de Philippe Auguste (qui pourtant était veuf lorsqu’il était parti pour la troisième croisade) ou bien (sans fonde- ment) Aliénor d’Aquitaine (comme épouse de Louis VII).

21 Saladin, op. cit., p. 96.

22 Ibidem, p. 156.

23 Ingeburge chassée, Philippe Auguste se remarie avec Agnès de Meran, princesse bavaroise.

Après la mort de celle-ci, il acceptera le retour de Ingeburge (cf. J. Favier, Dictionnaire de la France médiévale, Paris, Fayard, 1993, p. 750).

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résume ces gestes énigmatiques par la constatation qu’il faut supposer qu’au moment de mourir il se convertit à Notre-Seigneur Jésus-Christ, à l’issue de la controverse entre les trois clercs24.

***

Avant de conclure notre réflexion, il importe de préciser que la découverte ou la redécouverte de la religion s’effectue dans le roman de Saladin à travers la quête et, en particulier, dans la rencontre avec l’Autre. Elle se fait par les témoignages de parole et de sang, donnés par les pèlerins, par les chevaliers croisés et les femmes séjournant en Terre Sainte. La croisade devient ici l’image d’une quête spirituelle où il s’agit de redéfinir l’attitude de l’homme envers Dieu et envers la foi. Cette redéfinition passe par une double voie : d’abord, celle du renforcement d’un lien personnel avec Dieu au nom duquel on se rend à Jérusalem ; renforcement vécu dans des situations extrêmes qui deviennent une épreuve, faisant découvrir l’essentiel. En résultat de cette purification, un grand principe émerge : l’amour, sans lequel toute religion se vide et se meurt. Il est à remarquer que les croisés faisaient passer le témoignage de cet amour de Dieu. Pour ceux qu’ils ont laissés dans leurs pays et pour ceux qu’ils ont trouvés là où le soleil se lève. N’oublions pas non plus que le texte fut écrit à la cour de Bourgogne dont la grande préoccupation était celle de faire revivre l’idée de croisades, de reprendre la route vers Jérusalem.

La deuxième voie est celle d’un raisonnement logique et précis : il y va d’une rencontre harmonieuse de fides et ratio. D’autant plus originale que le personnage d’une autre confession joue dans ce raisonnement le rôle de provocateur, de contesta- teur, mais contestateur positif : celui qui veut construire, qui ne critique pas pour critiquer, mais cherche honnêtement la vérité. Ce païen est en plus étranger, ce qui le prédispose encore à poser des questions. Rappelons que, dès le XIIIe siècle, la littérature romanesque accorde aux étrangers une place privilégiée. Ils ne sont pas une menace, au contraire: on leur réserve le rôle de libérateur et de réformateur. Venant de l’extérieur, ils apportent un souffle de vie et de nouveauté.

L’étranger a le droit de s’étonner et de poser des questions. Il le fait volontiers et publiquement, en obligeant ses nouveaux compagnons à reformuler certains principes de la vie courtoise et chevaleresque. Loin des intrigues, libre de relations parfois trop pénibles, il jouit de l’autorité et de l’estime. Il enrichit la société dans laquelle il pénètre et il se laisse à son tour enrichir par elle25.

Une chose surprend dans cette quête de l’identité de la religion chrétienne qui se dessine dans le texte étudié : absence des prêtres, des évêques et des moines. Il est vrai qu’on évoque une seule fois le pape, lors du passage de Saladin par Rome26, mais ce n’est que pour insérer une critique rapide de la papauté pour laquelle, d’ailleurs, à la lumière de l’épisode en cours, le pape n’est aucunement fautif. Ce vide semble s’expliquer par l’ambiance qui règne dans le milieu de la cour bourguignonne vers la

24 Cf. Saladin, op. cit., p. 169.

25 Je développe cette question dans l’article « L’étranger dans le Tristan en prose », in ‘Contez me tout’. Mélanges de langue et de littérature médiévales offerts à Herman Braet, C. Bel, P. Dumont, F. Willaert, (réd.), Louvain/Paris/Dudley MA, Peeters, 2006, p. 191–198.

26 Cf. Saladin, op. cit., p. 79–80.

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fin du XVe s., auquel le texte était adressé, mais aussi par le phénomène de la laïcisa- tion de la littérature romanesque qui, à partir du XIVe s., se distancie de plus en plus de ses fondateurs – clercs et moines – et s’engage dans la voie qui semble préfigurer celle de « laïcité positive ».

Summary

“God for the love of whom you came across the sea”.

Religion in search of its own identity in Saladin, anonymous text from the 15th century The anonymous Story of Saladin (c. 1467), numbered among the cycle of the second crusade and created in the milieu of Philip the Good, may be perceived as a particular witness of the search for the paths of religious renewal in 15th century France. This effort takes the form of quête convention, which is a typical narration scheme of a medieval novel, which has as a theme the discovery of the Other – in this particular case it is a confrontation with another civilization and a different religion.

Streszczenie

„Bóg, dla którego miłości przemierzyłeś morze”. Religia w poszukiwaniu swojej tożsamości w piętnastowiecznej anonimowej Powieści o Saladynie

Anonimowa Powieść o Saladynie (ok. 1467), zaliczana do cyklu II wyprawy krzyżowej i po- wstała w środowisku Filipa Dobrego, może być postrzegana jako szczególny zapis poszukiwania dróg odnowy religijnej w piętnastowiecznej Francji. Wysiłek ten zostaje wpisany w konwencję quête, czyli typowy dla średniowiecznej powieści schemat narracyjny zakładający odkrywanie Innego – w tym przypadku poprzez konfrontację z odmienną cywilizacją i religią.

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