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Widok Nierówność w obliczu norm publicznych

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Academic year: 2022

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OD REDAKCJI :

W wyniku b³êdu technicznego w 12 numerze „Humanistyki i Przyrodoznawstwa” artyku³ Emmanuela Picaveta ukaza³ siê bez przypisów. Tutaj publikujemy go w ca³oœci i jednoczeœnie przepraszamy autora za redakcyjne niedopatrzenie.

Emmanuel Picavet

Uniwersytet w Pary¿u Universite Paris

L’INÉGALITÉ FACE AUX PRINCIPES PUBLICS*

Nierównoœæ w obliczu norm publicznych Inequality in Face of Public Principles

S ³ o w a k l u c z o w e: nierównoœæ, sprawie- dliwoœæ, pluralizm etyczny, interes, uprawo- mocnienie systemu prawnego, prawa funda- mentalne, naturalizacja nierównoœci, liberalna neutralnoœæ, relatywizm preskrypcyjny, rów- noœæ szans, segmentacja etyczna, spo³eczeñ- stwa pluralistyczne.

* Cet article reprend des éléments de ma conférence du 14 avril 2003 à l’Institut de philosophie de l’Université de Varsovie (séminaire en français de sciences sociales «Inégalités- justice»). Je remercie la Pr. Joanna Gornicka pour son accueil dans son séminaire, et Michal Koslowski pour son accueil à Varsovie. D’autres interlocuteurs m’ont permis de bénéficier de nombreux échanges de vues et de présentations de travaux en cours lors de mon séjour à Varsovie; je voudrais remercier en particulier Michal Herrer, Jérôme Heurtaux, Mathieu Jarry, Radek Lipka, Adam Ostolski, Barbara Tibon et Martha Wrosek. Je remercie l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales et le Centre de Civilisation Française de l’Université de Varsovie pour leur invitation et pour l’accueil dans ce séminaire. La révision de l’article a été une étape du projet DELICOM (ANR-JC 05) mené à l’Université Panthéon-Sorbonne; le soutien financier de l’Agence Nationale de la Recherche est mentionné avec gratitude. Dans le cadre de ce projet, l’article a notamment bénéficié d’un examen très attentif de Caroline Guibet-Lafaye (et de séances de travail liées à ces thèmes) dans la perspective de travaux communs récents pour DELICOM, et d’une relecture par Claude Laborie. Je remercie ces personnes pour leur aide précieuse, les insuffisances demeurant miennes.

K e y w o r d s: inequality, justice, ethical plu- ralism, interest, legitimacy of legal system, fundamental laws, naturalization of the inequ- ality, liberal neutrality, prescriptive relativism, equality of chances, ethical segmentation, plu- ralistic society.

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S t r e s z c z e n i e

Realizowanie wartoœci moralnych w ¿yciu publicznym jest bardzo problematyczne. Nie wiadomo, czy we wszystkich przypadkach mo¿na w równy sposób (w taki sam sposób) stosowaæ te same normy. Czy demokracja jest w pe³ni demokratyczna? Czy da siê zlikwido- waæ nierównoœci spo³eczne? Kto ma racjê:

J. Rawls czy J. Benois? N. Luhmann czy J.F. Lyotard? Jak zorganizowaæ bardziej sprawie- dliwe spo³eczeñstwa? Czy w drodze konfliktu, czy dialogu? Konsensusu czy dyssensusu?

A b s t r a c t

Realization of moral values in public life is very problematical. One doesn't know if one can keep the laws in the same manner (in equal degree) in all possible cases. Is democracy – in connexion with it – fully democratic? Is it possible to suppress social inequalities? Who is right: J. Rawls or J. Benoist? N. Luhmann or J. Lyotard? How can more just society be established? By means of conflict or of dialogue, of consensus or of dissension?

Dans cette conférence, j’aborderai la question de l’inégalité du traitement éthique dont jouissent (ou pâtissent) les individus par suite des choix collectifs opérés dans la société. Ces choix reflètent des valeurs, que l’on peut appeler des

«valeurs sociales»: des repères collectifs tels que la sélection des droits individuels qui sont consacrés, ou les principes de justice qui sont mis en œuvre. Comment penser l’égalité des individus face aux principes publiquement reconnus sans présupposer l’unification des points de vue moraux? La question se pose du fait du pluralisme moral qui caractérise la plupart des sociétés contemporaines.

Inévitablement, la consécration de certains principes suscite la satisfaction des uns, le mécontentement des autres. Y a-t-il lieu de penser que cette consécration sélective de certains principes ou valeurs est en elle-même (et non pas seulement par ses conséquences) un enjeu pour le traitement égal des personnes ? C’est l’hypothèse que l’on choisit ici d’explorer.

La discussion privilégiera le principe de l’égalité de traitement, dans le contexte de sociétés marquées par des formes avancées de libéralisme politique. Elle concernera le problème des rapports entre morale et politique dans la définition de valeurs collectives de justice; plus précisément, elle traitera de ce que l’on pourrait appeler l’insertion politique de l’éthique: la manière dont les individus vivent le recours à l’éthique (la référence à des normes ou valeurs éthiques) dans le contexte de la vie publique1.

1 Je parlerai alternativement de «normes» et de «valeurs», admettant la corrélation kelsénienne classique entre les deux notions (telle que la développe la Reine Rechtslehre de Hans Kelsen à propos du droit et de la morale): si une norme demande que je fasse quelque chose, ou que telle chose soit faite (dans le registre de l’obligation ou de la prescription, ou plus généralement du devoir-être), une valeur positive (dans le registre de l’évaluation) est attachée aux état de fait qui satisfont cette demande. La violation de la norme se voit rapportée, à l’inverse, à une valeur négative. Dans le vocabulaire mis à l’honneur par Thomas Nagel, on dira que si la norme concerne mon action, on est dans le domaine des normes ou valeurs relatives à l’agent, alors qu’il peut y avoir neutralité par rapport à l’agent si la norme concerne simplement ce qui doit être fait (par quelqu’un ou par un groupe) ou ce qui doit être le cas (la norme sélectionnant alors certains états du monde).

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J’admettrai, dans une perspective méthodologique au moins, une forme de relativisme méthodologique apparentée à celle que retenait Kelsen: les individus peuvent reconnaître différents systèmes de normes (ou de valeurs), correspondant à différents systèmes de convictions éthiques2. Dès lors, certaines précautions sont nécessaires si l’on veut parler de «la» morale universelle telle que l’envisagent les théoriciens réalistes de la morale, ou bien des «valeurs collectives» au sens de la théorie sociale normative (économie normative, philosophie politique, théorie du choix social...), ou encore des «normes sociales» (comprenant notamment «la moralité») dont traitent quelquefois les sociologues. Dans tous les cas, il faut au moins expliquer quel est le rapport qu’entretiennent ces notions avec les évaluations éthiques des sujets. Les jugements de valeur individuels, ou retenus en tant que références collectives, peuvent porter sur des faits (par exemple,

«La France est trop inégalitaire», «Il est scandaleux que les enfants éthiopiens ne mangent pas suffisamment»), ou sur des faits normatifs («Il est anormal que fumer de la marijuana soit interdit»), ou bien encore sur des actes.

Je partirai de la manière dont on appréhende spontanément, dans un contexte pluraliste, la question de l’égalité de traitement, en identifiant celle-ci d’une manière aussi abstraite et formelle que possible, de manière à faire échec aux distorsions qui naîtraient de la référence à telle ou telle conviction morale ou politique substantielle. Mon propos sera ici d’indiquer les raisons pour lesquelles on peut penser que la mise en évidence de la frustration substantielle imposée aux individus du fait de la reconnaissance sélective de certains principes conduit à se poser des questions sur l’égalité de traitement des citoyens.

Je traiterai ensuite de la position égale ou inégale des citoyens face à la contestation des normes et aux occasions d’action collective qui pourraient conduire à leur remaniement. Cela conduira à quelques conclusions sur les modalités souhaitables de l’expertise éthique, et sur l’opportunité de dissocier la question du bien commun à préserver dans la société de la question de l’accord moral sur des principes de justice couvrant le domaine des droits et des libertés.

2 Sur les enjeux contemporains du pluralisme et du relativisme, v. notamment: P. Valadier, Morale en désordre. Un plaidoyer pour l’humanité, Seuil, Paris 2002; D. Weinstock, Le pluralisme axiologique en philosophie politique contemporaine, (in:) Diversité humaine.

Démocratie, multiculturalisme et citoyenneté, L’Harmattan et Saint-Nicolas, Les Presses de l’Université Laval, Paris 2002.

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1. Egalité de traitement et principes publics de justice:

problèmes fondationnels

1.1. L’égalité de traitement, constitutive de l’exigence éthique

Dans leur examen des exigences capables de qualifier des jugements moraux comme tels, A. Kalleberg et L. Preston opèrent une synthèse utile des principes autour desquels un large consensus s’est formé3. Parmi ces principes, on en trouve deux qui expriment un impératif d’égalité de traitement: la cohérence (ou universalité), demandant que l’on traite de manière similaire des cas considérés comme similaires; et l’impartialité, qui demande que l’on prenne en compte de manière égale les intérêts ou valeurs de tous les individus concernés.

Or, ces exigences sont formelles, comme on peut le voir en remarquant qu’elles sont susceptibles de «trivialisation», par exemple si je demande que le fait que je sois moi-même importe pour différencier une situation qui est la mienne de la situation d’un autre, pourtant semblable en tout point à la mienne.

Si l’on veut passer à un registre plus substantiel, des questions d’interprétation se posent: quelles sont les caractéristiques pertinentes pour fabriquer des classes d’indiscernabilité entre les situations ou les états sociaux? Dès lors que les individus peuvent avoir des avis divergents sur la question, il n’est jamais exclu qu’ils puissent se sentir injustement traités si telle interprétation est choisie, qui n’est pas la leur.

Parmi les (rares) autres propriétés identifiantes du jugement moral autour desquelles on trouve un certain accord dans la littérature spécialisée, il y a la suivante. Les raisons morales sont des raisons de dernier ressort, obligeant à se prononcer, à la différences d’autres types de considérations normatives (économiques, politiques, écologiques...) qui attendent toujours d’être mises en balance les unes avec les autres. Le jugement moral est tel que les arbitrages sont déjà faits; les raisons de divers ordres doivent avoir déjà été mises en balance les unes contre les autres. Pour le dire autrement: on ne prononce pas un jugement sur le bien ou le mal, ou sur le juste et l’injuste, entre autres choses pour des raisons morales.

Cela confirme la difficulté de la réalisation d’une exigence de prise en compte équilibrée des raisons et des autres, en rappelant que si un jugement apparaît comme un jugement moral bien fondé à un individu, il lui apparaît en même temps comme un jugement dont il n’y a pas vraiment lieu de dévier pour des raisons autres que morale. Par exemple, on n’aperçoit pas très clairement

3 A. L. Kalleberg et L. M. Preston, Normative Political Analysis and the Problem of Justification: The Cognitive Status of Basic Political Norms, “The Journal of Politics” 1975, 37(3), p. 650-684.

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pourquoi l’individu devrait accepter de réviser une partie de ses convictions morales (dès lors que celles-ci lui apparaissent à la fois comme proprement morales et aussi comme s’exprimant dans des jugements bien fondés), au nom d’impératifs politiques liés à la vie en commun sous des normes communes et dans le contexte d’institutions communes. C’est précisément pour porter remède d’une manière précise à cette difficulté que John Rawls a été conduit à opérer un partage décidé entre le domaine du bien et celui du juste. Mais l’ampleur des critiques suscitées par cette démarche montre que la tâche n’était pas aisée.

1.2. Ramener à l’unité la diversité des principes individuellement reconnus: la tentation catéchétique

Les individus peuvent attribuer de l’importance au fait d’être traités les uns et les autres de manière égale au nom d’un certain statut partagé (par exemple, celui de personne, d’être humain ou encore de citoyen). Dès lors, outre les garanties proprement juridiques, les arguments offerts en appui de ces garanties dans la vie publique ont une importance spécifique. Or, les individus n’accordent pas nécessairement de l’importance aux mêmes ressources, parmi celles qui, en philosophie, sont citées dans le contexte de la justification des droits fondamentaux.

Compte tenu de la diversité de ces ressources, certaines frustrations apparaissent inévitables. Le point intéressant pour nous est qu’elles concernent non pas tant la teneur des garanties juridiques, que le fondement de ces garanties dans des principes qui sont ceux de certains individus, mais non pas de tous.

C’est dans cette perspective qu’il serait utile de réfléchir d’une manière critique aux diverses formes de catéchisme moral et politique qui ont eu cours et se développent encore. Dans ces productions répondant à des besoins sociaux exprimés, on peut habituellement suivre d’une manière assez nette les efforts pour persuader autrui, et se persuader d’abord soi-même, du caractère juste du traitement qui est réservé aux individus d’après les droits et devoirs fondamentaux tels qu’ils existent dans le monde réel. Cela peut passer -je vais tenter de le montrer à partir d’un exemple, – par un effort pour réaffirmer l’identité nécessaire des prétentions légitimes des uns et des autres, et donc l’illégitimité des plaintes éventuelles qui tiendraient à des divergences imaginaires sur les principes de base.

Considérons donc le «Catéchisme moral» composé par André Lalande4. Le texte et la discussion qui l’entourent constituent un témoignage remarquable de l’activité de philosophes engagés dans l’élaboration critique d’un code moral

4 A. Lalande, Petit catéchisme de morale pratique, «Bulletin de la société française de philosophie», Séance du 29 novembre 1906.

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utilisable dans les établissements d’enseignement public, et donc d’insertion constructive d’un discours moral dans un contexte civique (ou «citoyen», comme nous dirions aujourd’hui). Ils offrent aussi une perspective saisissante sur la tentation de la naturalisation de l’ordre social juste à laquelle sont soumis des philosophes qui recherchent avant tout l’unité des point de vue moraux.

Le premier article disposait: «La morale est l’ensemble des règles suivant lesquelles on doit agir et juger les actions».

Réagissant à cet article, le R.P. Laberthonnière, membre de la Société française de philosophie, faisait remarquer (p. 5): «Il me paraîtrait nécessaire de définir d’abord la morale, non par ce fait qu’elle impose des règles d’action, ce qui lui est commun avec les règlements administratifs ou les lois, mais par ce fait qu’elle consiste en une certaine disposition interne, une inquétude de l’âme sans laquelle les règles et la conformité extérieure aux règles n’ont aucun caractère proprement moral».

Et dans l’article 3 de ce catéchisme, il est précisé que les règles de la morale sont des règles qui subsistent par elles-mêmes, qui sont «supérieures à l’Etat». Elles ne sont pas imposées par les gouvernants; en sens contraire, il revient au citoyen de veiller à ce que les gouvernants les respectent. Cela pose d’emblée le problème de la justification: comment rendre compte rationnellement des règles imposées, des droits et devoirs qu’elles codifient? Comment rendre compte de l’évaluation qui est faite des règles publiques? Dans les débats qui eurent lieu en 1906 à la Société française de philosophie, ces questions étaient abordées en lien avec les thèmes de la nature et de la nécessité.

A l’article 15 (au titre III: «Le bonheur»), il s’agit explicitement de

«nécessité»: «Pourquoi doit-on se conformer aux vraies règles morales? Parce que cela est raisonnable et nécessaire pour vivre avec nos semblables».

Parler de «nécessité» est assurément problématique, dans un contexte où il s’agit précisément de guider l’action libre des individus. Mais ce qui est en jeu est en fait, très vraisemblablement, le caractère acceptable ou inacceptable des situations dans lesquelles, respectivement, on respecte et on viole les règles morales. Ainsi, en réponse à la question «Qu’arrive-t-il à celui qui ne s’y conforme pas?» (art. 16; question dont l’intitulé même montre qu’il ne pouvait être question de nécessité au sens strict dans l’article précédent), A. Lalande (ou plutôt, le catéchisme) répond, graduant les sanctions de la pure extériorité jusqu’à la conscience intime: «Il peut être condamné par les tribunaux ou puni par les autorités de qui il dépend. Il a contre lui l’antipathie et la défiance de tous ceux qui le connaissent, même s’ils ne valent pas mieux que lui; il a l’esprit troublé et mal à l’aise, parce qu’il se met en contradiction avec son propre jugement».

Cette contradiction est explicitée dans l’article suivant, en relation avec l’impératif d’universalité: est en contradiction avec lui-même celui qui veut pour les autres

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ce qu’il ne veut pas, quand il s’agit de lui-même. Ainsi, la sanction accompagne naturellement des obligations qui sont elles-mêmes naturelles.

Bien entendu, rien de tout cela ne va de soi. On aimerait dissocier, parmi les motifs de l’adoption d’une certaine règle de conduite, ce qui relève de la crainte de la sanction organisée ou «naturelle» et ce qui relève de l’acceptation de la règle en elle-même, pour des raisons de principe.

Or, on peut constater que le catéchisme tel qu’il était associait véritablement à un repérage de «nécessités» naturelles des formes définies d’explication des droits et devoirs que les individus devraient accepter, en allant jusqu’aux questions appliquées. Considérons ainsi la propriété. Dans l’article 98, Lalande posait la question: «Que demande la justice à l’égard de la propriété?»; et il répondait: «Elle demande d’abord que nous respections la propriété telle qu’elle est établie par les lois de notre pays, même si nous nous efforçons d’en faire adopter de meilleures; elle défend par suite le vol et l’escroquerie sous toutes ses formes et à tous les degrés».

Ainsi, la morale vole au secours du droit de propriété sous la forme que lui donnent les lois du pays, avec toutes les inégalités qui en résultent; on peut même dire qu’elle le consacre et l’affermit, en portant à le respecter tel qu’il est fixé par les lois. Or, il y a évidemment un pas à franchir, pour passer de ce qui apparaît «naturel» au respect des dispositions précises prévues par un ensemble de lois ou de codes qui auraient pu être différents de ce qu’ils sont, puisque leur origine est contingente et conventionnelle. La morale telle qu’elle est présentée invite à franchir ce pas, d’une manière qui crée l’impression d’une continuité totale entre le registre moral et le registre juridique.

Autre exemple (article 110): «Quel est le devoir du citoyen à l’égard des autorités constituées? Il doit les respecter et collaborer spontanément avec elles pour faire régner l’ordre dans les rapports sociaux» – l’inégalité de pouvoir entre gouvernant et gouvernant ne paraissant poser aucun problème.

Le naturalisme qui prévalait dans l’identification des devoirs concerne tout particulièrement l’explication du rapport entre la finalité de la société et les devoirs des individus les uns envers les autres. Ainsi, l’article 104 reconnaît qu’il y a un «but essentiel de la société», qui est: «Le développement de la personnalité morale chez les individus qui la composent». Ce but n’est pas à entendre comme le but de tel ou tel individu s’associant avec d’autres; en effet (article 105): «On ne peut pas dire que les hommes se soient associés en vue d’un but, puisque nous ne connaissons aucune époque où ils aient vécu dans l’isolement»

(argument que Pareto, vers la même époque, agitait contre le contractualisme politique). La société est décrite simplement comme «un fait que nous constatons, comme nous constatons la forme du corps humain» (art. 105). Or, à ce fait peut être associé un but, mais en un sens que l’on ne peut pas suspecter de finalisme, car: «Il faut entendre par là, non pas les causes qui l’ont constituée, mais ce qui

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fait que notre conscience et notre raison en jugent désirables la conservation et le progrès» (art. 106).

Ce rapide examen d’une discussion de philosophie appliquée autour de l’explication des obligations liées au règles peut nous rappeler la difficulté de discerner les registres d’obligations, et de préciser le classement des différentes règles dans ces registres. Cette difficulté est particulièrement importante pour la philosophie des droits, dans la mesure où l’on y rencontre sans cesse la dualité de règles qui fondent des droits ou obligations au sens juridique, ou bien au sens moral.

Mais surtout, pour notre propos, il importe de remarquer que l’ambition catachétique connaît la tentation d’une réduction des points de vue moraux à l’unité, en ce qui concerne la structure de base de la société. Si l’on suit cette démarche, une conclusion générale s’impose. Quoi qu’il en soit des différences de richesse, de propriété, de pouvoir, les individus ne peuvent estimer qu’ils sont traités de manière inégale, ni que leurs convictions éthiques sont inégalement prises en compte, parce qu’il devrait être possible de les amener à comprendre le bien-fondé des principes qui régissent leur vie. Ayant aperçu la nécessité de ces principes, ils devraient simplement en tirer les conséquences pour la formation de leur point de vue éthique sur le monde social.

1.3. L’effort constructif des théories de la justice et le problème de la prise en compte des éléments des jugements personnels

Voyons maintenant comment la préoccupation de l’égalité devant les principes se manifeste aussi dans un autre domaine, celui de la théorie générale et abstraite des choix collectifs. Examinant les voies souhaitables du développement de la théorie des choix collectifs, certains auteurs (en particulier Marc Fleurbaey5) ont proposé un examen approfondi des raisons d’abandonner le principe d’indépendance initialement imposé par Kenneth J. Arrow dans Social Choice and Individual Values (1951) – principe qui impose que dans le choix social entre deux options, seules comptent les préférences individuelles (ordinales) sur cette paire d’options. Par principe, dans cette perspective, les autres éléments des préférences ne comptent pas.

Parmi les raisons d’abandonner le principe d’indépendance, on trouve l’opportunité de la prise en compte de certains éléments d’information que ce principe interdit de prendre en considération. Par exemple, le fait que dans tel état, il y a un individu qui envie un autre individu, alors que dans tel autre état,

5 M. Fleurbaey, «Social Choice and Just Intitutions: New Perspectives» (2003); document consultable sur internet à l’adresse suivante: <http://aran.univ-pau.fr/EE>.

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ce n’est pas le cas. Ou encore, le rang comparé des options dans les classements de préférences des uns et des autres.

Or, la prise en compte publique de telles propriétés revient à demander aux individus d’accepter d’être traités d’une manière qui dépend de la comparaison de leurs caractéristiques et de celles des autres. Au contraire, si l’on s’en tient au type d’information que permet de traiter le principe d’indépendance, on peut considérer que le statut moral fondamental des individus se traduit par l’égale prise en compte du point de vue de chacun, selon des modalités qui ne dépendent pas de la structure des préférences des autres. Je peux me dire: mes préférences sont prises en compte d’une manière que je peux accepter ou refuser, mais qui traduit l’égalité de traitement, et qui ne dépend pas du fait que j’interagisse avec tel ou tel. De plus, mes préférences relatives à une certaine paire d’états n’apparaissent pas à l’occasion moins importantes (à cause des préférences des autres) que telle autre composante de mes préférences: cela est garanti parce qu’on impose que les préférences relatives à d’autres paires d’options que celle que l’on considère n’importent pas; mes préférences sur une paire d’états sociaux n’entrant en concurrence qu’avec les préférences des autres sur la même paire d’états, elles ne risquent pas d’être comptées pour rien à cause d’un principe public précisant que, quoi qu’il en soit des préférences de l’individu sur cette paire d’états, celles-ci doivent s’effacer devant des considérations qui concernent autre chose.

Pour des raisons de ce genre, on peut penser que l’attachement traditionnel à l’axiome d’indépendance chez les théoriciens du choix social n’est pas sans rapport avec l’idée d’égalité de traitement avec des garanties minimales de prise en compte du point de vue individuel (à travers l’égale position des individus au regard des principes qui gèrent les choix collectifs qui les affectent, et la prise en compte intégrale, à propos de chaque question, du point de vue qui est le leur sur cette question).

On pourrait formuler des remarques semblables à propos des réticences qu’avait exprimées Kenneth Arrow à propos du principe de la réintroduction de comparaisons interpersonnelles de bien-être dans la théorie des choix collectifs:

cela fait courir le risque, avait-il suggéré, de nier la part d’autonomie des individus, d’irréductibilité de leurs expériences à celles des autres. A la limite, si l’on s’engage dans cette direction, on risque de réduire les expériences individuelles à des listes de qualités (à la manière de la réduction des individus aux qualités individuelles dans la perspective pascalienne sur l’amour terrestre).

Il me semble que ces remarques renvoient à la difficulté suivante: si l’on fait dépendre leur sort de la comparaison de certaines qualités chez eux et chez d’autres, les individus se voient traiter d’une manière qui n’est pas l’expression d’un statut moral fondamental, mais qui dépend du fait contingent qu’ils interagissent avec certains individus précis, ayant des caractéristiques elles-

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mêmes contingentes. Globalement, la résistance à l’abandon du cadre traditionnel de la théorie des choix collectifs, malgré les perspectives parfois plus prometteuses qui se dévoilent si l’on consent à des affaiblissements des exigences originelles, s’explique par l’attachement à une certaine vision de l’égalité que peuvent réclamer les individus au regard des normes qui encadrent leur vie commune.

2. Valeurs et intérêts personnels dans un contexte de pluralisme éthique

2.1. Recherche de références générales et neutralité

L’éthique ne s’intéresse pas seulement aux jugements eux-mêmes, mais aussi aux raisons qui président à la formation de ces jugements, aux arguments qui les soutiennent, et aux formes d’accord autour des jugements, des raisons ou des modalités d’accord, voire, au sujet des conditions de possibilité (à trouver p.ex. dans l’analyse du dialogue) d’un accord. L’accord à ces différents niveaux est dans chaque cas un exercice spécifique, et ce n’est pas parce qu’il y a désaccord au niveau des jugements substantiels, par exemple, qu’il ne peut pas y avoir accord à un échelon plus fondamental. Les préoccupations de la philosophie morale rencontrent inévitablement, ici, celles de la philosophie politique, compte tenu du caractère politiquement dangereux (dans certains cas) des tensions morales autour de la justification, et de l’utilité politique potentielle de l’absence de telles tensions pour le maintien de l’ordre public ou pour l’efficacité des politiques mises en œuvre par les gouvernants.

Par exemple, deux individus peuvent être en désaccord autour de la vérité de l’énoncé: «La France est trop inégalitaire», et pourtant, être d’accord sur les réponses à apporter aux questions suivantes, dont ils pensent pas ailleurs qu’elles sont les bonnes questions à se poser pour former un jugement au sujet de l’énoncé précédent, parce qu’elles sont plus fondamentales:

(a) En France, certains sont-ils beaucoup mieux lotis que d’autres?

(b) En France, chacun peut-il se nourrir et se soigner?

(c) En France, l’éducation est-elle d’égale qualité pour tous?

On peut observer que ces questions renvoient à des tests empiriques, elles sont factuelles; mais la manière de préciser les critères précis à utiliser est influencée par des conceptions normatives sur le bien-être (par exemple autour de la question de savoir si les plus riches sont mieux lotis), sur la bonne alimentation et la bonne santé, sur la bonne éducation.

Dans cet exemple, ce qui apparaît fondamental, c’est une liste de questions détaillées, parce que celles-ci permettent de donner un sens à l’idée d’inégalité

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sociale. Dans le cas des entreprises de justification de l’égalité dans la jouissance des droits fondamentaux, c’est au contraire l’énoncé général qui est jugé fondamental, parce qu’il exprime ce qui apparaît comme une vérité sur des principes architectoniques comme la liberté ou l’égalité. Mais dans les deux cas, on observe que l’accord est recherché en changeant de registre, et en allant vers ce qui est jugé le plus fondamental.

Chacun comprend que la définition de références communes doit mettre en jeu une certaine conception du dialogue ou de l’échange rationnel entre les citoyens. Cette dimension de l’éthique publique a été explorée avec un soin particulier par Jürgen Habermas dans Faktizität und Geltung, dans les chapitre centraux portant sur la dérivation des droits de base. D’autres auteurs ont également insisté sur la connexion profonde entre la recherche de références communes et la primauté du dialogue sur la confrontation: on peut penser, dans le domaine de la biopolitique, aux philosophies du consensus (chez Tristram Engelhardt ou Anne Fagot-Largeault notamment).

En ce qui concerne le domaine particulier de la philosophie des droits, il y a une certaine ambiguïté dans les rapports entre la proclamation de droits généraux et la promotion du dialogue maintenu par-delà les divergences doctrinales6. D’un côté, on renvoie à des valeurs plus générales, qui peuvent effectivement permettre de s’entendre même si l’on ne s’entend pas sur les détails. Mais d’un autre côté, on cautionne par avance un système juridique dont il n’est pas exclu que certains aspects paraissent radicalement inacceptables à certaines personnes qui, pourtant, pourraient accepter les droits généraux proclamés, selon certaines interprétations crédibles au moins.

Ce problème doit sans doute conduire à dissocier plus nettement deux rôles des droits fondamentaux proclamés. La première de ces fonctions est de servir de médiation au dialogue en renvoyant à une strate normative plus

6 Cette distinction est importante lorsqu’on s’interroge sur un rôle possible et une efficacité des principes passant par d’autres voies que la concrétisation pure et simple dans un système de règles et de sanction. Les principes peuvent ainsi offrir des références pour la coordination des conduites et pour un dialogue évolutif entre institutions. Voir notamment, pour des contributions allant dans cette direction: Ch. Arnsperger, Le bien commun comme compromis social : deux conceptions de la négociation politique, «Ethique publique (revue internationale d’éthique sociétale et gouvernementale)» 2004, 6(1), p. 79-87; Ch. Arnsperger et E. Picavet, More than modus vivendi, less than overlapping consensus: Towards a political theory of social compromise, «Social Science Information / Information sur les sciences sociales», 2004, 43(2), p. 167-204; B. P. Dauenhauer, A Good Word for a Modus Vivendi, (in:) V. Davion, C. Wolf (dir.), The Idea of a Political Liberalism. Essays on Rawls. Lanham, Rowman & Littlefield Publishers, 2000; E. Picavet, Les principes politiques généraux face à l’analyse de la décision et de la coordination, (in:) L. Chevalier (dir.), Le Politique et ses normes, Rennes, Presses de l’Université de Rennes, 2006; E. Picavet, La doctrine de Rawls et le pluralisme comme modus vivendi,

«Revue internationale de philosophie» 2006, n° 3, p. 369-386.

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générale, opposable aux dispositions de détail à titre d’exigences minimales. La deuxième fonction serait de formuler par avance une légitimation du système juridico-étatique, en demandant aux citoyens d’admettre que leurs différends sur l’interprétation des droits généraux proclamés (leurs querelles sur ce qu’ils veulent dire, sur ce qu’ils impliquent) sont inessentielles, et ne doivent pas compromettre leur respect des autorités et des dispositions juridiques.

D’un point de vue purement politique, la deuxième exigence peut paraître raisonnable. Compte tenu des inévitables divergences d’interprétation, jusque dans le domaine des droits les plus fondamentaux (que l’on songe au «droit à la vie» ou à la «liberté d’expression», ou encore à la «liberté d’association»!), il y a certainement un espace à conquérir pour une argumentation strictement politique dont la conclusion serait la suivante: il est opportun ou approprié, pour les citoyens, de respecter le jeu des institutions démocratiques et ses conséquences, même en présence de divergences radicales sur l’interprétation des droits fondamentaux proclamés (par exemple, à propos des «droits» mentionnés: en présence de divergences sur l’avortement et l’euthanasie, sur les facultés d’expression laissées aux racistes, sur la libre constitution de sectes se dotant des modalités d’un contrôle étroit sur leurs membres). On pourrait en effet se ranger à ce point de vue pour des raisons diverses: maintien de la paix civile, préservation des conditions de la concurrence démocratique pluraliste entre les systèmes de valeurs, etc.

En revanche, il est beaucoup plus problématique de présenter cette deuxième fonction comme une exigence proprement morale, qui concernerait l’adaptation ou le remaniement des valeurs personnelles des individus. Cette critique atteint notamment l’idée, présente chez J. Rawls, d’une révision des systèmes de valeurs des individus prenant véritablement la forme d’un remplacement de certaines composantes de ces systèmes par d’autres. Il est difficile d’éviter de se poser la question suivante: que se passe-t-il si, justement, ce qui se trouve admis par la collectivité est en contradiction avec ce que certains individus jugent extrêmement important d’un point de vue moral? Se pose ici le problème de l’inégal sacrifice demandé aux individus, parce que la facilité avec laquelle ceux-ci peuvent accepter certains principes publics dépend à la fois de la teneur des principes et de leurs convictions personnelles7. Dans le cas où des choix législatifs ordinaires entrent en contradiction avec les valeurs profondes de certains individus, ne court-on pas le risque de faire rejaillir jusqu’à l’échelon des droits fondamentaux le discrédit qui, aux yeux de ces individus, atteint ces choix législatifs? Il faut interroger les limites acceptables du désaccord, mais aussi, et simultanément, les risques que comporte la recherche de l’uniformité.

7 Ce point a été mis en évidence par Richard Bellamy dans: Liberalism and Pluralism.

Towards a Politics of Compromise, Routledge, Londres et New York 1999.

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Les principes régissant les inégalités ont eux aussi un statut moral incertain.

Certains auteurs ne se contentent pas de critiquer tel ou tel principe, mais attaquent la notion même de principes publiquement reconnus devant régir (et donc consacrer en quelque manière) des inégalités socio-économique. Ainsi, Jocelyn Benoist, dans une lecture critique de J. Rawls, a vigoureusement défendu un subjectivisme intégral, dans lequel se trouvent finalement légitimés des conseils habituellement tenus pour démodés («Soyez réalistes, demandez l’impossible!», «on a toujours raison de se révolter»)8.

Cette critique vise en fait toute «naturalisation» des inégalités sous la forme de l’acceptation d’une société «pesant sur l’individu comme une contrainte naturelle» – une contrainte que viendrait structurer la référence à des principes publics de justice sociale. Dans le démembrement de la théorie rawlsienne que propose J. Benoist, les inégalités sont appréhendées en termes de restrictions sur les pouvoirs des individus: il y a des lieux, des actes, des formes de vie qui existent et qu’ils ne peuvent connaître (c’était aussi la leçon principale d’

Inequality Reexamined d’Amartya Sen). C’est pourquoi les droits de propriétés, saisis ici dans leur antagonisme avec toute forme d’égalitarisme, sont au centre de l’aspect répressif de l’inégalité. Dès lors, il importe que les individus ne se laissent pas séduire par des arguments purement théoriques comme ceux que propose J.Rawls: il faut au contraire que chacun s’en tienne à son désir, qui peut s’exprimer dans la revendication. Des formules comme «un ordre juste d’inégalités» devraient demeurer paradoxales: en réalité, j’ai toujours droit à ce que l’autre a: «Ce qui est injustifiable en soi et pour soi est que je doive borner mon désir, là où la société semble offrir à d’autres la possibilité de tels désirs [...]», ce qu’atteste selon l’auteur le fait que «rien ne saurait supprimer cette expérience première de l’inégalité que constitue la contemplation des vitrines de Noël des grands magasins parisiens par ceux qui n’en ont pas l’usage» (p. 115).

Si cette critique revenait à dire qu’il ne saurait y avoir de contrainte sur personne, elle nous ramènerait en-deçà de l’idée hobbienne du renoncement au jus in omnia. Son mérite est plutôt, à mon avis, de mettre en évidence négativement le fait que la référence à des valeurs communes de justice (sur le modèle de la «conception publique de la justice» rawlsienne) n’est pas forcément la meilleure manière de penser les limitations imposées aux individus par un ordre social. Il peut se faire que les individus acceptent une situation à la manière d’un compromis à partir duquel ils n’ont pas le désir de chercher à provoquer un changement. Il peut se faire que leur mode de vie soit à leurs yeux pourvu de sens et désirable, et la contestation, indésirable. Mais l’absence de contestation ne signifie pas nécessairement l’acquiescement à un ordre social

8 J. Benoist, La revendication comme lieu de vérité du déséquilibre social (misère de la philosophie politique), «Futur antérieur» 1997, n°4, p. 113-126.

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pensé comme juste dans son ensemble, et en particulier dans les inégalités qu’il comporte.

A partir de cette critique, il me semble qu’on peut considérer la revendication d’une manière nouvelle. Non plus comme la marque d’un déséquilibre à éviter, qui serait comme contenu négativement dans le cas de figure d’une société juste «bien ordonnée», mais plutôt comme le témoignage de l’impossibilité de tout consentement principiel à l’inégalité. Continuant de cheminer dans cette voie, on pourrait dire qu’il n’y a jamais de raison que j’aie plus ou moins que d’autres, en sorte que demander aux individus de se résigner à des inégalités instituées parce qu’elles sont justes, ce serait infliger un deuxième préjudice à ceux qui sont déjà lésés. Ce qui m’intéresse est ici le point suivant: voilà dessinée la figure d’un préjudice qui tient à la manière dont les individus sont traités sur la base de principes d’ordre éthique, et à cause du statut public de ceux-ci (dans la société bien ordonnée telle que la conçoit Rawls).

2.2. La recherche d’une alternative à la morale

Une autre approche de la neutralité dans la référence à des normes communes pourrait conduire à l’adoption alternative de différents «points de vue», par exemple un point de vue religieux ou moral (appelé à demeurer

«privé», séparé de l’action publique) et un autre point de vue (typiquement, un point de vue «pragmatique», reflétant diverses «nécessités» ou opportunités liées au bien public): cette séparation recouvre souvent un sophisme implicite, d’après lequel le point de vue du premier genre serait toujours par essence non pertinent (intégralement non pertinent) et devrait céder la place à un point de vue du deuxième genre. Dans certains argumentaires, la distinction est assise sur le fait que le premier de ces deux points de vue mobilise des jugements de valeur non démontrables, autour desquels le doute doit subsister, et qu’il ne faut donc pas consacrer publiquement9.

Or, dans la construction de compromis sociaux, cette séparation conceptuelle dichotomique et la conduite qu’elle inspire – celle qui consiste, notamment pour les dirigeants, à «laisser» (ostensiblement) leurs convictions privées de côté, ou bien à privilégier l’ «efficacité» par rapport aux options proprement morales – reviennent finalement à favoriser l’élimination dans le débat et l’action publics de toute valeur éthique bien définie, si laïque ou universaliste soit-elle. Dès lors

9 C’est en particulier le cas dans l’argumentation sceptique dont Michael Polanyi a tenté de démontrer tout à la fois l’inscription dans la tradition libérale (chez Locke notamment) et le danger pour le libéralisme. Voir: M. Polanyi, The Logic of Liberty (The University of Chicago Press, 1951), tr. fr. La Logique de la liberté (PUF, Paris 1989), p. 133-134.

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que l’on privilégie certaines valeurs au détriment d’autres valeurs, il est assurément difficile de prétendre que l’on refuse d’entrer sur le terrain éthique, puisque l’impératif général d’impartialité dans la prise en compte des intérêts peut d’emblée conduire à une critique éthique.

De plus, le soupçon est légitime, qui vise la possible résolution des doutes moraux par l’influence prédominante des intérêts socialement et économiquement constitués dans la société. La référence à des impératifs collectifs supposés comme le progrès ou l’efficacité (ou encore le développement économique) peut parfaitement servir à masquer l’attention privilégiée accordée à certains des intérêts présents dans la société, au détriment d’autres intérêts pourtant également présents et non moins intéressants.

Il faut bien observer que la conception sous-jacente de la neutralité consiste à dire qu’il y a des domaines de l’action dans lesquels les convictions privées, par cela même qu’elles sont celles d’un individu, ne doivent avoir aucune influence sur les décisions prises. Or, il s’agit d’une erreur, car certains éléments importants de ces convictions peuvent très bien être acceptables ou à tout le moins compréhensibles par des individus ne partageant pas les mêmes croyances particulières. Par là, on prive par avance certaines valeurs de l’opportunité de peser face à d’autres valeurs. Or, les valeurs qui sont ainsi exclues du débat sont typiquement les valeurs proprement morales, alors qu’il apparaît toujours

«pragmatique», «neutre» et impartial de raisonner à partir de la minimisation des occasions de dispute (ce qui conduit objectivement à privilégier les groupes de pression suffisamment organisés et motivés pour se lancer dans des diputes dans l’arène publique) ou encore, de la résolution des disputes (ce qui revient à privilégier ceux qui les causent).

2.3. De la neutralité libérale au relativisme prescriptif

La logique de consensus libéral qui sous-tend la philosophie de la mondialisation éthique favorise l’expansion indéfinie des techniques moralement contestées, en particulier dans le complexe bio-médical10. Or, cette logique de consensus libéral se marie apparemment à une forme définie de pluralisme. L’argument qui est jugé décisif est, dans les grandes lignes, le suivant. Puisqu’il existe plusieurs systèmes de valeurs, souvent antagonistes, il serait arbitraire de choisir l’un de ces systèmes de valeurs de préférence aux autres; on en vient alors à l’une des thèses suivantes:

10 V. en particulier: H. Sakamoto, A Challenge to the Concepts of Human Rights and Human Dignity from the Philosophical Viewpoint of Global Bioethics, «Journal international de bioéthique» 2002.

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(a) il ne faut donc rien interdire au nom d’un système de valeurs particulier ; (b) il ne faut donc rien interdire au nom d’un système de valeurs particulier

autre que celui qui résulte d’une exposition aux autres systèmes de valeurs particuliers, à la faveur d’un compromis capable d’éviter les conflits.

La première thèse est difficilement acceptable, parce que l’absence d’interdiction n’a pas, par essence, un statut moral exorbitant par rapport à la réflexion éthique, qui la mettrait par principe à l’abri: elle ne peut être que l’expression de valeurs particulières. La seconde thèse est déclinée par H. Sakamoto dans l’idiome politique du multiculturalisme, dans le cadre de la lutte contre ce qui est décrit comme l’idéologie occidentale déclinante et néfaste des droits de l’homme et de la dignité humaine.

L’argument considéré paraît cependant irrecevable sous de telles spécifications, d’abord parce que le choix de ne pas interdire est un choix éthique parmi d’autres; rien ne dit qu’on doive lui donner une position prééminente en vertu de laquelle ce choix s’imposerait en l’absence de raisons spéciales de demander l’interdiction; ensuite, parce que l’impossibilité présumée de tenir compte des convictions éthiques de référence des uns et des autres (si ce n’est à l’échelon du simple débat, sans garantie d’effectivité à l’échelon des normes) ne vaudrait que s’il s’agissait de concrétiser intégralement l’une ou l’autre des conceptions compréhensives en présence. Mais il se trouve simplement que telle n’est pas l’unique manière de se représenter la «prise en compte» des convictions éthiques en présence. On peut s’intéresser aussi, par exemple, au cas dans lequel un système juridique, sans refléter fidèlement aucun système de convictions particulier, est cependant tel qu’il ne comporte rien d’absolument inacceptable pour aucune des parties. Cela passe habituellement par l’autorisation de certaines choses et l’interdiction d’autres choses. Il est manifestement arbitraire et inapproprié de raisonner comme si la prise en compte signifiait toujours la concrétisation intégrale, dans les normes publiques, d’un système de pensée à la fois particulier et englobant. C’est ménager un triomphe trop facilement obtenu, et un statut exorbitant qui n’a pas de raison d’être, à l’éthique englobante d’un ultra-libéralisme politique et économique, en négligeant des coûts réels tels que les pertes de dignité ressenties par certains individus lorsque la loi devient trop permissive à leurs yeux.

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3. L’égalité des chances dans la remise en cause des principes publiquement reconnus: perspectives pour la théorie politique

3.1. Les chances équitables dans la contestation

Pour cette raison, il faut examiner l’effet différencié de la dynamique des droits libéraux sur la satisfaction des préférences essentielles des individus, selon les convictions éthiques de ceux-ci. Cela conduit à l’étude des chances équitables de contestation des droits controversés.

Il faut en effet étudier d’un point de vue normatif les chances de contestation efficace ouvertes aux mécontents. La thématique de l’égalité des chances des individus dans la contestation efficace des normes publiques conduit à se poser la question suivante: dans quelle mesure le compromis social finalement atteint à propos de questions controversées dépend-il des positions initiales de force ou de faiblesse des acteurs sociaux dans la société? De ce point de vue, on doit souligner que l’éthique de l’ «atténuation des tensions» va comporte une dimension tacite inégalitaire, puisqu’elle revient à donner une sorte de privilège à ceux qui sont capables de créer des tensions pour demander ensuite leur résolution.

En bonne théorie démocratique, dans des domaines où il n’y a pas de consensus éthique, il n’y a pas non plus de dictateur imposant de l’extérieur un point de vue défini. Dès lors, c’est seulement par l’influence sur les autres (leur propre influence, ou celle de gens qui pensent comme eux) que les individus peuvent espérer voir triompher leur cause (ou du moins, la voir servie à un certain degré). Pour les individus qui ne disposent pas d’un large accès aux médias, le vote reste le principal canal d’expression sur les sujets de société; or, sur des sujets réputés «techniques» (comme ceux de la bioéthique, de l’environnement, du contrôle étatique des sectes et des religions...) l’offre idéologique des principaux partis est peu séparable d’autres enjeux politiques, en sorte qu’il est difficile de s’exprimer par le vote spécifiquement sur ces questions.

Il y a alors une répartition a priori peu inéquitable des chances d’influer sur la décision. L’inéquité se renforce avec l’éloignement des centres de décision ou de conseil : pour cette raison, on peut être réservé devant les appels à la création de comités d’éthique mondiaux sur des sujets spécialisés. Ces réserves concernent au premier chef les questions pour lesquelles une grande portée symbolique s’attache au fait que quelque chose soit «interdit quelque part» car alors il apparaît important de préserver les possibilités réeelles, pour les individus, d’obtenir ce type de succès.

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3.2. La segmentation éthique

En consonance avec le débat contemporain sur le multiculturalisme, il est nécessaire d’évoquer les enjeux, en termes d’égalité et de chances équitables, de la segmentation éthique des sociétés marquées par les formes avancées de libéralisme.

L’un des problèmes redoutables auxquels fait face aujourd’hui la théorie politique est en effet le suivant. En voulant assurer l’unité ou la cohésion d’une société politique, on est tenté de privilégier un modèle unitaire, dans lequel l’existence de relations particulières privilégiées entre certains citoyens (de nature culturelle, religieuse, etc.) ne peut à elle seule justifier la constitution de sous-communautés distinctes (ayant leurs règles propres) et pas davantage, le développement de formes de vie qui se situeraient en marge de ce qui est posé comme adéquat, au nom de la volonté commune et dans le respect des libertés de base, pour l’ensemble du peuple. Or, les divisions ont parfois une base éthique (comme on le voit dans les oppositions si tranchées qui entourent aujourd’hui des questions comme la pornographie, l’éthique biomédicale ou la consommation de drogue). Lorsque c’est le cas, les citoyens peuvent éprouver une réelle difficulté à «vivre ensemble», et l’on peut se demander si la politique libérale ne devient pas simplement un art de «se mettre d’accord pour ne pas être d’accord» (dans un régime permanent de mésentente) – et peut-être, pour ne plus vivre vraiment ensemble. L’égalité des chances peut être compromise si les individus, à cause de leurs convictions éthiques, se trouvent dans l’impossibilité d’embrasser certaines carrières.

Dans ces conditions, loin d’apaiser les tensions, la volonté de trouver des normes communes risque de les accroître, car elle crée un enjeu social dont la conquête divise profondément les citoyens. La victoire d’un camp sur les autres impose un préjudice réel à une partie des citoyens, et cela peut se concrétiser à l’échelon de la vie la plus ordinaire (par exemple, à travers l’exposition à la violence ou à la pornographie à la télévision, ou à travers la prise de contact avec des pratiques médicales que l’on désapprouve).

Par conséquent, il y a lieu de réfléchir aux mérites éventuels de stratégies par lesquelles on tolérerait une plus grande différenciation des normes régissant les pratiques dans les contextes sociaux, en fonction des convictions éthiques (plutôt qu’en fonction des appartenances communautaires) des individus.

L’invention de «parois» éthiques dans les institutions, chose à la fois dangereuse et désirable, pourrait prendre pour modèle la différenciation des rôles civils et militaires dans l’ancien «service national» en France, après la reconnaissance et la validation légales de l’objection de conscience. Cet exemple peut venir rappeler qu’il est possible d’organiser la coexistence et l’expression séparée des convictions dans les institutions, d’une manière qui ne mène pas au conflit et qui, même, s’avère capable de résoudre d’anciens conflits (en l’occurrence, ceux qui

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étaient liés à la pratique sauvage de l’objection de conscience ou à diverses formes d’insoumission). On peut estimer que la manifestation institutionnelle du désaccord, assortie d’options individuelles ouvertes au choix, est préférable à un régime permanent de confusion sur les enjeux, de mésentente et de proclamation factice de principes autour desquels l’unanimité devrait se faire.

3.3. Problèmes de l’expertise éthique dans la société pluraliste

Ces observations peuvent conduire à envisager le rôle de l’expertise éthique d’une manière qui s’écarte quelque peu de la manière de voir la plus répandue. Bien souvent, on pense que les comités publics d’éthique ont un rôle à jouer en matière d’expertise, de manière à éclairer la décision publique (par exemple, la préparation de projets de loi, et un vote au parlement). Toutefois, l’expertise concernée est rarement du type de l’expertise sur des questions éthiques que pourrait délivrer un groupe de spécialistes reconnus de la philosophie morale ou de disciplines normatives voisines (des spécialistes auteurs de contributions au domaine). Le modèle le plus fréquent est celui d’une activité qui comporte, entre autres choses, deux composantes centrales: une part d’expertise proprement dite, celle-ci étant assez diversifiée (synthèse des connaissances, clarifications philosophiques, synthèse de l’état de l’opinion en général et dans les familles de pensée), et une part de représentation des opinions des familles de pensée ou des traditions en présence, de manière à valider un consensus apparaissant comme un compromis, et proposé aux autorités publiques. Parfois, on sait qu’il n’est pas possible d’obtenir un tel compromis; mais précisément, cela est alors vécu ou décrit comme un échec, plutôt que comme un résultat normal.

Or, un léger changement de perspective est possible, et même recommandable, si l’on tient compte des faits suivants:

(1) la pratique de l’expertise s’accompagne souvent d’efforts de persuasion liés à la promotion d’intérêts propres aux leaders des domaines concernés (qui seuls détiennent certains éléments des connaissances nécessaires au développement d’une expertise);

(2) il est possible que, pour des raisons contingentes (tenant en particulier aux difficultés de la formation d’une action collective), certaines valeurs morales trouvent moins à s’exprimer que d’autres types de valeurs dans le débat public.

Ces observations conduisent à privilégier un autre modèle de l’expertise éthique, comme expression sincère et caractérisation claire du dissentiment, lorsqu’il existe des divergences éthiques fondée sur de bonnes raisons compréhensibles par tous (même par ceux qui ne choisissent pas de leur donner une grande importance).

Donner plus de poids à cette dimension du dialogue (par rapport à la recherche de consensus) apparaît comme un moyen de corriger l’inégalité des individus

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face aux risques de frustration de leurs valeurs personnelles les plus profondes.

Cela revient à donner plus de voix à ceux dont les valeurs, par malchance, ne coïncident pas avec les intérêts financiers et professionnels les plus influents dans la société. Il faudrait donc privilégier le modèle de la discussion menant à un compromis, ce compromis n’annulant par les divergences de vue, et ne privant pas de pertinence les efforts de remise en cause ultérieurs lorsque le moment semble venu pour faire avancer ses propres idées. On peut, dans cette perspective, tenter de dissocier l’expertise éthique de ses racines historiques dans l’idéologie de la recherche de consensus (faisant apparaître la minimisation des conflits avérés comme un impératif absolu et une valeur en soi).

3.4. Redéfinir les intérêts communs?

Si l’on renonce (à cause des divisions éthiques insurmontables) à l’idée d’une

«conception publique de la justice» qui comprendrait des préceptes substantiels, et si l’on ne veut pas se résigner à l’idée d’une lutte sans foi ni loi (ou avec trop de foi) entre les visions du monde, il semble approprié d’attribuer aux instances publiques deux tâches essentielles:

(a) préserver des conditions équitables pour la concurrence entre les conceptions éthiques rivales dans la société (autour de l’enjeu que constitue la définition de normes communes); cette fonction est en partie remplie par la concurrence électorale, mais on peut penser que l’organisation collective du dissensus, et du compromis temporaire fondé sur la connaissance commune du dissensus pourrait jouer un rôle plus important, se substituant dans une certaine mesure à la quête du consensus, et favorisant le développement d’institutions de dialogue et de débats publics réglés;

(b) assurer des garanties minimales aux individus contre les effets néfastes, dans leur propre vie, du triomphe de conceptions éthiques qui ne sont pas les leurs. Il est clair que les «droits de l’homme traditionnel» jouent un rôle à cet égard. Mais devant la montée en puissance des divergences éthiques permanentes et très importantes (liées notamment aux développements des biotechnologies), il n’est pas évident que ces garanties soient suffisantes;

peut-être doivent-elles être complétées par des dispositifs de séparation éthique permettant aux individus de continuer à coopérer entre eux dans les institutions ou les organisations, mais aussi, de marquer leur différence et leur refus de certaines pratiques. La montée d’une sorte de «communautarisme éthique» peut assurément faire peur; mais les dangers associés ne doivent pas servir à occulter les «torts» subis par les individus (ou du moins leur mécontentement) du fait des divergences éthiques et de la consécration sélective de certains principes dans les sociétés libérales.

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Pour préciser les modalités par lesquelles l’Etat peut assurer ces deux tâches, il est utile de situer la réflexion dans des conditions générales qui ne se réduisent pas aux «circonstances de la justice» comprises à la manière de Rawls, et qui couvrent les circonstances de la concurrence entre conceptions de la justice. Ce sont les circonstances dont il faut tenir compte pour évaluer les moyens d’assurer une certaine égalité de traitement des individus au regard de la satisfaction ou de la frustration, dans la vie sociale, de leurs valeurs morales personnelles.

On retrouve nécessairement à ce niveau certains éléments qui apparaissent habituellement dans les «circonstances de la justice» telles que les philosophes les énumèrent: la rareté relative des ressources, les faits de concurrence ou de rivalité, certains éléments généraux de la psychologie et de l’économie humaines. Mais doivent aussi intervenir d’autres facteurs plus spécifiques, en particulier: l’impossibilité de donner suite simultanément à des prétentions issues de systèmes de valeurs antagonistes; les problèmes d’action collective dans la mobilisation autour de certaines causes (surtout en présence de manifestations de réprobation dans le reste de la population); les difficultés spécifiques de la motivation personnelle en ce qui concerne la défense locale ou temporaire de causes générales (à quoi bon interdire ici, avec les embarras que cela implique, ce qui se produira de toute façon ailleurs?); la difficulté de la remise en cause, par des arrangements impliquant des tiers, d’arrangements déjà conclus et impliquant ces tiers11.

Conclusion

L’insertion des valeurs morales dans la vie publique pose des problèmes profonds, qui tiennent en particulier aux caractéristiques propres des jugements moraux, lorsqu’il s’agit de concrétiser l’égalité de traitement. Face à ces difficultés, plusieurs approches philosophiques sont porteuses d’une sorte de déplacement du problème vers des principes généraux acceptables malgré les divergences ou vers des normes présentées comme «nécessaires» pour des raisons tenant à la nature ou à la société, ou encore, vers des conditions qui apparaissent

«naturelles» au théoricien. Ces différentes approches rencontrent des difficultés spécifiques. Celle que j’ai essayé de mettre en évidence au premier chef

11 Cette question a été discutée par: C. Seidl, Foundations and Implications of Rights, (in:) K.J. Arrow, A. Sen et K. Suzumura (dir.), Social Choice Reexamined, MacMillan, Londres 1996;

v. aussi, du meme auteur: Das Wesen liberaler Rechte, (in:) C. Ott et H.-B. Schäfer (dir.), Effiziente Verhaltensteuerung und Kooperation im Zivilrecht (Beiträge zum V. Travemünder Symposium zur ökonomischen Analyse des Rechts, Mohr Siebeck, 1996.

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concerne le fait que les individus peuvent attacher une importance particulière à la manière dont ils sont traités dans la vie publique, et en particulier, à la manière dont le traitement qui leur est réservé dépend de principes qu’ils acceptent ou dont ils contestent le bien-fondé. Compte tenu de l’importance des considérations de ce type, la théorie politique doit s’intéresser non seulement à la manière de concrétiser des exigences morales précises dans les institutions, mais aussi (et peut-être d’abord) aux conditions politiques de la confrontation et du compromis entre les conceptions morales dans la sphère publique et dans les organisations.

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