INSTITUTE OF MATHEMATICS POLISH ACADEMY OF SCIENCES
WARSZAWA 1998
UNE G ´ EN ´ ERALISATION DES NOMBRES DE MILNOR POUR LES INTERSECTIONS COMPL ` ETES
A SINGULARIT ´ ` ES NON ISOL ´ EES
D A N I E L L E H M A N N *
GETODIM, CNRS, UPRESA 5030, Universit´ e de Montpellier II 34095 Montpellier Cedex, France
E-mail: lehmann@math.univ-montp2.fr
Le nombre de Milnor a d’abord ´ et´ e d´ efini en 1967 par J. Milnor ([M2]) pour les sin- gularit´ es isol´ ees des hypersurfaces d’une vari´ et´ e analytique complexe W sans singularit´ e.
Il a ensuite ´ et´ e g´ en´ eralis´ e par H. Hamm en 1971 ([H]) (cf. aussi Lˆ e Dung Tran [Le]) pour les intersections compl` etes, mais toujours avec singularit´ es isol´ ees (ce qui ne correspond pas ` a une situation g´ en´ erique en codimension ≥ 2). Il a aussi ´ et´ e g´ en´ eralis´ e en 1988 par A. Parusi´ nski ([P]) pour les hypersurfaces avec singularit´ es non n´ ecessairement isol´ ees.
Nous allons ici definir et ´ etudier ce nombre de Milnor, en codimension arbitraire et pour des singularit´ es non n´ ecessairement isol´ ees, essentiellement sur les vari´ et´ es sin- guli` eres V qu’on peut d´ efinir comme ensemble des z´ eros d’une section holomorphe s d’un fibr´ e vectoriel holomorphe E → W , g´ en´ eriquement transverse ` a la section zero. Entrent par exemple dans cette cat´ egorie toutes les hypersurfaces de W , ainsi que tous les ensem- bles alg´ ebriques dans un espace projectif complexe qui sont des intersections compl` etes du point de vue ensembliste. La methode originale utilis´ ee dans [M2] et [H] consistait
`
a ´ etudier la fibration de Milnor; or il se peut qu’une telle fibration n’existe pas pour des singularit´ es non isol´ ees. Quant ` a la m´ ethode de [P] pour les hypersurfaces, elle ne s’applique pas en codimension >1.
Le principe de notre m´ ethode est bas´ e sur la g´ en´ eralisation d’une formule donn´ ee dans [PP] dans le cas des hypersurfaces ` a singularit´ es isol´ ees. Pour un ensemble analytique V satisfaisant l’hypoth` ese ci-dessus, nous d´ efinissons un invariant topologique global qui repr´ esente une sorte d’obstruction ` a ce que le th´ eor` eme de Gauss-Bonnet soit vrai sur V . Cette obstruction est en fait “localis´ ee” pr` es de l’ensemble singulier Sing(V ) de V ,
1991 Mathematics Subject Classification: 32C25, 32S20, 57R.
∗
R´ esum´ e d’un travail en coop´ eration avec Jos´ e Seade et Tatsuo Suwa ([LS’S]). Ce travail a
´
et´ e repris dans un contexte plus g´ en´ eral dans un article avec la collaboration suppl´ ementaire de Jean Paul Brasselet ([BLS’S]).
[177]
le nombre de Milnor µ
α(V ) attach´ e ` a une composante connexe S
αde Sing(V ) ´ etant alors la contribution de S
α` a l’obstruction en question. Cette m´ ethode peut aussi ˆ etre efficace pour faire des calculs sur de nouveaux exemples, y compris dans des situations th´ eoriquement d´ ej` a connues.
Plus pr´ ecis´ ement, on se donne un fibr´ e vectoriel holomorphe E → W de rang k sur une vari´ et´ e complexe W de dimension n + k, et une section holomorphe s de E suppos´ ee generiquement transverse ` a la section z´ ero: l’ensemble V des z´ eros de s est alors un ensemble analytique complexe de dimension n, qui est localement une intersection compl` ete ensembliste dans W . En outre, la restriction de E ` a la partie reguli` ere V
0de V peut ˆ etre canoniquement identifi´ ee au fibr´ e normal de V
0dans W : en particulier, notant N la restriction de E ` a V , nous obtenons un “fibr´ e virtuel” tangent τ (V ) = T W |
V− N dans la K-th´ eorie KU (V ), dont on peut prendre la classe (totale) de Chern c(V ) = c(T W |
V) · c(N )
−1, ainsi que la classe c
n(V ) qui en est la composante homog` ene de dimension 2n. [On remarquera que ces classes de Chern d´ ependent du choix de E|
V, et en fait toutes nos constructions ult´ erieures d´ ependront a priori de E
(1). Cependant, si l’on peut choisir les donn´ ees holomorphes (E, s) de telle fa¸ con que la section s soit r´ eguli` ere (c.` a.d. telle que l’id´ eal de V soit localement engendr´ e par les composantes de s relativement ` a une trivialisation locale de E, ce qui par exemple est toujours possible pour les hypersurfaces), V est alors localement une intersection compl` ete, et la classe d’isomorphie de N = E|
Vest bien d´ efinie, de mˆ eme que l’identification de E|
V0avec le fibr´ e normal ` a V
0(cf. [LS], section 2): on appelle alors N “l’extension r´ eduite” du fibr´ e normal
(2).
Donnons-nous un champ de vecteurs X, C
∞, tangent ` a V
0. Notons Sing(X) la r´ eunion de Sing(V ) et de l’ensemble singulier Sing
0(X) de X dans V
0. Soient (S
α)
αles com- posantes connexes de Sing(X). Supposons de plus chaque S
αcompact et inclus, de deux choses l’une, ou bien dans V
0, ou bien dans Sing(V ). Pour tout α tel que S
αsoit inclus dans V
0, notons P H
α(X) l’indice (g´ en´ eralis´ e) de Poincar´ e-Hopf de X au voisinage de S
α(c’est l’indice usuel quand S
αest un point).
Lorsque V est compacte et sans singularit´ e, les formules suivantes sont bien connues : (i) χ(V ) = c
n(τ ) _ [V ] : c’est une version du th´ eor` eme de Gauss-Bonnet,
(ii) χ(V ) = P
α
P H
α(X) : c’est le th´ eor` eme de Poincar´ e-Hopf, qui signifie que la donn´ ee de X fournit une “localisation” de l’invariant topologique χ(V ) pr` es de Sing(X).
Si V , toujours suppos´ ee compacte, a maintenant des singularit´ es, l’expression χ(V ) − c
n(τ ) _ [V ] n’est plus nulle en g´ en´ eral: c’est elle qui sera—au signe pr` es—l’invariant topologique de V dont nous parlions ci-dessus.
(1)
En fait, toutes nos constructions et nos r´ esultats restent valables sous l’hypoth` ese plus faible que le fibr´ e normal ` a V
0dans W s’´ etend en un fibr´ e vectoriel ˜ N qu’on peut supposer seule- ment C
∞sur un voisinage de V dans W , et sans supposer—mˆ eme si ˜ N = E est holomorphe—que V est n´ ecessairement l’ensemble des z´ eros d’une section de E.
(2)
Cela ne veut pas dire, mˆ eme pour les hypersurfaces ` a singularit´ es isol´ ees, que cette
extension r´ eduite N soit l’unique extension possible ` a V du fibr´ e normal ` a V
0: voir ci-dessous
l’exemple 2.
Cet invariant se localise pr` es de Sing(V ) de la fa¸ con suivante: si S
αd´ esigne une composante connexe compacte de Sing(X), (V elle-mˆ eme n’´ etant pas n´ ecessairement compacte), la donn´ ee de X fournit s´ epar´ ement une localisation de χ(V ) pr` es de S
αet une autre de c
n(τ ) _ [V ]: ` a partir de l` a, on distingue 2 indices de X en S
α, tous deux g´ en´ eralisant l’indice de Poincar´ e-Hopf et co¨ıncidant avec lui si S
αest dans V
0, tous deux d´ efinis d` es que X est d´ efini au voisinage de S
αsauf peut-ˆ etre en S
α, et tous deux ne d´ ependant que du comportement local de X au voisinage de S
α. Ces 2 indices sont appel´ es ci-dessous “l’indice virtuel” Vir
α(X), et “l’indice de Schwartz” Sch
α(X). Avant d’esquisser leur d´ efinition, remarquons d’abord que toute vari´ et´ e singuli` ere admet des champs de vecteurs X comme ci-dessus, tel par exemple un champ “radial” R au sens de [Sc]: dire que R est radial signifie qu’il co¨ıncide pour tout α avec un champ de vecteurs R
αtangent ` a V
0, sans singularit´ e sur ∂T
α= V
0∩ ∂ ˜ T
α, et transverse ` a ∂T
α( ˜ T
αd´ esignant une vari´ et´ e ` a bord dont l’int´ erieur est un voisinage r´ egulier de S
αdans W et dont le bord est transverse ` a V
0).
L’indice “virtuel”, introduit dans [LSS], y est d´ efini par des m´ ethodes de g´ eom´ etrie diff´ erentielle. Si une singularit´ e de V est un germe d’intersection compl` ete en un point isol´ e, l’indice virtuel co¨ıncide avec le GSV-indice, qui est li´ e ` a la fibre de Milnor et au nombre de Milnor. Dans le cas de singularit´ es non isol´ ees, le GSV-indice n’est pas bien d´ efini a priori, d’o` u l’int´ erˆ et d’utiliser l’indice virtuel. Nous allons d´ efinir ici ce dernier de fa¸ con purement topologique, en supposant pour simplifier W compacte : il existe alors un fibr´ e E
0→ W tel que E ⊕ E
0soit un fibr´ e trivial θ
h(W ) de rang fini h, dont on notera (v
1, · · · , v
h) la trivialisation naturelle. Sur V
0, T W ⊕ E
0est isomorphe ` a T V
0⊕ θ
h(V
0) et admet par cons´ equent, au-dessus de ∂T
α, le h + 1 rep` ere (X, v
1, · · · , v
h), ( ˜ T
αayant ´ et´ e choisi de fa¸ con que X ne s’annule pas sur ∂T
α, ce qui est toujours possible). L’indice Vir
α(X) est alors l’obstruction ` a prolonger le h + 1 rep` ere (X, v
1, · · · , v
h) ` a T
α= V ∩ ˜ T
αtout entier; puisque cette obstruction appartient ` a H
n(T
α, ∂T
α; Z) ∼ = Z, c’est un entier;
on peut montrer qu’il ne d´ epend pas des diff´ erents choix effectu´ es.
Si X
0est un autre champ de vecteurs tangent ` a V
0, et sans singularit´ e sur chaque
∂ ˜ T
α, on pose:
d
α(X, X
0) = Vir
α(X
0) − Vir
α(X);
cet entier repr´ esente une obstruction ` a l’existence d’une homotopie entre X et X
0sur
∂T
α.
L’indice de Schwartz Sch est introduit dans [SS2] quand S
αest un point singulier isol´ e. Nous le g´ en´ eralisons ici au cas de singularit´ es non isol´ ees en posant
Sch
α(X) = χ(S
α) + d
α(R, X).
En particulier, Sch
α(R) = χ(S
α). (Il existe une autre g´ en´ eralisation dans [KT] de l’indice de Schwartz pour les champs de vecteurs stratifi´ es ´ eventuellement non radiaux, ´ eventuelle- ment discontinus).
L’indice de Schwartz d´ epend seulement de X et de V , tandis que l’indice virtuel tient compte aussi de la fa¸ con dont V est plong´ ee dans W et du choix de E.
Nous allons r´ esumer nos r´ esultats dans le th´ eor` eme suivant :
Th´ eor` eme. Soit V un sous-ensemble analytique complexe de dimension n d’une vari´ et´ e complexe lisse W , d´ efini comme ci-dessus, et soit X un champ de vecteurs comme ci-dessus. D´ efinissons le nombre complexe
µ
α(V ) = (−1)
nVir
α(X) − Sch
α(X).
Alors :
(i) µ
α(V ) ne d´ epend pas du choix du champ de vecteurs X au voisinage de S
α, bien qu’il d´ epende, en g´ en´ eral , du choix de l’extension ˜ N du fibr´ e normal ` a V
0.
(ii) Vir
α(X) = Sch
α(X) = P H
α(X) si S
αest dans V
0.
(iii) Si V est compacte, on obtient les 2 g´ en´ eralisations suivantes du th´ eor` eme de Poincar´ e-Hopf :
X
α
Vir
α(X) = c
n(V ) _ [V ], X
α
Sch
α(X) = χ(V ).
(iv) Si V est compacte, on a alors χ(V ) = c
n(τ ) _ [V ] + (−1)
n+1P
α
µ
α(V ).
(v) Si S
αest un point isol´ e p, si V est localement une intersection compl` ete pr` es de p, et si N est l’extension r´ eduite du fibr´ e normal ` a V
0, Vir
αco¨ıncide alors avec le GSV-index of [Se, GSV, SS1], et µ
α(V ) co¨ıncide avec le nombre de Milnor usuel ([M2, H, Le, L]).
(vi) Si V d´ esigne une hypersurface, le fibr´ e normal ` a V
0poss` ede alors une extension naturelle ` a un voisinage de V dans l’espace ambiant , et dans ce cas µ
α(V ) co¨ıncide avec le nombre de Milnor g´ en´ eralis´ e de Parusi´ nski ([P]) (le nombre de Milnor usuel si S
αest un point ).
La formule (iv) est un corollaire imm´ ediat de (iii). Elle g´ en´ eralise celle pour les hy- persurfaces donn´ e dans [Pa], et celle pour les “intersections compl` etes locales fortes avec singularit´ es isol´ ees” de [SS2] (cf. aussi [D, PP]). Comme indiqu´ e dans [SS2], cette formule se r´ eduit ` a la classique formule d’adjonction quand V est une courbe complexe et W une surface compacte complexe.
Exemple 1. Prenons pour W l’espace projectif CP
4avec coordonn´ ees homog` enes [X, Y, Z, T, U ], et soit V la surface complexe d´ efinie comme l’intersection, dans CP
4, des 2 cˆ ones X
2− Y T = 0 et Z
2− XY = 0. Il est ais´ e de v´ erifier que l’ensemble singulier S de V est la droite complexe X = Y = Z = 0. Pour tout nombre complexe a, le champ de vecteurs
R
a= (2 + a)x ∂
∂x + (4 + a)y ∂
∂y + (3 + a)z ∂
∂z + at ∂
∂t
(relativement aux coordonn´ ees (x, y, z, t) = (
XU,
YU,
ZU,
UT) dans l’espace affine U 6= 0) est tangent ` a V , et s’´ etend naturellement ` a l’hyperplan de l’infini U = 0.
Pour a = −4, R
as’annule le long de la droite X = Z = T = 0, qui est incluse dans V et pas dans S bien que coupant S. Il ne satisfait donc pas aux conditions voulues.
Pour toutes les autres valeurs de a, le seul point singulier de R
asur V − S est le point
isol´ e p = [0, 1, 0, 0, 0] (r´ egulier dans V ). Ainsi, Sing(R
a) poss` ede 2 composantes qui sont
S et {p}.
Tous les R
a(a 6= −4) sont radiaux sortant de p, tandis que les R
atels que a 6=
−2, −3, −4 sont radiaux sortant de S. On en d´ eduit χ(V ) = χ(S) + χ(p) = 2 + 1 = 3, Sch(R
a, S) = 2 et Sch(R
a, p) = 1.
D’autre part le fibr´ e tangent virtuel ` a V est ´ egal ` a la restriction ` a V de 5L − L
2− L
2, (L d´ esignant le fibr´ e “en hyperplans”, c’est ` a dire le fibr´ e dual du fibr´ e tautologique en droites sur CP
4). Il en r´ esulte: c
2(V ) _ [V ] = 4 h
(1+t)5(1+2t)2
i
2