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LORENZACCIO ALFRED DE MUSSET

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Academic year: 2021

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LORENZACCIO

ALFRED DE

MUSSET

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ACTE I SCENE PREMIERE

Un jardin. - Clair de lune ; un pavillon dans le fond, un autre sur le devant.

Entrent le Duc et Lorenzo, couverts de leurs manteaux; GIOMO, une lanterne à la main.

LE DUC. Qu'elle se fasse attendre encore un quart d'heure, et je m'en vais. Il fait un froid de tous les diables.

LORENZO. Patience, Altesse, patience.

LE DUC. Elle devait sortir de chez sa mère à minuit ; il est minuit, et elle ne vient pourtant pas.

LORENZO. Si elle ne vient pas, dites que je suis un sot, et que la vieille mère est une honnête femme.

LE DUC. Entrailles du pape ! avec tout cela je suis volé d'un millier de ducats.

LORENZO. Nous n'avons avancé que moitié. je réponds de la petite. Deux grands yeux languissants, cela ne trompe pas. Quoi de plus curieux pour le connaisseur que la débauche à la mamelle ? Voir dans un enfant de quinze ans la rouée à venir ; étudier, ensemencer, infiltrer paternellement le filon mystérieux du vice dans un conseil d'ami, dans une caresse au menton ; - tout dire et ne rien dire, selon le caractère des parents; - habituer doucement l'imagination qui se développe à donner des corps à ses fantômes, à toucher ce qui l'effraie, à mépriser ce qui la protège ! Cela va plus vite qu'on ne pense ; le vrai mérite est de frapper juste.

Et quel trésor que celle-ci! tout ce qui peut faire passer une nuit délicieuse à Votre Altesse ! Tant de pudeur! Une jeune chatte qui veut bien des confitures, mais qui ne veut pas se salir la patte. Proprette comme une Flamande! La médiocrité bourgeoise en personne. D'ailleurs, fille de bonnes gens, à qui leur peu de fortune n'a pas permis une éducation solide ; point de fond dans les principes, rien qu'un léger vernis ; mais quel flot violent d'un fleuve magnifique sous cette couche de glace fragile, qui craque à chaque pas! jamais arbuste en fleurs n'a

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promis de fruits plus rares, jamais je n'ai humé dans une atmosphère enfantine plus exquise odeur de courtisanerie.

LE DUC. Sacrebleu! je ne vois pas le signal. Il faut pourtant que j'aille au bal chez Nasi : c'est aujourd'hui qu'il marie sa fille.

GIOMO. Allons au pavillon, monseigneur. Puisqu'il ne s'agit que d'emporter une fille qui est à moitié payée, nous pouvons bien taper aux carreaux.

LE DUC. Viens par ici, le Hongrois a raison. (ils s'éloignent. - Entre Maffio.)

MAFFIO. Il me semblait dans mon rêve voir ma soeur traverser notre jardin, tenant une lanterne sourde, et couverte de pierreries. je me suis éveillé en sursaut. Dieu sait que ce n'est qu'une illusion, mais une illusion trop forte pour que le sommeil ne s'enfuie pas devant elle.

Grâce au Ciel, les fenêtres du pavillon où couche la petite sont fermées comme de coutume ; j'aperçois faiblement la lumière de sa lampe entre les feuilles de notre vieux figuier. Maintenant mes folles terreurs se dissipent ; les battements précipités de mon coeur font place à une douce tranquillité. Insensé! mes yeux se remplissent de larmes, comme si ma pauvre soeur avait couru un véritable danger. - Qu'entends-je ? Qui remue là entre les branches? (La soeur de Maffio passe dans l'éloignement.) Suis-je éveillé? c'est le fantôme de ma soeur. Il tient une lanterne sourde, et un collier brillant étincelle sur sa poitrine aux rayons de la lune. Gabrielle ! Gabrielle ! où vas-tu ? (Rentrent Giomo et le duc.)

GIOMO. Ce sera le bonhomme de frère pris de somnambulisme. - Lorenzo conduira votre belle au palais par la petite porte ; et quant à nous, qu'avons-nous à craindre?

MAFFIO. Qui êtes-vous ? Holà ! arrêtez ! (Il tire son épée.) GIOMO. Honnête rustre, nous sommes tes amis.

MAFFIO. Où est ma soeur? que cherchez-vous ici ?

GIOMO. Ta soeur est dénichée, brave canaille. Ouvre la grille de ton jardin.

MAFFIO. Tire ton épée et défends-toi, assassin que tu es !

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GIOMO saute sur lui et le désarme. Halte-là ! maître sot, pas si vite!

MAFFIO. ô honte ! ô excès de misère ! S'il y a des lois à Florence, si quelque justice vit encore sur la terre, par ce qu'il y a de vrai et de sacré au monde, je me jetterai aux pieds du duc, et il vous fera pendre tous les deux.

GIOMO. Aux pieds du duc ?

MAFFIO. Oui, oui, je sais que les gredins de votre espèce égorgent impunément les familles. Mais que je meure, entendez-vous, je ne mourrai pas silencieux comme tant d'autres. Si le duc ne sait pas que sa ville est une forêt pleine de bandits, pleine d'empoisonneurs et de filles déshonorées, en voilà un qui le lui dira. Ah ! massacre! ah ! fer et sang!

j'obtiendrai justice de vous.

GIOMO, l'épée à la main. Faut-il frapper, Altesse?

LE DUC. Allons donc ! frapper ce pauvre homme ! Va te recoucher, mon ami ; nous t'enverrons demain quelques 90 ducats. (Il sort.)

MAFFIO. C'est Alexandre de Médicis !

GIOMO. Lui-même, mon brave rustre. Ne te vante pas de sa visite si tu tiens à tes oreilles. (II sort.)

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SCENE 2

Une rue. - Le point du jour. - Plusieurs masques sortent d'une maison illuminée.

Un marchand de soieries et un orfèvre ouvrent leurs boutiques.

LE MARCHAND DE SOIERIES. Hé, hé, père Mondella, voilà bien du vent pour mes étoffes. (Il étale ses pièces de soie.)

L'ORFEVRE, bâillant. C'est à se casser la tête ! Au diable leur noce ! Je n'ai pas fermé l'oeil de la nuit.

LE MARCHAND. Ni ma femme non plus, voisin; la chère âme s'est tournée et retournée comme une anguille. Ah ! dame ! quand on est jeune, on ne s'endort pas au bruit des violons.

L'ORFEVRE. Jeune! jeune! Cela vous plaît à dire. On n'est pas jeune avec une barbe comme celle-là ; et cependant Dieu sait si leur damnée musique me donne envie de danser. (Deux écoliers passent.)

PREMIER ECOLIER. Rien n'est plus amusant. On se glisse contre la porte au milieu des soldats, et on les voit descendre avec leurs habits de toutes les couleurs.

Tiens! voilà la maison des Nasi. (Il souffle dans ses doigts.) Mon portefeuille me glace les mains.

DEUXIEME ECOLIER. Et on nous laissera approcher?

PREMIER ECOLIER. En vertu de quoi est-ce qu'on nous en empêcherait? Nous sommes citoyens de Florence. Regarde tout ce monde autour de la porte ; en voilà des chevaux, des pages et des livrées ! Tout cela va et vient, il n'y a qu'à s'y connaître un peu ; je suis capable de nommer toutes les personnes d'importance ; on observe bien tous les costumes, et le soir on dit à l'atelier : j'ai une terrible envie de dormir, j'ai passé la nuit au bal chez le prince Aldobrandini, chez le comte Salviati; le prince était habillé de telle ou telle façon, la princesse de telle autre, et on ne ment pas. Viens, prends ma cape par-derrière. (Ils se placent contre la porte de la maison.)

L'ORFEVRE. Entendez-vous les petits badauds ? je voudrais qu'un de mes apprentis fît un pareil métier!

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LE MARCHAND. Bon, bon, père Mondella, où le plaisir ne coûte rien, la jeunesse n'a rien à perdre. Tous ces grands yeux étonnés de ces petits polissons me réjouissent le coeur. - Voilà comme j'étais, humant l'air et cherchant les nouvelles. Il paraît que la Nasi est une belle gaillarde, et que le Martelli est un heureux garçon. C'est une famille bien florentine celle-là ! Quelle tournure ont tous ces grands seigneurs! j'avoue que ces fêtes-là me font plaisir, à moi. On est dans son lit bien tranquille, avec un coin de ses rideaux retroussé; on regarde de temps en temps les lumières qui vont et viennent dans le palais ; on attrape un petit air de danse sans rien payer, et on se dit : Hé, hé, ce sont mes étoffes qui dansent, mes belles étoffes du bon Dieu, sur le cher corps de tous ces braves et loyaux seigneurs.

L'ORFEVRE. Il en danse plus d'une qui n'est pas payée, voisin; ce sont celles-là qu'on arrose de vin et qu'on frotte sur les murailles avec le moins de regret. Que les grands seigneurs s'amusent, c'est tout simple, - ils sont nés pour cela. Mais il y a des amusements de plusieurs sortes, entendez-vous ?

LE MARCHAND. Oui, oui, comme la danse, le cheval, le jeu de paume et tant d'autres. Qu'entendez-vous vous même, père Mondella?

L'ORFEVRE. Cela suffit ; - je me Comprends. - C'est-à-dire que les murailles de tous ces palais-là n'ont jamais mieux prouvé leur solidité.

Il leur fallait moins de force pour défendre les aïeux de l'eau du ciel, qu'il ne leur en faut pour soutenir les fils quand ils sont trop pris de leur vin.

LE MARCHAND. Un verre de vin est de bon conseil, père Mondella.

Entrez donc dans ma boutique, que je vous montre une pièce de velours.

L'ORFEVRE. Oui, de bon conseil et de bonne mine, voisin ; un bon verre de vin vieux a une bonne mine au bout d'un bras qui a sué pour le gagner ; on le soulève gaiement d'un petit coup ; et il s'en va donner du courage au coeur de l'honnête homme qui travaille pour sa famille.

Mais ce sont des tonneaux sans vergogne que tous ces godelureaux de la cour. A qui fait-on plaisir, en s'abrutissant jusqu'à la bête féroce ? A personne, pas même à soi, et à Dieu encore moins.

LE MARCHAND. Le carnaval a été rude, il faut l'avouer ; et leur maudit ballon m'a gâté de la marchandise pour une cinquantaine de florins. Dieu merci ! les Strozzi ont payé.

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L'ORFEVRE. Les Strozzi ! Que le ciel confonde ceux qui ont osé porter la main sur leur neveu! Le plus brave homme de Florence, c'est Philippe Strozzi.

LE MARCHAND. Cela n'empêche pas Pierre Strozzi d'avoir traîné son maudit ballon sur ma boutique et de m'avoir fait trais grandes taches dans une aune de velours brodé. A propos, père vondella, nous verrons- nous à Montolivet?

L'ORFEVRE. Ce n'est pas mon métier de suivre les foires; j'irai cependant à Montolivet par piété. C'est un saint pèlerinage, voisin, et qui remet tous les péchés.

LE MARCHAND. Et qui est tout à fait vénérable, voisin, et qui fait gagner les marchands plus que tous les autres jours de l'année. C'est plaisir de voir ces bonnes dames, sortant de la messe, manier et examiner toutes les étoffes. Que Dieu conserve Son Altesse ! La cour est une belle chose.

L'ORFEVRE. La Cour! le peuple la porte sur le dos, voyez-vous ! Florence était encore (il n'y a pas longtemps de cela) une bonne maison bien bâtie; tous ces grands palais, qui sont les logements de nos grandes familles, en étaient les colonnes. Il n'y en avait pas une, de toutes ces colonnes, qui dépassât les autres d'un pouce ; elles soutenaient à elles toutes une vieille voûte bien cimentée, et nous nous promenions là- dessous sans crainte d'une pierre sur la tête. Mais il y a de par le monde deux architectes mal avisés qui ont gâté l'affaire, je vous le dis en confidence, c'est le pape et l'empereur Charles. L'empereur a commencé par entrer par une assez bonne brèche dans la susdite maison. Après quoi, ils ont jugé à propos de prendre une des colonnes dont je vous parle, à savoir celle de la famille Médicis, et d'en faire un clocher, lequel clocher a poussé comme un champignon de malheur dans l'espace d'une nuit. Et puis, savez-vous, voisin, comme l'édifice branlait au vent, attendu qu'il avait la tête trop lourde et une jambe de moins, on a remplacé le pilier devenu clocher par un gros pâté informe fait de boue et de crachat, et on a appelé cela la citadelle. Les Allemands se sont installés dans ce maudit trou comme des rats dans un fromage ; et il est bon de savoir que tout en jouant aux dés et en buvant leur vin aigrelet, ils ont l'oeil sur nous autres. Les familles florentines ont beau crier, le peuple et les marchands ont beau dire, les Médicis gouvernent au moyen de leur garnison ; ils nous dévorent comme une excroissance vénéneuse dévore un estomac malade; c'est en vertu des hallebardes qui se

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promènent sur la plate-forme, qu'un bâtard, une moitié de Médicis, un butor que le ciel avait fait pour être garçon boucher ou valet de charrue, couche dans le lit de nos filles, boit nos bouteilles, Casse nos vitres ; et encore le paye-t-on pour cela.

LE MARCHAND. Peste ! peste ! Comme vous y allez! Vous avez l'air de savoir tout cela par coeur ; il ne ferait pas bon dire cela dans toutes les oreilles, voisin Mondella.

L'ORFEVRE. Et quand on me bannirait comme tant d'autres ! On vit à Rome aussi bien qu'ici. Que le diable emporte la noce, ceux qui y dansent et ceux qui la font ! ( Il rentre. Le marchand se mêle aux curieux. - Passe un bourgeois avec sa femme.)

LA FEMME. Guillaume Martelli est un bel homme, et riche. C'est un bonheur pour Nicolo Nasi d'avoir un gendre comme celui-là. Tiens, le bal dure encore. Regarde donc toutes ces lumières.

LE BOURGEOIS. Et nous, notre fille, quand la marierons-nous?

LA FEMME. Comme tout est illuminé ! danser encore à l'heure qu'il est, c'est là une jolie fête ! - On dit que le duc y est.

LE BOURGEOIS. Faire du jour la nuit, et de la nuit le jour, c'est un moyen commode de ne pas voir les honnêtes gens. Une belle invention, ma foi, que des hallebardes à la porte d'une noce ! Que le bon Dieu protège la ville! Il en sort tous les jours de nouveaux, de ces chiens d'Allemands, de leur damnée forteresse.

LA FEMME. Regarde donc le joli masque. Ah ! la belle robe ! Hélas ! tout cela coûte très cher, et nous sommes bien pauvres, à la maison. (Ils sortent.)

UN SOLDAT, au marchand. Gare ! canaille ! laisse passer les chevaux.

LE MARCHAND. Canaille toi-même, Allemand du diable ! (Le soldat le frappe de sa pique.)

LE MARCHAND, se retirant. Voilà comme on suit la Capitulation ! Ces gredins-là maltraitent les citoyens. (Il rentre chez lui.)

L'ECOLIER, à son camarade. Vois-tu celui-là qui ôte son masque ? C'est Palla Ruccellaï. Un fier luron ! Ce petit-là à côté de lui, c'est Thomas

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Strozzi, Masaccio, comme on dit.

UN PAGE, criant. Le cheval de Son Altesse!

LE SECOND ECOLIER. Allons-nous-en, voilà le duc qui sort.

LE PREMIER ECOLIER. Crois-tu qu'il va te manger? (La foule s'augmente à la porte.)

L'ECOLIER. Celui-là, c'est Nicolini celui-là, c'est le provéditeur.

(Le duc sort, vêtu en religieuse, avec Julien Salviati, habillé de même, tous deux masqués.)

LE DUC, montant à cheval. Viens-tu, julien ?

SALVIATI. Non, Altesse, pas encore. (Il lui parle à l'oreille.) LE DUC. Bien, bien, ferme!

SALVIATI. Elle est belle comme un démon. - Laissez-moi faire, si je peux me débarrasser de ma femme. (Il rentre dans le bal.)

LE DUC. Tu es gris, Salviati; le diable m'emporte, tu vas de travers.

(Il part avec sa suite.)

L'ECOLIER. Maintenant que voilà le duc parti, il n'y en a pas pour longtemps. (Les masques sortent de tous côtés.)

LE SECOND ECOLIER. Rose, vert, bleu, j'en ai plein les yeux; la tête me tourne.

UN BOURGEOIS. Il paraît que le souper a duré longtemps : en voilà deux qui ne peuvent plus se tenir. (Le provéditeur monte à cheval ; une bouteille cassée lui tombe sur l'épaule.)

LE PROVEDITEUR. Eh! ventrebleu! quel est l'assommeur, ici ?

UN MASQUE. Eh ! ne le voyez-vous pas, seigneur Corsini ? Tenez, regardez à la fenêtre ; c'est Lorenzo, avec sa robe de nonne.

LE PROVEDITEUR. Lorenzaccio, le diable soit de toi, tu as blessé mon cheval. (La fenêtre se ferme. ) Peste soit de l'ivrogne et de ses farces silencieuses ! un gredin qui n'a pas souri trois fois dans sa vie, et

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qui passe le temps à des espiègleries d'écolier en vacance ! (il sort. - Louise Strozzi sort de la maison, accompagnée de Julien Salviati ; il lui tient l'étrier. Elle monte à cheval ; un écuyer et une gouvernante la suivent.)

SALVIATI. La jolie jambe, chère fille ! Tu es un rayon de soleil, et tu as brûlé la moelle de mes os.

LOUISE. Seigneur, Ce n'est pas là le langage d'un cavalier.

SALVIATI. Quels yeux tu as, mon cher coeur! quelle belle épaule à essuyer, tout humide et si fraîche! Que faut-il te donner pour être ta camériste cette nuit? Le joli pied à déchausser!

Louise. Lâche mon pied, Salviati.

SALVIATI. Non, par le corps de Bacchus! jusqu'à ce que tu m'aies dit quand nous coucherons ensemble. (Louise frappe son cheval et part au galop.)

UN MASQUE, à Salviati. La petite Strozzi s'en va rouge comme la braise ; - vous l'avez fâchée, Salviati.

SALVIATI. Baste! colère de jeune fille, et pluie du matin... (Il sort.)

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SCENE 3

Chez le marquis de Cibo.

Le Marquis, en habit de voyage ; la Marquise ; Ascania ; le cardinal Cibo, assis.

LE MARQUIS, embrassant son fils. Je voudrais pouvoir t'emmener, petit, toi et ta grande épée qui te traîne entre les jambes. Prends patience, Massa n'est pas bien loin, et je te rapporterai un bon cadeau.

LA MARQUISE. Adieu, Laurent; revenez, revenez!

LE CARDINAL. Marquise, Voilà des pleurs qui sont de trop. Ne dirait- on pas que mon frère part pour la Palestine? il ne court pas grand danger dans ses terres, je crois.

LE MARQUIS. Mon frère, ne dites pas de mal de ces belles larmes.

(il embrasse sa femme.)

LE CARDINAL. Je voudrais seulement que l'honnêteté n'eût pas cette apparence.

LA MARQUISE. L'honnêteté n'a-t-elle point de larmes, monsieur le cardinal ? sont-elles toutes au repentir ou à la crainte ?

LE MARQUIS. Non, par le ciel! Car les meilleurs sont à l'amour.

N'essuyez pas celles-ci sur mon visage ; le vent s'en chargera en route : qu'elles se sèchent lentement! Eh bien ! ma chère, vous ne me dites rien pour vos favoris? N'emporterai-je pas, comme de coutume, quelque belle harangue sentimentale à faire de votre part aux roches et aux cascades de mon vieux patrimoine?

LA MARQUISE. Ah! mes pauvres cascatelles!

LE MARQUIS. C'est la vérité, ma chère âme ; elles sont toutes tristes sans vous. (Plus bas.) Elles ont été joyeuses autrefois, n'est-il pas vrai, Ricciarda?

LA MARQUISE. Emmenez-moi.

LE MARQUIS, Je le ferais si j'étais fou, et je le suis presque, avec ma vieille mine de soldat. N'en parlons plus; - ce sera l'affaire d'une

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semaine. Que ma chère Ricciarda voie ses jardins quand ils sont tranquilles et solitaires ; les pieds boueux de mes fermiers ne laisseront pas de trace dans ses allées chéries. C'est à moi de compter mes vieux troncs d'arbres qui me rappellent ton père Albéric, et tous les brins d'herbe de mes bois ; les métayers et leurs boeufs, tout cela me regarde. A la première fleur que je verrai pousser, je mets tout à la porte, et je vous emmène alors.

LA MARQUISE. La première fleur de notre belle pelouse m'est toujours chère. L'hiver est si long! Il me semble toujours que ces pauvres petites ne reviendront jamais.

ASCANIO. Quel cheval as-tu, mon père, pour t'en aller ? LE MARQUIS. Viens avec moi dans la cour, tu le verras.

(il sort. - La marquise reste seule avec le cardinal. - Un silence.)

LE CARDINAL. N'est-ce pas aujourd'hui que vous m'avez demandé d'entendre votre confession, marquise?

LA MARQUISE. Dispensez-m'en, cardinal. Ce sera pour ce soir, si votre Eminence est libre, ou demain, comme elle voudra. -

Ce moment-ci n'est pas à moi. (Elle se met à la fenêtre et fait un signe d'adieu à son mari.)

LE CARDINAL. Si les regrets étaient permis à un fidèle serviteur de Dieu, j'envierais le sort de mon frère. - Un si court voyage, si simple, si tranquille! - une visite à une de ses terres qui n'est qu'à quelques pas d'ici ! - une absence d'une semaine, - et tant de tristesse, une si douce tristesse, veux-je dire, à son départ! Heureux celui qui sait se faire aimer ainsi après sept années de mariage! N'est-ce pas sept années, marquise?

LA MARQUISE. Oui, cardinal, mon fils a six ans.

LE CARDINAL. Etiez-vous hier à la noce des Nasi ? LA MARQUISE. Oui, j'y étais.

LE CARDINAL. Et le duc en religieuse ?

LA MARQUISE. Pourquoi le duc en religieuse ?

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LE CARDINAL. On m'avait dit qu'il avait pris ce costume; il se peut qu'on m'ait trompé.

LA MARQUISE. Il l'avait en effet. Ah ! Malaspina, nous sommes dans un triste temps pour toutes les choses saintes!

LE CARDINAL. On peut respecter les choses saintes, et, dans un jour de foie, prendre le costume de certains couvents, sans aucune intention hostile à la sainte Eglise catholique.

LA MARQUISE. L'exemple est à Craindre, et non l'intention, je ne suis pas comme vous ; cela m'a révoltée. Il est vrai que je ne sais pas bien ce qui se peut et ce qui ne se peut pas, selon vos règles mystérieuses. Dieu sait où elles mènent! Ceux qui mettent les mots sur leur enclume, et qui les tordent avec un marteau et une lime, ne réfléchissent pas toujours que ces mots représentent des pensées, et ces pensées, des actions.

LE CARDINAL. Bon, bon! le duc est jeune, marquise, et gageons que cet habit coquet des nonnes lui allait à ravir.

LA MARQUISE. On ne peut mieux ; il n'y manquait que quelques gouttes de sang de son cousin, Hippolyte de Médicis.

LE CARDINAL. Et le bonnet de la Liberté, n'est-il pas vrai, petite soeur? Quelle haine pour ce pauvre duc !

LA MARQUISE. Et vous, son bras droit, cela vous est égal que le duc de Florence soit le préfet de Charles Quint, le commissaire civil du pape, comme Baccio est son commissaire religieux? Cela vous est égal, à vous, frère de mon Laurent, que notre soleil, à nous, promène sur la citadelle des ombres allemandes ? que César parle ici dans toutes les bouches ? que la débauche serve d'entremetteuse à l'esclavage, et secoue ses grelots sur les sanglots du peuple? Ah ! le clergé sonnerait au besoin toutes ses cloches pour en étouffer le bruit et pour réveiller l'aigle impérial, s'il s'endormait sur nos pauvres toits. (Elle sort.)

LE CARDINAL, Seul, soulève la tapisserie et appelle à voix basse.

Agnolo! (Entre un page.) Quoi de nouveau aujourd'hui ? AGNOLO. Cette lettre, monseigneur.

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LE CARDINAL. Donne-la-moi.

AGNOLO. Hélas! Eminence, c'est un péché.

LE CARDINAL. Rien n'est un péché quand on obéit à un prêtre de l'Eglise romaine, (Agnolo remet la lettre.) Cela est comique d'entendre les fureurs de cette pauvre marquise, et de la voir courir à un rendez- vous d'amour avec le cher tyran, toute baignée de larmes républicaines, (il ouvre la lettre et lit.) « Ou vous serez à moi, ou vous aurez fait mon malheur, le vôtre, et celui de nos deux maisons. » Le style du duc est laconique, mais il ne manque pas d'énergie. Que la marquise soit convaincue ou non, voilà le difficile à savoir. Deux mois de cour presque assidue, c'est beaucoup pour Alexandre; ce doit être assez pour Ricciarda Cibo. (il rend la lettre au page.) Remets cela chez ta maîtresse; tu es toujours muet, n'est-ce pas ? Compte sur moi, (il lui donne sa main à baiser et sort.)

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SCENE 4

Une cour du palais du Duc.

Le duc Alexandre sur une terrasse ; des pages exercent des chevaux dans la cour. Entrent Valori et sire Maurice.

LE DUC, à Valori. Votre Eminence a-t-elle reçu ce matin des nouvelles de la cour de Rome ?

VALORI. Paul III envoie mille bénédictions à votre Altesse et fait les voeux les plus ardents pour sa prospérité.

LE DUC. Rien que des voeux, Valori?

VALORI. Sa Sainteté Craint que le duc ne se crée de nouveaux dangers par trop d'indulgence. Le peuple est mal habitué à la domination absolue;

et César, à son dernier voyage, en a dit autant, je crois, à votre Altesse.

LE DUC, Voilà, pardieu, un beau cheval, sire Maurice! hé! quelle croupe de diable!

SIRE MAURICE. Superbe, Altesse.

LE DUC. Ainsi, monsieur le commissaire apostolique, il y a encore quelques mauvaises branches à élaguer. César et le pape ont fait de moi un roi; mais, par Bacchus, ils m'ont mis dans la main une espèce de sceptre qui sent la hache d'une lieue. Allons, voyons, valori, qu'est-ce que c'est?

VALORI. je suis un prêtre, Altesse; si les paroles que mon devoir me force à vous rapporter fidèlement doivent être interprétées d'une manière aussi sévère, mon coeur me défend d'y ajouter un mot.

LE DUC. Oui, oui, je vous connais pour un brave. Vous êtes, pardieu, le seul prêtre honnête homme que j'aie vu de ma vie.

VALORI. Monseigneur, l'honnêteté ne se perd ni ne se gagne sous aucun habit, et parmi les hommes il y a plus de bons que de méchants.

LE DUC. Ainsi Donc, point d'explications ?

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SIRE MAURICE, Voulez-vous que je parle, monseigneur ? tout est facile à expliquer.

LE DUC. Eh bien ?

SIRE MAURICE. Les désordres de la cour irritent le pape.

LE DUC. Que dits-tu là, toi ?

SIRE MAURICE, J'ai dit les désordres de la cour, Altesse ; les actions du duc n'ont d'autre juge que lui-même. C'est Lorenzo de Médicis que le pape réclame comme transfuge de sa justice.

LE DUC. De sa justice ? Il n'a jamais offensé de pape à ma connaissance, que Clément VII, feu mon cousin, qui, à cette heure, est en enfer.

SIRE MAURICE. Clément VII a laissé sortir de ses Etats le libertin qui, un jour d'ivresse, avait décapité les statues de l'arc de Constantin.

Paul III ne saurait pardonner au modèle titré de la débauche florentine.

LE DUC. Ah! parbleu, Alexandre Farnèse est un plaisant garçon! Si la débauche l'effarouche, que diable fait-il de son bâtard, le cher Pierre Farnèse , qui traite si joliment l'évêque de Fano? Cette mutilation revient toujours sur l'eau, à propos de ce pauvre Renzo. Moi, je trouve cela drôle, d'avoir coupé la tête à tous ces hommes de pierre, je protège les arts comme un autre, et j'ai chez moi les premiers artistes de l'Italie. Mais je n'entends au respect du pape pour ces statues qu'il excommunierait demain, si elles étaient en chair et en os.

SIRE MAURICE. Lorenzo est un athée; il se moque de tout. Si le gouvernement de votre Altesse n'est pas entouré d'un profond respect, il ne saurait être solide. Le peuple appelle Lorenzo, Lorenzaccio : on sait qu'il dirige vos plaisirs, et cela suffit.

LE DUC. Paix! tu oublies que Lorenzo de Médicis est cousin d'Alexandre. (Entre le cardinal cibo.) Cardinal, écoutez un peu ces messieurs qui disent que le pape est scandalisé des désordres de ce pauvre Renzo, et qui prétendent que cela fait tort à mon gouvernement.

LE CARDINAL. Messire Francesco Molza vient de débiter à l'Académie romaine une harangue en latin contre le mutilateur de l'arc de

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Constantin.

LE DUC. Allons donc, vous me mettriez en colère! Renzo un homme à craindre ! le plus fieffé poltron ! une femmelette, l'ombre d'un ruffian énervé ! un rêveur qui marche nuit et jour sans épée, de peur d'en apercevoir l'ombre à son côté ! d'ailleurs un philosophe, un gratteur de papiers, un méchant poète, qui ne sait seulement pas faire un sonnet ! Non, non, je n'ai pas encore peur des ombres. Eh ! corps de Bacchus ! que me font les discours latins et les quolibets de ma canaille ! j'aime Lorenzo, moi, et, par la mort de Dieu, il restera ici.

LE CARDINAL. Si je craignais cet homme, ce ne serait pas pour votre cour, ni pour Florence, mais pour vous, duc.

LE DUC. Plaisantez-vous, cardinal, et voulez-vous que je vous dise la vérité? (il lui parle bas.) Tout ce que je sais de ces damnés bannis, de tous ces républicains entêtés qui complotent autour de moi, c'est par Lorenzo que je le sais. Il est glissant comme une anguille ; il se fourre partout, et me dit tout. N'a-t-il pas trouvé moyen d'établir une correspondance avec tous ces Strozzi de l'enfer? Oui, certes, c'est mon entremetteur; mais croyez que son entremise, si elle nuit à quelqu'un, ne me nuira pas. Tenez! (Lorenzo paraît au fond d'une galerie basse.) Regardez-moi ce petit corps maigre, ce lendemain d'orgie ambulant.

Regardez-moi ces yeux plombés, ces mains fluettes et maladives, à peine assez fermes pour soutenir un éventail; ce visage morne, qui sourit quelquefois, mais qui n'a pas la force de rire. C'est là un homme à craindre ? Allons, allons, vous vous moquez de lui. Hé ! Renzo, viens donc ici; voilà sire Maurice qui te cherche dispute.

LORENZO, monte l'escalier de la terrasse. Bonjour, messieurs les amis de mon cousin.

LE DUC. Lorenzo, écoute ici. Voilà une heure que nous parlons de toi.

Sais-tu la nouvelle? Mon ami, on t'excommunie en latin, et sire Maurice t'appelle un homme dangereux, le cardinal aussi ; quant au bon valori, il est trop honnête pour prononcer ton nom.

LORENZO. Pour qui dangereux, Eminence? pour les filles de joie ou pour les saints du paradis?

LE CARDINAL. Les chiens de cour peuvent être pris de la rage comme les autres chiens.

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LORENZO. Une insulte de prêtre doit se faire en latin.

SIRE MAURICE. Il s'en fait en toscan, auxquelles on peut répondre.

LORENZO. Sire Maurice, je ne vous voyais pas; excusez-moi, j'avais le soleil dans les yeux; mais vous avez bon visage et votre habit me paraît tout neuf.

SIRE MAURICE. Comme votre esprit; je l'ai fait faire d'un vieux pourpoint de mon grand-père.

LORENZO. Cousin, quand vous aurez assez de quelque conquête des faubourgs, envoyez-la donc chez sire Maurice. Il est malsain de vivre sans femme, pour un homme qui a, comme lui, le cou court et les mains velues.

SIRE MAURICE. Celui qui se croit le droit de plaisanter doit savoir se défendre. A votre place, je prendrais une épée.

LORENZO. Si l'on vous a dit que j'étals un Soldat, C'est une erreur; je suis un pauvre amant de la science.

SIRE MAURICE. Votre esprit est une épée acérée, mais flexible. C'est une arme trop vile ; chacun fait usage des siennes. (il tire son épée.) VALORI. Devant le duc, l'épée nue!

LE DUC, riant. Laissez faire, laissez faire. Allons, Renzo, je veux te servir de témoin ; qu'on lui donne une épée !

LORENZO. Monseigneur, que dites-vous là ?

LE DUC. Eh bien! ta gaieté s'évanouit si vite? Tu trembles, cousin? Fi donc! tu fais honte au nom des Médicis, je ne suis qu'un bâtard, et je le porterais mieux que toi, qui es légitime ? Une épée, une épée ! un Médicis ne se laisse point provoquer ainsi. Pages, montez ici ; toute la cour le verra, et je voudrais que Florence entière y fût.

LORENZO. Son Altesse se rit de moi.

LE DUC, j'ai ri tout à l'heure, mais maintenant je rougis de honte. Une épée ! (il prend l'épée d'un page et la présente à Lorenzo.)

(19)

VALORI. Monseigneur, c'est pousser trop loin les choses. Une épée tirée en présence de votre Altesse est un crime punissable dans l'intérieur du palais.

LE DUC. Qui parle ici, quand je parle?

VALORI. Votre Altesse ne peut avoir eu autre dessein que celui de s'égayer un instant, et sire Maurice lui-même n'a point agi dans une autre pensée.

LE DUC. Et vous ne voyez pas que je plaisante encore ! Qui diable pense ici à une affaire sérieuse? Regardez Renzo, je vous en prie ; ses genoux tremblent ; il serait devenu pâle, s'il pouvait le devenir. Quelle contenance, juste Dieu ! je crois qu'il va tomber. (Lorenzo chancelle ; il s'appuie sur la balustrade et glisse à terre tout d'un coup.)

LE DUC, riant aux éclats. Quand je vous le disais ! personne ne le sait mieux que moi ; la seule vue d'une épée le fait trouver mal.

Allons! chère Lorenzetta, fais-toi emporter chez ta mère. (Les pages relèvent Lorenzo.)

SIRE MAURICE. Double poltron ! fils de catin!

LE DUC. Silence ! sire Maurice ; pesez vos paroles ; c'est moi qui vous le dis maintenant; pas de ces mots-là devant moi.

VALORI. Pauvre jeune homme ! (Sire Maurice et Valori sortent.)

LE CARDINAL, resté seul avec le duc. Vous croyez à cela, monseigneur

?

LE DUC. Je voudrais bien savoir comment je n'y croirais pas.

LE CARDINAL. Hum ! c'est bien fort.

LE DUC. C'est justement pour cela que j'y Crois. Vous figurez-vous qu'un Médicis se déshonore publiquement, par partie de plaisir ? D'ailleurs ce n'est pas la première lois que cela lui arrive ; jamais il n'a pu voir une épée.

LE CARDINAL. C'est bien fort. C'est bien fort. (Ils sortent.)

(20)

SCENE 5

Devant l'église de Saint-Miniato à Montolivet. La foule sort de l'église.

UNE FEMME, à sa voisine. Retournez-vous ce soir à Florence ?

LA VOISINE. Je ne reste jamais plus d'une heure ici, et je n'y viens jamais qu'un seul vendredi ; je ne suis pas assez riche pour m'arrêter à la foire ; ce n'est pour moi qu'une affaire de dévotion, et que cela suffise pour mon salut, c'est tout ce qu'il me faut.

UNE DAME DE LA COUR, à une autre. Comme il a bien prêché ! c'est le confesseur de ma fille. (Elle s'approche d'une boutique.) Blanc et or, cela fait bien le soir ; mais le jour, le moyen d'être propre avec cela!

(Le marchand et l'orfèvre devant leurs boutiques avec quelques cavaliers.)

L'ORFEVRE. La citadelle ! Voilà ce que le peuple ne souffrira jamais ; voir tout d'un coup s'élever sur la ville cette nouvelle tour de Babel, au milieu du plus maudit baragouin : les Allemands ne pousseront jamais à Florence, et pour les y greffer, il faudra un vigoureux lien.

LE MARCHAND. Voyez, mesdames ; que vos seigneuries acceptent un tabouret sous mon auvent.

UN CAVALIER. Tu es un vieux sang florentin, père Mondella; la haine de la tyrannie fait encore trembler tes doigts ridés sur tes ciselures précieuses, au fond de ton cabinet de travail.

L'ORFEVRE. C'est vrai, Excellence. Si j'étais un grand artiste, j'aimerais les princes, parce qu'eux seuls peuvent faire entreprendre de grands travaux ; les grands artistes n'ont pas de patrie ; moi, je fais des saints-ciboires et des poignées d'épée.

UN AUTRE CAVALIER. A propos d'artiste, ne voyez-vous pas dans ce petit cabaret ce grand gaillard qui gesticule devant des badauds ? Il frappe son verre sur la table ; si je ne me trompe, c'est ce hâbleur de Cellini.

LE PREMIER CAVALIER. Allons-y donc, et entrons ; avec un verre de vin dans la tête, il est curieux à entendre, et probablement quelque bonne histoire est en train. (Ils sortent. - Deux bourgeois s'assoient.)

(21)

PREMIER BOURGEOIS. Il y a eu une émeute à Florence ?

DEUXIEME BOURGEOIS. Presque rien. - Quelques pauvres jeunes gens ont été tués sur le vieux-Marché .

PREMIER BOURGEOIS. Quelle pitié pour les familles !

DEUXIEME BOURGEOIS. Voilà des malheurs inévitables. Que voulez- vous que fasse la jeunesse d'un gouvernement comme le nôtre ? On vient crier à son de trompe que César est à Bologne; et les badauds répètent :

«César est à Bologne», en clignant des yeux d'un air d'importance, sans réfléchir à ce qu'on y fait. Le jour suivant, ils sont plus heureux encore d'apprendre et de répéter : « Le pape est à Bologne avec César. » Que s'ensuit-il ? Une réjouissance publique, ils n'en voient pas davantage ; et puis un beau matin ils se réveillent tout engourdis des fumées du vin impérial, et ils voient une figure sinistre à la grande fenêtre du palais des Pazzi. lls demandent quel est ce personnage, et on leur répond que c'est leur roi. Le pape et l'empereur sont accouchés d'un bâtard qui a droit de vie et de mort sur nos enfants, et qui ne pourrait pas nommer sa mère.

L'ORFEVRE, S'approchant. vous parlez en patriote, ami ; je vous conseille de prendre garde à ce flandrin. (Passe un officier allemand.) L'OFFICIER. ôtez-vous de là, messieurs; des dames veulent s'asseoir. (Deux dames de la cour entrent et s'assoient.)

PREMIERE DAME. Ceci est de Venise ?

LE MARCHAND. Oui, magnifique, Seigneurie; vous en lèverai-je quelques aunes?

PREMIERE DAME. Si tu veux. j'ai cru voir passer Julien Salviati.

L'OFFICIER. Il va et vient à la porte de l'église ; C'est un un galant.

DEUXIEME DAME. C'est un insolent. Montrez-moi des bas de soie.

L'OFFICIER. Il n'y en aura pas d'assez petits pour vous.

PREMIERE DAME. Laissez donc ; vous ne savez que dire. Puisque vous voyez julien, allez lui dire que j'ai à lui parler.

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L'OFFICIER. J'y vais, et je le ramène. (Il sort.)

PREMIERE DAME. Il est bête à faire plaisir, ton officier ; que peux- tu faire de cela?

DEUXIEME DAME. Tu sauras qu'il n'y a rien de mieux que cet homme-là. (Elles s'éloignent. - Entre le prieur de Capoue.)

LE PRIEUR. Donnez-moi un verre de limonade, brave homme.

(Il s'assoit.)

UN DES BOURGEOIS. Voilà le prieur de Capoue ; c'est là un patriote ! (Les deux bourgeois se rassoient.)

LE PRIEUR. Vous venez de l'église, messieurs? que dites-vous du sermon?

LE BOURGEOIS. Il était beau, seigneur prieur.

DEUXIEME BOURGEOIS, à l'orfèvre. Cette noblesse des Strozzi est chère au peuple, parce qu'elle n'est pas fière. N'est-il pas agréable de voir un grand seigneur adresser librement la parole à ses voisins d'une manière affable ? Tout cela lait plus qu'on ne pense.

LE PRIEUR. S'il faut parler franchement, j'ai trouvé le sermon trop beau; j'ai prêché quelquefois, et je n'ai jamais tiré grande gloire du tremblement des vitres. Mais une petite arme sur la joue d'un brave homme m'a toujours été d'un grand prix. (Entre Salviati.)

SALVIATI. On m'a dit qu'il y avait ici des femmes qui me demandaient tout à l'heure. Mais je ne vois de robe ici que la vôtre, prieur. Est-ce que je me trompe?

LE MARCHAND. Excellence, on ne vous a pas trompé.

Elles se sont éloignées ; mais je pense qu'elles vont revenir. voilà dix aunes d'étoffes et quatre paires de bas pour elles.

SALVIATI, s'asseyant. Voilà une jolie femme qui passe. Où diable l'ai-je donc vue ? - Ah ! parbleu, c'est dans mon lit.

LE PRIEUR, au bourgeois. Je crois avoir vu votre signature sur une lettre adressée au duc.

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LE BOURGEOIS. Je le dis tout haut; c'est la supplique adressée par les bannis.

LE PRIEUR. En avez-vous dans votre famille ?

LE BOURGEOIS. Deux, Excellence : mon père et mon oncle ; il n'y a plus que moi d'homme à la maison.

LE DEUXIEME BOURGEOIS, à l'orfèvre. Comme ce Salviati a une méchante langue !

L'ORFEVRE. Cela n'est pas étonnant : un homme à moitié ruiné, Vivant des générosités de ces Médicis, et marié comme il l'est à une femme déshonorée partout ! Il voudrait qu'on dît de toutes les femmes ce qu'on dit de la sienne.

SALVIATI. N'est-ce pas Louise Strozzi qui passe sur ce tertre ? LE MARCHAND. Elle-même, Seigneurie. Peu des dames de noire noblesse me sont inconnues. Si je ne me trompe, elle donne la main à sa soeur cadette.

SALVIATI, J'ai rencontré cette Louise la nuit dernière au bal de Nasi; elle a, ma foi, une jolie jambe, et nous devons coucher ensemble au premier jour.

LE PRIEUR, se retournant. Comment l'entendez-vous?

SALVIATI. Cela est clair, elle me l'a dit. je lui tenais l'étrier, ne pensant guère à malice ; je ne sais par quelle distraction je lui pris la jambe, et voilà comme tout est venu.

LE PRIEUR. Julien, je ne sais pas si tu sais que c'est de ma soeur que tu parles.

SALVIATI. Je le sais très bien ; toutes les femmes sont faites pour coucher avec les hommes, et ta soeur peut bien coucher avec moi.

LE PRIEUR, se lève. Vous dois-je quelque chose, brave homme ? (Il jette une pièce de monnaie.sur la table et sort.)

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SALVIATI. J'aime beaucoup ce brave prieur, à qui un propos sur sa soeur fait oublier le reste de son argent. Ne dirait-on pas que toute la vertu de Florence j'est réfugiée chez ces Strozzi ? Le voilà qui se retourne. Ecarquille les yeux tant que tu voudras, tu ne me feras pas peur. (Il sort.)

(25)

SCENE 6 Le bord de l'Arno.

Marie soderini, Catherine.

CATHERINE. Le soleil commence à baisser. De larges bandes de pourpre traversent le feuillage, et la grenouille l'ait sonner sous les roseaux sa petite cloche de cristal.

C'est une singulière chose que toutes les harmonies du soir, avec le bruit lointain de cette ville.

MARIE. Il est temps de rentrer ; noue ton voile autour de ton cou.

CATHERINE. Pas encore, à moins que vous n'ayez froid. Regardez, ma mère chérie ; que le ciel est beau! que tout cela est vaste et tranquille ! comme Dieu est partout ! Mais vous baissez la tête ; vous êtes inquiète depuis ce matin.

MARIE. Inquiète, non, mais affligée. N'as-tu pas entendu répéter cette fatale histoire de Lorenzo? Le voilà la fable de Florence.

CATHERINE. ô ma mère, la lâcheté n'est point un crime ; le courage n'est pas une vertu. Pourquoi la faiblesse est-elle blâmable? Répondre des battements de son coeur est un triste privilège ; Dieu seul peut le rendre noble et digne d'admiration. Et pourquoi cet enfant n'aurait-il pas le droit que nous avons toutes, nous autres femmes ? Une femme qui n'a peur de rien n'est pas aimable, dit-on.

MARIE. Aimerais-tu un homme qui a peur? Tu rougis, Catherine ; Lorenzo est ton neveu, tu ne peux pas l'aimer. Mais figure-toi qu'il s'appelle de tout autre nom, qu'en penserais-tu? Quelle femme voudrait s'appuyer sur son bras pour monter à cheval? quel homme lui serrerait la main?

CATHERINE. Cela est triste et cependant ce n'est pas de cela que je le plains. Son coeur n'est peut-être pas celui d'un Médicis ; mais, hélas c'est encore moins celui d'un honnête homme.

MARIE. N'en parlons pas, Catherine; - il est assez cruel pour une mère de ne pouvoir parler de son fils.

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CATHERINE. Ah! cette Florence! c'est là qu'on l'a perdu. N'ai-je vu briller quelquefois dans ses yeux le feu d'une noble ambition ? Sa jeunesse n'a-t-elle pas été l'aurore d'un soleil levant? Et souvent encore aujourd'hui il me semble qu'un éclair rapide... - je me dis malgré moi que tout n'est pas mort en lui.

MARIE. Ah ! tout cela est un abîme. Tant de facilité, un si doux amour de la solitude ! Ce ne sera jamais un guerrier que mon Renzo, disais-je en le voyant rentrer de son collège, tout baigné de sueur, avec ses gros livres sous le bras ; mais un saint amour de la vérité brillait sur ses lèvres et dans ses yeux noirs ; il lui fallait s'inquiéter de tout, dire sans cesse : « Celui-là est pauvre, celui-là est ruiné; comment faire ?» Et cette admiration pour les grands hommes de son Plutarque! Catherine, Catherine, que de fois je l'ai baisé au front, en pensant au père de la patrie !

CATHERINE. Ne vous affligez pas.

MARIE. Je dis que je ne veux pas parler de lui, et j'en parle sans cesse. Il y a de certaines choses, vois-tu, les mères ne s'en taisent que dans le silence éternel. Que mon fils eût été un débauche vulgaire ; que le sang des Soderini eût été pâle dans cette faible goutte tombée de mes veines, je ne me désespérerais pas ; mais j'ai espéré, et j'ai eu raison de le faire. Ah ! Catherine, il n'est même plus beau ; comme une fumée malfaisante, la souillure de son coeur lui est montée au visage. Le sourire, ce doux épanouissement qui rend la jeunesse semblable aux fleurs, s'est enfui de ses joues couleur de soufre, pour y laisser grommeler une ironie ignoble, et le mépris de tout.

CATHERINE. Il est encore beau quelquefois dans sa mélancolie étrange.

MARIE. Sa naissance ne l'appelait-elle pas au trône? N'aurait-il pas pu y faire monter un jour avec lui la science d'un docteur, la plus belle jeunesse du monde, et couronner d'un diadème d'or tous mes songes chéris ? Ne devais-je pas m'attendre à cela ? Ah ! Cattina, pour dormir tranquille, il faut n'avoir jamais fait certains rêves. Cela est trop cruel d'avoir vécu dans un palais de fées, où murmuraient les cantiques des anges, de s'y être endormie, bercée par son fils, et de se réveiller dans une masure ensanglantée, pleine de débris d'orgie et de restes humains, dans les bras d'un spectre hideux qui vous tue en vous appelant encore du nom de mère.

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CATHERINE. Des ombres silencieuses commencent à marcher sur la route ; rentrons, Marie, tous ces bannis me font peur.

MARIE. Pauvres gens ! ils ne doivent que faire pitié ! Ah ! ne puis-je voir un seul objet qu'il ne m'entre une épine dans le coeur? Ne puis-je plus ouvrir les yeux? Hélas! ma Cattina, ceci est encore l'ouvrage de Lorenzo.

Tous ces pauvres bourgeois ont eu confiance en lui ; il n'en est pas un, parmi tous ces pères de famille chassés de leur patrie, que mon fils n'ait pas trahi. Leurs lettres, signées de leur nom, sont montrées au duc.

C'est ainsi qu'il fait tourner à un infâme usage jusqu'à la glorieuse mémoire de ses aïeux. Les républicains s'adressent à lui comme à l'antique rejeton de leur protecteur; sa maison leur est ouverte, les Strozzi eux-mêmes y viennent. Pauvre Philippe ! il y aura une triste fin pour tes cheveux gris ! Ah ! ne puis-je voir une fille sans pudeur, un malheureux privé de sa famille, sans que tout cela ne me crie : Tu es la mère de nos malheurs ! Quand serai-je là ? (Elle frappe la terre.)

CATHERINE. Ma pauvre mère, vos larmes se gagnent.

(Elles s'éloignent. - le soleil est couché. - Un groupe de bannis se forme au milieu d'un champ.)

UN DES BANNIS. Où allez-vous ? UN AUTRE. A Pise ; et vous?

LE PREMIER. A Rome.

UN AUTRE. Et moi à Venise ; en voilà deux qui vont à Ferrare ; que deviendrons-nous ainsi éloignés les uns des autres ?

UN QUATRIEME. Adieu, voisin, à des temps meilleurs. (il s'en va.)

LE SECOND. Adieu; pour nous, nous pouvons aller ensemble jusqu'à la croix de la vierge. (il sort avec un autre. - Arrive Maffio.)

LE PREMIER BANNI. C'est toi, Maffio ? Par quel hasard es-tu ici ? MAFFIO. Je suis des vôtres. Vous saurez que le duc a enlevé ma soeur;

j'ai tiré l'épée ; une espèce de tigre avec des membres de fer s'est jeté à mon cou, et m'a désarmé ; après quoi j'ai reçu l'ordre de sortir de la ville, et une bourse à moitié pleine de ducats.

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LE SECOND BANNI. Et ta soeur, où est-elle ?

MAFFIO. On me l'a montrée ce soir sortant du spectacle, dans une robe comme n'en a pas l'impératrice ; que dieu lui pardonne ! Une Vieille l'accompagnait, qui a laissé trois de ses dents à la sortie. jamais je n'ai donné de ma vie un coup de poing qui m'ait fait ce plaisir-là.

LE TROISIEME BANNI. Qu'ils crèvent tous dans leur fange crapuleuse, et nous mourrons contents.

LE QUATRIEME. Philippe Strozzi nous écrira à Venise ; quelque jour nous serons tous étonnés de trouver une armée à nos ordres.

LE TROISIEME. Que Philippe vive longtemps ! Tant qu'il y aura un cheveu sur sa tête, la liberté de l'Italie n'est pas morte. (Une partie du groupe se détache ; tous les bannis s'embrassent.)

UNE VOIX. A des temps meilleurs.

UNE AUTRE. A des temps meilleurs. (Deux bannis montent sur une plate-forme d'où l'on découvre la ville.)

LE PREMIER. Adieu, Florence, peste de l'Italie; adieu, mère stérile, qui n'as plus de lait pour tes enfants.

LE SECOND. Adieu, Florence la bâtarde, spectre hideux de l'antique Florence ; adieu, fange sans nom.

TOUS LES BANNIS. Adieu, Florence ! maudites soient les mamelles de tes femmes ! maudits soient tes sanglots! maudites les prières de tes églises, le pain de tes blés, l'air de tes rues ! Malédiction sur la dernière goutte de ton sang corrompu!

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ACTE II SCENE PREMIERE chez les strozzi.

PHILIPPE, dans son cabinet. Dix citoyens bannis dans ce quartier-ci seulement ! le vieux Galeazzo et le petit Maffio bannis! sa soeur corrompue, devenue une fille publique en une nuit ! Pauvre petite ! Quand l'éducation des basses classes sera-t-elle assez forte pour empêcher les petites filles de rire lorsque leurs parents pleurent?

La corruption est-elle donc une loi de nature ? Ce qu'on appelle la vertu, est-ce donc l'habit du dimanche qu'on met pour aller à la messe ? le reste de la semaine, on est à la croisée, et, tout en tricotant, on regarde les jeunes gens passer. Pauvre humanité! quel nom portes-tu donc? celui de ta race, au celui de ton baptême? Et nous autres vieux rêveurs, quelle tache originelle avons-nous lavée sur la face humaine depuis quatre ou cinq mille ans que nous jaunissons avec nos livres ? Qu'il t'est facile à toi, dans le silence du cabinet, de tracer d'une main légère une ligne mince et pure comme un cheveu sur ce papier blanc ! qu'il t'est facile de bâtir des palais et des villes avec Le petit compas et un peu d'encre ! Mais l'architecte, qui a dans son pupitre des milliers de plans admirables, ne peut soulever de terre le premier pavé de son édifice, quand il vient se mettre à l'ouvrage avec son dos voûté et ses idées obstinées. Que le bonheur des hommes ne soit qu'un rêve, cela est pourtant dur, que le mal soit irrévocable, éternel, impossible à changer, non ! Pourquoi le philosophe qui travaille pour tous regarde-t-il autour de lui? voilà le tort. Le moindre insecte qui passe devant ses yeux lui cache le soleil ; allons-y donc plus hardiment ; la république, il nous faut ce mot-là. Et quand ce ne serait qu'un mot, c'est quelque chose, puisque les peuples se lèvent quand il traverse l'air. Ah! bonjour, Léon.

(Entre le prieur de Capoue.)

LE PRIEUR. Je viens de la foire de Montolivet.

PHILIPPE. Etait-ce beau? Te voilà aussi, Pierre ? Assois-toi donc; j'ai à te parler. (Entre Pierre Strozzi.)

LE PRIEUR. C'était très beau, et je m'y suis assez amusé, sauf certaine contrariété un peu trop forte que j'ai quelque peine à digérer.

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PIERRE. Bah! qu'est-ce donc?

LE PRIEUR. Figurez-vous que j'étais entré dans Une boutique pour prendre un verre de limonade. - Mais non, cela est inutile, je suis un sot de m'en souvenir.

PHILIPPE. Que diable as-tu sur le coeur? tu parles comme une âme en peine.

LE PRIEUR. Ce n'est rien qu'un méchant propos, rien de plus. Il n'y a aucune importance à attacher à tout cela.

PIERRE. Un propos? sur qui? sur toi ?

LE PRIEUR. Non pas sur moi précisément. je me soucierais bien d'un propos sur moi.

PIERRE. Sur qui donc, allons, parle, si tu veux.

LE PRIEUR. J'ai tort ; on ne se souvient pas de ces choses-là quand on sait la différence d'un honnête homme à un Salviati.

PIERRE. Salviati? Qu'a dit Cette Canaille ?

LE PRIEUR. C'est un misérable, tu as raison. Qu'importe ce qu'il peut dire! Un homme sans pudeur, un valet de cour, qui, à ce qu'on raconte, a pour femme la plus grande dévergondée ! Allons, voilà qui est fait, je n'y penserai pas davantage.

PIERRE. Pense-y et parle, Léon; C'est-à-dire que cela me démange de lui couper les oreilles. De qui a-t-il médit ? De nous? De mon père ? Ah ! sang du Christ, je ne l'aime guère, ce Salviati. Il faut que je sache cela, entends-tu?

LE PRIEUR. Si tu y tiens, je te te dirai. Il s'est exprimé devant moi, dans une boutique, d'une manière vraiment offensante sur le compte de notre soeur.

PIERRE. ô mon Dieu ! Dans quelles termes ? Allons, parle donc ! LE PRIEUR. Dans les termes les plus grossiers.

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PIERRE. Diable de prêtre que tu es ! tu me vois hors de moi d'impatience, et tu cherches tes mots! Dis les choses comme elles sont parbleu, un mot est un mot ; il n'y a pas de bon Dieu qui tienne.

PHILIPPE. Pierre, Pierre ! tu manques à ton frère.

LE PRIEUR. Il a dit qu'il coucherait avec elle, voilà son mot, et qu'elle le lui avait promis.

PIERRE. Qu'elle couch... Ah ! mort de mort, de mille morts! Quelle heure est-il ?

PHILIPPE. Où vas-tu? allons es-tu fait de Salpêtre? Qu'as-tu à faire de cette épée? tu en as une au côté.

PIERRE. Je n'ai rien à faire ; allons dîner, le dîner est servi.

(Ils sortent.)

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SCENE 2

Le portail d'une église.

Entrent Lorenzo et Valori.

VALORI. Comment se fait-il que le duc n'y vienne pas ? Ah ! monsieur, quelle satisfaction pour un chrétien que ces pompes magnifiques de l'Eglise romaine! quel homme peut y être insensible? L'artiste ne trouve- t-il pas là le paradis de son coeur? le guerrier, le prêtre et le marchand n'y rencontrent-ils pas tout ce qu'ils aiment?

Cette admirable harmonie des orgues, ces tentures éclatantes de velours et de tapisserie, ces tableaux des premiers maîtres, les parfums tièdes et suaves que balancent les encensoirs, et les chants délicieux de ces voix argentines, tout cela peut choquer, par son ensemble mondain, le moine sévère et ennemi du plaisir. Mais rien n'est plus beau, selon moi, qu'une religion qui se fait aimer par de pareils moyens. Pourquoi les prêtres voudraient-ils servir un Dieu jaloux ? La religion n'est pas un oiseau de proie ; c'est une colombe compatissante qui plane doucement sur tous les rêves et sur tous les amours.

LORENZO. Sans doute ce que vous dites là est parfaitement vrai, et parfaitement faux, comme tout au monde.

TEBALDEO FRECCIA, s'approchant de Valori. Ah! monseigneur, qu'il est doux de voir un homme tel que votre Eminence parler ainsi de la tolérance et de l'enthousiasme sacré! Pardonnez à un citoyen obscur, qui brûle de ce feu divin, de vous remercier de ce peu de paroles que je viens d'entendre. Trouver sur les lèvres d'un honnête homme ce qu'on a soi- même dans le coeur, c'est le plus grand des bonheurs qu'on puisse désirer.

VALORI. N'êtes-vous pas le petit Freccia?

TEBALDEO. Mes ouvrages ont peu de mérite; je sais mieux aimer les arts que je ne sais les exercer. Mais ma jeunesse tout entière s'est passée dans les églises. Il me semble que je ne puis admirer ailleurs Raphaël et notre divin Buonarotti. je demeure alors durant des journées devant leurs ouvrages, dans une extase sans égale. Le chant de l'orgue me révèle leur pensée, et me fait pénétrer dans leur âme ; je regarde les personnages de leurs tableaux si saintement agenouillés, et j'écoute, comme si les cantiques du choeur sortaient de leurs bouches entrouvertes ; des bouffées d'encens aromatiques passent entre eux et

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moi dans une vapeur légère; je crois y voir la gloire de l'artiste ; c'est aussi une triste et douce fumée, et qui ne serait qu'un parfum stérile, si elle ne montait à Dieu.

VALORI. Vous êtes un vrai coeur d'artiste ; Venez à mon palais, et ayez quelque chose sous votre manteau quand vous y viendrez, je veux que vous travailliez pour moi.

TEBALDEO. C'est trop d'honneur que me fait Votre Eminence. je suis un desservant bien humble de la sainte religion de la peinture.

LORENZO. Pourquoi remettre vos Ordres de Service?

Vous avez, il me semble, un cadre dans les mains.

TEBALDEO. Il est vrai ; mais je n'ose le montrer à de si grands connaisseurs. C'est une esquisse bien pauvre d'un rêve magnifique.

LORENZO. VOUS faîtes le portrait de vos rêves? je ferai poser pour vous quelques-uns des miens.

TEBALDEO. Réaliser des rêves, voilà la vie du peintre.

Les plus grands ont représenté les leurs dans toute leur force, et sans y rien changer. Leur imagination était un arbre plein de sève; les bourgeons s'y métamorphosaient sans peine en fleurs, et les fleurs en fruits ; bientôt ces fruits mûrissaient à un soleil bienfaisant, et quand ils étaient mûrs, ils se détachaient d'eux-mêmes et tombaient sur la terre sans perdre un seul grain de leur poussière virginale. Hélas! les rêves des artistes médiocres sont des plantes difficiles à nourrir, et qu'on arrose de larmes bien amères pour les faire bien peu prospérer, (il montre son tableau.)

VALORI. Sans compliment, cela est beau; non pas du premier mérite, il est vrai : pourquoi flatterais-je un homme qui ne se flatte pas lui- même ? Mais votre barbe n'est pas poussée, jeune homme.

LORENZO. Est-ce un paysage ou un portrait? De quel côté faut-il le regarder, en long ou en large ?

TEBALDEO. Votre seigneurie se rit de moi. C'est la vue du Campo- santo.

LORENZO. Combien y a-t-il d'ici à l'immortalité ?

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VALORI. Il est mal à vous de plaisanter cet enfant. Voyez comme ses grands yeux s'attristent à chacune de vos paroles.

TEBALDEO. L'immortalité, c'est la foi. Ceux à qui Dieu a donné des ailes y arrivent en souriant.

VALORI. Tu parles comme un élève de Raphaël.

TEBALDEO. Seigneur, c'était mon maître. Ce que j'ai appris vient de lui.

LORENZO. Viens chez moi ; je te ferai peindre la Mazzafirra toute nue.

TEBALDEO. Je ne respecte point mon pinceau, mais je respecte mon art;

je ne puis faire le portrait d'une courtisane.

LORENZO. Ton dieu s'est bien donné la peine de la faire ; tu peux bien te donner celle de la peindre. Veux-tu me faire une vue de Florence?

TEBALDEO. Oui, monseigneur.

LORENZO. Comment t'y prendrais-tu?

TEBALDEO. Je me placerais à l'orient, sur la rive gauche de l'Arno.

C'est de cet endroit que la perspective est la plus large et la plus agréable.

LORENZ0. Tu peindrais Florence, les places, les maisons et les rues ? TEBALDEO. Oui, monseigneur.

LORENZO. Pourquoi donc ne peux-tu peindre une courtisane, si tu peux peindre un mauvais lieu?

TEBALDEO. On ne m'a point encore appris à parler ainsi de ma mère.

LORENZO. Qu'appelles-tu ta mère?

TEBALDEO. Florence, seigneur.

LORENZO. Alors tu n'es qu'un bâtard, car ta mère n'est qu'une catin.

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TEBALDEO. Une blessure sanglante peut engendrer la corruption dans le corps le plus sain. Mais des gouttes précieuses du sang de ma mère sort une plante odorante qui guérit tous les maux. L'art, cette fleur divine, a quelquefois besoin du fumier pour engraisser le sol qui la porte.

LORENZO. Comment entends-tu ceci?

TEBALDEO. Les nations paisibles et heureuses ont quelquefois brillé d'une clarté pure, mais faible. Il y a plusieurs cordes à la harpe des anges ; le zéphyr peut murmurer sur les plus faibles, et tirer de leur accord une harmonie suave et délicieuse ; mais la corde d'argent ne s'ébranle qu'au passage du vent du nord. C'est la plus belle et la plus noble et cependant le toucher d'une rude main lui est favorable.

L'enthousiasme est frère de la souffrance.

LORENZO. C'est-à-dire qu'un peuple malheureux fait les grands artistes. je me ferai volontiers l'alchimiste de ton alambic ; les larmes des peuples y retombent en perles. Par la mort du diable, tu me plais.

Les familles peuvent se désoler, les nations mourir de misère, cela échauffe la cervelle de monsieur. Admirable poète ! comment arranges- tu tout cela avec ta piété ?

TEBALDEO. Je ne ris point du malheur des familles : je dis que la poésie est la plus douce des souffrances, et qu'elle aime ses soeurs. Je plains les peuples malheureux, mais,je crois en effet qu'ils font les grands artistes : les champs de bataille font pousser les moissons, les terres corrompues engendrent le blé céleste.

LORENZO. Ton pourpoint est usé ; en veux-tu un à ma livrée ?

TEBALDEO. Je n'appartiens à personne ; quand la pensée veut être libre, le corps doit l'être aussi.

LORENZO. J'ai envie de dire à mon valet de chambre de te donner des coups de bâton.

TEBALDEO. Pourquoi, monseigneur?

LORENZO. Parce que cela me passe par la tête. Es-tu boiteux de naissance ou par accident?

(36)

TEBALDEO. Je ne suis pas boiteux ; que voulez-vous dire par là ? LORENZO. Tu es boiteux ou tu es fou.

TEBALDEO. Pourquoi, monseigneur? Vous vous riez de moi.

LORENZO. Si tu n'étais pas boiteux, comment resterais-tu, à moins d'être fou, dans une ville où, en l'honneur de tes idées de liberté, le premier valet d'un Médicis peut te faire assommer sans qu'on y trouve à redire ?

TEBALDEO. J'aime ma mère Florence ; c'est pourquoi je reste chez elle. je sais qu'un citoyen peut être assassiné en plein jour et en pleine rue, selon le caprice de ceux qui la gouvernent ; c'est pourquoi je porte ce stylet à ma ceinture.

LORENZO. Frapperais-tu le duc si le duc te frappait, comme il lui est arrivé souvent de commettre par partie de plaisir des meurtres facétieux?

TEBALDEO. Je le tuerais, s'il m'attaquait.

LORENZO. Tu me dis cela, à moi ?

TEBALDEO. Pourquoi m'en voudrait-on ? je ne fais de mal à personne. je passe les journées à l'atelier. Le dimanche, je vais à l'Annonciade ou à Sainte-Marie ; les moines trouvent que j'ai de la voix ; ils me mettent une robe blanche et une calotte rouge, et je fais ma partie dans les choeurs, quelquefois un petit solo : ce sont les seules occasions où,je vais en public. Le soir, je vais chez ma maîtresse, et quand la nuit est belle, je la passe sur son balcon. Personne ne me connaît, et je ne connais personne : à qui ma vie ou ma mort peut-elle être utile ?

LORENZO. Es-tu républicain? aimes-tu les princes?

TEBALDEO. Je suis artiste ; j'aime ma mère et ma maîtresse.

LORENZO. Allons demain à mon palais, je veux te faire faire un tableau d'importance pour le jour de mes noces. (ils sortent.)

(37)

SCENE 3

Chez la marquise de Ciba.

LE CARDINAL, seul. Oui, je suivrai tes ordres, Farnèse !

Que ton commissaire apostolique s'enferme avec sa probité dans le cercle étroit de son office, je remuerai d'une main ferme la terre glissante sur laquelle il n'ose marcher. Tu attends cela de moi ; je t'ai compris, et j'agirai sans parler, comme tu as commandé. Tu as deviné qui j'étais lorsque tu m'as placé auprès d'Alexandre, sans me revêtir d'aucun titre qui me donnât quelque pouvoir sur lui. C'est d'un autre qu'il se défiera, en m'obéissant à son insu. Qu'il épuise sa force contre des ombres d'hommes gonflés d'une ombre de puissance, je serai l'anneau invisible qui l'attachera pieds et poings liés à la chaîne de fer dont Rome et César tiennent les deux bouts. Si mes yeux ne me trompent pas, c'est dans cette maison qu'est le marteau dont je me servirai. Alexandre aime ma belle-soeur ; que cet amour l'ait flattée, cela est croyable; ce qui peut résulter est douteux ; mais ce qu'elle en veut faire, c'est là ce qui est certain pour moi. Qui sait jusqu'où pourrait aller l'influence d'une femme exaltée, même sur cet homme grossier, sur cette armure vivante? Un si doux péché, pour une si belle cause, cela est tentant, n'est-il pas vrai, Ricciarda? Presser ce coeur de lion sur ton faible coeur tout percé de flèches saignantes, comme celui de saint Sébastien;

parler, les yeux en pleurs, des malheurs de la patrie, pendant que le tyran adoré tassera ses rudes mains dans ta chevelure dénouée; faire jaillir d'un rocher l'étincelle sacrée, cela valait bien le petit sacrifice de l'honneur conjugal, et de quelques autres bagatelles. Florence y gagnerait tant, et ces bons maris n'y perdent rien ! Mais il ne fallait pas me prendre pour confesseur.

La voici qui s'avance, son livre de prières à la main.

Aujourd'hui donc tout va s'éclaircir; laisse seulement tomber ton secret dans l'oreille du prêtre : le courtisan pourra bien en profiter; mais, en conscience, il n'en dira rien. (Entre la marquise de Ciba.)

LE CARDINAL, S'asseyant. Me voilà prêt. (La marquise s'agenouille auprès de lui sur son prie-Dieu.)

LA MARQUISE. Bénissez moi mon père, parce que j'ai péché.

LE CARDINAL. Avez-vous dit votre Confiteor? Nous pouvons commencer, marquise.

(38)

LA MARQUISE. Je m'accuse de mouvements de colère, de doutes irréligieux et injurieux pour notre saint-père le pape.

LE CARDINAL. Continuez.

LA MARQUISE. J'ai dit hier, dans une assemblée, à propos de l'évêque de fano, que la sainte Eglise catholique était un lieu de débauche.

LE CARDINAL. Continuez.

LA MARQUISE. J'ai écouté des discours Contraires à la fidélité que j'ai jurée à mon mari.

LE CARDINAL. Qui vous a tenu ce discours ?

LA MARQUISE. J'ai lu une lettre écrite dans la même pensée.

LE CARDINAL. Qui vous a écrit cette lettre ?

LA MARQUISE, je m'accuse de ce que j'ai fait, et non de ce qu'ont fait les autres.

LE CARDINAL. Ma fille,.vous devez me répondre, si vous voulez que je puisse vous donner l'absolution en toute sécurité. Avant tout, dites-moi si vous avez répondu à cette lettre.

LA MARQUISE. J'y ai répondu de vive voix, mais non par écrit.

LE CARDINAL. Qu'avez-vous répondu ?

LA MARQUISE. J'ai accordé à la personne qui m'avait écrit la permission de me voir comme elle le demandait.

LE CARDINAL. Comment s'est passée Cette entrevu ?

LA MARQUISE. Je me suis accusée déjà d'avoir écouté des discours contraires à mon honneur.

LE CARDINAL. Comment y avez-vous répondu?

LA MARQUISE. Comme il convient à une femme qui se respecte.

(39)

LE CARDINAL. N'avez-vous point laissé entrevoir qu'on finirait par vous persuader?

LA MARQUISE. Non, mon père.

LE CARDINAL. Avez-vous annoncé à la personne dont il s'agit, la résolution de ne plus écouter de semblables discours à l'avenir ?

LA MARQUISE. Oui, mon père.

LE CARDINAL. Cette personne vous plaît-elle ? LA MARQUISE. Mon coeur n'en sait rien, j'espère.

LE CARDINAL. Avez-vous averti votre mari?

LA MARQUISE. Non, mon père. Une honnête femme ne doit point troubler son ménage par des récits de cette sorte.

LE CARDINAL. Ne me cachez-vous rien ? Ne s'est-il rien passé entre vous et la personne dont il s'agit, que vous hésitiez à me confier?

LA MARQUISE. Rien, mon père.

LE CARDINAL. Pas un regard tendre ? Pas un baiser pris à la dérobée?

LA MARQUISE. Non, mon père.

LE CARDINAL, Cela est-il sûr, ma fille ?

LA MARQUISE. Mon beau-frère, il me semble que je n'ai pas l'habitude de mentir devant Dieu.

LE CARDINAL. Vous avez refusé de me dire le nom que je vous ai demandé tout à l'heure ; je ne puis cependant vous donner l'absolution sans le savoir.

LA MARQUISE. Pourquoi cela ? Lire une lettre peut être un péché ; mais non pas lire une signature. Qu'importe le nom à la chose?

LE CARDINAL. Il importe plus que vous ne le pensez.

(40)

LA MARQUISE. Malaspina, vous en voulez trop savoir. Refusez-moi l'absolution, si vous voulez, je prendrai pour confesseur le premier prêtre venu, qui me la donnera. (Elle se lève.)

LE CARDINAL. Quelle violence, marquise ? Est-ce que je ne sais pas que c'est du duc que vous voulez parer?

LA MARQUISE. Du duc ! - Eh bien ! si vous le savez, pourquoi voulez- vous me le faire dire?

LE CARDINAL. Pourquoi refusez-vous de le dire? Cela m'étonne.

LA MARQUISE. Et qu'en voulez-vous faire, vous, mon confesseur ? Est- ce pour le répéter à mon mari que vous tenez si fort à l'entendre ? Oui, cela est bien certain, c'est un tort que d'avoir pour confesseur un de ses parents. Le ciel m'est témoin qu'en m'agenouillant devant vous, j'oublie que je suis votre belle-soeur ; mais vous prenez soin de me le rappeler ; prenez garde, Cibo, prenez garde à votre salut éternel, tout cardinal que vous êtes.

LE CARDINAL. Revenez donc à cette place, marquise ; il n'y a pas tant de mal que vous croyez.

LA MARQUISE. Que voulez-vous dire ?

LE CARDINAL. Qu'un Confesseur doit tout savoir, parce qu'il peut tout diriger, et qu'un beau-frère ne doit rien dire, à certaines conditions.

LA MARQUISE. Quelles conditions?

LE CARDINAL. Non, non, je me trompe ; ce n'était pas ce mot-là que je voulais employer. je voulais dire que le duc est puissant, qu'une rupture avec lui peut nuire aux plus riches familles; mais qu'un secret d'importance entre des mains expérimentées peut devenir une source de biens abondante.

LA MARQUISE. Une source de biens ! - des mains expérimentées ! - je reste là, en vérité, comme une statue. Que couves-tu, prêtre, sous ces paroles ambiguës? Il y a certains assemblages de mots qui passent par instants sur vos lèvres, à vous autres; on ne sait qu'en penser.

LE CARDINAL. Revenez donc vous asseoir là, Ricciarda. Je ne vous ai

(41)

point encore donné l'absolution.

LA MARQUISE. Parlez toujours; il n'est pas prouvé que j'en veuille.

LE Cardinal, se levant. Prenez garde à vous, marquise ! Quand on veut me braver en face, il faut avoir une armure solide et sans défaut ; je ne veux point menacer ; je n'ai pas un mot à vous dire : prenez un autre confesseur. (Il sort.)

LA MARQUISE, seule. Cela est inouï. S'en aller en serrant les poings ! les yeux enflammés de colère ! Parler de mains expérimentées, de direction à donner à certaines choses ! Eh ! mais qu'y a-t-il donc ? Qu'il voulût pénétrer mon secret pour en informer mon mari, je le conçois ; mais, si ce n'est pas là son but, que veut-il donc faire de moi ? la maîtresse du duc ? Tout savoir, dit-il, et tout diriger ! cela n'est pas possible ; il y a quelque autre mystère plus sombre et plus inexplicable là-dessous ; Cibo ne ferait pas un pareil métier. Non ! cela est sûr ; je le connais. C'est bon pour un Lorenzaccio ; mais lui ! il faut qu'il ait quelque sourde pensée, plus vaste que cela et plus profonde. Ah ! comme les hommes sortent d'eux-mêmes tout à coup après dix ans de silence ! Cela est effrayant.

Maintenant, que ferai-je ? Est-ce que j'aime Alexandre ? Non, je ne l'aime pas, non, assurément ; j'ai dit que non dans ma confession, et je n'ai pas menti, Pourquoi Laurent est-il à Massa ? Pourquoi le duc me presse-t-il ?

Pourquoi ai-je répondu que je ne voulais plus le voir?

pourquoi? Ah ! pourquoi y a-t-il dans tout cela un aimant, un charme inexplicable qui m'attire ?

(Elle ouvre sa fenêtre.) Que tu es belle, Florence, mais que tu es triste ! Il y a là plus d'une maison où Alexandre est entré la nuit, couvert de son manteau ; c'est un libertin, je le sais. - Et pourquoi est-ce que tu te mêles à tout cela, toi, Florence ? Qui est-ce donc que j'aime ? Est-ce toi

? Est-ce lui ?

AGNOLO. entrant. Madame, Son Altesse vient d'entrer dans la cour.

LA MARQUISE. Cela est singulier; ce Malaspina m'a laissée toute tremblante.

(42)

SCENE 4

Au palais des Soderini.

Marie Soderini, Catherine, Lorenzo, assis.

CATHERINE, Tenant un livre. Quelle histoire vous lirai-je, ma mère ? MARIE. Ma Cattina se moque de sa pauvre mère. Est-ce que je comprends rien à tes livres latins?

CATHERINE. Celui-ci n'est point en latin, mais il en est traduit.

C'est l'histoire romaine.

LORENZO. Je suis très fort sur l'histoire romaine. Il y avait une lois un jeune gentilhomme nommé Tarquin le fils.

CATHERINE. Ah ! c'est une histoire de sang.

LORENZO. Pas du tout ; C'est un Conte de fées, Brutus était un fou, un monomane, et rien de plus. Tarquin était un duc plein de sagesse, qui allait voir en pantoufles si les petites filles dormaient bien.

CATHERINE. Dites-vous aussi du mal de Lucrèce?

LORENZO. Elle s'est donné le plaisir du péché et la gloire du trépas. Elle s'est laissé prendre toute vive comme une alouette au piège, et puis elle s'est fourré bien gentiment son petit couteau dans le ventre.

MARIE. Si vous méprisez les femmes, pourquoi affectez-vous de les rabaisser devant votre mère et votre soeur?

LORENZO. Je vous estime, vous et elle. Hors de là, le monde me fait horreur.

MARIE. Sais-tu le rêve que j'ai eu cette nuit, mon enfant?

LORENZO. Quel rêve ?

MARIE. Ce n'était point un rêve, car je ne dormais pas. J'étais seule dans cette grande salle ; ma lampe était loin de moi, sur cette table auprès de la fenêtre. je songeais aux jours où j'étais heureuse, aux jours de ton enfance, mon Lorenzino. je regardais cette nuit obscure, et je me

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