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Contexte social du fait littéraire et fonctions de la lecture

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Academic year: 2021

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Janusz Lalewicz

Contexte social du fait littéraire et

fonctions de la lecture

Literary Studies in Poland 17, 47-82

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Jan u sz Lalewicz

C on texte social du fait littéraire

et fon ction s de la lecture

1. Problématique du fait littéraire

1. Le fait littéraire c ’est, p o u r p arler en term es les plus généraux,

l’entrée en co n tact d ’un texte avec un destinataire. T outefois, po ur en faire une n otion opérationnelle, il est nécessaire de préciser ce

qui sera analysé sous ce nom .

En prem ier lieu, les deux term es de cette relation peuvent être ra p p o rtés soit aux objets individuels soit aux classes d ’objets: l ’on peut p arle r de la lecture d ’un texte ou d ’une classe de textes — textes littéraires, textes d ’un au teu r précis, textes relevant d ’u n genre littéraire, etc.; p ar analogie, la description peut p o rte r sur un lecteur précis ou une collectivité de lecteurs, un public. C ’est dire q u ’il y a q u atre catégories de relations qui en tren t en ligne de com pte, en d ’autres term es q u a tre catégories des phénom ènes de réceptio n:

a) a c t e d e l e c t u r e établissant une relation en tre un texte et un lecteur;

b) relation entre u n texte et une collectivité de lecteurs, un pu blic; ce cas sera dans la suite de ces lignes défini com m e f a i t l i t t é r a i r e au sens é tro it du term e;

c) p r a t i q u e d e l a l e c t u r e établissan t une relation en tre un groupe de textes et un lecteur;

d) dim ension collective de l a p r a t i q u e d e l a l e c t u r e dans une collectivité, établissan t une relatio n entre une classe de textes et un public.

Si les analyses de la réception o n t l’am b itio n d ’avoir u ne valeur cognitive, les co n stata tio n s relatives à la lecture individuelle ne

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sauraien t être confondues avec celles p o rta n t sur la réception collective, co n tra irem en t à ce q u ’on observe so uv ent d an s les textes sur la réception de la littérature. Les q u a tre phén om èn es susm entionnés présentent des m écanism es différents et son t assujettis à des facteurs différents qui les co nditionn ent. C ’est dire q u ’ils ap pellen t des p erspec­ tives et des dém arches investigatrices différentes.

Il serait p o u rta n t erro n é d ’attac h er à ces différences une valeur absolue, dans la m esure où l ’on n ’est p as en présence de q u atre phénom ènes' à p a rt, indépendants les uns des autres, m ais, en quelque sorte, de différents niveaux ou élém ents d ’u n m êm e to u t, en co rréla­ tio n m utuelle les uns p ar ra p p o rt aux autres et s’ex pliq u an t m utuelle­ m ent. L a lecture ay an t un caractère individuel, la réception collective ne sau rait être considérée com m e un to u t con cret m ais com m e fonction des actes individuels de lecture, irréductibles aux p h é­ nom ènes de la sphère des co m p o rte m e n ts collectifs. D ’un au tre côté cep endant, l’acte individuel de lecture s ’inscrit d an s un contexte collectif, celui de la vie littéraire et p ra tiq u e d ’une collectivité ce qui, en un sens, le déterm ine ta n t p o u r sa form e que p o u r sa fonction.

Ces observations expliquent dans une certain e m esure la dém arche investigatrice que nous avons ad o p tée: l ’analyse de l’aspect socio- logique de la lecture. N ous ne ten tero n s pas de description d i­ recte de faits collectifs; en effet, p o u r u ne telle descrip tion , il nous fa u d rait des m odèles statistiques re n d a n t co m p te de certains élém ents ou aspects de la dim ension collective de la lecture, consi­ dérés isolém ent et sans ra p p o rt avec les phénom ènes qui se situent au niveau des co m portem ents individuels. C e qui sera plus co m m ode c ’est de p ro céder p ar m odèle de l’acte de lecture ou de la re la tio n : t e x t e - l e c t e u r , ce qui p erm e ttra une ap p ro ch e d ’ensem ble de la lecture en ta n t que systèm e de facteurs reliés fonctionnellem ent les uns aux autres. Il s ’agit toutefois d ’analyser ce qui, dans l’acte de la lecture, représente les phénom ènes du niveau sociologique, et non de rendre co m p te de la lecture individuelle d an s ses aspects particuliers et concrets. L a lecture individuelle sera d o nc considérée dans ses ra p p o rts avec les différents systèm es de rang supérieur auxquels, fonctionnellem ent, elle se rattach e. C e seront des touts de plus en plus vastes et de plus en plus com plexes. Etudiée com m e fait social, la lecture est une m atière des plus com plexes, ce qui fait que l ’o rd re d ’analyse que n ou s n ous p ro p o so n s d ’ado pter,

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consistera d ’u ne p a rt à la considérer successivem ent p ar ra p p o rt aux différents contextes fonctionnels (c’est-à-dire à en étudier les différentes dim ensions et les différents aspects) et d ’au tre p a rt à passer des contextes les plus im m édiats et les plus sim ples aux plus vastes et aux plus com plexes. C ette dém arche nous p erm e ttra de dégager un plus grand n o m b re de facteurs essentiels et de mieux systém atiser leurs connexions que ce ne serait possible de faire en analysant d irectem ent les contextes les plus vastes et les plus com plexes, tels que, p ar exem ple, la culture dans son ensem ble ou l ’ensem ble de la vie sociale.

2. L a relatio n établie p a r la lecture n ’est pas une relation entre

élém ents d ’une m êm e catégorie, à la différence de celles entre les textes ou en tre les personnes, m ais une relatio n entre des objets a p p a rte n a n t à des catégories différentes: en tre les textes et les personnes. E tan t do n n é que les term es de cette relation relèvent de deux ordres distincts de la réalité, la lecture et la relatio n q u ’elle établit, doivent être inévitablem ent considérées dan s l ’enceinte de l’un d ’en tre eux : soit p a r ra p p o rt au texte, c ’est-à-dire com m e un p h én o ­ m ène qui se p ro d u it dans l’univers des textes, soit p ar ra p p o rt au lecteur, c ’est-à-dire com m e un phénom ène de l’univers des hom m es.

D ans la prem ière des deux perspectives, la donnée de d épart et le p o in t de référence de la description sont offerts p ar le t e x t e (un texte ou une classe de textes); d ans cette hypothèse, en te n ta n t de décrire la lecture, nous nous interrogeons sur ce q u ’est p o u r un texte l’entrée en co n tac t avec un lecteur (ou un public de lecteurs); en d ’autres term es, n o u s décrivons les lectures particulières com m e a u ta n t d ’aventures d ’un texte avec ses différents lecteurs. Il est aisé de se ren d re com pte que c ’est là l’optique des analyses de la lecture tentées p a r les historiens ou théoriciens de la litté ra tu re ; en effet, dans to u te étude d ’un ouvrage ou de l ’oeuvre d ’un écrivain, d ’un critiqu e littéraire etc., la lecture est considérée com m e in terp ré tatio n du texte.

D an s la seconde o ptiq ue, l’entrée en co n tact du texte avec le lecteur est considérée com m e une aven ture vécue p ar ce dernier. La d o n n ée de d é p a rt et le p o in t de référence sont ainsi offerts p a r le l e c t e u r (un lecteur ou une collectivité de lecteurs) et l ’analyse elle-même se pro p o se d ’établir ce que m arqu e p o u r ce lecteur l ’ap p roche d ’un texte ou, plus généralem ent, la p ra tiq u e de

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la lecture. C ’est la façon d o n t la lecture est analysée dans la p lu p art des cas à l ’étude de sa dim ension sociale (collective), et dans diverses études sociologiques.

D ’un p o int de vue p urem ent th éoriq ue il s ’agit là de deux approches qui to u t en étan t différentes ne s’excluent pas p o u r a u ta n t l’une l’au tre ; elles sont com plém entaires, c ’est q u ’elles p o rten t sur les deux faces d ’un m ême phénom ène. Si cette com p lém entarité n ’est pas perceptible d an s les études littéraires d ’une p a rt et sociologi­ ques de l ’autre, la raison n ’en est pas un iquem ent la différence d ’approche ni m êm e celle de l’échelle de description — individuelle chez les chercheurs littéraires qui s ’occupent généralem ent de lec­ tures individuelles et collective chez les sociologues qui, eux, an aly sant les co m p ortem ents collectifs de lecture. U ne au tre raiso n à invoquer, m ajeure peut-être, est la différence des principes épistém ologiques et m éthodologiques du m odèle de dém arche scientifique dans les deux disciplines. D ’où l’im possibilité d ’entente et de co o p ératio n entre les chercheurs qui s ’occupent, certes, du m êm e phénom ène mais d ’un point de vue différent. Aussi vaut-il la peine de m ettre en relief les correspondances et les interdépendances fonctionnelles en tre les phénom ènes relevant des deux ordres. C ’est l’une des intentions de la présente étude.

La lecture y sera analysée dans la seconde des optiqu es susm ention­ nées, c ’est-à-dire com m e activité pratiq u ée p ar un individu ou une collectivité, activité qui a p o u r objet les textes, littéraires en p a rti­ culier.

3. La lecture est une activité du lecteur; c ’est dire que la relation

en tre le texte et le lecteur est celle entre l’objet et le sujet d ’une action. En co nsidérant la lecture com m e action, l ’on p eut s’interroger d ’une p art sur ce que le lecteur d ’un texte (en) fait q u an d il lit, et d ’autre p a rt ce que fait le lecteur p ar le fait de lire. Ces interrogations, il n ’est pas difficile de le saisir, se ra p p o rten t aux aspects f o r m e l s et f o n c t i o n n e l s de la lecture. D ’un au tre côté il s’agit d ’établir en quoi consiste la lecture ou, plus précisé­ m ent: quelles sont les opérations sur le texte effectuées en cours de lecture et, p o u r aller plus loin, quelles sont les façons de lire — c ’est-à-dire il s’agit d ’analyser les m écanism es de la lecture et les m anières de lire. D ’un autre côté nous analysons les fonctions de la lecture en nous interrogeons sur le sens, les objectifs, les m otivations et les effets de la p ra tiq u e de la lecture — p o u r un

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lecteur précis ou p o u r une collectivité précise. En d ’autres term es, nous exam inons l’action du lecteur d ’une p art com m e une tech ­ nique ou un ensem ble d ’opératio n s sur texte, d ’au tre p a rt com m e m oyen d ’action ou m ode de co m p o rtem en t dans la vie collective. C ’est dans ce second sens que nous exam inerons ici la lecture.

D e ce p o in t de vue, l ’on saisit aisém ent le caractère unilatéral et p artiel des investigations des littérateu rs et des sociologues. En effet, les sociologues étu dient les com p ortem en ts des lecteurs com m e si la lecture se ram en ait à la co nsom m ation des livres et com m e si les préférences et les m otivations qui président à ces co m p ortem en ts n ’avaient pas de ra p p o rt avec la lecture elle-même et l’intelligence des textes, m ais étaient déterm inées p ar des facteurs économ iques, politiques, etc. Les littérateu rs, p o u r leur p art, analysent la lecture com m e si l ’in terp rétatio n d ’un texte était fonction de son con tact

avec une conscience dotée d ’une conception du m onde ou de

«codes de réception», sans dépendre de quelque façon que ce soit de la m otivation, des finalités, des fonctions et d u contexte des lectures entreprises. O r, il est évident q u ’il y a interaction entre la form e des com p o rtem en ts de lecteurs — les m anières de lire, les hab itu d es d ’in terp rétatio n , etc. — et leur fonction. Le m écanism e de lecture et les techniques de lecture d ’un lecteur précis circonscri­ vent les lim ites de ce que p eu t signifier p o u r lui la lecture ou de ce à q uoi elle p eu t lui servir; d ’un au tre côté, la place de la lecture dans l ’ensem ble des activités d ’un lecteur précis ou dans la vie sociale d ’une collectivité, les finalités du recours à la lecture ou de la p ratiq u e de la lecture son t des facteurs qui co nd itio n n en t les façons d ’ap p ro ch er le texte, l ’o rien ta tio n et le contexte de l’interprétation.

P o u r résum er ces précisions prélim inaires l’on peut dire que

les consid ératio n s qui vont suivre on t p o u r objet la lecture en tan t q u ’occu p atio n ou type d ’o ccu pation d ’un lecteur p ar ra p p o rt à l’ensem ble de ses activités et de sa p artic ip a tio n à la vie collective. Il s ’agit d on c de ré p o n d re à l’in terro g atio n sur ce q u ’est la lecture — son sens et sa fonction — p o u r le lecteur, dans la m esure où il participe à la vie d ’une collectivité, dans la m esure aussi où sa lecture est un co m p o rtem en t social. C ela signifie en particulier q u ’il ne sera pas tenu co m p te des sens et des fonctions à portée u n iq uem ent individuelle et intim e de la lecture.

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et de systém atiser les facteurs qui décident des caractéristiq u es fonctionnelles de l’activité de lecture dans sa dim ension sociale. La seconde partie offre u ne esquisse de typologie des situ atio n s de lecture dans différentes collectivités ou groupes sociaux, au m oyen de critères dégagés exprès à cette fin.

2. D im ensions objectives de la lecture

1. La lecture en ta n t que type d ’o ccu pation ou d ’activité se définit p ar l ’objet qui lui est p ro p re, différent de celui des activités d ’un type différent, et p a r la façon d o n t on s ’occupe de cet objet, elle aussi différente des au tres types d ’activité s ’exerçan t sur le mêm e objet ou p a r ra p p o rt à ce dernier. Lire c ’est, p rem ière­ m ent, s ’occuper de textes et, secondem ent, s ’en occu per d ’u n e façon particulière qui est a u tre que celle q u e l’on p ra tiq u e p o u r écrire, p o u r trad u ire ou p o u r com m enter. D a n s ce ch ap itre, sero n t précisé­ m ent étudiées les d im ensions objectives de la lecture, soit ce que déterm ine l’objet qui lui est propre.

O utre la question sur ce q u ’est la lecture en fo n ctio n de son objet c ’est-à-dire en ta n t que m anière particulière de s ’occuper de textes, l’on p eu t en poser une au tre, ren vo yan t à un contexte plus vaste, celui de la vie collective com prise com m e un ensem ble d ’occupations ou d ’activités — possibles ou effectives — p ratiq u ées p a r les m em bres d 'u n e collectivité. N o u s nous in terro geo ns alors sur ce q u ’est la p ra tiq u e de la lecture (par un lecteur ou p a r un groupe de lecteurs) en ta n t que form e de p artic ip a tio n à la vie collective. Le ch apitre suivant a u ra p o u r ob jet les d i m e n s i o n s s o c i a l e s d e l a l e c t u r e selon cette acception du term e, soit sa place et ses fonctions dans l’ensem ble de l’activité du lecteur et, plus largem ent, dans la vie de la collectivité d o n t il est m em bre.

2. Le texte c ’est — form ellem ent p a rla n t — un systèm e de signes. M ais c ’est un systèm e qui p o rte sur un sujet, q ui p arle de quelque chose. En m ’o ccu p an t d ’un texte, je m e m eus d an s deux ordres en m ême tem ps: d ’une p a rt j ’ai affaire à des signes que j ’identifie, m ets en o rd re et in terprète, et d ’a u tre p a rt — à des affaires, des idées, des problèm es ou des faits d o n t parle le texte. C ela co nd uit à distinguer deux dim ensions de la lecture considérée com m e le fait de s ’occuper de textes; ces deux dim ensions, je les appelerai

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C o n te x te so c ia l du fa it litté ra ir e 53 d i m e n s i o n f o r m e l l e et d i m e n s i o n t h é m a t i q u e . Lire c’est:

a) s ’occuper d ’un t e x t e com pris com m e un systèm e de signes (identifier les signes et leurs com binaisons, les interpréter, etc.);

b) s’occuper du s u j e t d ’un texte (suivre l ’histoire qui fait l ’objet du récit, les faits présentés, les problèm es considérés).

S ’occuper du texte et s’occuper du sujet ce sont, bien entendu, deux aspects ou deux dim ensions d ’une m êm e activité et nullem ent deux activités distinctes, et à analyser l’acte de lecture, cette distinc­ tion n ’a q u ’une signification théorique. Ces deux notio ns se verront p ar contre dotées de références em piriques à l’analyse de la p ra ti­ que individuelle de la lecture et de la p ra tiq u e de la lecture d ’une collectivité. P ar exem ple, les choix que fon t les lecteurs et les m otivations qui les an im ent tiennent aux facteurs soit thém atiques soit form els: les choix d ’un lecteur (ou: préférences d ’un public) découlent de l’intérêt p o rté soit à un ensem ble de sujets — tels q ue les problèm es des jeunes d ’a u jo u rd ’hui, l’occupation nazie, les problèm es du m onde ru ral, les voyages — soit à une catégorie de textes, p ar exem ple le ro m an policier, le ro m an co ntem po rain , la poésie rom an tique, l'o eu v re d ’un au te u r ou la iittératu re du fait vécu. Ces m otivations déterm inent, bien entendu , l ’attitu d e à l’égard des textes qui fo nt l’objet de lecture et la façon d o n t on les com prend.

En fonction de ces m otivations, c ’est-à-dire suivant que la lecture équivaut p o u r un lecteur à s ’occuper d ’un certain type de textes ou de certains sujets, je p arlerai d ' o r i e n t a t i o n f o r m e l l e ou d ’o r i e n ­ t a t i o n t h é m a t i q u e du lecteur. Les deux orien tatio n s peuvent p rédo m iner l ’une ou l’au tre dans différentes lectures, selon les lecteurs, selon les types de textes et selon les situations de lecture.

En substance, l’on p eu t distinguer des catégories de lecteurs saivant q u ’ils adhèrent à l’une ou à l’au tre des deux orientations. P o u r les gens ayant un riche fonds de lecture et égalem ent pour ceux qui s ’occupent professionnellem ent de littérature, lire c ’est s’occuper de textes littéraires, égalem ent (et souvent principalem ent) p o u r leurs propriétés form elles — le langage, le style, le genre, la com position, etc. Il y a lieu de faire observer q u ’à la différence des élites culturelles qui en font un critère p o u r leurs choix, p ou r leurs m otivations et p o u r leurs jugem ents de valeur portés sur les textes les qualifications distinctives se ra tta c h a n t à l’orien tation form elle, telles que: littéraire — non littéraire, avant-gardiste — tra ­

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ditionnel, d ’une h aute tenue artistique — po pu laire, n o v a te u r — du déjà vu, etc., sont, d ans d ’autres collectivités de lecteurs, soit to ta le ­ m ent ignorées (c’est le cas du g rand public), soit sans aucune im portance (c’est le cas des lecteurs «engagés»). En effet, ce so nt des lecteurs p o u r lesquels la lecture con stitu e princip alem en t ou exclusivem ent le m oyen de s’occuper de certains sujets.

3. U n au tre group e de problèm es se ra tta c h e au second p o in t

distin c tif de la lecture. L a lecture é ta n t une des form es o u m anières de s ’occuper de textes, la question se pose en quoi cette form e se distingue des autres possibles. C ette question est une in terro g a­ tion sur le sens et la fonction et non sur le m écanism e de la lecture. P o u r y répondre, il fau t dresser un réperto ire des m anières de s ’occuper de textes (systèmes de signes) et de sujets, en établir l’échelle et définir la place q u ’y tient la lecture.

D éfinir les façons de s ’occuper de textes considérés com m e systèmes de signes ne présente pas de difficulté m ajeure. Les deux m anières fondam entales c ’est, bien entend u, é c r i r e et l i r e des textes. La troisièm e à distinguer en term es généraux c ’est c o m m u n i q u e r a u s u j e t d e s t e x t e s , soit p ro céd er à to u te sorte d ’échanges d ’opinions, de com m entaires, de critiques, etc.

En exam inant la culture co n tem p o rain e (au sens large du term e), il y a lieu toutefois de diviser la co m m un ication au sujet des textes littéraires en deux dom aines distincts du p o in t de vue fo nction ­ nel et form el: d ’une p art, é c h a n g e d ’o p i n i o n s non institutionnel, co u ran t, p a r exem ple dans le cad re d ’une co n v ersation m ondaine, et, d ’autre p art, p r o d u c t i o n et d i f f u s i o n institutionnelle et p ro ­ fessionnelle de l’o p i n i o n littéraire — c ’est-à-dire la critique, les p u bli­ cation s scientifiques, les m anuels, etc. E tan t do n n é que générer et diffuser les connaissances sur la littératu re et les op inions littéraires est l ’oeuvre de professionnels — historiens ou théoriciens de littérature, critiques littéraires — qui s’y em ploient institutionnellem ent, l’échange d ’opinions constitue le lot exclusif de cette catégorie de lecteurs, alors que p o u r le grand public, l ’o p inion institutionnelle et profession­ nelle, publiée à l ’instar de la littératu re elle-même, n ’existe que com m e objet de réception. C ’est la raiso n p o u r laquelle le fait d ’avoir distingué com m e dim ension à p art la com m u nicatio n p u bli­ que institutionnelle au sujet de la littératu re appelle une autre distin ctio n : celle de la r é c e p t i o n de cette o p i n i o n i n s t i t u t i o n n e l

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-C o n te x te so c ia l du fa it litté ra ir e 55

Te — en tan t que cinquièm e m anière de s’occuper de textes litté­ raires.

La culture co n tem p o rain e a fait une place de choix, ainsi que le souligne R o b ert E scarpit, à différentes form es interm édiaires d ’appro ch e de la littératu re: ad a p ta tio n s, paraphrases, mises en scène et autres dérivés du texte littéraire.

C ’est si vrai q u e , d e n o s jo u r s, l ’a d a p ta tio n cin ém a to g ra p h iq u e, ra d io p h o n iq u e, télé v isé e ou en b a n d e d essin ée fait partie d e l ’acte d e lecture, et q u ’on peut définir l ’a ttitu d e de lecteu r par sa réaction au «film tiré du livre» o u au «livre tiré du f ilm » 1.

De ce p oint de vue, l’on peut considérer la lecture des textes com m e approche directe de la littératu re, alors que la découverte de la littératu re à travers les dérivés d ’oeuvres littéraires est à distinguer com m e une m anière à p a rt de s ’occuper des belles lettres. D ’un m êm e po int de vue, la réception de l’in form ation et de l’opinion littéraires institutionnelles serait à considérer com m e une m anière d ’ap p ro ch e indirecte de la littérature. L a table suivante présente d ’une façon som m aire les m anières énum érées de s ’occuper des textes littéraires:

C o m m u n ic a tio n littéraire

E m ission In teraction R é c e p tio n

C R É A T I O N d e textes littéraires L E C T U R E de textes littéraires C o m m u n ic a ­ tio n au sujet de la littératu re in stitu ­ tio n n elle C R É A T I O N de textes sur la littérature R É C E P T IO N D E S O P I N IO N S sur la littérature c o u ra n te É C H A N G E D ’O P I­ N I O N S sur la littérature A P P R O C H E I N D IR E C T E de la littérature

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R em arqu ons que cette table perm et de saisir sans difficulté la ré p artitio n sociale des m anières de s ’occuper de textes littérai­ res:

1) La particip atio n à titre d ’ém etteur à la com m u n icatio n litté­ raire et à la co m m unication au sujet de la litté ra tu re est réser­ vée aux professionnels; ces deux m anières de s ’occuper de litté ra ­ ture on t un statu t d ’activités professionnelles et institutionnelles. 2) P o u r les lecteurs qui so n t étrangers au g rou pe de professionnels, la littérature existe com m e sujet de réception — de réception au sens large du texte, c ’est-à-dire com m e lecture des textes p rop rem ent dits et com m e appro che de la littératu re p a r l ’interm éd iaire d ’a d a p ta ­ tions (dans le cas du public de m asse) et, d ans certain s milieux (en particulier des gens à riche fonds de lecture) — égalem ent co m ­ m e réception de l ’in form ation et des opinions.

3) Enfin, dans les milieux des «gens cultivés» la littératu re fait égalem ent l’objet d ’un échange d ’idées n o n institutionnel.

A la lum ière de ces observations, il est évident (au p o int q u ’en parler risquerait de p araître banal, n ’était-ce le fait q u ’on en a jam ais parlé) que, socialem ent, la littératu re existe en p rem ier lieu com m e lecture ou, plus généralem ent com m e ob jet de réception, p ar con tre ce n ’est que p o u r les professionnels q u ’elle est l’objet de création, ce qui fait q u ’analyser la littératu re en ta n t que créatio n — com m e le font en règle théoriciens et historiens de littératu re et, souvent aussi, sociologues de la littératu re ou de la cu ltu re — c ’est étudier la littérature selon l ’optique de ce group e professionnel (ce qui confère à la description un g oû t de p arad o x e, dès q u ’on se m et

à parler des fonctions sociales de la littératu re).

4. Il n ’est, bien entendu, pas possible de ré p erto rier tou tes les

m anières de s’occuper de ce qui fait le s u j e t des textes, p o u r rechercher p a r la suite la place q ue tient p arm i elles cette m anière particulière de s’occuper d ’un sujet q u ’est la lecture. P o u r préciser dans cette op tiqu e le sens de la lecture, il sem ble im p o rtan t — et réalisable — de distinguer trois «degrés de présence» d ’un problèm e ou d ’une idée (le sujet) dans la vie du lecteur (ou: collectivité de lecteurs). Ce sujet peut être p o u r le lecteur: 1) uniquem ent un sujet de lecture ou 2) égalem ent le sujet d ’une activité de com ­ m unication (p. ex. de conversations) ou encore 3) l’objet d ’une activité sociale qui n ’est pas réductible à la co m m u nicatio n pure

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C o n te x te so c ia l du f a i t litté ra ire 57

(religieuse, politique, culturelle). A ces trois «degrés de présence» du sujet, co rresp o n d en t, semble-t-il, trois types de fonctions de la lecture considérée com m e m anière de s ’en occuper:

1) si un fait, un p roblèm e ou une idée n ’est rien d ’a u tre q u ’un objet de lecture, il n ’est p o u r le lecteur q u ’un thèm e littéraire ou, plus largem ent, culturel, et la lecture — la seule m anière p o u r lui

de s ’en occuper — revêt le sens d e la satisfaction d ’un besoin

ludique, esthétique ou intellectuel individuel;

2) si ce problèm e ou cette idée font en m êm e tem ps l’objet de com m unication , soit l’objet d ’intérêt com m un au sein du g rou pe auquel le lecteur ap p a rtien t, la lecture devient indirectem ent une form e de p artic ip a tio n à la vie collective (participation q u ’elle im plique to u t en é ta n t im pliquée p ar elle) sur un plan ay an t un caractère de co m m u n icatio n : vie de société, vie culturelle ou in­ tellectuelle du g roupe;

3) si enfin le sujet de lecture est en m êm e tem ps l’objet d ’une activité non com m u nicatio nnelle ou plus exactem ent non seulem ent com m unicationnelle du lecteur, la lecture jo u e le rôle d ’une m anière subsidiaire de s ’en occuper, dans la m esure où ce sujet de lecture constitue l’objet d ’une activité avant to u t politique ou religieuse, et la lecture est alors, indirectem ent, un m oyen et à la fois un effet de la p art prise p ar le lecteur à cette activité.

Le prem ier des trois cas trouve son illustration dans la situ atio n d ’un intellectuel d ’a u jo u rd ’hui qui lirait des rom ans sur la co n d itio n fém inine en E urop e au X IX e siècle: ce serait p o u r lui un sujet de lectures littéraires ou historiques. Le m êm e sujet faisait effecti­ vem ent l’objet de déb ats idéologiques dans des milieux d ’intellectuels à la fin du siècle dernier — ce qui illustre le deuxièm e cas signa­ lé. Enfin, p o u r ce qui est de la troisièm e situ atio n : le m êm e problèm e faisait l’objet d ’une activité p olitique et sociale p o u r les m ilitantes des m ouvem ents féministes.

3.

Le Rôle du lecteur

et les dimensions sociales de la lecture

1. D ans le ch a p itre précédent, la lecture était considérée sous

l’angle de son objet, différent de celui des autres types d ’activité, et sous l’angle de la m anière de s’en occuper, elle aussi différente

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que p o u r les autres activités. C ette m êm e activité sera m ain ten an t exam inée d ans un co ntexte différent: com m e activité ou o ccupation s’inscrivant dans l ’ensem ble des activités p ratiq uées dans une collectivité et sous l'ang le des corrélations fonctionnelles avec ses au tres occu­ pations. En d ’autres term es, il s ’agit de définir la place que tient le fait de s ’occuper de littératu re (en p articu lier la lecture) dans la vie d ’une collectivité ou — du point de vue du lecteur indivi­ duel — parm i les form es de p artic ip a tio n à la vie collective.

E tan t d o n n é que la lecture sera considérée dan s son contexte de vie collective, il convient d ’ab o rd de définir la collectivité qui servira de p o in t de référence. C onsidérer la lecture p ar ra p p o rt à la vie collective à l’échelle de la société globale ou à l’échelle des classes ou couches socio-économ iques, com m e le font souvent les sociologues de la littérature, n ’ap p a raît pas com m e une solution des plus heureuses: ce sont des collectivités tro p vastes et d ’un degré de cohésion insuffisant p o u r que le fait d ’y ap p a rten ir déterm ine les co m portem ents culturels. Les form es et les fonctions de p artic ip a tio n à la culture sem blent être conditio nnées d ’une m anière plus précise et plus stable p ar la p articip atio n à la vie de m ilieux plus restreints et plus proches du lecteur; d an s le cas de la cu ltu re littéraire il s’agit de milieux qui co n stitu en t des to u ts relativem ent hom ogènes du po in t de vue culturel ou, à consi­ dérer la chose d ’un au tre p o in t de vue — de circuits de diffusion littéraire.

M ais com m e le fait de la lecture varie suivant q u ’elle est, dans une société, une occupation généralisée ou d ’élite, celle de tou t un grou pe social ou de quelques individus, il faut, avant d ’analyser les fonctions de la lecture dans le contexte du groupe de réfé­ rence le plus proche, situer ce d ern ier d an s le contexte des autres groupes de la société prise dans son ensem ble. C ’est-à-dire établir la ré p a rtitio n dans la société du fait de s ’occuper de littératu re (en p articu lier de la p ratiq u e de la lecture), en d ’autres term es établir qui, dans la société considérée, quels groupes et, éventuelle­ m ent, quels individus au sein de ces groupes, s ’o ccupent de littéra­ ture (ou encore peuvent ou doivent s’en occuper), d an s quelles circonstances, de quelle m anière et à quelle échelle. C ’est q u ’en fonction de ces circonstances, la littératu re se révèle être soit une distractio n q uotidienne, soit une o ccu patio n distinctive, source de

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C o n te x te so c ia l du f a i t litté ra ire 59 prestige ou d ’isolem ent; un devoir professionnel ou m on d ain , rien q u ’une m anière individuelle de l’utilisation du tem ps libre, sans im portance p o u r la participation à la vie collective, ou encore un signe d istin ctif du statu t social et de l’instruction ou enfin une connaissance com m un e à tous et de ce fait sans surprise.

2. C ’est d ’une m anière double que l’on peut concevoir le co n ­

texte social en co n sid éran t la lecture p a r ra p p o rt à la vie collective (ou à la p artic ip a tio n à la vie collective): soit en term es de système ou paradigm e, c ’est-à-dire com m e un répertoire d ’occupations, d ’activités, d ’interactions individuelles et de groupe, liées les unes aux autres et fo rm a n t divers ensem bles fonctionnels, divers plans et dom aines de vie collective; soit en term es de processus, c ’est-à-dire com m e ce qui se passe actuellem ent d an s la collectivité et dans quoi le lecteur qui en est m em bre se trouve im pliqué: les affaires de l’entourage le plus im m édiat, la situation dans le m ilieu profession­ nel, dans le cercle de société, etc., les événem ents d ’actualité, les problèm es sociaux, politiques du m ilieu restreint d an s lequel se m eut le lecteur, du groupe social, de la société globale enfin.

En term es de système, la lecture et les autres m anières de s ’occuper de littératu re, seraient à analyser dans leurs corrélations avec les autres types d ’activité. La question q u ’est-ce q u e la lecture signifie dans cette o p tiq u e: à quelle catégorie d ’activités app artien t- -elle? A quelles au tre s activités se rattache-t-elle? D an s quel secteur (ou: quels secteurs) de la vie collective intervient-elle et quelle place y tient-elle? C ’est ce que déterm ine, bien en ten du , le type de société. Les norm es culturelles définissent, prem ièrem ent, le rôle du lecteur, c ’est-à-dire les m otivations et les circonstances de la p ra tiq u e de la lecture, les critères du choix des lectures, les m anières de lire et d ’interp réter, ce qui signifie q u ’elles circonscrivent les limites et d éterm in en t les m odèles de p ra tiq u e de la lecture dans une société précise2. Et, secondem ent, elles ra tta ch en t à la pratiq u e de la lecture (ou au rôle de lecteur) certaines finalités et fonctions et situent cette activité d an s des secteurs précis de la vie privée et de la vie collective.

2 II s ’agit d o n c du g ro u p e de p ro b lèm es q u ’a n a ly se J. S ł a w i ń s k i , « O d zisiej­ szych n orm ach c zy ta n ia (zn a w có w )» (A p r o p o s d es n orm es d ’au jo u rd 'h u i de la lectu re «d es c o n n a isseu rs» ), T e k sty , 1974, n o . 3.

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P arallèlem ent à ces facteurs culturels d ’o rd re général, agissent des circonstances sociales d éterm in an t la place et les fonctions de la lecture dans le cad re des différents circuits de diffusion ou milieux de lecteurs. Il n ’échappe à p erson ne que, d ans le milieu des «gens cultivés», le fait de s'o ccu p er de littératu re fait partie intégrante de la vie culturelle liée à la vie de société et détachée de la vie professionnelle et de la vie p ra tiq u e d an s son ensemble, alors que dans les milieux en voie de p ro m o tio n sociale le fait de s’en occuper se ra tta ch e du processus de fo rm atio n et souvent à l ’activité sociale ou politique; p ar co n tre, d an s le circuit massif, la lecture est une des form es d ’o ccu p atio n des loisirs individuels, un term e d ’alternative p ar ra p p o rt à la télévision, au ciném a, aux m anifestations sportives ou aux réunions de société.

3. En term es de processus, la vie collective est p o u r le lecteur la

situation sociale dans laquelle et à l'ég ard de laquelle il adop te une attitu d e par le fait de lire et p ar ce q u ’il lit. S ’occuper de textes littéraires ou de sujets précis c ’est choisir une m anière de p articip atio n (ou de non -p articip atio n ) à ce qui se passe dans le m onde qui nous entoure, prendre positio n à l ’égard de l ’environne­ m ent social considéré dans une acception plus ou m oins large du term e, face à ses problèm es et ses p réoccu pation s, face aux affaires publiques ou privées.

D e ce po in t de vue, la lecture peu t être, p o u r parler en term es généraux, soit le m oyen de p articiper à un secteur de vie collective ou à une entreprise com m une — dans ce cas il y a lieu de parler de l e c t u r e e n g a g é e , soit au co n traire, une m anière de susprendre sa p articip atio n ou de s ’isoler de ce qui se passe dans l ’env iron ­ nem ent social, ce que justifierait un term e à plus d ’une significa­ tion, celui de l e c t u r e d ’é v a s i o n .

Si nom breuses que soient les am biguïtés que co m p o rten t les n otion s d ’« attitu d e engagée» et d '« a ttitu d e d ’évasion», elles n ’en trad uisent pas m oins la n atu re des choix individuels. Il existe ce pend ant des facteurs de milieu qui d éterm in en t de telles attitudes com m e attitu d es de lecteur. C ’est ainsi que, d an s les milieux sociaux en voie de p ro m o tio n sociale et culturelle, la lecture est en règle une form e de p artic ip a tio n à la vie collective, p ar con tre, dans le circuit de m asse, elle a le sta tu t de d istractio n individuelle sans ra p p o rt avec la particip atio n aux aspects im p o rtan ts de la vie collective.

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C o n te x te so c ia l du fa it litté ra ire 61

A considérer le sens de la lecture p ar ra p p o rt à la situation sociale, il est indispensable de tenir com p te de la distinction signa­ lée dans le ch ap itre précédent entre les dim ensions form elle et th ém atiq u e de la lecture. En fonction de la situatio n dans laquelle elle se p ra tiq u e , la lecture peut rem plir des fonctions d ’évasion, p a r le fait m êm e de cen trer l’intérêt du lecteur soit sur des textes, en particu lier littéraires, soit sur des sujets précis. D ’une façon analogue, l ’engagem ent se réalise p a r une lecture en vue du sujet et p a r le choix des sujets de lecture. T outefois, d ans certaines situations, p a r exem ple dan s les groupes sociaux où le fait de s’instruire et de lire est un m oyen de p ro m o tio n culturelle, la p ratiq u e de la lecture est en soi, com m e type d ’activité, u ne m anière de participer à la vie collective, indép endam m ent des sujets des lectures.

4. Répartition sociale des types fonctionnels de lecture

Les sections précédentes de cette étude se sont prop osé de dégager d ’une m anière systém atique et d ’o rd o n n e r les facteurs qui déterm in en t fonctionnellem ent l’acte de lecture, la pratiq u e de la lecture ou le rôle du lecteur ou encore le statu t social de la lecture — en fonction du niveau considéré d ’o rg anisatio n de l ’objet. C e quatrièm e ch a p itre présente quelques-unes des applications de cet appareil conceptuel. Les critères analysés ou signalés plus haut serviront à distinguer quelques-unes des collectivités typiques p ar le statu t q u ’elles acco rd ent aux lectures littéraires, collectivités qui co rresp o n d en t app ro xim ativem en t à des types de public littéraire connus de la cu ltu re con tem p o rain e ou des cultures historiques. Il s’agit de savoir ce q u ’est la lecture d ans un grou pe ou une couche sociale, dans une société, c ’est-à-dire p o u r les lecteurs qui en font partie, to u t en tenan t com pte des critères dégagés plus h a u t; est-elle axée su r un type de textes ou sur un type de sujets (thèm es); est-elle la seule m anière de s ’occuper de ce type de textes (ou de sujets) et si ce n ’est pas le cas, la m anière principale ou secondaire? C o m m ent la lecture est-elle liée aux autres dom aines d ’activité? Est-elle une activité de tous ou celle des élites, une acti­ vité d e tous les jo u rs ou p ratiq u ée à de ra res circonstances? — etc.

1. D epuis l’époque ro m an tiq u e, l’a rt et la littératu re s ’écrivent

souvent p ar des m ajuscules; s ’en occuper et, en p articu lier, en faire, s’assim ile aux yeux de b eau coup à une so rte d ’ascension dans les

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h autes sphères de l’esprit, loin des contingences de la vie p ratiqu e, en co m m union du sublim e et de l’A bsolu. Bien que com b attu e, cette idéologie n ’a pas entièrem ent lâché son em prise sur les esprits, ce qui se trad u it p a r une m anière de voir la fonction sociale de la littérature, m anière bénéficiant d ’une acceptatio n tacite, en p artie inconsciente. Il n ’est peut-être pas inutile de souligner la p articu larité de cette idéologie à l’échelle historique, et de form uler sans équivoques des vérités prem ières qui serviront de référence aux considératio ns qui von t suivre. D an s cet o rd re d ’idées, disons que s ’occuper de littératu re et en particulier p ra tiq u e r la lecture est, dan s chaque société, une activité secondaire, se situ an t hors des grands secteurs de la vie sociale, et de to u te façon une activité ludique, quels que soient le prestige possible de la litté ra tu re et la po rtée des fonctions q u ’elle rem plit. Si, dans certaines sociétés ou dans certains groupes sociaux, elle est quelque chose d ’au tre ou quelque chose de plus q u ’une sorte de d istractio n, cela tient à des circonstances particulières ra tta c h a n t d ’une certaine m anière la littéra­ ture et le fait de s ’en occuper à des sphères de vie collective d ’une p o rtée p rim ordiale p o u r la cohésion et p o u r le fo nction nem en t de la collectivité.

Il est aisé de s’en rendre co m p te en co m p aran t la p a rtic ip a ­ tion à la com m u n icatio n littéraire avec le fait de p articip er à un type de co m m u nicatio n fonctionnelle. Q u an d je lis (ou rédige) une ordo n n an ce, un m an d at d ’appel, une invitation ou to u t au tre co m m un i­ qué fonctionnel, je m ’occupe d ’un com m un iqu é qu i co nstitue l ’outil de m ise en oeuvre d ’une entreprise collective d ans laquelle je jo u e un rôle déterm iné. Si je m ’en occupe, cela tient au rôle que je jo u e dans la vie collective et co nstitue la m anière d o n t je le jo u e ; m ’occuper de ce d o n t il est question dans l ’o rd o n n a n ce c ’est m ’occuper des in fo rm ation s et des directives relatives à m a p a rt dans cette activité collective.

P ar contre, la lecture d ’une p u b lication qui, de p ar sa n atu re ne sau rait être un instrum ent de com m unicatio n sur les affaires d ’actualité et pratiques p u isq u ’elle p o rte sur des sujets détachés de la situation actuelle du lecteur, se p ra tiq u e nécessairem ent en détach em en t aussi bien de la situatio n actuelle du lecteur que de la vie collective. T outefois, d ép en d am m en t de la n atu re de la p ub lica­ tion et de son sujet d ’u ne p art, et du rôle social du lecteur de

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C o n te x te so c ia l du fa it litté ra ir e 63 l’autre, la fonction de la lecture est susceptible d ’un changem ent. Q u an d un chercheur lit une publication du dom aine de sa discipline scientifique, il s ’occupe de l’objet de son activité professionnelle (dans l ’aspect thém atique) et participe à l ’échange d ’inform ations d an s le cadre d ’une co m m u n au té de spécialistes. C ’est d on c une lecture fonctionnelle, encore q u ’à un degré différent que celle d ’un

m an d at d ’appel ju d iciaire; il en va de m êm e de la lecture d ’un

m anuel ou d ’un livre de cuisine (dans une situation appropriée). O r, une p ub licatio n littéraire porte p ar définition sur des choses et des affaires détachées de la réalité de la vie, éloignées de la situation et des objets d ’activité possibles d ’un lecteur quel q u ’il

soit, parce que fictives; elle n ’est pas non plus l’in stru m en t de

quelque échange d ’in form ations que ce soit. H orm is les cas particuliers d o n t il sera Question plus loin, aucun rôle social et aucun type d ’activité n'im p liq u e la lecture des belles lettres. Celle-ci est une activité facultative, volontaire. D ’autre p art, en sa q ualité d ’activité re te n an t l’atten tio n p ar des sujets détachés des affaires pratiq u es co u ran tes, elle a p p a ra ît sans utilité. En bref, considérée en soi, la lecture littéraire revêt le sens d ’une activité ludique que sans utilité p ar ra p p o rt à to u te sphère d ’activité pratiq u e. Ce n ’est d ’ailleurs q u 'u n e au tre face de ce q u ’on a à l’esp rit en qualifiant la littéra­ ture (ou la lecture littéraire) de non u tilitaire et d ’autotélique.

Il vaut peut-être la peine de souligner en o utre q ue cette activité n ’a q u ’une po rtée individuelle — p ar ra p p o rt à l ’individu et à ses besoins — dan s la m esure où elle ne découle d ’aucune form e de p artic ip a tio n à la vie collective et n ’a aucune incidence nécessaire sur celle-ci.

Ce n ’est là, bien entendu, q u ’un m odèle de ce que do it être d ’elle-m êm e la lecture littéraire, p ar le fait de son objet — les textes littéraires — et sans qu'il soit tenu com pte de to u te circonstance extérieure. L ’on sait q ue d ans différentes sociétés connues, elle est souvent quelque chose de p lus; en effet, le contexte social com plète ou m odifie les conditio n n em en ts p u rem en t objectifs et confère à la lecture des significations nouvelles. L ’étude de la dim ension sociale de la p ra tiq u e de la lecture d ém o n tre ce p en d an t que, dans le cas de certaines collectivités et égalem ent de certains types de lecture — lecteur de m asse p ar exemple ou lectures «de gare» — la lecture n ’a d ’au tre sens que celui qui se ra tta c h e au m odèle, celui d ’un

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d i v e r t i s s e m e n t i n d i v i d u e l . Les m o tiv atio n s qui rev ienn ent d ans les sondages: «je lis p o u r m e distraire», « po u r m e distraire de la vie de tous les jours», « p o u r passer le tem ps», ou «je ne lis pas car je n ’ai pas le tem ps p o u r la lecture», « j’ai tro p d ’occupations», «j’ai d ’autres chats à fouetter», «des problèm es de pu re invention ne m ’intéressent pas», «je n ’ai pas besoin de contes», etc., ind iq uen t que la lecture littéraire est considérée (dans la collectivité étudiée) com m e une o ccupatio n non nécessaire et de peu d ’im portance, m êm e si elle pro cu re de l’agrém ent; q u ’elle est un m oyen d ’utilisa­ tion des losirs, de d istractio n ou d ’évasion. L ’on parle d an s ce cas d ’une lecture de distractio n ou d ’évasion.

C ’est cepend ant à to rt que l’on ju g e une telle lecture incom plète ou appauvrie, en ad m ettan t com m e m o dèle la lecture des connaisseurs. Au co ntraire, à ad m ettre la justesse du développem ent qui vient de précéder, force est de co n state r q u e telle est précisém ent la m anière n aturelle de lire les textes littéraires, con form e à leur fonction naturelle; c ’est p lu tô t la m anière de lire p ro p re aux connaisseurs qui n ’est pas naturelle, encore que d ’un p o in t de vue elle soit plus valable. D ans la suite de ces con sid ération s, c ’est ce m odèle le plus sim ple de lecture qui sera une référence p o u r des m odèles plus com plexes. En d ’au tres term es, j ’adm ets q ue la lecture engagée ou celle des connaisseurs ajoute p o u r des raison s ou d ’au tres à la lecture naturelle.

Il semble o p p o rtu n — to u t au m oins p o u r la description de la culture d ’a u jo u rd 'h u i — d ’in tro d u ire une idée lim ite de plus. D an s les sociétés industrielles, la lecture, p as forcém ent littéraire, est une o ccu pation généralisée et co u ran te. Il a p p a ra ît donc justifié de reconn aître d a n s ce contexte com m e an o rm ale la situation des collectivités au sein desquelles la lecture est un phénom ène rare. D ’au tre p art, ce qui s’écarte aussi de la norm ale c ’est le s ta tu t de la lecture littéraire dans le milieu des gens de plum e. D e telles situations ano rm ales seront étudiées en prio rité afin q u ’elles se dém arquen t des autres.

A. C as particuliers

2. Les écrivains, les critiques, les historiens e t théoriciens de

littératu re ainsi que tous les autres qui s'o ccu pen t p rofessionnellem ent de littératu re constitu ent, com m e public littéraire, u n cas p articulier.

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C o n te x te so c ia l du f a i t litté ra ire 65

S ’occuper de littératu re, en particulier p a r la p ra tiq u e de la lecture, constitue leur prem ière activité, la raison de leur existence sociale, alors que p o u r les sim ples lecteurs, la littératu re est l’objet de leur seconde activité, d ’un caractère ludique, nullem ent obligatoire, facultative. C ’est à un tel usage q u ’elle se destine et s ’adapte. Le statu t de l’activité prem ière et obligatoire fait de la lecture et des textes qui en font l’objet, quelque chose de radicalem ent différent de ce q u ’est cette occup ation p o u r tou tes les autres caté­ gories de lecteurs.

D euxièm em ent: s ’occuper de littératu re englobe, dans la com ­ m u n au té des professionnels, la lecture et toutes les autres m anières d ’exploration de la littératu re ainsi que la p articipation à la com ­ m u n icatio n littéraire aussi bien sous form e d ’un échange privé d 'o p in io n s qui constitu e un élém ent im p o rtan t de la com m unication au sein de la com m u n au té, que sous form e de création et de diffusion de l’o p in io n littéraire professionnelle et des connaissances littéraires. T ra ite r de littératu re à l’usage pu blic est le devoir in stitutionnel m ajeur de ce groupe.

D e ce p o in t de vue, une catégorie professionnelle à p art est constituée p ar les écrivains, c ’est-à-dire ceux p o u r qui s ’occuper de littératu re signifie en o u tre écrire des textes littéraires.

La lecture littéraire et la littératu re elle-m ême bénéficient donc d an s la co m m u n au té des professionnels d ’un s ta tu t to u t à fait exceptionnel et, à sa m anière, parad o x al. D ’une p a rt ce sont des lecteurs aux com pétences in com parab lem ent plus grandes que les autres, ayant une expérience d ’ap pro che du fait littéraire plus riche au p o in t de vue non seulem ent q u a n tita tif m ais égalem ent qualitatif, la littératu re étan t p o u r eux l’objet d ’opératio n s qui n ’interviennent pas dans les autres com m unautés. D ’a u tre p art cependant, la place que tient la littératu re dans leur activité individuelle et dans leur vie collective, de m êm e que l’obligation de s’en occuper, excluent d ’avance une lecture selon la m anière et le sens qui correspo nd ent à la d estinatio n des textes littéraires et à leurs fonctions vis-à-vis du com m un des lecteurs.

En dépit des apparences, la mise en relief de la p articularité du cas des professionnels n ’est pas in o p p o rtu n e. En effet, to u t ce qui s'écrit au sujet de la littératu re, s'écrit précisém ent par nous, professionnels, à p a rtir de n o tre expérience de lecture, de nos

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connaissances et de nos théories. Et il n ’est pas difficile d ’observer que le public agrée com m e évidentes et naturelles l’expérience et les habitudes des professionnels, cette acceptation étan t le plus souvent im plicite et inconsciente. D an s les réponses aux enquêtes, les attitu d es envers la lecture, les m anières de lire, les buts et

les effets de la lecture sont décrits plus ou m oins selon le m odèle

de lecture p ro p re aux professionnels, et les co m po rtem en ts étudiés des lecteurs d ans d ’autres collectivités — p.ex. chez les lecteurs de m asse — sont considérés p a r référence à ce m odèle. C ’est la raison p o u r laquelle l’apppréciation en est négative dans la m esure où l ’on y perçoit une p a rt de déficience et d ’im perfection — une lectu­ re n o n créative, stéréotypée, ahistorique, superficielle ou esentiellem ent axée sur le divertissem ent. Il est donc utile, à vouloir éviter de p ro jeter sa p rop re optiq ue sur l ’objet étudié, de p rend re conscience de ce q u ’elle co m p o rte de p articu larité et av a n t to u t de son influence discrète et cepend ant p ro n o n c ée3.

D éfinir le statu t de la lecture d an s la collectivité des professionnels perm et de préciser, p a r opposition, ce que signifie la lecture p ou r le sim ple lecteur. C ’est prem ièrem ent, une activité qui, d ans son fond intim e, reste indépendante des secteurs fond am en taux d ’activi­ té p ratiq u e et de la particip atio n à la vie collective, et, q u ’on le veuille ou non, une activité aux fonctions ludiques.

D euxièm em ent, s’occuper de littératu re revêt, p o u r le simple

lecteur, un caractère essentiellem ent réceptif. L a form e p rim ordiale sinon unique c ’est la lecture; dans certain es collectivités s’y ajo uten t aussi l’échange d ’opinions dans le cadre de la com m unicatio n privée et la réception de l’opinion officielle. D an s la cu ltu re co ntem p orain e, ni la création de textes littéraires ni la p artic ip a tio n à l’échange d ’opinions institutionnel n ’entren t en ligne de com pte.

' L ’étu de de la d im e n sio n c o lle c tiv e d e la lectu re révèle d a n s une certain e m esure les effets d es d iv erg en ces entre les p o in ts d e vu e sur la littératu re des « co n n a isseu rs» e t d es lecteu rs m o y en s — cf. A . K ł o s k o w s k a , « P o to c z n y o d b ió r literatury na p rzy k ła d zie u tw o ró w Ż e r o m s k ie g o » (R é c e p tio n co u r a n te de la littéra­ ture sur l ’ex em p le d es o e u v r e s de Ż e r o m sk i), P a m ię tn ik L ite r a c k i, 1976, c. 1; A. K ł o s k o w s k a , A . R o k u s z e w s k a - P a w e ł e k , « M ity literack ie w św ia d o m o śc i p o to c z n e j (przykład p o to c z n e g o o d b io ru W e sela )» (D e s m y th es littéraires d a n s la c o n sc ie n c e du grand p u b lic <sur l ’e x em p le d e la réce p tio n c o u ra n te de Noce>), K u ltu ra i S p o łe c ze ń stw o , 1977, v ol. I.

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C o n te x te so c ia l du fa it litté ra ir e 67

3. U n s ta tu t an o rm a l de la lecture se constate dan s les collecti­

vités qui ne p artic ip e n t que depuis peu à la cu lture de l’écrit et ne font que s ’initier à la littératu re écrite. T o u t en étan t transitoire, cette situation n ’en m érite pas m oins d ’être distinguée, dans la m esure où les collectivités de ce type constitu aien t une fraction im p o rtan te et stable du public de lecteurs dans la cu ltu re européenne à p a rtir du X V IIF siècle, com m e c ’était le cas du public bourgeois et, plus tard , ouv rier et paysan — et à l’heure présente elles con stitu ent la m ajeure p artie du public littéraire dans les pays du Tiers M onde.

En raison du caractère transitoire de cette situation et égalem ent de la diversité des contextes historiques dans lesquels elle s ’inscrit, il y a lieu de p arle r de différentes varientes et phases auxquelles elle correspon d. E scarp it et B aker décrivent des collectivités africaines et asiatiques au sein desquelles la lecture est une o ccupation d ’individus, — jeu n es p o u r la p lu p art — o ccupation inconnue, incom ­ préhensible sinon suspecte p o u r leur e n to u ra g e 4. Des situations analogues sont égalem ent connus de l ’époque où la lecture p ren ait racine en m ilieu ru ral en Europe. Stefan Żółkiew ski signale «la situ atio n d ’accession à la p ro m o tio n culturelle» en P ologne de l’entre-deux-guerres; ce qui était p ro p re à cette situ ation , caractérisée p ar une p ra tiq u e déjà plus large de la lecture, c ’était la pratiq u e de la lecture — quelquefois collective — p a r des groupes plus ou m oins stru ctu rés, représentatifs d ’une large p artie des collectivités ru ra le s5. Enfin, la bourgeoisie européenne du X IX e siècle offre l ’exem ple d ’une phase lim ite où la lecture littéraire em brasse progressi­ vem ent l ’ensem ble d ’une collectivité et devient une occup atio n à s ta tu t norm al, établi. D ans les différentes sociétés du X X e siècle, l ’on peu t observer diverses variantes de cette évolution, m odifiée p ar l ’intervention des grands m oyens d ’inform ation.

T ous ces cas o n t ceci de com m un que la lecture, en particulier la lecture littéraire, est, dans ces collectivités en ascension culturelle, une occupatio n s o rta n t de l’ord in aire et d é b o rd a n t leur cultu re de souche, p o u r deux raison s essentielles. Prem ièrem ent, c ’est une activi­ té culturellem ent étrangère, non seulem ent parce q u ’elle s’écarte

4 C f. R . E. B a k e r , R. E s c a r p i t , L a Faim de lire, P aris 1973, pp. 1 1 5 — 118. -s S. Ż ó ł k i e w s k i , K u ltu ra lite ra c k a ( 1 9 1 8 — 1 9 3 2 ) ( L a C u ltu re litté r a ir e ), W roc­ ław 1973, ch a p . V II, su r to u t les pp. 423 — 426.

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de la trad itio n établie, m ais p arce que, de plus, elle bouleverse les m écanism es de vie collective fondés su r des form es culturelles traditionnelles, principalem ent sur le p lan de la co m m un ication et, p ar conséquent aussi, sur plusieurs autres. C e qui plus est, c ’est une activité d ’«im portation », liée à la vie de g ro up es sociaux culturellem ent étrangers ou à celle de sociétés étrangères (ceci étan t vrai p o u r les lecteurs africains ou asiatiques). C ela signifie aussi lecture d ’une littératu re d ’im po rtatio n , créée sous un autre ciel cultu rel, quelquefois aussi différent que l’est la cu ltu re française de la cu lture vietnam ienne traditionnelle, et p ar con séqu ent, le fait de s’occuper de problèm es d ’un a u tre m o n de, articulés en des

term es plus ou m oins étrangers. D e ce fait, la lecture co n d u it

à un d édo ublem ent de la conscience culturelle, ce q ui équivaut d ’une p a rt à un certain détachem ent de l ’univers de la collectivité dans laquelle on vit, et d ’au tre p art, à l’accession, to u t au m oins intellectuelle, à un univers qui est celui n o n seulem ent d ’un au tre groupe ou d ’une au tre société, m ais en m êm e tem ps d ’une cu lture plus universelle de l’écrit.

O r, les simples lecteurs, mêm e lo rsq u ’ils o n t affaire à la «lecture

im posée» (comme l’écrit Escarpit), ce q ui est en règle le lo t du

public de masse, dem eurent en ta n t que lecteurs d an s l’enceinte de la cu lture dans laquelle ils vivent.

D ’au tre part, d an s les collectivités de ce type, la lecture est

une o ccup ation fonctionnellem ent isolée de tou s les types d ’activité en place, sans adhésion à aucune sphère d e vie collective. A insi la lecture en tan t que type d ’o ccu patio n et le plus souvent aussi com m e le fait de s ’occuper de problèm es étran g ers à l’univers de la collectivité, distrait-elle celui qui la p ra tiq u e de la p articip atio n à la vie collective. C ’est p o u rq u o i il s ’agit to u jo u rs d ’une l e c t u r e m o t i v é e — p o u r re p ren d re la form ule d ’E sc a rp it6, dans la m esure où une activité qui détache celui qui la p ratiq u e, de la collectivité dans laquelle il vit, ne saurait être a u tre que m otivée. La lecture est d o n c avant to u t, d an s ce cas précis, un m oyen d ’accession à une culture étrang ère et supérieure, un m oyen de fo rm atio n , d ’acquisition d ’instrum ents intellectuels et d ’un savoir, m oyen p ar co nséquent, de p ro m o tio n culturelle et de p artic ip a tio n à la culture. O r, la p ro m o tio n culturelle est, à son to u r, u n m oyen de p ro m o tio n

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C o n te x te so c ia l du f a i t litté ra ire 69

sociale, c ’est-à-dire d ’accession à une position élevée au sein du groupe ou de passage à un au tre gro up e social.

D ans la phase analysée p ar Ż ółkiew ski où la lecture devient affaire d ’un group e ou de groupes dans le cadre d ’une collectivité, l’accession à la p ro m o tio n culturelle se ra ttach e à une activité culturelle, économ ique ou politique p ratiquée en groupe aux fins de la p ro m o tio n sociale de l’ensem ble de la collectivité. C ela signifie q ue la lecture est th ém atiqu em ent m otivée, c ’est q u ’elle constitue un m oyen de s ’occuper des affaires qui font l ’objet de l’effort collectif tenté parallèlem ent sur d ’autres plans.

D ans une situatio n où to u te une collectivité accède à la p ro m o tio n sociale et devient en m êm e tem ps un public culturel régulier, encore q u ’aux com pétences incom plètes, com m e ce fut le cas de la bourgeoisie aux X V Iir et XIXe siècles, les fonctions de la lecture littéraire se m odifient: la littératu re cesse d ’être graduellem ent un moyen d ’accéder à l’in struction et en devient un autre, celui de prise de conscience p ar le lecteur de son identité individuelle et collective et de perception p ar réflexion de la réalité. Dès ce stade, la lecture acquiert un s ta tu t norm al.

P ar opposition à la situ ation so rta n t de l’ord in aire décrite plus hau t, où la lecture' littéraire est une o ccupatio n qui ne s’inscrit pas d ’une m anière com préhensible dans la vie sociale et bénéficie d ’un statu tu spécial engageant de ce fait l ’existence sociale du lecteur p o u r lequel elle n ’a de sens que dan s la m esure où elle lui offre un m oyen de pro m o tio n , l’on peut d ire que p o u r les sim ples lecteurs «norm aux», la lecture littéraire, fût-elle rare, est une activité ord in aire, d o n t la p ratiq u e n ’influe pas sur leur statu t social et se m o n tre p lu tô t indépendante des form es fondam entales de particip atio n à la vie p ratiq u e et collective.

4. U ne au tre situ atio n sociale so rta n t de l’ord in aire est offerte

p a r la lecture scolaire, à considérer les élèves com m e une collectivité à p art. Je n ’en soulignerai que quelques points, im p o rtan ts dan s l’optique de ces co nsid érations, en renv oyant à une description plus com plète des lectures scolaires, présentée il y a peu p a r W ładysław D y n a k 7.

7 « S ytu acja lektury w sz k o ln y m p ro cesie k o m u n ik a cji literack iej» (La S itu a tio n de la lecture d an s le p ro cessu s sc o la ir e d e c o m m u n ic a tio n littéraire), [dans:] P ro b le ­ m y od b io ru i o d b io rc y , W rocław 1977.

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La prem ière des particu larités de la lecture scolaire est lié au s ta tu t d ’élève. C ’est un statu t tem p o ra ire et, de plus, isolé d ’une certain e façon de la p articip atio n à la vie collective h o rs de l’école, ce qui le rend com m e un brin irréel. D ’où la lecture scolaire a, elle aussi, le caractère d ’une occu pation détachée de la vie et à m oitié fictive, d ’une occu p atio n q u ’on ne sau rait p ren d re to u t à fait au sérieux. E scarpit attire l ’atten tio n sur certaines conséquences d ’une telle situ ation. D ans les milieux où la lecture littéraire n ’est pas devenue une activité co u ran te, elle est, aux yeux de l’élève, liée uniqu em ent à son sta tu t d ’élève: elle est ce q u ’on p ra tiq u e en classe et q u ’on a b a n d o n n e dès que l’on q u itte l’école — aussi bien quotidienn em ent, après la fin des classes q ue p o u r de bon , après la fin des é tu d e s8. S’occuper de littératu re n ’est q u ’un devoir scolaire, et la littératu re n ’est q u ’une m atière d ’enseignem ent scolaire.

D ’autres particularités se ra tta c h e n t aux caractéristiqu es du rôle de lecteur-élève. L a lecture n ’est pas p o u r ce type de lecteur l’o ccup atio n ludique q u ’elle est p o u r le lecteur no rm al, m ais une oblig atio n institutionnelle, com m e p o u r un professionnel. D e plus, cette obligation concerne non seulem ent l’o ccup ation elle-m êm e m ais encore le choix des lectures, leur o rd re chron olo giqu e, la m anière de lire et l’in terp rétatio n . Enfin, le rôle d ’élève im plique, ou tre la lecture, égalem ent des form es program m ées d ’une m anière précise de co m m unication au sujet de la littératu re (com ptes rendus de lecture, débats, dissertations de co m m entaire, etc.). Ce caractère obligatoire et p rogram m é engendre, bien en tend u, les m êm es p a ra ­ doxes que d ans le cas des professionnels.

D ’autres paradoxes, p ar contre, pro p res au sta tu t d ’élève, tiennent au fait q u ’il associe la situation d ’un lecteur m al apprivoisé p o u r lequel la lecture d o it être une m anière de découvrir la littérature, à des form es quasi-professionnelles d ’app ro che des textes; le canon des lectures, les m anières de lire et d ’échanger les opinions, le ch am p et le contexte de l’in terp rétatio n , etc. sont en effet program m és confo rm ém ent au m odèle d ’approche professionnelle de la littéra­ ture. C ’est la raison p o u r laquelle, fait signalé p a r plus d ’un au teu r, il est fréquent que l ’élève d ém arque nettem ent ses lectures scolaires

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