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La vision de la science chez G. B. Vico

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O R G A N O N 3(1966) AUTEURS ET PROBLÈMES

Sław K rzem ień (Pologne)

LA VISION DE LA SCIENCE CHEZ G. B. VICO

Vers la fin du X VIIe siècle, Naples é tait une des villes d ’Italie les plus éprouvées par l’histoire. L ’Espagne qui s’é ta it elle-m êm e affaiblie du temps des derniers Habsbourgs, en tra în ait inexorablem ent au fond sa victim e fortem ent liée à elle. Mais m algré les m alheurs, m algré les destructions et la misère, N aples n ’é tait nullem ent u n désert culturel. C’est su rto u t après 1660, quand ad vinrent des années de clame relatif, que la douloureuse conscience de la perte de la splendeur cu lturelle de jadis et du re ta rd par rap p o rt au m ouvem ent intellectuel des voisins européens donna naissance dans cette ville à un certain m ouvem ent de renouveau. C’é ta it -un m ouvem ent aném ique, m ais dans la situation donnée, il avait une grande im portance et il app ortait un souffle d ’optimisme à cette ville, qui lu ttait contre son triste sort.

L ’un des facteurs essentiels, qui activisa à cette époque la com­ m unauté napolitaine, fu r le cartésianism e, im porté de France et lié — comme cela a rriv ait alors souvent — au gassendisme. Ce fu t Tomasso Cornelio, qui intronisa le cartésianism e à Naples. L ’Académie Oziosi, qui groupait des natu ralistes ayant une attitu d e critique envers les traditions et expérim entant d ’une façon nouvelle, s’activisa su r son initiative. Il exerçait égalem ent une certaine influence sur le m ilieu des hum anistes érudits, qui se groupaient autour de l’Académie In -

vestiganti.

L ’im pulsion v enant de Cornelio trouva de nom breux continuateurs. Lecartésianism e était propagé par Giuseppe V aletta — protecteur zélé de tous les étrangers qui passaient par Naples, dans le salon duquel d’au tre fervents cartésiens: Caloprese, Spinelli, G rim aldi donnaient le ton. Les gassendistes: Cristoforo, G ianelli et G iannone se groupaient autour du libertin anticlérical Nicola C aravita. L ’influence du carté­ sianisme et du gassendisme se faisait égalem ent sen tir dans le m ilieu des hum anistes, m em bres de l’Académie In fu ria ti (à p a rtir de 1692 —

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Le cartésianism e et le gassendisme occupent u n e place im portante dans le m ouvem ent de renouveau napolitain. Mais dans la conscience des prom oteurs de ce m ouvem ent l’ispiration de D escartes et de Gas­ sendi n ’occupait pas u ne position exclusive. Même chez les naturalistes et les m athém aticiens leu r influence se com binait avec celle de la trad itio n de la renaissance italienne de Galilée, de Telesio et de Cam- panella. E t il ne m anquait pas de savants, qui p ar de nouvelles in ­ spirations voulaient seulem ent com pléter d ’une façon compromissoire les transm issions traditionelles. Mais tous — les n atu ralistes aussi bien que les hum anistes — re je tta ie n t d ’u n commun accord l’ostracism e cartésien envers le droit, l’histoire, la rhétohique, la litté ra tu re e t la linguistique.

Dans le domaine des hum anités, l’anim ation em brassa en prem ier lieu le droit et l’histoire. L ’in térêt pour le d roit était com préhensible dans u n pays, où un énorm e besoin d ’ordre et de sécurité se faisait sen tir universellem ent. L ’activité des hommes ém inents, du savant u n i­ versitaire Francesco d ’A ndrea et de l’éru d it universel Vinzenzo G ra- vina, assuraient le h a u t niveau et l’autorité du droit. L ’in térêt pour l’histoire ne doit non plus étonner personne dans la situation de N a- ples d ’alors. En F rance la bourgeoisie, dynam ique et de plus en plus hard ie é ta it plus disposée, q u ’à Naples, à adopter une attitu d e critique envers l’histoire. Non seulem ent parce que Naples, d ’alors, dépourvue de forces, ne ressem blait plus du to u t à Naples d ’il y a deux cents ans, m ais égalem ent parce q u ’une trad itio n magnifique, com ptant non pas deux, m ais vingt siècles, n ’était pas, pour la bourgeoisie italienne du XVIIe siècle, un ballast, m ais un modèle et un idéal. Le risorgim ento napolitain du X VIIe siècle était plu tô t le ré su lta t d ’une tendence à la restau ratio n de la splendeur de jadis, que d ’une tendence à conquérir de nouvelles positions. C’est pourquoi la controverse au su jet de l’ave­ nir é tait à Naples bien plus q u ’ailleurs en Europe, une controverse au su jet du passé, de son in terprétation, de sa trad itio n et de ses modèles. Le risorgim ento du X V IIe siècle ne pouvait donc pas être à la mode cartésienne hostile aux sciences historiques. C’est pourquoi il produisit P ietro G iannone qui en impose p a r son courage politique et l’indépen- dence de ses idées, ainsi que l’archiviste Lodovico M uratori, étonnant p ar l’étendue de ses connaissances, et l’historiosophe original e t nova­ te u r — G iam battista Vico.

1. LES HORIZONS DE LA SCIENCE

Dans son Autobiographie Vico suggère que les études solitaires, entreprises p ar lui dans sa jeunesse, l’am enèrent a des opinions dif­ férentes de celles qui étaien t en ce tem ps à la m ode à Naples. Il m en­ tionne q u ’il rev in t d ’u n séjour fait à V atolla comme u n “étra n g er” qui ne com prend pas les autres, et que les au tres com prennent m al. Ses

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biographes sont enclins à le corriger en cela d ’une façon essentielle. Le caractère d e ses lectures et les tendences de ses in térêts intellec­ tuels prouvent que Vico s’intéressait à to u t ce qui é ta it „ à la m ode” dans l’opinion publique cartésienne e t son poèm e Af f e t t i tra h it u n vif in té rê t pour les idées de Gassendi. A Naples Vico n ’observait pas seu­ lem ent ses principaux in itiateu rs et ju sq u ’à la fin de ses jours il garda égalem ent une p a rt active à ce m ouvem ent. Il connaissait personnel­

lem ent ses principaux in itiateu rs et ju sq u ’à la fin de sos jours il garda u n profond respect pour eux. Il v isitait souvent les Académies et l ’une d ’e n tre elles — celle des In fu ria ti le com ptait p arm i ses m em bres. Le fait que Vico se sentait étranger, comme il le souligne dans son A u to ­

biographie, é ta it donc le résu lta t de son développem ent in tellectu el

u ltérieur, à u n e époque plus proche de la naissance de la Scienza N uo-

va. C’est alors seulem ent que son opposition envers D escartes com­

m ença à se raid ir graduellem ent pour acquérir finalem ent cette fe r­ m eté, qui se m anifeste dans les pages de De A ntiquissim a. Mais m êm e alors cette opposition n ’exclut nullem ent l’approbation pour la m éthode cartésienne, qui selon Vico répond aux exigences des sciences m a th é­ m atiques et n ’élim ine point Vico de l’athm osphère qui rég nait dans les m ilieux intellectuels.

L ’acte d ’accusation form ulé p ar Vico avait au fond pour cause les m êm es raisons pour lesquelles au sein de to u t le m ouvem ent du ri-

sorgimento naissait une opposition contre les idées françaises. Vico

atta q u ait le cartésianism e au nom de la défence de l’universalité h u ­ m aine de l’époque de la renaissance. Il puisait dans l ’arsénal des argum ents sceptiques (parfois il les puisait chez Gassendi, q u ’il com­ b atta it par ailleurs) et s’opposait a “l’am bition h érétiq u e” d ’accéder à la vérité absolue (verurn) en réh ab ilitan t en m êm e tem ps la sphère de la certitud e (certum ), fondée su r la probabilité. Il était en effet d ’avis que D escartes se conduit de la m êm e façon que ces dém o­ crates, qui dotés du crédit de confiance en ta n t q u ’ennem is de l’opres- sion et de l ’autorité, deviennent d ’horribles ty ran s dès q u ’ils obtiennent le pouvoir, car il rem plaça l’autorité de la trad itio n p ar sa propre au to rité arb itraire. Et après avoir consolidé son em prise il dirigea l’au to rité de son verum contre la spère du certum et il d étru isit d ’une façon crim inelle les hum anités: l’histoire, la politique, l’éthique, la rhétorique, les arts. D escartes se fait des illusions — écrit Vico — quand il affirm e que son cogito perm et d ’attein d re la v érité au sujet de l ’existence. En réalité il donne seulem ent la certitu d e de l’existence. Il est cependant absurde de transform er la conscience banale e t u n i­ verselle de l ’existence en une connaissance certaine. U ne connaissance certaine est une connaissance de la genèse de la dite chose, c’est-à-dire d e la façon dont elle a été crée. Au m om ent donc où l’esprit connaît­ r a it la façon, dont la dite chose fu t crée, il o btiendrait la possibilité

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de la créer. Car la v érité (veru m ) et la chose (fa ctu m ) sont converti­ bles. C ’est Dieu qui possède cette vérité, car il com prend en lui-m êm e les causes des choses q u ’il a crées, et il peut, sans sortir en dehors de soi, attein dre la plénitude de leu rs connaissance. L ’homme, par contre, est un être borné, les choses q u ’il doit connaître se tro u v en t en dehors de lui et son esprit ne peut connaître que leu rs élém ents extérieurs. Il existe, il est vrai, une exception: les m athém atiques. Elles sont une création de l’homme et pour les connaître l ’homme ne doit pas sortir en dehors de son esprit. Il connaît, en effet, toutes les „causes pre­ m ières” de toute la stru ctu re compliquée de cette science si spéciale. Mais cette science ne peut ê tre une règle, car son objet est fictif, tandis que les su jets de toutes les au tres sciences sont réels. Il est donc impossible de tran sp lan ter la méthode m athém atique dans le do­ m aine des au tres sciences. En principe donc l’hom m e ne com prend pas (intelligere) les phénom ènes p rovenant de Dieu, et il n ’a que leur con­ naissance approxim ative (cogitare) — toujours im parfaite et insuffi­ sante, toujours plus probable que véritable. De cette façon l’autorité des sciences cartésiennes décroît et s’approche de l’au to rité des hum a­ nités dédaignées p ar Descartes, justem ent à cause de l’insuffisance de la probabilité de leurs résultats.

P a r contre les hum anités, que Vico avait défendues déjà dans sa jeunesse, parcourent un chem in allant en sens inverse: leur au to rité croît graduellem ent. Descartes était sceptique quand aux résu ltats des hum anités car elles dépendent davantage du témoignage des sens que du trav a il de l’intelligence. Vico par contre est enclin à réhabiliter le témoignage des sens: la m émoire et l’im agination donnent, il est vrai, une certitude seulem ent approxim ative et relative, m ais qualitative­ m ent cette certitude ne diffère pas beaucoup de celle q u ’on p eut ob­ te n ir à l’aide de la reflexion pure. „Les sens sont la prem ière lum ière de l’esp rit” — disait Ficino et Vico rép était cette sentence avec ap­ probation.

La théorie pédagogique cartésienne est inacceptable pour Vico. Elle mène, à son avis, à un appauvrissem ent catastrophique de la n atu re hum aine. Elle postule une form ation u n ilatérale de la réflexion pure, tandis que l’être hum ain doit être eduqué d ’une façon universelle. Vico s’occupait de la théorie pédagogique depuis sa jeunesse: lé tex te de ses cours inauguraux est au fond l ’exposé d ’une conception développée de l’éducation. Le point de d épart de Vico — c’est un sentim ent très vif de l’hétérogénéité et de l’égalité de toutes les facultés hum aines et son but — c’est de trou ver le m oyen de les form er d ’une façon graduelle <?t harm onieuse.

A cette conception universelle de l’éducation correspond une vaste vision de la science, qui se dessine aussitôt. Vico s’occupait de la rh é­ torique, du droit, de la philosophie. Il concevait la rhétorique selon le

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modèle de C ic ero n .— en ta n t que sagesse exprim ée et parée p ar des paroles; un o rateu r c’est un sage plein de vertus, c’est u n m aître de toutes les sciences, c’est la perfection incarnée. Sa conception du droit est égalem ent fondée sur la tradition rom aine, selon laquelle il con­ stitue „une science des choses divines et hum aines” — une science qui em brasse et u nit tous les au tres domaines des hum anités. La philoso­ phie enfin — selon le texte des cours in auguraux — c’est la sagesse constituant la pleinitude de la perfection, non seulem ent de l ’in telli­ gence, mais de tou te la n a tu re hum aine. Le sage doit donc se d istin ­ g uer non seulem ent par sa connaissance de la vérité, mais égalem ent par une memoire absorbtive, par une im agination vive, p ar son o rien ta­ tion dans le domaine du droit, par une éloquence p arfaite et p ar un jugem ent esthétique m ûr. Cet idéal de la sagesse hum aine correspond certainem ent davantage à la vision rétrospective de la liberté et de l ’universalité, qui était celle de la philosophie des Grecs et des Ro­ mains, q u ’à la pratique des spécialistes cartésiens du X V IIIe siècle.

2. LES ÉLÉMENTS DE LA NATURE HUMAINE

La vision originale de l’anthropologie historique, q u ’app o rten t les oeuvres initiales (du D iritto Universale à la Scienza Nuova), se form e non par suite de la négation des idées qui étaien t nées plus tôt, mais par voie de transform ations au sein du schéma théorique déjà existant. C ’est surto ut le développem ent de la conception de la convertibilité du

veru m et du factum qui a une grande im portance. Dans les prem ières

oeuvres seules les m athém atiques sont un domaine dans lequel Vico perçoit la réalisation de la véritable connaissance, car c’est seulem ent son objet qui est l’oeuvre de l’activité hum aine. Mais c’est le D iritto qui apportera et c’est la Scienza Nuova qui confirm era la découverte que c’est l’histoire qui est le domaine de la connaissance et en même tem ps le résu ltat de la création hum aine. Et ceci bien plus que les m athém atiques car l’homme y crée une fiction, tandis que là il crée la réalité. Après avoir fait cette découverte Vico s’étonne que les philo­ sophes étudient si sérieusem ent la n ature et négligent en même tem ps les études du monde humain. Et po u rtan t seul Dieu peut vraim ent connaître la nature, tandis que c’est l ’homme lui-m êm e qui peut con­ n aître l’histoire.

L ’esprit, il est vrai, est spontaném ent enclin à considérer les ques­ tions de la m atière et ce n ’est q u ’avec le plus grand effort q u ’il se décide à réfléchir à lui-mêm e, to u t comme un oeil qui a besoin d ’un m iroir pour pouvoir se voir soi-même. Mais un tel m iroir, dans lequel l ’homme tout entier peut se voir, c’est son oeuvre — l’histoire. Ainsi donc l’homme est conçu tel un P rom éthée-créateur, et la science trouve un nouveau domaine de la connaissance véritable.

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Ce que Vico affirm e au su jet de l’histoire, en ta n t que création de l’homme, im plique cependant une énigme, et même une double énigme. Le prem ier problèm e en effet c’est la façon dont l’oeuvre de Prom éthée se réalise, et le second — c’est le sens de cette oeuvre et sa valeur. Vico cherche la solution de cette énigm e depuis sa jeunesse. Et il commence à zéro: il p art de la crise de la foi, q u an t au sens du sort hum ain. C’est pourquoi, à un certain point de vue, tou t son effort m ental u ltérieur peut être considéré comme un labeur pénible pour retouver l’espoir. Ce point zéro c’est l’année 1693. Vico publia alors Af f et t i — son oeuvre poétique, dont il a déjà été question. Le m onde hum ain y est dépeint à l’aide de la p alette de Goya. Le m al semble régner com plètem ent dans l’histoire. L ’homme appelé au monde sans sa propre volonté, et abandonné dans ce monde sans aucune aide, ne sait ni se contrôler, ni régler ses relations avec les autres hommes. La vie hum aine est comme une antithèse de l’E tat idéal de Platon. Vico envisage cette vie avec toute la sobriété de Tacite et l ’acharnem ent de Lucrèce.

D orénavant les réflexions de Vico vont to urn er continuellem ent autou r du problèm e du mal in h éren t à l’homme et à l ’histoire de l’h u ­ m anité. D ’abord Hobbes lui m o n trera la toute-puissance de l ’égoïsme hum ain et deploiera devant lui la vision funeste de la lu tte de chacun contre tous. Ensuite la trad itio n catholique (Augustin) et janséniste (A rnauld, Pascal, Domat) liera dans sa conscience le m al au péché et lui fera tra ite r le m al comme une conséquence de la déchéance du prem ier homme. Mais en même temps, depuis les prem iers cours inau­ guraux, en passant par le D iritto et jusq u ’à la Scienza Nuova, Vico va constam m ent chercher des possibilités de surm onter le pessimisme.

Ces possibilités ap p aru ren t seulem ent quand l’opinion de Vico sur la n atu re hum aine se fu t cristallisée. Selon les conceptions du Diritto et de la Scienza Nuova l’homme, en é tat de grâce, était u n être raison­ nable; la raison, ce don divin magnifique, lui p erm ettait de dominer sa volonté et de coexister harm onieusem ent avec Dieu et avec les autres hommes. La déchéance de l’homm e causa la perte du trésor de la raison. Les facultés hum aines, privées du contrôle de la raison, qui indiquait aux prem iers hommes leur devoir, e t condam nées à se guider par les im pulsions de leur libre volonté, se soum irent aux sens et c’est l’in térêt égoïste qui se m it à guider les actions hum aines. Donc, l’égoïsme, en dépit de Hobbes, est une q u alité non pas prim aire, mais secondaire de la n atu re hum aine. C’est une conséquence de la perte des facultés, qui à l’é ta t idéal, avant la déchéance, faisaient de l’homme un ê tre en m êm e tem ps raisonnable et social. L ’égoïsme est donc un mal radical, une catastrophe tragique, un contraste absolu de ce q u ’il y a d ’hum ain dans l’homme.

Quelles sont cependant les lim ites de cette déchéance? Si elle attei­ gnait le fond de l’abîme, si la n atu re hum aine était com plètement

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anéantie par le péché, l’homme ne p o u rrait se relever de cette chute de ses propres forces. Il n ’y au rait en effet aucun pont pouvant m ener de l’irraison à la raison, de l’égoïsme à l’altruism e, de l’individualism e à l’état social. Tout espoir q u an t à l’efficacité de l’effort prom éthéen serait exclu d ’avance. Si donc u n tel espoir doit exister, il fa u t que l’homme, même à l ’état de la déchéance la plus com plète d iffère en quelque chose de l’anim al — pour re te n ir certains élém ents de sa vraie n atu re de jadis.

On p eu t tro uv er une telle foi en l’existence de ces élém ents dans toutes les oeuvres philosophiques de Vico.

Selon sa conception, l ’homme, même à l ’é ta t de la déchéance la plus com plète dem eure u n ê tre aux tendences sociales. Il lui reste en effet, non seulem ent — comme cela résulte de la théorie du janséniste Do- m a t — une obscure nostalgie de l’é tat social p erdu et de la raison, m ais égalem ent une disposition in térieu re spécifique, une sorte d ’in ­ stinct qui pousse les hommes à s’interroger sur leur sort, et qui fait n aître le désir de surm onter le mode de vie anim al, de régler ce mode selon certaines lois interhum aines. Cet instinct fait n a ître des senti­ m ents m oraux d ’abord simples et ensuite de plus en plus com plexes (comme chez Spinoza), en faisant de l’hom m e un ê tre pleinem ent social. Et c’est justem ent ce procès qui constitue l’élém ent essentiel de la civilisation hum aine.

Hobbes se trom pe donc quand il affirm e que l’egoïsme constitue la source et la base de la vie sociale. L ’homme, p ar sa n a tu re même, est un ê tre social. C’est pourquoi la nécessité et le p rofit ne peuvent être la cause de l’éta t social. Ce ne sont que des occasions pour la m anifesta­ tion de l ’instinct, qui force les hommes à s’u n ir pour form er des grou­ pem ents sociaux, et à se subordonner à des lois interhum aines. L ’h is­ toire est au fond une série ininterrom pue de telles occasions, qui p er­ m e tten t à des dem i-anim aux de développer graduellem ent leur in telli­ gence, de surm onter leur égoïsme, e t de se transform er en êtres h u ­ mains — c’est à dire en êtres sociaux. L ’histoire de l’h u m an ité est un procès d ’autocréation de l’homme.

«

3. LE PROVIDENTIALISME ET L’AUTOCRÉATION DE L ’HOMME

La thèse, selon laquelle l ’histoire est une oeuvre de l’homme, trouve cependant dans la conception historiosophique de Vico une contr-thèse, selon laquelle c’est la Providence qui joue u n rôle dirigeant dans l’hi­ stoire. Il est difficile de trouver dans la Scienza Nuova un seul alinéa, dans lequel Vico ne rappelle pas, que c’est la Providence, qui est la cause finale du cours des affaires hum aines. C’est elle en effet qui fait, que le processus historique concret s’accomplit selon le mode de l’his­ toire idéale et éternelle. C’est elle qui établit cette nécessité invisible,

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majis immuable, qui perce une ro ute à trav ers tous les efforts hum ains, incertains et pleins d ’erreu rs. C’est elle qui décide q u ’aucune in ten ­ tion hum aine ne peut tro u b ler sérieusem ent la rég u larité du dévelop­ pem ent social, car le sens divin providentiel de l’acitivité de l’homme dépasse toujours son sens hum ain. C’est elle enfin qui cause, que même les défauts de l’homme, qui résulten t de ses passions animales, ont un effet bienfaisant: sa cruau té appliquée dans le m étier m ilitaire crée la puissance des Etats; son avarice, quand elle se réalise dans le commerce, fait la richesse des nations; son am bition, quand elle se m anifeste dans la politique, fa it n aître la sagesse des républiques. Vico s’efforce de présenter toute sa vision de l’histoire comme une dém on­ stration du rôle historique de la Providence, qui d’une m anière bénigne et sage transform e le dem i-anim al en un être civilisé.

Les in terp rétateu rs m ettaien t cependant parfois en doute la sincé­ rité de ces déclarations de Vico. Ils soulignaient en effet, que dans sa vision l’histoire de l’hum anité s’explique au fond d ’elle-même, que ce sont les hommes eux-m êm es —- d ’accord d ’ailleurs avec de fréquentes assurances de Vico — qui créent l’histoire et que la Providence n ’a fait qu ’escompter leur m érite. Le scepticisme, quant à la sincérité de la devinisation par Vico du processus historique allait parfois très loin — ju sq u ’à l’affirm ation que la conception de la Providence est une con­ cession en faveur de la censure catholique (Nicolini). Selon cette in te r­ prétation, la conception de la Providence est un cryptonym e de la nécessité historique, de la régu larité du processus historique, du thé- leologisme de l’histoire hum aine.

Il est difficile de donner raison à ces suppositions. Elles sont au même degré hypothétiques que les suggestions découlant de positions idéologiques opposées, qui soulignent l’orthodoxie catholique exagérée de l’historiosophe napolitain (Amerio). Tout semble indiquer que Vico croyait sincèrem ent en Dieu et en son rôle providentiel. Il essayait cependant de découvrir l’activité de la Providence non de l’extérieur, mais à l’in térieu r du procès d'es événem ents hum ains, au fond du processus historique du développem ent de la n atu re de l’homme. La théorie historique de Vico fait en effet cette impression, q u ’il suffit de s’en rem e ttre à l’analyse des deux sources éternelles de l’activité h u ­ m aine, la nécessité et le besoin, pour pouvoir p én étrer la natu re des choses hum aines. Le rôle de la Providence se borne donc à conserver dans la n atu re hum aine ces grains de l’instinct social, qui même à l’état de la plus complète déchéance m aintiennent une différence en tre l’hom ­ me et l’animal. Mais il se borne aussi à sanctionner par son autorité une exception historique bizarre, ayant sur le fond de toute l’histoire le caractère d ’une v éritab le anomalie: le sort exceptionnel du peuple hébreux, qui, non par l’interm édiaire de la Providence, m ais en v ertu d ’une grâce divine spéciale a évité les conséquences du péché originel.

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Exception faite des hébreux, tous les a u tre s peuples ont dû en effet fran ch ir les étapes du développem ent fixées p ar la nécessité historique natu relle et p ar la sphère variable des possibilités hum aines. C ’est pourquoi la vision historique de Vico, im bue de providentialism e p o rtait en soi u n souffle puissant d e cette sécularisation de la science, qui caractérise la pensée historique moderne.

C ette vision n ’em brasse pas sim ultaném ent toute l ’hum anité. Vico n ’arrange pas les chaînons de l’histoire des peuples particu liers en une chaîne qui englobe toute l ’histoire. L ’histoire universelle se divise en une série d ’évolutions cycliques qui s’effectuent d ’une m anière au to ­ nome et indépendante. Les peuples, qui réalisen t ces cycles, n ’ont en principe aucune liaison commune, sauf le fait, que chacun d ’eux rép ète à sa propre m anière toujours le même schém a trip a rtite de dévelop­ pem ent, en passant p ar trois étapes consécutives: l’époque des dieux, des héros et des hommes, pour en venir finalem ent à la déchéance. La renaissance u ltérieu re d ’un peuple consiste à effectuer éventuellem ent l’effort étern el de Prom éthée p ar une au tre u n ité historique — à son propre compte.

Mais dans les lim ites des unités nationales autonom es le dévelop­ pem ent est intégral. Tous les élém ents constituent une stru c tu re syn­ chronisée et entière, dont chaque élém ent p articu lier est lié aux au tres p ar un systèm e infini de dépendances m utuelles. A ucun élém ent de la cu ltu re hum aine ne possède le privilège d ’un développem ent autonome. Tous les élém ents subissent des transform ations selon un ry th m e général.

L ’épicentre de ce m ouvem ent historique total est constitué p ar la n a tu re hum aine; il n ’est cependant constitué ni p ar la n atu re des in ­ dividus particuliers, ni même p ar la n atu re de la somme atom istique des unités, mais la n atu re socialem ent form ée des collectivités h u m ai­ nes. Le développem ent de cette n a tu re consiste à sélectionner et à form er graduellem ent ses élém ents intelligents e t éthiques, réprim és chez les barbares prim itifs p a r la sensualité. Ce procès ne p eu t s ’accom­ p lir en dehors de la société, m ais c’est lui, qui règle finalem ent le ry th m e et qui définit les form es particulières de la vie sociale. Et l’on doit considérer ces form es comme au tan t de m anifestations successives d ’étapes des possibilités hum aines, collectivem ent atteintes.

Donc aucun des élém ents de la culture: ni les m ythes, n i les re li­ gions, ni les oeuvres d ’art, ni les coutumes, ni les conceptions ju rid i­ ques, ni les systèmes stru ctu ra u x de l’E tat ne son des produits de l ’invention d ’indivudus exceptionnellem ent in telligents ou doués, m ais des produits du génie créateur collectif et le plus souvent spontané et irréfléchi de la société. C’est pourquoi Vico est enclin à tro u v er des oeuvres collectives p arto u t où la trad itio n voyait le ré su lta t du génie créateu r de l ’individu.

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4. L’ÉVOLUTION DE L ’HOMME ET LE DÉVELOPPEMENT DE LA CONNAISSANCE

Le cycle historique a conduit l’être hum ain de l’état barbare p ri­ m itif à l’é tat de le civilisation développée. Au début de sa voie l’homme vivait p ar ses sens. Il ne savait ni penser, ni raisonner et ne pouvait form er d ’idées abstraites. Il ne faisait attention q u ’aux objects concrets et il apprenait à les connaître uniquem ent au moyen des facultés qui sont liées au fonctionnem ent des sens: au m oyen de la m ém oire et de l ’im agination. Ces facultés étaien t chez les prem iers homm es beaucoup plus développées que chez l ’homme civilisé. Mais il ne pouvait sc- servir que de ces in strum ents sensuels pour connaître le monde environ­ nant. Et tout le développem ent de l’homme se réd u it à l’évolution de l’intelligence hum aine.

Le cycle historique se place donc en tre l’époque des sens et l’épo­ que de l’intelligence, ou en d ’a u tre s mots, en tre l’époque de la poésie . et l’époque de la philosophie. Car les prem iers hommes, qui acquièrent toute leur connaissance de la vie au m oyen de leurs facultés sensuel­ les ont une conscience poétique, tandis que les gens civilisés qui doivent leur savoir à la réflexion intellectuelle -— sont dotés de con­ science philosophique.

De cette façon la poésie reçoit une place définie au sein du cycle historique. Une place limitée, il est vrai, au point de vue chronologique, mais p ar contre entièrem ent destinée à elle. Car là où règne la poé­ sie — il n ’y a pas de place pour la philosophie; ces deux phénomènes s’excluent m utuellem ent.

Au début de l’histoire de chaque peuple la poésie est u n phénom ène nécessaire, inévitable. Et son rôle n ’est pas accidentel, mais essentiel et im portant au plus h au t point. ,

L ’atm osphère du classicisme était penetrée par la conviction que la poésie est un résu lta t de réflexions, q u ’elle est issue de ,,1’im itation de la n a tu re ” et que ses fonctions sont bien définies par la sentence horacienne: A u t prodesse, aut délectare. Vico, par contre, en defendant la „nécessité” de la poésie, re je ta it résolum ent toutes les thèses fonda­ m entales du néo-classicisme. Il accum ula un amas de preuves philo­ sophiques afin de dém ontrer que tous les anciens documents, non seulem ent artistiques, mais égalem ent scientifiques (cosmologiques, anthropologiques, juridiques etc.) ont un caractère poétique. Et il s’effor­ cait sans cesse de prouver q u ’il fa u t lire ces docum ents non pas comme des transm issions habiles de conceptions logiques, mais comme des com pte-rendus directs des conaissances hum aines de ce temps. Et que le m oyen fondam entale de la transm ission n ’est pas une idée réfléchie, mais un m ythe.

Le rationalism e liait volontiers le m ythe à l’illusion, à l’erreur. Le m ythe résum e en soi la connaissance du monde accumulée par plusieurs

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La vision de la science ch ez G. B. Vico 195

générations. A ux époques dépourvues de réflexion le m ythe n ’est pas seulem ent l ’unique m oyen m ais égalem ent le m oyen le plus efficace de transm ission de la v érité. E t à u n certain point de v u e le m ythe a mêm,e un avantage sur la réflexion: le m y th e ne m en t pas, car le mensonge n aît de l’abus de la réflexion. Donc n i Homère, ni D ante ne m entent — de même que les enfants ne m en ten t jam ais. L eurs poèmes disent la vérité. Ils la tran sm ette n t d ’une m anière m étaphori­ que et c’est donc une v érité différente de la v érité refléchie dans un m iroir. Mais le caractère m étaphorique de la transm ission n ’exclut nullem ent les qualités de l ’a rt en ta n t que m oyen de tra n s fe rt perce­ ptif, mais au contraire il les renforce. C ar la m étaphore en recelan t l’expérience additionnée des associations d ’idée tran sm et une v érité qui dépasse considérablem ent la valeur perceptive des observations concrètes et non-m étaphoriques. „Si l’on réfléchit bien — écrit Vico dans la Scienza Nuova — la v érité poétique est une vérité m étaphorique, en com paraison de laquelle la v érité physique, qui ne lui correspond pas, doit être considérée fausse”. Aprèsi avoir constaté ceci, Vico en tire l’im portante conclusion suivante: „ Il en résu lte ... que p ar exem ple Godefroy, im aginé par Tasso est un v éritab le com m andant m ilitaire. Et tous les autres com m andants, qui d iffèren t même légèrem ent de Godefroy, ne sont pas de véritables com m andants” (§ 205).

La réalité de la mythologie poétique n ’épuise cependant pas son im ­ portance, car elle ne dépend pas seulem ent du m ilieu des hom m es qui la créent, mais de son côté elle influence et form e ce m ilieu. Le m ythe artistique est une aliénation: le personnage poétique (un dieu, un héros) n aît en ta n t que fru it d ’une im agination prim itive pour s ’ém an­ ciper au m om ent même de sa form ation, e t devenir comme to u t produit d ’aliénation, une force active, qui influence le com portem ent des hom ­ mes. Chaque peuple crée son Ju p ite r selon soin propre modèle. E t cha­ cun de ces divins m aîtres est pour ceux qui l’ont crée une au to rité devant laquelle ils trem b len t et q u ’ils croient devoir obéir. Vico s ’in ­ cline avec respect devant l’em prise des Ju p ite rs sur les esprits h u ­ mains. Les p artisan s du classicisme du X V IIIe siècle étaien t enclins à considérer, que la m ythologie est une fantaisie pittoresque, mais dénuée d ’im portance, qui n aît sur le sol inculte des esprits superstitieux. P ar contre Vico, avec une perspicacité ra re pour cette époque, perçoit le rôle social des m ythes artistiques.

Les prem iers hommes étaient des êtres sem ianim aux. Ils s ’élevaient avec difficulté presque du fond même de la m atière. L eur activité était régie par des besoins et des passions égoïstes. Ils ne connaissaient pas les phrases, ils ne pouvaient pas le construire, ni les com prendre. Ils ne pouvaient apprendre et s’in stru ire q u ’à la m anière des enfants, en im itant. C’est pourquoi uniquem ent des exem ples ayant une énorm e force d ’influence ém otionelle pouvaient faire changer leur com porte­

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m ent. C’est un tel rôle que jouaient justem ent les mythes, puissants et m enaçants, im posants et épouvantables: comme Ju p ite r tonnant, que l’im agination prim itive dotait de tous les attrib u ts, pouvant évoquer le respect chez les êtres hum ains les plus abrutis.

Le rôle de la poésie est im p o rtan t et la position des poètes est éga­ lem ent digne de respect. Ils ont la connaissance des „choses divines et hum aines”. Ils créent les dieux, savent in terp réte r leurs oracles et p ar­ le n t en leur nom. Rien donc d ’étonnant que dès le début de la civili­ sation les poètes sont les prem iers sages et en même tem ps les p re­ m iers théologues, q u ’ils sont des chefs et des législateurs. Ils sont esti­

més et respectés, ils détiennent le pouvoir et l’autorité.

Mais leur auto rité — et Vico le souligne m aintes fois — n ’est pas issue de leur p articu larité aristocratique vis-à-vis de la foule. Le poète n ’est pas un philosophe qui habille l’idée d ’une form e poétique acce­ ssible aux esprits grossiers. Le poète n ’est nullem ent quelque chose d ’au tre que les récepteurs de ses idées. Vico, pour la prem ière fois dans l’histoire de l’esthétique, com prend et accepte en même tem ps le rôle du poète en ta n t q u ’hom m e qui ne diffère pas au point de vue des talen ts et des connaissances des rep résen tan ts du peuple. La diffé­ rence en tre le peuple et les poètes n ’est q u ’une différence de niveau du talent, qui perm et d ’appeler en langue poétique ce que les autres ne savent pas encore définir, de donner une form e aux idées ressenties en commun, de façonner en une vision artistiq u e la somme collective des expériences et des désirs. C’est pourquoi le respect, dont la collec­ tiv ité entoure le poète, découle non de l’adm iration pour sa particu ­ larité, mais au contraire du sentim ent de l’unité absolue avec lui. Les grands poètes ne sont grands que parce q u ’ils rep résen ten t d ’une façon fidèle la sagesse populaire. Tous les peuples grecs affirm ent qu’Homère leur appartient, car ils sen ten t tous q u ’il est le barde de leurs propres sentim ents. Sa poésie est leur poésie. La conséquence de ces observa­ tions c’est la fam euse „découverte du v éritab le H om ère”, faite quelques dizaines d ’années av an t les révélations de Wolf. En dépassant considé­ rablem ent les lim ites des connaissances scientifiques de l’époque, Vico dém ontre que les v rais au teu rs de l’Iliade et de l’Odyssée fu ren t des générations de poètes aveugles, qui représen taien t la conscience poéti­ que du peuple grec.

Le principe, selon lequel l’a rt est strictem en t lié à la collectivité sociale qui le crée, constitue la base de la théorie historique de l’esthé­ tique de Vico. L ’a rt dépend de l’homme et doit se transform er avec lui. La loi établissant la chronologie des événem ents artistiques est la même loi générale qui régit l’histoire du cycle: c’est la loi de l’évolu­ tion de l’esprit hum ain du concret à l’abstrait, du discernem ent au m oyen des sens au jugem ent logique, de la poesie à la philosophie. P lus l’intelligence est faible — plus est puissante l’im agination; et

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La vision de la science chez G. B. Vico 197

celle-ci fait n aître de m agnifiques et puissantes visions poétiques — d ’abord des dieux et ensuite des héros. A m esure que s’affaiblit la fantaisie poétique — les images m ythologiques deviennent de moins en moins! saisissantes et ém ouvantes. Et enfin, dans la phase finale du cycle l’im agination s’affaiblit com plètem ent e t elle cède la place à l ’in tel­ ligence développée, à la suite de quoi l’a rt s’atrophie et passe en m arge de la vie sociale. Il devient un badinage de p u re forme, une p aru re o rn an t les idées réflexes, u n luxe et un jeu. La conscience poétique cède la place à la conscience philosophique, l’a rt perd la fonction sociale q u ’il exerçait jadis, et la civilisation lui apporte l’anéantisse­ m ent. De cette façon Vico prévient les invectives anticivilisatrices de Rousseau, de même que les prophéties de Hegel sur la „m ort de l’a r t” .

5. DE LA CONCEPTION GÉNÉRALE DE L’HISTOIRE À L ’IDÉAL SOCIAL

Chaque chapitre de la Scienza Nuova prouve que son au teu r suivait avec une attention particulière le cours des événem ents de l’époque, q u ’il ne p erd ait pas son orientation dans le chaos de l’Europe du X V IIIe siècle, et q u ’il était com plètem ent p rép aré à adopter une attitu d e consciente envers les principaux dilem m es de son époque.

Selon les lois établies dans la Scienza Nuova, les form es constitu­ tionnelles subissent des changem ents historiques au m êm e degré, que toutes les autres institutions sociales. La façon d ’exercer le pouvoir est toujours telle que l ’exige le m om ent donné du cycle historique. L ’ordre successif des changem ents dans le systèm e de gouvernem ent est défini p ar la chronologie des transform ations dans la n a tu re hum aine, sociale­ m ent formée. La “m onarchie fam iliale”, dans laquelle le p atriarch e de 1a. fam ille concentrait en ses m ains le pouvoir absolu, a rem pli en son temps son rôle. A une époque déterm inée le féodalisme aristocratique, qui soum ettait tous au pouvoir d ’une m inorité peu nom breuse, a égale­ m ent rem pli son rôle. Il était de même absolum ent nécessaire que le peuple franchisse l’étape de la démocratie, où le pouvoir est exercé p a r la m ajorité des citoyens, ou par tous. Et il est inévitablem ent nécessaire q u ’apparaissent dans l’histoire les m onarchies politiques, dans lesquelles le pouvoir ap p artien t de nouveau à un seul individu. De cette façon le cycle historique se dispose en un schéma de triade, dans lequelle la thèse est u n état d ’absence com plète d ’égalité sociale, l’antithèse, une application complète de cette égalité, et la synthèse est un régim e, qui selon les conceptions du philosophe napolitain, g aran tit le m aintien des conquêtes de la dém ocratie sous la sage tu telle du monarque.

Vico se ren dait p arfaitem en t compte que l’évolution politique des Etats européens même à la consolidation des m onarchies m odernes. Il

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approuvait pleinem ent et en toute conscience cette évolution et atten ­ dait avec im patience le m om ent où elle attein d ra it égalem ent l’Italie féodale et attard ée dans son développem ent. Il estim ait en effet que seule la m onarchie peu t ré ta b lir l ’ordre dans ce pays e t le relever de la ruine, car il était d ’avis q u ’elle seule rem p lit deux conditions d ’une im portance capitale: primo — elle lim ite le pouvoir des puissants et les empêche d ’opprim er le peuple, et secundo — elle tra ite tous les m em bres de la société, les forts de m êm e que les faibles en égaux devant la loi. La m onarchie est donc u n systèm e souhaitable car elle introd u it et m aintient un état d ’équilibre social spécial, entre deux forces sociales antagonistes — l’aristocratie et la dém ocratie. Toute l’histoire activise sans cesse l’antagonism e en tre ces forces opposées et son cours est déterm iné par la victoire graduelle du principe de l’égali­ té en tre les hommes. L ’inégalité, qui existait naguère, était “n atu relle” et “indispensable”, mais uniquem ent pour une étape historique d éter­ minée, lorsque les hommes ne pouvaient coexister q u ’à condition d ’être subordonnés à la force. “L ’histoire idéale et éternelle” donne cependant à l ’homme du peuple la possibilité de façonner la vie sociale grâce à l’égalisation progressive des droits.

Les transform ations stru ctu relles de l’Etat, conquises par les plé­ béiens, m ènent à un certain m om ent à l’établissem ent du régim e démo­ cratique. Les in terp réta teu rs de l’historiosophie de Vico soulignaient parfois son attitu d e critique envers les dém ocraties de l’antiquité. En effet, Vico n ’a pas confiance en la dém ocratie. Mais non parce q u ’il h aït le systèm e dém ocratique comme tel. Au contraire, il est p rêt à reconnaître, que la dém ocratie est un systèm e digne de respect, car il réalise son profond désir d ’égalité en tre les hommes. Mais il n ’a pas confiance en la dém ocriatie, car son équilibre est instable. Les démo­ craties peuvent en effet fonctionner uniquem ent sur la base de la re ­ présentation, et les rep résen tan ts se tran sfo rm en t presque toujours en tyrans. Et l’a rb itraire des tyrans, qui dans l’esprit de Vico s’identifie toujours avec l’a rb itraire des seigneurs féodaux, est pour lui un objet de haine extrêm e et passionnée. Le relativism e historique le force, il est vrai, à reconnaître que le féodalisme est historiquem ent un état “n a tu re l” et “indispensable”, mais en m êm e tem ps il emploie énorm é­ m en t d ’efforts et de passion pour dénoncer le m ythe de la noblesse des v ertu s chevaleresques romaines, qui ne sont d ’aucune u tilité “aux plébéiens m alheureux et opprim és”. Et il en vient à u n ton exception­ nellem ent pathétique quand il dém asque la m orale des “b re tte u rs” féodaux italiens — de ces “chevaliers e rra n ts”, si glorifiés dans les rom ans, qui p rêtaien t serm ent q u ’ils seraient ennem is éternels des plébéiens.

L ’idéal social est réalisé au même point par la dém ocriatie que p ar la monarchie, et Vico déclare que “ces deux form es de gouvernem ent

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La visio n de la science chez G. B. Vico 1 9 9

peuvent assez bien se céder m utuellem ent la place” . Et seulem ent “le reto u r à l’E tat aristocratique est contraire à la n atu re de la société”

(Scienza Nuova, § 1087), car les plébéiens, s’é ta n t persuadé q u ’ils sont

égaux aux puissants, ne peuvent su pporter une situation où existe cette inégalité. C’est pourquoi les quelques organism es aristocratiques qui ont survécu, doivent se transform er bientôt en dém ocraties du type hollandais, ou en m onarchies du type français.

En France, à la fin du X V IIe et au d ébut du X V IIIe siècles, l’idéali­ sation de la m onarchie absolue excluait to u te analyse des événem ents et de leur évolution en liaison avec les conditions historiques qui les causent. Personne dans l’entourage de Louis XIV ne glorifiait la v aria­ bilité, ne propageait le relativism e, ne prêchait la nécessité de tra n s­ form ations institutionnelles et sociales. La m onarchie é ta it stabilisée et elle voulait durer. Q uant à Vico, il ne se b o rn ait q u ’à annoncer l’avène­ m ent de l’ère m onarchique. Cela lui p erm it d ’enchâsser l’idéal social m onarchique dans la vision historique des régim es changeants, dont chacun n ’est caractérisé que par une valeur relative, lim itée au point de vue du tem ps et de l’espace. C ette vision contenait en m êm e tem ps une prophétie dangereuse de la négation m êm e de cet idéal, une vision chargée de conséquences tellem ent radicales, q u ’il fallu t to u t un siècle pour que la réflexion hum aine puisse supporter leur poids.

NOTE BIOGRAPHIQUE

G iam battista Vico (1668—1744), fils d’un libraire Napolitain éta it un auto­ didacte. Il a passé sa v ie à N aples en donnant, pendent plus de quarante ans

à pkrtülr de 1699, des cours de rhétorique à l ’u niversité. S es prem ières idées philosophiques ont été présentées dans ses conférences inaugurales: Orazioni

inaugurali (1699— 1708), parmis lesqu elles la conférence: De n ostri te m p o ris stu - dioru m ratione (1708) est d’une im portance particulière. Ensuite, Vico a com m encé

de travailler sur son traité: De antiquissim a Italorum sapientia e x latinae linguae

originibus ereunda, qui devait contenir, dans trois parties, les exp osés de la

m étaphysique, de la philosophie de la nature et de l ’éthique. C ependent, Vico n’a publié que le L ibe r m e taph y sic u s (1710), en quittant pour un certain tem ps ses préoccupations philosophiques pour s ’adonner à une étude historique: De rébus

gestis Antonii Caraphaei (1716). En 1719 Vico a préparé une conférence inaugurale,

dans laquelle on trouve déjà la prem ière vision de sa “science n o u v e lle”, tandis que le D irit to univers ale (1720— 1722) apporte un certain d éveloppem ent de cette vision. M ais ce ne sont que les Principi di una Scienza Nuova d ’intorn o alla

natura delle Nazioni (1725), qui donnent l ’exp osé com plet de son historiographie.

Jusqu’à la fin de sa vie, Vico com plétait et corrigeait son oeuvre principale. U ne seconde version de la Science nouvelle parut en 1730 et la troisièm e version, cette fois définitive, fu t publiée en 1744, quelques m ois après la m ort de l ’auteur.

La doctrine de Vico n ’a pas eu d ’in fluence im portante au cours du X V IIIü siècle. En Italie, certaines de ses idées ont été continuées par M uratori, Duni, Concina et Cesarotti. En France, M ontesquieu s’est inspiré de lui en quelque m esure, de m êm e que H erder en Allem agne. C’est cependent le X IX e siecle

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qui a été tém oin d ’une renaissance des idées de Vico, surtout grâce à ses deux adm irateurs: M ichelet en France et Croce en Italie. K arl M arx s’est interesé à son historiosophie, de m êm e que ses continuateurs: Lafargue, Labriola et Gramsci. On peut tracer une influence de V ico chez N ietzsche et Jacobi, chez Spengler et Toynbee. En Pologne, c’est K elles-K rauz, Brzozow ski et Sobeski qui lu i ont consa­ crés le plus d ’attention.

C H O IX D E B I B L I O G R A P H I E

J. M i c h e l e t : Introduction à l’édition des Principes de la philosophie de

l'histoire traduits d e la Scienza Nuova. 1827; K. W e r n e r : G. B. Vico als Philosoph und gelehrter Forscher. 1881; R. F l i n t : Vico. 1884; B. C r o c e : La filosofia di G. B. Vico. 1911; G. G e n t i l e : S tudi vichiani. 1915; M. S o b e s k i : G. B. Vico, tw ó rc a filozofii historii. 1916; F. N i c o l i n i : La giovinezza di G. B. Vico. 1932; J. C h a i x - R u y : La formation de la pensée philosophique de G. B. Vico. 1943; F. A m e r i o : Introduzio ne allo stu dio di G. B. Vico. 1947; H. R. C a p o n i g r i :

Tim e and Idea. The Th e ory of H istory in G. B. Vico. 1953; F. N i c o l i n i : Saggi vichiani. 1955; N. B a d a l o n i : In troduzzione al Vico. 1961; S. K r z e m i e ń : E s te ty k a G. B. Vico. „Studia E stetyczne”, 1964.

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