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Le temps dans l'Heptaméron

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A C T A U N I V E R S I T A T I S L O D Z I E N S I S

FOLIA LITTERARIA 38, 1997

Witold Konstanty Pietrzak

LE TEM PS DA NS L 'H E P T A M E R O N

Parm i les éléments de la construction d ’une œuvre littéraire, le temps n ’occupe une place relativement im portante dans la réflexion théorique q u ’à partir du XXe siècle1. Cet intérêt croissant constitue sûrement une réponse à diverses tentatives dans le rom an m oderne et demeure en corrélation avec la redécouverte du rom an par lettres2. Ouverts à des déformations temporelles et à m aintes techniques de la représentation de la durée, ces rom ans confèrent un rôle structurellement pertinent au temps, dont l’analyse peut s’avérer fructueuse3. U n léger doute risque de naître à l’occasion d ’une telle analyse appliquée à ГHeptaméron de M arguerite de N avarre. Effectivement, l’action dans cette œuvre se développe selon le rythm e régulier annoncé dans le titre et instauré par les devisants dans le Prologue. La chronologie ne semble pas osciller: les „événements” du texte enchâssant sont présentés selon l’ordre dans lequel ils se produisent, suivant le principe du réalisme consacré par les siècles, d ’un réalisme qui recourt à l’objectivité conventionnelle des choses (comme chez un Balzac) p lu tô t q u ’à la subjectivité d ’une conscience (comme chez un Proust). En somme, un examen détaillé du

1 Déjà Aristote dans sa Poétique envisage le problème du temps représenté dans une œuvre épique (chap. 23 et 24). Au cours des siècles suivants, le temps n’intéresse guère les théoriciens que dans le domaine du drame (cf. E. S a r n o w s k a - T e m e r i u s z , Zarys dziejów

poetyki. Od Starożytności do końca XVII w.), PWN, Warszawa 1985; Ph. van T i e g h e m , Petite histoire des grandes doctrines littéraires en France, Presses Universitaires de France,

1946). L’intérêt pour la question semble renaître dans le roman du XVIII' siècle, pour aboutir, à notre époque, à des études approfondies. Sur l’histoire de la conception moderne du temps et des problèmes généraux du temps dans la littérature narrative, voir K. B a r t o s z y ń s k i ,

Problem konstrukcji czasu w utworach epickich, [dans:] Problemy teorii literatury, ser. 2, wyd. 2,

Ossolineum, 1987, pp. 211-265.

2 Voir Tz. T o d o r o v , Littérature et signification, Editions du Seuil, Paris 1967. 3 Ainsi, par exemple, les considérations sur le temps de J. P o u i l l o n , Temps et roman, Gallimard, Paris 1946; G. de G e n e t te, Figures I, II, Editions du Seuil, Paris 1976; et d ’autres'

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tem ps dans YHeptaméron ne prom et pas, apparem m ent, des résultats enrichissants. Cependant, les pages qui abordent ce problème, et q u ’on trouve parsemées dans différents ouvrages critiques4, n ’ont pas l’air d ’avoir épuisé le sujet. Nous voudrions donc, lors de cette com m unication, ajouter quelques réflexions sur la représentation du temps dans le récit enchâssant de ГHeptamèron.

Déjà par son titre, Y Heptamèron s’inscrit dans la lignée des rom ans qui plongent le lecteur dans la dimension tem porelle5. Le titre est un prélude, une annonce, une étiquette ou une publicité; sous une forme concise et synthétique, il préfigure le contenu de l’œuvre entière. Encourageant ou rebutant, il nous laisse deviner la m atière du livre. D ans tous les cas, il entretient des relations avec l’ensemble du récit dont il est censé rendre com pte6. L 'Heptamèron nous renvoie à la tem poralité par un m oyen quelque peu voilé, celui des etym ons grecs qui en form ent l’origine. Certaines éditions abrègent le titre au terme seul à'Heptamèron, qui se rapporte exclusivement au temps représenté dans le récit enchâssant (P. Jourda, M . François); d ’autres, suivant en cela l’exemple de Y editio princeps, (L eroux de Lincy) h asard en t une suite plus ou m oins développée:

L'Heptamèron des Nouvelles7. Ici, la durée de sept journées que les devisants

passeront ensemble, se complète p ar le contenu dont ils les rem pliront. Par rapp o rt au Dècamèron, le recueil de M arguerite opte pour un nouvel équilibre entre les récits enchâssant et enchâssés. L ’espace textuel consacré aux débats y est plus ou moins proportionnel à celui qui revient aux nouvelles. D ans le récit enchâssant, nous observons l’aventure comm une q u ’ont vécue dix personnages, réunis dans une abbaye à la suite d ’une même cause, contant chacun des nouvelles pour agrémenter le séjour forcé, ayant leurs popres désirs, préférences, sentiments, bref représentés dans un temps dense. Une telle harm onie entre les deux niveaux narratifs ne reste

4 Voir, à titre d’exemples, P. J o u r d a , Marguerite d'Angoulême. Duchesse d'Atençon,

Reine de Navarre (1492-1549). Etude biographique littéraire, Librairie Ancienne Honoré

Champion, Paris 1930, pp. 926-927; H. V e r n a y, Les divers sens du mot raison; autour de

l ’œuvre de Marguerite d'Angoulême, reine de Navarre, C, Winter, Heidelberg, 1962, p. 180;

N. C a z a u r a n , L ’Heptaméron de Marguerite de Navarre, Paris 1976, pp. 156-157; P. A. H a - l l i d a y , The Heptamèron: reading as a romance (Thèse Princeton University, 1978); D A I, vol. 39, n° 4, 2317-2318-A, pp. 113-114.

5 Ainsi La Sepmaine de Du Bartas, Les Cent Vingt Journées de Sodome de D . A. F. de Sade, Quatre-vingt-treize de V. Hugo, Une vie de G. de Maupasant ou D ix heures et demie

du soir en été de M. Duras.

6 D . D a n e k , O tytule utworu literackiego, “Pamiętnik Literacki” 1972, z. 4.

7 Le titre de l’édition d’Y. Le Hir (Nouvelles, PUF, Paris 1967) semble fausser tant bien le projet formulé dans le Prologue - qui est celui de donner une version française du

Décaméron italien (et non pas une version quelconque des nouvelles) - que la structure même

de Y Heptamèron où le rôle des débats est suffisamment important pour trouver un écho dans le titre.

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pas sans conséquences pour la temporalité: grâce à elle, le titre de VHep-

taméron, connotant une durée, semble tout à fait adéquant au texte intégral8.

Faisons d ’abord quelques remarques sur la fréquence avec laquelle les actions se produisent dans cette œuvre de M arguerite de N avarre. La question se ramène, comme on va le voir, à l’emploi du temps grammatical dom inant:

Après disner envoyèrent sçavoir si les eaues estoient poinct escoulées, et, trouvant que plustost elles estoient creues et que de longtemps ne pourroient seurement passer, se delibererent de faire ung pont sur le bout de deux rochiers qui sont fort près l’un de l’autre, où encore y a des planches pour les gens de pied qui, venans d’Oleron, ne veullent passer par le guey. L’abbé fut bien aise qu’ilz faisoient ceste despence, afin que le nombre des pelerins et pelerines augmentast, les foumyt d ’ouvriers; mais il n’y meist pas ung denier, car son avarice ne le permcctoit. Et, pour ce que les ouvriers dirent qu’ils ne sçauroient avoir fait le pont de dix ou douze jours, la compaignie, tant d ’hommes que de femmes, commença fort à s’ennuyer [...]*.

Nous rencontrons ici ce qui semble caractéristique pour l’ensemble de

Y Heptamêron'. le prétérit est le temps fondamental de la narration. Les verbes

traduisent donc l’idée d ’actions uniques et accomplies (envoyèrent, com m en­ ça...)10 et incitent à conclure que le livre de Marguerite est un récit amplement narrativisé, abondant en diverses et nombreuses aventures. Or, rien q u ’une lecture intuitive du texte nous fait constater combien cette thèse est spécieuse. Aussi deux restrictions s’imposent-elles. Premièrement, beaucoup de verbes au prétérit sont des verbes déclaratifs (dit, respondit...) qui n ’avancent pas l’action m ais qui détachent les unes des autres les prises de parole au cours des dialogues. Deuxièmement, et ceci concerne tous les verbes au même degré, le registre d ’actions effectuées par les devisants est fini (nous faisons abstraction du Prologue): ils lisent l’Evangile, vont à la messe, mangent, racontent, disent, répondent, etc. Chaque jour, ils reprennent les actions de la veille. Même si les verbes employés ne sont pas toujours identiques, il y a une certaine répétition ou plutôt „cyclicité” des actions. Ce type de récit éclaire, dirait-on, la „condition hum aine” . En tant que constructions tissées d ’éléments constants, les journées se ressemblent les unes aux autres. Les formes d ’activité, adoptées par les protagonistes, se perpétuent invariables au rythme des révolutions de la

8 Dans le Décaméron de Boccace, le titre renvoie également à la durée, mais le récit enchâssant y est beaucoup moins développé, plutôt qu’une histoire autonome, il constitue un prétexte à la narration de nouvelles. Connotant une durée, le titre est donc ici insidieux et moins adéquat au contenu que dans le cas de Y Heptamêron.

9 M a r g u e r i t e d e N a v a r r e , L ’Heptamêron, [dans:] Conteurs françaLi du X VT siècle,

éd. de P. Jourda, Bibliothèque de la Pléiade, 1971, p. 706.

10 Ceci n’exclut pas l’apparition d’autres temps, et notamment de l’imparfait. Celui-ci, loin d’incarner l’itératif, traduit la durée des états, des sentiments, des convictions, et s’impose comme nécessaire pour assurer la cohérence psychologique des personnages. Mais c’east le prétérit qui demeure le temps de base.

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Terre. Si la substance s’expérimente quotidiennement comme unique, toujours originale, la forme, elle, est condamnée à l’inertie dans l’écoulement irréversible du temps.

Passons m aintenant à la chronologie des événements dans le texte enchâssant de Y Heptamèron. Les événements prennent jo u r dans le temps de la fiction, m ais ils nous sont communiqués dans celui de la narration, et l’ordre fictionnel ne doit pas forcément correspondre à la chronologie d u récit11.

Q u’il s’agisse du temps narratif ou de l’événementiel, Oisille est toujours la première arrivée à Serrance, lieu de l’action de tout Y Heptamèron. Cette priorité sert sans doute à souligner l’autorité spirituelle du personnage12, et à préparer l’atmosphère m orale et idéologique dont celui-ci enveloppe tout au long du livre le cercle des devisants. Q uant aux autres protagonistes, on observe une certaine souplesse dans la façon dont l’Auteur les introduit dans la chronologie. Hircan, Parlemente, Longarine, Dagoucin et Safïredent, le lecteur les suit avec quelque retard, et prend connaissance, chronologiquem ent et successivement, des aventures qu ’ils ont vécues. Mais voilà q u ’arrivés à Saint- -Savin, ils rencontrent Nomerfide et Ennasuite; au narrateur principal alors de faire un plongeon dans le passé pour raconter l’histoire surprenante à laquelle celles-ci ont participé avant de rejoindre Saint-Savin. Ensuite, c’est G éburon, encore tout essoufflé, qui entre sur la scène: sa m ésaventure n ’a pas encore touché au terme, mais quand to u t se tranquillise, le narrateur en esquisse les étapes précédentes. A vant de prendre contact avec le dernier des futurs devisants, Sim ontaut, nous apprenons les dangers q u ’il a encourus. En est-il sorti sain et sauf? Interrogeons le texte:

Et ce soir-là Dieu y amena ce bon religieux, qui luy enseigna le chemyn de Nostre-Dame de Serrance, et l’asseura que là il seroit mieulx logé que en autre lieu, et y trouveroit une antienne vefve nommée Oisille, laquelle estoit compaigne de ses aventures13.

Suit la description du départ pour Serrance des com pagnons réunis à Saint-Savin; et quand ils se préparent au trajet, l’on ignore si Sim ontaut est déjà parvenu au but ou non. Et cette incertitude concernant la chronologie exacte des événements se m aintiendra jusqu’au bout du Prologue.

Les déplacements d ’événements fictifs sur l’axe temporel de la narration peuvent se produire grâce à la retrospection. Considérons-en un exemple:

11 Nous nous inspirons des exposés théoriques déjà cités (G. Genette, J. Pouillon). Voir aussi J. L i n t v e l t , Essai de typologie narrative, éd. J. Corti, 1981.

12 Cf. N. C a z a u r a n , op. cit., pp. 40, 88-89; Ph. de L a j a r te, L'Heptamèron et la

naissance du récit moderne, essai de lecture épistèmologique d ’un discours narratif, „Littérature”

1975, n° 17, pp. 34-35. 13 Heptamèron, p. 705.

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[...] les pauvres dames, à demye-lieuc deçà Peyrehitte, avoient trouvé ung ours descendant la montaigne, devant lequel avoient prins la course à si grande haste que leurs chevaux, à l’entrée du logis tombèrent morts soubs elles; et deux de leurs femmes, qui estoient venues longtemps après, leur avoient compté que l’ours avoit tué tous leurs serviteurs14.

L’abbé accueille plusieurs personnages (Hircan, Parlemente, Longarine, Dagoucin et Saffredent), et quand il les conduit à leurs chambres, il raconte ce qui est advenu à deux dames, arrivées à l’abbaye avant eux (Nomerfide et Ennasuite). Le narrateur principal ne se départit pas de son rôle de conteur, mais, en adoptant le point de vue du personnage, il n ’aspire pas non plus à l’omniscience, tellement caractéristique des narrateurs traditionnels.

Toutes les retrospections du Prologue sont construites de la même façon: un personnage secondaire raconte à la compagnie les péripéties de tel futur devisant. Elles enferment des aventures dangereuses, angoissantes voire épouvantables qui n ’ont cependant rien de fantastique: une lutte contre des bandits, une rencontre avec un ours, encore une apparition de bandits et enfin une défense contre la force destructive de la nature. En revanche, le concours de toutes ces péripéties, comme M . M . La G aranderie l’a très judicieusement remarqué15, contribue à créer chez le lecteur l’impression d ’un certain fantastique, inhérent non à la fiction mais bien plutôt à l’univers de la narration, et par conséquent dû à un artifice de style16. Or, les retrospections visent à m odérer l’effet de surprise et d ’inquiétude, auquel le lecteur risque d ’être exposé. Effectivement, lorsque nous suivons les aventures d ’H ircan et de sa femme, de Longarine et de son m ari, de Dagoucin et de Saffredent, chronologiquement rapportées, nous ignorons, au fil de la lecture, quelle en sera l’issue; ainsi ce n ’est que la fin de cette histoire qui nous apporte le dénouement. En ce qui concerne les autres protagonistes, d ’abord nous les rencontrons vivants et relativement bien portants, et ce n ’est q u ’ensuite que nous découvrons les périls qui les guettaient. En conclusion, l’emploi des retrospections perm et de raffiner dans une certaine m esure l’o rganisation n arrativ e de cette partie de

Y Heptamêron.

La chronologie revêt un tout autre caractère du m om ent où les devisants on fixé les détails concernant le déroulement des journées de contes à venir. Voyons l’ordre des événements qui remplissent celles-ci:

- la leçon d ’Oisille; - la messe;

14 Ibidem, pp. 703-704.

13 M.-M. L a G a r a n d e r i e , Le dialogue des romanciers. Une nouvelle lecture de l'Hep-

taméron, 1976, „Archives des lettres modernes” n° 168, p. 17.

16 D ’ailleurs, Marguerite elle-même reconnaît le fantastique de son procédé, quand elle évoque „ceste compaignye miraculeusement assemblée” (ibidem, p. 706; c’est nous qui’ soulignons). V. P. J o u r d a, op. cit., p. 936.

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- le dîner (10 heures du matin);

- midi: commencement du passe-temps narratif; - les vêpres (4 ou 5 heures de l’après-midi); - le souper;

- et enfin, les „gaîtés du soir” .

Le m ot d ’événement s’applique, semble-t-il, assez mal à cette liste; il serait beaucoup plus adéquant de faire appel à la notion de m om ents ou d ’étapes de la journée. Par opposition aux péripéties du Prologue, l’ordre des étapes dans une journée est toujours le même. Cette rigueur avec laquelle la chronologie du récit adhère à celle de la fiction rom anesque, tend peut-être à donner au lecteur une impression de transparence, afin q u ’il ne s’attarde pas sur ces détails, qui, indispensables pour la cohérence du texte enchâssant, participent à l’effet de „cyclicité” que nous avons déjà examiné.

A ces différentes étapes de la journée, la retrospection perd sa faculté d ’organiser le m onde romanesque et prend la forme modeste de réminiscences dont les devisants alimentent, nous dit-on, les gaîtés du soir:

Ainsy passèrent joyeusement ceste journée, ramentevant les ungs aux autres ce qu’ilz avoient veu de leur temps17.

Grâce à la conversation qui fait renaître les périodes révolues, les personnages éprouvent des sentiments oubliés;

Le sevice finy, s’en allèrent souper, non sans plusieurs propos de leurs mariages, qui dura encores tout du long du soir, racomptant les fortunes qu’ils avoient eues durant le pourchas du mariage de leurs femmes. Mais parce que l’un rompoit la parolle de l’autre, l’on ne peut retenir les comptes tout du long, qui n’eussent esté moins plaisans à escripre que ceulx qu’ilz disoient dans le pré. Ils y prindrent si grand plaisir et se amuserent tant, que l’heure de coucher fut plus tost venue, qu’ilz ne s’en apperceurent18.

L’évocation du passé, qui est à la fois activité narrative et retour aux temps révolus - deux royaumes de fascination pour les devisants - s’avere donc susceptible de transporter ceux-ci dans d ’autres univers, ju sq u ’au point de leur faire perdre le sens du temps empirique. R em arquons à la fois que l’espace tem porel réservé à la narration de contes finit par leur apparaître trop court, si bien q u ’ils le prolongent au-delà de l’activité sacrée du soir, jusque dans la nuit. Seule l’absence de règles strictes, semblables à celles qui régissent les rapports entre les devisants lors de leur passe-temps de l’après-m idi, empêche le N arrateu r d ’„escripre” les histoires q u ’ils se racontent.

17 Heptamèron, pp. 709-710. 18 Ibidem, p. 971.

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Qu’il s’agisse de péripéties du Prologue ou d ’étapes de la journée, M argue­ rite à toujours recours aux repères chronologiques qui permettent de jalonner les espaces temporels. D ’une part, elle précise les périodes ou m om ents qui se définissent par rapport au présent vécu des protagonistes et qui n ’ont pas de sens dans l’absolu: incontienent, longtemps après, lors, durant ce propos,

à l'heure ordonnée. D ’autre part, elle em prunte certaines m arques temporelles

au cycle naturel: environ la minuit, le matin, à midi, sur le soir. Mais, parm i tous ces repères, finalement assez conventionnels, on en relève un qui occupe une place de choix: c’est le m ot de journée. Il revient dans Y Heptamêron avec une fréquence constante, tant dans les propos du narrateur que dans les paroles des devisants. Toujours écrit avec une majuscule, souvent accompagné d ’un adjectif numéral, il semble indiquer la façon dont les héros perçoivent la succession des événements à Serrance. On peut dire q u ’ils se souviennent, à tel m oment de la journée, des règles du jeu narratif q u ’ils ont fixées au début de leur séjour; on peut dire q u ’ils trouvent un certain plaisir à objectiver le fruit de leur activité narrative, (n’oublions pas que leur intention est d ’offrir au D auphin, en cadeau, le Décaméron des Nouvelles). T out cela est bien vrai. Il paraît cependant difficile d ’écarter l’idée q u ’à travers cet emploi obsédant du substantif journée se manifeste une conscience aiguë de l’écoulement du temps, qui n ’a sûrement rien de commun avec le climat spleenétique des symbolistes, qui se rapproche peut-être de la m éditation fugitive d ’un Villon, mais qui se caractérise essentiellement par un esprit de quête, saisi tantôt de crainte, tantôt de regret.

On adm et généralement, et non sans raison, que la durée de l’action dans Y Heptamêron s’étend sur sept ou huit journées. Et effectivement, ces nom bres correspondent à l’espace temporel dans lequel s’inscrivent les narrations. Or, le Prologue représente une durée qui dépasse largem ent les sept journées de contes. En effet, le séjour curatif à Cauterets s’étend sur trois semaines. Au bout de cette période vient celle des retours infortunés; M arguerite évoque alors des tentatives de départ, des hésitations et des échecs. A pproxim ativem ent, ces va-et-vient hasardeux peuvent occuper plusieurs jours. Suivent les aventures des dix devisants, qui durent quelques dizaines de minutes et qui ne sont q u ’illustrations particulières des va-et-vient m ontrés plus haut à distance. Les décalages temporels entre ces aventures, presque simultanées, paraissent infimes et peuvent être négligés. Ainsi, du début du Prologue jusqu’au moment où nous rencontrons tous les protagonis­ tes réunis à Serrance, il s’écoule vingt cinq jours, peut-être quatre semaines. Après cela nous entendons parler du dîner et de la construction du pont envisagée, et nous assistons à la première conversation des devisants au cours de laquelle se décident les activités du m atin et les occupations de l’après-midi.

Trois semaines, plusieurs jours, quelques dizaines de minutes: au fur et à mesure que nous avonçons dans le texte, nous voyons que la n arration

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couvre des espaces temporels de moins en moins im portants, pour atteindre le m aximum d ’épaisseur lors de la conversation. D ans le rom an réaliste classique, l’écrivain raconte une histoire qu’il présente comme terminée au m om ent où il entreprend de l’immortaliser par écrit; aussi, lorsqu’il enrichit son histoire par ce qui a eu lieu avant, est-ce pour en venir à ce qui s’est produit après: l’avant s’oppose à l’après.

Le début du Prologue, où le temps représenté est plus long que le temps de la narration, dévoile bien ce qui s’est passé avant, mais il conduit à la conversation qui, plutôt q u ’un après, constitue un m aintenant: c’est que, dans une conversation, le temps de la fiction égale (en quantité, bien entendu) le temps du récit, et par conséquent, celui de la lecture. L’identité de ces deux temporalités est d ’au tant plus parfaite que les interventions du narrateur sont moins nombreuses. Grâce à la conversation, le lecteur croit participer au temps de l’histoire, le temps de la narration devient en quelque sorte transparent et n ’attire pas son attention. Puisque les journées sont remplies de narration s et de débats et que les interventions du N arrateur sont relativement rares, l’interruption de l’œuvre à la 2e nouvelle de la Huitième Journée, incident extralittéraire et question de hasard, ne fait que nous raffermir dans cette impression de présent perpétuellement simulé: après avoir suivi les aventures narratives des devisants, d ont le temps vécu a été le nôtre de la lecture, nous nous retrouvons suspendu dans le temps au bout d ’une nouvelle que n ’encadre aucun débat.

Le temps revêt, tant dans l’esprit du N arrateur que dans celui des personnages, une importance particulière. Nous avons déjà signalé la fréquence de l’emploi du m ot journée, aussi est-il intéressant de voir le rôle que le temps joue dans l’agencement des activités journalières. Observons cette intervention de Nom erfide qui succède à un discours „libertin” de Saffredent:

Qui vous vouldroit escouter, la Journée se passeroit en querelles. Mais il me tarde tant d’oyr encores une histoire, que je prie Longarine de donner sa voix à quelcun19.

L ’intérêt essentiel de ce propos ne réside pas uniquem ent dans la réaction psychologique de la devisante aux idées téméraires de son inter­ locuteur. Il résulte aussi de la lumière que ces paroles jettent sur le rôle du temps dans l’occupation de l’après-midi. Nomerfide propose de term iner le débat afin que la narration des nouvelles se poursuive dans le cercle des héros. La discussion ne peut pas se prolonger indéfiniment, à m oins de violer l’une des règles établies au Prologue: dix nouvelles en une journée. Le temps s’avère ainsi non seulement un cadre des narrations, m ais aussi une contrainte physique que les devisants sont obligés de respecter au-delà de leurs volontés, émotions, caprices.

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A vant de term iner nos réflexions sur le tem ps dans Y Heptamêron, considérons les jugements de valeur qui s’associent dans l’esprit des devisants à cette réalité dans ses rapports avec l’espace.

Le point de départ s’établit sans ambiguïté: par un coup de hasard, plusieurs personnes, voulant rejoindre leurs domiciles, se réunissent à l’abbaye de Serrance. Ils apprennent que le pont est brisé est q u ’ils ne pourront bouger de ce lieu avant qu’on ne l’ait réparé, et les travaux de reconstruction s’étendront sur une dizaine de journées au moins. Au préalable donc, l’espace constitue un obstacle, une contrainte qui limite la liberté et la volonté des personnages. L ’opinion sur le temps, en revanche, est au début quelque peu hésitante:

Madame, je m’esbahys que vous qui avez tant d ’experience et qui maintenant à nous, femmes, tenez lieu de mere, ne regardez quelque passetemps pour adoulcir l’ennuy que nous porterons durant notre longue demeure; car, si nous n’avons quelque occupation plaisante et vertueuse, nous sommes en dangier de demeurer malades. [...] je suys bien d’opinion que nous aions quelque plaisant exercioe pour passer le temps; autrement nous serions mortes le lendemain20.

Les avis enfermés dans ces deux énoncés ne diffèrent guère l’un de l’autre. Face à la période q u ’ils seront obligés d ’endurer, les devisants éprouvent de l’inquiétude: le temps vide que rien n ’occupe les menace d ’ennui, de m aladie ou, pour reprendre une hyperbole, de m ort. Afin d ’éviter ce risque, Oisille propose l’office pour le m atin, Parlam ente, la narration d ’histoires pour l’après-midi. Ainsi le verbe prendra-t-il la place du temps brut en deux directions: d ’abord le devoir envers Dieu, puis le devoir envers l’homme et sa n atu re encline au dépérissem ent résultant de l’inactivité. L’espace est une contrainte indiscutable, le temps est hostile aussi, mais, s’il est correctement comblé, il prom et quelque agrément.

A la fin de la première journée, Oisille exprime l’idée suivante:

Il me semble que ceste Journée soit passée si joyeusement, que, si nous continuons ainsi les aultres, nous accoursirons le temps à faire d’honnestes propos21.

En adm ettant que les paroles d ’Oisille soient représentatives de tous les devisants, on voit que le jugem ent sur le temps commence à vaciller. L ’appréhension du Prologue se transform e ici en un bilan satisfaisant qui renforce la promesse des paisirs ultérieurs. Néanm oins, le temps garde toujours une nuance négative, puisqu’il ne cesse de dem eurer la force q u ’il faut m aîtriser, „accoursir” .

20 Ibidem, pp. 706-707. 21 Ibidem, p. 782.

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Vers le début de la Cinquième Journée, nous observons une attitude nouvelle:

Et Saffredent leur dist qu’il vouldroit que le pont dcmorast encore ung mois à faire, pour le plaisir qu’il prenoit à la bonne chere qu’ilz faisoient [...]22.

Il n ’est plus question de raccourcir le temps, tellement les narrations de l’après-midi sont agréables, et le devisant manifeste son désir de voir cette activité se prolonger au-delà du délai imposé par la reconstruction du pont. Cette attitude enthousiaste devient plus nette encore dans le dernier Prologue de Y Heptamèron:

Le matin venu, s’enquirent si leur pont s’advançoit fort, et trouvèrent que, dedans deux ou trois jours, il pourroit estre achevé, ce qui despleut à quelques ungs de la compaignie, car ilz eussent bien désiré que l’ouvrage eust duré plus longuement, pour faire durer le contantement qu’ilz avaient de leur heureuse vie; mais voians qu’ilz n’avoient plus que deux ou trois jours de bon temps, se delibererent de ne le perdre pas [...]**.

Nous constatons ici un renversement total des jugem ents sur le temps et l’espace. Les devisants perçoivent clairement deux réalités temporelles: la durée q u ’ils remplissent de leurs activités sacrée et profane, et le temps objectif qui s’écoule indépendamm ent de leur volonté. A u début de leur séjour à Serrance ces réalités se confondaient et représentaient une force adverse. M aintenant q u ’ils ont goûté au plaisir ém anant de ce m ode de vie, les devisants ne souffrent plus de la durée q u ’ils réussissent à combler si joyeusem ent. A u contraire, ils voudraient la faire continuer pour en jouir davantage. M ais cette prolongation est impossible à cause du temps objectif qui leur fait apercevoir la fin de leur entreprise. Car c’est bien dans ce temps que l’espace se transform e, que la réparation du pont touche à son terme. L’espace lui-même subit donc aussi une réévaluation: hostile au début en tant que celui qui rend le retour impossible, il s’avère favorable vers la fin en tant que celui qui rend possible la narration des nouvelles. Eclairé de cette lumière, Y Heptamèron peut être considéré comme une œuvre qui tient à dém ontrer la distorsion entre le temps objectif qui, insensible à la destinée des humains, coule inéluctablement à l’éternité, et la durée vécue qui, si elle est convenablement organisée, peut procurer à l’individu un plaisir indubitable et lui faire sentir la joie de vivre.

C ’est ainsi que nous sommes arrivé au bout du temps dans le récit enchâssant de Y Heptamèron. Sans vouloir surestimer son apport conscient dans la représentation littéraire de cet élément du texte, qui est certes inférieur

22 Ibidem, p. 973. 23 Ibidem, p. 1109.

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à celui d ’un Proust ou des nouveaux romanciers, force est de conclure, d ’après ces quelques remarques mêmes, que M arguerite a dû sentir l’im portance de cette problém atique, et les aventures des devisants en portent une m arque incontestable. Le temps n ’est peut-être pas la m atière de son livre, il joue cependant un rôle non négligeable, et souvent de premier plan. Comme facteur structurant le monde romanesque, il jouit d ’une rigueur inébranlable, sculpte la forme des journées, leur confère une parfaite symétrie. Ayant un début et une fin, le temps suit irrévocablement sa linéarité, il donne à l’œuvre la possibilité de s’accomplir. D ’autre part, le fait d ’avoir développé le texte enchâssant produit sur le lecteur l’impression, signalée depuis longtemps par la critique24, q u ’il assiste à une pièce de théâtre. Le temps de la lecture se superpose alors à celui de la narration, ce qui nous fait croire que nous sommes à côté des devisants, plongés dans leur univers lointain. Grâce à cette représentation du temps empirique, le temps dans l'Heptamêron acquiert une part importante à la création de l’illusion mimétique.

Par opposition à son modèle italien, la tem poralité dom inante de

Y Heptamêron est celle de l’histoire. Le N arrateur raconte des événements

et se prive en général d ’animer la situation narrative: ce sont d ’abord les aventures du Prologue, puis les occupations des prologues, enfin les événements dram atiques des conversations. Le N arrateur prend garde de ne pas détourner l’attention du lecteur de la m atière q u ’il veut „escripre” . La tem poralité événementielle, directement vécue et évaluée p ar les devisants, définit parfaitem ent bien, pensons-nous, le profil de Y Heptamêron.

En réfléchissant sur le temps, nous nous sommes penché sur l’histoire des devisants. Sans insister sur le fait que le sujet reste toujours ouvert, il faudrait m aintenant effleurer les histoires des devisants. Mais le temps passe et le nôtre vient de finir.

Université de Łódź

Witold Konstanty Pietrzak

CZAS W HEPTAM ERONIE

Przedmiotem niniejszego artykułu jest czas przedstawiony w historii ramowej Heptameronu. Tytuł utworu, w przeciwieństwie do Dekameronu, znajduje potwierdzenie w dziejach devisants: ich przekonania, uczucia, pragnienia oddane są poprzez żywe dialogi oraz opisujące codzienne czynności bohaterów narracje, które razem wzięte wytwarzają w czytelniku wrażenie trwania.

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Chociaż czas poszczególnych wydarzeń dominuje nad czasem opisowym (niedokonanym), działania narratorów charakteryzuje pewna cykliczność; treść dni podlega ustawicznemu ruchowi, podczas gdy ich kształt niezmiennie się powtarza.

N a ogół wydarzenia następują chronologicznie jedne po drugich; tylko czasami posługuje się Małgorzata retrospekcją: w Prologu ogólnym, gdzie chwyt ten pozwala na złagodzenie efektu nieprawdopodobieństwa, jaki wynika ze zbiegu niesamowitych choć prawdopodobnych przygód; w zakończeniach dni, gdzie retrospekcją przybiera formę reminiscencji, dzięki którym

devisants ponownie przeżywają minione doświadczenia miłosne.

W miarę jak poznajemy świat głównych bohaterów, rytm przedstawiania wydarzeń słabnie, żeby ustalić się na poziomie wyznaczanym opowiadanymi nowelami. Skoro każde opowiadanie stanowi głos w prowadzonym przez devisants dialogu, czas narracji pokrywa się prawie z czasem lektury, dzięki czemu trwanie przedstawione nabiera cech trwania rzeczywistego, właściwego czytelnikowi i uczestniczy w sposób istotny w wytwarzaniu złudzenia mimetycznego.

Narratorzy ze swej strony mają głębokie poczucie upływania czasu, który, ograniczając przedłużające się dyskusje, współuczestniczy w organizowaniu świata przedstawionego. W ich odczuciu, czas nie wypełniony jest na początku ich pobytu w Serrance pierwiastkiem złowrogim, prowadzącym do znudzenia, a nawet choroby. Gdy zaś popołudniowe opowiadania okazały się zajęciem nader przyjemnym, opinie na temat czasu diametralnie się zmieniają.

Cytaty

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