• Nie Znaleziono Wyników

Qu'est-ce que la "phénoménologie française"?

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Share "Qu'est-ce que la "phénoménologie française"?"

Copied!
20
0
0

Pełen tekst

(1)

Philippe Capelle

Qu’est-ce que la "phénoménologie

française"?

Studia Philosophiae Christianae 43/1, 55-73

(2)

S tu d ia P h ilo so p h iae C h ristian ae U K S W

43(2007)1

P H IL IP P E C A P E L L E

QU’EST-CE QUE LA „PHÉNOMÉNOLOGIE FRANÇAISE”?

1. P h ilo so p h ie e t p h é n o m é n o lo g ie e n F ra n c e . 1.1. „ P h ilo so p h ie fra n ç a is e ” . 1.2. C in q u a n te an s d e la p h ilo s o p h ie e n F ra n c e e t le re n o u v e a u d e la p h é n o m é n o lo g ie . 2. É v a lu a tio n s ré c e n te s d u m o u v e m e n t p h é n o m é n o lo g iq u e fran çais. 2.1. L e risq u e d e la c o n fu sio n . 2.1. „ L e m o u v e m e n t p h ilo s o p h iq u e le p lu s sig n ificatif d u 2 0 è m e siè c le ” . 2.3. L e „ to u r n a n t th é o lo g iq u e d e la p h é n o m é n o lo g ie fra n ç a is e ” . 2.4. L a ra d ic a lisa tio n d e la p h é n o m é n o lo g ie .

Il serait ici question de la „phénom énologie” et de la „phénom éno­ logie en France”. Mais comm ent rendre compte de ce qui - la phénom énologie - constitue non pas une „école de philosophie”, m o­ ins encore un „système philosophique”, mais plutôt un „mouvem ent” dont, pour reprendre la form ule de Heidegger, „la possibilité surpas­ se l’effectivité”. Au § 7 de Sein und Zeit, on lit: „Eessentiel de la phénom énologie ne réside pas dans sa réalisation comme tendance philosophique. Plus haute que l’effectivité se tient la possibilité. La com préhension de la phénom énologie réside uniquem ent dans sa sa­ isie comme possibilité”1.

E t dans Mein Weg in die Phänomenologie (1963): „Et aujo­ u rd ’hui? Le tem ps de la philosophie phénom énologique semble passé. O n la tient déjà pour quelque chose de dépassée, qui n ’est plus caractérisée que d ’un point de vue historique à côté d ’autres tendances de la philosophie. M ais la phénom énologie dans ce q u ’elle a de p ro p re n ’est pas une tendance. Elle est p o u r la pensée la possibilité qui se m odifie en tem ps voulu et qui est p ar là m êm e la possibilité p erm an ente de la pensée de correspondre à l’exigence de ce qui est à penser (dem Anspruch des zu

(3)

den). Si c’est ainsi que l’on fait l’épreuve et que l’on prend en garde la phénom énologie, alors elle peut disparaître com m e rubrique au profit de la question de la pensée (der Sache des D enkens), dont la m anifesteté (Offenbarkeit) dem eure un secret (G eheim nis)”.

L argum ent de H eidegger dem eure. Si la phénom énologie fait au jo u rd ’hui in ternationalem ent l’objet d ’études renouvelées, ce n ’est assurém ent pas parce q u ’elle obéit à des stratégies publicita­ ires d ’épigones zélés; c‘est, plus profondém ent, parce q u ’elle porte en elle les conditions phénom énales de son incessante naissance et de son déploiem ent plural.

C ’est donc en vertu d ’une naïveté adm irable - auquel l’intitulé général de ces conférences fait délibérém ent écho - que la phénom énologie se décline le plus souvent selon le singulier gram ­ matical. Les leçons données p ar H usserl en 1907 n ’avaient-elles pas définitivem ent encouragé une telle déclinaison p ar leur intitulé même: L ’idée de la phénom énologie? Pour autant, notre présent travail de relecture de l’histoire des idées ne peut passer par-dessus (a) ni l’équivocité de la tradition phénom énologique (b) ni le fait de sa pluri-éclosion historique.

(a) Paul R icœ ur, dans un texte de 1967 et repris en 1986, écrit: „La phénom énologie au sens large est la som m e de l’oeuvre hus- serlienne et des hérésies issues de H usserl”, à quoi il ajoutait: „La (phénom énologie) c’est aussi la som m e des variations de H usserl lui-m êm e” (A l ’école de la phénoménologie, Vrin, p. 9). Ce texte re ­ p renait un propos tenu p ar le m êm e au teu r en 1953: „La phénom énologie est pour une bonne p art l’histoire des hérésies husserliennes. La structure de l’oeuvre du m aître im pliquait q u ’il n ’y eut pas d ’orthodoxie husserlienne” (Revue Esprit, 21, p. 836). Ces deux phrases de R icœ u r écrites à près de 15 ans d ’intervalle, disent avec une adm irable constance, deux choses: 1) la dom icilia­ tion principale de la phénom énologie i. e. les travaux de Husserl; 2) il convient de faire le deuil d ’une datation précise de la fondation de la phénom énologie, d ’un acte de naissance précisém ent daté. C ar ce acte de naissance est un acte qui com prend l’oeuvre husser­ lienne premièrement en tan t quelle est en d ébat avec elle-m êm e et deuxièmement en tan t q u ’elle est elle-m êm e mise en question dans sa pro pre postérité.

(b) Il y a plus grave: quoi de com m un en effet e n tre les te n ta ti­ ves phénom énologiques fondatrices de H egel, de Blondel et de

(4)

H usserl? L am bert, dans la d ern ière section de son N eues Organon (1764), sollicite - sans en être l’inventeur - le m ot „ph éno m én olo ­ gie” au m om ent m êm e où il s’agit de (re) conquérir le sens, de tro ­ uver une m éth o d e en capacité de décider du „vrai” et du „faux” devant ce qui se p résen te en „ap p aren ce” („Schein”). O n n ’a pas assez rem arq u é que le p rojet originel de la phénom énologie coïncide ainsi avec la crise du sens et de la transm ission du sens. C ette crise est rien m oins que celle de la „ trad itio n ” et de l’a u to ­ rité m agistérielle d ’in te rp ré ta tio n qui s’en réclam e. O n p e u t citer D escartes mais aussi la R éform e p ro te sta n te et son père, Luther. O n retien d ra donc que la phénom énologie historique ne saurait ê tre dissociée de la naissance au 18ème siècle de l’h erm éneu tiqu e philosophique dont Friedrich Schleierm acher (1768-1834) sera (’initiateu r principal.

La question revient donc avec to u t sa force: com m ent, auprès de la séquence: L am bert, K ant, Hegel, Blondel, Husserl, Heidegger, jusqu’à Levinas, M erleau-Ponty, R icoeur, Henry, qui tous, o nt re ­ vendiqué un projet phénom énologique, est-il possible d ’évoquer ici une tradition de pensée uniform e? N ous risquerons cep en dan t une définition provisoire: la phénoménologie est science qui s ’enquiert des phénom ènes à partir d ’eux-mêmes, i. e. selon la manière dont ils se donnent; elle porte la demande: com m ent penser ce qui est là à par­ tir de ce qui est là, selon le mode où „cela ” se présente à m oi et à nous, non pas dans une reprise théorique, non plus en référence à une in­ stance extra-phénoménale? Si cette program m atique p hénom énolo­ gique est exacte, elle doit être en m êm e tem ps déclarée in sépara­ ble d ’une pluralité de dispositifs philosophiques fondam entaux, parfois opposés. C ’est une telle program m atique que nous te n te ­ rons de déchiffrer dans l’espace français.

1. PH ILO SO PH IE ET PHÉNO M ÉNO LO GIE EN FRANCE

1.1. „ P H IL O S O P H IE F R A N Ç A IS E ”

Nous laisserons de côté un type d ’appréhension assez superfi­ ciel, qui juge de la philosophie française à la m anière dont on juge de „la cuisine française” ou de la „haute couture française”. Le lieu com m un principal dont il faut se débarrasser ici consiste à identi­ fier la production philosophique française au m odèle cartésien de rigueur argum entative et dém onstrative. Personne ne songe à nier

(5)

le poids de la pensée cartésienne dans le développem ent de la pensée française. Mais ce point de vue est superficiel parce qu’il occulte trois réalités angulaires: (a) le destin de la pensée et de la m éthode cartésienne a largem ent débordé les frontières françaises et n ’a pas réservé leur caractérisation au seul développem ent des idées en France; (b) le développem ent de la pensée philosophique m oderne et contem poraine en France n ’est pas tributaire de la seu­ le déterm ination cartésienne; il obéit à une diversité non réductible à un seul courant philosophique, aussi essentiel soit-il; (c) on ne saurait dissocier - et ce sera la clef principale que je ferai valoir en ce prem ier point - la philosophie „historique” en France de la di­ sposition d ’ouverture à l’au tre et à l’universel des cultures.

Sur un registre inverse, un personnage aussi influent que Victor Delbos, (1862-1916), professeur à la Sorbonne, soutenait que la philosophie française s’est constituée à l’abri des influences angla­ ises ou allemandes. C ette seconde approche ne vaut sans doute que pour le 19ème siècle mais pour l’essentiel, elle relève d ’une recon­ struction quelque peu m ythologique destinée à faire valoir un génie français „chim iquem ent p u r”. C ette appréhension ne résiste pas aux faits biographiques les plus élém entaires: Jean-Jacques Rousse­ au est genevois; Descartes a longtemps vécu en H ollande puis en Suède; les philosophes français du 18ème siècle étaient en com m u­ nication p erm anente avec la pensée anglaise; au 19ème siècle, l’in­ fluence de la philosophie allem ande en France est patente.

D ’où la nécessité d ’un au tre regard. M ichel Serres (Éloge de la philosophie en langue française, Fayard) édite depuis le m ilieu des années quatre-vingts, les philosophes „oubliés” de langue frança­ ise. Ce faisant, il a décrit plusieurs types d ’intellectuels français depuis la Renaissance: l’encyclopédiste, le m oraliste, l’idéologue, l’intellectuel désengagé. Par delà ces portraits, Serres est guidé p a r le souci de faire valoir chez les philosophes français une re ­ vendication principielle de liberté protestataire: „Vous voulez penser? Exposez-vous donc d ’abord au risque m ajeur de la désobéissance en am ont com m e en aval. Pas de m aître certes, m a­ is pas d ’esclave aussi b ie n ”2 (p. 27). „E hom m e libre exige que nul ne l’oblige à une langue. Penser p ar soi suppose de p arler de m ê­

(6)

m e par soi-m êm e”; „La p ensée libre trouve son style”. O n ne p e n ­ se bien que quand on crée son écriture, que l’on invente son p ro ­ pre langage. L écriture, c’est la p ensée m êm e. Q uand on veut sup­ p rim er une culture, on brile les livres. Telle est la thèse profonde de Serres: l’interaction en tre la philosophie française et les pensées jaillies au sein d ’autres cultures, est analogiquem ent com ­ parable à la constitution d ’une langue.

C ’est, aussi bien, la thèse centrale q u ’illustre adm irablem ent l’ouvrage collectif dirigé p ar Jean-Francois M attei et intitulé Philo­ sopher en français (PUF, 2001). C ontrairem ent à la science géom étrique antique, fait-il observer, la philosophie fut toujours intim em ent m arquée du sceau de la langue dans laquelle elle s’est élaborée. E t s’il faut hom ologuer des expressions telles que „philo­ sopher à l ’allemande”, „philosopher à l ’anglaise”, il reste à savoir ce que p eu t signifier au sein du propos que nous conduisons: „philo­ sopher à la française”. La thèse dudit ouvrage est q u ’en France s’est posée po ur la p rem ière fois „la question des rapports de la philosophie avec l’universalité p rêté e à sa langue”. C on trairem ent à la revendication allem ande des grandes synthèses, parfois obscu­ res mais souvent luxuriantes, „le français fait sa joie des abstrac­ tions sèches com m e l’on parle d ’une pointe sèche qui grave le cu­ ivre n u ”, il isole dans le flux des événem ents singuliers de pures en ­ tités et les livre à la critique du regard dans une langue qui tra n ­ che3. Je rallierai volontiers la thèse d ’une constitution universelle de la langue philosophique française à condition de ne pas om ettre que cette déterm ination doit être replacée sur l’horizon d ’une cul­ ture eu ro p éen n e pou r laquelle l’accueil de l’altérité est principiel et constitutif de l’identité.

C ’est la conjonction des différents facteurs évoqués ci-dessus qui rend com pte de la situation herm éneutique dans laquelle fut placée la philosophie française dans le 2ème tiers du vingtième siècle, dès lors que, grace à celui qui en fut le prem ier introducteur, E m ­ m anuel Levinas, elle recueillit les prem iers travaux phénom énologi­ ques de H usserl et de H eidegger (m êm e si H eidegger avait été in­ troduit en France une prem ière fois p ar G eorges Gurvitch dans un cours donné à la Sorbonne en 1928 et partiellem ent consacré à Sein

(7)

und Zeit). O n form ulera à ce point, l’un des argum ents de ces „le­ çons”: la phénom énologie française ou plus exactem ent, les phénom énologies françaises sont inintelligibles si elles ne sont pas rapportées d ’abord et essentiellem ent à la rupture entre H usserl et Heidegger. C ette ru pture par quoi la subjectivité transcendantale est reversée sur l’horizon d ’une ontologie radicale et l’intentionna- lité subvertie à m êm e l’appel de l’être, ne fut pas seulem ent influen­ te, elle constitue un paradigm e pour une en trée com préhensive dans toute l’histoire de la phénom énologie française, depuis Levi­ nas, Sartre, M erleau-Ponty, Ricśur, H enry et D errida, ju sq u ’à Mal- diney, Richir, M arion, Franck, Chrétien et Lacoste.

1.2. C IN Q U A N T E A N S D E L A P H IL O S O P H IE E N F R A N C E E T L E R E N O U V E A U D E L A P H É N O M É N O L O G IE

O n relève, dès les années 1950, la présence de plusieurs courants phénom énologiques. Il s’agit là d ’une période de ressaisie systém a­ tique de la découverte de la phénom énologie, com m encée vingt ans plus tôt. Il y eu t une fascination du m ot lui-m êm e à laquelle succom bèrent Sartre et A ron, etc. On rap p o rte cet épisode qui se déroula dans un café du q u artier Saint-G erm ain-des-Prés: Jean- -Paul Sartre, p ren an t un verre entre ses mains, expliqua devant Si­ m one de Beauvoir et R aym ond A ron: „Tu vois, cela, c’est de la phénom énologie” !

L a p h én o m énolo g ie croise alors l’insistance de S artre sur le „je”, foyer o rg an isa te u r du sens. O n sait que p o u r S artre, le sens n ’est pas p ré-d o n n é dans une n a tu re subjective, dans un cosm os, dans u ne théologie, il est acte de lib erté du sujet lui-m êm e se p ro -je ta n t dans son agir. D ’où l’expression „existentialism e” qui chez S artre san ctio n ne la preced en ce de existence sur l’essence. L a chose m êm e dans son essence n ’est pas ailleurs que dans ce que l’existence en décide. Ce re to u rn e m e n t de position constitu e un e ru p tu re vis-à-vis de to u te la tra d itio n classique de la p h ilo so­ phie. P o u rtan t, la m ise en cause de S a rtre p a r H eideg ger lui-m ê­ m e en 1946 dans la Lettre sur l ’h um anism e {Uber den H u m a n i­ sm us) selon laqu elle le ren v ersem en t d ’une pro p o sitio n m é ta ­ physique reste une p ro p o sitio n m étaphysique, con trib u a à m a r­ ginaliser l’a u te u r de L ’être et le néant vis à vis de la p h é n o m é n o ­ logie o n tologique, é cart q u ’il initia lui-m êm e p a r sa ren c o n tre avec le m arxism e.

(8)

M erleau-Ponty, m ort en 1961, (on p eu t p rend re cette date com ­ me référence de la fin de la phénom énologie „prem ière m an ière”), est le prem ier phénom énologue à introduire de m anière systém ati­ que dans l’analyse des phénom ènes, la question de la chair et du corps. L appréhension du p hénom ène n ’est pas l’appréhension par un sujet d ’un objet. D ans l’exacte m esure où je suis un corps et étan t un corps je suis pris dans un „entrelacs” en tre moi et le m on­ de. Q ui condam ne to u te appréciation d ’extériorité. C ette analyse de la chair et du corps est cependant redevable à H usserl qui, à tra ­ vers le concept d ’intentionnalité, a le prem ier brisé le m ur en tre su­ jet et objet et de façon aussi patente, des Ideen II.

Au début des années 1960 s’impose une pensée multiforme, com­ plexe, qui entend contre la phénom énologie - en réalité, la phénoménologie existentielle - tirer les conséquences de la faiblesse du concept de sujet en tant qu’organisateur de sens. A partir de tra­ vaux d ’ethnologie (Claude Lévi-Strauss), en psychanalyse (Jacques Lacan), en linguistique (Roland Barthes), sur la mythologie (Georges Dumézil), en philosophie politique (Althusser) les penseurs de la „pensée structurale” opposent à un sens constitué par le sujet, un sens produit par les structures anthropologiques fondamentales: eth­ niques, psychologiques, linguistiques, symboliques, politiques. Ces années-là coïncident avec ce que l’on a appelé ”la m ort du sujet”, ou „la m ort de l’hom m e”: le sujet ne peut plus être tenu comme s’auto- -organisant, il est happé par des structures qui l’antécédent. D ’où le rouleau com presseur des rejets formés à l’endroit des principes de la m orale classique, de la foi religieuse et de la création esthétique.

C ’est dans cet espace q u’à travers une série d ’essais, s’est large­ m ent développée un style de pensée soucieux de ressaisir dans une m odestie délibérée, à distance de la phénom énologie et des struc­ turalism es, des secteurs de réalité, des contingences. Les essais tels Histoire de la folie, les M ots et les Choses de M. Foucault ou Monta- illou, village occitan, de E. Leroy-Ladurie en constituent d ’illustres exemples. Ce qui est là récusé, ce sont les différentes totalisations du savoir et le principe m êm e d ’un m étasavoir. O n refuse de sacri­ fier à un m étalangage et à to u te theorisation vorace à prétention englobante, au bénéfice de vérités partielles et du souci m ajeur de faire d roit à la „com plexité”. C ’est dans ce m ouvem ent, que se vul­ garisent les vocables „déconstruire”, „décrypter”, et q u ’apparait le nom d ’un certain Jacques D errida.

(9)

C ’est à p artir de ce cadre que s’est de facto reposée à nouveaux frais la question du sujet. Si le sujet n’est ni une instance auto-suffi­ sante fondatrice de la totalité du sens, ni un produit surdéterm iné par les structures, ni une gram m aire inconsciente, alors il reste à penser des espaces où, néanm oins, le sujet „fait” du sens. Q uand et com m ent cela opère-t-il en histoire politique ou en histoire des sciences? L a résurgence d ’un tel questionnem ent ne pouvait plus congédier de l’idée de vérité; il im pliquait en revanche un renouve­ au dans la réflexion sur le concept m êm e de vérité. Q u ’est-ce qui est vrai? Q u ’est-ce qui vient de l’hom m e? Q u ’est-ce qui fait que l’hom m e agit aux m arges des structures?

O n ne saurait m anquer de m entionner ici le poids des recherches scientifiques, dans la philosophie française récente, ce en dépit de Sartre et de H eidegger qui l’un com m e l’autre, déniaient à la scien­ ce le droit de revendiquer les titres du penser radical. A ssurém ent, il était de bon ton dans les années 1970 de récuser tout lien entre l’activité m agistrale de la philosophie et l’activité laborieuse des scientifiques incapables d ’échapper aux présupposés qui délim itent leur Positum. Mais là contre, s’est progressivem ent imposée l’idée de puiser parm i les sciences des concepts organisateurs de la pensée philosophique. D ’où l’essor considérable de la philosophie des sciences, de l’histoire philosophique des sciences; de ce point de vue, la parution de l’ouvrage de Thom as Kuhn, L a structurse o f the scientific revolutions 1963 aux USA et sa traduction française en 1972 a pu être considérée comm e un nouveau départ. Il ne s’agissa­ it pas de se réapproprier l’histoire des sciences (l’épistém ologie française a une longue histoire à cet égard) mais de solliciter des concepts scientifiques fondam entaux et de vérifier leur caractère opératoire dans des dom aines de philosophie fondam entale telles l’anthropologie, la philosophie politique, (ex. les concepts d ’auto- -organisation et d ’auto-reconstruction des cellules en biologie transférés dans l’analyse du corps social: le corps social fonctionne- -t-il com m e un corps biologique?). Plus profondém ent, c’est le sta­ tut de la raison et des rationalités qui furent soumis à un travail de refondation (E dgar M orin, J. Ladrière, H enri Atlan, etc.).

A la m êm e période, app araît un nouveau dom aine d ’idées qui invoque la p atern ité de Nietzsche et de Freud. Son point de départ peut être sym boliquem ent daté de 1972 avec la publication par G. D eleuze de L ’anti-Oedipe, le colloque de Cerisy-la-Salle sur

(10)

Nietz-sehe. Les thèses qui le jalonn en t peuvent être résum ées com m e su­ it: le désir est ce par quoi et à travers quoi advient un m onde; le m onde jaillit p ar le désir du philosophe, de l’artiste, de l’architecte, etc, le désir se tient ainsi en am ont du m onde. D ésirer p roduire une oeuvre musicale, picturale, c’est non pas réaliser une n ature déjà là, m im er un sens déjà là ou déployer des potentialités, mais orga­ niser, inventer, déployer des contingences nouvelles. C ’est au sein de ce courant et à p artir de lui que va être posée la question d ’une am biguité prem ière: le désir ne peut-il faire advenir tout et son contraire? Par exem ple la neuvièm e Sym phonie de B eethoven, une toile de Picasso, certes mais aussi les camps d ’Auschwitz et le géno­ cide arm énien? D ’où l’ouverture inéluctable des pensées du désir sur le dom aine de l’éthique. Ce que l’on a alors appelé le „retour à l’éth iq u e” ne doit pas être en ten d u à la m anière du reto u r à la m orale civique ou religieuse (à l’instar de la Moral Majority aux USA) mais com m e le renvoi inévitable aux critères de l’agir dans son rap p o rt au désir.

La pensée philosophique du pouvoir qui s’im posera massive­ m ent dans les années 1980 est dans un effort qui croise aussi bien les questions politiques traditionnelles (la m eilleure form e de gou­ vernem ent) que la réflexion sur les stratégies à l’oeuvre dans les différentes sphères d ’organisation sociale ou privée (ex. le pouvoir des m édias, les em pires économ iques, le ciném a avec Jacques Bau- drillard, Pierre B ourdieu, Serge Moscovici etc).

D epuis quelques années, l’expression „phénom énologie frança­ ise” a pu passer pou r un pléonasm e, avec les inconvénients et les avantages qu ’une telle équation com porte. O n peut considérer - c’est m on cas - que le dossier des inconvénients est plus lourd que celui des avantages dans la m esure où le pléonasm e occulte le fait les nom breux cham ps d ’interlocutions internationaux dans lesquel­ les la phénom énologie française s’élabore. O n ne peut, certes, que relever la grande vitalité de la phénom énologie en France depuis le début des années 1980: une véritable floraison attein t tous les cham ps de savoir. O n ne com pte plus le nom bre de Revues, de Collections éditoriales, de laboratoires et de C entres de recherche, d ’ouvrages collectifs et d ’ouvrages individuels m ajeurs, qui lui sont voués, ni le nom bre d ’interfaces disciplinaires q u ’elle suscite: avec les sciences cognitives, avec l’art, la m étaphysique, la philosophie de la religion, la théologie, ni les divers objets conceptuels dont el­

(11)

le s’est saisie. Mais c’est son entreprise de radicalisation qui l’a ren ­ du attractive n otam m ent depuis les travaux de E m m anuel Lévinas, de M ichel H enry et de Jean-L uc M arion.

2. ÉVALUATIONS RÉCENTES

DU M OUVEM ENT PHÉNO M ÉNO LO G IQ U E FRANÇAIS

2.1. L E R IS Q U E D E L A C O N F U S IO N

Ce n ’est pas seulem ent la phénom énologie historique du 19è et de la p rem ière m oitié du 20ème siècles mais égalem ent la „phénom énologie française” elle-m êm e qui se présente comm e une tradition multiforme. Si l’on se réfère à l’ouvrage de B ernhard W aldenfels, Phänomenologie in Frankreich, (1983), le constat est, de ce point de vue tout à fait éloquent. D ans une prem ière partie longue de plus de qu arante pages, l’au teu r évoque les prém isses et les prem iers pas de la phénom énologie en France. Pour les prém is­ ses, sont énum érés les nom s de Léon Brunschvicg, Alain, Louis La- velle, R ené Le Senne et E. M ounier; les deux hégéliens, A lexandre Kojève et Jean Hyppolite; les marxistes H enri Lefèvre et Tran-D uc Thao; des philosophes des sciences ou épistém ologues com m e A le­ xandre Koyré et G eorges Gurvitch; dans une perspective he- ideggérienne, les nom s de Jean B eaufret et de H enri Birault, ou encore, sans être exhaustif, un m étaphysicien com m e Jean Wahl. A la suite, q uatre parties sont réservées aux grands nom s de la phénom énologie française que sont Jean-Paul Sartre, M aurice M erleau-Ponty, Em m anuel, Lévinas et Paul R icœ ur. D ans les deux dernières parties du m êm e ouvrage est suggéré le caractère q u ­ elque peu cosm opolite de la planète phénom énologique puisque dans des perspectives chaque fois précisées, sont indiqués les tra ­ vaux de Raym ond A ron et de H enri-Irénée M arrou (pour ce qui concerne le rap p ort de la phénom énologie aux sciences historiqu­ es), le nom de H enri D um éry, le célèbre com m entateur de Blondel (pour ce qui concerne le rap po rt en tre phénom énologie et expérience religieuse); les nom s de Jean-Francois Lyotard et de G aston Bachelard (pour le dom aine de la recherche cosmologi­ que); ceux de Jean L ad rière et de Jean-Toussaint D esanti (pour ce qui concerne la critique de l’épistém ologie); ceux de Jean Piaget et d ’A ntoine Vergote (pour ce qui concerne le rap p o rt entre phénom énologie et psychologie). Le moins que l’on puisse c’est

(12)

que la salle des convives est honorablem ent rem plie et quelque peu bigarrée!

S’il est redou tab lem ent difficile de p ren d re en vue toutes les fi­ liations dont la phénom énologie française est tributaire, on enregi­ strera cependant, dans le prolongem ent de ce qui a été dit, trois m om ents distincts:

1. L e temps des premiers héritages avec le „prem ier” Lévinas, Sar­ tre, M erleau-Ponty, le „prem ier” R icœ ur. C ette génération luttait contre l’idéalism e” et ses figures historiques et contre le dualism e cartésien. Elle a ainsi trouvé soit dans le marxisme soit dans les sciences soit les deux, au tan t de terrains de com m unication voire d ’entente, avec la phénom énologie.

2. L e temps des refondations: M. Henry, le „second” Lévinas, le „second” R icœ ur, J.-L. M arion, M. Richir, J. Greisch, Ce tem ps, qui n ’est pas achevé, s’accom pagne:

- d ’une m odification substantielle des interlocutions de la phénom énologie, qui tient à un reto u r systém atique vers les grands noms de la m étaphysique m édiévale et m oderne: B onaventure, D uns Scot, Suarez, D escartes, Pascal, K ant, Nietzsche.

- d ’un travail de réin terp rétatio n des objets classiques de la phénom énologie: la „conscience tem p o relle” par M. Richir, ,,1’esth étiq u e” (M. H enry et H. M aldiney), les „affects” (M. H en ­ ry), „la corporéité et la chair” (M. Henry, D. Franck, M. R ichir et plus récem m ent J.-L. M arion).

3. L e temps des recompositions qui s’accom pagne de:

- l’ém ergence d ’objets nouveaux: „l’appel”, la „révélation” (M a­ rion) la „prom esse”, „le d o n ”, le „secret”, la „p arole” et le „silen­ ce”, (C hrétien), l’événem ent (R om ano), „la „liturgie” (Lacoste), le „C hrist”, (H enry),

- la délim itation de nouveaux cham ps transdisciplinaires; avec la psychiatrie (N audin), avec la sém antique de l’action (J.-L. Petit) et avec les sciences cognitives (Petitot).

Face à un ensem ble aussi diversifié, on a pu dire qu ’il ,,n’y a dans la phénom énologie française aucun consensus”. Afin de ren d re po­ ssible une sorte d ’établissem ent des frontières, M ichel H a a r dans un ouvrage intitulé La philosophie française entre phénoménologie et métaphysique, considère que la différence intra-francaise se joue dans le rap p o rt am bivalent qu ’elle en tretien t avec la „m étaphysi­ que”, avec son objet et sa m éthode. Si, M erleau-Ponty et Sartre

(13)

sem blent avoir délibérém ent ignoré l’entreprise de déconstruction de la m étaphysique, p o u r Levinas et po ur Henry, la phénom énolo­ gie de l’absolu est l’autre nom de la m étaphysique initiée p ar H e ­ idegger. C ontrairem ent à ses prédécesseurs, fait-il rem arquer, p o ­ ur J. D errida, le term e „m étaphysique” connaît un usage péjoratif, consistant à établir une équivalence to tale entre le destin de la phénom énologie et la „m étaphysique de la présence”, m êm e si, p a­ radoxalem ent l’essence de la m étaphysique ne fait, chez lui, l’objet d ’aucune définition suffisam m ent précise (p. 1-8).

Le moins que l’on puisse dire, c’est que la mise en jeu de la qu­ estion m étaphysique semble bousculer le travail de clarification d ’au tan t plus que dans la dernière génération des phénom énologu­ es français, la prise de position à son endroit est restée le plus so­ uvent et m algré quelques incantations, dans une relative ind éter­ m ination. Mais p eut-on en ten d re correctem ent la façon dont la phénom énologie française se développe sans se rendre là où elle- -m êm e s’auto -interp rète? Je relèverai à cet effet trois m om ents- -clés de cette au to -in terp rétatio n qui délim itent chacun une aire de projets spécifiques.

2.2. „L E M O U V E M E N T P H IL O S O P H IQ U E L E PL U S S IG N IF IC A T IF D U 2 0 È M E S IÈ C L E ”

D ans les to u tes p rem ières lignes de son ouvrage Réduction et donation, Jean-L u c M arion écrit: «Pour une p a rt essentielle, la phénom énologie assum e, en n o tre siècle, le rôle m êm e de la p h i­ losophie4». Le propos est offensif. E n le ten an t, M arion n ’est pas très éloigné de la façon do n t Jan Patochka, l’un des co m m en ta­ teu rs historiques de H usserl parm i les plus p é n étran ts, ca ra c té ri­ se le m ouvem ent phénom énologique: „Les prem ières années du X X è siècle sont tém oins de la naissance d ’une philosophie n o ­ uvelle qui ten te de m ettre en oeuvre un style de pensée différent de ceux qui avaient cours jusque-là ( ...) L a phén om énologie fut et d em eure sans d o u te l’o rien tatio n philosophique la plus origi­ nale de n o tre siècle, celle aussi do n t les p réten tio n s sont les plus am bitieuses5”.

4 J.-L. Marion, Réduction et donation, PUF, 7.

5 J. Patochka cité d ’après la traduction française: Q u’est-ce que la phénoménologie?, J. Millon, 263-264.

(14)

E n quoi consiste cette philosophie „nouvelle”? Au to u t début du m anuscrit de 1976 déjà m entionné, on lit: „Com m e philosophie au ­ thentique, (la phénom énologie) se refuse à ren d re son travail tri­ butaire des sciences spéciales, de leurs m éthodes et des m odes de questionnem ent qui leur sont o rdinaires”. ( ...) Ce n ’est pas à dire q u ’elle p réten d e être ou renouveler une discipline form elle abstra­ ite; m algré son haut degré de généralité, ce q u ’elle a en vue est au contraire, très co ncret”6. Q u atre déterm inations caractérisent ainsi la „philosophie nouvelle”: (a) fonder l’autonom ie de la philosophie en lui assignant la tache de penser ce qui app araît selon ce q u ’il ap ­ paraît. Le p rojet phénom énologique va ici en effet plus loin qu ’il n ’est jam ais allé, puisque ne qu ittan t point le „concret”, il vise à penser ses m odalités d ’apparition; (b) m ettre en oeuvre une phi­ losophie com m e science rigoureuse qui soit débarrassée non seule­ m ent de tout préjugé sur le réel, non seulem ent renonce à „l’attitu ­ de n atu relle”, mais aussi instaure des procédures et une m éthode propre d ’accès aux choses mêmes; (c) poser à nouveaux frais la qu ­ estion de l’être; puisque l’am bition phénom énologique ne canto n­ ne pas la philosophie à un exercice régional de pensée, mais l’en- traine à penser l’apparaitre des choses, alors elle conduit à poser la question du sens de l’être p a r un biais inédit: non pas l’être des éventuels „arrière-m ondes”, mais l’être en tan t qu’il est e n je u dans l’apparaitre des choses du m onde; (d) reconduire to u te m étaphysi­ que et la m étaphysique com m e telle à son fondem ent et reposer la question de la vérité.

E n regard de cette déclaration de Patochka, il est clair que M a­ rion franchit un pas supplém entaire: à ses yeux, la phénom énologie assum e en n otre 20ème siècle le rôle m êm e de la philosophie. A u­ trem en t form ulé: Où est la philosophie à partir du 20ème siècle? Là où est la phénoménologie. C om m ent une telle chose est-elle possi­ ble et pensable? M arion répond: „Après que N ietzsche ait conduit à son term e et accom pli toutes les possibilités (...) de la m étaphysi­ que, la phénom énologie a, plus que to u te au tre initiative th éo ri­ que, entrepris un nouveau com m encem ent” O u encore: „Depuis que la m étaphysique a trouvé sa fin, soit com m e un achèvem ent avec Hegel, soit com m e un crépuscule avec Nietzsche, la philoso­

(15)

phie n ’a pu se poursuivre auth en tiqu em en t que sous la figure de la phénom énologie”7. E t M arion de distinguer trois pistes sur lesqu­ elles s’est exercée depuis Nietzsche, la philosophie: (a) elle s’est m étam orphosée en d ’autres savoirs ou sciences: est visée ici, bien légitim em ent, la dilution de l’exercice philosophique en sciences hum aines, psychologie, sociologie, anthropologie structurale et structuralism e, ethnologie et sciences économ iques, (b) la philoso­ phie a pris des visages changeants sous le seul m otif de n ’avoir plus à traiter la cause de la m étaphysique de façon responsable (philo­ sophie politique m ilitante, analyse des m ouvem ents de société, philosophie des sciences); (c) la phénom énologie, elle seule, a h o ­ noré ce que philosophie veut dire, en p o rtan t „l’intention philoso­ phique à un achèvem ent ignoré de la philosophie m êm e” (ibid,) A utrem ent dit, la phénom énologie rép ète la possibilité de la philo­ sophie en rep osant la question de l’accessibilité aux choses.

Si la tendance de la phénom énologie à s’au to -in terp réter com ­ m e relais contem porain de la philosophie classique est incontesta­ ble, il faut com prendre q u ’elle n ’est pas indem ne de sa prop re au ­ to-contestation. On au rait donc tort d ’y lire une sorte d ’auto-légiti- m ation idéologique d ’une école de pensée particulière. La qu ­ estion reste donc ouverte de savoir quel statut, au regard d ’une tel­ le auto-interprétation, peuvent revêtir les développem ents d ’autres m ouvem ents philosophiques, tels la tradition analytique et, singu­ lièrem ent, les courants issus des positions w ittgensteiniennes.

2.3. L E „ T O U R N A N T T H É O L O G IQ U E D E L A P H É N O M É N O L O G IE F R A N Ç A IS E ”

Pour certains, tel D om inique Janicaud, ce geste de radicalisation n ’a pas fait l’aveu de sa véritable identité. D ’où le diagnostic fo r­ m ulé à m êm e l’intitulé de son ouvrage publié en 1991: L e tournant théologique de la phénoménologie française8. Ce qui signifie: la phénom énologie française fait, depuis Levinas mais en vertu d ’une am biguïté léguée p ar H eidegger, l’objet d ’une to u rn u re nouvelle inspirée par la théologie; cette tourn u re ne constitue pas seule­ m ent une disposition nouvelle de la phénom énologie, une sorte de

7 J.-L. M arion (éd), Phénoménologie et métaphysique, PUF, 1984, Introduction, 7. 8 D. Janicaud, Le tournant théologique de la phénoménologie fi-ancaise, Editions de l’Eclat, 1991.

(16)

nouvelle époque du m ouvem ent phénom énologique, elle m et en cause son projet, en déto u rn e le principe, en annule la visée. C ette phénom énologie reto u rn ée relève désorm ais d ’un „m ontage m éta- physico-théologique préalable à ré c ritu re philosophique. Les dés sont pipés, les choix sont faits, la foi se dresse m ajestueuse à l’ar- rière-plan. Le lecteur, confronté au tran chan t de l’absolu, se re tro ­ uve dans la position d ’un catéchum ène qui n ’a plus d ’autres choix que de se p é n é trer des paroles saintes et des dogm es altiers: „Le D ésir est désir de l’absolum ent A u tre .... Poser le désir, cette altérité, inadéq uate à l’idée, a un sens. Elle est entend ue com m e altérité d ’A utrui et com m e celle du Très H a u t (Levinas). Tout est acquis et im posé d ’em blée; ce to u t est de taille: rien de m oins que le D ieu de la tradition biblique. Stricte trahison de la réduction qui livrait le Je transcendantal à sa nudité, voici la théologie de retour avec son cortège de majuscules. M ais cette théologie, se dispensant de livrer le m oindre titre, s’installe au plus intim e de la conscience, com m e si cela allait de soi. La philosophie doit-elle ainsi se laisser intim ider?”9. D ans son ouvrage Soi m êm e com m e un autre, Paul R icœ ur avait dem andé: „Le sujet radical est-il D ieu?”. C om m enta­ ire de Janicaud: „Le to u rn an t théologique est évidem m ent contenu in ovo dans ce genre d ’in terprétation; mais R icœ u r s’est bien gardé de franchir le pas”10.

Le to u rn an t théologique de la phénom énologie française serait ainsi p o rté p ar la question de la Transcendance et son rap po rt à l’originaire de la phénom énalité. M ais cette question elle-m êm e serait issue des difficultés léguées p ar H usserl, n otam m ent en ce qui concerne le statut de la réduction, et la relation en tre la phénom énologie et la m étaphysique. Deux directions furen t prises, selon Janicaud, qui p réten d aien t constituer au tant de réponses à ces difficultés q u ’il désigne à l’aide d ’un double vocabulaire: (a) ,,1’entrelacs” et (b) ,,1’aplom b”.

(a) L entrelacs fait écho à l’entreprise de M erleau-Ponty qui, dans l’inspiration de H usserl et à p artir de son vocabulaire de ,,1’h orizon”, cherchait à p ren d re en com pte non seulem ent le visi­ ble mais aussi bien l’invisible. Telle fut la nécessaire nouveauté de la phénom énologie, inscrite dans la phénom énologie elle-m êm e i.

" Ibid. p. 15-16. '° Ibid. p. 13.

(17)

e. : le visible n ’est jam ais pur, il est toujours palpitant d ’invisibilité. D e m êm e, la vision que j ’ai du visible n ’est pas un cliché p h oto gra­ phique, sim plem ent un point de vue, car elle s’inscrit dans un dia­ logue avec le corps qui lui aussi participe de ce qui est vu. L „entre- lacs” indique ainsi un double débordem ent: d ébordem ent du visi­ ble par la chair du m onde (le visible du m onde est toujours pris dans une connexion avec son invisible) et d ébordem ent de m a vi­ sion par la corporéité qui est m ienne (m a vision est toujours déjà prise dans m a pro p re corporéité). La chair, le corps est donc ce qui indique cet entrelacs, ce qui à la fois fait partie de l’être du m onde et donne à voir l’être du m onde. La frontière en tre ce qui se montre et ce qui montre, n ’est donc pas aussi n ette q u ’on n ’aurait pu le cro­ ire „à prem ière vue”. Mais si Janicaud évoque M erleau-Ponty, c’est dans une intention précise: relever que celui-ci ne quitte jam ais le terrain strictem ent phénom énologique au m om ent m êm e où il sur­ prend la phénom énologie, où la phénom énologie est surprise par une dim ension préalable à la distinction en tre le sujet et l’objet, en ­ tre les sujets eux-mêmes. Le visible et l’invisible participent donc d ’un m êm e „entrelacs” qui doit être mis à jo u r et dont la mise à jo ­ ur participe de l’acte phénom énologique lui-même.

(b) Il n ’en va pas ainsi de ,,1’aplom b” qui, par opposition à l’„en- trelacs”, exprime une attitude philosophique déroutée, déjouée, détournée; celle par quoi la phénom énologie se trouve dépossédée de sa m éthode prem ière consistant à partir de/à ne jam ais quitter ce qui est là en train de se m ontrer. Laplom b fait donc intervenir une instance en quelque sorte hypostasiée que Janicaud stigmatise en privilégiant assez souvent le cas, semble-t-il désespéré, de E m m anu­ el Lévinas. Celui-ci, dit Janicaud, cherche à résoudre le m êm e problèm e que celui dont M erleau-Ponty, pour sa part, s’est saisi et auquel il a apporté la résolution que l’on vient de dire. Ce problèm e vient de ce que la phénom énologie husserlienne postule une base irréductible qui est l’intentionnalité de tout acte. O r l’intentionnalité bute sur le sujet, sur l’ego, et ne m et pas en cause le postulat que constitue un tel point de départ philosophique. Lentrelacs de M erle­ au-Ponty constitue bien une résolution de la difficulté puisqu’il s’agit de déborder „l’horizon intentionnel” de l’ego. Or, Lévinas introduit un autre prim at qui est l’idée d ’infini. Dans Totalité et infini, cette idée n ’est point produite en vertu de la m éthode phénom énologi­ que, mais, p ar révélation. Janicaud cite Levinas: „Linfini n ’est pas

(18)

d ’abord pour se révéler ensuite. Son infinition se produit comme révélation, comme mis en moi de son idée”11. C ette révélation est portée p a r un A utre en moi, par une transcendance qui doit être présupposée en am ont ou en aplomb de la phénom énologie et de sa m éthode. Si l’idée de l’infini, est déclarée comme ,,1’idée de YAutre en m oi”12, alors il y a „double je u ”.

La thèse principale de Janicaud ne vise pas seulem ent Lévinas, elle veut m ettre à l’épreuve les dispositifs théoriques de Jean-L uc M arion développés dans son ouvrage déjà cité Réduction et dona­ tion et E tant donné'3, de Jean-L ouis C hrétien et de sa „phénom énologie de la prom esse”14, enfin de M ichel H enry et de­ puis sa thèse soutenue sur l ’Essence de la manifestation ju sq u ’à Phénoménologie matérielle15. E n dépit des différences et des diver­ gences rem arquables rap p o rtées p ar D om inique Janicaud, un m ê­ m e diagnostic veut les affecter tous, qui m et en cause la fidélité au p rojet phénom énologique p ar d éto u rn em en t théologique: chez Levinas, on vient de le dire, par le prim at de l’idée d ’infini produit par révélation de l’A utre avec un grand «A»; chez M arion, p ar la reconduction de l’E tre à la pure form e de l’appel; chez C hrétien par le recours à un horizon conceptuel chrétien où non seulem ent sont sollicités les term es de „résurrection”, de „gloire du corps” mais où, en cela m êm e, l’analyse phénom énologique se voit surdéterm inée théologiquem ent p ar des contenus de la foi reli­ gieuse chrétienne; enfin par M ichel H enry qui en reconduisant l’être à la notion d ’„archi-révélation”, trahit la procédure phénom énologique qui s’en tient précisém ent, au non-révélé.

Nous procéderons au term e de ces leçons à une reprise critique des thèses de Janicaud, po u r en m esurer, par-delà l’expression du m om ent, les enjeux principaux. Relevons à ce point trois types de questions que les prochaines leçons au ro n t à ressaisir: 1. E n quoi la phénom énologie française com porte-t-elle, au regard de la phénom énologie historique, de nouvelles percées? 2. Q u ’en est-il de la m éthode phénom énologique? 3. com m ent penser le double

11 Totalité et infini, cité dans Le tournant..., p. 28. 12 E. Levinas, Totalité et infini, p. 43.

13 J.-L. M arion, Etant donné, PUF, 1997.

14 J.-L. Chrétien, La voie nue. Phénoménologie de la promesse, Editions de Minuit, 1990. 15 M. Henry, L ’essence de la manifestation, PUF, 1963; Phénoménologie matérielle, PUF, 1990.

(19)

rap p o rt en tre phénom énologie m étaphysique, en tre p hénom énolo­ gie et théologie?

2.4. L A R A D IC A L IS A T IO N D E L A P H É N O M É N O L O G IE

Michel Henry, dont nous exposerons plus bas les vues, écrit dans l’„A vant-propos” de la Phénoménologie matérielle·. „Le renouvelle­ m ent de la phénom énologie n ’est possible au jo urd ’hui q u ’à une condition - à la condition que la question qui la déterm ine en tière­ m ent, et qui est la raison d ’être de la philosophie, soit elle-m êm e renouvelée. N on point corrigée, am endée, encore moins aban­ donnée pou r une autre, mais radicalisée de telle façon que ce dont to u t dépend, s’en trouve bouleversé et que, à sa suite, tout en effet soit changé”16. M. H enry prend acte du thèm e et de l’am bition de la phénom énologie historique: penser non pas seulem ent les phénom ènes mais le m ode de leur donation. R este qu ’une telle am bition n ’a pas su, à ses yeux, quitter son ultim e présupposé qui l’attache à la problém atique philosophique traditionnelle de la conscience et de Y„aletheia” grecque. Selon cette problém atique ancienne en effet, le p hénom ène est com pris que com m e une mise à distance, com m e une venue à la lum ière à p artir d ’un „dehors” de lui-mêm e. D ’où radicaliser la question de la phénom énologie devient pour M ichel H enry synonyme de l’exigence de penser la phénom énalité (l’ap paraitre de ce qui apparaît), en interrogeant la m odalité selon laquelle cette phénom énalité se phénom énalise o ri­ ginellem ent.

O n estim era q u ’un tel geste de radicalisation ne fait pas que ca­ ractériser le dispositif henryen, il perm et d ’apprécier au plus vif le destin de l’actuelle phénom énologie française en quelques-uns de ses m eilleurs représentants.

F E N O M E N O L O G IE FR A N C U SK IE . AKTUALNA DEBATA Streszczenie

Fenom enologia jak o n u rt filozoficzny je st m ocno zak orzeniona w środow isku francuskim , jen d ak ż e nie stanow i jakiejś „szkoły filozoficznej”, ani tym bardziej ja ­

(20)

kiegoś „system u filozoficznego”, lecz raczej jedynie „ruch intelektualny” . P. C ap el­ le uspraw iedliw ia m ożliwość używ ania sam ego pojęcia „fenom enologii fran cu ­ skiej” , k tó ra nie je st tylko fenom enologią u p raw iana we Francji, lecz „na sposób francuski”, co oznacza p rzed e wszystkim naw iązyw anie do krytycyzmu kartezjań- skiego. W śród szczegółowych tem atów podejm ow anych przez fenom enologów we Francji należy wymienić takie zagadnienia jak: polem ika ze strukturalizm em , je d ­ nostkowy w ym iar refleksji filozoficznej, pytanie o m iejsce i role podm iotow ości, analiza p ragnień ludzkich, a zwłaszcza p ragnienia władzy. Prace Lévinasa, H en- ry’ego, M ariona, L acoste, C h rétien a, których a u to r uw aża za głównych p rzed sta­ wicieli om aw ianego nurtu, p ro p o n u ją now e ujęcie fenom enologii w w ersji „feno­ m enologii radykalnej” Co kryje się p od tym pojęciem ? O znacza ono, po pierwsze, odw agę p roponow ania nowych ujęć fenom enologicznych, np. fenom enologia d a ­ ru, m ilczenia, obietnicy, liturgii itp., a nie tylko kom entow anie osiągnięć historycz­ nych H u sserla i jego następców ; po drugie zm usza do zm ierzenia się z oskarżenia­ m i o tzw. krypto-teologię (pytanie o teologiczny zw rot fenom enologii francuskiej); w reszcie po trzecie, w skazuje na konieczność ponow nego zdefiniow ania stosunku m iędzy filozofią (fenom enologią) a m etafizyką. W niosek proponow any przez Ph. C apelle jest oczywisty: fenom enologia pozostaje nadal najbardziej tw órczym i p e r­ spektywicznym n u rtem filozoficznym na te re n ie Franęji.

Cytaty

Powiązane dokumenty

Courante en linguistique et dans d’autres sciences humaines, cette situation tranche sur la pratique quotidienne en sciences exactes où pour éviter tout malentendu soit on se

To draw a cumulative frequency curve you need to construct a cumulative frequency table, with the upper boundary of each class interval in one column and the

Mes remerciements vont aussi à d’autres professeurs : le professeur Sarga Moussa du laboratoire THALIM (CNRS – Université Paris 3 – ENS) qui a plusieurs fois discuté avec moi

All Rights Reserved.. BIJLAGE 4 HET MINIMUM AANTAL VEREISTE SCHOTELS. Het minimum aantal schotels is berekend met behulp van

— transfer operators suitable for interface problems in two and three dimensions — smoothing analysis of smoothers based on incomplete factorization in two and

3) Pacte primordial «pré-éternel» (mîthâq) fait par Dieu avec Adam, avant sa création (S. 7,172), qui fait que tous les humains nais- sent musulmans. L’islam ne connaît

On pense en parti- culier au sacrifice d’un mouton, rite auquel s’associent les musulmans du monde entier au moment de la «Grande fête» (‘Id al-Adha) et qui rappelle le

Si, dans les descriptions de Bruxelles, c’est la valeur dysphorique de l’eau qui domine, dans ce portrait, la comparaison aquatique renoue avec le symbolisme