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Le théâtre de Witkiewicz: une forme de la Forme

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Jan Błoński

Le théâtre de Witkiewicz: une forme

de la Forme

Literary Studies in Poland 16, 13-43

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Jan Błoński

Le T héâtre de W itkiew icz: une form e de la

Form e

A ad m ettre que les personnages de W itkiewicz, to u t com m e l’écrivain lui-m êm e, m ais sur scène — po ursuivent avec leurs actions l’«insolite de l ’existence», expérience m i-esthétique, m i-m ystique, expérience ra re et souvent ravalée au ra n g d ’un spasm e n arco ti­ que, l’on voit s ’élucider aussi bien l ’affabu lation des dram es que leur systèm e form el, soit le p rétendu absu rde ou folie de W itkie­ w icz1. L a p o u rsu ite d ’un m ystère est une sorte d ’ascèse ou d ’anti- -ascèse. Les p erso nnages cherchent à arranger leur vie de m anière à lui faire pren d re, à to u t m om ent si possible, l’éclat d ’unicité et d ’in tensité; ils défo rm en t le com p o rtem en t quotidien et terre à terre du co m m u n des m angeurs de pain p o u r conférer à leur p ro p re destin la b ea u té m ystérieuse d ’une oeuvre d ’art. D ans Les

Nouvelles form es en peinture, W itkiewicz parle des gens «qui en

des tem ps reculés fu rent peut-être des aventuriers, des condottieres et on ne sait quels esprits agités, „esprits m étaphysiques” asociaux sans form e, vivant leur angoisse m étaphysique sous des apparences pu rem ent vitales» 2. O r la p lu p a rt des héros des pièces et des rom ans de W itkiew icz so n t précisém ent des «esprits m étaphysiques» asociaux et sans form e, qu i fo ndent des E tats fantastiques, co nqu ièren t des tribus sauvages, fo n d en t des sectes religieuses, fo n t des révolutions, dissèquent les m athém atiqu es, font l’am o u r avec cinq femmes (ou

1 C f. m o n a rticle « Z n a c z e n ie i zn iek sz ta łcen ie w „czystej fo r m ie ” S. I. W itkiew icza» (S ig n ifica tio n et d é fo r m a tio n d a n s la «fo rm e pure» d e S. I. W .), M ie się c zn ik L ite r a c k i, 1967, n o 8.

2 N o w e f o r m y w m a la rstw ie i inne p is m a e s te ty c zn e (L e s F orm es n ou velles en

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hom m es) à la fois, assassinent les m eilleurs am is et fon t m al aux êtres les plus chers, to u t cela p o u r éprouver le frisson du M ystère de l ’Existence à travers des «apparences purem ent vitales». M ais c ’est l’échec q u ’ils essuient le plus souvent. D e l’avis de W itkiewicz, le véritable «insolite» ne s’accom plit que dans l’a rt; or, la m ise en scène de sa p ro p re vie de m anière à pén étrer le M ystère, doit être fatalem ent altérée p ar la m auvaise foi, dans la m esure où, ra ­ m enées au rang d ’instrum ents, les valeurs (pouvoir, religion, am our) cessent d ’être valeurs; elles se tran sfo rm en t en signes convenus de la com édie universelle. Ainsi, dans la p artie que m etten t en scène les pièces de W itkiewicz, tous sont p erd an ts horm is l ’écrivain qui, à force de co n stru ire le spectacle c ’est-à-dire une oeuvre d ’art, surm on te les co n tra d ictio n s de l ’art d ra m a tiq u e m étaphysique, en atteignant la F orm e P ure et son fondem ent le plus p ro fo n d , le sens du M ystère de l’Existence.

D écrypter le th éâtre de W itkiew icz com m e une p artie qui a p o u r enjeu l ’«insolite de l’Existence»; com m e une com édie d ans la com édie puisque ses personnages sont sciem m ent m etteu rs en scène de leur vie; enfin com m e un spectacle de m auvaise foi car seul l’au teu r y m ène un jeu honnête — voilà qui perm et, m e sem ble-t-il, de saisir et dégager la spécificité artistiqu e de cette dram atu rg ie, de décrire, p ou r p arler sim plem ent, la form e th éâtrale de la F orm e Pure.

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Le dialogue chez W itkiewicz, dit Puzyna, est «norm al, logique, non sans longueurs, m ais égalem ent non dépou rv u de m o rd a n t et d ’esprit, enrichi quelquefois d ’un néologism e fantaisiste et de pur non-sens, en p articulier d ans les algarades et les injures [...] — m ais p o u r le reste, entièrem ent ordinaire. T o us les personnages p arlen t d ’ailleurs un m êm e langage, négligé m ais expressif — celui de l’auteur, ce qui fait que le dialogue se m aintient dans un to n co nstan t, celui d ’u n e discussion de salon d ’une bohèm e éprise de son p ropre intellect so p h istiq u é » 3.

3 K. P u z y n a , P reface, [dans:] S. I. W i t k i e w i c z , D r a m a ty (L es D ra m es), vol. 1, W arszaw a 1962, p. 31.

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L e T héâtre de W itk ie w ic z 15 Ce serait donc le co n tra ste entre d ’une p a rt le caractère com m un du langage et d ’au tre p a rt la n atu re ex trao rd in aire des faits, qui am plifie, estim e Puzyna, l ’effet d ’ensem ble de l’insolite; une obser­ vation ju ste m ais qui ne l’est que ju s q u ’à une certaine limite. C ’est que d ’une part, W itkiew icz cherche à susciter chez le spectateur h o rreu r et effroi et il y parv ien t; c ’est ce qui explique q u ’il m et a u ta n t d ’aisance à tuer, à violenter, à to rtu re r ses héros et q u ’il en présente les sentim ents et les faits et gestes sous une form e amplifiée, enflée et com m e boursoufflée ta n t d an s l’intensité que d ans l’insolite. D ’un au tre côté cependant, il ôte au lecteur et au spectateur l'effet de vraisem blance; étant si p ro m p t à l’exagération et y tro uv ant de la com plaisance, il rend difficilement crédibles des faits que seule l’im agination sau rait adm ettre. L ’hom ogénéité du langage intello-bohèm e d o n t parle P uzyna se charge précisém ent de signaler le «non-sérieux» des faits qui surviennent. C ’est d ’un to u t au tre esprit que l’on perçoit le supplice d ’un roi shakespearien qui souffre et qui agonise co rp s et âm e, to u t entier, et les tou rm en ts de R ichard III de Nowe Wyzwolenie {La Nouvelle délivrance) qui, m êm e s ’ils apparaissent plus violents aux spectateurs, pu isqu e m o n ­ trés en scène, n ’en laissent pas m oins l’esprit du supplicié étonnem - m ent dégagé, indifférent à la souffrance physique, et to u t occupé p ar des ratiocinations ph ilosophiques ou h isto riq u e s... L ’insolite du théâtre de W itkiewicz est donc p ar excellence intellectuel.

Ce qui force la stupéfaction ce sont d ’abord des faits hors du com m un, puis la m enière d o n t ils sont perçus p ar les p erso n ­ nages, enfin le ra p p o rt entre les actes de ceux-ci et leurs états d ’esprit. D evant les cas de W alpor de K urka wodna {La Poule

d'eau) qui se fait appliquer des to rtu res à titre expérim ental ou

de K o rb o w a qui tue avec une seringue géante la fem m e q u ’il aim e, ou encore de Fizdeyko (de Janulka córka Fizdejski — Yanulka

fille de Fizdeyko) qui abdique le trô n e p o u r se faire garde forestier

dans le dom aine de son p arten aire ou ennem i, la stupéfaction ou com passion des spectateurs se trouve forcém ent mise en cause p ar un double soupçon. P rem ièrem ent, ils o n t du m al à croire à la réalité et à la vérité des paroles et des sentim ents de ces trois personnages, ou, plus précisém ent, soit à la réalité de ce q u ’ils éprouvent soit à la vérité des p ro p o s q u ’ils tiennent. Et, secondem ent, ce qui, nécessairem ent, inspire la m éfiance ce sont les procédés

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de l ’au teu r lui-m êm e, la m anière d o n t il use du th é â tra l: spectateurs, nous avons le vague sentim ent d ’être dupés p a r lu i... L ’oscillation entre d ’u ne p a rt, le sérieux m ortel du m acab re et du grossissem ent et, à l’au tre pôle, la grotesque légèreté d ’esprit des personnages et de l’auteu r lui-m êm e, finit p ar estom per chez les spectateurs le sens des réalités; l ’on ne sait plus si ce q ue l’on p erçoit se passe réellem ent. C ’est dire que l’on ne sait pas si l’écrivain «croit» en ce q u ’il fait représenter, et si les pesonnages vivent et épro uv ent réellem ent les faits dans lesquels ils sont im pliqués. C ’est là précisém ent le révélateur de la m auvaise foi des personnages: elle s’exprim e p a r l’estom pem ent de la lim ite entre la vérité et la com édie des faits, entre un t r a g i q u e d e s u r f a c e e t le g r o ­ t e s q u e d e f o n d . C et estom pem ent se tra h it ce p end ant p ar l’in­ cohérence des paroles et des actes, des faits et du com m entaire, ce dernier se situ an t au niveau du dialogue. A considérer les faits, nous voici à la co u r royale, au salon d ’u n e dém oniaque

hétaïre, ou dans un E ta t secoué p a r la rév o lu tio n : bref, nous

assistons à une tragédie. M ais à scruter les paroles, nous con stato n s n ’avoir p o in t q u itté p o u r un seul instant le café littéraire, le cénacle bohèm e qui s’am use avec les transfig urations de son cru, sans jam ais devenir inconscient du sim ulacre.

Les personnages de W itkacy existent donc, habituellem ent sur

un double p lan : celui de l ’action et du co m m en taire qui, lui,

sert à critiq u er ou à justifier les faits. O r, c ’est le com m entaire qui fait perd re à l’action son «sérieux»: il an é an tit l’illusion, le théâtral, p a r un excès de consience chez les personnages. C om m e les acteurs qui les créent, ils savent q u ’il s ’agit d ’un je u ; c ’est ce qui les am ène à intercaler dans le «dialogue» p ro p rem en t dit, en ra p p o rt avec les faits dram atiques, des « rem arques à p art» adressées à eux-mêm es ou aux autres acteurs, m ais aux acteurs- -personnes et non personnages scéniques. C ar il p eut bien arriver en scène q u ’un com édien, après avoir d it sa réplique, laisse échapper à mi-voix un injure ou reprend un collègue p o u r avoir m al choisi

son en d ro it ou oublié la dernière ph rase de sa réplique. C ette

dualité du dialogue p a r la mise en exergue d u com m entaire se laisse observer dans chaqu e texte de W itkiew icz; elle est toutefois

la plus flagrante dans les débuts d ’actes et de tableaux où il

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L e T h é â tre de W itk ie w ic z 17

«rodés» et q u ’ils ne soient pas encore entièrem ent entrés dans leurs rôles. M arq uo ns, p o u r exemple, dans le prem ier tableau du troisièm e acte de Yanulka fille de Fizdeyko — les phrases du «rôle» (1) d o n t se sont, en quelque sorte, chargés les personnages, et les phrases d u „co m m en taire” (2) d o n t ils font constam m ent accom pagner leurs p ro p o s et leurs actions. P ou r com m odité, nous sautons les indi­ ca tio n s scéniques:

F IZ D E Y K O

Il m e sem b le que j e suis d éfin itiv em en t m is en b o ca l. M a vie est d even u e un cau ch em a r m onstru eu x. Je crée de n o u v ea u x m o n d es intérieurs avec l’aisance d ’un m a g icien n o to ir e (2).

Y A N U L K A

P apa, il se peut que je crée en co re d av a n ta g e. D e s sen tim en ts artificiels in c o n n u s d a n s la vie. J ’en ai c o n ta m in é G o ttfried (2). Je su is sa m aîtresse perverse, e t je serai sa n s d o u te sa fem m e (1). Il est l ’héritier du trôn e, n ’est-ce pas (2)?

F IZ D E Y K O

Tu é v o q u e s cela c o m m e si l ’id ée de su c c e sio n n ’im p liq u a it p as la m ort de ton père. C e rep roch e — dans la m esure où on peut l ’a p p eler rep roch e — je te le fais en co re m a ch in a lem en t d e c e c ô t é - c i d e s f r o n t i è r e s n o u v e l l e m e n t a t t e i n t e s (2 !!). En réalité je su is seul — avec lui et to i — d an s ce m o n d e in­ fernal d e la c o n stru ctio n p sy ch iq u e artificielle. U n m o n d e m erveilleu x! M ais se u le m en t p o te n tiel. J ’ign ore c o m m e n t sera la réalité.

LE M A ÎT R E

C e sera en to u t cas la cin q u iè m e réalité. C h w istek a c o m p lètem en t ép u isé les q u atre prem ières. N o u s a llo n s faire un essai. L um ières! (2)

D E LA T R F F O U I I L E

T r o is c a fé s p ou r ces m essieu rs! (1, p a rad oxalem en t).

F IZ D E Y K O

P o u r q u o i ce pitre est-il d even u garçon de ca fé?

LE M A ÎT R E

La q u estio n est san s im p o rta n ce au cu n e. C e so n t ceu x q u 'on ap p elle des e x p érien ces de tran sform ation pour esprit de cla sse inférieure (2).

F IZ D E Y K O

Q u e d ia b le alors, c o m m e n ç o n s enfin c ette c o m é d ie in fern ale (2). Je parle — je v o u s le fa is rem arquer — p lu s que l ’em pereur A u g u ste. Lui, il l ’a a v o u é à la p h ase u ltim e , m oi en co m m e n ç a n t. D ’ailleu rs, les d im e n sio n s et les coefficients d iffèren t: lui, il a inauguré la d é ca d en ce de R o m e et n o u s so m m es p lan tés c o m m e d es c h a m p ig n o n s au fin fo n d des vastes forêts b o lch év isée s (1) — c ’e s t-à -d ir e ...

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que d isais-je? (2). L ’h u m a n ité? A bas l'h u m a n ité! N o u s so m m es au m ilieu de la sau vagerie p rim itive (1).

LE M A lT R E

O h — v o i l à q u i e s t b i e n (2). Q u el sera ton prem ier acte de so u v er a in ? Je ne veux pas im poser m es idées c o m m e ce la d ès l ’abord.

F IZ D E Y K O

Q u ’on am èn e m es vassau x — m es vassau x dis-je — et v o u s verrez q u ’ils so n t en tous p o in ts sem b la b les à d es ours. D u bétail — une b éta illo cr a tie finie, prête p our l'ab attoir (1). O ui — et q u o i e n co re? M a co n stru ctio n artificielle s ’élève de plus en p lus. P lus h au t, p lus h aut, ju s q u ’à d ép asser l ’a ltitu d e elle-m êm e (2). Je suis tout altitu d e: S on A ltesse, le p rin ce de L itu an ie, E u g én iu s (1), j'ig n o re le q u a n tièm e (2). F iz d e y k o ! (1 )...

Ainsi qu'il est aisé de constater, la technique m êm e du dialogue nous renvoie au théâtre, à du théâtre au théâtre, et rappelle irrésistiblem ent l’ensem ble des p ro p o s qui se font en tend re lors de la répétition d ’une nouvelle pièce en scène! O utre les répliques du texte p roprem ent dit, on entend les rem arques du m etteu r en scène (en l’occurence le M aître) et la rouspétance des acteurs encore désem parés devant le texte et les situations. P o u r ce qui est de Fizdeyko, tan tô t il oublie son texte («j’ignore le quantièm e») tan tô t il fait un effort psychique p o u r se m on trer à la h au teu r de son rôle («plus haut, plus haut») ou encore le com m ente (en restant «de ce côté-ci des frontières nouvellem ent atteintes»). A procéder à l’enregistrem ent sur bande m agnétique d ’une répétition théâtrale, de toutes les paroles qui y sont prononcées, sans distinction des ordres d ’im portance, l’on obtien d rait un effet sem blable à celui de la scène ci-dessus de Yanulka. D ans la suite du spectacle, prév au d ro n t, bien entendu, les répliques de l’«action», mais le «com m entaire» d em eurera présent, en ô ta n t aux faits de la vrai­ sem blance et du sérieux.

Certes, dans Yanulka, tous veulent se créer m anifestem ent et sciem m ent des «m oi artificiels»; or, créer veut dire jo u er. Il en va de m ême de M atthias Korhova et des Pragm atistes. Ailleurs, la dualité des personnages — leur f i s s i o n en « rô le » e t e n « c o m ­ m e n t a i r e » sera m oins app aren te m ais n ’en restera p as m oins réelle. D ans M qtw a (La Pieuvre), H yrcan IV qui est un cam arade de classe de Bezdeka et en outre, un bouffon et un hooligan, s ’évertue d ’une façon m anifeste à s’incarner dans un roi tyran;

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L e T héâtre d e W itk ie w ic z 19 d an s L a Nouvelle délivrance T a tia n a avoue: « to u t cela n ’est que la com édie que j ’ai m ontée m oi-m êm e»4 et on la voit saisie de pan iq u e à l’irruption en scène de personnages qui ne figuraient pas dans son scénario; dans L a Poule d ’eau, W alpor pressé p ar le père à devenir artiste, retom be à to u t b o u t de cham p, sp ontaném ent et fortuitem ent d an s le sim ulacre ta n tô t d ’un am an t dévoré p ar l’appétit charnel ta n tô t de m asochiste, ta n tô t enfin de père du petit T hadée; dans

Tumor M ózgow iez (Tumeur C ervykaî) le héros du titre ne se prend

pas p o u r un seul instant au sérieux dans le rôle de cacique m alais, et ainsi de suite. E n fait, chez W itkacy il n ’y a q u ’une seule chose qui co m p te: la p roblém atique du M ystère de l ’Existence et l’asp iratio n à y parvenir dans la vie ou d an s l ’art. Le reste dem eure to u jo u rs am bigu, de p ur jeu, co ntam in é p ar la bouffonnerie et p ar la m auvaise foi. A l’exception, bien enten du, du châtim ent qui s ’ab a t sur les jo u eu rs de cette partie m étaphysique du M ystère de l'Existence, souvent regroupés en une société secrète, un club d'initiés. Or. selon la philosophie de l ’histoire que professe W itkacy, leur anéantissem ent est inéluctable d an s la m esure où la société «mécanisée» de dem ain ne tolérera aucune tendance ni aspiration individuelle et m ettra à néant to u t ce qui p erm ettrait d ’accéder au M ystère co n stitu an t le coeur de l’Existence individuelle. D ans les scènes finales de pièces de W itkiewicz l’on assiste à l’irru ption de sbires qui m ettent bon ord re au «club d ’initiés»: le m assacre est réel, m ais il vient en quelque sorte du dehors et ne découle jam ais ni de la logique interne du d ram e ni de la con du ite des

personnages.

La dualité des personnages de W itkiewicz — oscillation entre le sérieux et le persiflage inscrit dans le sens intim e du rôle — entraîne aussi d 'a u tre s conséquences. C ’est parce que les personnages jo u en t et ont la conscience de jo u e r q u ’ils ne connaissent aucun frein à leur jeu . Et com m e rien n 'im p o rte vraim ent dans la vie horm is 1 '«insolite» à b âtir du m atériau de l’existence hum aine, il est perm is et m ême indiqué de m ettre à nu, sans se gêner, son p ro p re intérieur, ses instincts et ses caprices; il est perm is et indiqué de trom per, d ’assassiner, de faire de l’escroquerie etc., parce q u ’aucun sentim ent honteux, aucune idée, aucun acte infâm e ne sauraient faire honte

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ni couvrir d ’o p p ro b re des acteurs qui ne font que du jeu dans le but, bien en tendu, de goûter au M ystère de l’Existence. Ce n ’est pas un hasard si, dans ce th éâtre, reviennent en im p ortu nes la m ort d ’apparence et la tran sfo rm atio n de l’hom m e en m ann equ in . Les personnages m eurent et ressuscitent de la m ême m anière que les acteurs en scène, et si m êm e ce ne sont pas des acteurs au sens littéral du term e, ils vivent leur vie com m e au théâtre, com m e s’ils p articipaient à un rituel ou à un jeu. Le m annequin est com m e un sym bole de l ’art et du m étier d ’acteu r: il m on tre que l’hom m e transform é en poupée rem bou rrée de crin et d ’éto u p e n ’était que le signe convenu de la com édie q u ’a m ontée un acteur, m aître de cérém onie, à l ’intention des spectateurs, p arten aires du jeu conçu p o u r susciter l’insolite de l’E x istence... O r, la suppression des règles de m orale, de com portem en t social et de m oeurs co nsé­ cutive à la com édie dans la com édie telle q u ’elle se jo ue, sciem ­ m ent en scène, perm et de co m prend re le large recours à l’h y p er­ bole (et ju s q u ’à l ’abus), si p ro p re à la poétique de W itkiewicz.

« M a vie est devenue un cauchem ar m onstrueux» — déclare Fizdey- ko. D e tels excès d ’affectation verbale p ullulent dans l’oeuvre de W itkacy. Les paroles de Fizdeyko traduisent-ils la violence des sentim ents qui l’agiten t? C ’est ce d o n t j ’ose d o u ter. Ce to u r excessif du discours au niveau des d énom ination s, des qualificatifs, des répli­ ques et des p ro p o s tém oigne p lu tô t de la difficulté q u ’éprou ven t les personnages à assum er leurs rôles resp ectifs... T ous, ils aspirent à être q u elq u ’un d ’au tre q u ’ils ne sont, à faire jaillir de la stérilité de leur existence l’intensité à do n n er à leur m anière de sentir et d ’éprouver l’existence, quitte à gonfler dém esurém ent les virtualités q u ’ils se reconnaissent. Tel serait le cas d ’une com édienne qui, cam p an t la jeune prem ière, s ’excuserait auprès du m etteur en scène en cours de rép étitio n : «m on affection d ’am oureuse n ’est pas encore à son com ble», et chercherait à faire son plein d ’affection, en grossissant le personnage q u ’elle incarne et la situatio n dans laquelle

il se trouve. A utrem ent dit, le ton excessif aiderait à trouver

le ju s te ... m ais ta n t que l’acteur ne se trou ve ram ené à sa ju ste

dim ension, il ne c ro it pas en son rôle. C ’est ce qui se prod uit chez W itkacy: ses hyperboles retentissantes, au lieu d ’am plifier l’effet, le réduisent. L ’exem ple en est offert dans Szew cy (Les Cordonniers):

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L e T héâtre de W itk ie w ic z 21

LA P R IN C E S S E

Votre im pu issan ce. D o cteu r d e P uu t, m ’e x cite à la fo lie to ta le [ ...] V otre in certitu d e est p ou r m o i u n e réserve d ’ex ta se d éch a în ée, sexuelle, fem e lle, insecte, m e s en trailles; je vo u d ra is c o m m e ces m a n tes relig ieu ses m an gean t vers la fin la tê te de leur parten aire qui m algré to u t ne cesse p a s d e, v o u s v o y e z q u o i, hé, hé.

2e C O M P A G N O N

(il tien t l ’énorm e h o tte d ’officier) W h at a g ro tesq u e ex p ressio n ?

Cela sonne, to u t com te fait, com m e une parod ie de P rzyby­ szewski, y com pris le sacram ental «hé hé»; m ais si la Princesse é ta it vraim ent excitée, elle se passerait de son radotage. Les vrais déchaînés sont les com pag no ns tenus en quelque sorte en laisse p a r de Puut. Mais les débordem ents de discours d ’Irin a signalent no n pas le déchaînem ent de ses désirs, m ais bien l’effort désespéré de surm onter l’ennui d o n t W itkiewicz souligne par tro p instam m ent le poids dans L es Cordonniers. La Princesse n ’éprouve rien encore, elle ne fait que vouloir éprouver et se m ettre en excitation p ar des p ro p o s ineptes, en p o rta n t au plus vif le sentim ent d ’ennui et d ’inanité de la vie q u ’elle mène. Ainsi q u ’elle le dit elle-même, elle a déjà to u t vécu et peu de choses o n t la chance de l’am user encore. Il y a toujou rs quelque chose d ’infinim ent triste dans l’effort des personnages de W itkacy de réchauffer leur intérieur avec les paroles et de ranim er leurs coeurs et leur sens avec le cerveau; c'est le cas de la Princesse qui, usant d 'u n e m anière banale, met à co n trib u tio n le sadism e p o u r stim uler le désir. M ais c ’est un sim ulacre de sadism e dans la m esure où il n'est pas charnel m ais to u t cérébral: à l’instar de poètes décadents, Irina cherche à inventer à son usage des sensations inédites. «W hat a grotesque expression» — disent les co m pagno ns; ils sentent p arfaite­ m ent le co n tra ste entre le déchaînem ent verbal de la Princesse et le froid qui l’habite.

A vouloir trouver une form ule de situation ad équ ate à l’e n s e m b l e de l’oeuvre th éâtrale de W itkacy, il serait difficile d ’en indiquer une autre que celle d ’une im provisation de société. Im aginons un cercle d ’am is qui s’ennuie à une réception ou au café. Q u e lq u ’un propose: et si l ’on jo u a it une scène d rôle? A vous de jo u er le roi, à vous — l’artiste, à vous au tres le co n sp irateu r, la courtisane, l’aristocrate rongé p ar l’e n n u i... Et à chacun de créer son personnage

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de façon à en tirer un m axim um d ’effet de l’insolite, de tension et d ’intensité d ans chaque situation en présence. Il faut que le roi soit on ne peut plus royal, la courtisane — très courtisane, le com te — un aristocrate p u r sa n g ... O r. que cette situation initiale soit venue telle quelle à l’esprit de W itkiewicz, tém oigne le troisièm e acte de Yanulka fille de Fizdeyko où la salle de trôn e est à la fois un café. Et les «clubs d'initiés» ou les sociétés secrètes des fervents de l’insolite de l’existence que l’on retrouve dans Korbowa, et dans les Pragmatistes, ne font que reprodu ire le m odèle. L ’on y retrou ve des personnages dans une sorte d ’isolem ent et d ’exclusion du m onde qui les en to u re: ce sont eux, les initiés à la vision du m o nde de W itkiewicz, qui savent q u ’il n ’est pas d ’au tre fin à p o ursuivre que les divers avatars de M ystère: depuis les plus sublim es, artistiques, ju s q u ’aux plus bas et les plus bizarres de ses succédanés. C ’est ce q u ’a bien saisi K a n to r dans sa d ernière mise en scène de L a Poule d ’eau à C racovie (1967). Il a fait d ébu ter le spectacle p ar l’entrée en scène des acteu rs: nous les voyons se m ettre à un ban q u et imprécis, s’entretenir de la bonne chère, s’installer à la table en laçant des p ro pos à l’adresse du public etc. D ans ce b avard ag e qui faisait penser au discours sot d ’une ban de d ’artistes bohèm es, s’intercalaient im perceptiblem ent les répliques p rop rem ent dites de la pièce: celle-ci faisait ainsi sem blant de procéder en quelque sorte de l’im provisation, de l’ennui et de la feinte qui se re tro u v en t à la base de to u t le théâtre de W itkiewicz. Et, bien que, d ans la suite du spectacle, K a n to r n ’ait plus voulu m ettre en relief cette bouffonnerie et cette m auvaise foi sans lesquelles je vois m al un spectacle p arfait du théâtre de W itkacy, il a certaine­

m ent bien choisi le p o in t de d ép art de sa mise en scène, en faisant progresser d ’un pas la solution de ce problèm e difficile q u ’est le style théâtral adéquat à tro uv er à la dram atu rg ie ’ de W itkiewicz.

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Les pièces de W itkiewicz sont à percevoir com m e des je u x p r a t i q u é s p a r d e s p a r t e n a i r e s i n i t i é s : en m ême tem ps c ’est depuis longtem ps q u ’on a insisté sur l’élém ent de parodie qui

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L e T héâtre d e W itk ie w ic z 23 leur est intim e. Il y a p o u rta n t en elles quelque chose de plus p u issan t et de plus profo n d que la parodie. D ans le qualificatif d o n t je vais me servir il n ’y a aucune intention de dépréciation ni de blâm e; je me sens ce pendant en d ro it de dire que les d ra m e s de W itkiewicz on t, ou o n t fatalem ent, un caractère p arasi­ taire. Tel le gui, ils se nourissent de la sève de ce chêne q u ’est le p atrim o in e artistique. En effet, si les actions des personnages défigurent les destins hum ains de la vie réelle, il est norm al aussi q u ’elles en fassent au ta n t p o u r les m otifs, les thèm es et les approches littéraires qui exprim aient dans les oeuvres d ’autrefois les sentim ents, les destins, les faits de la vie des hom m es. M ais il y a p lus: si les héros aspirent à tran sfo rm er leur p ro p re vie en une oeuvre d ’art, rien de plus sim ple et à la fois de plus inévitable p o u r eux que de reco u rir à des m odèles artistiques déjà en place. Ils o n t donc à leur disposition des schém as to u t faits auxquels il est aisé de faire référence, des caractères déjà forgés, des vocabulaires et des styles de dialogue déjà à leur portée! C ’est d onc sans s’em barrasser de

scrupules que W itkiewicz m et à co n trib u tio n des élém ents déjà

to u t faits du théâtre, du ro m an, de la d ram atu rg ie déjà en place,

p o u r les traiter et les rem odeler selon sa théorie de l’art et sa co n ­ ception de la vie.

Le «parasitism e» de W itkacy s’exerce sur plusieurs plans. U ne pièce peut s’inspirer dans sa to talité d ’une autre. Des critiques et su rto u t P u z y n a 5 o nt déjà indiqué les filiations et les em prun ts;

le relevé q u ’ils en ont dressé serait sans dou te à com pléter.

Yanulka fille de Fizdeyko est ind ub itablem ent trib u taire de Konrad Wallenrod de M ickiewicz, L a Nouvelle délivrance — de W yspiański

et de Shakespeare, M a tk a (La M ère) — des Spectres d ’Ibsen. W m a­

łym dworku (Dans le p e tit manoir) s ’inspire de W m ałym dom ku (Dans la p etite m aison) de R ittn er; m êm e dans Tumeur C ervykal

et d ans Niepodległość trójkątów ( L ’Indépendance des triangles) résonnent vaguem ent des échos de C on rad . Ç a et là, d an s L e Petit manoir par exemple, l’intention de p arodie est m anifeste, la pièce de R ittn er étant un spécim en, et de qualité du dram e réaliste bourgeois que W itkiewicz exécrait. Ailleurs, ap p a raît un m o tif vaguem ent d ’em p ru nt qui sert à l’écrivain de trem plin, le plus souvent de situ atio n :

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c'est le cas de la L ituanie et des chevaliers teutoniques d ans

Yanulka, de la M alaisie de C o n rad , de la m aison natale d ’Ibsen.

L ’au teu r peut rénover de cette m anière le thèm e de l’«insolite» auquel il revient en m aniaque, en m odelant dans d ’innom brables variantes, le processus analogue de défiguration fantaisiste et d ’am pli­ fication de la ré a lité ... Enfin, apparaissent chez W itkiewicz des personnages de la littérature et de l ’histoire, R ichard III ou le pap e Jules II, intervenant dans l’action sur un pied d ’égalité avec les personnages p ro p rem en t dits des pièces. Ceci est d ’a u ta n t plus com préhensible et facilem ent acceptable que to u t ce th éâtre est c o n ­ stam m ent une sorte d ’exposé sur le M ystère et l ’in solite de l’Existence, une approche de p u r intellect ayan t p o u r assise la vaste érudition de l’auteur, prolifique d ’exem plification. Au m êm e titre que l’expérience des personnages historiques ou littéraires connus, il invoque celle de ses amis et connaissances, artistes et philosophes de son tem ps, et égalem ent la sienne propre.

T ous ces em prun ts font office soit de c i t a t i o n s soit d ’a n a l o g i e s de thèm es littéraires. La trad itio n est une au tre source de répliques des personnages auxquelles, c ’est sciem m ent que W itkiewicz, confère fréquem m ent le to u r du discours d ’em prunt. Tous les personnages de W itkiewicz parlent de la même façon, ce qui ne veut pas dire p o u r au tan t q u ’ils disent la m êm e chose; la différence tient au problèm e soulevé ou à la situation et non à la spécificité ou au caractère du personnage. D ans le réperto ire stylistique des répliques de W itkiewicz, se laissent distinguer cinq styles, em p ru ntés tous les cinq, du m oins en partie, au patrim o in e littéraire. C ’est le mélange qui fait l ’originalité de ce coctail et non les in g réd ie n ts... Il y a d ’ab o rd le «style télégraphique» au moyen duquel les p e r­ sonnages caractérisent rapidem ent ou tran sform ent la réalité; cela fait penser aux indications de m etteur en scène qui ne font que servir d ’appoint à l’im agination des «acteurs» qui, en un clin d ’oeil, font le p oin t des faits et des situations:

D E M U R

(à L en ra g ey) P erm e ttez-m o i d e m e p résen ter: A n a n a sis D em u r, c i-d ev a n t a m ­ b assadeur à S a in t-D o m in g u e . M ain ten a n t, au b o u t de cinq ans de m issio n , m e revoici d ans le p a y s. Le clim a t a ravagé m a san té. Black water fever. La fièvre noire. Je m e ch arge d ’un service au M in istère des A ffaires étrangères.

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L e T héâtre de W itk ie w ic z 25 P uis, il y a le style de m élodram e de fau b o u rg ou celui des sous-titres des films m uets de l ’époque, auquel o n t recours les héros de W itkiewicz p o u r régler ou faire progresser leurs affaires de coeur, en signalant en m êm e tem ps le peu d ’im portance et le sim ulacre:

R O S A

T u m ’aim es? C om p ren d s-tu c e q u e j ’ai fait p ou r to i?

C Y N G A

(l'enlace e t l'em b ra sse sur la bouche) Je sais. T u es sp len d id e. D u reste,

ça ne va pas durer lo n g te m p s: je te délivrerai très rap id em en t. D è s que notre c o m p lo t aura réussi.

R O S A

Je ne serai ja m a is à lui. Tu m e cro is?

(B ezim ien n e d zie lo — L ’O eu vre sans nom)

Ensuite, il y a des considérations philosophiques d ’u ne précision relativem ent rigoureuse, d ’un to u r quelquefois négligé et elliptique p o u r la seule raison q u ’elles s ’adressent à des gens intelligents qui saisissent l’idée à dem i-m ot:

JU L E S II

L a relativité, m on fils, v o ilà la se u le sa g esse, et d an s la vie et d an s la p h ilo so p h ie . M o i-m êm e j'a i été un a b so lu tiste ; m o n D ieu , qui parm i les gens h o n n ê te s ne l’a p as été? M ais les tem p s o n t ch a n g é. D e m êm e que vou s ne c o m p r e n e z pas à p résent que le prem ier b ip èd e venu c o n n a issa n t M arx ou Sorel n ’est p as n écessa irem en t au so m m et d e la h iérarch ie terrestre d es Etres, v o u s ne p o u v e z n on plus co m p ren d re q u e m o i, par exem p le, et v o u s, so m m es deux ca té­ g o ries d istin cte s d'êtres et pas seulem en t d es variantes du genre hum ain. Seul l'A r t, m algré sa p erversion , c ’est m ainten u à un certain niveau.

(L a P ieuvre)

Le relief des définitions q u ’il faut prendre cum grana sa lis... et le grossissem ent des exemples font penser quelquefois aux co n ­ versations professionnelles de scientifiques ou d ’artistes; ce qui est

significatif c'est to u t au ta n t la facilité de s ’en tendre que le to u r

im agé et concret et la crudité sans com plaisance du développem ent verbal. D ans la stylistique des dram es de W itkiewicz se distinguent ensuite des répliques particulièrem ent bouffonnes, p aro d ia n t sans pitié une phraséologie m anifestem ent ro m an tiq u e ou m oderniste des états d ’âm e et des to u rm en ts m oraux. C haque pièce de W itkacy ou presque en fournit des exem ples:

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H IL D A

M a in ten a n t en co re tu es un en fant m algré to u t to n d ia b o lism e m u sica l. V iens à m o i — je t ’apprendrai à être to i-m êm e. Tu seras à m oi et je t ’an éan tirai, c o m m e to u s les autres, m ais a u trem en t: en se m b le n o u s créero n s d e s oeu vres infernales d o n t rêveront les d ia b les so lita ires d a n s les n u its d ’in so m n ie , so n g ea n t à d es d ia b lesses qui n ’o n t ja m a is ex isté. L ’enfer d e m es in a sso u v isse m e n ts refou le to u te s m es a m o u r s d an s le m arécage de la v o lu p té d évastatrice. Tu d o is périr d ans les affres d ’une d éch éa n ce d o n t tu ne peux p a s avoir idée.

1STVAN

J’ai en ten du parler de cet a n éa n tissem en t par les fem m es, m ais je n ’y ai ja m a is cru. M ais je te c o n v a in cra i. S o u s le m asq u e q u e tu p o rtes, il n ’y a rien de réel. Je n ’ai peur d e rien. U n to u r b illo n d e so n s tén éb reu x m e c a c h e le secret de ton corp s. C o m m e un p oign ard je le d échirerai par un b a iser sur tes lèvres crim in elles. (// l ’em brassé). A présent je te c o n n a is. M a force n ’a pas de lim ites. J ’enferm erai to u t cela d a n s u n e p yram ide de m u siq u e d ia b o liq u e, d a n s une co n str u c tio n de M al p u rem en t m éta p h y siq u e de frénésie d y o n isia q u e g lacée.

(L a S o n a te de B elzébu th )

Et enfin la m oquerie m anifeste ou b ou tad e, soit gaie, à la p o ­ tache, soit éclatant de colère rentrée, com m e dans Les C ordonniers:

1er C O M P A G N O N

(les d en ts se rré s) H eureux q u e v o u s n 'a y ez pas dit ça à un m a u v a is m o­

m en t, cu ls-terreu x, co n se rv a te u r s, réfractaires, préten d u fo n d em en t d e la race n a tio ­ nale. Si je v o u s ca ssa is les d en ts, hein?

LE V IE U X P A Y S A N

(altier) Q u o iq u e p r o fo n d ém en t c o n v a in c u s d e n otre grande m issio n à la ch u te

de la n o b lesse et d e l ’aristocratie du n o u v ea u m onstre, qui se vêt à carreaux, en cro y a n t q u ’à l'a n g la is e ...

T ous ces styles, pris séparém ent ou confondus, s’ap p a ren ten t les uns aux autres p ar un trait, à savoir q u ’ils rend ent im possible de faire la p art de sérieux et de b o u tad e d ans les répliques. L a raison en est q u ’ils font référence à des m odèles ou clichés usés, exploités et largem ent connus.

M ais il y a plus. L ’on sait déjà que to u s les héros de W itkacy, sous réserve de m ériter ce nom , n ’o n t q u ’une fin en vue: accéder à l’intensité de la vie — rêve des m oins conscients d ’entre eux — ou déguster du M ystère de l’Existence — aspiration des plus doués. Et, p o u r y arriver ils cherchent à devenir d ’autres personnes q u ’ils ne sont, à changer d ’identité m oyennan t com édie. O r les acteurs — et les personnages de W itkacy en sont — o n t besoin d ’un m odèle à jouer; ils doivent se référer, si j ’ose risquer ce term e, à un synopsis.

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Le T h é â tre de W itk ie w ic z 27

C ’est à m o n sens, la raiso n m ajeure p o u r laquelle W itkiewicz

con trefait et p aro d ie sans se gêner, le p atrim oine littéraire, ce synopsis inépuisable de com édie m étaphysique. Sa contrefaçon s’exerce p rincipalem ent au niveau de la typologie des personnages ou, plus précisém ent, des r ô l e s que ces personnages assum ent. Ces rôles

on ne p eu t plus à bon com pte, sont co m parables à de la friperie;

p o u r faire com p ren dre q u ’il ne s ’agit que de rôles, W itkiewicz en choisit sciem m ent des plus effilochés, des plus conventionnels, des plus m édiocres, frô lan t le kitsch. C ’est ce q u ’a bien saisi W ażyk, sans toutefois préciser que l’allure m élodram atique et de basse littérature des «m odèles» de W itkiewicz est délibérée, et q u ’au con tact de la p ro b lém atiq u e du M ystère de l ’Existence, eUe p ro d u it *un effet a rti­ stique rem arq u ab le, en d o n n a n t du relief à. la com édie.

«Le th éâtre de W itkiewicz est fondé sur des clichés — écrit

W ażyk. — Ses personnages se retro u v en t d ’une pièce à l’autre, com m e

dans la com édie italienne, sans p o u r a u ta n t avoir la pérennité d ’A rlequin, de Polichinelle ou de Sganarelle. C ’est m agistralem ent que B oy-Żeleński a qualifié ce th éâtre de sur-cabaret. Le cabaret lui aussi, a ses personnages attitrés, p ro d u its de l’observation ou

de l’im agination qui les rend, d ’entrée de jeu, identifiables à ne

pas s ’y m éprendre».

La typologie des personnages de W itkacy — p o u rsu it W ażyk — se situe «au niveau de la basse littératu re qui con n aît depuis longtem ps la femm e fatale. A près l ’échec de la tentative de son anoblissem ent p ar le m odernism e, la femme fatale est redescendue d an s le ro m an popu laire et a fait carrière au ciném a, com m e vam p. La représentation de la fem m e fatale persiste dans les m ythes p o p u laire s: l’on peut y voir un archétype [...] D ans le sur-cabaret de W itkiewicz la femme perverse fait vibrer les sensualités m âles et la sienne; elle le fait à la m anière d ’une dem i-vierge, bien que les tab o u s restrictifs de l’époque victorienne ne soient plus de mise. Les liaisons am oureuses se croisent et s’entrecroisent com m e dans une farce de boulevard [...] elles se nouent séance tenante. Un langage am oureux réduit à sa plus sim ple expression [...] la form ule m élo d ra m a tiq u e : „je serai à toi m ais fais to u t p o u r sauver E d o u ard ” en côtoie une au tre : „com m ençons une vie nouvelle”» 6.

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T o u t ceci, W ażyk le saisit à m erveille; ce n ’est pas en vain que la poésie des années 1920 se plaisait d an s la cam elote de grande ville et dans la décharge littéraire de la civilisation industrielle. M ais W itkiewicz était le dernier à se laisser p re n d re à la pose de ses héro s; quoi q u ’on en dise, ils suscitent en lui une attitu d e de froide ironie. La tragique (à ad m ettre q u ’il y a lieu d ’en parler) tient à d ’autres raiso n s: à l’ensem ble de la conception du m onde de W itkiewicz d o n t ses pièces sont le p ro d u it et l’illustration.

Si les personnages de W itkacy choisissent de m auvais m odèles p o u r leur com édie, la raison en est q u ’ils sont eux-m êm es de piètres acteurs et q u ’ils ne cro ient ni aux fins q u ’ils s’assignent ni aux valeurs q u ’ils sem blent servir. Ainsi que tou te la littératu re l’atteste, l'effet du th éâtre au th éâtre n ’est p ro b a n t que q uan d le théâtre n° 2 est nettem m ent d ém arqué du théâtre n° 1, le th éâtre p rop rem en t dit, celui où se tro u v en t installés les spectateurs m unis de tickets d ’entrée; m ais dém arqué signifie en règle, de m oindre qualité. Il en va ainsi d 'H am let et du Balcon de G enet, il en va ainsi de W itkiewicz égalem ent. Le parasitism e et la pacotille co n stitu en t dans les

Drames un artifice artistique. Celui-ci est la conséquence logique

du caractère gigogne du théâtre de W itkiewicz qui crée de l’art véritable avec ce m atériau m ensonger q u ’est l ’« art de la vie», la F orm e Pure — avec des form es infirmes et estropiées, l’insolite de l’existence — avec le néant de celle-ci, bref, qui tire la vérité — du m ensonge et la réalité artistique — de l’app arence de la vie.

3

La co nstruction des pièces de W itkiew icz a de quoi d éco nte­ nancer le lecteur. L a m ultiplicité des événem ents, des revirem ents, des p ertu rb atio n s du cours de l’action fait penser, com m e le veut l’écrivain, à un rêve étrange ou to u t au m oins à un film à suspense. M ais en m êm e tem ps, ces pièces font l’effet de ce q u ’on appelle les pièces bien faites qui s ’en tiennent aux règles traditionnelles de la suite et de la progression d ram atiqu es, ju s q u ’à ne pas rechigner à l’unité du tem ps, du lieu et de l’action. P aradoxalem ent, les

Drames apparaissent com m e h allucinations et com m e dispositifs bien

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L e T h é â tre de W itk ie w ic z 29

logique classique de la form e. C o m m en t concilier ces effets c o n tra ­ dictoires?

Il faut bien s’interroger d ’ab o rd à quoi tient l’u nité? C om m e les personnages de W itkiewicz sont en to u t prem ier lieu des bohèm es blasés ou décadents qui conviennen t de jo u e r un happening, et ce n ’est q u ’ensuite q u ’ils sont rois ou artistes, dém ons du sexe ou anges de l’anéantissem ent, l’un ité fondam entale de W itkiew icz doit être celle de la com édie, du sim ulacre. Les conséquences en sont les suivantes: prem ièrem ent, l ’hom ogénéité de langage com m e P uzyna l’a soulevé à ju ste raison, deuxièm em ent l ’unité de stratégie du com p o rtem en t, et troisièm em ent — d ’attitu d e et de conception du m onde, cette dernière étan t to u jo u rs une réplique de la philosophie de l’auteur, ta n tô t fidèle, ta n tô t à rebours. L ’on p eut dire aussi que l’unité fondam entale s ’exprim e av an t to u t dans la ressem blance sinon l’hom ogénéité du com m entaire d o n t les personnages ne cessent d ’assortir les faits et les actions q u ’ils jo u en t. Ce qui plus est, nous n 'av o n s jam ais la certitude si les faits que nous suivons en specta­ teurs, renvoient à la réalité objective, extérieure au théâtre, ou s’ils con stitu en t u n systèm e de rôles distribués d'avance. C ’est la raison p o u r laquelle nous acceptons aisém ent «Le caractère fantaisiste de la psychologie et des actions» que préconisait W itkiewicz. Si nous ne som m es pas choqués p ar la présence de R ichard III dans un salon m oderne c ’est que nous so u p çon no ns dans n o tre for intérieur q u ’il est to u t b o nn em ent l’am i déguisé de T atiana. Sem blablem ent, les to rtu res infligées à W alpor ne n ous ém euvent p as: il s’y est soum is v o lontairem ent et nous p o uv ons être rassurés que les tortion - naires-laquais ne lui feront pas tro p de m al. Bref, la «réalité» th éâtrale se ram ène uniquem ent à ce que l’on voit se passer ici et m ain ten an t, en scène, sous les yeux des spectateurs; dans les faits représentés p ersonne ne perçoit ni sym bole ni représentatio n des faits in terven ant ailleurs q u ’au théâtre, sur la scène. L 'u n ité de l’univers de W itkacy est donc une unité du jeu, du jeu des personnages, celle de l’oeuvre d ’art d ’une seule soirée théâtrale, et non l’unité co n­ venue de la form e choisie sciem m ent p ar l’au teur p o u r présenter d ’une m anière plus suggestive ou plus p ertinen te les faits typiques ou to ut au m oins significatifs du m onde extérieur. La natu re littérale d ’un tel spectacle-jeu replié sur lui-m ême écarte la possibilité d ’une p er­ ception réaliste du théâtre de W itkacy.

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P o ur ce qui est de la m ultiplicité des faits, elle n ’engage à rien ni les héros ni l’auteur. A la différence de la d ra m a tu rg ie trad itio n ­ nelle dans laquelle W itkiewicz puise p o u rta n t à pleins bras, les grands m om ents de ses pièces ne sont nullem ent des faits violents et définitifs d éterm inant irrém édiablem ent le destin des personnages : déclarations d ’am our, infidélités, m eurtres, sacrifices. En fait, le cadavre peut ressusciter et les déclarations d ’am o u r n ’em pêchent en rien les flambées de haine ou l’infidélité im m édiate. Les m éandres brusq ues de l’action, la déform ation co n stan te des m otivations psychologiques faisaient autrefois penser à l’«absurde» com pris com m e acceptation du règne du hasard ou to u t au m oins des écarts d ’im agination. O r, il n ’en est rien. Les résurrections, les m eurtres, les a p p a ritio n s de personnages- -m arionnettes n ’o n t en fait q u ’une im portance d ra m a tiq u e secondaire; les actes et les faits se développent en quelque sorte au to m a­ tiquem ent, étan t fonction de la stratégie du jeu (jeu d 'intensité de la vie) et de la cadence de ce dernier. C e qui est p ro p re à la dram aturgie de W itkiewicz c ’est d ’am o in d rir la p o rtée des événem ents (faits, actions) en faveur de celle, accrue, du com m entaire (réflexions, considérations des personnages), à cette réserve près que l ’écrivain ne réduit pas p our au tan t, ni en n om bre ni en insolite, les événe­ m ents en cascade et refuse de se b orn er, à la différence d ’un Tchékhov, à creuser et à ap p ro fo n d ir un fait b anal seul. Au contraire, il m ultiplie les actions de ses héros com m e s ’il voulait m on trer com bien elles sont de peu de poids. Il les co m p ro m et p a r inflation et p a r déchaînem ent dans l ’insolite.

L ’action, l’affabulation est donc une résu ltan te des règles de «vie artificielle» et de la recherche de l ’insolite de l’Existence, recherche menée habituellem ent à grand renfort de m auvaise foi. Les personnages im prim ent à leurs actions l’orien tatio n d o n t ils espèrent q u ’elle leur vaud ra un m axim um d ’intensité de sensations, m ais dès q u ’elle se révèle décevante, ils en ad o p ten t une autre, en changeant de rôle et de m asque d o n t ils se sont affublés. Ainsi, au théâtre de W itkiewicz, le m om ent d ram atiq u e crucial à valeur de to u rn an t, correspond-il à celui de la prise de conscience p a r le personnage qui cond uit l’action, de l’inanité ou de l’insuffisance du «rôle» q u ’il est en train de jo u er. D ans cette pièce m ineure q u ’est Tumeur

C ervykal, le héros du titre, génial m athém aticien d o u é d ’un titanesque

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L e T héâtre de W itk ie w ic z 31 m atiq u e, cherche à assouvir ses nostalgies m étaphysiques que seul l’art est cap ab le d 'a p aiser, succom be de tem ps à autre au sentim ent du vide et à la dépression, c ’est que tous les «rôles» q u ’il assum e ne lui valent ni satisfaction ni b on h eu r (m étaphysiques cela va sans dire). A nim é p ar un inassouvissem ent féroce, il s’assigne à chaque échec un objectif nouveau, m ais c ’est to u jo u rs l’échec qui le guette. La raiso n en est, prem ièrem ent, q u ’il n ’est pas artiste et q u ’à ce titre, l’accom plissem ent lui est refusé, et secondem ent, que to u t titan q u ’il est, il y a en lui un trop-plein de faiblesse et de rem ords d ’un dém ocrate. Les «objectifs» de T u m eur se révèlent être (dans la pièce seulem ent, bien entendu) de séduire Ibissa, de fonder un E ta t d an s la p re s q u ’île M alaise, de constitu er une classe nouvelle de chiffres qui se n om m eraient «tum eurs», enfin d ’épouser B alantine. A chacu n des objectifs, à l ’exception du dernier qui ne restera q u ’intentionnel, co rresp o n d un acte de la pièce; finalem ent T um eur trépasse, terrassé p a r un infarctus.

L ’on peut d ire aussi au trem en t: le m om ent d ram atiq u e à valeur de to u rn a n t intervient chez W itkiewicz qu an d le personnage s o r t d e s o n r ô l e . C ela se p ro d u it d ’une m anière qui varie d ’une pièce à l’au tre, et c ’est exceptionnellem ent q u ’une m o rt aussi naturelle que celle de C ervykal apaise le pro tag on iste. Q uelquefois, com m e dans L a Poule d ’eau, le personnage principal to ut bonnem ent inca­ pable de concevoir son rôle, se dém ène au milieu de dém arches grotesques qui ne font que dévoiler son air désem paré: il ap p a raît com m e objet et non com m e sujet des actions des partenaires. W alpor avoue lui-m êm e que quoi q u ’il ne voulût entreprendre, il finissait to u jo u rs p a r découvrir q u ’il s’agissait d ’un projet qui lui fut im posé de l’extérieur. Q uelquefois, et c ’est le cas de K orbo va (dans M atthieu Korbova et dans Bellatrix), le protagon iste se trouve paralysé par le découragem ent, résidu de la fascination par l’Existence, chaque fois ce pendant il se réveille à de nouveaux projets, noyau initial d ’une action d ram atiq u e nouvelle. Q uelquefois, com m e Flore- stan de La N ouvelle délivrance, le pro tag o n iste ne se m on tre pas à la hau teu r de l’idée q u ’il se fait de lui-même ou, tel H yrcan de La

Pieuvre, il recule devant les conséquences ultim es de la com édie

q u ’il joue. Souvent aussi, le pro tag o n iste succom be aux coups qui lui sont portés de l’extérieur. En particulier dans les pièces tardives de W itkiew icz l'o n constate com m e une interférence et une interaction

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des deux plans — individuel et collectif, social : la com édie de la vie se brise et déraille dans les circonstances d ’une révolution et des prog rès de civilisation industrielle, m ais en m êm e tem ps la révolu­ tion offre une excellente occasion de m ettre à l ’épreuve des «rôles» nouveaux et com p o rte des délices in éd ites... C ’est q u ’elle dénonce le sim ulacre (dans La M ère) m ais se trou ve à son to u r dépouillée elle-m êm e de son m asque (dans O ni — E u x où les chafs de la révo­ lution ne sont autres que des b â ta rd s de «la com media d e ll’arte à la F orm e Pure», T efuan et A b lo p u to , eux aussi, m iséricorde! des artistes de la vie...).

C om m e on le voit, il n ’y a chez W itkiew icz aucune unité de l’action selon le sens co u ran t de ce term e; il existe p a r contre une unité d ’attitud e, celle de stratégie ludique. C ette unité se situe ce p en d an t hors de l’action, dans une sphère supérieure d o n t l ’action ne p eu t être que l’expression: elle renvoie directem ent à la concep­ tion w itkacienne de l ’hom m e. Il est clair, du m oins en théorie car, à la lecture de la pièce, ceci est précisém ent difficile à saisir! — q ue d an s la partie q u ’il jo u e p o u r la plénitude de l ’existence, le p ro tag o n iste doit, m algré lui, co m p ter avec les p arten aires q ui m è­ n en t un jeu analogue. Ainsi, la fem m e de T um eur, le co ntrarie plus d ’une fois dans ses projets, faisant to u t l’im possible p o u r m ettre au m o n d e le plus grand nom bre possible de nouveaux C ervykal; telle une lapine, elle cherche à peupler le m onde de génies nouveaux, se sen tan t au com ble de jouissance à voir s’u n ir son san g bleu d ’aristocrate à celui, bassem ent rouge de goujat, de son conjoint. Q u a n t à Ibissa, elle est en quête de l’insolite, en m altraitan t les hom m es qui la désirent, un cas fréquent chez W itkiewicz. L ’on y retro u v e un écho de la liaison m alheureuse de l’écrivain avec Iren a Solska d o n t le destin avait voulu q u ’elle fût actrice.

D ans L es 622 chutes de Bongo, c ’est en ces term es que le héros s ’adresse à M m e A kne (transp osition rom an esqu e d ’Irena S o lsk a )7 :

U n e vie rem lie d ’un jeu p erm an en t avec les gens que l ’on m éprise est c o m p lè te m e n t dép ravan te. L ’o n en vient à v o u lo ir to u t d év a lo rise r et, c r o is-m o i, il est bien p lus difficile d ’ajouter de la valeur à q u o i q u e c e so it q u e d ’en ôter. La form e so u s la q u elle on te sert q u o i q u e ce so it t'im p orte infinim ent

7 A . M i c i ń s k a , «622 up ad ki B u n ga, czyli D e m o n ic z n a k o b ieta » (Les 622 c h u te s de B o n g o ou la F em m e d é m o n ia q u e ). M ie się c zn ik L ite r a c k i, 1967, n o 8.

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Le T héâtre de W itk ie w ic z 33

p lu s q u e le co n te n u q u ’elle renferm e. Je p en se q u e c ’est une h a b i t u d e q u i t e v i e n t d e la s c è n e [ ...] Tu es b lasée à force d ’ép rou ver c o n tin u e lle m e n t en scèn e des é m o tio n s p lu s vives que d a n s la v ie et tu ch erch es à s u s c i t e r a r t i ­ f i c i e l l e m e n t c e t e f f e t d a n s la v i e 8.

O r, il en va exactem ent de mêm e d ’Ibissa com m e la p lu p art des héroïnes dém oniaques de W itkacy. D ans i’île de T im or où elle séjourne avec T u m eur, elle se donne d ’ab ord à lui puis elle le tracasse avec sa liaison avec un prince m alais, et p rov oq ue le suicide d ’un cacique; ensuite, au d éb arqu em ent d ’une expédition européenne, elle se jette dans les bras de G reen m ais au b o u t d ’un q u a rt d ’heure elle avoue à l’Anglais avoir été la m aîtresse de T um eu r. T o u t cela au nom de q u o i? U ne petite phrase l’explique; les poésies d ’Ibissa ne faisant aucun effet sur C ervykal, elle lui lance en pleine figure: «je t ’en ferai voir de plus b elles...» et se m et à hum ilier le M alais q u ’elle cherchait à séduire à l’instant. Bref, dans la m esure de ses facultés féminines, Ibissa se co m p o rte exactem ent com m e T u m eu r: elle recherche du frisson. C ’est q u ’elle désire au fond la m êm e chose:

IBISSA

P o u r ta n t, il y a q u elq u e c h o se que je regrette. Je ne sais pas q u o i. 11 n ’en restera q u ’un rêve. Le sou ven ir d ’évén em en ts qui n ’o n t ja m a is eu lieu. (a vec

une d écision sou dain e) G reen , il faut que je te d ise to u t: je t ’ai tro m p é avec

T um eur.

G R E E N

(se j e t a n t irré sistib le m e n t sur Ibissa) Je t’aim e, je t ’aim e, ta is-to i! Il n ’ex iste

qu e d es in sta n ts, et to u t est illu sion d an s l ’infinité des infinis de l’être.

IBISSA

(s'aban don n ât a vec indifférence) A h , c ’était si b eau , si é t r a n g e ! . . .

( Tum eur C e rv y k a l)

D ans Tumeur C ervykal, il y a encore plusieurs personnages qui se c o m p o rte n t de la m êm e façon. Il n ’est donc pas éto n n an t que l’intrigue fait penser à un rêve ivre. Bien q u ’extrêm em ent em brouillée, l’action n ’a q u ’une im portance secondaire: l ’essentiel c ’est le rythm e d ’inassouvissem ent, de spasm e, d ’abattem ent ou de dépression ethy- lique. O u to u t au m oins le rythm e de l’enivrem ent p ar l ’actio n

8 S. I. W i t k i e w i c z , 6 2 2 u p a d k i Bunga, c z y li D em o n iczn a k o b ie ta , pp. 60 6 — 6 0 9 du m a n u scrit.

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et des m om ents de lucidité qui renvoient les héros au vide et au désespoir. L ’on peut dire aussi que, dans les pièces de W itkiewicz, il existe une action «de surface» (les événem ents) et «de fond» (c’est-à-dire la po ursuite de l’insolite de l’Existence). C ’est la prem ière, souvent fo rt com pliquée, qui est agencée p ar l’auteu r selon les préceptes de la dram atu rg ie traditionnelle et ce non sans habileté: à ne p rend re en considération que cette action de surface, les pièces de W itkiewicz se révéleraient, techniquem ent p arla n t -(mais à ce titre seulem ent!), très proches du boulevard et du m élo d ra m e ... M ais déjà l ’accum ulation des effets, la m ultiplication des actions et des affabulations qui naissent en un clin d ’oeil com m e sur som m ation, changent la réaction du spectateu r et font pencher les Drames vers le cab aret fantaisiste. P ar contre, la seconde action, celle «de fond» garde tou jo u rs une éto n n an te unité: c ’est com m e si Witkiewicz écrivait tou jo u rs la m êm e p ièce... Les m om ents de dépression qui sont à la fois des m om ents de réflexion, rem o ntent en quelque sorte le ressort de l’inassouvissem ent vital, dans la m esure où ils dévoilent le néant de l’inaccom pli. O r, il est perm is de reconnaître que c'est à ces m om ents-là q u ’à travers l’apparence «événem entielle» tran sp a raît la vérité ph ilosophique de W itkiewicz: le fondem ent de ses raisonnem ents et le squelette de ses pièces.

Ce que l’on peut enfin c ’est invoquer une m étaphore. La scène est un billard sur lequel les personnages, telles des billes, se d ébatten t dans d ’incessants caram bolages, tan t que ne s ’épuise l ’énergie p re­ m ière de l’inassouvissem ent qui leur est im prim ée. C ’est alors q u ’un nouveau co u p de queue les m et en m ouvem ent ju s q u ’à la nouvelle im m obilité. Les caram bolages — ces innom brables m eurtres, ca ta stro ­ phes, coups de surprise du théâtre de W itkiew icz — apparaissent au spectateur com m e l’action p roprem ent dite du spectacle; or, en réalité, les décisions n ’interviennent que qu an d les billes sont sur le po int de s ’im m obiliser et q u an d il fau t les m ettre ou rem ettre en branle. Bref, les caram bolages ce sont les événem ents m ais il ne leur ap p a rtien t pas de déterm iner le cours du spectacle, celui-ci étan t fonction de la volonté des jo u eu rs, en l’occurence de l’alternance de l’inassouvissem ent et de la réflexion, cette dernière corresp o n d an t à la défaite p ar inaccom pli. Il est don c perm is d ’affirm er que chez W itkiewicz les événem ents sont m oins l’action elle-m êm e que l’effet de l’action en l’occurence intérieure et intellectuelle. Et à la fin

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Le T héâtre de W itk ie w ic z 35

de la pièce, l’on voit venir des gens de l’extérieur p o u r ô ter aux jo u eu rs les queues de b illa rd ...

Il en découle une conclusion essentielle p o u r le m etteur en scène des pièces de W itkiewicz (m etteur en scène réel cette fois-ci): ces pièces dem eureront m al com prises si les acteurs ne savent pas distinguer la «surface» des événem ents du «fond» de la pièce, c ’est-à-dire du com m entaire des personnages qui dévoile le sent et le m écanism e de l’action scénique. En d ’au tre term es, la difficulté m ajeure p o u r le m etteur en scène et les acteurs, consiste à discerner les «niveaux» du texte et à décider laquelle de ses séquences sera signifiante et lanquelle au tre ne sera q u ’à p e in e . m arquée et jo uée com m e «rôle» m om entané du personnage. C ’est alors que se décantera la signification du spectacle et que s ’en ébauchera l’architecture. En effet, ce que le théâtre de W itkiew icz ne perm et pas c ’est ni de p rendre au sérieux le texte dans sa to talité ni de le considérer en entier com m e un jeu absurde. Il dem ande aux acteurs la science de créer un rôle dans le rôle, une com édie dans la com édie. Dès que l ’on y sera parvenu, ce théâtre cessera d ’être un th éâtre fait d ’allusions et de coups du h asard , un théâtre m al com pris com m e cela s’est souvent vu.

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N ous avons déjà d it: happening. Le prem ier à avoir signalé l’affinité entre le théâtre de W itkiewicz et le happen ing fut Jeleński qui a rapproch é, sur le plan théorique du m oins, la conduite fantaisiste des personnages des Drames des p ratiques des happenistes d ’a u jo u rd ’hui. Le p ro p o s de ces derniers est de faire du non-sens, de la surprise, du paradoxe, le m atériau p o u r co nstru ire leurs spectacles, en jo u a n t sur des co rrélation s singulières que seule est capable de découvrir dans la m atière du quotid ien une im agination rom pu e au m aniem ent de la m étaphore. Si l’ob jectif du happening était de créer, à p a rtir du hasard et du non-sens, une form e théâtrale hors du com m un, dégagée des con train tes de la logiques et de la vraisem blance, le happening serait une form ule analogue à celle de la F orm e P ure conçue toutefois de m anière traditionnelle, c ’est-à-dire com m e un r a p p o r t entre tous les élém ents (visuels, gestuels, sonores)

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du spectacle. 11 sem ble toutefois que le Form e P ure se laisse de nos jo u rs percevoir déjà au trem en t et avec plus de précision; c ’est ce qui fait que l’analogie entre happenin g et Form e Pure d oit se fonder sur un sol plus sûr, à com m encer p ar l’affinité des situations, des procédés et des fins du spectacle et su rto u t des com portem ents des personnages dans le prem ier cas, et des p articipants au jeu dans le second.

Quelles sont les options du happening? C ’est, indubitablem ent, une form ule de spectacle peu précise et fort am biguë; cette am bi­ guité form elle fait que chaque «m etteur en scène» peut tout m ettre à contrib u tio n dans son h appening de ce qui l’intéresse qui lui fait plaisir. Le p o int de d ép a rt c ’est, indubitablem ent, la volonté de supprim er la lim ite entre l ’art et la vie p ar l’octroi de la priorité au prem ier (ce qui risque de sonner p arad ox alem en t à la vue d ’un h appening tel q u ’il se présente habituellem ent). Les images ou les élém ents de la vie quotidienne se trouvent subitem ent tran s­ formés en élém ents du spectacle qui leur ôte leur finalité et leur utilité pratique.

W o lf V ostell, h ap p en iste de C o lo g n e , em b arq u e le p ublic d ans des cars et l’em m ène vers les d ifférents lieux d e l ’a c tio n : à l ’a érop ort («salle de co n certs» ) ou hurlent d es jets: à la laverie d 'a u to m o b ile s où sa Citroën rouge écrase de la v ian d e sa ig n a n te, et. arrosée à la p ein tu re ja u n e, subit finalem ent le lavage; d an s un garage souterrain où sta tio n n en t d es voitures d ’enfant gardés par des m ères inspirant de l'effroi d a n s leurs m a sq u es à g az [ ...] P artout il se passe q u elq u e c h o se d ’iso lite, partout s ’op ère la tran scen d an ce du q u o tid ien et se trouve p résen tée, c o m m e dit V o stell, « la vie c o m m e im age et l'im age c o m m e vie».

Le happening est donc à la fois ultra-réaliste, dans la m esure où il transform e en m atière du spectacle la surface de la vie, les objets bruts, et singulièrem ent irréaliste dans la m esure où il défigure les ra p p o rts entre l’a b a tto ir et le garage, l’aéro p o rt et la salle de concerts; la valeur instrum entale des objets se trouve annulée et rem placée p ar une autre poétique, m étaphorique. D 'o ù l’effet de non-sens, d ’action gratuite et souvent aléatoire: ni les spectateurs ni les critiques ne sont pas en m esure d ’expliquer p o urqu oi un autre happeniste, Paik,

jeta it de tem p s en tem p s sur le p ublic du p o is vert séch é, se savon n ait avec de la crèm e à raser, se sa u p o u d ra it la tête avec du riz, barb otait dans l ’eau et se

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