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Le péché originel d'après P. Teilhard de Chardin

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Józef Kulisz

Le péché originel d’après P. Teilhard

de Chardin

Collectanea Theologica 56/Fasciculus specialis, 113-127

1986

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C o lle c ta n e a T h eo lo g ica 56 (1986) fasc. sp e c ia lis

JÓ ZEF KULISZ S J, W A R SZ A W A

LE PÉCHÉ ORIGINEL D'APRÈS P. TEILHARD DE CHARDIN Le problèm e du péché originel n 'a jam ais concentré l'in térêt de Teilhard de Chardin. C e qui occupait son esprit et était en quelque sorte le ,,noyau" de son oeuvre, c'est le désir de dévoiler les di­ mensions vraim ent cosmiques du C hrist sur le canevas d'un autre m onde que celui de saint Paul, car sur le canevas d'un m onde qui est au stade du développem ent évolutif. N ous pouvons exprim er l'essentiel de la pensée et de l'oeuvre de notre auteur de la m anière suivante: Dieu voulant le Plérôm e — le Christ, a dû d'abord créer le monde, ensuite les hommes parmi lesquels II pourrait naître. V oulant les hommes, il a dû am orcer un énorm e processus de la v ie orga­ nique et voulant la vie il a dû commencer par les prém ices de l'u n i­ fication créatrice1.

La plupart des auteurs qui traiten t du m ystère du péché originel dans la- vision teilhardienne du monde, tien n ent com pte de seule­ m ent trois articles que n o tre auteur a consacrés directem ent à ce m ystère2. Ils ne donnent pas de solution et n'ont pas été écrits dans ce but, ni pour expliquer le péché originel en général; à plus forte raison ils n e fournissent pas de théorie de ce péché qui soit aju stée à la vision évolutionniste du monde. L'auteur les a écrits sur com­ mande. L'article de 1922, intitulé: N ote sur quelques représentations

historiques possibles du péché originel, a été écrit à la dem ande du

P ère Louis Riedenger SJ, professeur de théologie dogm atique à En- ghien en Belgique. En avril 1922 Teilhard de C hardin avait été invité par le Père recteu r Joseph Subtil à la Faculté de théologie jésuite d'Enghien. Là il rencontra le professeur de théologie dogmatique, le Père Louis Riedenger avec lequel, ainsi qu'il l'a écrit dans sa lettre, il a discuté sur des thèm es liés avec le christianism e, et spéciale­ m ent avec le péché originel3. Au cours de la conversation le Père Louis a dem andé à Teilhard une b rève contribution au thèm e du péché originel du point de v u e du savant et de recherches du n a­ turaliste. Cela n e lui vint pas facilem ent ce qu'il a brièvem ent avoué, à savoir qu'il écrivait uniquem ent parce qu’il avait confiance

1 1924 O e t. IX. 108. La m a n iè re de c ite r les o e u v re s de T e ilh a rd e st la s u iv a n te : n o u s d o n n o n s d ’a b o rd l ’a n n é e de l ’o e u v re citée, e n su ite l'a b r é v ia tio n d e l ’o u v ra g e , e n s u ite le tom e e t les pages.

2 1920 O e t. X, 47,58; 1922 O e t. X, 59—70; 1947 ibid., 217—230.

3 1922 L e ttre s in tim e s à A u g u s te V a le n sin , B runo de S olages, H en ri d e Lu-

bac, P a ris 1972 (LInt), 81).

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dans le Père Louis4. M alheureusem ent deux ans après, par des voies inconnues et par l'interm édiaire de qui Teilhard n e le saura jamais, cette contribution parvint à Rome et tom ba aux m ains du général de l'o rd re5. Ceci eut pour résultat' que le Père P ierre fut révoqué comme professeur à l'In stitu t C atholique de Paris et envoyé en Chine s'oc­ cuper de fouilles géologiques.

Le thèm e du péché originel ne fut de nouveau abordé par notre auteur qu'en 1947 par un article intitulé: R éflexions sur le péché

originel accom pagné de quelques mots: Proposées à la critique des théologiens6. De no u veau donc pas de th éo rie à l'usage de la masse,

m ais une note de n atu raliste destinée aux théologiens, ay ant pour but de m ontrer les conséquences em piriques des théories th éo lo ­ giques.

Le troisièm e article, en effet le prem ier puisqu'il date de 1920;

Chute, Rédem ption et géocentrism e, n e touche même pas à notre

problème. Il s'occupe plutôt d e la dim ension cosm ique de l'action du Christ. Du m om ent que l'action du Christ em brasse la to talité de la création, par le fait-même to u t l'univers, touché p ar le mal a be­ soin de rédem ption.

Ces trois articles n 'o n t pas pour but, il faut le souligner forte­ ment, de m ettre en doute la doctrine officielle de l'Église sur le péché originel, de détruire les dogmes ou de proposer de nouveaux dogmes. V ouloir en tirer des conclusions de caractère dogm atique est contraire à l'intention de l'auteur.

Il semble que si l’on v eut com prendre ce que Teilhard dit sur le péché originel, il faut em ployer la m éthode qu'em ploie P. Schoo- nenberg quand il étudie le péché originel dans l'Écriture Sainte. La m éthode consiste en ce que l'auteu r analyse d'abord les chapitres 2 et 3 de la Genèse, et cherche ensuite à approfondir et à expliquer à la lum ière de to u te l’Écriture Sainte et de la doctrine de l’Église7.

N ous nous servons de la m êm e m éthode dans cet article. Ceci d 'au tant plus que nous savons que n o tre auteur, en écrivant sur le péché originel, n'a pas élaboré de théorie avec l'idée qu'elle devait cadrer avec la vision qu'il créait. Il l'écriv ait dans un au tre but.

En analysant ces trois brefs articles qui p arlen t du péché origi­ nel, nous y jetterons un regard à partir de la perspective de l'en ­ semble; nous essaierons de les lier à la to talité de la vision du m onde qui est dans un processus continuel de devenir.

4 Ibid., 81. 5 1924 ibid., 111.

6 1947 O e t. X, 217— 230. Z. A l s z e g h y et M. F l i c k p e n se n t que T eil­ h a rd ex p rim e d an s cet a rtic le , é v id em m en t à sa m a n iè re , c e rta in e s id ées du P. H. R ο n d e t SJ, d o n t il a v a it p ris c o n n a is sa n c e d u ra n t ses c o n ta c ts p e rs o n ­ nels. Cf le u r o u v ra g e : Il p e c c a to originale, B rescia 1972, 184.

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Nature et surnature — différence et unité

On reproche à Teilhard d e négliger le m ystère d e la grâce dont l'hum anité a été p rivée par le péché d'A dam 8 lorsqu'il tra ite du péché originel.

Le reproche est justifié, m ais partiellem ent. En réalité, Teilhard n e rappelle pas, dans les articles qui nous intéressent9, que l'hom m e a été doté de la grâce de la m anière dont le traitait la théologie de son temps. Il s'agissait pour l'auteur, non pas tan t de la n atu re du péché que des conséquences em piriques des théories théologiques. En un mot, l'au teu r voulait m ontrer certaines difficultés rencontrées par le savant quand il com pare les données de la science et la doc­ trine de la théologie des m anuels10.

Il faut im m édiatem ent ajo u ter que l'au teu r possède une notion claire de la surnature. Mais il en parle autrem ent que le faisait la théologie officielle de son temps.

Le term e de „surnature" est l'un des p eu nom breux qui suscita dans le but d'explication et de com préhension exacte, une chaude polém ique et une riche litté ra tu re 11. En étu dian t l'histoire des n o ­ tions de „nature" et de „surnature" et de leurs relations réciproques, on peut dire qu'on y distingue deux périodes différentes, dont la fin d e l’une est le début de l'au tre est en m êm e tem ps st Thomas. C 'est lui le prem ier qui commença à em ployer dans la théologie sy sté­ m atique le term e de „surnature" et a élaboré pour la théologie la notion de la „nature hum aine”. N éanm oins nous ne rencontrons pas chez lui d'opposition de ces deux ordres qui apparaîtra si fortem ent dans la théologie ultérieure. D 'après H. de Lubac, les sources de cette opposition doivent être cherchés dans trois causes. D 'abord dans la spéculation des théologiens du M oyen A ge qui se dem an­ daient ce que Dieu pouvait faire dans sa potentia absoluta. Ensuite dans l'essai de solution et dans la recherche d'explication du sort des enfants m orts sans baptêm e. Et enfin dans les ten tativ es des hu­ m anistes, à partir du XV e s. à créer une religion n atu relle qui pour­ rait satisfaire pleinem ent l'hom m e12. Ces raisons firent qu'en théolo ­ gie apparut la notion de „pure n atu re" qui obtint plein droit de cité aux XVI—XVIIIe ss. L'initiateur de cette notion fut le grand

s P h i l i p p e d e l a T r i n i t é OCD, Vision cosm iq ue et christique, P a­ ris 1968.

9 Cf les tro is a rtic le s cités plus haut.

10 C om m e ex em p le on p o u rra it p re n d re le cas du P arad is do n t p a rle l'a u te u r. Cf 1922 O e t. X, 59—70.

11 Cf la litté r a tu r e re c u e illie p a r A. Z u b e r b i e r , Relacja natura-nadprzy -

ro dzoność w św ie t le badań teologii w s p ó ł c z e s n e j (La re la tio n n a tu r e -s u r n a tu re

à la lu m iè re des re c h e rc h e s de la th é o lo g ie co n tem p o rain e), W a rs z a w a 1975, 153— 149.

12 H. d e L u b a c , Au gu stin ism e et théologie moderne, P aris 1965, 140— 144; B. S u c h o d o l s k i , R o z w ó j n o w o c z e s n e j îi lozoiii c z ł o w i e k a (D éveloppem ent de la p h ilo so p h ie m o d e rn e de l'hom m e), W a rs z a w a 1967, 238—289.

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théologien Thomas de Vio, appelé plus tard C ajétan, de la ville de G aëte où il est né. La notion de la „pure natu re" a joué un grand rôle dans la discussion et la polém ique avec Baius et Jan sénius et a apporté en théologie une n ette distinction des deux ordres natu rel et surnaturel, ce qui é ta it inconnu avec une telle acuité dans la théologie du temps de C ajétan 13.

Q uelle est la teneur qu'a apportée la notion de „pure nature"? A vant to u t une distinction très n ette des deux ordres natu rel et sur­ naturel. Dieu, en créant l'homme, pouvait ne pas lui accorder de dons surnaturels. C et é tat sans don surnaturel, c'est l'état de „pure nature". L'homme au rait alors tendu vers sa fin qui aurait été à la m esure de ses possibilités naturelles, et donc proportionnelle à ses aptitudes naturelles. C ependant Dieu a appelé l'hom me à une fin surnaturelle, le dotant de to u te la richesse des dons, av an t tou t de la grâce sanctifiante qui lui rend possible un contact vivant avec Dieu et à l'avenir à Le voir face à face. M algré son utilité polémique, cette solution introduisait une „schizophrénie" spécifique dans l'unité de la n atu re hum aine et de la vocation de l'homme. Du mo­ m ent que la n atu re hum aine peut avoir sa fin découlant d'elle-même, le christianism e avec to ute sa surcharge de la surnature devient seulem ent un pur supplém ent à la vie, et le XIXe s. et le début du XXe, ne voyant pas de justification rationnelle à l’existence de la religion, la reje tte n t comme une forme spécifique d'aliénation de l ’homme14.

Le fait que la théologie souligne trop la gratuité de l'In carn a­ tion et de l'indépendance de la grâce du Christ donnait l'impression, à en croire Z. A lszeghy et M. Flick15, que la création et le m ystère de l'Incarnation sont deux événem ents qui se succèdent n 'ay an t de commun que Dieu leur créateur commun. Le prem ier événem ent, l'h isto ire de la création, aurait duré depuis les débuts jusqu'à l'ac­ com plissem ent de l'A lliance mosaïque. A cet événem ent répondrait le don de la nature. Le second événem ent, la nouvelle histoire de la création, aurait commencé à l'in stan t de l'Incarnation et sa fin se situerait à la fin des temps. A vec l'Incarnation a commencé le don de la grâce, comme quelque chose de non dû à la créature16.

C 'est dans cet horizon d e pensée qu'est né le traité De Deo

ciea n te et elevante, dans lequel la surnature, comme „don non dû",

est ajouté à la nature. Deux ordres, celui de la n atu re et celui de la grâce sont superposés comme deux étages qui n ’ont rien de com­

18 H. d e L u b a c , op. cit., 145; J. A l f a r o , Le n a tu ra l y le sobrenatural.

E stu d io h isto rico d esd e sa n to T om as h a sta C a y e ta n o (1274— 1534), M a d rid 1952.

14 H. d e L u b a c , S u rn a tu rel. É tu d es h isto riq u e s, P aris 1946, 153, 161; id.,

Le m y s tè r e du su rn a tu rel, P aris 1965, 15, 61—72; A. Z u b e r b i e r , op. cit.,

11— 13.

15 Z. A 1 s z e g h y, M. F 1 i c k, I p rim o rd i d e lle sa lv e zza , T o rin o 1978, 164. w Ibid., 164.

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mun sinon Dieu qui est leur créateur com mun17. L’ordre de la grâce com prise comme non due, ajo u tée à la n atu re hum aine qui dans son autonom ie se suffit, est avec le tem ps senti par beaucoup comme superflu.

Il n 'est donc pas éto n nan t qu'à cette époque, c.à.d. dans la p re­ m ière m oitié du XXe s., Teilhard ait dit que le christianism e a cessé d ’être assez „contagieux18. A côté des recherches des théologiens de la prem ière moitié de notre siècle qui ont essayé une nouvelle lecture de st Thomas dans le problèm e qui nous intéresse19, Teilhard lui aussi a essayé de m ontrer, bien que ce fût sur un au tre plan que le plan strictem ent théologique, que le monde, et à plus forte raison l'homme, ne peut pas avoir deux fins, une natu relle et u n e autre surnaturelle. Évidemment, nous ne trouverons dans les oeuvres du jésuite français ni une élaboration systém atique de la relation n a­ ture-surnature, ni une spéculation du ty p e scolastique sur ce que Dieu peut de sua potentia absoluta. C ependant il s'agit pour lui de n iveler l’étage de la surnature élevé sur la création et la natu re humaine. Précisém ent cette superstructure introduite artificielle­ m ent fait que, de l'avis de Teilhard, le christianism e devient de peu d'utilité et même tout à fait inutile dans la v ie des personnes avec lesquelles il lui est arrivé de trav ailler20.

Étant donné que n otre auteur n ’a pas donné élaboration sy sté­ m atique de la relation nature-surnature, quiconque s'intéresse à ce problèm e dans son oeuvre, sem ble lim ité dans la possibilité de m ontrer cette relation. Ainsi p.ex. H. de Lubac, a rassemblé, semble- t-il, to utes les citations et les endroits de l'o euv re de Teilhard qui parlent du problèm e qui nous intéresse, et d'où il ressort clairem ent qu'il y a une différence essentielle entre l'ordre naturel et l'ordre surnaturel21. E. Rideau, en analysant la relation de la n atu re et de la grâce dans la vision de Teilhard constate que ces deux ordres se distinguent essentiellem ent, bien qu'ils existent dans une unité m y­ stérieuse22.

11 semble qu'il existe aussi une au tre possibilité de présenter le m ystère de la surnature dans la vision de Teilhard. C'est d'analyser le processus de la création qui se réalise dans le Christ et par le Christ, que l'auteur nomm e plérôm isation.

17 Z. A 1 s z e g h y ,' M. F l i c k , La struttura del irattaio „De Deo créante

et e ie v a n t e ", G reg o rian n m 36(1955)284— 290; cf a u ss i M. J. S с h e e b e n, Natur und Gnade, F re ib u rg i. Br. 1941, 9.

18 1936 O e t. IX, 164; „Le c h ristia n is m e sous la form e q u e nous p rêch o n s, n 'e st plus assez co n ta g ie u x ".

19 P o u r l'h is to ire de ce pro b lèm e v o ir A. Z u b e r b i e r , op. cit., 27— 88. 20 1 9 36 O e t. IX. 164.

21 H. d e L u b a c , La pen sée relig ieuse du Père Teilhard de Chardin, P aris 1962, 169— 183; id ., La prière du Père Teilhard de Chardin, P aris 1968, 164— 173.

t2 E. R i d e a u , La pe n sé e du Père Teilhard de Chardin, P a ris 1965, 337—

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Le monde, pour Teilhard, n 'est pas une réalité créée en un ins­ ta n t et établie dans ses lois une fois pour toutes. Sa com préhension du m onde est élucidée par le term e d ’„évolution" qui suppose que la réalité dans laquelle nous vivons n 'est pas apparue to u t à coup; m ais qu'elle est un processus d'une longue et len te m aturation23. Teilhard com prend l'évolution à la lum ière de la Révélation et y r e ­ m arque quelque chose de plus que le processus de forces qui agis­ sent fortuitem ent. Pour le jésu ite français, l'évolution est l'ex p res­ sion de l'action créatrice de Dieu dans le tem ps et l'espace21. Re­ gardant par la réflexion dans la profondeur de l'histoire, de la pers­ pective du tem ps et à la lum ière de la R évélation, on rem arque q u 'av ec le début de la création p ren ait naissance une essence spé­ cifique dans laquelle to u te l'oeuvre de la création s'ouvrait sur l’avenir. A travers l'o eu v re de la création Dieu commençait à réali­ ser le m ystère caché en son intérieur depuis des siècles. Or, c'est le m ystère de Jésu s Christ. C 'est en Lui que Dieu v o y ait le monde. Le Christ n 'est pas seulem ent la prédestination de la création, mais le centre qui agit physiquem ent sur to u t le processus créateur atti­ ran t to ut à soi23.

Une lecture attentive des épîtres de st Paul nous montre, selon Teilhard, que le prem ier homme que Dieu voulait depuis des siècles ce n 'é ta it pas Adam, c'était Jésus Christ. En Lui, Christ Homme ,,11 nous a choisis, comme dit st Paul, avan t la fondation du monde... Il nous a prédestinés à être pour lui des fils adoptifs par Jésus C hrist” (Ep 1,4—5; cf aussi Col 1,15—20; Rm 8,29)26.

Dans le projet de Dieu le Christ était pensé et voulu depuis des siècles comme la T ête de to u te la création, comme celui qui unifie et introduit dans le m ystère de la v ie divine27. N ous servant ici des définitions puisées à la philosophie d'A ristote il faut dire que depuis

23 J. P i V e t e a u, Le Père Teilhard de Chardin savan t, P aris 1964, 15— 18;

J. C a r l e s , Teilhard de Chardin. Sa vie, son oe u v re a v e c e x p o s é de sa philo­

sophie, P aris 1964, 31— 58.

24 1942 O e t. III, 323.—324: „De ce p o in t de v u e (qui est celui, n o n plus des sim p les a n té c é d e n c e s, m ais de la c a u sa lité ) l'É v o lu tio n p re n d sa fig u re v ra ie , p o u r n o tre in te llig e n c e et n o tre coeur. Elle n 'e s t p o in t c ré a tric e , com m e la S cience a pu le c ro ire u n m o m en t; m ais e lle est l'e x p re s s io n p o u r n o tre ex p é rie n c e , d ans le T em ps et l'E space, de la C ré a tio n ".

25 1920 O e t. X, 21—23; 1924 O e t. IX, 84, 87—88; 1941 O e t. VII, 53— 55; 1946 ibid., 154; 1950 O e t. V, 373— 374.

26 1924 O e t. IX, 82—90.

27 Ibid., 84, 114. S u r le th è m e de la c ré a tio n de to u t d an s le C h rist et p o u r le C h rist cf. A. F e u i 11 e t, La cré atio n de l'univers dans le Christ d'après J'épître

aux Coloss iens, N ew T e sta m e n t S tu d ies 12(1965)1— 9; ibid., Christo logie pauli- nienne et tr adition biblique, B ruges 1972, 48— 70; F. X. D u r r w e 11, La résur­ re ctio n de Jésus m y s tè re de salut, P a ris 1976; Z. A 1 s z e g h y , M. F 1 i с к, I pri- mordi, op. cit., 166— 168.

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des siècles le Christ é tait la cause exem plaire de to u te la création28. M ais il faut ajo uter que ce n 'est pas seulem ent le Christ glorifié, m ais Jésus Christ comme homme, qui est m ort sur la croix, est res­ suscité comme ,,prem ier-né d 'en tre les m orts” (Col 1,18).

Le début de la création était donc le début d'un grand processus dans lequel a commencé à se réaliser, dans le concret de la d é­ pendance, le m ystère du Christ, l'Incarnation, la Rédemption, caché en Dieu depuis des siècles. La plénitude de ce m ystère qui m ûrit dans le temps, Teilhard le nomme Plérôme, alors qu'il nomme plé- rôm isation, am orisation ou C hristification le processus créateur en lui-mêm e qui conduit vers la P lénitude du Plérôm e29.

Le Plérôme, d ’après Teilhard, c'est la plénitude ,,où l'U n sub­ stantiel et le M ultiple créé se rejoign en t sans confusion dans une Totalité qui sera néanm oins u n e sorte de triom phe et de généralisa­ tion de l'ê tre ”30. Cet organism e v iv ant — P lénitude — Plérôm e — est possible grâce à l'hum anité du Christ dans lequel la créature accède à la participation à la v ie de la Sainte T rinité31.

Dieu, voulant le Christ Incarné comme T ête de l'hum anité et de tou te la création devait d ’abord appeler à l'existen ce le monde, puis les hommes qui d evaient l'u n ir à la race humaine; voulant les hom­ mes, Il devait créer la v ie organique, et voulant la vie, Il devait, comme le dit Teilhard, lancer l'agitatio n de la cosm ogenèse32.

Le monde, l'hum anité, le Christ, dans la vision de Teilhard, ne constituent pas des parties du Plérôm e m ystérieux, liées en tre elles de la seule m anière extérieure par la pensée de Dieu et par la suc­ cession de l'apparition dans le tem ps que Dieu leur a désignée dans sa connaissance33. L'action créatrice de Dieu de ty p e unificateur exclut le panlogism e de Leibniz, selon lequel l'unité du m onde est décidée par la connaissance de Dieu qui lie par la pensée unique­ m ent extérieurem ent les différents êtres en u n e totalité précise34. La plérôm isation pour Teilhard est le processus qui se décom ­ pose et m ûrit dans l'histoire, processus dans lequel causés dans leur existence et leur action les vivants ,,se tien n en t biologiquem ent”35. 28 1917 É crits du te m p s de la guerre, P aris 1965, (EG), 124; 1919 Lint. 43; 1926 ibid., 132— 133; 1926 A c c o m p lir l'h o m m e . L e ttre s in é d ite s (1926—-1952), P aris 1968, (AH), 61— 62; 1951 O e t. VII, 272; 1953 O e t. X, 268.

29 1917 EG, 285— 286; 1920 O e t. X, 25; 1922 LInt., 89; 1923 H y m n e de l'U n i­

vers, P aris 1961 (HL), 30; 1933 O e t. X, 86— 87; 1924 O e t. IX, 14; 1924 ibid.,

87—88; 1924 O e t. V, 401—403; 1933 O e t. X, 10; 1938 O e t. V, 49; 1945 O e t. X, 212— 213; 1947 O e t. X, 230; 1947 O e t. V, 235—236; 1948 O e t. XI, 211—213; 1950 O e t. V, 384— 385; 1953 O e t. X, 270— 272. 80 1929 O e t. IV, 149. 31 1924 O e t. IX, 84, 144. 82 1920 O e t. X, 42—43; 1924 O e t. IX, 84, 108. 83 1920 O e t. X, 42; 1924 O e t. IX, 108.

84 W . T a t a r k i e w i c z , H isto ria filo zo fii (L 'histoire de la p h ilo so p h ie), W a rs z a w a 1978, t. II, 76— 82.

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Le début de la création est le début de la form ation du m ystère du Christ, le début de la form ation de la surnaturelle Totalité divino- hum aine. La Totalité qui se forme n 'est pas l'oeuvre du génie et de l'effort humains. L'hum anité n 'est pas capable de ,.produire" ou de conduire la création ju sq u 'au m om ent de la Parousie dans laquelle se constituera dans sa p lénitude le m ystère du Plérôme. L'effort de l’hum anité mis dans l'oeuvre de la création est une condition n é­ cessaire m ais non suffisante pour l'ultim e venue du Christ. La Pa­ rousie, ultime victoire du Christ, est un événem ent surnaturel, mais à la lum ière de l'évolution, selon Teilhard, n 'est pas fortuit. Elle est l'étape finale du développem ent de la création, de la m aturation de l'hum anité dans la grâce. C 'est la transform ation de to u t dans le Christ, dernier point critique de l'évolution réalisé par l'action v ic­ to rieu se de Dieu qui transform era to u t ce qu'a réalisé l'hum anité36. Car elle a été appelée dès les débuts à transform er le monde, à le conduire à l'ultim e plénitude. L'effort de l'hum anité et de chaque homme est une participation à la force créatrice de Dieu qui se donne au m onde en Jésu s Christ.

La révélation divine perm et de constater, selon l’auteur, que to u te la création, conçue dynam iquem ent et com prise comme un processus conduisant au Christ, T ête de la création, est le fruit de l’A m our37. C 'est par l'Amour, énergie créatrice que Dieu a tiré le m onde du néant, a unifié par l'in térieu r les élém ents en des formes d ’être toujours plus parfaites. Dans l'homme, la force unificatrice de l’Amour a cessé d ’être anonym e. L'homme a commencé à la vivre consciemment, à ressentir sa force de contrainte. Dès le début, il a pu dans sa liberté l'accepter ou la reje ter38.

Le péché, reje t de la vocation

Teilhard explique les débuts de l'hum anité d 'u n e m anière mo- nophilétique. Il tire ses raisons ,,Pour" de la paléontologie et de la génétique d'après laquelle une m ultiplicité d 'u n ités se tro u v e au début d ’une n o uvelle espèce. Il existe encore une au tre raison, en dehors de la raison scientifique, et il sem ble que ce soit elle qui a décidé que l'auteu r a choisi la m onophilétism e. C 'est la fidélité de l’auteur au postulat q u 'au début de to u te évolution se tro u v e la m ultiplicité39.

38 1920 O e t. X, 29— 32; 1948 O e t. XI, 163— 175; R. F a r i с y, U na teo lo g ia

d ello sio rzo um ano. S in te si d e lle d u e fe d i — teo lo g ia d ella Parusia, d ans: La spi- ritu a lilà di T eilh a rd de C hardin, A ssisi 1972, 76— 103.

3? 1917 EG, 125; 1940 O e t. I, 294; 1941 O e t. VII, 53— 55; 1942 O e t.. VII, 77—78; 1944 ibid., 125— 126.

33 Ibid., 77—78.

39 Cl. St. B a r t n i k , T e ilh a rd o w sk a w izja d z ie jó w (La v isio n te ilh a rd ie n n e

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L'espèce humaine, comme dernier maillon d'un processus créa­ teur très long, com ptant des m illiards d'annés, devient en même tem ps un nouveau début d'un développem ent ultérieur. Comme tout en ses débuts selon la conception générale de la création qu'a l'a u ­ teur, l'hum anité apparaît comme une gerbe m ultiple de vie conscien­ te. Elle apparaît comme une „m ultiplicité initiale" d'un processus créateur qualitativem ent nouveau.

Bien q u 'elle soit dans sa structure orientée vers l'im ité, la mul­ tiplicité, pour Teilhard, est synonym e du mal40. Mais n ’est pas un mal la m ultiplicité seule, l'existence des êtres. En effet, pour l'auteur,

esse est m eilleur que non esse, m ais plus esse est encore m eilleur

que esse, l’être plus parfait dans son organisation intérieure. Si donc la „m ultiplicité" est synonym e du mal, c'est la m ultiplicité inorganisée, passive, la m ultiplicité ne possédant pas en son inté­ rieur d'orientation vers des com positions supérieures, orientations qu'elle ne p eu t attein dre elle-même. Au m om ent où apparaît dans la m ultiplicité une action organisatrice· l'attira n t vers des possibili­ tés supérieures d'existence, commence déjà d 'exister u n e nouvelle dim ension du m al qui est la com pagne inséparable du processus créateur de ty p e unificateur41.

Au m om ent où est dépassé le seuil de la conscience a commencé d ’exister une nouvelle m ultiplicité, qualitativem ent différente et non rencontrée jusque-là dans le monde, l'hum anité, consciente et libre. Le mal cosmique découlant du statut de créature, la souffrance et la m ort42 dans l'hom me ont commencé d 'exister dans une nouvelle di­ mension. Il est devenu un événem ent conscient.

Dès le début de son existence l'hom m e était un être soumis à la souffrance et à la mort; il était soumis au processus de la décom po­ sition, il mourait. La souffrance et la mort, de l’avis de Teilhard, appartiennent aux élém ents essentiels du développem ent biologique. La succession des générations séparées p ar la m ort est une nécessité norm ale de la v ie43. La mort, norm ale dans le processus de la vie, devient cependant un scandale pour la conscience hum aine44, dans laquelle dès le com mencement est gravée la conviction d 'être con­ dam née à l'éternité. En effet l’homme se rendait com pte du fait que l'étincelle allum ée de la v ie consciente est trop faible pour arrêter

40 1916 EG, 29.

41 1920 Oe t. X, 53: „ P a rto u t où n a ît de l'ê tr e in fieri, la d o u le u r et la fau te

a p p a ra isse n t im m éd iatem en t com m e son om bre, n o n seu le m e n t p a r su ite de la te n d a n c e des c ré a tu re s au re p o s et à l'é g o ïsm e , m ais au ssi (ce qui est p lu s tro u ­ blant) com m e a c co m p ag n em en t fa ta l de le u r effort de p ro g rè s". Cf au ssi 1947 Oe t. X, 224.

42 1927 O e t. IV, 91— 172; 1948 O e t. I. 343: 1948 O e t. XI, 211—214. 43 1933 O e t. X, 103; 1939 ibid., 157; 1944 ibid., 191; 1952 ibid., 259: „P ar s tru c tu r e m êm e du p ro c e ssu s d 'é v o lu tio n b io lo g iq u e (v ieillissem en t o rg an iq u e, re ­ lais g é n é tiq u e , m étam o rp h o se...), e lle im plique la M ort".

(11)

le délabrem ent de l'unité organique qu'elle constitue. La conscience de cela, c'est une nouvelle dimension, un nouveau plan sur lequel a commencé à exister le m al de l'être in iieii. La victoire sur la mort ne se fera que par la résurrection de Jésu s Christ, dans la victoire duquel a commencé à participer to u te la création. Mais pour p ar­ ticiper à cette victoire, il n 'y a qu’une voie, la voie de la m ort45.

Une telle com préhension de la souffrance et de la m ort rendait Teilhard „théologiquem ent'' suspect au tem ps où il écrivait. La tra ­ dition théologique, s'app u y an t sur les données de la Révélation et sur la doctrine de l'Église, enseignait que la souffrance et la mort sont entrées dans le m onde comme conséquences du péché du p re­ m ier homme. O r l'expérience professionnelle, les recherches sur le passé indiquent à l'au teu r que les conséquences extérieures du pé­ ché, la souffrance et la mort, sont vieilles comme le monde, qu'elles ex istaien t av an t l'hom me et son prem ier péché. Bien plus, que la souffrance et la m ort sont la condition du développem ent et de la m aturation du monde, de l'hum anité égalem ent. Par le péché, de l'avis de Teilhard, le phénom ène n atu rel de la m ort a été perturbé, est devenu quelque chose de terrible, dénué de sens, car détaché de l'am our46. N ous avons l'expérience d'une telle m ort aujourd'hui, m ort qui semble barrer to u t espoir humain de rencontre avec Dieu47. La dim ension du mal, à commencer par la décom position de la m atière inerte jusqu'à la conscience de la m ort de l'homme, Teilhard la nom m era péché originel. Le péché originel, dira-t-il, existe p ar­ tout, est si grand que grandes sont les dim ensions du tem ps et de l'espace; il entre dans la structure même de l'ê tre fini48.

C ependant il n 'est pas perm is d'assim iler ce péché originel de Teilhard avec le péché au sens théologique. L'auteur, en em ployant cette form ulation dans ce cas, en fait uniquem ent le sym bole du mal lié à l'ex isten ce de l'être dépendant. On pourrait penser que Teil­ hard, en em ployant cette formulation, adm et l'ex istence du péché originel indépendam m ent de l'hom me et de sa volonté. C ependant l’an aly se des textes nous m ontre que l'au teu r em ploie la notion du péché originel par rapport au m onde avant l'hom m e dans une an a­ logie au sens très large. Le péché originel au sens théologique a lieu, de l'avis de l'auteur, là où il y a une faute consciente49.

45 1924 O e t. IX, 91—92; 1948 O e t. V, 305; 1953 O e t. X, 268. « 1927 O e t. IV, 88; 89, 93, 124.

47 C e tte co m p ré h e n sio n de la m o rt est a c tu e lle m e n t re ç u e d 'u n e m a n ière g é n é ra le e n th éo lo g ie. Cf Z. A 1 s z e g h y, M. F 1 i с к, I p iim o id i, op. cit., 117— 119; R. L a t o u r e 11 e, L 'h o m m e et se s p ro b lè m e s dans la lu m iè re du C hrist, T o u rn a i-M o n tré a l 1961, 337— 358.

48 1947 O e t. X, 222: „S 'il y a d a n s le M onde u n P é c h é O rig in el, il ne peut ê tre q u e p a rto u t et d ep u is to u jo u rs, d ep u is la p re m iè re fo rm ée ju s q u 'à la plus lo in ta in e des n é b u le u s e s" ; ibid., 228.

49 1920 O e t. X, 53— 54; 1927 O e t. IV, 84; 1944 ibid., 191; cf au ssi H. d e L u b a c, La p en sée, op. cit.., 164.

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A côté du mal lié à la n atu re humaine, l'hum anité monophilé- tiq ue dans ses débuts, exprim ait par elle et en elle égalem ent le mal par le fait même de la m ultiplicité dans laquelle elle existait comme espèce. La gerbe de la vie consciente — la m ultiplicité des unités — prolongeait par elle-même le m al du m onde qui était une certaine to talité in îieii. En effet, l'hum anité était dispersée à ses débuts, aucune pensée commune ne l'anim ait, elle était ferm ée sur elle-même, dans les individus, à l'exem ple des m onades de Leibniz. Le processus de la socialisation, de la com préhension m utuelle apparaissait comme une tâche qui devait être entreprise consciem ­ m ent par les individus.

,,La m ultiplicité hum aine" dans sa prem ière liberté non orien­ tée, passive, comme immobile, p ortait en soi le danger d'une nouvel­ le dim ension du mal. Il apparaissait au plan de la vie morale. Teil­ hard dira que ce danger se rév élait avec une certaine nécessité il était prévisible. Car là où existe la liberté existe égalem ent ce qui n 'e st pas prévu, et ceci appartient à la n atu re de la liberté50. Dans le „Moi" humain, de l'av is de l'auteur, s'est individualisé consciem ­ m ent le mal qui entre dans la structure de l'être in fieri. Cela vo udrait dire que la décom position est inévitable par la m atière, la souffrance et la m ort sont inévitables pour la vie, de même le mal m oral découlant de la liberté est en un sens inévitable51.

Teilhard n'a créé aucun modèle, ni m ontré le scénario de la p re ­ m ière rencontre consciente de l'hom m e avec Dieu. M ais connaissant ce qu'il a dit sur ce thèm e et sa vision générale de la création, nous pouvons ten ter d'indiquer à partir de cela, n e serait-ce qu'en traits généraux, l'événem ent que l'au teu r lui-même nomme „péché origi­ nel" des théologiens52.

L’hum anité, com prise comme le dernier m aillon d'un long dé­ veloppem ent, devient en même tem ps le départ d'une nouvelle action créatrice de Dieu. Teilhard donne à ce début le nom d 'état em bryonnaire de l'hum anité53, dans lequel le Christ commence à préparer par son action la m aturation de l'hum anité, et en elle ,,le lieu de son in carnation"54.

Dieu s'est révélé à l'hom me comme un centre personnel, dira l'auteur, comme un „m oteur p sychique"55, agissant par la „chaleur cosmique, l'am our"56 sur ce qui constitue l'homme, le coeur, l'in tel­ ligence et la volonté. L'homme dev ait avoir conscience de l'in ­

50 1953 O e t. V II, 215.

51 1939 O e t. X, 157; 1947 ibid., 227. 62 1939 ibid., 157.

53 1916 EG, 53; 1933 O e t. V I, 61—62; 1948 O e t. I, 258— 259; 1950 O e t. V, 364.

54 1916 EG, 48; 1920 O e t. X, 26; 1933 ibid., 105— 106; 1926 O e t. II, 192— 193; 1947 O e t. V, 286— 287; 1948 O e t. XI, 169; 1952 O e t. V II, 335.

55 1946 O e t. VII, 153.

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quiétude qui av ait pour auteu r Dieu lui-même. Dans l'in q u iétu d e se cachait la vocation à entreprendre librem ent le processus créateur dans lequel devait ensuite se réaliser le m ystère du Christ. Dieu n'a pas seulem ent indiqué la direction du choix, m ais aussi le sens de l'intérieur hum ain ouvert à l'av e n ir57. Donc depuis le début la grâce de la ren co n tre de Dieu avec l'hom m e é ta it la grâce du Christ qui devait conduire à l'Incarnation et à la victoire définitive dans la résurrection.

Dans l'homme ,1a plus haute synthèse d'un long processus cré a ­ teur, tout le monde connaissait sa plus profonde vocation et la di­ rection d'une évolution ultérieu re58.

La liberté hum aine prolongeait en elle la m ultiplicité m ysté­ rieuse et dangereuse. Elle é ta it un carrefour spécifique où l'hom me devait se décider pour l'u n e des m ultiples possibilités. Dieu voulait la m aturation de l'homme, il voulait le libérer de la m ultiplicité éparpillée, inorganisée, il voulait annoncer le processus de l'unifi­ cation créatrice de la société humaine, dans laquelle d evait mûrir le m ystère du Christ, Tête de la création.

P. C hauchard com m entant Teilhard dira qu'avec l'hom m e est née la possibilité d'actualiser et d'accroître la liberté dans l'am our, liberté qui est la négation de la liberté dans le sens de Gide et de S artre59. Pour Sartre, comme l'écrit W it Tarnawski, le plus im portant est ,,d'exploiter jusqu'aux limites extrêm es la liberté que l'hom me n'a pas choisie, à laquelle il à été condamné, m ais qu'il possède, une liberté absolue de tou te loi et de toute prescription morale; il reste en quelque sorte à se créer tout entier par sa propre volonté à partir d'un produit fortuit dans le vide qui l'entoure. C 'est pourquoi l’hom­ m e doit continuellem ent choisir entre les possibilités que la vie lui présente, de quoi dépend en effet quel il sera, ce dont il est respon­ sable devant soi. La difficulté consiste dans le fait q u ’il doit choisir et résoudre, alors qu'il lui m anque de base pour faire un choix raisonnable. A part son in térêt personnel, il n 'y a aucune loi géné­ rale qui pourrait lui indiquer comment l'hom me doit v iv re"60.

C ontrairem ent à Sartre, Teilhard dit que devant l'hom m e a paru un signe, la vocation divine, indiquant la voie de la véritable hu­ manité, voie sur laquelle l'homme pourrait consciemment s'intégrer à l'oeuvre créatrice de Dieu réalisant le m ystère du Christ. C’était la vocation faisant sortir l'hom me-individu, de sa propre fermeture,

57 1952 C e t. VII, 335— 352; P. C h a u c h a r d , L'Etre h u m a in selo n T eilhard

de Chardin, P aris 1959, 190— 194.

58 1 931 O e t. VI, 36: „A p a rtir de l ’H om m e, et e n l ’H om m e, l ’E v o lu tio n a pris d 'elle-m êm e u n e c o n scien ce réfléch ie. Elle p eu t d éso rm ais re c o n n a ître , dans u n e c e rta in e m esure, sa p o sitio n d an s le M onde, c h o isir sa d irectio n , re fu se r son effort..." Cf au ssi 1936 C e t. IX, 173; 1948 O e t. I, 199—200.

59 P. С h a u с h a r d, op. cit., 185— 187, 190, 192— 196.

60 W . T a r n a w s k i , Conrad. C z ł o w i e k — pis arz — P o la k (C onrad. L'hom ­ me, l'é c riv a in , le P o lo n ais), L ondyn 1972, 16— 17.

(14)

de l'égoïsm e, pour l'intro d u ire dans la possibilité de créer une hu­ m anité anim ée d'un même am our61.

L'homme, toujours compris comme société, a individualisé sa m ultiplicité dans un choix libre. R ejetant la vocation divine, l'hom ­

me a fermé l’horizon de sa vie dans les frontières de son propre égoïsme62, et a fait que la société hum aine a commencé d'exister comme une m ultiplicité privée de la force unificatrice, ce qui devait être l'Amour. O r le re je t de l’Amour é ta it une rév o lte contre le ,,nerf’’ créateur lui-même de l’action de Dieu63. La révolte contre l'A m our créateur de Dieu qui é ta it en même temps la grâce du C hrist ouvrant le „moi" hum ain sur Dieu et sur l'autre, était, de l'avis de Teilhard, sensu stricto le péché originel des théologiens64. Dans cette image nous retrouvons l'écho d ’une très ancienne tradition, ancienne, car elle rem onte aux Pères d e l'Église tels que st Irénée, Origène, G régoire de Nysse, Augustin, Fulgence, Maxime le Confesseur; et donc la pensée sur le péché peut se résum er par les paroles du Christ. Ubi peccatum ibi m ultitudo®5. Cette m ultitudo, m ultiplicité, mal, ne signifie pas le nom bre d'unités de l'espèce hu­ maine, mais l'égoïsm e qui ferme les coeurs humains à Dieu et à l'autre. Par cette m ultiplicité l’homme se d étournait de la m atura­ tion de la vie dans la com m unauté dans laquelle le Christ devait se préparer une place pour l'Incarnation.

N 'oublions pas que le ,.modèle" teilhardien du péché originel des théologiens est situé dans un monde qui est en évolution, en de­ venir. C 'est pourquoi on a besoin d'un complément que n 'a pas fourni l'auteur, mais qui se trouve im plicitem ent dans sa vision. Eh bien, le m onde dans la com préhension de la Bible et de to u te la tra­ dition théologique ju sq u'au XIXe s. a été créé d'un seul coup et dès le début était une oeuvre bonne, établie une fois pour toutes dans ses lois. De même l'homme, couronnant la création, est sorti de la m ain de Dieu comme un être mûr, bon. C 'est entre les m ains d'un tel homme que s'est trouvé le destin du monde. L’homme devait décider de son sort par un seul ,,Oui'' ou „Non", par une seule dé­ cision de sa volonté. Et c'est ainsi que ce fut. Par sa désobéissance

81 P our T e ilh a rd l ’am o u r est la fo rc e c ré a tric e et p ro d u ctric e. P our sa v o ir ce q u 'e st l ’am o u r p o u r T e ilh a rd , v o ir H. d e L u b a c , L'Éternel Féminin. Étude

sur un t e x t e du Père Teilhard de Chardin, P aris 1968.

82 1917 EG, 122— 124; A. J e a n n i è r e , A p p ro c h e s christol ogiques , dans:

Essais sur Teilhard de Chardin (o u v rag e collectif), P aris 1962, 90; J. O n i m u s , Pierre Teilhard de Chardin ou la toi au monde, P aris 1963, 149.

68 A. J e a η n i è r e, op. cit., 90; J. O n i m u s, op. cit., 149. 64 1 93 9 C e t. X, 157; P. С h a u с h a r d, op. cit., 197— 198.

65 O r i g è n e , In Ezech, hom. 9, n ° 1. PG 13, 732; d a v a n ta g e v o ir H. d e L u b a c, K atolicyzm . Społe czne a s p e k t y dog matu (C atholicism e. Lès a sp e c ts so­

(15)

au paradis terrestre l’homme s'est fermé les portes de l'étern ité offerte par Dieu66.

C ette vision du m onde et de l'homme est inadm issible dans la vision teilhardienne de la création. Dans le m onde en devenir, ce qui est parfait se trouve dans l'avenir, et ce qui est le plus parfait, au bout de l'évolution. L'homme, tel que le comprend Teilhard, tout en étan t le dernier m aillon de l'évolution, n 'est pas encore son term e le plus parfait. Et surtout, le prem ier homme dans l'histoire. L'humanité, fleur produite par un grand „travail” et un grand „effort” d'un riche processus créateur se déployant sur l'arb re de vie, était un nouveau com mencement d'une évolution u ltérieu re67. C ette fleur devient le début d'une longue et lente m aturation dans laquelle „n aîtra” le fruit m ûr de l'am our divin; ce sera Jésu s Christ Incarné, Ressuscité, dans la com munauté des frères, dans l'Église68.

Du mom ent que la m aturation de l'hum anité qui conduit au C hrist Tête de la création se décom pose dans le temps, est une longue histoire, il est im possible dans la vision de Teilhard, que le „sort” du m ystère du Christ ait été subordonné à une seule décision du prem ier homme, à la prem ière déclaration consciente.

Dans la vision évolutionniste dans laquelle le m ystère de l'In ­ carnation du Christ exige la pleine m aturité humaine, l'attitu d e de l'homme peut hâter ou entraver la m aturation du m ystère; elle ne peut jam ais l'an éan tir com plètement. De même que dans la v ie indi­ viduelle de l'homme, ses choix particuliers, m êm e les pires, ne le barrent pas définitivem ent ta n t que dure la vie. Ils sont en quelque sorte portés sur le com pte de sa m aturation dans laquelle se pré­ pare la dernière définition qui apparaît au mom ent de la m ort69. Par ses choix, par son train-train quotidien l'hom me la rend un mom ent de m auvais augure, sans espoir, ou, malgré la crainte et l’atm osphère de sérieux extrême, le lieu de la rencontre avec Dieu.

De même, l'hum anité prise globalement, m ûrissant en son inté­ rieur vers la plénitude dans le Christ, pouvait par ses choix et son effort créateur s'intégrer dans l'action créatrice de Dieu. Elle pouvait aussi, par ses choix, retarder le m ystère de l'Incarnation et faire que se révèle en elle le caractère douloureux, rédem pteur de l'In ­ carnation.

Ainsi donc, le péché originel dans la conception théologique n'au rait pas été, selon Teilhard, une décision unique, définitive d'un

66 D 'ap rès T e ilh a rd , st P au l p re n a it à la le ttr e la d e s c rip tio n de la c ré a tio n et de la p re m iè re ch u te de l'h u m a n ité . Cf 1920 O e t. X, 49—-51 ; 1933 ibid., 99— 102.

67 1 950 O e t. V, 364.

68 T elle qu e la co m p ren d T e ilh a rd , l'é v o lu tio n est l'e x p re s s io n l'a c tio n c ré a ­ tr ic e de Dieu. Cf P. S m u 1 d e r s, La vis io n de Teilhard de Chardin, P aris 1964, 57— 70.

69 T. W o j c i e c h o w s k i , Z e w o l u c y j n e j p r o b l e m a t y k i śm ie rci c z ł o w i e k a Le p ro b lèm e é v o lu tio n n iste de la m ort de l ’hom m e) S tu d ia P h ilo so p h ia e C h ris tia n a e 15(1979) n ° 1, 81—98.

(16)

individu ou d'un „couple hum ain b ég ay an t1'70. Ce n e peut non plus ê tre un acte isolé, situé dans quelque coin perdu de la terre. C'est, par contre, un état, qui touche l'hum anité à trav ers les péchés p ar­ ticuliers, libres choix dissém inés en elle, en travant la réalisation du m ystère du Christ. C 'est cet état qui se m ultiplie continuellem ent dans l'histoire, état qui a fait que l'Incarnation a pris égalem ent un caractère rédem pteur, douloureux.

Dans la vision de Teilhard, il n 'y a plus de place pour le Pa­ radis, félicité prim itive des prem iers parents71. Le dram e du Paradis décrit dans le livre de la Genèse, de l'avis de Teilhard, est le drame de to u te l'hum anité. Adam et Ève deviennent l'im age de l'hum anité avançant vers Dieu, répondant à la vocation de réaliser dans l'h is­ toire le m ystère du Christ72. La félicité du Paradis n 'est rien d ’au tre que le salut offert à tous dans le Christ, rejeté néanm oins par beaucoup73. Toute l'hum anité est responsable du visage de son av e­ nir, de la m aturation de l'histoire dans laquelle se réalise le m y­ stère du Christ. Par son refus, par son péché l'hum anité introduit continuellem ent to u t le déroulem ent de l'histoire sur une au tre voie que celle qui a été p rév ue par le plan éternel de Dieu. C'est pourquoi st Paul écrivait: ,,... la création to u t entière gém it m ain­ ten ant encore dans les douleurs de l'enfantem ent" (Rm 8,22).

70 1922 O e t. X, 68— 69. 71 Ibid., 62— 63. 72 Ibid., 68. 78 Ibid., 68.

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