• Nie Znaleziono Wyników

Les lettres de Flaubert á Mlle Leroyer de Chantepie: les raisons d'une correspondance

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Share "Les lettres de Flaubert á Mlle Leroyer de Chantepie: les raisons d'une correspondance"

Copied!
11
0
0

Pełen tekst

(1)

Christine Queffe/ec Universite Lumiere Lyon 2

LES LETTRES DE FLAUBERT

A

MLLE LEROYER DE CHANTEPIE: LES RAISONS D'UNE CORRESPONDANCE

Vne femme de cinquante-six ans, obscur ecrivain de province, ce-libataire et victime d'angoisses obsessionnelles, bouleversee par la lecture de Madame Bovary, ecrit

a

l'auteur pour lui dire son emotion et son admiration. C'est le debut d'une longue et etonnante correspondance entre MIle Leroyer de Chantepie et Flaubert. Quoique souvent citee en raison des nombreuses considerations litteraires que l'on y trouve, cette correspondance n'a pas fait l'objet d'etudes specifiques, bien que M. Reid et A. Schweiger lui consacrent plusieurs pages dans leur ouvrage respectifl.

Le caractere insolite de ce dialogue prolonge avec une inconnue qui de lettre en lettre ressasse les memes plaintes, les memes inquietudes, pique la curiosite. On aimerait surprendre les raisons qui ont pousse Flaubert

a

poursuivre l'echange, beaucoup plus enrichissant pour la demoiseIle que pour lui. Correspondre avec un ecrivain ne pouvait que flatter la vanite de cette provinciale qui se sentait ainsi confirmee dans son propre statut d'auteur et esp6rait aussi sans doute quelque appui dans sa propre carriere litteraire puisqu'elle demandait parfois

a

Flaubert de lui placer des articles, mais l'essentiel pour elle residait certainement dans la possibilite de s'epancher que lui offrait le romancier, dans les mots de tendresse qu'il lui adressait, dans l'illusion d'etre un peu aimee. Pourquoi Flaubert est-il entre dans son jeu? Pourquoi, lui, qui se dit toujours accable de travail, a-t-il repondu? Est-ce par pure generosite, par pitie, sur les instances de George Sand, peut-etre, qui ecrivait depuis longtemps li cette dame, ou bien trouvait-il un

l Cf. M. Reid, Flaubert correspondant, Paris, S.E.D.E.S., 1995, p. 61-80 et A. Schweiger,

Les Lettres de G. Flaubert DU la litterature en question, These, Paris VII, 1988 (sur microfiches),

p.297. Cr. aussi V. Kaufmann, «Relations epistolaires», Poetique, novo 1986, p. 406. [117]

(2)

reel interet li ce dialogue? Vne etude de l'evolution de la correspondance

li travers les annees aidera dans un premier temps lievaluer sa motivation. Ensuite, une analyse du ton des lettres et des themes abordes permettra de deviner certains des plaisirs qu'il tirait tant de la lecture des lettres que de la redaction des reponses.

Comme le rappelle M. Reid, la correspondance s'est etalee sur 20 ans, puisque la premiere lettre de MIle de Chantepie date de decembre 1856 tandis que la derniere lettre de Flaubert, consacree au deces de George Sand, a ete envoyee en juin 1876. Si l'on s'en tenait li cette indication de duree, sans prendre en consideration la periodicite des lettres, on pourrait surestimer la place que cette originale demoiselle tenait dans l'esprit de Flaubert. Si l'echange est intense dans les deux ou trois premieres annees, le nombre et la longueur des lettres decroissent tres rapidement et l'epistoliere doit souvent ecrire deux fois avant d'obtenir une reponse, ce qui laisse supposer une certaine lassitude de Flaubert. De 9 lettres ecrites par le romancier en 1857, on passe li 6 en 1858, puis 4 en 1859. De 1860li 1863 il n'adresse plus que deux li trois lettres par an li son admiratrice , et seulement 1 ou 2 de 1864li 1867. Les cinq lettres de 1868 ne temoignent d'aucun regain d'interet mais lui sont imposees par une demande d'intervention de MIle Leroyer de Chantepie. II refuse et, victime des reproches de sa correspondante, il doit se justifier. A partir de cet incident, les relations se refroidissent considerablement et dans les huit demieres annees de l'echange, Flaubert n'enverra que trois lettres li sa lectrice, deux d'entre elles etant de pure convenance, puisqu'il s'agit d'un mot de remerciement et d'une lettre de condoleances. La correspondance n'a donc ete reguliere et chaleureuse que pendant dix ans et Flaubert semble y avoir surtout pris plaisir dans les deux ou trois premieres annees ou il repond avec soIlicitude et diligence. L'enthousiame qu'il manifeste au cours de l'annee 1857 peut faire egalement illusion. II n'a pas ete sectuit d'emblee par les lettres de MIle de Chantepie. II lui faut deux mois pour la remercier de sa premiere lettre en termes courtois mais convenus. Qu'il evoque sa charmante lettre , lui demande, en termes ceremonieux, de l'autoriser li lui adresser son livre ou dise son impatience de recevoir ses reuvres li elle, il ne fait qu'acte de politesse et donne l'impression de remplir un devoir impose par sa nouvelle celebrite.

II est evident qu'il pense en rester la et l'on eomprend que rien dans la

premiere lettre de la lectrice de Madame Bovary ne lui ait donne envie d'instaurer un dialogue. Elle y revele une conception de la litterature totalement etrangere li celle du romancier dont elle n'a pas compris les intentions. Insensible au travail artistique, li la composition savante de l'reuvre, au style, elle y perc;oit une simple copie de la realite, confond vie et art. Elle le felicite d'avoir «ecrit un chef d'reuvre de naturel et de verite», evoque la «pauvre dame Bovary» comme s'il s'agissait d'une femme reelle,

(3)

se refuse

cl

envisager la part d'imagination creatrice: «Non, cette femme a existe, vous avez du assister, li sa vie, li sa mort, li ses souffrances». Elle trouve plaisir li s'identifier li I'heroine, li s'abandonner li ses emotions. L'reuvre est excellente puisqu'elle a «pleure»!2

On comprend le laconisme de la reponse du romancier qui a dli juger inutile d'expliquer ses intentions li une lectrice si impermeable li ses principes.

Mlle de Chantepie, en revanche, loin d'etre decouragee par la politesse distante du billet, s'exalte lisa reception, remercie chaleureusement, recidive, repond par de nouvelles considerations sur Madame Bovary qu'elle paraphrase avec toutefois une sensibilite psychologique indeniable. Malheureusement, elle persiste dans ses erreurs: <~esuis persuadee que cette histoire est vraie» repete-t-elle,et elle est meme convaincue que l'auteur y a mis «ses sentiments», elle ne con90it pas d'autre source d'inspiration que le creur. Se comparant ensuite li I'heroine, elle evoque l'etroitesse et la monotonie de sa propre vie sur un ton melancolique qui n'est pas sans rappeler Novembre3•

Une erreur d'acheminement du courrier explique le silence de Flaubert. Elle ecrit une nouvelle fois et l'ecrivain, enfin touche, s'empresse de repondre. Le ton n'est plus le meme. Si la lettre s'ouvre encore sur un respectueux «Madame», la formule conclusive est presque tendre. Elle lui a envoye son portrait, il la remercie de l'<<Image»et ajoute: «Elle sera encadree et suspendue entre des figures cheries. J'arrete un compliment qui me vient au bout de la plume et je vous prie de me croire votre collegue affectionne»4. Les phrases echappent au conformisme rigide du style du premier billet. Le rythme en est alerte, on retrouve les conjonctions de coordination en debut de phrase dont le romancier est coutumier dans sa correspondance et qui miment le langage parle, relancent la parole, des excIamatives, une tournure nominale, procooes typiques des lettres aux amis. 11ne semble cependant guere presse de lire les reuvres de ce nouveau confrere. Alors qu'il «devore», «d'un bout li l'autre» ou «lit d'une traite» les ouvrages qui lui sont envoyes par des ecrivains celebres, il promet qu'il «v[a] lire [ses] trois volumes lentement, attentivement» mais se dit «empeche pour le moment» par son travail... 11n'evoque encore sa vie que de fa90n cursive li l'aide d'antitheses humoristiques et brosse de lui un portrait caricatural qui le masque plus qu'il ne le devoile: «j'ai trente-cinq ans, je suis haut de dnq pieds huit pouces, j'ai des epaules de portefaix, et une irritabilite nerveuse de petite maftresse. Je suis celibataire et solitaire». Il n'en reste pas moins qu'on est loin de la froide impersonnalite du premier mot.

2G. F1aubert, Correspondance, Mile Leroyer de Chantepie, 18 dec. 1856, t. 2, p. 654-655. 3Ibidem, 26 fevr. 1857, t. 2, p. 684-685.

(4)

Toutefois c'est la lettre suivante de MIle de Chantepie, ceIle du 28 mars

1857, qui va provoquer le veritable choc, changer la nature des liens entre

les deux epistoliers et faire naftre chez Flaubert le desir d'approfondir le dialogue et de l'installer dans la duree. La reponse instantanee de Flaubert, la longueur inhabituelle de la lettre, l'accumulation des intensifs dans la premiere phrase temoignent de la violence de l'emotion: «Votre lettre est si honnete, si vraie et si intense; elle m'a enfin tellement emu, que je ne puis me retenir d'y repondre immediatement»5. A la fin de 1858, il se rappelle encore le bonheur qu'il puisait dans les confidences de la demoi-selle: «Vous ne sauriez croire l'emerveillement sentimental que m'ont cause vos premieres lettres»6. II faut donc s'interroger sur ce qui, dans cette lettre, a pu particulierement toucher Flaubert. Dans sa reponse, il com-mence par se rejouir de l'age de sa correspondante. II se sent soulage. II ne peut etre question entre eux de seduction, ils sont li egalite, parlent entre confreres, et il n'a pas li craindre que la dame aliene sa liberte de createur: «nous causerons ensemble comme deux hommes», lui annonce-t-il. II sait maintenant qu'il peut ecrire sans risque d'etre pris au piege mais ce n'est pas une raison suffisante pour avoir envie de prolonger la conversation.

Le paragraphe suivant paraft plus revelateur, Flaubert revient sur la comparaison que «la vieille filIe», ainsi qu'elle se designe elle-meme, etablit entre sa personnalite et celle de Madame Bovary pour nier la ressemblance li l'avantage de sa correspondante et il introduit alors dans son argumentation une rupture logique riche de sous-entendus:

Et puis ne vous comparez pas

a

la Bovary. Vous n'y ressemblez guere. Elle valait moins que vous comme tete et comme creur; c'est une nature quelque peu perverse, une femme de fausse poesie et de faux sentiments. Mais l'idee premiere que j'avais eue etait d'en faire une vierge, vivant au milieu de la province, vieillissant dans le chagrin et arrivant aux derniers etats du mysticisme et de la passion revee7•

L'opposition introduite par <<mais»n'est pas explicitee sans doute par delicatesse, cependant elle se devine: «vous ne ressemblez pas li la Bova-ry mais vous ressemblez li mon idee premiere». II a ete frappe par le recit autobiographique de la dame parce qu'il y a reconnu l'reuvre revee

qu'il a renonce a composer. II decouvre avec une certaine exaltation qu'il avait «invente le vrai», que son sujet etait bon, meritait d'ctre traite. La personne qui lui ecrit prend alors la dimension d'un person-nage litteraire, d'autant plus qu'il ne peut acceder li sa vie que par le truchement du texte de la lettre, si bien que la vie est deja quelque peu reuvre.

s Ibidem, li MIle Leroyer de Chantepie, 30 mars 1857, t. 2, p. 696.

6 Ibidem, li MIle Leroyer de Chantepie, 26 dk 1858, t. 2, p. 846.

(5)

Le recit de la demoiselle avait d'ailleurs de quoi eveiller son interBt et stimuler le dialogue. Sa vie paralt Btre une illustration des mHaits du christianisme qui suscitent si souvent la colere de Flaubert: eduquee par «un prStre fanatique», elle faillit devenir «folle de scrupules re1igieux», puis chercha dans l'amour «un ideal de perfection impossible a realiser». Socialiste de creur, elle heberge des proches dans le besoin, se compose ainsi une fami11enombreuse qu'elle qualifie elle-meme de «phalanstere», se refugie dans la re1igion, espere en la vie eternelle mais se torture d'angoisses en raison d'une impossibilite nevrotique de se confesser8• Cette vie a la

parfaite unite prouve que la religion est responsable du degmlt de la vie terrestre, qu'elle favorise les sentiments de culpablite et elle fait apparaitre les liens etroits qui unissent le christianisme au socialisme utopique, celui de Fourier en particulier, liens que Flaubert ne cesse de denoncer. Elle le confmne dans sa conviction (perceptible dans le recit de l'education puis de la mort d'Emma Bovary) que le mysticisme se nourrit des frustrations sexuelles. Le cas d'Agathe, jeune parente de sa correspondante qui a sombre du mysticisme dans la folie, lui donnera ulterieurement l'occasion de developper cette idee, probablement dans l'espoir de susciter une prise de conscience de la part de la demoiselle, victime des memes symptomes, et d'avoir sur elle une action therapeutique:

Ne voyez-vous pas qu'eIles sont toutes amoureuses d'Adonis? C'est l'etemel epoux qu'elles demanden1. Ascetiques ou libidineuses, elles revent l'amour, le grand amour; et pour les guerir... ce n'est pas une idee qu'i! leur faut, mais un fait, un homme, un enfant, un amant9•

Par ses souffrances, ses insatisfactions, ses malaises, Mlle de Chantepie donne raison a Flaubert dans sa lutte contre toutes les religions et elle lui fournit en outre un riche materiau litteraire.

Souvent ił incite sa correspondante a lui ecrire de longues lettres. On peut voir la une marque d'interet, mais on peut imaginer aussi qu'il espere trouver dans ses confidences de quoi nourrir l'reuvre future. La vie de Felicite presente d'ailleurs un certain nombre de traits communs avec celle de Mlle de Chantepie: deception amoureuse, devouement entier aux autres, perte d'un neveu pour leque1 elle s'est sacrifiee, prise en charge d'un refugie polonais, mysticisme. Toutes deux vivent dans leurs souvenirs, dans le culte de leurs morts. F6licite conserve pieusement dans sa chambre des objets ayant appartenu

a

Virginie, Mlle de Chantepie considere ceI1e d'Agathe comme un veritable sanctuaire10• Ces elements sont recomposes dans un

8 Ibidem, MIle Leroyer de Chantepie li Flaubert, 28 mars 1857, t. 2, p. 694-696. 9 Ibidem, li MIle Leroyer de Chantepie, 18fevr. 1859, t. 3, p. 16.

10 cr. Un ClEUrsimple, Bibliotheque de la Pleiade, p. 617; G. F l a u b e r t, Correspondance,

(6)

ensemble litteraire different, les deux demoiseIles n'appartiennent pas au meme milieu mais les details foumis par la vie de l'aristocrate angevine contribuent li l'effet de reel.

C'est donc le Flaubert, ecrivain et penseur qui s'est interesse en priorite a cette etrange correspondante. II decouvrait a la fois un personnage litteraire et une confirmation de la justesse de ses options philosophiques. En outre, convaincu que les souffrances de son amie etaient induites par ses erreurs, il va vouloir la «guerir» en l'eduquant, en lui inculquant de nouveaux principes, ce qui lui donnerait le sentiment valorisant d'etre utile: «il me semble que si je vivais avec vous je vous guerirais. C'est sans doute de l'amour-propre. Mais je sens que je vous serais utile»l1. II est manifeste que dans chaque lettre il cherche li agir sur elle, a l'influencer, la fonction impressive du langage domine, les modalites deontiques l'emportent, les imperatifs, les presents de verite generale se multiplient. Les phrases souvent breves, construites en parataxe, prennent l'aIlure de maximes. II delivre des le(,:onsde vie: «Travaillez!», «Voulez!», «arrachez-vous de la!», «Voyagez!» repete-t-il inlassablement, mais il essaie aussi de reformer ses conceptions politiques, religieuses et morales:

Au nom du ciel et de la raison surtout, laissez donc la tous les medeeins et tous les pretres du monde et ne vivez plus tant dans volre ame et par elle. Sortez! voyagez! Regalez-vous de musique, de tableaux et d'horizons [...]. Ne souffrez pas pour les autres. Allez! c'est une folie... Ce conseil d'egoiste a sa raison en ceci: a savoir que {es aulres soni raremenl dignes de nous12•

Le ton de l'ensemble de la lettre est fort didactique, la volonte de conviction evidente, les liens logiques sont appuyes, des expressions sont soulignees, les exclamations ponctuent tout le texte, comme si l'auteur voulait insuff1er sa volonte a sa destinataire. Quand il aborde la politique ił se fait egalement pedagogue. La longue lettre du 18 mai 1857 est particulierement habile de ce point de vue. II prend acte des options politiques de son amie, n'y fait aucune objection, bien qu'un «soit», un peu sec, puisse marquer un certain regret, et il lui conseille des lectures, ceIle des penseurs utopistes d'abord, convaincu au fond que la lecture de leurs reuvres suffira ales deconsiderer sans qu'il ait besoin lui-meme d'intervenir dans le debat:

Je prends un exemple: vous vous preoccupez beaucoup des injustices de ce monde, de socialisme et de politique. Soit. Eh! bien, lisez d'abord tous ceux qui ont eu les memes aspirations que vous. Fouillez les utopistes et les reveurs sees... Vous serez tout etonnee de vous voir changer d'avis, de jour en jour, comme on change de chemise13.

11Ibidem, 6 avr. 1858, t. 2, p. 804.

12Ibidem, liMIle Leroyer de Chantepie, 23 aodt 1857, t. 2, p. 760. 13Ibidem, li MIle Leroyer de Chantepie, 18 mai 1857, t. 2, p. 717-718.

(7)

Cet homme qui se veut dans ses reuvres impartial, qui proclame si souvent son horreur de tous les dogmes, s'instaure soudain maltre

cl

penser, revele qu'il possede des idees tres arretees, des principes rigides qu'il veut imposer aux autres. Mlle de Chantepie lui apparalt comme un esprit li fa~onner, adominer, quelqu'un de plus malleable que Louise Colet ou George Sand, parce que de personnalite plus fragile. Avec ses deux autres amies, George Sand surtout, il est souvent oblige de faire des concessions, de nuancer sa pensee; avec Mlle de Chantepie, ił se montre toujours entier, sans nuances, ił s'en tient a des idees c1aires et simpies, evitant les contradictions que l'on trouve parfois dans ses autres correspondances. En litterature ił combat la tentation de parler de soi, la soumission aux sentiments, enseigne le culte de la forme, l'interdiction de conclure. II lui livre les recettes d'une reuvre de qualite et n'admet pas qu'ił puisse y avoir une approche de la litterature differente de la sienne. En politique il professe la haine de tous les partis, condamne le socialisme et toutes les formes de despotisme, personnel ou populaire: le vocabulaire est alors hyperbolique, charge de violence:

Je n'ai de sympathie pour aucun parti politique ou pour mieux dire je les execre tous ... J'ai en haine tout despotisme. Je suis un liberal enrage. C'est pourquoi le socialisme me semble une horreur pedantesque qui sera la mort de tout art et de toute moralite14•

Dans le domaine religieux il se livre a un pastiche de l'Apologie de Raymond Sebond pour initier sa disciple a son scepticisme.IItente d'operer une veritable maieutique en recourant aussi bien a des interrogations rhetoriques qu'a des ordres peremptoires: «Soyez donc plus chretienne. Et resignez-vous a l'ignorance»15.

On a l'impression que dans cette correspondance l'auteur se libere des contraintes que le choix de l'impartialite lui impose dans son reuvre. Lui qui ne se reconnaft pas le droit de dire ses opinions dans ses romans (tout en concedant cependant qu'iI peut les «communiquer», ce dont iI ne se prive pas, en particulier dans I'Education sentimentale), les proclame avec force dans ses Iettres qui lui donnent ainsi le pIaisir d'exercer un pouvoir intellectuel. Alors que I'ecrivain ne s'autorise qu'a <<representen>,I'interlocuteur de Mlle de Chantepie voudrait que son dire se fasse action et 1'0n sent un certain depit quand ił constate I'inefficacite des ses lec;ons. «Vous ne voulez pas guerir», repete-t-il li sa correspondante avec amertume16. Peut-etre

est-ce la l'une des raisons de l'etiolement progressif de I'echange: ecrire ne sert a rien.

14 Ibidem, li Mlle Leroyer de Chantepie, 30 mars 1857, t. 2, p. 698.

15 Cr. la lettre du 6 juin 1857, t. 2, p. 731. Toute la page meriterait d'etre analysee. 16 cr. par exemple lettre du 16 janv. 1866, t. 3, p. 478 et lettre du 24 janv. 1868, t. 3, p. 725.

(8)

Compensation

a

l'impartialite, lieu d'expression des convictions, les lettres

a

Mlle de Chantepie offrent aussi

a

Flaubert l'occasion de se confier, ce qu'il ne se permet pas non plus dans son reuvre qu'il souhaite imper-sannelle. En lisant la vie de san admiratrice il a certes ete stupefait de trouver incarne l'un de ses projets romanesques, mais il a pu aussi recon-naitre bien des traits qui etaient les siens. Elle partage son gOllt de l'independance, sa peur du mariage, son attachement

a

la mere, son sentiment de solitude, son amour de l'art et de la litterature et meme ses troubles psychiques. Ces ressemblances lui sont apparues, dans un premier temps, comme une incitation

a

la confidence et ił evoque meme dans ses lettres sa maladie nerveuse, ce qui est extremement rare avec les autres correspondants. La lettre du 30 mars 1857 marque un progres considerable dans l'intimite par rapport

a

la lettre precooente au il offrait de lui une image sommaire et caricaturale. Le «vous» et le <<je»alternent et se confondent, le «moi aussi» qui reviendra si souvent, apparait pour la premiere fois et il devoile

a

sa destinataire la profondeur de son ame: il lui dit sa peur de l'amour, ses amours imaginaires, son golit de la con-templation, le regard ironique qu'il parte sur le monde, sa familiarite avec la mort, son acceptation du neant, il l'initie li sa philosophie de la vie. Dans les annees 1857-1858, il revient bien souvent sur lui-meme, il explique comment ił a triomphe de la maladie, decrit sa vie avec sa mere et sa niece, ses gouts de luxe, san caractere d'«ours», sa propension li la melancolie, son attachement aux chases: Ml1e de Chantepie lui ayant confie son chagrin lors de la vente de sa maisan, il evoque

a

son tour les objets qu'elle cherissait, s'exclame, communie avec la nostalgie et le desarroi de san amie:

Combien votre lettre m'a emu avec la description de votre vieille maison pleine de tableaux de famille. Comme cela fait rever les vieux portraits! Je vous aime pour cet arbre, ce noyer que vous aimez. Pauvre chose que nous! Comme nous nous attachons aux chosesp7

Assez rapidement cependant les confidences se font plus rares, les lettres plus breves, le romancier s'en tient aux evenements de son existence, ses deuils, l'avancement de ses reuvres, ses voyages liParis au dans le Puy de Dome, ses lectures, comme si les confidences et les lamentations de son interlocutrice l'immunisaient contre la tentatian de se complaire dans l'analyse de soi et de ses miseres. Consoler quelqu'un produit un effet therapeutique. C'est un moyen de s'oublier et de dominer ses propres

17G. F l a u b e r t, Correspondance, li Mlle Leroyer de Chantepie, 18 fevr. 1859, t. 3, p. 16. Pour d'autres confidences, cr.18mai 1857, t. 2, p. 716; 23 aout 1857, t. 2, p. 761-762, 23 janv. 1858, t. 2, p. 795; 11juil. 1858, t. 2, p. 821.

(9)

problemes. Aupres de Louise Colet Flaubert se plaignait souvent de ses problemes de sante, de la torture infligee par le travail; dans les lettres

li mademoiselle de Chantepie, ił se montre au contraire fort tonique, comme si le fait de la stimuler, de l'inciter li profiter de la vie le dyna-misait lui-meme et lui faisait aimer cette vie. Face li elle, il devient presque optimiste! Lui qui a toujours pretendu «escamoter la vie» en arrive a lui conseiller de vivre!: <<lnteressez-vousdonc a la vie: memento vivere. C'etait la devise que le grand Goethe portait sur sa montre, comme pour l'avertir d'avoir l'reil incessamment ouvert sur les choses de ce monde»18.

Tres rapidement cependant, on sent poindre quelque agacement face aux monotones elegies des missives. Des 1858 on peut deviner qu'a travers une consideration en apparence toute personnelle, l'auteur fait la leyon

li la dame. Confronte a des difficultes, ił est tente de se plaindre, mais s'interdit de s'attarder sur ses soucis: «A quoi bon vous ennuyer avec le recit de tout cela? Chacun a sa croix. 11 est inutile d'en surcharger les autres»19. N'invite-t-il pas ainsi sa correspondante li lui epargner le recit de ses innombrables ma1heurs? 11 tarde d'ailleurs de plus en plus a repon-dre et la plupart de ses lettres s'ouvrent sur des excuses. La complaisance dans la douleur et dans les problemes, puisqu'elle se charge de ceux des autres, herisse de plus en plus Flaubert qui accuse sa correspondante de «gratter ses plaies»20. A deux reprises l'irritation se fait plus vive et a chaque fois c'est lorsque la demoiselle sollicite des interventions. 11 est vrai que la premiere demande est aberrante, puisqu'elle souhaiterait que le romancier, agnostique, intervienne aupres de la hierarchie ecclesiastique pour qu'elle soit dispensee de confession! Flaubert refuse en une lettre tres seche le 24 aoiit 1861. En 1868 ensuite, elle le supplie de demander une subvention pour la reconstruction de l'opera d'Angers qui a brnIe. 11 se debarrasse d'elle en quelques lignes ironiques: «ce que je vous conseille, c'est de ne rien faire, car vous n'arriverez a rien... Le mieux est de venir entendre la musique et de laisser la quelque temps votre hópital, c'est-a-dire tous les gens dont vous etes chargee»21. La dame ayant ete fort blessee, il tentera de l'apaiser par une nouvelle lettre mais la distance creee par l'incident sera irremediable. Une surprenante intimite de dix ans prend fin, bien que la derniere lettre de Flaubert, li la mort de Sand, soit fort affectueuse et qu'il invite son amie li lui 6crire plus souvent, ce qu'elle ne fera pas.

18 Ibidem, li Mlle Leroyer de Chantepie, 15 janv. 1861, t. 3, p. 137.

19 Ibidem, li Mlle Leroyer de Chantepie, 31 oct. 1858, t. 2, p. 838. 20 Ibidem, 8 oct. 1859.

(10)

11est indeniable que cette correspondance a eu pour lui des charmes, du moins dans les deux premieres annees, et qu'il s'etait habitue ensuite li ce dialogue. Elle lui permet de se confier, puis, par reaction li ses plaintes, de se guerir de sa propre propension aux lamentations et au pessimisme. Elle lui est apparue comme offrant les caracteristiques d'un personnage litteraire qu'il aurait pu creer mais surtout elle lui a offert une compensation aux frustrations imposees par ses options esthetiques. Homme li la forte personnalite et aux convictions fermes, Flaubert devait souffrir de ne pouvoir s'exprimer dans ses reuvres. 11 trahit en effet avec de nombreux correspondants des reactions passionnelles face au monde contemporain, ses haines sont farouches, son ton virulent et l'impartialite semble etrangere

li son temperament. 11 use d'un vocabulaire de l'exces: il «hait» «la pretraille jacobine, Robespierre et ses fils», il traite «le plebiscite, le socialisme, l'internationale», d'«ordures», il «hait» la democratie, juge le «troupeau» «haissable»22. C'est donc essentiellement un homme de parti pris, irrite par la plupart des options esthetiques, politiques, morales et religieuses de son temps et qui finalement fulmine de s'interdire de les combattre dans son reuvre. MIle de Chantepie a le merite de rassembler en elle toutes les erreurs qu'il souhaite corriger: elle croit en une litterature du sentiment, milite pour un socialisme evangeIique, se laisse detruire par une foi obscurantiste. Elle lui est donc sans doute apparue comme le terrain privilegie sur lequel exercer sa pedagogie. Elle a eveille en lui des instincts de Pygmalion et a ainsi revele, chez cet homme qui rejetait toutes les formes d'autorite, un desir d'influencer et de convaincre, un gOllt certain de la domination. Elle l'a valorise en lui permettant d'occuper la place avantageuse du maitre face li l'eleve. Elle lui a confere un agreable sentiment de superiorite et c'etait une raison majeure de poursuivre l'echange: «Je vous dois de m'etre senti, li cause de vous, li la fois meilleur et plus intelligent»23, lui avoue t-ii, l'accusant de favoriser sa vanite.

Cette vocation p6dagogique refoulee finira par s'exprimer dans l'reuvre. Bouvard et Pecuchet, en soumettant li un examen critique l'ensemble des connaissances humaines, en devoilant l'inanite de toutes les certitudes religieuses, philosophiques et politiques, ainsi que la relativite des connais-sances scientifiques, tente de communiquer au lecteur la philosophie nihiliste qu'il avait en vain essaye de promouvoir aupres de Mlle Leroyer de Chantepie24.

22 cr. respectivement li Michelet, 2 fevr. 1869, cI. H.H., t. 3, p. 468; li Sand, 30 avr. 1871, t. 3, p. 640; 8 sept. 1871, t. 4, p. 40.

23 G. F I a u b e r t, Correspondance, liMile Leroyer de Chantepie, 26 dec. 1858, t. 2, p. 846.

24 C. D i g e o n, dans Dernier Visage de Flaubert compare ce dernier roman li une dissertation philosophique dans laqueile rauteur cherche li demontrer une these. cr. p. 129.

(11)

Christine Queffelec

USTY FLAUBERTA DO PANNY LEROYER DE CHANTEPIE: PRZYCn'NY KORESPONDENCJI

Przedmiotem artykułu jest długoletnia korespondencja między Gustawem Flaubertem a nieznaną, prowincjonalną pisarką. Autorka zastanawia się nad przyczynami, dla których sławny pisarz rozpoczął i kontynuował wymianę listów z panną Leroyer de Chantepie. zaczyna od przedstawienia poszczególnych faz owej korespondencji, co pozwala jej na określenie motywów, jakie kierowały Flaubertem. Na pierwszy plan wysuwają się kwestie literackie: charakter, zainteresowania i styl życia panny de Chantepie dostarczały pisarzowi bogatego materiału na ewentualną powieść. Następnie autorka przeprowadza analizę tematyki i tonu listów uzasadniając przyjemność,jaką dawały Flaubertowi zarówno lektura listów otrzymywanych od jego korespondentki, jak i odpowiadanie na nie. W pierwszej fazie znajomości pisarz był przeświadczony o wpływie, jaki mógłby wywrzeć na przekonania i tryb życia panny de Chantepie. Świadczą o tym liczne fragmenty jego listów o charakterze wybitnie dydaktycznym. Cieszyła go również możliwość otwarcia się przed swoją korespondentką i wyjawienia głęboko skrywanych myśli. Po pewnym czasie wątek ten przestał jednak mieć dla niego znaczenie. Gdy w dodatku okazało się, że jego nauki nie przynoszą oczekiwanego efektu, Flaubert stracił zainteresowanie dalszą korespondencją, co spowodowało jej stopniowe wygaśnięcie.

Cytaty

Powiązane dokumenty

Jean Paul II, en se référant aux paroles de l’Apótre, demontre leur lien avec la joie qui est le fruit de l’Esprit Saint: «Si le chrétien attriste l’Esprit Saint

Because the expression of FBPase is itself affected by the oxygen limitation, the com- bination of the use of sucrose with oxygen limitation could result in even larger

Zatem wywiad więcej pozyskuje danych niż może przeana- lizować, dlatego też istnieje potrzeba dokonywania selekcji treści, czasem także ich ignorowania, co może być

runki: 1) podmiot ma możliwości dokonania wyboru wartości spośród warto­ ści pozytywnych i negatywnych ontycznie powiązanych; 2) podmiot musi być identyczny z sobą, to

możność zaznajomienia się z rękopisami i maszynopisami przekładów Władysława Broniewskiego z Błoka oraz z fragmentami Pamiętnika poety odnoszącymi się do

Wyszomirski spotykał się z Marianem Podkowińskim, z którym jadał obiady w „Czytelniku” przy ulicy Piotrkowskiej. Po pół

Podczas gdy, jak to już zauważył Kant w Idei powszechnej historii, aktorzy państwowi mogą ulec procesowi socjalizacji w zakresie racjonalnych zachowań, a więc zachowywać się

Dans ces deux cas on p eu t dire qu’une révolution dans un domaine donné des sciences a provoqué une révolution technique, et aussi qu’une révolution dans