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Esprit et liberté : essai de philosophie chrétienne

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Academic year: 2021

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N IC O L A S BERDIAEFF

ESPRIT ET LIBERTÉ

Essai de Philosophie Chrétienne

ÉCRIVAINS RELIG IEU X ÉTRANGERS

É D I T I O N S " J E S E R S ” - P A R I S

19 3 3

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ESPRIT ET LIBERTÉ

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DU MÊME AUTEUR

c h e z d ’ a u t k e s é d i t e u r s

Un nouveau M oyen-Age (Plon).

A l a s . c. e . L.

Le M arxism e et la Religion. (Ed. Je Sers.)

De la dignité du christianism e et de l’indignité des chrétiens. (Ed. Je Sers.)

Le christianism e et la lutte des classes. (Ed. Demain.)

L ’E sp rit de D ostoïew ski. (Ed. S. C. E. L.)

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NICOLAS BERDIAEFF

ESPRIT ET LIBERTÉ

Essai de Philosophie Chrétienne

T raduit du R u sse par I. P. et H. M.

ÉDITIONS “ JE S E R S ”

So ciété C om m erciale d 'E d itio n et de L ib r a ir ie 15, rue du Four, Paris (VIe)

1933

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IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE VINGT EXEMPLAIRES SUR PAPIER PUR FIL NUMÉROTÉS DE I A XX

Copyright 1933 by, Société Commerciale d’Edition et de Librairie

Tous droits réservés.

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« Mais l’heure vient, et elle est déjà venue, où les vrais adorateurs adore­

ront le Père en esprit et en vérité, car

ce sont là les adorateurs que le Père

demande. Dieu est esprit, et il faut

que ceux qui l’adorent l’adorent en

esprit et en vérité. » (J ean IV-23-24.)

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i i i K ' l ! H S I

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PRÉFACE A L'ÉDITION FRANÇAISE

En relisant la traduction de cet ouvrage, écrit il g a près de h u it ans, j ’ai sen ti que certains m alentendus pouvaient naître dans l’esprit du lecteur français, et j ’ai pensé q u ’il était utile, en guise de préface, de don­

ner ici quelques éclaircissem ents.

Il est d ’abord malaisé de rendre les catégories de la pensée religieuse et philosophique russe, dans ce.tte langue intellectualisée q u ’est la langue française. En outre, les problèm es eux-m êm es se posent d ’une m a ­ nière d ifféren te; des divergences existent, non seule­

m e n t dans la construction et dans la term inologie des d eux langues, m ais aussi dans les traditions religieu­

ses et les écoles philosophiques. Les problèm es qui sem blent avoir une im portance fondam entale pour la philosophie religieuse russe, et autour desquels une lutte fu t soutenue pendant des décades, p euvent pa­

raître insignifiants pour la conscience française et lui rester étrangers. Un seul et m êm e m ot peut recevoir les interprétations les plus diverses.

Du point de vue philosophique je suis rattaché à la philosophie allemande, et m êm e quand je lutte contre son idéalism e et que je m ’efforce à le surm onter, je conserve souvent, cependant, sa term inologie et sa m anière de poser les problèm es. Or, la pensée philo­

sophique allem ande est toujours difficile à traduire en français. Encore plu s lointaine, parce que totale­

m e n t inconnue, doit paraître la philosophie religieuse russe qui possède déjà sa propre tradition.

Je ne p uis pas dire que tout, dans ce livre, m e donne satisfaction. J ’aurais, actuellem ent, exprim é certai­

nes idées d iffére m m e n t et avec plus de précision.

L ’ouvrage que je viens de term iner : De la D estina­

tion de l’hom m e, et qui n ’est pas encore édité en langue française, traduit peut-être m ieu x m a concep­

tion du m onde, m ais il est impossible de reprendre une

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1 0 p r é f a c e a l ’ é d i t i o n f r a n ç a i s e

œ uvre qui est une exposition com plète de tout un sy s­

tèm e et qui reflète une expérience spirituelle. Je ne voudrais pas que ce livre soit com pris com m e une opposition radicale du christianism e oriental au chris­

tianism e occidental, cela ne correspondrait pas à m on état d ’esprit œ cum énique. Mais il était indispensable de révéler le caractère de la pensée chrétienne russe.

Je crois profondém ent à l’existence d ’une unique spiritualité chrétienne et attend d ’elle une renais­

sance. L ’élém ent rationaliste et jurid iq u e de la théolo­

gie catholique et de l’organisation de l’église rom aine m ’est étranger et je lu i oppose une autre form ation spirituelle, m ais je sais quelle diversité, quelle richesse et quelle com plexité com porte le m onde catholique et j ’aime et apprécie la vie spirituelle m êm e du catholi­

cism e. En ce q u i concerne le protestantism e, je m e se­

rais attaché a u jo u rd ’h u i à préciser davantage m on at­

titude envers le barthianism e.

Ma philosophie appartient au type de la philosophie de l’existence (E xistenzphilosophie). Ma conception philosophique du m onde se distingue essentiellem ent de celle de Heidegger et de Jaspers et f u t élaborée en dehors de tous les courants dont l’origine rem onte à Kierkegaard. Mais j ’ai toujours cru que la philosophie ne pouvait être q u ’une philosophie de l’existence h u ­ m aine, qui elle, n ’appartient pas au m onde des objets.

11 y avait dans la pensée russe une tendance à élaborer une philosophie de l’e xisten tiel; elle était orientée vers l’être concret, vers l’existant. Toutefois com m e il s ’agit ici d ’une philosophie de la religion et non pas d ’une théorie de la connaissance ni d ’une m étaphysique, je préfère y em ployer le term e « vie », qui appartient à l’Evangile et qui est lié à la spiritualité, que le term e

« existence ». On donne parfois au m ot « vie » un sens biologique, et nous le trouvons m êm e chez Berg­

son et N ietzsche, m ais la philosophie de la vie a, pour m oi, une source et une nourriture religieuse. A u ssi se distingue-t-elle radicalem ent de celle que professent les penseurs contem porains, tout en ayant avec elle une ressem blance form elle. Je considère que le pro­

blème central est le problèm e religieux de l’h om m e, celui de l’anthropologie religieuse qui n ’est pas posé, par exem ple, chez Heidegger.

Il y a une différence considérable entre les courants

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de la pensée chrétienne russe, issue du xixe siècle, et les courants de la pensée occidentale européenne, à la fois catholique et protestante. La pensée chrétienne de l’Occident, qui s ’était éloignée des sources origi­

nelles et qui était passée par l’époque d ’une création hum a niste, veut retourner à ces sources. Le thom ism e revient à la pensée catholique du M oyen âge et à son plus p u r représentant, saint Thom as; le barthianism e a u x sources de la R éform e, à L u th e r et à Calvin. Le christianism e russe s ’est toujours m a intenu près de ses sources prim itives, on n ’y sentait pas la nécessité d ’un retour aux origines. Le réveil de la pensée chré­

tienne russe des xixe et xx° siècles a soulevé le pro­

blème d ’un m o u vem en t créateur dans le christianism e.

Ce problèm e religieux de l’acte créateur de l’hom m e est posé avec plus d ’acuité par la pensée russe, que par la pensée de l’Occident, où la renaissance h u m a ­ niste se trouvait orientée vers l’avenir et la renaissance chrétienne vers le passé.

Dans la pensée chrétienne russe il n ’y a pas de

« m odernism e » au sens catholique et protestant du m ot. Le « nouveau » dans le christianism e revêtait p lu tô t un caractère pneum a tiq u e et m ystiq u e, q u ’un caractère h um an iste scientifique ou social, il est im ­ portant d ’en tenir compte si l’on veut saisir le carac­

tère m êm e de cet ouvrage.

N. BERDIAEFF,

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(15)

)

INTRODUCTION

Dans son livre Le Pèlerin de l’Absolu, Léon Bloy d it : « Souffrir passe, avoir souffert ne passe jam ais. » Il fau t donner à ce rem arquable aphorism e le sens le plus large. On peut su rm o nter l’expérience de la vie, m ais l’expérience vécue reste à jam ais l’apanage de l’hom m e et la réalité agrandie de sa vie spirituelle. Il n ’y a aucune possibilité d’effacer le fait vécu. Ce qui a été continue à exister sous une form e transfigurée.

L ’hom m e n ’est pas un être absolum ent fini, il se form e et se crée dans l’expérience de la vie, dans la lutte de l’esprit, dans les épreuves de sa destinée. L’hom m e n ’est que le dessein de Dieu.

Le passé est surm ontable et peut être vaincu, il peut être racheté et pardonné, le ch ristianism e nous l’enseigne; la naissance à une nouvelle vie est possi­

ble. Mais dans toute nouvelle vie transfigurée ren tren t les expériences, qui ne peuvent d isp a ra ître sans lais­

ser de traces. Une souffrance peut être surm ontée et la joie et le b onheur peuvent ren aître, m ais dans toute nouvelle joie, dans tout nouveau bon h eur e n tre ra m ys­

térieusem ent la souffrance vécue; la joie et le bon­

h eu r seront désorm ais différents. Les doutes to rtu ­ ra n ts peuvent être dom inés, m ais dans la foi acquise se révélera la pro fon d eu r de ces incertitudes. Une foi semblable sera d ’une qualité to ut a u tre que celle des hom m es n ’ay ant pas eu ces doutes et qui c ru re n t par

« héritage », p a r naissance ou p ar trad ition. L’hom m e qui a beaucoup voyagé dans les m ondes spirituels, qui a passé p a r des épreuves au cours de ses rech er­

ches et de ses pérégrinations, au ra une a u tre fo rm a­

tion spirituelle que l’hom m e sédentaire, pour lequel ces m ondes sont restés inconnus. L ’hom m e est lié à sa destinée et il n ’est pas m aître d ’y renoncer. Ma desti­

née est to u jo u rs p articulière, elle ne se renouvelle pas,

elle est une et unique. D ans l’expérience de m a vie,

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14 I N T R O D U C T I O N

dans mes épreuves et mes recherches, se crée la fo r­

m ation de m on esprit. T o u t ce qui a été vécu p a r moi fait partie des plus hautes acquisitions de m a vie spi­

rituelle, de m a foi, de m a Vérité, je suis enrichi p ar m on expérience, même si elle a été to rtu ra n te et te r­

rible, même si, pour fra n c h ir ce gouffre, j ’ai dû faire appel à d ’autres forces que les forces hum aines.

Q uand l’hom m e revient à Dieu après une expérience d ’apostasie, il connaît dans ses relations avec Lui une liberté q u ’ignore celui qui a passé sa vie dans une foi paisible et traditionnelle, qui a vécu dans un « h é ri­

tage patrim o nial ». La souffrance passe, m ais avoir souffert ne passe jam ais. Cette vérité est exacte, par ra p p o rt à l’individu en p articu lier et p a r rap p o rt aux sociétés hum aines. Nous vivons dans une époque tra n ­ sitoire de crise spirituelle, où beaucoup de pèlerins e rra n ts reviennent au christianism e, à la foi de leurs pères, à l’Eglise, à l’orthodoxie. Ces hom m es revien­

nent, ayan t passé p a r l’épreuve de la nouvelle histoire, d ont ils ont a tte in t les lim ites extrêm es. Ces âm es de la fin du xix” et du com m encem ent du xxe siècles sont des âm es tragiques. Ce sont de nouvelles âmes, dans lesquelles on ne p eu t déraciner les conséquences de l’expérience vécue.

Com m ent reçoit-on ces voyageurs rev enan t à la Maison du Père? T rop souvent a u trem en t que ne fû t accueilli le fils prodigue de la Parabole. L a voix du fils aîné, qui se glorifie d ’être resté aup rès du Père et de l’avoir servi, se fait p a r tro p entendre. Cependant, p arm i ces pèlerins de l’esprit, il n ’y a pas seulem ent des hom m es dépravés, il y a aussi des affamés, des a s­

soiffés de V érité; et ils sero n t plus justifiés devant Dieu que d ’innom brables « chrétiens bourgeois », qui s’enorgueillissent de leur pharisaïsm e et s’estim ent

« g rands propriétaires » dans la vie religieuse.

L ’âm e hum aine est devenue to u t au tre q u ’elle n ’était q u an d elle reçu t à l’origine le christianism e, alors q u ’enseignaient les g ran d s docteurs de l’Eglise, que dogm atisaient les conciles œ cum éniques, que se fo r­

m ait l’éta t m onastique, que dom inait le régim e théo- cratiq u e et se forgeait la religiosité m édiévale et by­

zantine. Cette tra n sfo rm atio n et cette épuration de la

psyché se sont produites av an t to u t sous l’influence

de l’action m ystérieuse, souvent invisible et profonde,

du ch ristianism e même, qui trio m p h a it in térieu re­

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m ent de la b arbarie et de la rudesse de l’âm e en édu­

q u a n t l’hom me.

Nous ne trouvons pas de réponse aux angoissantes questions de Nietzsche dans les catéchism es et les en ­ seignem ents des « startzi **, elles dem andent dans le christianism e u n com plém ent créateur. T out n otre m ouvem ent de philosophie religieuse russe des derniè­

res décades, est passé p a r une expérience ineffaçable qui ne peut pas ne pas en rich ir le christianism e. Elle ne résu lte pas d ’u n processus de perfectionnem ent in ­ dividuel ou d ’une acquisition de sainteté. Toutefois, l’e sp rit ecclésiastique réaction n aire (non pas l’Eglise) s’oppose à la pensée créatrice de la philosophie reli­

gieuse et la renie. Le m onde orthodoxe, d’esp rit tra d i­

tionnel, ne com prend pas encore que le christianism e cesse d ’être, p a r excellence, la religion des sim ples d ’esp rit et q u ’il doit se to u rn e r vers des âm es plus complexes et découvrir une sp iritu alité plus profonde.

Ceux qui ont connu une liberté d ’esprit illim itée et qui sont revenus en liberté à la foi chrétienne, ne peu­

vent effacer de leu r âm e cette expérience, ou en re ­ n ier l’existence. La liberté, avec sa dialectique in té ­ rieure, la destinée trag iqu e q u ’elle porte en elle, est une expérience d’un ordre p articu lier, inhérente au christian ism e même. Celui qui a surm onté d’une fa ­ çon définitive les séductions et les ten tatio n s de l’h u ­ m anism e, qui a découvert le n éan t de la divination de l’hom m e p a r l’hom m e, ne peut plus jam ais renoncer à la liberté qui l’a m ené à Dieu, à cette expérience dé­

finitive qui l’a libéré du Mal. On ne peut m ain ten ir su r u n te rra in a b stra it la question de la liberté reli­

gieuse et la tra ite r d ’u n point de vue statique. Je suis venu au C hrist p a r la liberté, p a r l’expérience intim e des chem ins de la liberté; m a foi chrétienne n ’est pas une foi de coutum es patrim o n iales reçue en héritage, elle fu t obtenue p a r une to rtu ra n te expérience de vie intérieu re. Je ne connais pas de co ntrainte dans m a vie religieuse, je ne connais pas d ’expérience de foi ou de religiosité auto ritaires. Peut-on opposer à ce fait des form ules dogm atiques et des théologies a b stra i­

tes? Non, car po ur moi elles ne seront jam ais réelle­

m ent convaincantes.

La liberté m ’a m ené au C hrist et je ne connais pas

I N T R O D U C T I O N 15

1. Ascètes possédant une grande spiritualité.

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16 I N T R O D U C T I O N

d ’a u tre chem in m en an t à Lui. Je ne suis pas le seul qui soit passé p a r cette expérience. Tous ceux qui ont q u itté le ch ristian ism e-au to rité ne peuvent revenir q u ’au christianism e-liberté. C’est là une vérité de la vie expérim entale et dynam ique, que l’on ne peut r a t­

tac h e r à aucune conception des relations de la liberté et de la grâce. C’est une question d ’un to u t a u tre ordre.

J ’adm ets que la grâce m ’a m ené à la foi, m ais cette grâce, je l’ai vécue en pleine liberté. Ceux qui sont ve­

n u s au ch ristian ism e p a r la liberté, lui app o rten t un esp rit de liberté. L eur christianism e est nécessaire­

m ent beaucoup plus spirituel, il est né dans l’esprit et non pas dans la ch air et le sang. L ’expérience de la liberté d ’esp rit est ineffaçable, m ais l’arb itraire dans la liberté est un m al qui doit être surm onté.

Ceux dont la religiosité est au to rita ire et h éréditaire com prendront to u jo u rs m al les hom m es qui sont ve­

n u s à la religion p a r la liberté, p a r l’im m anence tra g i­

que de l’expérience vécue.

La vie religieuse passe p a r trois stades cara c té risti­

ques : 1° p a r le stade objectif, populaire et collectif, n atu rel et social; 2° p a r le stade subjectif, individuel, relevant de l’âm e et de l’e sp rit; 3° p a r celui qui s’élève ju s q u ’à su rm o n ter l’opposition entre l’objectif et le su bjectif et qui a tte in t le plus h a u t degré de sp iritu a ­ lité. L ’ap p arition du ch ristianism e a eu po ur condition le passage de la religion objective et populaire à la reli­

gion subjective et individuelle. Mais p a r la suite, le ch ristianism e s’est affaissé et cristallisé en une religion objective et populaire, sociale et collective. C’est préci­

sém ent cette form e de christian ism e qui subit actuelle­

m ent une crise. La vie religieuse passe p a r une phase subjective et individuelle, qui ne peut être la dernière et qui doit aussi être surm ontée.

Il y a deux états d ’âm e qui s’affrontent au cours de toute l’histoire de l’h u m an ité et qui ont de la difficulté à se com prendre. Le prem ier a p p a rtie n t au collectif, à la m ajo rité sociale et, extérieurem ent, il prédom ine dans l’histoire; l’a u tre a p p a rtie n t à l’individualité spi­

rituelle, à la m inorité élue, et sa signification dans l’histoire est beaucoup plus cachée. On p o u rra it les nom m er : état « dém ocratique » et état « aristo cra­

tique ». Les socialistes affirm ent q u ’au cours de toute l’histoire des sociétés hum aines, la m inorité privilé­

giée a exploité la m ajo rité des déshérités. Mais il y a

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I N T R O D U C T I O N 17 une au tre vérité plus profonde et m oins apparente à prem ière vue : le collectif, la m ajorité quantitative, a to u jo u rs opprim é et persécuté, dans l’histoire, la m i­

norité qualitative, possédant l’Eros divin, les indivi­

dualités spirituelles orientées vers les som m ets. L ’his­

toire s’élaborait pour l’hom m e moyen, po ur le collec­

tif, c’est pour lui que se créaient l’E tat, la fam ille, les in stitutio n s ju rid iq u es, l’école, l’ensem ble des co u tu ­ mes et m œ urs, l’organisation extérieure de l’Eglise;

c’est à lui que s’ad ap taien t la connaissance, la m orale, les dogmes religieux et le culte. C’est lui, cet hom m e moyen, cet hom m e de la m asse, qui était le m aître de l’histoire, qui a to u jo u rs exigé que to u t se fasse po ur lui, que to u t se ram ène à lui, à son niveau, à ses in ­ térêts.

La « droite » et la « gauche », les conservateurs et les révolutionnaires, les m onarchistes et les socialis­

tes a p p artien n en t égalem ent à ce type collectif « dé­

m ocratique ». Les conservateurs, les m onarchistes, les p artisan s de l’au torité, ne sont pas m oins « dém ocra­

tiques » que ceux qui s ’in titu le n t « dém ocrates ».

C’est pou r ce collectif social, pour cet hom m e de la m asse, que se créent les m onarchies, que se renforce l’au to rité hiérarch iq u e, que se conservent les ancien­

nes institutions, et c’est aussi pour lui q u ’on les abolit, que se font les révolutions. Les m onarchies ab­

solues et les républiques socialistes sont égalem ent nécessaires aux m asses, sont égalem ent adaptées à l’hom m e moyen. Ce d ern ier a to u t a u ta n t dom iné dans la noblesse, q u ’il dom ine dans la bourgeoisie, dans les classes paysannes et ouvrières. Ce n ’est j a ­ m ais pour l’aristo cratie spirituelle que se sont établis les gouvernem ents, que se sont élaborées les co n stitu ­ tions, les m éthodes de la connaissance et de la créa­

tion.

Les saints, les prophètes, les génies, les hom m es d ’une vie spirituelle supérieure, capables de création au th en tiq u e n ’ont que faire de la m onarchie, ni de la république, du conservatism e et de la révolution, de la constitution et de l’école. La race de l’aristo cratie spirituelle ne porte pas pour elle-m êm e le fard eau de l’histoire. Elle est soum ise aux in stitu tio n s, aux ré ­ form es et aux m éthodes anciennes et nouvelles, au nom du « peuple », du collectif, au nom du bonheur de l’hom m e moyen. Evidem m ent cette race d ’aristo -

2

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I N T R O D U C T I O N

cratie spirituelle et ces hom m es élus, vivant dans l’E ros divin, a p p artien n en t à la race déchue d’Adam et subissent, de ce fait, les conséquences du péché q u ’ils doivent expier. Ils ne peuvent s’isoler du « m onde » et doivent p o rter son fardeau, ils doivent servir la cause universelle de libération et de civilisation. On ne peut que déplorer l’orgueil des hom m es qui, cro yan t a p p a rten ir à la n a tu re la plus haute, consi­

d èrent avec m épris les petits et ne veulent pas aider le m onde à s’élever. Mais les hom m es du type a risto ­ cratiq ue et spirituel, qui ne sont pas responsables des qualités de leur n a tu re , ont en réalité une destinée am ère et tragique dans le monde, car elle ne peut s’ad ap ter à aucune convention sociale, à aucun régime de pensée de l’hom m e m oyen; leur race est oppiim ée et persécutée dans l’histoire.

Les hom m es du type « dém ocratique », olientes vers les m asses, vers l’organisation de la vie de la col­

lectivité, peuvent être doués de très grands talents, leur race peut avoir ses grands hom m es, ses héros, ses génies et ses saints. E t les hom m es du type « a risto ­ cratiq u e », orientés vers d ’a u tres m ondes, vers la créa­

tion de valeurs inutiles pour l’hom m e moyen, peuvent être dépourvus de génie, peuvent leur être inférieurs p a r leur force et leur talent. Mais ils possèdent une organisation spirituelle différente, qui est à la fois plus sensible, plus complexe et subtile que celle des « p a­

chyderm es » de la race dém ocratique. Ils souffrent plus du « m onde », de sa laideur, de sa rudesse et de sa déchéance, que les hom m es orientés vers les m as­

ses, vers le collectif. Même des grands hom m es du type « dém ocratique » possèdent cette sim plification de psyché qui les m et à l’abri du « m onde », alors que ce « m onde » blesse des personnalités spirituelles qui lui sont m oins adaptées. Cromwell ou B ism aick étaien t de ceux-là, comme le sont dans un certain sens tous les hom m es d ’action, tous les grands hom m es d ’E ta t ou les grands révolutionnaires. On p eut trouver aussi cette sim plification de psyché chez de nom breux docteurs de l’Eglise, qui ont a p p a rten u souvent au type dém ocratique.

A ce point de vue, les gnostiques p résenten t un in ­

térêt to u t particu lier. Un g rand nom bre d ’en tre eux

ap p artien n en t au type de l’aristo cratie sp irituelle, i s

sem blent n ’avoir pu se réconcilier avec le « dém ocra-

18

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I N T R O D U C T I O N 19 tism e » de l’Eglise chrétienne. La question n ’est pas de savoir s’ils étaient dans le v rai; l’Eglise avait des ra i­

sons profondes de lu tte r contre eux et de les condam ­ ner, car s’ils avaient triom phé, le christian ism e n ’a u ­ ra it jam a is été victorieux dans l’histoire; il se serait tran sform é en une secte aristocratique. Mais la ques­

tion m êm e à laquelle se rattac h e la gnose est tro u ­ blante, profonde, éternelle, elle a son im portance m êm e à notre époque. La vérité absolue de la révéla­

tion se réfracte et s’assim ile différem m ent selon l’or­

ganisation et le niveau spirituel de celui qui la reçoit.

F a u t-il reconnaître comme absolue et im m uable la form e de révélation chrétienne, destinée à l’hom m e m oyen? L ’hom m e plus spirituel, plus complexe et sub­

til, qui a reçu en partage de g rand s dons de gnose, doit-il s’adapter à ce niveau, abaisser sa spiritu alité au nom de la m asse, au nom d ’une com m union avec to u t le peuple chrétien? La vision œ cum énique peut- elle être la m êm e que la vision collective du peuple des fidèles? La voie m en an t à l’obtention des dons du S aint-E sprit, à la perfection spirituelle, à la sainteté, est-elle l’unique m esure du niveau spiritu el et l’u n i­

que source de gnose religieuse?

C’est une question angoissante que celle du sens re ­ ligieux des aptitudes, des dons hum ains. Elle se po­

sait aux gnostiques, elle se posait égalem ent à certains docteurs de l’Eglise, notam m ent à Clément d ’Alexan­

drie et à Origène, qui étaient, eux aussi, des gnosti­

ques chrétiens. Cette question se posait pour Soloviefî, elle se pose de nos jo u rs pour la conscience religieuse;

elle fait partie des grands problèm es chrétiens. Les questions de la conscience et de la connaissance ch ré­

tiennes doivent-elles se résoudre dans un esp rit « dé­

m ocratique », visan t l’ensem ble de l’hum anité, ou bien une solution plus intim e, inaccessible et inutile aux m asses, est-elle possible et tolérée? Existe-t il dans le christian ism e une sphère où l’on puisse sou­

lever les problèm es, un dom aine où la gnose soit plus approfondie? « Je vous ai donné du lait, non de la n o u rritu re solide, car vous ne pouviez pas la su p p o r­

te r; et vous ne le pouvez pas même à présent, parce que vous êtes encore charnels. » (Saint-P aul.)

Le ch ristian ism e dém ocratique n o u rrit « de lait »,

parce q u ’il est orienté vers le « ch arnel ». E t l’Eglise

a raison d ’agir ainsi. Mais cela ne résoud pas le pro-

(22)

20 I N T R O D U C T I O N

blême de la possibilité d ’une a u tre n o u rritu re pour une faim spirituelle inassouvie. L’histoire de l’esprit h u m ain tém oigne du fait que la qualité des a sp ira ­ tions et des ap titu d es spirituelles n ’est pas du tout proportionnée à la perfection et à la sainteté, ainsi que l’envisage la conscience p rédom inante de l’Eglise.

Il existe une hiérarch ie n atu relle des tem péram ents sp iritu els et des dons spirituels. Il existe des êtres chez lesquels prédom ine l’esprit, d ’au tres où prédo­

m ine l’âme. E t cela ne veut pas dire que les prem iers soient plus p arfaits, q u ’ils aient obtenu plus de sain ­ teté et plus de grâce. Les hom m es « spirituels » n ’ont pas à s’enorgueillir et à se glorifier devant les hom m es

« psychiques », ils ne sont pas m eilleurs et n ’ont pas plus de m érite. Ils sont, dans la p lu p art des cas, plus m alheureux dans ce m onde; on leur fait p o rter de plus lourdes responsabilités; de plus grandes c o n tra ­ dictions in térieures les déchirent et ils acquièrent avec plus de difficulté la pleine harm onie de leur p ersonnalité ainsi que l’équilibre avec le inonde qui les entoure. Ils sont plus solitaires. Mais la différen­

ciation m êm e des tem péram en ts sp irituels et des dons est déterm inée p a r Dieu et ne peut pas l’être p a r l’hom m e. L’e rre u r des anciens gnostiques, que dé­

nonça l’Eglise, résidait dans leur orgueil spirituel. Ils n ’ont pu accepter que la bonne nouvelle du salut et de la venue du Royaum e de Dieu fû t apportée p a r le C hrist pour to u t l’univers, pour tous et pour tout. La race des « p neum atiques » était, selon eux, éternelle­

m ent séparée de celle des hom m es « psychiques » et des hom m es p urem en t chqrnels. Ceux-là ne pouvaient s’élever vers un m onde spirituel supérieur, ils étaient condam nés à rester dans les « bas-fonds », pou r eux la R édem ption et le Salut ne s’accom plissaient pas.

L ’idée de la tran sfig u ratio n de l’in férieu r en supérieur

était inaccessible à la conscience gnostique. C’est pour

cela q u ’ils ne devinrent jam ais de vrais chrétiens. En

cela ils sont app arentés au païen Plotin, quoique ce

dernier g rand rep résen tan t de l’esp rit hellénique les

ait com battus. W l. Soîovieff a fo rt bien m ontré que le

processus universel est resté, pour le gnostique, im ­

prod uctif parce q u ’il ne peut concevoir que l’in férieu r

se transfigure en supérieur. Le « spirituel », détaché

du reste du m onde, s’élance vers les som m ets, tandis

que le « ch arnel » est précipité dans les bas-fonds.

(23)

I N T R O D U C T I O N 21 Mais rien ne peut en résulter, car le « spirituel » ap ­ p a rtien t ipso facto au m onde supérieur, et le « ch a r­

nel » au m onde inférieur.

Les gnostiques ne com p rirent pas le m ystère de la liberté, de la liberté en Christ, comme ils ne com pri­

ren t pas le m ystère de l’am our. Il y a là un dualism e désespéré, ren v ersant la véritable hiérarchie de l’être.

Les gnostiques n ’en trev iren t pas l’ordre des valeurs sur lequel repose l’univers chrétien, et où le degré su ­ prêm e est organiquem ent lié au degré le plus bas, ser­

v an t ainsi la cause de la tran sfig u ratio n et du salut universel. Ils in te rp ré tè re n t faussem ent le principe de la hiérarchie. La gnose suprêm e des hom m es « sp iri­

tuels » est nécessaire à la cause du salut et de la tra n s ­ figuration des hom m es « charnels ». Les hom m es spi­

ritu els ne doivent pas d em eurer orgueilleusem ent sur les som m ets, se sé p aran t du m onde « charnel », m ais ils doivent se consacrer à sa spiritualisation, l’élever aux degrés les plus hau ts. D’ailleurs la source du mal est spirituelle et non charnelle. L ’Eglise a condam né avec ju stice l’orgueil des gnostiques, leu r dualism e dé­

sespéré, le sentim ent peu fra tern e l et dénué d ’am our q u ’ils m anifestent envers le m onde et les hom mes.

Mais la conscience de l’Eglise était orientée de préfé­

rence vers l’hom m e moyen, l’hom m e de la m asse, elle était soucieuse de le guider, préoccupée p a r la grande œ uvre de son salut. En cen su ran t le gnosticism e, elle affirm a et légalisa, en quelque sorte, l’agnosticism e.

Le problèm e même qui to u rm e n ta it profondém ent et sincèrem ent les gnostiques fut, pour ainsi dire, re ­ connu inadm issible et illégal dans le christianism e.

Les plus h autes aspiratio n s de l’esprit, la soif d’une connaissance approfondie des m ystères divins et cos­

m iques, fu re n t adaptées au niveau m oyen de l’h u m a ­ nité. Non seulem ent la gnose de V alentin, m ais celle d’Origène fu t reconnue inadm issible et dangereuse, comme l’est actuellem ent celle de W l. Solovieff. Un systèm e de théologie fu t élaboré qui devint un obsta­

cle à la gnose supérieure. Seuls les g rands m ystiques chrétiens p a rv in ren t à se fray er un passage à trav ers ces frontières fortifiées.

Il fau t reconnaître que la connaissance des anciens

gnostiques était trouble, q u ’elle n ’était pas affranchie

de la dém onolâtrie; en elle le ch ristian ism e se tro u ­

vait am algam é aux cultes païens, à la sagesse païenne.

(24)

22 I N T R O D U C T I O N

Toutefois, il p eu t exister une connaissance chrétienne supérieure, plus éclairée, qui ne serait plus exclusive­

m en t exotérique et adaptée aux in té rêts du collectif, comme elle l’est dans les systèm es dom inants de la théologie officielle. Peuvent exister dans le c h ristia ­ nism e, non seulem ent sain t T hom as d ’Aquin, m ais aussi J. Bœhme, non seulem ent le m étropolite P h ila- rète, m ais aussi W l. Solovieff. Si les hom m es « sp iri­

tuels » ne doivent pas tire r vanité du degré q u ’ils ont a tte in t et se séparer des hom m es « psychiques » et des hojnm es charnels, on ne doit pas en conclure q u ’ils n ’existent pas, ni re je te r les asp irations de leur esp rit et leu r soif to rtu ra n te en a ffirm an t q u ’il n ’y a pas de connaissance « spirituelle » supérieure. Cela équivaudrait, dans un sens opposé, à la m êm e d estru c­

tion de la hiérarchie organique que nous trouvons déjà chez les gnostiques. Le m onde renie et dédaigne facilem ent to ute vie spirituelle, toute aspiration de l’esp rit, to u te connaissance supérieure, il prétend vo­

lontiers q u ’elles l’en trav en t dans son travail d’organi­

sation universelle et q u ’il peut aisém ent s’en passer.

Cela, il le proclam e à droite et à gauche p ar des m il­

liers et des m illions de voix. Aussi, rien ne p eut être plus pénible que d ’entendre la conscience de l’Eglise souscrire à la négation de l’esprit que professe l’E tat, négation qui, aux confins du m onde, dans le com m u­

nism e athée, se tra n sfo rm a en exterm ination défini­

tive de l’esprit, de la vie et de l’aristo cratie spirituelles.

« N’éteignez pas l’esp rit » nous a-t-on d it; or, renier la problém atique de la conscience chrétienne revient à oublier ce précepte. L e .tra v a il ayant pou r but d ’é­

clairer le m onde ne réclam e pas un am oindrissem ent de la qualité de l’esprit. Aussi, le problèm e, qui se pose av an t tout, est-il celui de l’esp rit et de la vie spi­

rituelle.

Je voudrais que l’on com prît bien ce que je veux exprim er dans ce livre. Je reconnais q u ’il y a quelque chose d ’essentiel que je ne peux tra d u ire en paroles, je ne puis développer mes pensées intim es. Il est très difficile de trou v er une form e d ’expression qui rende exactem ent l’idée essentielle dont on vit soi-même.

T out ce que j ’écris dans ce livre est lié à la problém a­

(25)

I N T R O D U C T I O N 23 tique torturante de l’esprit. Conformément à la tour­

nure de mon esprit, je revêts mes questions troublan­

tes d’une forme à la fois affirmative et cachée et je pose des problèmes sous forme d’affirmation. M ais

MA PEN SÉE, DANS MON Ê T R E IN T É R IE U R , EST CELLE

d ’ u n h o m m e q u i s e p o s e d e s p r o b l è m e s , sans être celle d’un sceptique. P ou r la solution de ces pro ­ blèmes de l’esprit, ou p lu tô t de l’unique problèm e des rap po rts entre l'hom m e et Dieu, il ne peut y avoir de secours extérieur. Ici, au cun « sta ­ re tz », si avancé soit-il dans la vie spirituelle, ne p o u r­

ra it venir en aide. T ou t le problèm e réside dans le fait que je dois découvrir m oi-m êm e ce que Dieu m ’a caché. Dieu attend de moi un acte de liberté, une créa­

tion libre. Ma liberté et m a création sont m on obéis­

sance à la volonté secrète de Dieu, qui atten d de l’homme a u tre chose et bien plus que ce que l’on en­

tend h abituellem ent en p a rla n t de Sa volonté. P eut- être fau d ra it-il s’occuper, non de la m étaphysique abs­

traite de Dieu, m ais p lu tôt de la psychologie concrète de Dieu. Il est possible que Dieu ruisselle de sang en voyant combien les hom m es com prennent servilem ent Sa volonté et l’accom plissent d’une façon purem ent form elle. La volonté divine doit être accom plie ju s ­ q u ’au bout. Dieu n ’a-t-il pas voulu que l’hom m e soit un libre créateu r? E t n ’aim e-t-il pas aussi un Nietzsche qui lu tte contre lui?

Mon livre n ’est pas un livre de théologie, il n ’est pas écrit d’après une m éthode théologique; il n ’a p p artien t pas à une école philosophique; il fait p artie de la p h i­

losophie prophétique, p ar distinction d ’avec la philo­

sophie scientifique, po u r em ployer la term inologie proposée p a r Ja sp e rs1. J ’ai évité consciem m ent un langage d ’école. C’est un livre de théosophie libre, écrit dans l’esp rit de la philosophie religieuse et de la gnose libres. J ’ai consciem m ent outrepassé en lui les lim ites de la connaissance philosophique, théologique et m ystique, que la pensée occidentale aim e p a rticu ­ lièrem ent à établir, aussi bien dans l’école catholique ou protestante, que dans celle de la philosophie aca­

dém ique.

Je me reconnais être théosophe chrétien, dans le sens où l’étaient Clément d ’Alexandrie, Origène, saint

1. Voir Jaspers, Psychologie der Weltanschauungen, 1922.

(26)

24 I N T R O D U C T I O N

Grégoire de Nysse, J. Bœhme, sain t M artin, F r. Baa- der, W l. Soloviefï. T outes les forces de m on esprit, toutes celles de m a conscience sont orientées vers la pén étratio n absolue des problèm es qui me to urm en­

tent. E t m on b ut est m oins de leur donner une solu­

tion systém atique, que de les poser plus vigoureuse­

m en t devant la conscience chrétienne. Il ne faut pas voir dans ce livre de parole dirigée contre la sainteté de l’Eglise. Je peux me tro m p er beaucoup, mais m a volonté n ’est pas d ’am ener une hérésie quelconque, ou une p rçtestatio n créan t un schism e. J ’évolue dans la sphère de la problém atique chrétienne; elle exige des efforts créateurs de la pensée et les opinions les plus diverses y sont n atu rellem en t autorisées.

Paris-Clamart 1927.

(27)

C H A P IT R E PR E M IE R

E S P R IT E T NA TU RE

1

Nous avons perdu toute confiance dans la possibilité et dans la fécondité d ’une m étaphysique abstraite. La m étaphysique ab straite était fondée su r la su b stan ti- fication des phénom ènes de la vie psychique de l’hom m e, des phénom ènes du m onde m atériel, ou bien encore des catégories de la pensée, c’est-à-dire, du m onde des idées. C’est ainsi que s’o b tinren t le sp iri­

tualism e, le m atérialism e, l’idéalism e. Mais l’être con­

cret, l’être en ta n t que vie, a to u jo u rs échappé à ces enseignem ents m étaphysiques. Les p arties abstraites de la réalité ou les idées ab straites du su jet connais­

sant étaient prises pour l’essence de la réalité, pour sa plénitude. L ’abstractio n et la substantification créaient une m étaphysique, aussi bien spiritualiste que m atérialiste. On objectivait la vie comme la n a ­ tu re m atérielle ou spirituelle. E t la catégorie essen­

tielle de la connaissance de cette n a tu re m étaphysique était la catégorie de la substance. L ’être est une subs­

tan ce objective^ spirituelle ou m atérielle. Dieu est conçu comme la substance, l’objet, la n a tu re . L ’idée aussi est une substance. La m étaphysique, dans toutes ses tendances dom inantes, était n a tu ra liste et substan- tialiste. Elle com prenait la réalité p a r analogie avec celle des objets m atériels. Dieu et l’esprit sont une réalité du m êm e o rdre que le m onde m atériel. A la m étaphysique n a tu ra liste s’est opposé le phénom é­

nism e qui reconnaissait l’existence du phénom ène, m ais non celle du noum ène, qui niait la possibilité de connaître la vie originelle.

L’idéalism e allem and du xix' siècle jo u a un rôle

p rép o n d éran t dans la libération de toute m étaphysi-

(28)

26 E S P R I T E T L I B E R T É

que n a tu ra liste et m arq u a u n progrès dans la connais­

sance de l’esprit. Mais l’idéalism e de Hegel érigea en réalités substantielles les catégories de la pensée, et, m algré ses prétentions, n ’atteig nit pas le concret dans l’esprit. La m étaphysique panlogiste est aussi éloignée du concret de l’esp rit que la m étaphysique n atu raliste.

L a substantifïcation du su jet p e n san t n ’a tte in t pas davantage le b u t que ne le fait la substantifïcation de l’objet pensé; l’essence de la vie fait défaut, aussi bien lorsque l’on érige en absolu le concept du sujet que lo rsq u ’on érige en absolu la n a tu re de l’objet. Mais la m étaphysique de l’idéalism e allem and est plus d y n a­

m ique que la m étaphysique n a tu ra liste de la philoso­

phie p ré-kan tienn e. Elle doit à cela son succès incon ­ testable. Ce dynam ism e a ses racines dans la libéra­

tion de toute conception statiq u e et sub stan tialiste de la n a tu re m atérielle, spirituelle ou divine. L’idéalism e allem and, m algré tous les défauts de son m onophy­

sism e et de son abstraction, a posé le problèm e de la philosophie de l’esprit et de la vie spirituelle; il lui a, en quelque sorte, aplani la voie. Il com prit cette vé­

rité : que l’être est action et non substance, m ouve­

m ent et non im m obilité, vie et non chose. L a m étap hy ­ sique n atu raliste, qui a p ris les form es les plus diver­

ses, enseignait l’oppression de « l’esprit » p ar la « n a ­ tu re », et elle a certainem ent influé puissam m ent sur la conscience religieuse et su r les systèm es de théo­

logie.

Les systèm es théologiques p o rte n t en eux l’em ­

preinte fatale de la m étaphysique objective et n a tu ­

raliste : ils tém oignent du réalism e n aïf in h éren t à la

conception n a tu ra liste du m onde, selon laquelle Dieu

est objet, réalité objective, au m êm e titre que toutes

les a u tres réalités de la n atu re. Ainsi Dieu est connu

dans les catégories de la n a tu re et non dans celles

de l’esp rit; la réalité de Dieu a p p a ra ît p a r tro p sem ­

blable à celle des substances m atérielles. Mais Dieu est

esprit et l’esp rit est activité. L’esp rit est liberté. La

n a tu re de l’esp rit est l’opposé de la passivité et de la

nécessité; c’est po u r cette raison que l’esprit ne peut

être substance. La conception aristotélique de Dieu,

comme acte pu r, prive ju ste m e n t Dieu d’une vie in ­

térieure active, et le tran sfo rm e en un objet figé. Il

n ’y a plus de puissance en Dieu, c’est-à-dire plus de

source de m ouvem ent et de vie. E t le thom ism e a beau

(29)

E S P R I T E T N A T U R E 27 affirm er la différence entre le « n a tu re l » et le « s u r­

n a tu re l », il se trouve sous l’em pire de la m étaphysi­

que n a tu ra liste de la divinité. Le « s u rn a tu re l » est aussi le « n a tu re l », u n n atu rel qui est seulem ent si­

tué plus h a u t et possède une plus grande étendue. Le m ot « su r-n a tu re l » se compose de deux term es qui n ’im pliquent en eux-m êm es rien de positif.

En vain les philosophes s’efforcent-ils de suggérer q u ’une philosophie absolum ent autonom e, indépen­

dante de toute vie religieuse, de to u t lien la r a tta ­ ch an t à la « vie » est possible. Il y a là u n orgueil qui subit nécessairem ent un ch âtim en t im m anent. En s’affranchissant de sa soum ission à la religion, la p h i­

losophie subit, en esclave, le joug de la science. Il n ’y a jam ais eu et il n ’y a u ra jam ais de philosophie abso­

lu m ent autonom e, s’élevant au-dessus de la « vie ».

La philosophie est fonction de la vie qui prend con­

science d’elle-même, elle est son illu m in atio n ; elle ac­

com plit sa tâche dans la vie et po u r la vie, elle dépend to u jo u rs de ce qui s’accom plit dans la p rofondeur de cette vie. La philosophie a beau dissim uler sa natu re, elle est to u jo u rs positivem ent ou négativem ent reli­

gieuse. La philosophie grecque, considérée comm e le modèle le plus p u r de la philosophie autonom e, fut religieuse p a r ses sources et son pathos, et refléta la conception religieuse des Grecs. La philosophie des Ioniens ne p eut être com prise que si on la relie aux sentim ents religieux q u ’avait l’ancien Grec pour la n atu re. L a philosophie de P lato n ne peut être déchif­

frée q u ’à la lum ière de l’O rphism e et de ses m ystères où l’on rech erchait l’affranchissem ent du m al et de la m ort. La philosophie de P lotin et des néoplatoniciens s’affirm e consciem m ent religieuse. L ’idéalism e alle­

m an d est lié au p ro testan tism e et à une certaine épo­

que du développem ent in té rie u r du christianism e.

K ant et Hegel ne p u ren t se placer en m arge du c h ris­

tianism e, m algré l’écart considérable en tre leur con­

science et la conscience de l’Eglise. La philosophie r a ­ tionaliste du xvm« siècle, ainsi que la philosophie po­

sitiviste et m atérialiste du xix” siècle, négativem ent re ­

ligieuses p a r leur pathos, reflèten t la lu tte contre Dieu,

contre la foi chrétienne, et il n ’y a aucune autonom ie,

aucune p u reté ni abnégation dans ces m ouvem ents

philosophiques. Le rationalism e, le criticism e, l’em ­

pirism e, m ènent une lu tte religieuse, m ais ils ne se

(30)

28 E S P R I T E T L I B E R T É

délivrent pas des liens les ra tta c h a n t à la vie. L ’a ­ théism e est to u t a u ta n t un état de la vie et une lutte religieuse, que la foi. Presque toute la science objec­

tive consacrée à la critique biblique et aux recherches historiques sur les origines du christianism e m ena une lutte religieuse; elle était mue p a r un pathos né­

gativem ent religieux. Cette science ne s’éleva jam ais ju s q u ’à la connaissance pure et entièrem ent détachée.

L ’incrédulité est une prém isse de la vie dans la même m esure que la foi. Le positivism e a to u jo u rs eu sa foi qui le guidait su r les voies de la connaissance. L a p h i­

losophie est l’esp rit p ren a n t conscience de lui-m êm e, et elle ne p eut être indép end an te de telle ou telle a s­

piratio n spirituelle. Elle est déterm inée p ar la stru c ­ tu re de l’esprit, p a r sa qualité, p a r son asp iration vers le m onde supérieu r ou inférieu r, p a r le fait que cet esprit est enveloppé ou épanoui. On peut en conclure que la philosophie est déterm inée p a r la vie, parce que l’esp rit est vie, parce que la connaissance que l’esprit a de lui-m êm e, c’est la connaissance que la vie a d ’elle- inême.

L ’orientation de l’esp rit déterm ine la stru c tu re de la conscience, qui, elle, déterm ine à son to u r la con­

naissance. L a connaissance est la vie spirituelle, l’ac­

tivité de l’esprit. Le fait que la philosophie dépend de la vie ne justifie pas le m oins du m onde le relativism e.

D ans l’esp rit même, dans la vie même, se révèlent des qualités, d ’où ja illit la lum ière de la connaissance.

Les qualités de l’esp rit ont une n a tu re non relative. La connaissance est dynam ique, elle a sa destinée, son histoire spirituelle, ses époques, ses étapes de déve­

loppem ent. Ce que nous appelons m étaphysique ou théologie n a tu ra liste est l’expression de l’orientation de l’esprit, le reflet de la conception religieuse du m onde, elle est une des époques in térieu res dans la destinée de la connaissance. On ne p eut considérer la m étaphysique et la théologie n a tu ra liste sim plem ent comme une erreu r. Elles co n stitu aient un stade in d is­

pensable dans la destinée de la connaissance, dans celle de la vie religieuse. C’est p a r cette voie que l’hom m e s’ach em in ait vers la lum ière. On ne décou­

v rit pas to u t d ’abord que l’esp rit est un devenir créa­

teur. On im aginait l’esp rit comme éta n t achevé, c’est-

à-dire, substantiel. La m étaphysique n a tu ra liste avec

ses substances et ses objets figés, reflète relativem ent

(31)

E S P R I T E T N A T U R E 29 bien certains aspects de l’être, vus avec une o rien ta­

tion p articulière de l’esp rit et une certaine stru c tu re de conscience. Elle indique la voie et ne p eut p réte n ­ dre exprim er l’absolue et dernière vérité de l’être. Le procédé de substantification des m étaphysiques et des théologiens, le fait d ’objectiver et d’ériger en absolus certains m om ents du développem ent spirituel et cer­

tain s aspects de la vie spirituelle, ne peut donner la signification p arfaite à laquelle p réten d en t les dogmes de la foi. Ceux-ci ne sont ni une m étaphysique, ni une théologie, m ais des faits d ’expérience spirituelle et de vie spirituelle.

Un a u tre état, une nouvelle orientation spirituelle devient possible, u n nouveau m om ent commence, lors­

que la m étaphysique et la théologie n atu ralistes, avec leurs substances figées, n ’exprim ent plus la vérité de la vie, lorsque l’esprit p ren d conscience de lui-m êm e d ’une façon différente et s’ouvre à a u tre chose, lors­

q u ’il tend à se libérer de l’oppression de la n a tu re substantielle, du joug de l’objectivité q u ’il lui avait lui-m êm e conférée. La foi, les dogmes de la religion, ne peuvent perdre de ce fait leur signification absolue, m ais on les voit sous un a u tre jo u r, ils se dévoilent à une au tre profondeur. L a religion ne peut dépendre de la philosophie, et la philosophie ne peut lim iter et changer la religion à sa façon. L’e rre u r du « m oder­

nism e » consiste à vouloir subordonner la religion à la raison et à la connaissance contem poraine. En réa ­ lité, il est question ici de toute a u tre chose. L a reli­

gion a to u jo u rs eu sa philosophie, sa m étaphysique religieuse; celle-ci n ’ex prim ait q u ’une époque du dé­

veloppem ent spiritu el de l’hom me, et non pas une vérité religieuse absolue et définitive. Sur cette voie spirituelle, dans la vie originelle même, peuvent s u r­

venir des m odifications qui exigeront un a u tre sym ­ bolism e dans la connaissance, une a u tre stru c tu re de conscience. Ce n ’est pas la philosophie qui apportera des changem ents dans la religion, m ais dans la vie originelle, certains événem ents peuvent exiger que les phases n a tu ra liste s et objectives des m ystères de la vie religieuse soient dépassées. Au cours de toute l’h is­

toire du christianism e, il y eu t des hom m es qui dom i­

n èren t la m étaphysique n a tu ra liste et la théologie, et po u r lesquels les m ystères du christianism e se dévoi­

lèrent différem m ent. S’élever au-dessus de la m éta-

(32)

E S P R I T E T L I B E R T É

physique n a tu ra liste et de la théologie, vaincre cette conception statique de la vie religieuse, qui ne voit en elle que substances et objets, c’est com prendre ce que sont l’esprit, la vie spirituelle, et en quoi l’esp rit se distingue de la natu re. Une m étaphysique ab straite ne p eut exister, m ais une philosophie ou une phénom é­

nologie de la vie spirituelle est possible.

80

II

Ce n ’est pas la distinction entre l’e sp rit et la m a­

tière, en tre le psychique et le physique, qui a p p a ra ît comm e l’opposition fondam entale et ultim e. C’est sur cette opposition que se sont élaborées les m étaphysi­

ques sp iritu aliste et m atérialiste, toutes deux n a tu ra ­ listes. On établit, dans la « n a tu re », une distinction en tre le psychique et le physique et l’on identifie l’es­

p rit à l’âme. La m étaphysique religieuse et la théolo­

gie vont encore plus loin en établissant une opposition entre le C réateur et la création, entre la grâce et la n atu re. Mais dans cette opposition, dont le sens p rag ­ m atique est profond, on n atu ralise et on objective la création, p a r conséquent on n a tu ra lise et on objective le C réateur. Dans le m onde n a tu re l créé, il ne se trouve plus d ’esprit, le m onde est entièrem ent n atu ra lisé et dépourvu de toute profondeur. La profondeur n ’existe que dans le C réateur, qui lui est opposé, l’esp rit n ’est plus que dans l’action de la grâce divine, et on peut en déduire que seul l’E sp rit Divin existe. On envisage l’hom m e sous l’angle du n atu ralism e, on lui accorde l’âme, m ais on lui retran c h e l’esprit. L’hom m e est ex­

clusivem ent un être n a tu re l; ce n ’est que p a r l’action de la grâce q u ’il devient un être spirituel. La théologie chrétienne a généralem ent affirm é que l’hom m e est constitué d’une âm e et d ’un corps et que l’esp rit n ’est que la résu ltan te, en eux, de l’action du S aint-E sprit.

Saint T hom as d ’A quin a exprim é dans son systèm e, d’une m anière classique et nette, l’antithèse entre le

« n a tu re l » et le « su rn a tu re l ». Le thom ism e n a tu ra ­

lise définitivem ent l’être du m onde créé, l’être de

l’hom m e, et réd u it la philosophie à une connaissance

(33)

E S P R IT E T N A T U R E 31 natu relle du n a tu re l1. D ans cette conception de la créa­

tu re n aturelle, il y a une vérité relative aux voies sui­

vies p a r l’hom m e, la vérité d ’une expérience a u th e n ti­

que. Toutefois, la m étaphysique religieuse et la théo­

logie, qui préten d en t exprim er la vérité dernière et définitive de l’être, sont une m étaphysique et une théo­

logie n atu ralistes. Non seulem ent la « n a tu re », m ais la « grâce » est naturalisée, parce q u ’on l’objective, parce q u ’on la situe au « dehors » et non « dans la profondeur ».

L ’antithèse en tre I ’ e s p r i t et la n a t u r e doit être con­

sidérée comme prim ord iale2. Cette antithèse ne signi­

fie pas q u ’une m étaphysique du aliste quelconque soit établie. L ’opposition s’affirm e dans une sphère qui n ’est pas celle de l’être objectivé, c’est-à-dire n a tu ra ­ lisé. L’esp rit n ’est pas la réalité et l’être, au sens où la n a tu re est reconnue réalité et être. C’est précisém ent la fau te que com m et la théologie n a tu ra liste : le d u a­

lism e extrêm e du C réateur et de la création, du su r­

n a tu re l et du n a tu re l s’y allie avec u n m onism e ex­

trêm e dans la com préhension de la réalité et de ce qui constitue l’être. Le su rn a tu re l se trouve sur la même ligne ascendante que le n atu rel, il est aussi le n a tu ­ rel, m ais porté à u n degré plus élevé, à une h a u ­ teu r incom m ensurable. L ’antinom ie existant entre l’esprit et la n a tu re ne nous donne pas une m étaph y­

sique dualiste de l’être, m ais elle in tro d u it une dis­

tinction dans la com préhension de la réalité même.

C’est avant to u t l’antith èse en tre la vie et la chose, entre la liberté et la nécessité, en tre le m ouvem ent créateur et la soum ission passive aux im pulsions ex­

térieures. Le prem ier point et le plus élém entaire q u ’il fau t établir pour connaître l’esprit, c’est la distinction de principe en tre « l’esprit » et « l’âm e ». L’âm e ap­

p a rtie n t à la n atu re, sa réalité est une réalité d ’ordre n atu re l, elle n ’est pas m oins n atu relle que le corps.

L ’âm e est une a u tre entité que le corps, que la m a-

1. V o ir le s liv r e s d e s t h o m is te s f r a n ç a is c o n te m p o r a in s : R é f l e x i o n s s u r l ’i n t e l l i g e n c e , d e J a c q u e s M a r i ta i n ; L e s e n s c o m m u n , l a p h i l o s o p h i e d e l ’ê t r e e t l e s f o r m u l e s d o g m a t i q u e s , d e G a rrig o u -L a g ra n g e e t l e T h o m i s m e d u m e ille u r h i s t o r ie n d e la p h ilo s o p h ie m é d ié v a le : E. G ilso n .

2. O n p e u t tr o u v e r , e n ce q u i c o n c e rn e la d i s tin c tio n e n tr e

l ’e s p r i t e t la n a tu r e , d e s id ée s f o r t in té r e s s a n te s c h ez le p h i ­

lo s o p h e i ta l ie n G e n tile , v o ir so n liv r e L ’E s p r i t a c t e p u r . M ais

o n s e n t t r o p e n l u i l ’in flu e n c e d e l ’id é a lis m e d e F ic h te .

(34)

32 E S P R I T E T L IB E R T É

tiè re 1. Mais l’esp rit ne peut être opposé au corps et à la m atière comme une réalité du même ordre que celle du corps et du m onde m atériel. C’est du dedans, de la p rofon deu r que l’esprit absorbe en lui le corps et la m atière, ainsi que l’âme, m ais l’esprit ap p a rtie n t à une au tre réalité, à un plan différent. La n a tu re n ’est pas reniée, m ais illum inée en l’esprit. L ’esprit s’u n it in térieu rem en t à l’âm e et la transfigure. La distinction entre l’esprit et l’âm e n ’im plique pas la séparation du spirituel et du psychique. Mais to ut psycholo­

gisme, en philosophie, n ’est q u ’une form e de n a tu ­ ralism e. Le sp iritualism e n ’est pas encore la philoso­

phie de l’esprit, il est une m étaphysique n atu raliste, qui tend à voir la substance de l’être dans le psy­

chique, dans les phénom ènes objectivés de l’âme.

La distinction entre le spirituel et le psychique est très ancienne. P laton la connaissait déjà. L ’apôtre Paul l’a exprim ée avec un profond pathos religieux.

« L ’hom m e anim al ne com prend point les choses qui sont de l’E sp rit de Dieu, car elles lui p araissen t une folie; et il ne les peut entendre, parce que c’est sp iri­

tuellem ent q u ’on en juge. Mais l’hom m e spirituel juge de toutes choses, et personne ne peut ju g er de lui. »

« Il est semé corps anim al, il ressu scitera corps sp iri­

tuel. » Les catégories du « spirituel » et du « psychi­

que » sont des catégories religieuses et non m étaph y­

siques. Les gnostiques ont fait resso rtir la différence en tre le spirituel et le psychique et en ont abusé. H e­

gel avait conscience de cette différence, et il considé­

ra it la connaissance de l’esprit comme la connaissance la plus concrète. La distinction entre le spirituel et le psychique est propre à toute m ystique. Tous les m ys­

tiques ont enseigné l’hom m e spirituel, l’expérience et la voie spirituelles. Le spirituel, p o u r eux, n ’était j a ­ m ais une catégorie m étaphysique abstraite, il était la vie au th en tiq u e. La confusion du spirituel et du psy-

1. E. R ô d e, d a n s ses re c h e rc h e s r e m a r q u a b le s , a n a ly s e c o m ­

m e n t l ’a n ti q u e c o n sc ie n c e g re c q u e e n v in t à l ’id ée d e l ’â m e et

d e l ’i m m o r t a l i té . O n n e c o n s id é r a it p a s q u e l ’im m o r t a l i té de

l ’â m e a p p a r t ie n n e n a tu r e ll e m e n t à l ’h o m m e ; s e u ls le s d ie u x ,

le s h é ro s , les d é m o n s en j o u is s a ie n t . Ce n ’e s t q u e p lu s t a r d

q u e l ’â m e f u t re c o n n u e p a r ti e in té g r a n te d e l ’h o m m e . M ais,

m ê m e d a n s la c o n sc ie n c e c h r é tie n n e , o n n e r e c o n n u t l ’e s p r it

q u ’à D ieu . S e u ls les m y s tiq u e s v o ie n t l ’e s p r it d a n s l’h o m m e .

D a n s le r o m a n tis m e , l ’e s p r it e st in c a rc é ré d a n s l’â m e . V o ir

E . R ô d e : P s y c h e .

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