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Histoire de la révolution de 1848. T. 1

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HISTOIRE

DE LA

RÉVOLUTION DE 18 4 8

LIVRE PREMIER

1. — Les révolutions de l’esprit hum a in sont lentes comme les périodes de la vie des peuples. Elles ressemblent au phéno­

mène de la végétation qui grandit la pla nte sans que l’œil en puisse mesurer sa croissance, p e nda nt q u ’elle s’accomplit.

Dieu a proportionné, dans tous les êtres, cette période de croissance à la période de durée q u ’il leur destine. Les hommes qui doivent vivre cent ans grandissent ju squ'à vingt-cinq et même au delà. Les peuples (pii doivent vivre deux ou trois mille ans ont des révolutions de développe­

m e n t, d ’entancc, de jeunesse, de virilité, puis de vieillesse qui ne du ren t pas moins de deux ou trois cents ans. Le dif­

ficile pour le vulgaire, c’est de distin guer dans ces p h én o ­ mènes convulsifs des révolutions d’un peuple, les crises de croissance des crises de décadence, la jeunesse de la vieil­

lesse, la vie de la m ort.

Les philosophes superficiels s’y tr om pe nt eux-m êm es, ils disent : tel peuple en est à sa décadence parce que scs vieilles institutions se décomposent; il va m ourir parce q u ’il rajeunit. Ou a e n te n d u cela au com m encem ent de la révo­

lution française, au m o m e n t où la monarchie absolue p é ­ rissait. On l'avait e n te n d u à la décadence de la féodalité.

On l'avait entendu à la chute de la théocratie. On l'entend

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a u jo u rd ’hui à la chute de la monarchie constitutionnelle.

On se trom pe : la F rance est j e u n e , elle usera encore de nombreuses formes de gouvernem ent avant d'avoir usé la forte vie intellectuelle dont Dieu a doué la race française.

Il y a ce penda nt un moyen certain de ne pas se tro m p e r au caractère de ces crises, c’est de considérer quel est l’élcment qui domine dans une révolution. Si les révolutions sont le p roduit d ’un vice, d’une personnalité, des crimes ou de la g ra n d e u r isolée d ’un h o m m e , d ’une am bitio n individuelle ou nationale, d ’une rivalité de trône en tre deux dynasties, d'une soif de conquête ou de sang ou m êm e de gloire injuste dans la nation, d ’une haine su rto u t en tre les classes de ci­

to y e n s; de telles révolutions sont des préludes de décadence et des signes de décomposition et de m o rt dans une race h um ain e. Si les révolutions sont le produit d ’une idée m o ­ rale, d ’une raison, d ’une logique, d ’un se ntim e nt, d ’une as piration, fùt-elle m êm e aveugle et sourde, vers un meil­

leur ordre de gouvernem ent et de société, d ’une soif de développement et de perfectionnement dans les rapports des citoyens entre eux ou de la nation avec les autres n a ­

tions ; si elles sont un idéal élevé au lieu d’être une passion abjecte ; de telles révolutions attestent m ê m e dans leurs ca­

tastrophes et dans leurs égarements passagers une sève, une jeunesse et une vie qui p r o m e tte n t de longues et glorieuses périodes de croissance aux races. Or tel fut le caractère de la révolution française de 1781) : et tel est le caractère de la seconde révolution française de 1848.

La révolution de 18 4 8 n ’est qu ’une continuation de la prem ière avec des éléments de désordre de moins et des éléments de progrès de plus. Dans l’une et dans l’autre c’est une idée morale qui fait explosion dans le m onde. Cette idée, c’est le peuple, le peuple qui se dégage en 1789 de la servitude, de l'ignorance, du privilège, du p r é ju g é , de la monarchie absolue, le peuple qui se dégage en 18 4 8 de l’o­

ligarchie d u petit nombre et de la monarchie représentative il proportions trop étroites, l'éclosion du droit et de l’inté rèt des masses dans le gouvernem ent. Or l’idée d u peuple et l’avénem ent régulier des masses dans la p olitique, quel­

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ques difficultés que présente aux hom m es d ’Éta t u n phéno­

mène démocratique si nouveau , cette idée , d is o n s - n o u s , étant une vérité morale de toute évidence pour l’esprit comme pour le cœur du philosophe, la révolution qui porte et qui r em ue cette idée dans son sein est une révolution de vie et non une révolution de m o r t. Dieu y assiste, et le peuple en sortira grandi en d ro it, en force et en vertu. Elle pourra trébucher en route par l’ignorance des masses, par l’impatience du peuple, par les factions et par les sophismes des hommes voulani substituer leurs personnalités au peuple lu i-m ê m e, mais elle finira par écarter ces h om m es, par son­

der ces sophismes et par développer le germe de raison, de justice et de vertu que Dieu a mis dans le sang de la famille française. C’est cette seconde crise de la révolution de n otre pays à laquelle j ’ai assisté, que je vais essayer d’écrire pour être utile au peuple en lui m o n tr a n t sa propre im age à une des plus grandes heures de son h is to ire , et pour honorer no tre te m ps devant la postérité.

II. — J e dirai en peu de mots et d ’autres diro n t avec plus d’étendue et de loisir les causes de celte révolution. J e cours au récit.

La révolution de 1 7 8 9 à 1 8 0 0 avait fatigué la F ra n c e et le m onde de ses débats, de ses convulsions, de ses gran d e u rs et de ses crimes. La France par une réaction triste , mais naturelle, s’était passionnée pour le contraire de la liberté, pour le despotisme d ’un soldat de génie. J e dis génie, mais je m ’explique : j ’entends seulem ent le génie de la victoire et le génie du despotisme. Napoléon qui avait ce génie des camps était bien loin d ’avoir le génie des sociétés. S ’il l’avait e u , il aurait fait m archer la révolution en ordre sous ses aigles. Il la lit reculer et la refoula ju s q u ’au moyen âge. Il trahit son te m ps ou il ne le comprit pas. Son règne ne fut q u ’une d u re discipline imposée à u n e nation. 11 fut à la F rance ce que la fatalité est au libre arb itre , u n e d égrada­

tion adorée et su b lim e, mais une dégradation enfin. U n peuple n ’est grand que par lu i-m êm e, ja m ais par la g r a n ­ deur de celui qui l’écrase en le d om ina nt; plus Napoléon deve­

nait g r a n d , plus la liberté et la philosophie devenaient petites.

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Après la chute de Napoléon, les frères exilés de Louis XVI revin rent un peu em pre ints des idées de 1 7 8 9 et un peu m ûris à la liberté par leur long séjour en Angleterre chez u n peuple libre. Chose é to n n an te , mais vraie, ce fut la contre-révolution qui tomba du trône par la main des étra n ­ gers avec Napoléon. Ce fut la révolution de 81) qui rentra en F rance avec les vieux princes de la race proscrite des Bourbons. C’est ce qui les fit accueillir la Charte constitu­

tionnelle à la main. La France y reconnaissait les doctrines de Mirabeau et le te sta m ent de son Assemblée constituante.

Louis XVIII l’observa habilem ent et m o u ru t tranquille à l’om bre de l'idée de 8 9 . Charles X eut des réminiscences trop vives de son sa n g ; il cru t pouvoir joue r avec la Charte qui contenait tout ce cjui restait en France de la révolution.

Il vieillit et m o u r u t dans l’exil. Il y entraîn a son petit-lils p u n i dans son berceau de la vétusté d ’idées et de la légèreté d ’esprit de son aïeul.

III. — Louis-Philippe d ’Orléans fut appelé au trône com m e la révolution vivante et couronnée de 1 7 8 9 . Ce prince vit encore. Mais entre le trône et l’exil il y a aussi loin q u ’entre la vie et la m o r t. J ’en parlerai donc avec la m ê m e liberté que s’il avait cessé d ’exister. Vivant, j e ne l’ai point flatté. J e m e suis te n u respectueusem ent à distance de son règne et de ses faveurs; exilé et m o rt pour l’em pire j e ne l’offenserai pas. L’exil et la vieillesse com m andent aux cœurs des hommes plus de respect encore que la tombe. La F rance a eu le droit de le laisser tom be r du trô n e, l’histoire, selon moi n ’aura ni le droit de le h a ï r , ni le droit de le d é ­ daigner. L ’h o m m e tient une grande place par lui dans le règne, et son règne tiendra une grande place aussi dans l’histoire. Il n ’y a rien de si petit que de rapetisser ses en­

nemis. Le peuple qui aura succédé à Louis-Philippe n ’a pas besoin de ce subterfuge des rois qui avilissent toujours leurs prédécesseurs. Le peuple est assez grand pour se m esurer avec un roi détrô n é et pour laisser toute sa taille au souve­

rain qu'il a remplacé.

IV. — Louis-Philippe d ’Orléans était de race révolution­

n aire, quoique prince de sang. Son père avait tre m p é dans

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les excès les plus déplorables de la Convention. 11 s’était popularisé non dans la gloire, mais dans les im m an ités de cette époque. Les fautes d u père étaient aux yeux de la ré­

volution de 1 8 5 0 les gages du fils.

Louis-Phiüppe néanm oin s était, trop honnête et tr o p ha­

bile hom m e pour tenir à la révolution qui le proclamait roi les promesses sanglantes de son nom . La n atu re avait fait ce prince probe et modéré : l’exil et l’expérience l’avaient fait politique. La difficulté de son rôle de prince parmi les démocrates et de démocrate parmi les princes dans le com­

mencem ent de sa vie l’avait fait souple aux circonstances, patient aux événem ents, te m porisateur avec la fortune. Il semblait pressentir que la destinée lui devait un tr ône. Il jouissait en atten d a n t dans u n e vie domestique voilée, m o ­ deste et irréprochable des douceurs et des vertus de la fa­

mille. Il avait toujours une déférence pour le roi régnant et un sourire d'intelligence pour les oppositions sans les e n ­ courager néanmoins par aucune complicité crim inelle. S t u ­ dieux, réfléchi, très-éclairé sur toutes les m atières qui tou chent au régime in térieur des em pires, profondém ent versé dans l’histoire, diplomate comme Mazarin ou T a l le y r a n d , d ’une élocution facile, intarissable, qui ressemblait à l’élo­

quence autant que la conversation peut ressembler au dis­

cours, modèle des époux, exemple des pères au milieu d ’une nation qui aime à voir les m œ u rs sur le tr ô n e , doux, h u ­ m a in, pacifique, né brave, mais avec l’h orreur du sang, on peut dire que la n ature et l’art l’avaient doué de toutes les qualités qui font un roi populaire à l ’exception d ’une seule : la grandeur.

V. — Celle grandeur qui lui m a n q u a it, il la remplaçait par celte qualité secondaire que les hommes de moyenne proportion ad m iren t et que les grands hommes dédaig nent : l’habileté; il en usa et il en abusa. Quelques-uns des actes de cette habileté politique le tirent descendre de son carac­

tère ju s q u ’à des ruses qu’on aurait réprouvées chez u n p a r ­ ticulier. Qu’était-ce donc chez un roi? Tel fut le déshonneur q u ’il perm it à ses ministres de je te r sur une princesse de sa maison. La duchesse de Bcrry, sa nièce, lui disputait le

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trône ; il lui laissa enlever le voile de sa vie privée de feuime.

Si cet acte, le plus im m oral de son règ n e , f u t commis pour éviter l’effusion du sang et pour décréditer la guerre civile, il faut le pla in dre. S ’il fut toléré par ambition personnelle, il faut le flétrir.

VI. — Trois partis s’agitaient au tour de son trône : le parti républicain,à qui l’indécision timorée de Lafayetleavait laissé enlever la république en 1 8 5 0 ; le parti légitim iste, qui adorait la branche aînée des Bourbons comme un dogme et qui abhorrait la branche cadette comme une profanation de la monarchie; enfin le parti libéral et constitu tio nnel, com ­ posé de l'immense majorité de la nation. Ce parti voyait dans Louis P hilip pe la transa ction vivante entre la royauté et la rép u b liq u e, la dernière forme d ’une dynastie h éré d ita ire , le dernie r espoir de la monarchie.

Il n ’entre pas dans notre plan de raconter com m ent ce prince frappa les républicains, qui ne cessèrent de conspirer contre son r è g n e , p e n d a n t que des fanatiques tramaient contre sa vie, com m ent il annula les légitimistes, qui res­

tè re n t dix-huit ans dans une neutralité hostile à son gouver­

n e m e n t, malgré sa longanim ité à les a t t e n d r e , com m ent enfin il m anœuvra entre les différentes nuances du parti constitutionnel, en obtint tantôt une lib e r té ,ta n tô t une com­

pla isa n ce, et finit par s’entourer d ’une oligarchie é t r o i te , dévouée ou c o rro m p u e , de courtisans aveugles, de fonction­

naires publics assouplis, et d’électeurs vendus à sa fortune.

Mailre des partis dans l’in té rieu r, inoffensif ou obsé­

quieux envers l’étranger, ;i qui il sacrifiait tout pour en ob­

tenir la tolérance de sa d y n as tie , heureux dans sa famille, entourés de fils qui auraient été des citoyens ém inents s’ils n ’eussent pas été des p rin c e s , se voyant rena ître à la troi­

sième génération dans ses petits-fils qu’il apprivoisait lui- m ê m e avec complaisance au t r ô n e , ayant pour cour une famille de princesses pieuses, belles, instruites, vénérées ou a d m ir é e s , l’avenir lui apparaissait comme assuré à sa race par son étoile, et l’histoire com me conquise à son nom par le succès. Il léguait la m onarchie restaurée et rajeunie à la F ra n c e , la paix au m o n d e , trois trônes européens à sa dy-

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nasiie. Sa verte vieillesse, dont il avait économisé les forces par la chasteté de son âge m û r , était le tr i o m p h e anticipé de la sagesse sur les difficultés de la vie et sur la mobilité du destin.

VII. — Tel était Louis-Philippe au com m encem ent de l’année 18 18. Toute cette perspective était une réalité. Ses ennem is se déclaraient vaincus. Les partis ajournaient leurs espérances au jo u r de sa m ort. La réflexion s’ab îm ait dans la contemplation d ’une telle sagesse et d’une si constante fortune. Mais à cette sagesse et à cette fortune il m a n q u a it une plus large base : le peuple.

Louis-Philippe n ’avait pas compris toute la démocratie dans ses pensées. Servi par des ministres habiles et éloquents, mais hom m es de parle m ent plus q u ’hommes d É ta t, il avait rétréci la démocratie aux proportions d ’une dynastie élue, de deux chambres et de trois cent mille électeurs. Il avait laissé en dehors du droit et de l’action politique to ut le reste de la nation. Il avait fait d'u n cens d ’arg e n t le signe et le titre matérialiste de la souveraineté, au lieu de recon­

naître et de faire constater cette souveraineté par le litre divin d ’hom m e, de créature capable de d ro it, de discerne­

ment cl de volonté. En u n m o t, ses m inistres imprévoyants et lui avaient mis leur foi dans une oligarchie au lieu de la fonder sur l’unanim ité. 11 n ’y avait plus d ’esclaves, mais il y avait un peuple entier condam né à se voir gouverné par une poignée de dignitaires élecloraux; ces électeurs seuls étaient des hommes légaux. Les masses n’étaient que des masses portant le gouvernem ent sans y participer. Un tel gouvernement ne pouvait m a n q u e r de devenir égoïste, de telles masses ne pouvaient m a n q u er de devenir désaffcc- tionnées.

D’autres grandes fautes produites par l’enivrem ent n a ­ turel d ’un esprit à qui to ut réussit avaient contribué à aliéner insensiblement ces masses de la royauté. Le peuple n ’a pas la science, mais il a le sentim ent confus de la poli­

tique. Il s’était p ro m p te m e n t aperçu que la nation était sacrifiée aux intérêts d ’affermissement et d ’agrandisse ment de la dynastie dans nos rapports avec l’é tra n g e r, que Louis-

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Philippe humiliait la paix, que sou alliance à tout prix avec Londres lui donnait quelquefois en Europe l’a ttitu d e d'un vice-roi de l’A ngleterre sur le co n tin en t, que les traités de 181 S, réaction n atu re lle , mais m o m entanée, des con­

quêtes injustes de l’em pire deviendraient avec sa dynastie l’état régulier et définitif du continent pour la F ra nce , que l 'A n g le t e r r e , la R u s s ie , l’A u t r i c h e , la Prusse prenant d ’année en année des dimensions immenses sur les m ers, en O rient, en Pologne, en Italie, en Allemagne, sur le bas Danube, au delà du Caucase et du côté de la T u rq u ie , la France à qui il était in te rdit de grandir en m arine, en te r­

ritoire, en influence, baissait à proportion dans la famille des peuples et se trouvait insensiblement et comparative­

m e n t réduite à l’état de puissance secondaire. L’opinion sourde ou articulée de ces masses reprochait aussi au règne de Louis-Philippc de tr ahir la révolution au dedans en r e ­ prenant u n e à une les traditions de la monarchie de droit divin, au lieu de se conformer à l’esprit dém ocratique de la

m onarchie élective de 1 8 5 0 .

V II I.— U ne oligarchie parlementaire semblait être l’idéal accompli de ce prince formé à l’école du gouvernement bri­

ta nnique. Cette oligarchie m êm e était trom pée dans le mécanisme du gouvernem ent. Une cham bre des pairs sans puissance propre et sans indépendance par l’absence d ’héré­

dité n ’était que l’ombre d ’u n sénat dont le roi pouvait à chaque instant dom in er ou modifier la majorité en créant, à volonté, de nouveaux sénateurs. Une chambre de députés pleine de fonctionnaires publics nom m és ou destitués par les min istres ne renvoyait au roi q u ’une opinion publique à son image. La corruption avouée était devenue u n pouvoir de l’État. Enfin la paix qui avait été jusque-là le bienfait et la vertu de ce règne venait d ’être tout à coup compromise p a r l e mariage am bitieux et impolitique d'u n fils du roi, le duc de Montp ensier, avec une héritière éventuelle de la cou­

ronne d ’Espagne.

Cette alliance rom pait pour un intérêt p u re m e n t dynas­

tique l’alliance avec l’A ngleterre que la nation supportait m p a t i e m m e n t , mais enfin q u ’elle supportait d a n s u n grand

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in térêt d ’h u m a n ité , de liberté des m e rs , de com merce et d’industrie. En voyant tout à coup cette alliance je té e au vent pour un agrandissement de fa m ille , la F rance crut reconnaître q u ’il n ’y avait de sincère que l’am bitio n dans les condescendances témoignées ju sque-là par son roi envers l’Angleterre; qu ’à la première occasion 011 se jo uerait de son sang, de ses industries, de son com m erce, de sa m a rine pour établir à Madrid u n prince de la famille d ’Orléans;

que le système de paix lui-même n ’était q u ’une hypocrisie de gouvernement et une forme de l'égoïsm e dynastique.

IX. — De ce jo u r le roi dépopularisé dans le parti r é p u ­ blicain par son trô n e, dépopularisé dans le parti légitim iste par son usurpation, fut dépopularisé dans le parti pacifique et gouvernemental par la guerre que le mariage espagnol suspendait sur la France. Il ne resta au roi q u ’un m in istère éloquent dans le p a r l e m e n t , agréable à la c o u r , et deux fortes majorités dans les deux chambres. Le roi se croyait invincible avec ce personnel du pouvoir dans les m ains, mais il ne tenait que le mécanisme et pour ainsi dire le vêtement du pays. La nation n ’y était plus. L’opinion lui avait échappé.

Les hommes politiques de l’opposition attachés au système monarchiq ue, mais adversaires im patients d u m inistère, se consumaient depuis sept ans dans des luttes acerbes de tr i­

bune pour reconquérir le pouvoir.

M. Thiers en était l’à m e, l’intelligence et la parole. La n atu re l’avait formé pour ie rôle d ’agitateur inte stin d’une assemblée plutôt que pour celui de tribun d 'u n e nation. Il y avait plus en lui du Fox et d u P itt que du Mirabeau. Ses discours qui avaient tant servi à consolider la monarchie de juillet p e nda nt les premières années de faiblesse servaient m a inte nant à la déraciner de l’estime et du cœur de la n a ­ tion. Le parti républicain trop peu nom breux dans la chambre pour s’y faire écouter, applaudissait avec complai­

sance aux m ordantes et spirituelles attaques dirigées par cet orateur contre la couronne. Ces agressions et ces audaces de critique personnelle semblaient acquérir une autorité d'opposition plus ruin euse en e m p ru n t a n t la parole d ’un ancien ministre et d ’un ancien ami de la royauté. L’oppo-

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sition prenait dans la bouche d ’u n adorateur du trône quelque chose du caractère d u sacrilège.

X . — L’opposition constante, m odérée, toujours libérale, jamais personnelle de M. Odilon Barrol fortifiait de jour en jo u r dans le pays le s e n tim e n t honnête et mâle de la liberté sans dégrader autant ia considération et l'autorité d u trône.

Les légitimistes etfaçant leur principe et se b o r n a n t à une gu erre de désaffection et de d énigrem ent obstinée, avaient dans M. Berryer u n de ces orateurs à grande voix que la Providence réserve com me une consolation aux grandes causes vaincues. M. G uizot,écrivain, orateur et philosophe, était l’hom m e d ’Etal de ia m onarchie stalionnaire. Son ca­

ractère, son esprit, sou ta le n t, ses erreurs, ses sophismes m ê m e avaient des pro portions antiques.

Tous ces hom m es vivent à côté de nous, les uns encore dans l’action, les autres à l’écart et dans l’exil. Il serait té­

m éraire ou lâche de les ju g e r. Le te m ps ne les a pas mis au point de vue de l’impartialité et de la distance. La vérité n ’est que dans le lointain. Ou risquerait en les caractérisant au jo u rd ’hui 011 de m anquer de respect à leur caractère ou de m a n q u e r d ’égards à leur éloignement. Il suffit en ce m o ­ m e n t de les n o m m e r.

XI. — La nation était calme à la surface, inquiète au fond. Il y avait comme un rem ords dans sa prospérité qui l’em pêchait d ’en jo u ir en paix. Elle sentait qu’on lui déro­

bait une à une p e n d a n t son sommeil toutes les vérités philo­

sophiques d e là révolution de 8 9 , q u ’on la matérialisait pour lui ôter le souvenir et la passion des progrès m oraux et p o ­ pulaires qui lui avaient fait rem ue r le m onde cinquante ans auparavant. Son bonheur semblait le prix d ’une apostasie.

D’un au tre côté, elle se sentait humiliée et menacée dans sou existence nationale par une politique qui la subor­

donnait trop à l’Europe. Elle 11’aspirait point à la guerre, mais elle voulait sa liberté d ’action, d ’alliance, de principe, et d ’influence propre dans le m onde. Elle m anquait d ’air extérieur. Elle se sentait trahie non de fait, mais d ’esprit par la nouvelle dynastie qu elle s’était imposée en 1830. Le roi était trop père et pas assez peuple.

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Le jo urnalism e, ce sym ptôm e q uotidien de l’état du pays, exprimait presque un an im em en t ce malaise de l’opinion.

Le journalisme est la tr ib u n e universelle. Des hom m es d ’un talent fort, im m ense , varié, y parlaient avec une verve in­

tarissable et une audace contenue au public. Les lois n ’a r­

rête nt que les m ots , elles n ’a rrê te n t pas l’esprit des oppo­

sitions et des factions. Des écrivains de haute doctrine <1 de polémique transcendante avaient illustré le journalism e depuis André Chénier, Camille Desm oulins, Mirabeau, Do­

nald, Benjamin C onstant, m a d a m e d e S ta ë l,C h a te a u b r ia n d , Thiers, Carrel, Guizot, ju s q u ’aux puhlicistes actuels : les Bertin , les Sacy, les G irardin, les Marrast, les Chambolle, et une élite d ’écrivains, de penseurs, de publicistes, d’éco­

nomistes, de socialistes, génération politique nouvelle égale au moins par le ta lent, supérieure par la diversité à la géné­

ration du journalisme de la première période; ils se dispu­

taient l’em pire des esprits.

Le J o u r n a l des D éb a ts, qui soutient les gouvernem ents to ur à tour comme étant l’expression nécessaire des intérêts les plus essentiels et les plus perm a nents de la société, se m ­ blait rédigé p ar des hom m es m ûris dans le pouvoir. Il avait la gravité, l’élévation, le sarcasme dédaig neux, et q u elque­

fois aussi la provocation poignante de la force. Il semblait régner avec la monarchie elle-même et se souvenir de l’em ­ pire. Les noms de tous les grands écrivains officiels qui concouraient ou qui avaient concouru depuis M. de F o n - tanes ju s q u ’à M. Villemain à sa rédaction lui d onnaient un prestige de supériorité sur la presse périodique plus je une d’années et de passion. L’am pleur et l’impartialité de ses débats parlementaires, ses correspondances avec l’é tra n g e r, la sûreté et l'universalité de ses informations en faisaient le manuel de toutes les cours et de to ute la diplomatie de l’Europe. C’était la note quotidienne du cabinet des Tuile­

ries. Les sciences, la haute littérature , la philosophie, le théâtre, les a rts, la critique s’y trouvaient analysés, rep r o ­ du its , vivifiés dans ses feuilletons où la g ra v il é u ’était jamais lourde, où la futilité m ê m e était relevée par la saillie d ’A­

ristophane ou de S tern e. Il aura été donné à peu de feuil­

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les légères de se continuer elles-mêmes pendant, plus de cinquante ans et de faire pour ainsi dire partie de l’histoire de France.

L e C o n stitu tio n n e l et le C ourrier fra n ç a is avaient eu une grande p a r t à la lutte de l'opinion libérale contre la restauration. Ils avaient popularisé la philosophie du dix- huitièm e siècle dans les masses. Sous la branche c a d e t t e , ils ne com battaient plus la dynastie, ils n ’attaquaie nt que les m inistres et la majorité des Chambres.

Le journal la P re sse , fondé plus r é c em m e n t, avait envahi en peu d ’années u n im m ense espace d ’opinion. C'était l’é­

clectisme appliqué au te m p s , le libéralisme sans ses p réju­

gés révolutionnaires, la m onarchie constitutionnelle moins sa servilité ministérielle. Un hom m e au style aventureux com m e son esprit osait tout ce q u ’il pensait dans ce jo urnal.

T a n tô t so u te n an t, ta n tô t sapant, mais toujours seul. Ses a u ­ daces étonnaient d ’a bord, puis subjuguaient l’opinion. Même en les réprouvant le public s’intéressait à sa hardiesse de plum e . Une femme déjà illustrée par la poésie, ajoutait sa grâce à cette force. Ses lettres sur la politique, les m œ urs, les modes paraissaient toutes les semaines au bas du jo u r ­ nal signées d’un nom de convention. T oute la France était dans le secret. On lisait à travers ce pseudonym e un nom déjà célèbre. Ce nom ne faisait que changer de prestige en se vulgarisant par l’atticisme, l’éloquence et le bon sens.

Le S iè cle moins relevé de ton et d’idées que ces deux jo u r n a u x s’élait créé un im m ense auditoire parmi le public affairé des trafiquants des villes et des campagnes. Il passait pour s’inspirer de la pensée des orateurs de la gauche d y ­ nastique. La droiture et l’im partialité étaient ses deux moyens de succès. Il faisait plus de bien que de bruit. Il popularisait l’esprit, et non les formes de la république. Il com mençait l'éducation de celle classe laborieuse du pays, qui a besoin d ’une m onnaie d ’idées toute frappée et d’une valeur moyenne pour ses échanges quotidiens. M. Cbain- bolle lui donnait l’e m p re in te de l’honnête hom m e persévé­

r a n t et courageux dans sa modération. L,e S iè c le entre ses mains était la saine dém ocratie de l’opinion. C’était plus

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qu ’un j o u r n a l , c’était le catéchisme de la Constitution.

La Gazette de F rance représentait moins un parti q u ’un hom me. M. de G e n o u d e , esprit h la fois souple et im p é­

rieux, se pliait au temps dans l’illusion de plier ensuite le temps à sa propre pensée. Né au m onde politique avec la restauration , prêtre et citoyen , élève et ami des B o n a ld , des L a m e n n a is , des Chateaubriand , des Villèle , il s’était attaché à la légitimité du pouvoir héréditaire comme à un dogme de sa conscience. Les États pour lui n ’étaient que des familles. Il se trom pait. Les États sont des peuples , et ces peuples une fois leur enfance traversée, ne sont con­

damnés q u ’à la tutelle de la morale et de la raison. La fa­

m il le , c’est l’h u m a n i t é ; le p è r e , ce n ’est pas le r o i , c’est Dieu.

S eule m ent M. de Genoude et son école accommodaient avec un persévérant artifice ce dogme à l’esprit du temps.

Sa légitimité était plus libérale que la république. T o u t ce que l’activité de l’h o m m e , les ressources du pu b lic iste , l’adresse de l’esprit, le courage du citoyen peuvent déployer de fécondité et de tactique pour un système, M. de Genoude le multipliait dans son journal. Il sapait tous les ministères;

il restait isolé dans son dogme et dans son individualité. 11 était l’opposition de droit divin à tous les essais hum ains de gouvernement hors de son principe. Il applaudissait à chaque chute; il prophétisait chaque ruin e. Il avait l'infaillibilité de la menace contre tous et contre tout. Beaucoup d ’esprits mécontents parmi ceux que le te m ps laisse en arrière se complaisaient dans cette accusation perpétu elle d ’impuis­

sance et dans ce déti adressé aux hommes de la dynastie.

Les oppositions les plu s contraires se p rête n t des armes contre l’ennemi co m m u n . Les légitimistes en prêta ient aux républicains ; les républicains aux légitimistes. M. de Ge­

noude n ’était plus u n h o m m e , c c t a i l u n système. La Ga­

zette de F rance était plus q u ’un jo u r n a l, c’était l’anathèm e de la dynastie.

X II I .— L e N a tio n a l était le journal de l’opinion républi­

caine, la pierre d’a tte n te de la future révolution. Toutefois, la république n ’étan t encore pour les masses q u 'u n près-

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se n tim e n t lo in t a in , ce jo u rn al n ’avait pas une immense clientelle dans le pays. On le lisait avec une certaine curio­

sité d’esprit qui veut co nnaître ce que lui réservent les éventualités m ê m e les moins probables de l’avenir. C’était la satire prophétique plus que la philosophie du parti répu­

blicain. Ce jo u rn al se tenait dans des limites indécises i n t r e l’acceptation du gouvernem ent m onarchique et la profession de foi de la république. Quelquefois il semblait s’en ten d re trop in tim em ent avec l’opposition p u r e m e n t dy­

nastique. Il m a nquait peu d ’occasions de favoriser dans l’opinion les tactiques, les vues et la politique de M. Thiers.

On le soupçonnait d ’un concert occulte avec ce m in istre en expectative de la dynastie, ou to u t au moins dccomplaisance d ’esprit envers ce p arti.

M. Marrast le rédigeait; c’était le C am ille D esm o u lin s sérieux et m odé ré de la futu re république. Jamais la faci­

lité, la souplesse, l’im prévu, la couleur, l’image méridio­

nale, la saillie gauloise ou attique ne décorèrent de plus d ’o rn em e n ts artificiels le poignard d ’une polémique dans la m ain d ’un Aristophane insouciant. Son esprit était l'éclair in a tte ndu qui brille et menace à la fois en sc jo u a n t en lo­

sanges de feu à tous les points de l'horizon ; si capricieux et si habile q u ’il amusait en les éblouissant ceux-là même q u ’il allait frapper. Mais le génie de ce style était la malice et non la haine. Ja m ais une image sanglante, jamais un sou­

venir néfaste, ja m ais une provocation funèbre n ’attristaient ses pages. On sentait sous ce talent un esprit plein d ’im par­

tialité, peut-être m êm e de scepticisme. La volupté de l’artiste politique au lieu du sombre fanatisme du sectaire, l’hor­

re u r d u vulgaire, le dégoût du jacobinism e, l’etfroi des pro­

scriptions, le goût des lettres, de l'éloquence, de la tolé­

rance, de la gloire dans la liberté, était l’idéal républicain de M. Marrast. Sa révolution était le jeu d ’esprit d ’un hom m e d’imagination et d’un cœur bienveillant de femme.

U n au tre journal p ren a it depuis quelque te m ps dans l’o­

pinion une place étroite, mais menaçante en face du N a tio ­ nal. C’était la D éform e. Ce journal représe ntait la gauche extrêm e, la république incorruptible, la révolution démo-

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eratique à tout prix. Il passait pour personnifier les inspi­

rations politiques de M. Ledru-Rollin cl de trois ou q uatre députés im portants de la Chambre. C’était la tradition de la Convention renouée cinquante ans après les combats et les vengeances de la Convention, la Montagne avec ses foudres et ses fureurs au m ilieu d ’un te m ps de paix et de sérénité, les accents de Danton dans une académie politiq ue, une terreur de fantaisie, une colère systém atique, un jacobinisme exhumé de l’àme des m orts de 1 7 9 4 , u n contre-sens à la république futu re en voulant la refaire dans des circon­

stances toutes différentes à l’image de la prem ière r é p u ­ blique.

L a R éform e pour rem ue r plus profondém ent le peuple et pour recrute r tous les hom m es d ’action à la jo u rn ée de la république touchait quelquefois à ce q u ’on n o m m e le so­

cialism e., c’est-à-dire que sans adhérer à aucune de ces sectes radicalement subversives et rénovatrices de la société, telles que le S a in t- S im o n is m e , le F o u r ié r is m e , l’org a n i­

sa tio n du tra v a il ou le co m m u n ism e, la R éfo rm e je tait l’anathème à l’ordre social existant, elle laissait entrevoir dans la révolution politique une révolution d u p ro létariat, du travail et de la propriété.

Mais plus habitu ellem ent ce journal rép u d ia n t les chi­

mères bornait son opposition politique aux attaques directes et mortelles contre la royauté.

Il était rédigé habituellem ent par M. F lo con, m ain in tr é ­ pide, esprit ferme, caractère loyal m ê m e dans la guerre d'opinion faite à ses ennemis. M. Flocon était un de ces républicains de la p rem ière race qui avaient pétrifié leur foi dans les sociétés secrètes, dans les conjurations et dans les cachots. Froid d’extérieur, r u d e de physionomie et de lan­

gage, quoique lin de sourire, simple et sobre d ’expression, il y avait dans sa personne, dans sa volonté et dans son style quelque chose de la rusticité ro m ain e, mais sous cette écorce un cœur incapable de fléchir devant la p e u r , toujo urs prêt à fléchir devant la pitié. Il avait de plus une qualité gouvermentale , bien rare chez les hom m es nourris dans les habitudes d ’opposition. Il savait ce qu ’il voulait. Il le

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voulait à tout prix, il le voulait ju sq u ’au b u t , niais il ne voulait pas au delà. En u n m o t , il savait s’arrêter à ce qui lui semblait j u s t e , possible, raisonnable et il savait se re­

to u rn er pour défendre sa limite d ’idée contre ses propres amis. C’est-à-dire que sous le conspirateur il y avait dans M. Flocon l’hom m e d ’action.

X II I . — Une sorte de coalition tacite entre tous les partis représentés par ces jo u rn au x ainsi que par d ’autres ém in ents organes des opinions plus nuancées, tels que le C ourrier fr a n ­ ç a is, la D ém ocratie p a cifiq u e, le Com m erce s’était formée contre le m in istère de M. Guizot. On avait à la fin de la ses­

sion de 18 4 7 concerté ensemble un plan d ’agitation géné­

rale de Paris cl des départem ents sous la forme de banquets politiques. L’initiative de cette agitation avait été prise par l’opposition dynastique, comme si l’im patience eût été dans ces hom m es rapprochés et ambitieux du pouvoir une pas­

sion plus âpre et plus aveugle que la logique m êm e des ré­

publicains.

M. Tliiers cependant ne semblait pas tre m p e r de sa per­

sonne dans cette agitation. Peut-être sa prescience d 'hom m e d ’Éta t et d’historien lui en découvrait-elle de loin les dan­

g ers? P eut-être aussi sa situation de ministre en perspective après le triom phe de scs amis lui commandait-elle une ré­

serve qu'il osa courageusement m a inte nir contre son propre parti.

M. Duvergier de Ila u r a n n e , ancien ami de M. Guizot, nouvel ami de M. T h ic rs, passionne dans les luttes, désin­

téressé après les victoires, n ature é m in e m m e n t p arlem en­

ta ire, plus fier de rem ue r que de régne r, sans autre soif que celle de l’influence, patriote vrai et courageux, sobre de gloire, probe d ’am b itio n , entraîna les amis de M. Thicrs, ceux de M. Iîarrot et M. Barrot lui-même dans ce mouve­

m e n t. Le m o t d ’ordre était la réforme électorale.

XIV. — Le parti du N a tio n a l et celui de la D éform e a p erçurent avec la clairvoyance delà passion la portée de cette mesure des b an q u e ts, m esure désespérée et révolutionnaire adoptée par l’opposition dynastique. Les républicains trop faibles de nom bre et trop suspects à l’opinion pour oser et

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pour agir seuls allaient avoir pour auxiliaires les amis m êm es île la dynastie, les fondateurs d u trône d e Ju ille t, les auteurs des lois répressives, et la moitié au moins de la garde n a ­ tionale et des électeurs. Une fois le pays en m o u v e m e n t,o ù s’arrêterait-il? Serait-ce à un simple changem ent de m in is ­ tè re ? Serait-ce à une insignifiante adjonction d ’électeurs privilégiés aux deux cent mille électeurs qui exprim aient à eux seuls la souveraineté du peuple? Serait-ce à une abdi­

cation du r o i? Serait-ce à u n e régence de femme ou de prince pendant la m in orité d’un e n f a n t? Peu leur im p o r ­ tait. Toutes ces éventualités devaient profiter à leur cause.

Ils se hâtèrent île souscrire au ban q u e t de Paris. Les hommes de l’opposition dynastique n ’osèrent pas repousser les républicains. Ilsauraicnt repoussé en eux tout le n o m b r e , tout le b ru it, to ute la tu rb u le n ce, to ute la menace de leurs démonstrations. Le peuple s’en serait désintéressé en n ’y voyant pas ses amis et ses tr ibuns. La cause était com m une en apparence. Le cri était le m êm e cri : Vive la Réforme.

Une coalition un peu punique s’était accomplie en 18 3 9 par les oppositions an tip ath iq u es dans la Cham bre et dans la presse entre M. Guizot et M. T h i e r s , M. Barrot et M. Berryer, M. Dufaure et M. Garnier-Pagès, les républi­

cains et les royalistes. Celte coalition avait fait violence au roi constitutionnel, porté M. T h ie rs au pouvoir, eontristé l’opposition sincère, perdu nos affaires extérieures en 1 8 4 0 et démoralisé le gouvernement représentatif. Les mêmes partis, à l’exception de M. Berryer et de M. D ufaure, firent la même faute contre le m in istère de M. Guizot en 1 8 4 8 . Us s’unirent pour renverser sans pouvoir s’unir pour recon­

struire. Les coalitions de cette n a tu re ne peuvent logique­

m e n t enfanter que des ruines. C’est leur impuissance pour le bien qui en fait l’immoralité. Les révolutions peuvent seules en profiter. Elles en profitent loyalement. La r é p u ­ blique est l’œuvre involontaire de la coalition parlem entaire de 1 8 4 0 et de la coalition d ’agitation de 1 8 4 8 . M. Guizot et M. Thiers en faisant la prem ière, MM. Duvergier de Haurannc et Barrot et leurs amis eu faisant la seconde, furent sans le savoir les vrais auteurs de la république

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Le banquet de Paris fut le signal d'une série de banque!»

d ’opposition dans les principales villes d u royaume. Dans quelques uns les républicains et les agitateurs dynastiques furent réunis et couvrirent de paroles élastiques et vagues les incompatibilités de leur programme. Dans quelques au tres comme à Lille, à Dijon, à Ciblions, a A u tu n , ils se séparèrent franchement. M. Odilon Barrot et ses amis, M. Lcdru-Rollin ci les siens refusèrent de se prêter à un concert hypocrite, ils m archèrent chacun à son b u t , l’un la réforme modérée cl m onarchique de la loi électorale, l’autre la réforme radicale du gouvernem ent, c’est-à-dire à la rép u ­ blique.

Cette scission se caractérisa d’abord au b a nque t de Lille.

M. Barrot refusa d ’y siéger si l’on ne donnait pas le signe d ’adhésion constitutionnelle à la monarchie par un toast au roi. Celte décision se caractérisa davantage à Dijon et à Châ- lons. M. Flocon et, M. Ledru-Rollin firent là des discours précurseurs d ’une révolution déjà accomplie dans l’esprit de lem s partisans.

Quelques hom m es de l’opposition p a r le m e n t a ir e , de nuances isolées, tels que MM. Tliiers, Dufaure, Lam artine, s’abstinrent avec scrupule de para ître à ces banquets. Ces démonstrations confuses et turbule ntes leur p aru ren t sans doute ou ne pas atteindre ou dépasser les bornes de leur opposition, ils craignirent de s’associer par leur présence ceux-ci à une révolution, celui-là à i;ne opposition ambi­

tieuse et p u r e m e n t ministérielle, fis se renferm èrent ainsi que beaucoup d ’autres mem bres de la Chambre dans leur conscience et dans leur individualité.

XV. — C ependant u n autre b a n q u e t eut un grand r e ­ tentissement. en F rance à la même époque. Ce fut le ban­

q uet offert à M. de Lam artine à son reto ur de la Chambre p ar ses compat riotes de Màcon. L’objet de ce banquet n ’était pas politique. M, de Lam artine avait refusé d ’assister aux banque ts réformistes selon lui mal définis et trop peu p r é ­ cisés dans leur objet. Adversaire de la coalition p arlem en­

taire de 1858 à 1 8 4 0 , il ne pouvait, sans se d ém entir lui- m ê m e , s’associer à la coalition parlementaire et agitatrice

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do 1847. i l marchait seul à un b u t déterm iné dans son es­

prit. 11 n ’était pas dans sa n a t u re de se je te r dans une mêlée d’opposition sans pro g ra m m e co m m u n , pour m archer avec ses adversaires vers l’inconnu. 11 avait exprimé franchem ent cette réserve dans des articles d u B ie n p u b lic de Màcon, petit journal à grands échos, répercuté alors par to ute la presse de Paris et des départem ents.

Le banquet de Màcon avait pour objet de féliciter M. de Lam artine fraternellem ent aimé de ses concitoyens, sur le succès de l'H isto ire des G iro n d in s, livre que M. de Lam ar­

tine venait de publier récemment.

Le livre avait été beaucoup lu , non-seulem ent en France mais dans toute l'Europe. En Allemagne, en Italie, en Es­

pagne, les éditions et les traductions de Y H istoire des G i­

ro n d in s se multipliaient comme l’alim ent quotidien des âmes. Il remuait les cœ urs, il faisait penser les esprits, il reportait les imaginations vers cette grande époque et vers ces grands principes que le dix-huitième siècle, riche de pres­

sentiments et chargé d ’avenir, avait voulu léguer en m o u ran t à la terre pour la délivrer des préjugés et des tyrannies. 11 lavait le sang crim inellement versé par la colère, par l’a m ­ bition ou par la lâcheté des acteurs d u d ram e de la r é p u ­ blique. Il ne flattait rien dans la démagogie, il n ’excusait rien dans les bourreaux, il plaignait to u t dans les victimes.

Mais sa pitié pour les vaincus ne l’aveuglait pas. Il plaignait les hom m es, il pleurait les femmes, il adorait la philosophie et la liberté. La vapeur du sang des échafauds ne lui voilait pas les saintes vérités qui se levaient sur l’avenir derrière cette fumée de l’exécrable holocauste. Il balayait courageu­

sement ce nuage,il suppliciait historiq uem ent les m e u rtrie rs , il restituait son droit et son innocence à l’idée nouvelle pure des crimes de ses sectateurs, il la vengeait du crim e qui l’avait souillée eu p réte n d an t la servir. Il renvoyait l'op­

probre aux dém agogues, la gloire à la révolution.

X V f.— En réponse à un discours du m a ir e d e M â c o n ,M .R o ­ land, je une hom m e qui osa com pro m ettre sa m a gistrature par confesser son opinion et son amitié politique, M. de Lam ar­

tine saisit l’occasion de révéler une fois de plus sa pensée à

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son pays. Il parla en hom m e dévoué d ’intelligence et de cœur à la cause de la liberté de l’esprit h u m a in et des p ro ­ grès de la dém ocratie organisée.

« Concitoyens et amis, dit-il,

» Avant de répondre à l’impatience que vous voulez bien t é m o i g n e r , laissez-moi vous remercier d’abord de la pa­

tience et de la constance qui vous ont fait résister, im per­

turbables et d e bout, aux intempéries de l'orage, au feu des éclairs, aux coups de la foudre, sous ce toit croulant et sous ces te ntes déchirées. Vous avez m ontré que vous êtes vrai­

m e n t les enlanls de ces Gaulois qui s’écriaient dans des cir­

constances plus sérieuses : Que si la voûte du ciel venait à s’écrouler, ils la soutiendraient sur le fer de leurs lances !

» Mais, Messieurs, allons to u t de suite au fond de celte dém onstration. Mon livre avait besoin d'une conclusion et c’est vous qui la faites ! .. . La conclusion, c’est que la F rance sent tout à coup le besoin d ’éludier l’esprit de sa révolu­

tio n , de se retrem p er dans ses principes épurés, séparés des excès qui les a ltérère n t, du sang qui les souilla et de puiser dans son passé les leçons de son présent et de son avenir.

» Oui, rechercher après un demi-siècle, sous la cendre encore chaude des événem ents, sous la poussière encore ém u e des m o r ts , l’étincelle prim itive, e t, je l’espère, im ­ m orte lle, qui alluma dans l’âme d ’un grand peuple cette ardente flamme dont le m onde entier fut éclairé, puis em ­ brasé, puis en partie c o n s u m é ; rallum er, dis-je, celte flamme trop éteinte dans le cœur des générations qui nous suivent, la n o u r rir , de peur q u ’elle ne s’assoupisse pour j a ­ m ais, et ne laisse u n e seconde fois la France et l'Europe dans l’obscurité des âges de ténèbres ; la surveiller et la purifier aussi, de p e u r que sa lueur ne dégénère par sa com­

pression m ê m e en explosion, en incendie et en ruine ; voila la pensée du livre ! voilà la pensée du tem ps! Me dém en ­ tirez-vous si je dis : Et voilà votre pensée ! (Non ! non) !

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» Je ine suis d it dès l’àgc de raison politiq ue, c’est-à-dire dès l'àge où nous nous faisons à nous-mêmes nos opinions après avoir balbutié, en enfants, les opinions ou les préjugés de nos nourrices : Qu’cst-ce donc que la révolution fran­

çaise?

» La révolution française est-elle, comme le disent les adorateurs du passé, une grande sédition du peuple qui s’a ­ gite pour rien , et qui brise dans ses convulsions insensées, son église, sa m o n a rc h ie , scs castes, ses in stitutions, sa na­

tionalité et déchire la carte même de l’E u ro p e ? Non ! la r é ­ volution n ’a pas été une misérable sédition de la France ; car une sédition s’apaise comme elle se soulève, et ne laisse après elle que des ruines et des cadavres. La révolution a laissé des échafauds et des ruines, il est vrai, c’est son r e ­ mords et son m a lh eu r, mais elle a laissé une doctrine ; elle a laissé un esprit qui durera et qui se p erpétuera a u ta n t que vivra la raison humain e.

» Le prem ier dogme de la révolution bienfaisante que cette philosophie voulait faire prévaloir dans le m o n d e , c’est la paix ! l’extinction des haines de peuple à p eu p le, la fraternité entre les n a lious; nous y marchons! nous avons la paix ! je ne suis pas de ceux qui reje tte nt aux gouverne­

ments q u ’ils accusent ju sq u ’à leurs bienfaits. La paix sera dans l’avenir, selon moi, la glorieuse am nistie de ce gou­

vernement contre ses autres erreurs. Historien ou d é p u t é , homme ou philosophe, je soutiendrai toujours la paix avec le gouvernement ou contre lu i, et vous pensez comme moi.

La guerre n’est qu ’un m e u r t r e en masse, le m e u rtre en masse n ’est pas un progrès ! (Longs applaudissements.)

« Ah! si nous continuons encore quelques années à aban­

donner, par notre propre inconstance, tout le te rrain gagné par la pensée française, prenons garde ! Ce ne sont pas seulement tous les progrès, toutes les lumières, to ute s les conquêtes de l’esprit m o d e rn e ; ce n ’est pas se ulem ent notre

I. •!

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n o m , noire h o n n e u r, noire rang intellectuel, notre in ­ fluence d ’initiative sur les nalions q u ’il nous faudra déser­

te r , laisser lionleusement derrière nous! c’est la mémoire et le sang de ces milliers d'hom m es, com battants ou vic­

times qui sont m orts pour nous assurer ces conquêtes ! Les peuplades sauvages d ’Amérique disent aux envahisseurs européens qui viennent les chasser de leur sol : <• Si vous voulez que nous vous cédions la place, laissez-nous du moins em porter les os de nos pères ! » Les os de nos pères-à nous, ce sont les vérités, les lumières qu ’ils ont conquises au m o n d e et q u ’une réaction d ’opinions toujours croissante, mais qui doit s’arrêter enfin, voudrait nous co ntrain dre à répudier !

» Mais encore u n e fois y p arviendra-t-on? Voyons! L ’his­

toire a ppre nd to u t, m êm e l’avenir. L’expérience est la seule prophétie des sages!

» El d ’abord, ne nous effrayons pas trop des réactions.

C ’e s t la m a rc he, c’est le flux et le reflux de l’esprit humain.

Souffrez une image em p ru n tée à ces in stru m e n ts de guerre que beaucoup d ’entre vous ont maniés sur terre ou sur m er dans les combats de la liberté. Quand les pièces de canon ont fait explosion et vomi leur charge sur nos champs de bataille, elles éprouvent par le contre-coup même de leur détonation un m ouve m ent qui les fait rouler en arrière.

C’est ce que les artilleurs appellent le recul du canon. Eh bien! les réactions en politique ne sont pas autre chose que ce refoulement du canon en artillerie. Les réactions, c’est le recul des idées ! Il semble que la raison hu m a in e, comme épouvantée elle-même des vérités nouvelles que les révolu­

tions laites en son nom viennent de lancer dans le m onde, s’effraie de sa propre audace, se rejette eu arrière et se r e ­ tire lâchem ent de tout le te rrain q u ’elle a gagné. Mais cela n ’a q u ’un j o u r , Messieurs ! d ’autres mains reviennent char­

ger cette artillerie pacifique de la pensée h u m a in e, et de nouvelles explosions, non de boulets mais de lumières, ren d e n t leur em pire aux vérités qui paraissaient abandon­

nées ou vaincues.

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>• Ainsi, uc nous occupons pas beaucoup de la durée de ces réactions, et voyons ce qui se passera quand elles au ro n t achevé leur mouvement irrégulier en arrière. Le voici selon moi :

Si la r o y a u té , monarchique de n o m , dém ocratique de fait adoptée par la France en 1 8 5 0 , com pre nd qu ’elle n ’est que la souveraineté du peuple assise au-dessus des orages électifs, et couronnée sur une tète pour représenter au som­

met de la chose publique l’unité el la perpétu ité d u pouvoir national ; si la royauté m o d e r n e , délégation du peuple, si différente de la royauté ancienne , propriété du t r ô n e , se considère comme une m agistrature décorée d ’un titre qui a changé de signification dans la langue des h o m m e s ; si elle se borne à être un régulateur respecté du mécanisme du g o u v e rn e m e n t, m a rq u a n t et m odé ra nt les m ouvem ents de la volonté générale, sans jamais les contra indre, sans jamais les fausse r, sans jamais les altérer ou les corrom pre dans leur source, qui est l’opin ion; si elle se contente d ’clre à scs propres yeux comme ces frontispices des vieux temples d é ­ molis que les anciens replaçaient en évidence dans la con­

struction des temples nouveaux , pour trom pe r les respects superstitieux de la foule et pour im prim er à l’édifice m o ­ derne quelque chose des traditions de l’ancien : la royauté représentative subsistera un nom bre d ’années suffisant pour son œuvre de préparation et de transaction, et la durée de ses services fera pour nos enfants la mesure exacte de la durée de son existence. (Oui ! oui! )

» Mais espérons mieux de la sagesse des gouvernements éclairés ta rd , p e u t -ê tre , mais éclairés à te m p s, désirons-le, pour ses intérêts ! Espérons mieux de la probité et de l’é­

nergie de l’esprit p u b l i c , qui semble avoir depuis quelque temps des pressentim ents de crainte ou de salu t! que ces pressentiments que nous éprouvons nous-m êm es soient pour les pouvoirs publics des avertissements et non des menaces!

Ce n ’est pas l’esprit de faction qui nous les inspire ! Nous

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n ’avons rien de factieux ici dans nos pensées! Nous ne voulons pas ctrc f a c t i o n , nous sommes o p in i o n , c'est plus d igne , c’est plu s f o rt, c’est plus invincible. (Oui ! o u i!) Eli bien ! Messieurs, des symptômes d ’amélioration dans l’opi­

nion me frappent et vous frapperont p e u t -ê tr e aussi.

» E n tre ces deux partis qui prononcera? qui sera ju g e ? Sera-ce comme dans nos premières lu tte s, la violence? l’o p ­ pression? la m o r t? Non, Messieurs ! rendons grâces à nos p è r e s ; ce sera la liberté ! liberté qu ’ils nous ont léguée ; la liberté, qui a ses propres a rm e s, ses armes pacifiques a u ­ jo u r d ’hui pour se défendre et se développer sans colère et

sans excès ! (On ap p la u d it.)

» Aussi nous tr io m p h e ro n s ; soyez-en sûrs !

» E t si vous dem andez quelle est donc celte force morale qui pliera le gouvernem ent sous la volonté nationale, je vous répondrai : C’est la souveraineté des idées, c’est la royauté des esprits, c’est la république ! la vraie république ! la r é ­ publique des intelligences ! En u n m o t, c’est l’opinion ! Cette puissance m ode rne dont le nom même était inconnu de l’antiquité. Messieurs, l’opinion est née le jour même où ce G u tte m b erg que j ’ai appelé le m écanicien d 'u n nouveau m onde a inventé par l’im prim erie la multiplication et la com m unication indéfinie de la pensée et de la raison h u ­ m aine. Cette puissance incompressible de l’opinion n ’a besoin p o u r r ég n e r, ni d u glaive de la vengeance, ni de l’épée de la justice, ni de l’échafaud de la te rreu r. Elle tient dans ses mains l’équilibre entre les idées et les institutions, elle tient la balance de l’esprit hum a in ! Dans l’un des pla­

teaux de cette balance, on m e ttra longtemps, sachez-le bien, les crédulités d ’e sprit, les préjugés soi-disant utiles, le droit divin des rois, les distinctions de droits entre les castes, les haines entre les nations, l’esprit de conquête , les unions simoniaques en tre le sacerdoce et l’em p ire, la censure des pensées, le silence des tr ib u n e s, l’ignorance et l’abrutisse­

m e n t systématique des masses !

» Dans l’au tre nous m e t t r o n s , n ous, Messieurs, la chose la plus im palp able, la plus im pondérable de toutes celles que Dieu a c r é é e s , la lumière ! Un peu de celte lumière que la

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révolution française fit jaillir à la fin d u d ernier siècle, d ’un volcan sans doute, oui, mais d’un volcan de vérités ! » (Applaudissement prolongé.)

X V II.— Ce discours reproduit le lendem ain par la presse tout entière, exprim ait assez la véritable pensée du pays, un m éconte nte m ent sourd d u système suivi par la couronne qui sacrifiait à l’extérieur les inté rêts légitimes de la France à l’ambition de la dynastie d ’Orléans, u n am our philoso­

phique et raisonné des principes dém ocratiques délivrés à une oligarchie étroite de deux ou trois cent mille électeurs aisément captés ou corrompus par les m in istres, enfin la crainte sincère chez presque tous d ’une révolution qui lan­

cerait le pays dans l’inconnu, le désir de faire accomplir par­

le gouvernement représentatif élargi et fortifié les progrès de l’avènem ent dém ocratique, l’appel à l’énergie modérée dans le peuple, à la prudence et à la réflexion dans le gou­

vernement. Ce discours ne passait pas les bornes que s'im ­ posait la conscience politique de l’orate ur. Les fruits et les promesses de la première révolution sans révolution no u ­ velle, s’il était possible, mais l’esprit de la révolution c o n ­ servé et vivifié par les institutions sous peine de honte pour la France et sous peine de m o r t pour les idées qui font la grandeur et la sainteté de l’esprit hum ain. C’était la fidèle interprétation d u sentim ent public, le cri p r ophétique de l’àme du pays. T o u t ce qui dépassait ce langage dépassait le temps.

XVIII.— M.dc Lam artine , sans craindre de com prom ettre la popularité dont il jouissait alors dans son dépa rtem e nt et en France, osa combattre h ard im en t quelques jours après les doctrines que M. Ledru-Rollin et scs amis avaient expri­

mées au b a nque t révolutionnaire de Dijon, les symboles de 1 7 9 5 arborés, d is a it- o n , par le m êm e parti au ban q u e t de Chàlons et les prédications anti-sociales q u ’u n je u n e orateur avait fait applaudir au banquet communiste d ’A u tu n .

« Les b a n q u e ts, disait M. de Lam artine en p arla n t de ceux de Dijon et de Chàlons, sont le tocsin de l’opinion.

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30 E iS T O liiE

Quelquefois iis r a p p e n t j u s t e , quelquefois ils brisent le m é ta l. Il y a eu dans ces manifestations des paroles qui font tr em bler le sol et des souvenirs qui rappellent ce que la démocratie actuelle doit faire oublier. P ourquoi reprendre d ’un temps ce qui doit cli c enseveli avec ce temps lui-mème?

Pourquoi ces im ita tio n s, nous dirons presque ces parodies de 1 7 (.j5:J Y aurait-il donc une livrée de la liberté comme il y avait une livrée des cours? J e dis, m oi, que c’est là non- seulem ent une puérilité mais un contre-sens. On donne ainsi à la démocratie régulière et sensée de l’avenir l’appa­

rence et la couleur de la démagogie passée. Cela travestit l’esprit public et en le travestissant cela le fait méconnaître.

Cela rappelle cruellem ent aux uns la pique sous laquelle leurs pères sont m o r t s , à ceux ci leurs propriétés disper­

sées, à ceux-là leurs temples p ro fa n és, à tous des jours de tristesse, de deuil, de te rre u r qui ont laissé une ombre sur la patrie. Chaque époque doit cire conforme à e lle - m é m e , nous ne sommes pas 1 7 9 3 ; nous sommes ! 8 4 7 ; c’est-à- dire : Nous sommes une nation qui a traversé la M er rouge et qui ne veut pas la traverser de nouveau, une natio n qui a mis le pied sur le rivage et qui veut marcher e n c o r e , mais qui veut marcher eu ordre et en paix vers ses in stitu­

tions d ém o cratiq u es, une nation dont le gouvernement se trom pe et qui veut l’avertir, mais qui en grossissant sa voix pour se faire en ten d re de lui ne veut effrayer ni les citoyens paisibles ni les intérêts honnêtes, ni les opinions légitimes.

Prenons g a r d e , n o u s , h om m e s de la démocratie régulière.

Si nous sommes confondus avec les dém agogues, nous somm es perd u s dans la raison publique. On dira de nous :

« Ils ont leur couleur, donc ils ont leur délire. »

XIX. — S u r le banquet communiste d ’À u tu n , M. de Lam artine s’exprimait le 14 novem bre avec la même liberté.

r. Chaque idée a ses limites, s’écriait-il, limites dont elle ne doit pas sortir sous peine d’èlre méconnue et de porter la juste peine de son travestissement en subissant ie discré­

dit qui s’attache à d ’autres idées. Etes-vous opposition d é ­ m ocratique, mais loyale, m o d é r é e , p atien te? venez avec nous. Êtes-vous faction ? allez conspirer dans l’om bre. Etes-

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vous com m unistes? allez applaudir au b a n q u e t d ’A utuu.

Ju sq u ’à ce que tout cela s’éclaircisse, nous restons où nous sommes. Car nous voulons rappeler le pays à la vie politi­

que, faire sentir à l’opinion sa force, créer une démocratie décente capable de s’éclairer de ses propres lumières, de se contenir par sa propre dig nité, de sc réunir sans alarm er, sans injurier ni la richesse, ni la misère, ni l’aristocratie, ni la bourgeoisie, ni le peuple, ni la religion, ni la famille, ni la p ro p rié té ; nous voulons préparer enfin à la F rance des assemblées dignes de ses grandes assemblées nationales et des comices dignes d’Athènes et de Rome ; mais nous ne voulons pas rouvrir le Club des J a c o b in s ! >

XX. — P e n d a n t ces controverses en tre les hom m es qui voulaient améliorer et les hom m es qui voulaient d étru ire , d ’autres manifestations inspirées et dirigées par l’opinion dynastique se multipliaient dans le nord du royaume.

M. Odilon Barrot y faisait entendre des paroles graves, ré­

fléchies, probes, mais contenues comme son caractère. Il allumait ainsi que ses amis le feu de l’opposition p arle m en ­ taire. Cependant ces discours soulevaient contre le gouver nem ent plus d ’indignation que n ’en pouvait contenir une salle de banquet. Le peuple écoutait aux portes, acclamait les orateurs, leur faisait cortège à l’entrée ou à la sortie des villes. Il s’habituait à intervenir entre les ministres et les tribuns. A la fin de l’autom ne les prom ote urs do ces ém o­

tions anti-ministérielles essayaient en vain de les m odérer, ils étaient partis pour recruter des forces à M. T h ie rs, à M. Barrot et à l’opposition; ils avaient recruté pour la ré­

volution. L’impulsion d u peuple dépasse toujours le b u t as­

signé par les hommes politiques. La raison ou l’am bition calculent, la passion déborde. Le peuple est toujours pas­

sion. L’opposition dynastique n’avait voulu q u ’un change­

m e n t de ministère opéré sous la pression des m a sses; le peuple couvait déjà u u changement de gouvernem ent. D er­

rière le peuple, des sectes plus radicales rêvaient un bou­

leversement complet de la société.

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LIVRE DEUXIÈME.

1. — Telle était la situation des esprits en France à ia fin de 1 8 4 7 , lorsque le roi convoqua les Chambres. Le m i­

nistère et le roi étonnés, mais non alarmés de ces d é m o n ­ stratio ns d ’opinion les regardaient comme des symptômes e n tièrem en t factices, comme un m écontentent de paroles et de parade qui n’existait pas, selon eux, dans les esprits. Ils se confiaient dans l’im m ense majorité que le gouvernement possédait dans les C h a m b r e s , dans la fidélité de l’armée com mandée par les princes, dans les intérêts innombrables d ’o rd re , de pro p rié té , d ’in d u strie , de commerce qui tous r épugna ient au changem ent. Gouvernem ent matérialiste, ils méprisaient les éléments intellectuels d ’opposition. A leurs y eux, M. Odilon Garrot n ’était q u ’une éloquence hon­

nête sans volonté, M. Ledru-Roliin q u ’une popularité so­

nore j e t a n t le défi de la rép u b liq u e , sans y croire, pour désorie nte r cl dépayser l’opposition, la piressc et les b a n ­ quets q u ’une conspiration d ’ambitions impatientes faisant appel aux passions de la place publique par ressentim ent de leur impuissance dans la représentation d u pays.

M. Guizot était rassuré par la confiance eu lui-même et par le dédain du vulgaire qui faisaient le fond de sa n a tu re , M. Duchàtcl par l’habile m a niem ent des partis p a r le m e n ­ taires et par le frein des votes qu ’il tenait avec souplesse d ans sa m a in, le roi par le besoin que la France avait de lui on 1 8 5 0 , par sa solidarité avec l’ordre européen qui repo­

sait sur la stabilité de son tr ô n e , et enfin par ce sourire

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