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Souvenirs d'un nonagénaire. T. 1

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Academic year: 2022

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S O U V E N I R S

NONAGENAIRE

MÉMOIRES DE FRANÇOIS-YYES BESNARD

PUBLIES SUR LE MANUSCRIT AUTOGRAPHE

P a r C E L E S T IX P O K 1

CORRESPONDANT DE L’iNSTITUT

MEMBRE NON RÉSIDANT DU COMITÉ DES BEAUX-ARTS ET DU COMITÉ DES TRAVAUX HISTORIQUES CHEVALIER DE LA LÉGION D’HONNEUR, OFFICIER DE L ’INSTRUCTION PUBLIQUE

A Dec deux portraits de l'auteur d’après Boduiier et David dJ Angers.

T O M E P R E M I

P M I IS

L I B R A I R I E aï. C H A M P I O N

QUAI MALAQUAIS, 1 5 .

ANGERS LIBRAIRIE LACHÈSE ET DOLBEAU

llu o C h a u ssé e S a in t- P ie r r e , 13.

LE MANS

L I B R A I R I E P E L L E C R A T P lac o S t-N ic o la s e t r u e S t -J a c q u e s .

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S O U V E N I R S

du n

N O N A G É N A I R E

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A N G E R S , I M P R I M E R I E L A C H È S E E T D O L B E A U , R U E C H A U S S É E S A I N T - P I E R R E , 1 3 .

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&bl. j Qg

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SOUVENIRS

D'UN

NONAGÉNAIRE

MÉMOIRES DE FRÀNÇOIS-YVES BESMRD

P U B L IÉ S SUR L E M A N U SCR IT A U TO G R A P H E

P a r CÉLE8T1M PO RT

C O R R E SP O N D A N T D E L ’ iN S T IT U T

M EM BRE NON R É S ID A N T D U C O M ITÉ D E S B E A U X -A R T S E T DU C O M IT É D E S TRA V A UX H IS T O R IQ U E S C H E V A L IE R D E L A L É G IO N D ’ H O N N E U R , O F F IC IE R D E L ’IN S T R U C T IO N P U B L IQ U E

Avec deux portraits de l'auteur d'après Bodinier et David d ’Angers.

TOME P R E M IE R

P A R I S

L I B E A I K I E H . C H A M P I O N QUAI M A L A Q Ü A IS , 1 5 .

ANGERS

LIBRAIRIE LACHÈSE ET DOLBEAU Rue C haussée S a in t-P ie rre , 13.

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L I B R A I R I E P E L L E C I I A Tw /

LE MANS

Place S t-N icolas e t ru e S t-Jacq u e s.

18 8 0

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C*ACOV!EM®S

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Biblioteka Jagiellortska

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I N T R O D U C T I O N

- A A A A T > — .

Sans vanité d ’éditeur, j ’aime avant tout à décla­

re r que j e ne m ’im agine pas donner au monde littéraire le c h ef-d ’œ u vre de quelque Illu stre. L e brave hom m e, dont j e publie les Souvenirs, ne rêva it p a s , en les écriva n t, la gloire p o sthum e, qu’il tint, sa vie d u ra n t, en médiocre souci. E t qui se rappelle seulem ent son nom ? si ce n ’est en A n jo u , au M ans p eu t-ê tre, u n p e tit groupe en­

core de rares survivants, qui tout enfants, — il y a bien longtem ps, — lui ont entendu conter quelque bonne histoire, ou cinq ou s ix fureteu rs de nos vieilleries révolutionnaires? — Q uant à l’œ uvre m êm e, confiée à Vamitié discrète, m êm e assez indifférente, elle a fa it si peu de bruit, que, voici douze ans passés bientôt, quand j ’im prim ais su r l’auteur une courte notice dans m on Diction­

naire historique de Maine-et-Loire, j e la croyais p erd u e et le donnai à com prendre. E n réponse, u n beau m atin, à mon bureau des A rchives, m ’ar­

riva it une gracieuse lettre, et avec elle, sous l’e n -

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veloppe prim itive, reliure en parchem in, d ’un v ie u x registre, le m anuscrit autographe en son intégrité, p o r ta n t su r le p la t du livre et en tête du p rem ier folio le titre que j ’ai conservé : Sou­

venirs d’un Nonagénaire. C’est M . R oujou, de Châteaugontier, l’aimable châtelain de la M otte- Crouillon en L ézigné, parent et h éritier de Boullet- L a cro ix, le légataire du m anuscrit, qui me g ra ti­

fiait de cette aubaine en toute propriété. A h ! g ra n d m erci!

L e titre seidem ent n ’est-il pas déjà une origi­

n a lité! A q u a tre -v in g t-d ix ans, « passe encor de

« bâtir » ; — et B esn a rd ne s’en faisait pas fa u te ; m ais écrire de p a r ti p ris et sentir encore ses y e u x , sa m ain, sa m ém oire en disposition de ren d re bon et régulier service, le fa it est si rare que j ’ai vainem en t dem andé à notre histoire litté­

ra ire u n précédent ou quelque exem ple. L es œ uvres m êm e d ’octogénaires se comptent, — et d ix ans ne sont p as de p e u dans cette affaire ! A ce p oin t de vue et ju s q u ’à p lu s ample recherche, le livre reste unique ' ; m ais je tiens qu’on lui p e u t

1 Je note un 'peu au hasard de la rencontre, — et en me bornant à notre temps : — les M ém oires de Mme la v ic o m te sse F a rs F a u s s e la n d ry ou S o u v e n irs d ’u n e o c to g é n a ire , év é n e m e n ts, m œ u rs e t a n e c d o te s d e p u is le rè g n e de L ouis X V ju s q u ’au m in is tè re P o lig n a c (Paris, in -8°, 1830); — les S o u v en irs de Ch. Victor de Bonstetten (Genève, 1832, in-i 2), écrits à 86 ans; — M ém oires v é rid iq u e s e t in g é n u s de la v ie p riv é e , m o ra le e t

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trouver quelque autre m érite, en regrettant u n peu qu’il n ’a it pas été entrepris d ix ans p lu s tôt.

Le style y eût gagné sans doute d ’être plus dé­

gagé de ses longues incidences et moins troublé, dans les dernières pages surtou t, où j ’ai dû éla­

g u er quelque p e u la feuillée confuse.

M ais p o u r u n homme qui, la tête encore saine et l’esprit toujours éveillé, se trouve en tra in d’achever ce c u rie u x siècle, qu’il a presque vécu (1 7 5 2 -1 8 4 2 ), comme on com prend bien, q u ’il ne veuille pas m o u rir sans se donner la joie, fût-ce u n p e u tard, de fa ire défiler encore une fois en idée ce spectacle évanoui! E t comme celte modeste vie, qui commence a u x champs, qui fin it échouée dans la grande ville, noyée, presque en tout son temps dans la foule, et à peine u n m om ent portée à h auteur du flot p a r une folle brise, nous donne bien vivem ent le sentim ent des troubles inouïs qu’ont dû éprouver ces d e u x ou trois générations antérieures à la nôtre, jetées pêle-m êle p ar u n coup de tempête des bas-fonds d ’une société vieillie au p lein courant d ’une société si étrangem ent

p o litiq u e d ’un h o m m e de b ien , é c rits p a r lu i m ôm e d a n s la 81m0 an n é e de son â g e , le y ic o m te G a u th ie r de B récy (Paris, 1834, în -8°); — Mes S o u v e n irs de so ix an te-q u in ze a n s, p ar Verneuil-Puyrasseau (Limoges, in -8°, 1836). — Je ne parle que des auteurs 'de Mémoires ; car autrement comment oublier, comme le type des travailleurs infatigables, notre Chevreul, encore ci l’œuvre et toujours jeune à 9o ans?

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IV

nouvelle ! C'est le charm e, à m on avis, p én étra n t de ce livre, en sa sim plicité sincère, que ne 'peut étouffer m êm e pa rfo is u n e phraséologie quelque p e u naïve, d ’éviter les grands horizons et de nous in tro du ire en amis dans l’intim ité de ces m œ urs déjà antiques, de nous décrire p a r le m enu ces détails, qui d ’ordinaire échappent dédaignés ou inaperçus et dont le contraste a fra p p é et saisi ce contemporain étonné de L o u is -P h ilip p e e t de Louis X V .

L a vie tout entière de B esnard est dans son livre, que la Table résum e, et on le suivra, je crois, avec quelque am usem ent dans ce voyage de la dernière heure, qu’il rep ren d à p as comptés, sans trop de hâte, sans écart su rto u t su r le champ d ’a utru i. M ais que de traverses dans cet étroit chem in ! É chappé du collège, p u is du S ém inaire, il quitte la théologie p o u r la m édecine, la m éde­

cine p o u r la p ein tu re, risque d ’être notaire, re­

vien t à la théologie e t ren tre au Sém inaire, p o u r en sortir vicaire à S a in t-P ie r r e d ’A ngers sous le curé Robin, — oh ! le drôle de curé et les jolies historiettes, qu’on p ou va it dire, sans tout dire ! — p r e n d le bonnet de docteur, et s’en va curé au M aine, dans la paroisse de N ouans. L e serm ent constitutionnel p rê té , il est désigné comme vicaire épiscopal, occupe p en d a n t huit jo u r s la cure de S a in t-L a u d cl’A ngers et revient rep ren d re sa cure de N ouans. L a T e rre u r venue, il se réfugie

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dans son village, p u is rappelé au M ans, y monte une filature, devient u n jo u r président de la m u ­ nicipalité , — nous dirions à p e u p rès m a ire , — puis p résid en t de V A dm inistration départementale,

— presque p ré fe t, — de la Sa rth e, se retire en fin de compte à peu p rès ruiné, est attaché p a r le m inistre A b rial à la Commission de radiation des ém igrés, refuse à Vimproviste Vévêclié de M atines, accepte la perception de F ontevraud, la ven d p o u r se faire horticulteur et pépiniériste et revient m o u rir à P a ris, au m ilieu d ’u n ancien cercle d’amis p a r d eu x et trois fois renouvelé.

E st-ce assez cVétapes dans son cercle de mo­

destes aventures, tout à m i-côte ! L ’intérêt p o u r nous est qu’à chaque pas il regarde et décrit à l’entour son p etit p a ys et les rencontres. Voici dans u n gentil récit les vifs souvenirs de son enfance, — l’école et le collège de cette humble ville de Doué, dont les relations, les j e u x , la société tranquille lui rappelaient encore au déclin de sa vie comme le type charm ant d ’u n idéal évanoui. — A ngers lui présente d ’autres m œ urs, qu’il compare a u x nôtres, — je v e u x dire à celles d’il y a quarante ans, aujourd’h u i déjà transfor­

mées, — et c’est plaisir et curiosité que de retrou ­ ver tout ce p e tit monde d’autrefois avec ses modes patriarcales, son ignorance du confortable, dans son ménage, à table, à l’église, bourgeois, bour­

geoises, artisans, dévotes;— puis le Collège d ’A n jou

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VI

et les O ratoriens, — l’Université avec ses cérémo­

nies de p a ra d e et ses exam ens de contrebande, — le p etit et le g ra n d Sém in a ire, dont l’in térieur tout inconnu s’ouvre ici pour nous. E t où trouverait- on, m êm e dans les A rchives presque intactes en­

core des abbayes’bénédictines de Saint-N icolas, de S a in t-A u b in d ’A ng ers, de S a in t-V in cen t du M ans, de M arm outier, u n docum ent de valeur égale s u r les particularités de la vie monastique ? — et plus tard encore pour ce g ra n d monde de Fonte- vra ud , qu’il a fréqu en té de si p rè s, quelle m é­

m oire vive il en a g a rd é! et comme il en pa rle d ’u n cœ ur reconnaissant, non sans une légère pointe de malice souriante. É tu d ia n t enfin et libre, dans ses cours faciles, dans ses pensions joyeuses, des amitiés se fo rm e n t autour de lui.

L ié dès le collège avec M ilscent, le fu tu r consti­

tua n t, que la p e u r devait affoler dès les p rem iers jours, il s’attache de rencontre m ais p o u r la vie avec Volney, le représentant résolu du Tiers, que plusieurs traits vivem ent tracés nous m ontrent à plein dans sa bizarrerie de na tu re, taciturne et caustique, hautain e t violent, mais constant ju s ­ qu’au bout dans son estime et dans son affection sauvage. C’est p a r lu i qu’il sera m is en relations bientôt intim es avec l’honnête la R éveillère- L ép ea u x, — comme presque au m êm e temps p a r son camarade le bénédictin Gallais et pa r le cha­

noine Poncelin, tous d e u x p rêtres et m ariés, jo u r­

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nalistes et royalistes, il aura le pied et l’oreille à portée de la cabale ennemie. E n attendant ces jo u rs encore bien im prévus, u n voyage à B o r­

d ea u x, d e u x et trois voyages à P a ris lui dé­

couvrent u n monde inconnu, les théâtres, la cour, p e n d a n t que son vicariat de S a in t-P ie rre l’in tro­

duit dans la grande vie provinciale. On l’y suit au château de la L orie, domaine des Constantin et des M arm ier, comme à son retour, dans la distri­

bution discrète des aumônes et des charités. Curé dans le M aine, et installé à dem eure dans la situa­

tion d ’honnête indépendance qu’il rêvait depuis longtemps, il nous fa it connaître, avec les hôtes du château, tous ses singuliers voisins de cure et les pratiques étranges de ce bon v ie u x temps ecclé­

siastique! E t l’on a beau jeu, vra im e n t de venir com parer ce clergé—là, grossier, ignare, de tenue indécente, de m œ urs basses ou abandonnées, avec le clergé de nos campagnes, tel que nous l’a fait la Révolution ! A côté de ces détails piquants sans aigreur, il fa u t com pter, je crois, p a r m i les p lu s précieuses pages celles que B esn a rd consacre à la visite de sa paroisse ! L e fils du m archand-ferm ier des Attends se retrouve et y revit tout entier p a r son am our sincère des paysans. Dès le début d,e ses souvenirs et tout au courant des je u x de son enfance, il nous avait présenté, en y revenant sans cesse avec u n abandon touchant de jo ie naïve, le tableau anim é d ’une grande exploitation rurale

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VIII

en A n jo u , le ménage de la maison du m aître, les tra va u x et les fêtes des ouvriers des champs.

Voici m aintenant la vie régidière des petites ferm es dans le M aine, les m œ urs intim es des p a y ­ sans, leurs pratiques agricoles, leurs routines, qu’il s’efforce de tra n sfo rm er en p a ya n t d ’un m eilleur exem ple. J e doute qu’aucun livre M an­

ceau ait rien de comparable, comme autorité et comme abondance de renseignem ents, au témoi­

gnage de cette enquête attentive, recueillie avec une si exacte probité, écrite d ’une si simple et si fe rm e plum e. S u r ces entrefaites, la Révolution s’approche. N o tre curé rédige le Cahier de sa paroisse et suit au M ans les prem iers m ouvem ents de l’opinion, p o u r assister bientôt dans u n qua­

trièm e voyage à P a ris et à Versailles, a u x grandes scènes qui la p rép a ren t, a u x débats publics de VAssemblée Constituante, a u x causeries confiden­

tielles des petits comités, qui l’initient a u x secrets du jo u r et du lendem ain. L e calm e, avec lequel il apprend la prise de la Bastille et en visite les ruines sous la direction de L a tu de, se dém ent dans l’enthousiasme et les émotions d ’une excursion à E rm e n o n ville, devant la tombe de Jean-Jacques Rousseau. Quelques-uns des détails qu’il donne en tout ce voyage sont nouveaux e t à recueillir p o u r l’histoire. D e reto u r en son village, et su r le chemin m êm e, il avait retrouvé les terreurs de P a ris, qu’il fu y a it; mais bientôt apaisé et tout à ses livres ou

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a u x gaies veillées du presbytère, il se revit, presque sans y p en ser, face à face avec la terrible nécessité du serm ent. — « A h ! combien le refu s de ce serm ent avait des fondem ents fragiles ! », s’écrie, en racon­

ta n t ce temps-là, u n des p lu s intraitables ré fra c - ta ires1. J e connais p o u rta n t quelques bons cœurs, affectueu x, indulgents m êm e à de vilaines fautes, qui ne pardonneront p as à notre B esn a rd le p a rti qu’il p r it, en se rangeant du côté de cette élite, — car il y eut là p e u t-ê tr e aussi une élite, — de p rêtres patriotes, qui cru ren t avec VAssemblée Nationale, dans u n jo u r d ’e rreu r, si l’on veut, à la réconciliation possible de la discipline antique et de la loi nouvelle. M ais j ’adm ire, — et tous les esprits désintéressés des passions à la mode adm i­

rero n t avec moi, y ’en suis assuré, — le touchant aveu de ses angoisses de conscience, la sérénité de ses convictions, dès la décision p r is e , et cette bonhomie tranquille, avec laquelle il se rappelle la tenue, plus ou moins digne, de ses confrères révoltés et les petits services que bon g ré m al g ré il leur p u t rendre. I l y a p e u t-ê tre d eu x morales ; qu’on nous le dise; pour moi, j e n ’en connais qu’une, celle qui convie tous les honnêtes gens à s’en tr’aim er.

M ais le théâtre change. N o tre ju r e u r fu it de-

1 M ém oires de l’ab b é J .- F . F le u r y , p . 135, publiés par 1). Piolin.

b

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va n t l’approche de l’arm ée Vendéenne, traverse le M ans au lendemain du carnage, rencontre su r son passage la Commission m ilitaire présidée p a r son a m i P ro u st, salue M arceau, laisse A ngers en pleine fu rie de vengeances, et ren tre au fo y er paternel, s u r la fro ntière de la Vendée en feu. Les scènes qu’il indique, p o u r être parfois écourtées ou sans lien, ont leur p r i x de sincérité, et c’est u n véritable docum ent d ’histoire que le récit de sa mission à N an tes, auprès des représentants du p euple, qu’il aborde en trem blant et qu’il ram ène au sentim ent des m isères publiques, soulevées p a r u n arrêté irréfléchi. P u is redevenu simple citoyen p a r le renvoi de ses lettres de p r ê tr is e , — il ne s’en vante pas, — e t assez eti pein e de trouver à bien fa ire, son établissement au M ans le replace au milieu, d ’intérêts nouveaux et de brigues im pré­

vues, et bientôt l’im portance de cette entreprise industrielle, ses liaisons avec u n groupe rem u a n t de négociants et de spéculateurs, su rto u t d ’an­

ciennes amitiés de jeu n esse avec les puissants du jo u r lui ont créé une situation exceptionnelle et toute en vue. I l a son heure, où résolum ent il accepte lahaute m ain su r Vadm inistration, hommes et choses, et provoque et domine avec sang-froid les menaces des chouans et des clubistes et aussi les sollicitations des corrupteurs.

E n dehors m êm e de ce m ouvem ent compliqué des compétitions locales, des m isères de la g u erre

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civile, des ambitions, des coteries mesquines, du m archandage et de la vénalité des fonctionnaires publics, le livre s’anim e d’u n in térêt p lu s v i f et plus général au récit des négociations officielles et su rto u t des relations tout intim es de l’auteur avec le monde dit D irectoire. I l n ’a que trois ou quatre anecdotes su r B onaparte, m ais, ce me semble, caractéristiques, quand, il nous le m ontre en quête d ’aventures, o ffran t ses quinze cents hommes à toute m ain contre la chouannerie, ou en p lein salon abordant le p re m ie r venu de ses questions étranges. E t Masséna aussi tient son rôle et A uge- reau et d ’autres encore, entre tous la R éveillère- L ép ea u x, dont la probité et la sim plicité véritable­

m e n t antiques devaient toucher le cœ ur de notre sage et com prendre ses humbles vertus. Cette modeste fam ille, presque souveraine, à celte heure- là m êm e et depuis lors assaillie p a r tan t d ’ou­

trages, sans autre souci que de conserver ses m œ urs bourgeoises et tout entière a u x joies d ’une tendre intim ité, — et après les tum ultes de la jo u rn ée politique, le g ra n d citoyen se recueillant en tout abandon dans une retraite fêtée seulem ent p a r quelques hôtes d ’élite, artistes, savants, élus de la M use ou simples amis et compagnons de jeunesse,

— et ces bonnes soirées, chez les T h o u in , dans la cuisine patriarcale du Ja rd in des P la n tes, au rendez-vous régulier, cher depuis la Constituante à tant de grands cœurs, c’est le tableau qui nous

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XII

est donné là sans étalage n i rhétorique vaine et qui repose de ces scènes de m œ urs dévergon­

d ées, dont nous p o u rsu iven t les historiens plus oie moins sincères de ces temps diffam és. E t m êm e, à rester dans la vie publique, on n ’est pas accoutumé à se représenter, comme on le voit ici, ces festins officiels du D irectoire, réglés, silen­

cieux, solennels, et qui rappellent en leur genre, à d ix ans de distance, les fêtes redoutables de Fontainebleau, telles que d ’autres témoins nous les révèlent '. A côté de cet in térieu r modèle ou de ces dém onstrations d ’apparat, nous assistons a u x désordres des b ureaux, a u x m isères de la presse avilie. P u is ses amis vaincus, la série des coups d ’E la t épuisée, nous retrouvons notre adm i­

n istrateur de province, rebuté à son tour, ce semble, p a r les réactions victorieuses, appauvri et presque ru in é p a r l’oubli de ses intérêts p riv és, raillé p o u r cette abnégation niaise p ar ses amis de la veille enrichis sans vergogne, en fin de compte tranquille et toujours abrité en observateur cu rieux dans u n modeste refuge de P a ris. L es temps sont changés. A la fréquentation des hommes d’É ta t ou des gens de g uerre succèdent pour lui les rela­

tions avec les gens de lettres et p a r ceux-ci, sui­

va n t la mode nouvelle, avec les aubergistes et les restaurateurs. Un défilé commence de nouvelles

1 Mmc de Rcmusat, M ém oires, 111, p . 240.

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figures, A brial, M ercier, du Tableau de P aris, V é ry , V igier, le critique G eoffroy, le docteur L a M étherie, — Volney encore, — M lh Tiberge, D efaucom pret, — et les opulents festins de cette société bourgeoise toute à Vostentation d ’u n luxe étrange et à l’inexpérience effrontée des nouveaux riches. L e contraste est complet avec ces réceptions de douce fam iliarité, qu’entretiennent et lui o ffre n t ses nobles amis du M anie ou d ’A njou, retrouvés à P a ris fidèles.

N o tre hom me est si bien fêté partout, qu’u n beau jo u r, déjà vieilli, il se p r e n d de la p e u r d’en m o u rir et s’escquive. N ous voici de nouveau ram enés avec lui en pleine province, dans la p etite ville endorm ie, — non p lu s à Doué, comme a u x p rem iers jours de son enfance, — mais à F o n te- vra ud , comme a u x temps où sa modeste vie de curé de campagne venait s’oublier a u x splendeurs incom­

parables de la reine des abbesses. L a Révolution a fa it table rase en p a ssa n t! M outier, nonnes et grandes dames ont à ja m a is disparu. Où sont les carrosses d ’autrefois â travers les rues bruyantes?

les grands seigneurs au pa rlo ir? les chasses à travers les bois ? les festins ? et les m endiants de chaque maison pressés a u x portes des bienfai­

trices? — L es rues restent désertes et silencieuses ; oui ! m ais les maisons se sont peuplées de braves gens, qui travaillent ; « les dames du bacicot » sont devenues d ’honnêtes mères de fam ille qui ont le

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XIV

pain du jo u r et du lendemain assuré sans honte ;

— et chaque champ, chaque enclos, tracé dans les vastes friches d ’autrefois, s’est égayé cl’u n petit logis avec son ménage, où l’aisance libre a ram ené la f e r t é et où il ne fa u d ra it pas venir rappeler les jo u r s , presque oubliés, des offices serviles et de la m isère avilissante. O ui! la Révo­

lution a passé p a r là, et tout la bénit, sans que rien dans ce témoignage im partial se p rête au dénigrem ent de ses souvenirs reconnaissants !

T ou t à côté végète encore inabordé, dans sa détresse et son ignorance antiques, tout u n pays de solitude, où fo n t œ uvre d ’hommes quelques braves gens perd u s. N otre fonctionnaire y a pris pied avec e u x dès le p re m ie r jo u r p a r Vacquisi­

tion d ’u n petit domaine ; p u is, quand il se dégage de toute attache officielle, c’est là qu’il vient s’ins­

taller, dans u n reto ur irrésistible à ses traditions de fam ille et d ’enfance, et qu’il se rem et à rem u er la terre, à bâtir, à p la n ter, à organiser toute une exploitation de pra tiq ue nouvelle p o u r le p a ys, nouvelle p o u r lui, une pépinière, u n ja rd in a g e , à soixante ans passés ! — S in g ulier hom me ! — mais qui, ici comme partout, se voit accueilli, recher­

ché, tout p e tit et obscur personnage qu’il vise à rester, p a r tous les personnages, dont l’estime et l’am itié valent titre dans le m onde, p ré fe t, sous- p réfets, m aires, curés m êm e, les grands seigneurs, les lettrés, entre tous, notre historien, l’honnête et

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loyal B odin : « B odin ! c’est tout dire ! » comme il d it si bien. D ans cette retraite non d ’oisiveté mais de travail a c tif et cu rieu x, où il se donne tout entier à sa clientèle des champs, il laisse passer, sans être de trop p rès atteint, la surprise des C ent-Jo u rs, les menaces de la Vendée nouvelle, la T e rre u r Blanche et ses odieuses cours prévôtales, jusq u ’au jo u r , où, la fatigue et l’âge aussi venus, le sentim ent s’impose à lui invincible, que contre les sourdes haines, les petites perfidies, les intrigues et vilenies de la vie provinciale il n ’est qu’u n refuge, le g ra n d P a ris. I l n ’avait cessé de le fr é ­ quenter à chaque p rin tem p s ; il se décide enfin à y ven ir réclam er, avec une résignation joyeuse encore, non le repos, mais le calme de la dernière heure. I l apportait avec lui une grosse œ uvre cfÉtudes agricoles ; e t en attendant qu’il se délasse à ses propres Mémoires, il a rédigé et publie, après force courses chez les éditeurs - libra ires, les Mémoires du capitaine P éro n , u n de ses amis du Saum urois. Chem in faisant, la revue des m orts commence et l’u n après l’autre tombent autour de lu i la Réveillère et Volney, les T houin, M oreau de la S a rth e, Bosc, M mo D enis, l’abbé Pecli, sans briser le groupe des affections intim es, que renou­

vellent en s’y succédant les B éra rd , les H ourm an, les D uboys, les D avid d ’A n g ers, tant d ’a u tres!

On le voit à quatre-vingt-un ans faire une visite touchante à son vieil e t dernier am i du M ans,

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XVI

F ortis, — et comme son voyage d ’adieu à la p ro ­ vince e t au passé.

C’est en ce tem ps-là sans doute, qu’il songe à régler son g ra n d compte, a u x heures matinales, où il laisse p a r le r sa m ém oire, accoudé su r sa p etite table de bois. Ses forces étaient presque intactes encore! il su ivait avec a rdeur les cours publics, la politique, les jo u r n a u x , les livres.

P u is tout d’u n coup il se sen t p ris à son to u r!

I l s’endort a u x cours, a u x livres, a u x jo u r n a u x ! L ’avertissem ent, p our ta r d if qu’il soit, lui paraît rude.

I l habitait alors ru e de la Bourbe, presque vis- à-vis l’hôpital, une jo lie m aisonnette \ précédée d ’u n long ja r d in ; e t quand les je u n es étudiants, cqui volontiers recherchaient sa vive parole et sa gaîté, lu i rend aien t visite, ils l’y trouvaient d ’ordi­

naire taillant, bêchant, plantant, surveillant ju s ­ qu’au dern ier jo u r , ses serres, où il savait m énager tout le long de l’année une cueillette de p récie u x raisins.

Oh ! pour gourm and, gourm et, on le sent, si peu qu’il le dise, à tout son récit, — g ra n d m angeur en son bon temps, mais choisissant m û rem en t son plat et de quoi m ettre dans son verre. A ussi comme il n ’oublie m d le p a r t le coup de fourchette et le fin dîner ! L e faible qu’il avoue plus directe­

1 II y est mort le 20 novembre 1842.

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m en t encore, c’est son p e u d ’audace, une extrêm e tim idité, s’il fa u t l’en croire, — la p e u r dans les jambes au p re m ie r b r u it! mais au second il se rassure, et s’il évite les coups dans la vie comme dès l’école, c’est qu’il sa it, hom me aussi bien qu’enfant, p a r esprit non de lâcheté m ais de soumission, s’enferm er dans le devoir strict, rachetant le zèle p a r l’application, la constance, le calme, la discipline. L e jo u r venu, il a, comme u n au tre, la résolution sûre et une énergie égale à tout danger. S a taille m esquine, son caractère ré­

fléchi ne le prédestinaient d ’ailleurs n i à l’héroïsme n i au m a rtyre. « C’est u n m alin » diront en souriant les P arisiens ; les politiques, en ra illan t :

« c’est u n niais »; les philosophes, après réflexion :

« c’est u n sage, y A le lire sim plem ent, comme il se raconte, on voit surtout que sa facidté m aîtresse est le bon sens : « L e reste vien t ensuite », a d it L a Fontaine. S a vie en tout temps est réglée heure à h eure, d ’abord p o u r les obligations du jo u r , ensuite, — et c’est à sa louange, — p o u r le pla isir, comme il l’entend, c’est-à -d ire, p o u r le travail recueilli, la recherche de quelque bien d ’in ­ telligence, — et ainsi à tout âge et depuis le temps où sa p etite lampe de vica ire, éveillée dès avant l’aube, faisait honte a u x étudiants les plus stu­

d ieu x, jusqu’au crépuscule des plus sombres jo u r s ;

— et si quelque attache extérieure se brise, il reporte vite tout ce qu’il a reconquis de liberté au

(26)

XVIII

p rofit de cette fam iliarité intim e et non vulgaire, dont il s’était fait une habitude, avec Y élite des ch efs-d ’œ uvre et des grands génies. L e monde et les hommes changent ; sa situation successive­

m en t se modifie ; il va chaque fois réduisant ses dépenses ou ses loisirs bien aimés, selon que les temps ou la fo rtu ne se resserrent, sans plainte, sans rancune, aujourd’h u i presque riche, m êm e puissant, a ya n t la m ain, tenant l’oreille des m aîtres de l’É ta t, p u is déchu, ruiné, hors de vue et de jeu , m ais n i inquiet n i troublé, sans regret, sans visée d’ambition ou de revanche, en fonds toujours de belle hu m eu r et de gaîté, — et se h â ta n t, l’orage passé, de déblayer son p e tit abri écroulé p o u r replanter m asure et charmilles nouvelles dans le rêve toujours fidèle e t qu’il réalise, autant qu’on peut, d ’une honnête indépendance avec u n entourage d ’honnêtes gens. J ’adm ire p o u r moi, ju sq u ’à l’aim er, ta nt il est n a ïf et sincère, l’affole­

m en t m êm e de cette haute raison dans sa passion p o u r Sénèque! I l ne s’agit pa s d ’u n entraînem ent de passage, d ’une surprise de jeunesse. N o n . L a domination du m aître dure, alors m êm e que sa parole a p erd u le p re m ie r charme e t son enseigne­

m en t le prestige. L a doctrine que le lettré discute, le disciple l’accepte et la pratique. E n ses der­

nières années, éprouvé p a r diverses pertes, m êm e par quelques trahisons, embarrassé d ’engagements pris à la légère, p a u vre, menacé p a r la m isère, il

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tient bon et se console en se référa n t a u x leçons du Stoïque, qui ont gouverné sa vie. Certes, Vexemple est rare et sans danger. Un autre hon­

n eur encore témoignera p o u r lui. Ce vieillard déclassé, depuis longtemps sans influence active, presque sans ressources à certaines heures, reste entouré, comme d ’une clientèle protectrice, affec­

tueuse, dévouée, de personnages en place et de grandes dames, fidèles depuis le p re m ie r jo u r à cette dignité modeste, à cette sérénité souriante.

P o u r lui, riche ou pauvre, je u n e ou vieu x, il a été h eu reu x, — et ce qui est p lu s ra re, il l’a su à son heure; il le proclam e ; — et la raison qu’il en sait, il la donne : c’est qu’il n ’a ja m a is cherché le bonheur n i la richesse que dans sa raison et dans son cœ ur : Mediocritate et amicitia dives, felix.

I l en a inscrit la devise lu i-m êm e, au bas de ce cu rieu x p o rtra it, dessiné p a r son am i le p ein tre B odinier, et où il re v it si gentim ent p o u r nous dans son p le in de bonté goguenarde et de finesse- rustique. D avid d ’A n g e rs, le glorieux artiste, nous Va ren d u d ’u n plus g ra n d air, où se retrouve ce caractère de bienveillance et de sagacité réfléchie, qui dirigeait en son bon temps le m agistrat répu­

blicain.

J e dem ande à ces d eu x belles œuvres de recom­

m ander m on édition, qui se présente, au reste, ce me semble, d ’apparence honnête et plaisante a u x gens de goût. L e m anuscrit, tout entier auto-

(28)

XX

graphe, avec corrections, notes et renvois de la m ain de l’auteur, com prend 1 4 5 folios détachés, p e tit in -4 °, d ’une écriture, en lignes pressées, fine et très régulière et qui n ’accuse ju s q u ’au bout, la dernière page exceptée p e u t-ê tr e , n i tremblement n i défaillance, quoiqu’il date certainem ent des derniers mois de cette longue vie. J e l’ai repro­

d u it intégralem ent, — s a u f dans le p rem ier volume quelques répétitions involontaires et dans le second u n certain nombre de m enus faits deve­

nus p o u r nous insignifiants. P eu t-être me repro­

ch era -t-o n de ne pas avoir taillé assez résolum ent dans ce bois-là; mais j ’ai tenu avant tout à g a rder à l’œ uvre sa physionom ie sincère. D e u x ou trois noms propres aussi, que l’auteur donne, ont dû être supprim és, p o u r rester à côté de l’odieuse ju risp ru d en ce, inventée en m atière de tra va u x historiques p a r la m agistrature im périale. —- Q uant au com m entaire, j ’ai fa it de m on m ieu x po u r le réduire, surtout dans les temps les p lu s rapprochés de nous, sans m ’étudier à envelopper le texte de notes, qui l’eussent encore très facile­

m ent doublé. Les m iennes s’appliquent le p lus possible a u x petits faits locaux, a u x notabilités provinciales, là où j ’ai chance d ’avoir quelque indication utile à donner. A v a n t tout j ’ai contrôlé, a utant que j ’ai p u , les assertions de mon auteur, sans l’avoir trouvé ja m a is en défa ut du côté de la bonne foi, et seulem ent à peine une fois ou d eu x

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pour des peccadilles de m ém oire. — J ’ai ajouté à chaque volume une table p a r chapitres, qui donne avec les dates omises les grandes lignes du récit et p e rm e t d ’y fa ire choix à sa fantaisie. Une table générale et bien complète term ine l’ouvrage, en y m etta n t à portée de tout service comme u n recueil facile de tous les m enus faits dispersés au courant du livre.

A cette lecture, où j e me suis p lu à suivre le cours d’une modeste existence, se p la ira -t-o n autant que moi? j ’en doute. J ’aime les M émoires, les jo u r n a u x intim es, les confidences à dem i-voix.

S i j ’avais eu à temps Vidée de devenir riche, j e m e serais donné p o u r p rem ière fête d ’installer, dans une bibliothèque toute française, à côté du petit sanctuaire réservé a u x m aîtres de poésie, des rayons bien garnis des livres de tous ces amis inconnus, de tous ces aïeu x raconteurs, qui nous intéressent à nous-m êm es en nous ouvrant jo u r su r leur âme et su r le secret du passé ; — et dans ce coin-là j ’aurais fréquenté, j e crois, non pas les grands politiques, les héros d’intrigues, les m anieurs d ’affaires ou les bruyants traîneurs d ’épée, mais p lu tô t les lettrés, comme M arm ontel, les am oureux, comme Jean-Jacques et M™ d ’Ê p i- n a y, voire les petits et les humbles, qui ont vécu de notre modeste vie, à tous, et qu’on croit m ieu x com prendre. P a r m i ceu x-là , les A ngevins, les M anceaux, les travailleurs, les collectionneurs de

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xxu

curiosités provinciales ou révolutionnaires réserve­

ro n t p eu t-être une place à mon Besnard, en se souvenant, comme je les en p r ie , de celui qui le leur donne, propriis sumptibus, à ses frais ni plus n i moins qu’u n duc et p a ir , — et curis, et avec une p a r t de sa vie, faite de peine et de travail.

Cè l es t i n P O R T .

20 octobre i 880.

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S O U V E N I R S

d'un

N O N A G É N A I R E

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S O U V E N I R S

du n

N O N A G É N A I R E

Ma naissance date du 10 octobre 1752 *. Dans les familles tant soit peu nombreuses et aisées les parents étaient alors dans l’usage de fixer eux- mêmes la profession de leurs enfants. Comme je me trouvais être le troisième garçon, et d’une très- faible constitution, les miens ne crurent mieux faire que de me destiner à l’état ecclésiastique, qu’ils envisageaient d’ailleurs, d’après l’opinion admise à

1 Notre bonhom m e débute m al. Sa m ain a écrit trè s-n e tte ­ m en t : 1832 — et de plus il se rajeu n it d ’u n m ois, comm e l ’a t­

teste l’acte au th en tiq u e de son baptêm e : « Le dixiesm e jo u r de

« septem bre 1732 a été baptizé p a r nous curé soussigné François

« Yves, né de ce jo u r, fils du sieur P ierre B esnard, ferm ier du

« p rie u ré , et de Marie Vaslin, son épouse. Ont été p a rra in

« Me François V aslin, ancien notaire royal de la paroisse de

« C outure, m a rra in e , d lle Ursule R ichard, de la paroisse de la

« Chapelle-sous-Doué ». (Mairie des Alleuds.)

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_ 2 —

cette époque, comme réunissant tous les avantages désirables tant pour celui qui l’embrassait, que pour les autres enfants, auxquels sa portion héréditaire devait naturellem ent revenir et qui au besoin trou­

veraient en lui, en cas d’info rtu n e, les ressources propres à soulager leur détresse, attendu que lui- même se trouverait toujours assez riche des biens de l’Église, non-seulem ent pour se passer de ceux de sa famille, mais même pour en aider ses proches.

P ar la même raiso n , lorsqu’ils avaient plusieurs filles, ils en destinaient ordinairem ent quelqu’une à l’état de religieuse.

Ils prirent à mon égard ce parti de bonne heure.

Au moins est-il vrai que le prem ier et seul nom auquel j’aie eu à répondre fut celui de l’Abbé, que les bonnes gens du village avaient traduit par celui de M. le Curé, comme n ’en connaissant pas d’autre plus relevé dans le clerg é, jusqu’à l’époque où je fus envoyé aux écoles dans la petite ville de Doué.

Mon père était ferm ier général du prieuré des Alieuds-Saint-Aubin1, prèsB rissac, lequel consistait dans un domaine d’environ 160 hectares, terres arables, prés, bois et vignes, qu’il exploitait avec trois charrues, chacune attelée de six bœufs, quatre sous-fermes ou métairies, dites la Groie, la Grande- Beauce, Launay et les S an terries2, auxquelles était

1 A ujourd’h u i les A lleuds, com m une du canton de T houarcé.

Les titres d u p rie u ré sont conservés dans les Archives de Maine- et-Loire, H 196-202, et co m p ren n en t 2a volum es, registres ou liasses, d u x n e au x v m e siècle, avec des plans.

2 « Les terres nom m ées les Septairies ou les Stairies » disent les baux de 1608 à 1630. (A rch. de M .-et-L . H 198, f. 232-244.)

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joint FÉtang-aux-Moines, empoissonné et alimentant un moulin à farine \ — de plus dans les rentes nobles (aj dues audit prieuré, lequel rendait les religieux de l’abbaye de Saint-Aubin d’Angers seuls

(a) Ces ren tes consistaient en 300 boisseaux de blé, poids de 30 liv re s, soit 100 h ecto litres, 648 boisseaux de seig le, soit 65 h e c to litre s, 1,025 boisseaux d ’av o in e, soit 200 h ecto litres, 24 boisseaux d ’orge, soit 5 hectolitres, 10 charrois à bœ ufs des Alleuds à A ngers, 40 jo u rn ées de faneurs et vend an g eu rs, 15 couples de chapons et poules, et 25 francs de cens en a rg e n t (*).

Les lods e t ventes p roduisaient en m oyenne 250 francs p a r an , atten d u l’usage de faire faire rem ise du tiers et m êm e de moitié d u droit. Ces deux articles étaien t censés p ro d u ire environ 3,000 francs, et les dîm es à p eu près la m êm e som m e. On peut ju g e r p a r la suppression de ces tro is articles, com bien la com­

m une a gagné au nouveau m ode d ’im positions, indépendam m ent des assujettissem ents coûteux et h u m ilian ts auxquels les rede­

vables étaien t s o u m is , car 10 p o u r les d îm e s , le cultivateur ne pouvait enlever ses pro d u its avant d ’avoir averti le décim a- te u r, q u i envoyait u n de ses agents les com pter, m ettre de côté son douzièm e ; et le p rem ier ne pouvait encore enlever ce qui lu i ap p arten ait, avant d ’avoir tran sp o rté g ratu item en t su r l ’aire ou dans les granges du p rieu ré ce q u i é tait d û au d éeim ateur, obligation e x o rb ita n te , que je n ’ai vue im posée en aucune au tre com m une que dans celle des Alleuds (**) ;

2° P our les rentes féodales, le seigneur ou son ferm ier, ayant fait p u b lier au p rône de la messe paroissiale, q u ’à tels jo u rs (on en in d iq u ait tro is consécutifs p o u r celles dues aux A lleuds), il

1 Moulin b an al, d é tru it en 1768 p a r une inondation d u ru is ­ seau de M ontayer et reco n stru it en 1773 sur les instances de la m ère de notre a u te u r, lésée dans ses droits.

(*) U n d o c u m e n t de 1788 e s tim e le r e v e n u à 42,000 1. (A r c h . de M.- et- L., C 192.)

(**) C’e s t u n e d e s p la in te s le s p lu s v iv e m e n t e x p rim é e s d a n s le C a h ie r d e la p a ro iss e e n 1789. (V. c i-a p rè s la n o te p . 35.)

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_ 4

seigneurs de toute la paroisse1, avec droit de haute, moyenne et basse justice, — dans les dîmes au douzième des produits en céréales, légumes secs, chanvre, lin, agneaux et cochons, — enfin dans les lods et ventes, droit de percevoir le douzième du prix

les re c e v ra it, les d ébiteurs étaien t ten u s d ’en faire le paiem ent auxdits jo u rs, sous peine d’être poursuivis ju d iciairem en t après le u r expiration. Comme, lors de l’acensem ent des dom aines qui en était grevés, ils l'étaien t p o u r l’ordinaire au nom d ’un seul individu, lorsque dans le laps des tem ps ils avaient été divisés en tre plu sieu rs pro p riétaires p a r succession ou vente, le seigneur avait droit de p ren d re au solide, c’est-à-d ire d ’exiger la totalité de la ren te créée p a r ledit acen sem en t, du plus solvable des codébiteurs, sauf son recours contre chacun d’e u x , ce q u ’il ne m an q u ait pas de faire et ce q u i don n ait lieu à des frais considé­

rables. De plus, ces g rains devaient être les plus nets possible, et de la m eilleure qu alité ; aussi se vendaient-ils sur le m arché u n cinquièm e ou u n sixièm e p lu s cher que les au tres ;

3° Pour les lods et v en tes, non-seulem ent l’a c q u éreu r d ’un im m euble était obligé de payer au seigneur le douzièm e du prix de son acquisition, m ais il devait lui rem ettre u n e copie au th en tiq u e de son acte, et celui-ci avait d roit de la g ard er pen­

d a n t u n an et jo u r.; p e n d an t lequel intervalle de tem ps, il pou­

vait se décider ou à recevoir les lods et v en tes, ce qui s’appelait quittancer contrat, ou exercer le re tra it, c’est-à-d ire, prendre l’im m euble p o u r lui-m êm e, aux charges seules de rem b o u rser l’acq u éreu r de ses loyaux coûts. Il avait aussi celui de céder son d ro it de re tra it à qui bon lu i sem blait.

Le dom aine du p rieu ré des Alleuds se tro u v e au jo u rd ’hui possédé p a r plus de tren te pro p riétaires.

1 Le p rie u r, re n d a n t aveu de son tem porel au sénéchal d’A njou, y com prend en effet to u t d ’abord « le fief et seigneurie de la

« paroisse ainsi q u ’il se p o u rsu it en long et en large, avec les

« droits de haute justice, m oyenne et basse, et les droits qui en

« dépendent selon la Coustum e, auquel fief est située l’église, etc. » Les derniers actes donnent au fief le titre de châtellenie.

(37)

des immeubles vendus dans l’étendue de la paroisse ou seigneurie *.

Mes premiers souvenirs se reportent sur l’usage où on était alors de laisser les petits garçons en fourreau — on appelait ainsi le jupon attaché à un corset, ■— la tête couverte d’un bonnet piqué et épais en forme de large calotte, surmonté d’un fronteau, propre à la préserver des accidents d’une chute.

Je sais que je le portais encore, lorsque ma sœ ur, mes frères et moi, nous fûmes attaqués et pris de la petite vérole, qui fut bénigne pour ma sœ ur et mon frère a în é , mais confluente et m or­

telle pour mon plus jeune frère ; et moi je me rappelle que j’étais ainsi habillé, en me roulant sur

1 P ierre B esnard, m a ri d ’Anne R aym ond, d em eu rait à la San- sonnière en Saint-G eorges-des-Sept-V oies, q uand le 13 novem bre 1730, associé avec son beau -frère, honorable hom m e Julien Vallée, m ari d ’A ntoinette R aym ond, du Bois-Noblet en L ouerre, il passa son p rem ier b ail de la ferm e, co m p ren an t « le tem porel, fruits,

« proffits, revenus et ém olum ents d u p rie u ré , consistant en la

« m aison seigneuriale, m étairie, m oulin à eau, colom bier, terres,

« prez, p a rte rre s, vignes, dixm es, cens, ren tes, debvoirs de fief,

« épaves, avec les frais et ém olum ents en dépendant, lods et

« v e n te s , au cas néantm oins que les contrats n ’excèdent la.

« som m e de 2,000 1., auquel cas lesd. lods et ventes se p a rta -

« geaient p a r m oitié avec le bailleur. » Il était te n u notam m ent

« de faire faire le service divin accoutum é et en acq u itter le

« sieur p rie u r devant Dieu et les hom m es », de solder les taxes, — de payer à l’abbé 1,992 boisseaux d avoine, 74 septiers et 7 boisseaux de from ent, 260 livres en arg en t au curé p o u r son gros, et 1,400 livres de ferm e au p rie u r, outre diverses m enues charges, comm e de te n ir les assises une fois au m oins p en d an t la durée d u b ail, contracté p o u r 9 années. Il fu t renouvelé, après la m o rt de Vallée, le 3 m ai 1739, et successivem ent au profit de la fam ille ju s q u ’à la Révolution.

(38)

les carreaux de la salle dans les premiers moments d’attaque de la maladie, et que pour éteindre ma soif on me donnait à boire de l’eau ferrée (on appe­

lait ainsi de l’eau pure dans laquelle on avait plongé une baguette de fer rougie au feu).

Je fus longtemps malade, et je fus privé de la vue pendant treize jours, m’a-t-on dit ; mais ce que je me rappelle très-bien, c’est d’avoir demandé plu­

sieurs fois à ceux qui m’entouraient : « Quand donc

« fera-t-il jour? »

J’étais aussi encore vêtu du fourreau, lorsque je fus conduit, avec un de mes frères, chez ma tante Qué- nion, ferm ière de la terre de la Motte1 en C harcé2, placés l’un et l’autre dans deux paniers, dits m anne­

quins, dont le cheval de bât, conduit par un domes­

tique, était affublé. Je trouvai fort doux le vin qu’elle nous versa, en nous faisant rafraîchir, et j’en bus peut-être trop ; au moins en me rappelant les cir­

constances de ce petit voyage, n ’ai-je point oublié qu’en revenant je fus saisi d’un mal de cœur.

Je pourrais citer plusieurs autres traits plus ou moins insignifiants, qui n ’aboutiraient qu’à prouver, ce que chacun reconnaîtra en y réfléchissant, qu’à cette époque de la vie, la mémoire reste profondé­

m ent em preinte de ce qu’elle a pu enregistrer ; dès lors il serait inutile d’en porter plus loin l’énu­

mération.

Malgré la débilité de m a constitution, compromise dès en naissant par le fait d’une mauvaise nourrice,

6

1 Autrefois la M otte-au-Girard, te rre réunie au xvic siècle au dom aine de Brissac.

! A ujourd’h u i com m une d u canton de Thouarcé.

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de chez laquelle ma m ère me retira et sevra, avant d’avoir atteint l’âge de six m o is, étant en état de langueur (maladie à laquelle succombaient presque toujours les enfants), je fus conduit à l’âge de six ans et dem i, à D oué1 pour y faire mes études, et par le moyen employé pour aller voir ma tante Quénion.

Je me rappelle que j’étais vêtu d’une petite robe de chambre et affublé d’une perruque, attendu que, la tête étant couverte de plaies purulentes, on avait été obligé de couper ras les cheveux.

Ce fut dans cet équipage que j’arrivai, pour y res­

ter en pension, chez m a bisaïeule, Marie B ineau2, veuve depuis plus de trente ans de M Richard, en son vivant notaire et sénéchal de Doué; elle en avait pour lors quatre-vingt-treize révolus, et deux de ses filles, plus que sexagénaires, étaient restées près d’elle. L’aînée était connue sous le nom de Mlle Lullon (Ursule) et la cadette sous celui de Cathos 3 (Catherine). Le fils aîné avait succédé à son père dans l’office de notaire, et la fille aînée Marie était veuve de mon grand-père P ierre Vaslin.

Mon aïeule était encore vigoureuse. Elle avait conservé l’usage de la vue et de l’ouïe et beaucoup

1 Chef-lieu de canton de l'arro n d issem en t de S aum ur, à 4 lieues des Alleuds.

* M arie-Ursule B ineau, fille d'honorable hom m e Yves B. et de dam e Ursule M énard, avait épousé le 26 m ai 1694, dans la ch a­

pelle de l ’hôpital de Doué, Me Jean R ichard, notaire royal, déjà veuf d ’u n p rem ier m ariage et décédé le 9 septem bre 1722, âgé de 66 ans. I/a c te de sépulture lui attrib u e la qualité de « notaire

« royal et apostolique. »

3 C’est le no m que d o n n ait Voltaire à l’im pératrice C atherine II.

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