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Widok Paul Willems: le dernier écrivain belge?

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STU D IA R O M A N ICA PO S N A NIENSIA U AM Vol. 28 P oznań 2001

H E N R I-F R A N Ç O IS L O R IA U , A G N IE S Z K A P A N T K O W S K A U n iv ersité A dam M ic k ie w icz à Poznań

PAUL WILLEMS: LE DERNIER ÉCRIVAIN BELGE?

A b s t r a c l . L oriau H en ri-F ran ço is, P an tk o w sk a A gnieszka, P aul W illem s: te d e r n ie r écriva in b elg e? [Paul W illem s: T h e last B elg ian w riter?]. S tu d ia R o m an ica P o sn an ie n sia, A d am M ic k ie w icz U n iv ersity Press, P o zn an , vol. X X V III: 2 001, pp. 149-162, IS B N 8 3 -2 3 2 -1 1 4 4 -2 , ISS N 0 1 3 7 -2 4 7 5 .

Paul W illem s, Flem ish w riter and p lay w rig h t, w ho w rote in F rench, can b e c o n sid e re d a lo n g w ith S uzanne Lilar as o n e o f the last B elgian w riters in national u n d erstan d in g o f th is w ord.

T h is paper is a p roposal o f an aly sis o f the last p ro se w riting o f W illem s L e P a y s no yé. A s this w o rk can be read as an alleg o ry o f B elg ian h isto ry , atten tio n is d raw n to the p ro b le m o f B elg ian identity and its form ation process.

M oreover the final rem ark s deal w ith the a ttitu d e o f W illem s to F rench lan g u ag e, reflec te d in his d iffe re n t d ram atic w ritings.

Paradoxale q u ’elle puisse paraître au premier abord, cette hypothèse initiale sem ­ ble être confirmée par Paul W illem s1 lui-même, lorsqu’il dit en 1978: «Suzanne Lilar, Paul Neuhuys, Guy Vaes, m oi-m êm e et quelques autres sommes les derniers repré­ sentants d ’une race en voie de disparition»2.

La race en voie de disparition est celle de l’écrivain belge. Il ne s ’agit pas de l ’écrivain en tant que tel, de son statut ni de son métier; c ’est le qualificatif: belge

1 Paul W illem s né à E degem en 1912. Fils de la ro m an cière fran c o p h o n e M arie G ev ers e t de F ra n z W illem s, p aren t de Ja n -F ran s W illem s, le « p ère du m o u v em en t flam and». E le v é d a n s la c u ltu re française, c om m e beaucoup d ’e n fan ts de la b o u rg eo isie fla m a n d e de l ’ép o q u e. D o c te u r en d ro it, il co m m e n c e sa carrière littéraire par des ro m an s: T out est ré el ici (1 9 4 1 ), B le ssu res ( 194 5 ); co n n u su rto u t p o u r ses p ièces de théâtre: Le bon vin de M o n sie u r N uclie (1 9 4 9 ), La p la g e a u x a n g u ille s (1 9 5 9 ), W arna (1 9 6 2 ), L a ville

à voile (1967). Il est m ort en 1997. P our plus d ’in fo rm atio n c o n c e rn a n t l ’h o m m e e t son o eu v re voir aussi Le C arnet e t les in sta n ts, N ” 101, L e M o n d e de P aul W illem s. T ex tes, étu d es, d o c u m e n ts ra sse m b lé s par

P. E m ond, H. R o n se et F. van de K erck h o v e, L ab o r, B ru x elles 1984, p. 241 (C oll. A rc h iv e s d u fu tu r), M. Q uaghebeur, le ttr e s b elg es entre a b se n ce e t m agie, ed. L ab o r, B ru x elles 1990, pp. 221 - 2 4 1, M. Q ua- ghebeur, A lp h a b e t d e s lettres belg es d e la n g u e fr a n ç a is e , A sso ciatio n p our la p ro m o tio n d es L e ttre s belg es de langue française, B ru x elles 1982, pp. 159-163, p. 304.

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qui pose problème. En effet, le terme de littérature belge renvoie au concept d'u n e littérature nationale. Son modèle, forgé dès 1830, est basé sur le principe biculturel (fusion de la culture française et de la culture flamande) et unilinguiste: la langue d ’expression littéraire est uniquement la langue française. Ce modèle, restant en par­ fait accord avec le concept de «l’âme belge» est introduit par le texte fondateur de la littérature belge: La légende d ’Ulenspiegel de Charles De Coster et il a vite trouvé des illustrateurs de talent: Rodenbach, Verhaeren et Maeterlinck grâce à qui la litté­ rature belge nationale se hisse au rang des grandes littératures mondiales. Toutefois, parallèlement aux revendications séparatistes flamandes, la réalité politique de la Bel­ gique change. Secoué par la guerre linguistique le rêve unioniste belge s ’évanouit et avec lui la littérature nationale qui cède aujourd’hui la place à la littérature néerlan- dophone et à celle francophone de Belgique.

Paul Willems, Flamand francophone, est donc bel et bien l’un des derniers grands écrivains belges de son temps. La conscience de l ’inévitable cassure, la nostalgie de la Belgique unie, le bilan historique de la Belgique ainsi q u ’un message ultime: tels sont les thèmes q u ’on retrouve dans son dernier texte en prose édité en 1990 et intitulé

Le p a ys noyé7'.

Ce récit constitue une manière d ’allégorie dramatique qui rappelle singulièrement l’histoire de la Belgique. Ainsi que cette histoire se divise, classiquement, en trois grandes phases; de même dans ce récit de Willems on peut distinguer trois étapes relatives à la construction d ’une identité nationale, à la confrontation de deux ten­ dances opposées et à l ’éclatement du pays4.

1. LE PAYS NOYÉ: LA B ELG IQ U E?

Le pays noyé, qui se nom m e Aquélone, est un pays, une ville plus exactement, situé au bord de l ’estuaire de l ’Escaut et dirigé par un bon et paisible Empereur. La référence à l’Escaut est significative. C ’est un fleuve emblématique belge, au même titre que la Vistule en Pologne, source d ’inspiration littéraire de toute une pléiade d ’écrivains belges, parmi lesquels Verhaeren et Gevers. Et enfin ce fleuve qui prend sa source en France et qui se jette dans la Mer du Nord, constitue un véritable trait d ’union entre les territoires flamands et francophones, germains et latins. Une autre référence à la réalité belge: si l ’Escaut est le fleuve-emblème du pays, la bière, unique boisson à Aquélone, en est le symbole aussi étant considérée com m e boisson natio­ nale.

3 P. W i l l e m s , Le p a y s noyé, F a ta M organa, s. 1, 1990, 85 p.

4 En ce qui c o n cern e les d o n n ées c o n c e rn a n lc e s tro is étapes, cf. J.-M . K l i n k e n l i e r g , La pro d u ctio n

littéra ire en B elg iq u e fra n c o p h o n e . E sq u isse d ’une so c io lo g ie h isto riq u e, d an s Littérature, n" 44 L 'in sti­ tution littéra ire II, 1981, p. 33-50. M . Q u a g h e b e u r , B elgique. L a p re m iè re des litté ra tu re s fra n c o p h o n e s non fra n ç a ise s, L u x em b o u rg , A sso ciatio n des P ro fe sse u rs d e F ra n çais du G ran d -D u ch é de L uxem bourg,

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Paul Willems: le dernier écrivain belge ? 151

1.1. L 'È R E D E L ’IN E F F A B L E : LA C O N S T R U C T IO N D 'U N E ID E N T IT É

Aquélone est un pays de bonheur et de prospérité qui se suffit à lui-même. A Aquélone, la vie se passe sereinement et les relations humaines s ’épanouissent de manière originale: ni possession ni jalousie dans les relations amoureuses qui se font selon le bon vouloir des fille s - d ’eau, «dispensant» leurs grâces sans engagement. E n ­ touré d ’une telle félicité, l ’Empereur avait même abrogé toutes les lois et déposé sa couronne. Cet aspect édénique est d ’avantage accentué par le sentiment de sécurité totale assuré par les paralum ières, sorte d ’écrans géants que les Aquéloniens ont construits pour se protéger des rayons du soleil. Cependant ces paralumières, joliment décorés, limitent le jugement, le regard objectif des habitants en leur renvoyant les perspectives et coupant l'horizon. Cette «ère de l’ineffable» (p. 8) n ’est pas sans rap­ peler le bonheur unitaire dans lequel vit la nation indépendante en 1830. La bour­ geoisie francophone ou francisée du X IX e siècle développe l ’idée d ’une âme belge qui serait la synthèse de l ’esprit germanique et de la culture latine; c ’est le projet d ’un génie national qui s ’exprimerait en français. Une part des oeuvres historiques et lit­ téraires contribue à la création de cette identité montée de toutes pieces. En parallèle, à partir de 1880 émergent de grands auteurs flamands s ’exprimant en français qui vont largement contribuer au processus de légitimation internationale du pays (son­ geons aux grands symbolistes, avec notamment Maeterlinck qui reçoit le prix Nobel de littérature en 1911 pour son ouvrage Monnet Vanna)5. M algré les premières reven­ dications linguistiques flamandes qui conduisent aux premières reconnaissances lin­ guistiques dès les années 1870 en Belgique, on observe une convergence de forces qui tendent à la construction d ’un Etat et à son rayonnement. Sans doute cette pre­ mière phase constitue-t-elle pour la nation l’ère de l ’ineffable.

1.2. LE D U E L D E S D IG N E S : LA FIN D ’U N R Ê V E

Toutefois le bonheur indicible des habitants d ’Aquélone est troublé par une fille- -d’eau, Althéna, qui bravant la règle de non-engagement, décide de s ’attacher à un seul homme, à Herk. Cette transgression à un rituel aquélonien constitue une brèche dans la perfection du système exposé dès lors à un danger. Effectivement, le soir même, une grande tempête survient et laisse des déchirures dans les paralumières, que personne ne songe à réparer: «Peut-être se rendait-on compte q u ’un ciel ravaudé serait pire q u ’une déchirure avouée?» (p. 14). Progressivement, le trouble croît dans la population qui pourtant demeure inactive: «On se sentait menacé. Par qui? Par quoi? En chacun, une autre déchirure s ’ouvrait sur un gouffre. Combien de temps pourrait-on se le cacher?» (p. 14).

5 A p ropos de ces auteurs flam ands fran co p h o n es, cf. n o tam m en t Ch. B e r g , D 'u n p a y s noyé: la

littéra tu re fra n c o p h o n e c o n tem p o ra in e en F landre, d an s Septentrion. R evue de cu ltu re n é e rla n d a ise , 21e

année, n° 4, 1992, p. 4 9 -5 2 ou, du m êm e auteur: La B elg iq u e ro m a n e et sa F la n d re, in L ittéra tu res b elg es

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La situation analogue se produit en Belgique, ou la tempête séparatiste brise la cloche unioniste. Les paralumières de la Belgique, c ’est cet étonnant fantasme d ’une identité germano-latine ayant pour seule expression le français. Car en même temps, à la fin du X IX e siècle, les revendications flamandes ont abouti à l ’emploi du flamand pour une part de la justice, pour l ’enseignement secondaire, pour une part de l’ensei­ gnement universitaire et, en 1898, au bilinguisme dans la publication des textes of­ ficiels. Le rêve du pays biculturel, mais unilinguiste rejoint d ’autres mythes de gran­ deur de Belgique, car les déchirures apparaissent dans l’Etat, le menacent, sans que les responsables s ’en rendent compte.

A Aquélone, afin de calm er les esprits, l’Empereur croit bon de faire revivre une ancienne coutume: le Duel des Dignes qui rappelle le duel légendaire entre Routroux et Valdo. Deux hommes devaient s ’ensabler j u s q u ’aux genoux sur un banc de sable de l ’estuaire, à marée basse. L ’eau montante les emprisonnait et ils devaient alors se frapper à coups de gourdins j u s q u ’à ce que l ’un d ’eux soit tué ou se noie, assommé. Persuadé de l ’influence bénéfique du duel sur les esprits en ébullition, «l’Empereur ne se rendait pas compte q u ’il allait déclencher en A quélone les mécanismes de l ’an­ goisse et de la cruauté» (p. 19). D ’autant plus que pour ce duel, deux frères sont désignés: Herk, choisi auparavant par Althéna, et Liou6, son favori actuel.

C ’est Herk qui gagne le duel. La marée redescendue, Herk libère la dépouille de Liou, mais au lieu de la laisser aller dans le courant, il la ramène à Aquélone. A la vue du cadavre, l ’Em pereur et le peuple sont choqués. Et le soir même, une autre grande tempête s ’abat sur Aquélone. Pour conclure cet épisode, Willems écrit: «Le destin d ’un pays se trouve ainsi parfois en suspens. M om ent terrifiant, quand on dé­ couvre q u ’on s ’est engagé dans un chemin qui mène au gouffre et q u ’il est trop tard pour reculer» (p. 34). De ce duel, tous attendaient le retour à la sérénité; c ’est fina­ lement l ’inverse qui se produira...

En Belgique, Flamands et Wallons sont belges, fils d 'u n e même patrie ils sont donc frères. Cela ne les empêchera pas de s ’opposer dans un veritable duel.

Dans le récit de Willems, les allusions semblent être nombreuses et équivoques. L ’infidélité d ’Althéna, par exemple, pourrait rappeler l’infidélité à la patrie, consom ­ mée de part et d ’autre, mais aussi l ’infidélité de la langue, le français ne suffisant plus aux deux parties.

L ’impuissance des deux frères à empêcher l ’issue fatale rappelle curieusement l ’impuissance des citoyens à empêcher la désagrégation nationale. Liou et Herk n ’ont pas choisi ce combat; à partir d ’une certaine époque, le combat communautaire en Belgique n ’est plus le fait de la masse mais de ses élites et d ’une minorité agissante, distorsions des volontés et impuissance à éviter l’issue.

Liou pourrait encore préfigurer cette Belgique première, synthèse fantasmatique de deux cultures, tandis que Herk symboliserait cette autre Belgique, encore unie bien que divisée, mais dont l ’avenir n ’est guère plus brillant.

6 II e st po ssib le d e v o ir d an s le c h o ix o n o m astiq u e de ces perso n n ag es les références à la langue fla m a n d e H erk, et à la lan g u e fra n ç a ise ou L io u se rait u n e v arian te d e L ouis.

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Paul W illem s: le clernier écrivain belge? 153

Politiquement, la Belgique devient bilingue en 1932. Mais le véritable tournant se situe plus tôt, lors du cataclysme de 14-18. Après une brève période d ’entente nationale, au sortir de la guerre, 1 ’Etat com m ence son inexorable décomposition. C ’est la fin des rêves de génie national à deux têtes, l’identité synthétique germ ano­ -latine, l’inanité du projet syncrétiste officiel est découverte.

La vision de la Belgique, pont entre les cultures, s ’estompe! En politique com m e en littérature, la rupture est de plus en plus profonde et irréversible. Les littérateurs francophones du pays vont alors peu à peu adopter deux attitudes distinctes: soit ils vont opérer un repli vers la «mère-patrie linguistique», gardienne des valeurs cultu­ relles francophones7, soit ils vont observer une attitude de dénégation de l ’apparte­ nance belge8.

1.3. U N E V 1LLE-EN -R U 1N E: L A R U IN E D ’U N E N A T IO N

Enterré dans la cabane d ’Althéna, «le corps pourrissant de Liou allait grandir comme un chancre» (p. 48). Aquélone com m ence sa lente désagrégation; la ville tombe peu à peu en ruines, mais, précise Willems, dans ce pays on ne disait pas «détériorations» mais «changements» (p. 57). Tout com m e en Belgique, ou le chancre se développe aussi et la ruine de la nation n ’est pas ponctuée non plus de détériora­ tions, mais des réformes.

Les fidèles d ’Althéna, devenue manière de prêtresse, sont de plus en plus nom ­ breux et se font chaque jour plus violents. Ils mettent graduellement la ville à sac et provoquent la terreur au sein d ’une population qui ne comprend pas mais ne réagit pas non plus. A propos de ces fidèles, l’Em pereur dira: «Je ne sais pas ce q u ’ils cherchent, ni où ils cherchent. Je ne sais même pas quelle est la question. Ils ont l’air de ne pas pouvoir se passer de. Se passer de souffrir» (p. 74). Destructions et répres­ sions sont terribles en ville, et bientôt «Aquélone n ’est plus une ville-en-songe mais une ville-en-ruine» (p. 68).

Poussé à bout par Althéna, Herk s ’en va finalement mourir de froid et de mauvais traitements sur un tas d ’immondices. Sa dépouille sera enfermée auprès de celle de son frère Liou, main dans la main, dans un gigantesque mausolée.

L ’Empereur décide alors de quitter la ville et de se laisser mourir. L ’ancienne Aquélone est définitivement morte; Althéna sera l ’impératrice de la nouvelle et fera

7 C e sera une form e de repli vers la France. S o n g eo n s à F ranz H ellens et au M a n ifeste du G ro u p e du Lundi réd ig e p ar ces auteurs « fran ç ais-b elg es» ; so n g e o n s ég a le m e n t à q u e lq u 'u n c o m m e C h a rles Plis- nier, in tern atio n a liste en 1919, prix G o n c o u rt en 1937 p o u r F a u x -p a sse p o rts c t qu i aura d es ten d an ces rattach istes lors de la seco n d e g u erre m o n d iale.

8 C ertains s ’e x patrient, co m m e M ichaux, d ’autres, c o m m e les su rréalistes, o n t des prises de p o sitio n in tern atio n a listes, d ’autres en co re ch e rc h e n t d es lieux irréels p o u r leur littératu re, h ors de cette réalité qui explose, co m m e G h cld cro d c ou C ro m m ely n ck , d ’autres enfin se lan cen t d an s le fa n ta stiq u e ou la «para- littérature», co m m e Je an Ray, S im en o n ou H ergé...

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régner la fausse grandeur, l’optimisme de commande, la violence et l ’éradication sys­ tématique de la mémoire.

L ’analogie avec le devenir de la Belgique est ici aussi frappante. Politiquement, après bien des vicissitudes, l ’Etat unitaire est officiellement divisé en 1992: la Bel­ gique devient un Etat Fédéral composé de Régions et de Communautés. Après avoir été une nation-en-songe, la Belgique est devenue une nation-en-ruine!

En littérature, la situation n ’est guère plus stable. En parallèle des luttes linguis­ tiques et communautaires qui divisent le pays, la Belgique tombe dans un marasme économ ique qui touche surtout la partie francophone9; et en même temps que décline le concept de nation se développe le concept de francophonie et la réalité européenne supranationale. Sur ce sol qui vient à manquer, où tout s ’écroule, les littérateurs fran­ cophones de Belgique s ’inscrivent dans une réalité qui s ’effrite et tombent dans un profond malaise.

Ce malaise s’est entre autre manifesté par une réaction q u ’il a provoquée chez certains auteurs. Dans les années septante apparaît le concept de «belgitude». Construit sur le concept de négritude, il correspond à un compromis entre diverses attitudes. Il est à la fois la marque de l’acceptation du fait d ’être né quelque part, en Belgique, d ’en tenir compte, d ’y vivre et de s ’y battre. Il est en outre l’indice d ’un double refus: celui de la dénégation permanente de son identité belge et celui de l ’exacerbation de son appartenance au point de réduire sa définition à son origine, au risque d ’aboutir à un quelconque nationalisme. La belgitude, c ’est donc la volonté d 'u n e identité poreuse cosmopolite, ouverte sur l ’Europe et sur le monde et en échange permanent avec la France.

Ce malaise des auteurs francophones belges et cette recherche sur leur identité correspondent à la troisième phase de la littérature belge de langue française. Cette phase ouvre à l ’interrogation sur le m anque qui touche à l ’être et à la langue. A une certaine époque, pas si lointaine, il était difficile pour certains de nos auteurs d ’être francophones non français dans un contexte à ce point instable et dans une langue «autre».

Institutionnellement, ce problème est bien illustré par l ’ambiguïté de cette déno­ mination de «Communauté Française de Belgique», avec ce qualificatif qui signifie l’appartenance à la fois à une langue et au territoire de la République. Cette formu­ lation indique clairement «l’absence de terme pour désigner le peuple roman du Nord de l ’H e x ag o n e» 10.

Pas ou plus de pays à soi, pas de langue bien à soi, ou tout au moins pas reconnue com m e telle, tous ces malaises aboutissent à de fortes réactions dans les œuvres: la

9 E n 1960, la B elgique perd sa très b e lle co lo n ie, assise éco n o m iq u e du pays, su rto u t de la partie fran co p h o n e. D an s la m êm e p ério d e su rv ie n t p ro g re ssiv e m e n t le d éclin d es c h a rb o n n a g e s et de la grande sid é ru rg ie lo u rd e du Sud d u pays. P eu à peu p ar c o n tre le N ord c o m m en ce à m o n ter un sy stèm e é c o n o ­ m iq u e v iab le, m ieu x ad ap té aux réalités du tem ps.

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Paul Willems: te dernier écrivain belge? 155

difficulté de dire «je» pour parler d ’eu x -m ê m e s1 la transposition de l ’instabilité am ­ biante et des dérives de notre ép o q u e 12, la recherche d ’une autre forme d ’écriture13, ou encore le retour d ’un nouvel éloignement par rapport au réel, ainsi que l’écrit Willems dans ses jeux de superposition du rêve et du réel, dans ses constructions en miroir, avec ses personnages anéantis par le contact au réel, par sa recherche perm a­ nente d ’un passé révolu...

Willems donc répond à certaines constantes de son «époque littéraire belge», de même q u ’il écrit et use d ’un langage marqué par son contexte.

2. PA U L WILLEMS:

UN T R A V A IL ET U N E R É F L E X IO N SU R LA L A N G U E

En 1893, Max Elskamp écrivait: «Je regrette de ne pas savoir le flamand. C ’était la langue q u ’il m ’aurait fallu, puisque le belge n ’existe point ... En d ’autres termes, je ne puis travailler car je ne suis plus sûr de savoir une langue! Quelle bonne chose

ce serait d ’être un pays à soi, fût-ce la Belgique si ça existait!»14

Trente-cinq ans plus tard, W illem s écrivait, au sortir de l’adolescence: Je ne comprends pas le français, je connais mal le flamand, je n ’ai pas de langue»15.

Ce problème du flamand francophone n ’est donc pas nouveau; Willems, pour sa part, ressent un double malaise: le premier par rapport au français de France, le second par rapport à son milieu flamand.

2 . 1. U N D O U B L E M A L A IS E :

U N A U T E U R F R A N C O P H O N E N O N F R A N Ç A IS D E F L A N D R E

Un auteur francophone non Français de Flandre, com m e W illem s, est ainsi constamment «entre-les-deux»: il est Flamand, mais la langue flamande se refuse à lui, il est francophone, mais souffre de ne pas la posséder pleinement.

Cependant, ce double malaise n ’a pas empêché Willems d ’écrire; au contraire, il considère que ses relations particulières à la langue et à son milieu sont à la source de sa création et des spécificités de son écriture.

11 A l ’im age de M e rten s qui ne parle d e son pays q u e p ar l’in term é d ia ire d ’un tiers, q u ’il s ’agisse d ’un ex ilé ch ilien dan s « T e rre -d ’asile» ou d ’un p o ète allem an d dan s «L es E b lo u issem en ts» .

12 C o m m e L o u v et qui intègre dans son théâtre un u nivers d an s lequel se dérobe le réel, co m m e K alisky qui rap p elle en co re les trau m atism es p ro v o q u és par le n azism e.

13 A insi que le rap p ellen t n o tam m en t les lo g o g ram m e s de D otrem ont. 14 C ité après P. W i l l e m s , U J m o n d e de P aul W illem s, op. cit., p. 229.

15 P. W i l l e m s , L 'a u te u r d ra m a tiq u e fla m a n d d e la n g u e fra n ç a ise , d an s E tu d e s d e littéra tu re fr a n ­

çaise de B elg iq u e o ffe rte s à Jo sep h H a n se p o u r son 75e a n n iv e rsa ire , éd. Ja c q u e s A n to in e, B ru x elles

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2.1.1. LE PREMIER MALAISE DE WILLEMS CONCERNE SA RELATION AVEC LE FRANÇAIS

La maîtrise approximative de la langue française l ’a en quelque sorte soutenu dans sa démarche d ’écrivain: selon lui, l’écrivain doit trouver sa propre langue et non se contenter de retranscrire la langue usuelle ou scolaire. Willems, dans ses œuvres, cherche à traduire ses impressions en images ou en mots, sans inscrire sa langue dans un système de pensée prédéfinie. 11 s ’agit de relier le plus étroitement le monde et ce qu'il écrit, en évitant l ’écran de la langue. Dans ses textes, il propose des mots q u ’il a vécus et non pensés. Parmi ses néologismes, il faut citer, à titre d ’exemple:

- B ientôt les ja rd in s tuliperontl6.

- A tteint d ’anthipatite virale p o u r m es concitoyens, j e me suis exp a trié11. - Elle jo u it de ja m b e s fu se lé e s et d 'u n e poitrine bom belée1*.

- Exactem ent, k i f k i f identostructes[9.

- Herman, pâle bureaucrate, découvre un jo u r sa triste nature en se voyant dans

un miroir: Je suis un hom m e qui ne parle ja m a is à haute voix tout seul, un

hom m e d 'a v e n ir bancaire. Un fo n d é de pouvoir, un fondu de couloir, (triste­

ment) un fo n d de tiroir10.

- Pour nom m er une paire de pantoufles, chargée de l’affection que l’on montre aux objets longuement utilisés, d ’aspect oriental, fatiguée par l ’âge, il emploie un terme bâtard issu des mots «pantoufle» et «sloef» (équivalent en flamand) qui lui semble rendre ce q u ’il ressentait: il les nomme «luffelines»21.

Les inventions verbales chères à W illems ne tombent pas dans la facilité des jeux de mots abstraits ou du calembour gratuit. Conscient de cet écueil, il affirme que le travail d ’invention doit être guidé par une forme d ’inspiration inconsciente, elle­ -même issue des personnages ou de la situation. Il voudrait que le lecteur / spectateur ait cette sensation que ses textes sont faits sur mesure et q u ’il puisse concevoir, en les découvrant en même temps que les décors et les costumes, l’unité du texte et du destin de la pièce22. Il ne faudrait en outre pas confondre cette intrusion de l’in­ conscient dans la création de Willems avec un quelconque avatar de l’écriture auto­ matique chère aux surréalistes. Cette confusion est en effet impossible car, à ce q u ’il qualifie d ’inspiration, il oppose un tri sévère au terme duquel il ne conserve que les mots q u ’il considère comme les plus heureux et les plus adéquats.

16 P. W i l l e m s , L a C hro n iq u e d u C ygne, Pion, P aris 1949.

17 P. W i l l e m s , N u ita v e c o m b res en co u leu rs, B ru x elles, 1 9 8 3 ,p. ] 3 (C oll. Textes p o u r D idascalies n° 6).

18 P. W i l l e m s , N u it [...], op. cit., p. 15.

19 P. W i l l e m s , La Ville à voile, L abor, B ru x elles 1989, p. 36 (C oll. E space N ord n" 55). 20 P. W i l l e m s , / / p le u t d a n s m a m a iso n , le R id ea u de B ru x elles, B ruxelles 1976, p. 60 (L es C ahiers du R id ea u n° 3).

21 L e M o n d e de P a u l W illem s. T extes, études, d o cu m en ts rassem b lés par Paul E m o n d , Henri R onse e t F ab rice van d e K erck h o v e, L abor, B ru x elles 1984, p. 241 (C oll. A r c h iv e s d u fu tu r).

(9)

Paul Willems: le dernier écrivain beige? 157

2.1.2. LE S E C O N D M A L A IS E D E W II.L E M S C O N C E R N E SA R E L A T IO N A V E C L E M IL IE U F L A M A N D

Depuis l’éclatement des conventions, l’auteur contemporain n ’a plus recours à une quelconque solution formelle. L ’oeuvre contemporaine s ’inspire de la réalité et se plie à ses propres lois. On comprend dès lors le problème qui se pose à ce Flamand d ’expression française, qui de plus a pour objectif, dans son écriture, de coller le plus étroitement à son monde: comment se référer à une réalité qui s ’exprim e dans une autre langue, s’il veut éviter le mensonge et l'approximation? Et ce problème se pose également pour l’écrivain belge en général: com m ent écrire une réalité instable qui s ’exprime en plusieurs langues? Sans doute cette question ne se pose-t-elle pas pour l’auteur français, allemand ou anglais qui pourra choisir de nom m er son personnage Monsieur Dupont, Herr Müller ou Mister Smith. Ce seul nom situe socialement le personnage et lui c om m ande son langage. En Belgique, le recours unique serait M o n ­ sieur Beulemans23, qui s ’exprime dans une langue faite de flamand et de français. Mais cette seule référence ne suffit pas à rendre compte de cette réalité multiple que constitue la Belgique.

Or, puisque les problèmes essentiels au théâtre concernent le temps, le lieu et la langue (forme de l’action selon Willems), l’auteur belge, ne disposant pas d ’un lan­ gage de référence, est en même temps privé de temps et de lieu. En effet, comment faire dire à un personnage qui habite Anvers «il pleut» alors que nous savons q u ’en réalité il dit «het regent»?24.

A ce problème essentiel, les solutions mises en place par les auteurs belges sont diverses, mais se rejoignent toutes sur une idée commune: la nécessaire transposition de la langue, du lieu, du temps, en tout ou en partie. Si Maeterlinck situe ses pièces dans des châteaux ou des forêts intemporelles et imaginaires, que Crom m elynck gomme toute reférence au réel dans son espace théâtral ou Ghelderode renvoie plu­ sieurs fois à une Flandre mythique, rêvée dans les profondeurs du X V Ie siècle, W il­ lems propose une solution «autre».

2.2. LA S O L U T IO N D E W IL L E M S : U N A U T R E L IE U , U N E A U T R E L A N G U E

Willems également a choisi de concevoir l ’espace théâtral en fonction de son ma­ laise. Ainsi, le lieu de l’action dans ses pièces est soit vague, soit confiné, et parfois les deux à la fois. Les didascalies de localisation en début de pièce sont éloquentes en sont la preuve. Dans Nuit avec om bres en couleurs il est précisé que «la scène est

23 P ersonnage de la céléb ré pièce de F onson et W ichclcr, L e m a ria g e d e M a d em o iselle Iieulem ens. B eulem ans est le sté réo ty p e d ’un B ru x ello is s ’ex p rim a n t en k aek eb ro eck , m ais p ar ce fa it-là il ne co u v re q u 'u n e partie de la p o p u latio n belge.

24 Les origines et les im p licatio n s de ce double m alaise so n t p resen tee s p ar W illem s lu i-m êm e dans: P. W i l l e m s , A la re ch erc h e d 'u n la n g a g e , d an s M arginales. R evue b im estrielle d e s id ées e l d e s lettres, n" 112-113, m ai 1967, p. 105-106.

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158 H.-F. Loriau, A Pantkowska

devant une palissade. Trois portes plus les entrées de côté“25; dans Le m arché des

petites h eu res: «Un bidonville. Les murs et les toits des petites maisons sont laits de

caisses et de boîtes à conserves dépliées. On lit sur les murs: pommes, ananas [...J Les boîtes à conserves [...] sont de couleur vive et leur combinaison forme des cal­ ligrammes ou des «collages» d ’un tableau dada»26, tandis que dans La Vita B reve: «La scène est à bord d ’un navire à la fin du X IX e siècle»27.

Willems ne se limite pourtant pas seulement à gommer toute référence précise au lieu et au temps de l’action. Il affirme que toute son œuvre est issue de son arrière- pays», de son monde du dedans, en d ’autres termes de sa mémoire profonde28. C ’est ce qui lui permet de parler de mots vécus, c ’est ce qui justifie sa recherche d ’adé­ quation entre ses impressions et son écriture. Pour la transcription de cette réalité digérée et rendue, mystérieusement additionnée d ’une charge affective et très pro­ bablement modifiée, il situe l ’intrigue dans un espace autre, irréel, bien que concret, com m e c ’est le cas de La Ville à Voile29.

La déréalisation de l ’espace30 s ’accompagne de l ’altération du langage des per­ sonnages: Anne-M arie (vendue par son fiancé, Dile, à Josty qui la veut pour épouse parce que celle-ci ressemble à s ’y méprendre au mannequin Fenêtre), aveuglée par son amour, répond toujours «à côté» de la question; les époux Roi constituent une caricature de la petite bourgeoisie étriquée, instruite mais limitée: M onsieur Roi pos­ sède un riche vocabulaire et Létale largement, Madam e Roi, en revanche, a la syntaxe courte et développe une phraséologie incomplète31. Enfin Agréable, le domestique des Roi, répète toujours trois fois les formules de politesse sous l'injonction de sa patronne.

Le questionnement du langage est également visible dans d'autres pièces de Wil­ lems. Dans N uit avec om bres en couleurs, Vincent, jeune homme traumatisé par la mort de sa fiancée et surtout par la jalousie incestueuse et tyrannique de sa soeur Josée, dévoile de sérieux troubles du langage. Il comprend mal et s ’exprime

confu-25 P. W i l l e m s , N u it [...], op. cit., p. 8.

26 P. W i l l e m s , Le M a rc h e d es p e tite s heures, B ruxelles 1 9 8 3 ,p. 65 (C oll. Textes p o u r D idascalies n° 6).

27 P. W i l l e m s , Im Vita B reve, L abor, B ruxelles 1989, p. 150 (Coll. E space N ord n° 55).

28 A ce p ropos, cf. P. W i l l e m s , Un a rrière-pays. R êveries su r la création littéraire, Louvain-la- -N eu v e, P resses u n iv ersitaires de L o u v ain U C L , 1989 (C oll. C haire de p o é tiq u e n° 3).

29 P. W i l l e m s , La Ville à voile, B ruxelles, L abor, 1989, p. 13-148 (C oll. E space Nord n° 55). 30 M êm e s ’il p récise q u e l'a c tio n se d éro u le à A nvers, ce g lissem en t vers une form e d ’ailleurs se trad u it d an s la c o n c e p tio n de l ’e sp ace th éâtral de la pièce: il est c o n fin e au « b ric-à-b rac» d es époux Roi et il est d éco ré de m an ière p re sq u e su rrealiste, c o n te x tu a lisa n t ainsi l’intrigue dan s un m ilieu bien peu réel.

31 M o n sieu r Roi (à A n ne-M arie): Q u 'a s -tu fait d e d eu x à q u a tre h e u r e s? A n n e-M arie: C om m e c h a q u e année, le d ix n ovem bre, il y a une tem pête.

[ ...] M a d am e Roi (alias P aysage; à M o n sieu r R oi): C elte fa ç o n de ré p o n d re à côte.' E lle te ressem ble. M o n sieu r Roi: N on. à toi.

M adam e R oi: M oi, j e cro is que.

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Paul Willems: le dernier écrivain belge? 159

sèment: les phrases viennent avec difficultés et les mots se brisent32. En manière de contrepoint aux hésitations langagières de Vincent apparaît le Chat Astrophe, person­ nage zoomorphe au masque de félin, sorte de narrateur omniscient, voix off et M o n ­ sieur Loyal, tout en même temps: celui-ci, à l ’inverse, s ’exprim e dans une langue fluide, mais ses propos restent cependant surprenants et contribuent à la construction à nouveau d ’un cadre relativement loufoque pour la mise en scène de personnages au destin malheureux33.

Dans Elle disait dorm ir p o u r m ourir, Hélée, depuis le début de la guerre, est seule à l'abri dans la Maison-des-marais. Son père est parti au combat et sa mère, psycho­ logiquement faible, a disparu à la recherche de celui-ci. Hélée a dix-huit ans; depuis sept ans elle a pour seule compagnie les bruits de la nature et un Larousse de poche en guise d ’interlocuteur. Soudain arrive un soldat et dès leurs premiers échanges, la jeune fille dévoile un langage bien particulier: «éduquée» par le dictionnaire, elle le connaît par coeur et donne aux mots une signification toute neuve, libre du poids de l’usage. Ainsi dit-elle «bonheur» pour «vent», «oiseau» pour «souvenir», «saison» pour «avenir» ou encore «dormir» pour «mourir»34. Au terme de ces longues années de solitude, le langage n ’est plus pour elle un outil de communication mais le dernier

32 V incent: M oi j e n e lui ai rien donne. Je n e lui a i p a s d o n n e m on a d ieu d e vivant. Je ne lui a i rien

dit, B elle, co m m e c 'e s t e tra n g e de se re m ettre à p a rle r. A p rè s un an de silence. Je ne p o u v a is p a s. ça fait m a l et p o u rta n t c 'e s t une b lessu re qui se rouvre et saigne. A l ’institut, j e n e p o u v a is p as. M a so e u r m e fra p p a it p o u r q u e j e crie. E lle d isa it q u e si j e criais, a p rè s j e p o u rra is p a râ le r. M a is en m oi, c ’¡était du sable sec qu i bu va it les, a v a n t q u l’e lle s n 'a rliv e n t, j e v e u x d ire a v a n t q u l ’e lle s n 'a rliv e n t, q u ’elles n 'a rliv e n t avant q id 'e lle s. Je vieux d ite a v la n t qules. (S ilen c e. 11 sourit). P. W i l l e m s , N u it [...], op. cit.,

p. 28.

Chat: Fin d e la p résen ta tio n de Jo sé e e t de son frè re Vincent. C ’é ta it il y a un an. (Il annonce).

C hronique du m o n d e p e n d a n t un an. L es n u a g es on t glissé, sa n s bruit, d e l ’o u est à l'e st, g lissé sa n s bruit. Il y a eu l'a u to m n e, l ’a u to m n e d e l ’a rb re e t p u is l ’hiver, l ’h iv e r d e l ’arbre. E t m a in te n a n t les n o u velles fe u ille s poussent. J ’a i vu p a ss e r trè s h a u t d a n s le ciel «l ’oisea u P i-H i, q u i n 'a q u ’u n e a ile et ne vole que p a r couple». S ig n a lo n s p o u r être co m p le t que d a n s le m o n d e trente m illio n s d ’e n fa n ts so n t m o rts d e faim cette année. M a is il v a en co re b eaucoup, b e a u co u p d ’e n fa n ts en vie, d o n t trente m illio n s a u m o in s m o u r ­ ront l'a n n é e pro c h a in e. Voilà p o u r une a n n ée du m o n d e. P. W i l l e m s , N u it [...], op. cit., p. 11.

C ette répliqué p erm et de so u lig n er au p assag e une au tre particu larité d es tex tes de W illem s. R é g u ­ lièrem ent, l'h u m o u r et le beau sont étro ite m e n t reliés dan s les p ropos av ec la c ru au té et l ’h o rreu r; le passage de l’un à l ’autre se fait sans transition, ce qui ne m an q u e pas de p ro d u ire d es e ffe ts sur le p ublic et de créer une a tm o sp h è re un peu p articu liè re p o u r certain es de ses pièces.

34 H élée (au soldat): « T u to yer.» A ttends. (E lle ch erch e dan s sa m ém o ire .) «T u to y e r.» A h o u i! ça

vient ap rè s tutoiem ent, a c tio n d e tutoyer, a p rè s tu to yer il v a (elle récite à to u te vitesse, très ficre, co m m e

un pianiste doué qui fait des arp èg es p restissim o ): tutu, tuyau, tuya u ta g e, tuyauter, tu ya u terie , tuyère,

tym pan, tvpanique, et type. Type, c ’est: «p e rso n n e orig in a le» , «un type cu rieu x» . Je cro is que tu es un type curieux. (In trig u ée:) Q u ’est-ce que tu tien s là d a n s la m a in ?

Le so ld a t (il crie): un re-vol-ver!

H élée (ravie): R evo lver! «A rm e à fe u p o rta tiv e de p e tite ta ille d o n t l'a p p ro v is io n n e m e n t est a u to m a ­

tique».

P. W i l l e m s , E lle d isa it d o rm ir p o u r m o u rir, le RdB , 3e éd. B ru x elles 1994, p. 34 (L es C a h ie rs du R ideau n" 16).

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160 H.-F. Loriau, A. Pantkowska

lien avec le monde des vivants. D 'u n e certaine façon, elle possède le vrai parler, celui de l’âme des choses: pour elle, les mots ne signifient pas leur apparence mais existent en eux-m êm es35.

Dans La Vita Breve, embarqués sur un bateau, les personnages sont tous les ac­ teurs d ’un drame guidé par la jalousie et les obsessions refoulées. Le Vélicouseur, victime de l’am our incestueux de sa mère, jaloux lui-même j u s q u ’au dérangement mental, ne parvient à s ’exprim er q u ’en chantant, et encore développe-t-il une langue imprécise et hésitante qui confère à son personnage un caractère mystérieux et parfois même inquiétant36. Lord Laroque de Luna, personnage à la fois distingué et fantasque, use quant à lui d ’une langue qui participe d ’une stratégie de provocation: il cherche à libérer les refoulements des autres personnages et pour cela s ’exprime en une langue haute en couleur, faite de répétitions, d ’approximations et d ’un extraordinaire mé­ lange d ’idiomes. Il cherche en cela à faire céder les défenses de ses interlocuteurs et à mettre en lumière leurs secrets honteux; cette incessante provocation verbale sera efficace37.

Ce qui unie tous les personnages de Willems, c ’est donc la certitude que la langue, les mots dissimulent autant q u ’ils expriment la réalité. Tous peuvent prendre pour

35 A ce p ro p o s, cf. les co m m en taires d ’A lberte S pinette, dans P. W i l l e m s , E lle d isa it [...], op. cit., p. 169-177.

N o to n s en co re q u e la situ atio n d es p erso n n ag e s sur scène ainsi q u e la co n stru ctio n d es dialogues co n trib u en t, à la m o d e w illem sien n e, à fo n d er un m o n d e é to n n an t, une fois en co re en m arge: co m m e si les d istan c es et le tem p s é ta ie n t abolis, on re tro u v e sur la scène le père et la m ère d ’H élée, chacun d' u n côté, et au cen tre H élée et le soldat. T o u s se p arlen t dan s de faux d ialo g u es qui, s ’ils en on t parfois l ’app aren ce, ne p e u v e n t se lire c o m m e tels p u isq u e les p e rso n n ag e s ne sont pas réunis dan s la réalité et q u e la m ère est p eu t-être m êm e m orte.

36 L e V élico u seu r: Je t ’a i... (M êm e jeu . Il c rach e des bribes de syllabes co m m e si les m ots étaient des co u teau x qui le b le ssa ie n t à la g o rge). Je t'a i ... t ’ai ... j e ... j e t ’a i ... a i ... a i ... a i ... Je t ’ai ... ai

... a i ... a i ...

M e sd em o iselle s (m ère du V élico u seu r), l'e n c o u ra g e a n t: O ui! Parle, p a rle ! D is que tu m ’a im e s / . . . / . Le V élico u seu r: M a m a n j e t ’ai ...

M e sd em o iselle s: Il p a rte ! Il a p re sq u e d it M am an j e t ’aim e». Il p a rle ! Il va p a r le r ei\fin! (A u C a p i­ taine.) J ’a tte n d s ce m o m e n t d e p u is vin g t-d e u x ans. (T o u t à co u p d éliv rée de tout ch ag rin . D ouceur.) Il

m 'a im e .

L e V élico u seu r, en un élan affreu x et sp le n d id e et saisi peu à peu p ar une sorte de fu reur inspirée [ ...] : Je t ’a i ... O u i M a m â n -â n -â n ! ân ! ân ! O ui j e t ’a i . . . J e t ’a i en ... ho ! ho ! Je t ’a i en ho . . . J e

t'a i en h o rr e u r ! (E n h o rreu r» est ex p u lsé trio m p h alem e n t. S ilen ce.) / P. W i 1 l e m s , Ixi Vita op. cit., p. 181-182.

Le V élico u seu r: M a -m a n -c e -n 'est-p a s-m o i-q iii-a i-tu -é -fla -m a -li-sx a -M a -m a n -c ’est-m o i-q u i-a i-tu -é-

H a -m a -li-ssa .

P. W i l l e m s , La Vita / .../, op. cit., p. 246.

37 L o rd L aro q u e de L una: D e a r B rackx. l ’m so rry fo r hint! Son a v e n ir est obscurissim e, catastro-

p h issim e m êm e. A v rà d e tte se cca tu re. / B ro u tille s! M a ! (G este à l’italien n e.) A p u c e futée G ro s benêt m ordu. / M a ! (M êm e g este.) Q uella m so le n za , quel l ’a lte ssa ! Q u el vapore, q u ella lo co m o tiva ! Et ça un so ir d e b o n h eu r!

(13)

Paul Willems: le dernier écrivain belge? 161

leur la formule d ’une des ses héroïnes: «Si je savais ce q u ’il y a sous les mots, je

• *

saurais mon avenir» .

C ’est aussi le dilemme de Paul Willems, l’un des derniers grands écrivains de la Flandre francophone: s ’il s ’efforce à connaître le sens caché des mots, c ’est parce q u ’il est tributeur de deux cultures, situé «entre deux langues»39.

Ainsi, «l’ineffable» tant caractéristique d ’Aquélone, désignerait la Belgique unie, ou plutôt la Flandre avant la séparation communautaire, si l’on songe à l’éthymologie du nom40, en même temps mettant l’accent sur l’impossibilité à dire, problème auquel se heurtent les écivains belges de langue française.

B IB L IO G R A P H IE

B e r g C h ., D ’un p a y s n o y é : la litté r a tu r e fr a n c o p h o n e c o n te m p o r a in e en F la n d r e , d a n s S e p te n ­

trion. R e v u e d e c u ltu r e n é e r la n d a is e , 2 1 c a n n c c , n ° 4 , 1992, p. 4 9 -5 2 .

E n tre tie n s e n tre P aul E m o n d e t P aul W ille m s le s 7 m a rs e t 9 av ril 1 979, tra n s c rits d 'a p r è s b a n d e m a g n é tiq u e (4 5 p.).

K l i n k e n b e r g 1 .-N \.,Im p r o d u c tio n litté r a ir e en B e lg iq u e fr a n c o p h o n e . E s q u is s e d 'u n e s o c io lo g ie h isto r iq u e , d a n s l i t t é r a t u r e n ° 4 4 . L 'in s titu tio n litté r a ir e II. 1981, p. 3 3 -5 0 .

M o n d e d e P a u l W ille m s. T e x te s , e tu d e s , d o c u m e n ts r a s s e m b lé s p a r P a u l E m o n d , H e n ri R o n se e t F a b ric e v an d e K e rc k h o v e , L a b o r, B ru x e lle s 19 8 4 (C o ll. A rc h iv e s d u fu tu r). Q u a g h e b c u r M ., B e lg iq u e . Im p r e m iè r e d e s litté r a tu r e s fr a n c o p h o n e s n o n fr a n ç a is e s , L u x e m ­ b o u rg , A s so c ia tio n d e s P ro fe s s e u rs d e F ra n ç a is d u G ra n d -D u c h é d e L u x e m b o u rg , 1991 (C o ll. L e s C a h ie rs P é d a g o g iq u e s ). S p i n e t t e A ., C o m m e n ta ir e s d a n s W ille m s P ., E lle d is a it ¡...¡ , p. 1 6 9 -1 7 7 .

S t e i n e r G ., A p r è s B a b e l U n e p o é tiq u e d u d ir e et d e la tr a d u c tio n , trad . d e l'a n g la is p a r L u c ie n n e L o trin g e r, A lb in M ic h e l, P a ris 1978 (et p lu s p a r tic lu ic rc m c n t le c h a p itr e 111 in titu lé L e m o t

c o n tr e l'o b je t).

W i l l e m s P.. Un a rr iè re -p a y s . R ê v e r ie s s u r la c r é a tio n litté r a ir e , L o u v a in -la - N e u v e , P re s s e s u n i­ v e rsita ire s d e L o u v a in U C L , 1989 (C o ll. C h a ire d e p o é tiq u e n ° 3).

W i l l e m s P., L 'a u te u r d r a m a tiq u e f l a m a n d d e la n g u e fr a n ç a is e , d a n s E lu d e s d e litté r a tu r e f r a n ­

ç a is e d e B e lg iq u e o ffe r te s à J o s e p h H a n s e p o u r so n 7 5 e a n n iv e r s a ir e , éd . J a c q u e s A n to in e ,

B ru x e lle s 1978, p. 3 1 -3 4 .

W i l l e m s P., Im C h r o n iq u e d u C y g n e , P io n . P a ris 1949.

W i l l e m s P., E lle d isa it d o r m ir p o u r m o u r ir , le R id e a u d e B ru x e lle s , 3 e é d ., B ru x e lle s 19 9 4 (L e s

C a h ie r s d u R id e a u n ° 16).

W i l l e m s P., Ije M a r c h é d e s p e tite s h e u r e s, B ru x e lle s 19 8 3 . p. 6 4 -1 3 7 (C o ll. T e x te s p o u r D id a s - c a lie s n ° 6).

38 P. W i 1 l e m s , La Ville à voile, op. cit., p. 78.

39 A. S p i n e t t e , lecture de B le ssu res de Paul W illem s, E space N ord, B ru x elles 1984, p. 179. 40 A quélone fait p en ser d ’une part à aquilon, ce vent p oétique du N ord, d ’autre p a ît il rejo in t le v ocabulaire aq u atiq u e, p rolongé dan s l ’a p p elatio n d es filles d ’eau et d an s le rôle q u e l ’eau, en l ’o c c u ren ce le fleuve, jo u e dan s la pièce.

(14)

162 H.-F. Loriau, A. Pantkowska W i l l e m s P., N u it a v e c o m b r e s en c o u le u r s , B ru x e lle s 1983, p. 7 -6 3 (C o ll. T e x te s p o u r D id a sc a - lie s n ° 6). W i l l e m s P., L e p a y s n o y é . F a ta M o rg a n a , s. I, 1990, 85 p. W i l l e m s P., // p le u t d a n s m a m a is o n , le R id e a u de B ru x e lle s , B ru x e lle s 1976 ( U ’s C a h ie r s du R id e a u n ° 3). W i l l e m s P., A la re c h e r c h e d ’un la n g a g e , d a n s M a r g in a le s . R e v u e b im e s tr ie lle d e s id é e s et d es le ttre s, n ° 1 1 2 -1 1 3 , m a i 1 9 6 7 , p. 1 0 5 -1 0 6 .

W i l l e m s P., L a V ille à v o ile , L a b o r, B ru x e lle s 1989, p. 1 3 -1 4 8 (C o ll. E s p a c e N o rd n ° 55). W i l l e m s P ., Im V ita b re v e , L a b o r, B r u x e lle s 1989, p. 1 4 7 -2 5 7 (C o ll. E sp a c e N o rd n ° 55).

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