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La théorie théâtrale de Witkacy

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Janusz Degler

La théorie théâtrale de Witkacy

Literary Studies in Poland 16, 45-67

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Janusz D egler

La T h éorie théâtrale de W itkacy

Je pense q u e q u a n d les gens a u ro n t c o m p ris que le th éâ tre est un lieu p o u r y vivre l'a r t e t no n p o u r rep résen ter la vie et ex poser les o p in io n s su r celle-ci. m a th éo rie cessera d ’ê tre considérée c o m m e un m e u rtre du th é â tre et en a id e ra la n aissance so us sa fo rm e essentielle.

S. I. W itk iew ic z 1

Sa théorie du th éâtre, Stanisław Ignacy W itkiewicz l ’a exposée dans deux tra ité s: « In tro d u c tio n à la théorie de la F orm e P ure au théâtre» et «Précisions sur la question de la F orm e P ure au théâtre», publiés en 1920 et 1921 d ans la revue Skam ander et dans les essais et les articles de polém ique recueillis dans le livre L e Théâtre (Cracovie 1923). Elle a suscité d ’emblée un débat agité d o n n an t lieu à d ’âpres polém iques de l’auteur avec les critiques et alim entant l’une des disputes les plus essentielles sur l’art m oderne en Pologne. De nos jo u rs, elle co n tin u e d ’être l’objet de l’intérêt des critiques, des chercheurs, des hom m es de théâtre, ce qui se rattach e bien entendu à la renaissance de l’oeuvre d ra m atiq u e de W itkacy dans les années soixante, à son ad o p tio n définitive p ar le théâtre et plus tard , au succès m ondial des Szew cy (Les Cordonniers).

La théorie de la F orm e P ure de W itkacy est indubitablem ent la plus originale qui ait été form ulée en Pologne. Ju s q u ’à l’entrée en scène de Jerzy G rotow ski, elle constitu ait la seule co n trib u tio n polonaise qui com p te à la théorie m ondiale du théâtre. Le tem ps 1 S. I. W i t k i e w i c z , « O d p o w ie d ź A n a to lo w i S tern ow i na zarzuty c o d o książk i p t. T eatr» (R é p o n se à A n a to l Stern et à ses ob je ctio n s relatives au livre Le T héâtre),

A lm an ach N o w e j S z tu k i, 1924, vol. Il, p. 54, [repr. d a n s:] C z y s ta F orm a m’ te a trze ,

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en a confirm é la valeur. Elle s ’est révélée être la seule à d urer et elle co ntinu e de nous surpren dre p ar sa hardiesse et le caractère n o vateur des solutions dram atu rg iq u es et pro p rem en t th éâtrales q u ’elle p ro p o se; elle fait enfin figure de précurseur p a r ra p p o rt aux ten­ dances qui président de nos jo u rs à l ’évolution du th éâtre et de la littératu re dram atique.

Les grandes options et caractéristiques de cette th éorie qui en font l’originalité et la spécificité p ar ra p p o rt à la pensée théâtrale européenne, se laissent résum er en quelques p o in ts:

1. L a théorie de la F orm e P ure est un élém ent du systèm e esthétique de W itkacy et se fonde sur ses conceptions philosophiques. Elle est donc plus q u ’une som m e d ’idées sur le th éâtre ou d ’indica­ tions et conseils sur ce q u ’il convient de faire p o u r l’am éliorer ou changer. Elle est essentiellem ent une conception d ’ensem ble de l’art, définissant aussi bien sa stru ctu ra tio n interne que son statu t o n to ­ logique et les règles de sa perception. C ’est p ar cela q u ’elle diffère des théories théâtrales d ’alors et c ’est ce qui fait sa p ro fon deu r. C ’est grâce à cela aussi que le tem ps ne lui a fait rien perdre de sa vertu inspiratrice q u ’illustre avec le plus d ’éclat l’activité théâtrale de T adeusz K a n to r qui a pris des textes de W itkacy p o u r canevas de ses spectacles au T héâtre C ricot 2 et qui s ’est réclam é à plus d ’une reprise de sa théorie.

Le p ro p o s de W itkiew icz était de créer un système p hiloso ph iqu e à la taille des grands systèmes d ’an tan , dans le cad re duquel p o u rraien t être posés et résolus les grands problèm es ontologiques et épistém iologiques et qui, p ar son am bition d ’expliquer la to talité de l’être devait tran ch er nettem ent sur la n atu re partielle des co u ran ts philosophiques de son tem ps. Le caractère m axim aliste de cet objectif supp osait toutefois la nécessité de concillier d ’inéluctables c o n tra d i­ ctions et antinom ies. W itkiewicz en était conscient m ais il affirm ait q u ’«il y a des thèses possibles à construire, capables de ram en er à l’unité les con trad ictio n s de pure ap p aren ce» 2 et il consid érait ces antinom ies com m e régularités internes de son systèm e, en y voyant

2 S. I. W i t k i e w i c z , «O p rzy szło ść teatru. W stęp o g ó ln y » (Pour l ’avenir du théâtre. In tro d u ctio n g én érale). P r ze g lą d W ie czo rn y , 1927, n o 110, [repr. dan s:]

B ez k o m p ro m isu . P ism a k r y ty c z n e i p u b lic y sty c zn e , éd. J. D eg ler, W arszaw a 1976,

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L a T héorie th éâ tra le de W itk a c y 47 le reflet des co n tra d ictio n s inhérentes à l’être. C ’est que la ca racté­ ristique fond am entale de l’existence est la dualité, perceptible et desçriptible uniquem en t au m oyen de concepts antinom iques, telles q u ’unité et m ultiplicité, contin u ité et discontinuité, stabilité et ch an ge­ ment. C ’est cette p ro p riété de l’existence que W itkacy appelle « L ’U nité dans la M ultiplicité».

L’U nité d ans la M ultiplicité est la catégorie fondam entale du système p hiloso phiqu e de W itkiewicz. P o u r l ’expliquer de la façon la plus sim ple l’on peut dire que l’univers en ta n t que to u t est une unité m ais com posée d ’u ne m ultiplicité d ’élém ents «que cette unité tend à in tég rer» 3. A ce sujet, W itkacy écrivait:

Etant d o n n é q u e tout ce qui ex iste, les o b jets, les grands en se m b les de p h é­ n om ènes n atu rels et n o u s-m ê m es, sur le plan p sy ch iq u e, a p ou r caractéristiq u e d e con stituer à un degré ou à un autre d e s to u ts et d es unités et de se c o m p o se r d e p arties ljées en une telle u n ité, c ’est-à -d ire c o n stitu e une u n ité d an s la m u ltip li­ c ité o j in v ersem en t, je c o n sid èr e ce tte lo i c o m m e la loi fo n d a m en ta le de l ’e x is te n c e 4.

Sur cette loi se fonde aussi la stru ctu re de l’existence personnelle. Ce que W itkacy appelle l’Existence P articulière est une unité co n sti­ tuée p ar la m ultiplicité des qualités qu i se m anifestent dans sa durée. Ces qualités (l’ensem ble des sensations variables et des ex­ périences psychiques de divers types n ’existent pas en soi, m ais un iq ue­ ment en liaison avec la conscience du sujet individuel. Deux ca rac té­ ristiques son t le p opre de ch aq u e Existence P articulière: étendue et durée, ce qui veut dire sim plem ent que «l’existence s ’exerce dans le temps et d an s l’espace». La catégorie de l’Espace signifie que l’individu précis est corporel, objectif, «constatable de l’extérieur»; le Temps, p a r contre, déterm irie son statu t subjectif, in térieu r5. En d’autres term es: la spécificité de l’être individuel est fonction

5 K . P o m i a n , « F ilo z o fia W itk a c eg o . W stęp n y p rzegląd p ro b lem a ty k i» (La P h ilo ­ so p h ie de W itk a c y . A p erçu de p rob lém a tiq u e), [dans:] C z ło w ie k p o ś r ó d r z e c z y . S z k ic e

h istoryc zn ofilozofic zn e, W arszaw a 1973.

4 S. I. W i t k i e w i c z , « D e la fo rm e pure», trad. par A . B au d in , C a h iers S . I.

W itk iew icz, [L au san n e] 1979, n o 2 : W itk ie w ic z e t la p ein tu re, p. 36.

5 S. I. W i t k i e w i c z , P o ję cia i tw ie rd ze n ia im p lik o w a n e p r z e z p o ję c ie Istn ien ia

1 9 1 7 —1932 (L e s C o n c e p ts e t les th èse s im pliqués p a r le co n c e p t de l ’E x isten ce, ¡ 9 1 7 —1932), W arszaw a 1935, pp. 29 — 32, [repr. d an s:] P ism a filo zo fic zn e i e s te ty c zn e ,

v ol. 3: O id e a lizm ie i re a lizm ie. P o ję c ia i tw ie rd ze n ia im plikow an e p r z e z p o ję c ie

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du principe de «la double F orm e de l’Existence» — l ’hom m e est une unité de faits psychiques variables et une «unicité» physique dans le sens q u ’un individu n ’a pas son double dans l’univers. «Ici se révèle — écrit Jan Leszczyński — le dédoublem ent profond de la n atu re de W itkiewicz oscillant entre les deux pôles opposés de perception d ’un m onde considéré com m e unité et en même tem ps com m e m ultiplicité, com m e un être stable et en m êm e tem ps variable, continu et discontinu, pro céd an t p ar bonds. Ce dédouble­ m ent de son moi et la dualité de son système, W itkiewicz y voit une qualité essentielle au plus h au t degré et non un vice»6. Le caractère antinom ique, ce trait im m anent de la vision du m onde p ro p re à W itkacy, perm et aussi de co m pren dre les contradictions que co m p orte son esthétique.

C on fo rm ém en t à la conviction que «la théorie de l'art doit se fonder sur le philosophie», c ’est à la ścienne p rop re que W itkiewicz ra p p o rta it toutes ses idées esthétiques. Ainsi, la notion de l’U nité dans la M ultiplicité a servi de base à la définition de l’oeuvre d ’art com m e «une unité dans la m ultiplicité soit une construction d ’élém ents simples quels q u ’ils soient (couleurs, sons) ou com plexes (paroles, actes)»7. C ’est cette prém isse m ajeure qui sert de fondem ent égalem ent à la théorie de la Form e P ure au théâtre. En effet, le théâtre est un art fait d ’une «m ultiplicité» d'élém ents: paroles, acteurs avec leurs faits et gestes (m ovem ent, geste, m im ique), espace scénique, m usique, mais, dans un spectacle, les qualités qui sont p ro pres à ces com posantes (qualités sonores et rythm iques, conceptuel­ les, visuelles) de m êm e que les faits et gestes des personnages, doivent s ’intégrer de façon à faire l’effet d ’«unité». «Cette unité au ton om e — écrit W itkacy — co nstruction p ar soi, je l’appelle le Beau Form el soit la F orm e P u re » 8 et il précise q u ’à la suite de la fusion

6 J. L e s z c z y ń s k i , « F ilo z o f m eta fizy czn eg o n iep o k o ju » (Le P h ilo so p h e d e l ’a n ­ g o isse m étap h y siq u e), [dans:] S ta n isła w Ign acy W itk iew ic z. C z ło w ie k i tw ó rca , ss la dir. de T. K otarb iń sk i et J E. P ło m ień sk i. W arszaw a 1957. p. 95.

7 S. I. W i t k i e w i c z , «O rz e c z o w o ść krytyki» (Pour le caractère concret de la critiq u e). P rze g lą d T ea tra ln y i M u z y c z n y , 1924, n o 2, [repr. dan s:] B e z k o m p ro m isu , p. 199.

8 S. I. W i t k i e w i c z , « Z p o w o d u krytyki P ra g m a ty s tó w w y sta w io n y ch w Elsy- n orze» (A ca u se d e la critiq u e d es P r a g m a tiste s m o n tés à E lseneur), [dans:] C z y s ta

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L a T héorie th éâ tra le de W itk a c y 49 de tous ces élém ents, prend form e une qualité nouvellle — la «qualité théâtrale». O r,

Lier ces c o m p o sa n te s h étéro g èn es en d es a m a lg a m es form an t l ’en se m b le de la co n str u c tio n , telle est la tâch e du dram atu rge, du m etteur en scèn e, des acteurs et d u d écorateu r fo r m iste s9.

U ne définition aussi générale serait restée un lieu com m un si l’au teu r n ’avait pas pris le soin de l’enrichir de sa m étaphysique. U ne fois de plus, il y a lieu de faire référence à la philosophie.

Les grandes thèses de son O ntologie G énérale, W itkiewicz les transpose dans une problém atiq u e scrictem ent anth ro po log iq ue. Elle est to u te dans les interrog ations sur l’essence et le sens de l'existence hum aine. Ce qui distingue l’hom m e des au tres Existence Particulières c ’est q u ’il est conscient de sa p ro p re existence, m ais l’essence même de celle-ci lui échappe, ap p a rte n a n t aux catégories du m ystère et du tragique. L ’univers, le fait d ’exister et la structu re de cet être q u ’est l’hom m e sont p o u r lui au ta n t d ’énigm es difficiles à élucider. Q u an t au tragique, il tient au «sentim ent de solitude, horrible dans son essence», à la prise de conscience de l’inanité, du caractère aléatoire et fini de la vie hum aine et de la natu re étrangère de l’univers qui nous entoure.

La n atu re étrange et m ystérieux de la réalité, le caractère ex trao rd i­ naire de l’existence de l’hom m e engendrent u ne angoisse qui co n train t à se po ser des questions m étaphysiques et existentielles:

P o u r q u o i su is-je cet être-ci et n on un autre? A cet en d ro it de l’espace infini et à ce m o m en t du tem p s infini?.^D ans ce grou p e d ’êtres, sur cette p lan ète p réci­ sé m en t? P o u r q u o i est-ce q u e j ’ex isjç? Je, p o u rra is fort bien ne p as exister du tout, p o u rq u o i y a-t-il q u elq u e c h o se - e i f gén éral? O n p ou rrait avoir le N éa n t A b so lu , in im a g in a b le m êm e so u s la form e de l ’esp a ce v id e, car l’espace n ’est que l’un des deux a sp ec ts de la form e d o u b le de l’E x iste n c e, et n on du N éa n t. C o m ­ m ent se fait-il q u e j ’aie pu ne pas exister du to u t avant m o n c o m m e n c e m e n t? 10.

A force de se poser de telles questions et de rechercher des réponses, l’hom m e peut ap procher le «M ystère de l’Existence».

D ans le systèm e de W itkiewicz, cette notion em brasse les pro p rié­

9 W i t k i e w i c z , « D e la form e pure», p. 35.

10 S. I. W i t k i e w i c z . L e s F orm es n ou velles en p e in tu re e t les m alentendus qui

en d éco u len t, trad. par A . B audin, L au san ne 1979, p. 15. A les pages su iv a n tes

F N .

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tés les plus essentielles de l’existence m êm e et les traits fondam entaux de la stru ctu re de l’existence individuelle:

Le M ystère de l ’E xistence est l ’u n ité d a n s la m u ltip licité et so n in fin itu de d an s l'infim e c o m m e d an s le grand, c o m p te tenu de la nature n écessa irem en t lim itée de to u te E xistence P a rticu lière (F N , p. 14).

Le co n tact avec le M ystère de l’Existence, son expérience directe, ne sont toutefois possibles q u ’à des m om ents exceptionnels où, sous l’effet de l ’angoisse suscitée p ar le sentim ent de solitude dans l’uni­ vers et d ’unicité parm i les autres Existences P articulières, à la suite aussi de la prise de conscience p ar l’hom m e du ca rac tè re fini de sa p ro p re existence et infini de l’Existence dans sa to talité, prend naissance en lui un singulier état d ’un ité psycho-physique appelé p ar W itkacy sentim ent m étaphysique. Ce sentim ent consiste en sen­ sation im m édiate de l’unité de notre p ro p re «moi» n , d irecte signifiant ici non conceptuelle et concrète, selon la m anière d o n t «nous sont données toutes les qualités: les sons, les odeurs, les sensations tactiles etc.» E prouver cette sensation de l’un ité de n otre p ro p re moi c ’est avoir surm o nté la dualité de son être, c ’est sentir son unité dans la m ultiplicité des états psychiques, c ’est aussi éprouver « l’existence de la personnalité com m e une qualité prem ière, prim itive et irréduc­ tib le » 12. C e n ’est q u ’alors q u ’il est possible de com p ren d re q u ’on est et q u ’on n ’est que soi-m êm e, c ’est-à-dire de p arv enir à ce q u ’il appelle l’Identité Particulière Effective.

La faculté d ’éprouver les sentim ents m étaphysiques rattachés au M ystère de l’Existence est l ’apanage exclusif de l’être hum ain, le discrim inant essentiel de son hum anité. V aleur suprêm e dans la vie, certes d ’un accès difficile, ces sentim ents confèrent le vrai sens à l’existence, et le besoin q u ’on en éprouve et leur intensité, for­ m ent d ’une m anière substantielle la p erso nn alité de ch aq ue individu. Telle est la clef de voûte du systèm e de W itkacy. Au problèm e des «sentim ents m étaphysiques» se ra tta c h e n t ses idées sur l’évolution

" s.

I. W i t k i e w i c z , «L es S en tim en ts m éta p h y siq u es» , C a h iers S . I. W itk ie w ic z, 1984, n o 5: W itk ie w ic z e t la p h ilo so p h ie, textes ra ssem b lés par B. M ich a lsk i, p. 57.

12 S. 1. W i t k i e w i c z , « N a u k i ścisłe a filo z o fia » (S cien ces ex a ctes et p h ilo so p h ie ),

D roga, 1934, n o 12, [repr. dan s:] P ism a filo z o fic zn e i e s te ty c zn e , p. 233. C t. aussi

J. B ł o ń s k i , « W itk iew ic z: p rzeży c ie T ajem n icy» (W itk iew icz: avoir vécu le M ystère),

O d ra , 1968, n o 1; A . M e n c w e l , « W itk a c e g o je d n o ś ć w w ielo ści» (D e W itkacy

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L a T h éo rie th éâ tra le de W itk a c y 51

sociale, ses considérations sur le passé et sur l’avenir de la civilisation, la conception de la créatio n et de la perception de l’oeuvre d ’art, la théorie de la F orm e P u re. Sur cette prém isse, se fonde aussi une constatation prim ordiale, à savoir q u e l’angoisse m étaphysique prit naissance et tro u v a son reflet d an s les trois sphères prim ordiales de l’activité de l ’ho m m e: la religion, la p hilosophie et l’a r t 13. P a r leur truchem ent, l ’hom m e rech erch ait des réponses aux énigm es de l’exi­ stence qui le h an taien t, en ch erch an t à « s’affranchir du supplice de l’existence en ta n t q ue telle». C e n ’étaient que

d es m odes d ’élab oration d ifféren ts de la m êm e in te rro g a tio n p rem ière co n cern a n t n otre propre existen ce d a n s c e m o n d e q ui est un m ystère; de so r te q u e notre p ropre existence d evien t aussi m ystère, à q u o i co n tr ib u e p rin cip a lem en t le p h é n o ­ m èn e de la m ort (F N , p. 148).

La religion offrait un systèm e d ’«idées adoucissantes» affaiblissant le sentim ent de solitude de l’hom m e d an s ce m onde et conférant un sens sublime, suprasensuel, aux m anifestations red ou tab les et inexplicables de l’existence. La philosophie atteignait le m êm e o bjectif p ar la spéculation intellectuelle en créan t des systèm es «d ém o n tran t rationnellem ent la nécessité de tel é tat de chose p o u r la T o talité de l’Etre» (F N , p. 20). La créatio n artistique, bien q u ’elle ne fût pas, à la différence de la religion et de la philosophie, une justification m ais une confirm ation de l’« h o rreu r m étaphysique de l’Existence» et de la solitude de l ’hom m e, co n stitu ait un m oyen d ’«autodéfense de l’individu» épro u v an t l’angoisse m étaphysique. C ’est que l’art — selon W itkacy — se crée com m e

D a n s l'article «O sto su n k u religii d o filozofii. U c z u c ia m etafizyczn e ja k o

p o d sta w a u czu ć religijnych i ro zw a ża ń filo z o ficzn y ch » (D e s rap p orts entre

la religion et la p h ilo so p h ie . Les se n tim e n ts m éta p h y siq u es c o m m e fo n d e m e n t du sen tim en t religieu x et de la réflexion p h ilo so p h iq u e , Z e t , 1932, n o 4, [repr. dan s:]

B e z k o m p ro m isu , p. 69), W itk iew ic z écriv a it: «C e q u e je tien s à p réciser c ’est

q u e j ’ai to u jo u rs affirmé, en dépit d es a ffirm ation s p .ex . de B ro n isła w M a lin o w sk i d a n s son o u v r a g e , le p rem ier en P o lo g n e , sur la n a issa n ce du se n tim en t religieux, q u ’à la base de tout ce qui s ’o p ère d a n s ce d o m a in e il d o it y avoir le fait p rem ier de l’o p p o sitio n d e l’individu au reste d e l ’E x isten ce, et q u e , d a n s le se n ti­ m en t d e cette o p p o sitio n , l’u n ité l’in d ivid u p o u r lu i-m êm e et l’ u n i t é d e la t o t a l i t é d u m o n d e h o r s d e l u i d ev a ien t s ’am plifier d e façon directe à ses yeux. C ’est là p récisém e n t la source de l ’a n g o isse m é ta p h y siq u e d o n t les avatars c o n sé c u tifs seron t les sy m b o le s d'u n c u lte précis, p erso n n el o u im p e rso n n el, sy m b o le s représentant des p u issa n c es» .

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e x p ressio n de l ’unité de l ’in d iv id u d o n n é , d e l ’u n ité qui règne d an s to u te l’E xisten ce, u n ité b ip olaire, tra n sfo rm ée en m u ltip licité par la p sy ch iq u e d e c et in d ivid u , et in d ivid u alisée de cette fa ço n d a n s so n ex p ressio n d irecte q u ’est la F o rm e P u r e 14. C ette thèse a une im portance fondam entale p o u r l’esth étiqu e de W itkiew icz; elle la distingue des autres et en déterm ine l ’originalité.

Selon W itkacy, le sentim ent m étaphysique éprouvé p a r l’artiste est la co ndition nécessaire de la créatio n ; il traverse, telle une vague, tou tes les sphères d e sa psychique devenant im pulsion à l’acte créatif, et finit p a r trouver son expression dans la stru ctu re de l’oeuvre d ’art. Il y a donc lieu de recon naître que to u t com m e d an s l’Existence, «au coeur m êm e de la création artistiq u e réside une co ntradiction » (F N , p. 43). En effet, c ’est grâce au sentim ent m étaphysique que l’artiste p rend conscience du principe de l’U nité dans la M ultiplicité de son être et, «sous l ’effet du sentim ent condensé de l’unité de son individualité», il cherche à exprim er cette u n ité et à la consigner dans l ’oeuvre d ’a rt:

A u trem en t d it, les se n tim en ts m é ta p h y siq u es p rim ord iau x d e l ’artiste, c ette in tégration de la p lu ra lité d a n s l ’u nité, s ’in d iv id u a lise n t à travers so n être p sy ch iq u e tou t en tier, pour créer u n e F o r m e P ure, a b straite, o b je ctiv ée qui ex p rim e l ’in d iv id u a lité propre de l'artiste, in d iv id u a lité san s la q u elle il ne peut y a v o ir d ’o e u v r e d ’a r t 15.

P o u r le dire plus sim plem ent: à l’unité du «m oi» de l ’artiste, corresp ond l’unité de la stru ctu re de l’oeuvre, c ’est-à-dire la F orm e Pure.

En elle se résum e l’essence de l’oeuvre d ’a rt car en d éterm in an t les ra p p o rts internes en tre ses différents élém ents sim ples (par exem ple couleurs ou sons) ou com plexes (par exem ple les paroles), la F o rm e P ure sym bolise en m êm e tem ps le M ystère de l’Existence vécu p ar le créateu r com m e unité d an s la m ultiplicité de ses états psychiques.

N o u s c o n sta to n s ici — c o n c lu t W itkacy — q u e la fo rm e d e l ’o eu v re d ’art est son seul co n te n u esse n tie l, q u ’il n ’y a pas de form e et d e c o n ten u d istin cts, q u ’ils co n stitu e n t une u n ité a b so lu e (F N , p. 21).

M ais la vertu de l’art ne se lim ite pas au seul fait q u ’il extériorise les sentim ents m étaphysiques éprouvés par l’au teu r. Il

14 S. I. W i t k i e w i c z , S z k ic e e s te ty c z n e (E ssa is d ’esth é tiq u e), K ra k ó w 1922, [repr. dan s:] N o w e f o r m y »»• m a la rs tw ie i inne p is m a e s te ty c z n e . W arszaw a 1959, p. 1%.

15 S. I. W i t k i e w i c z , « In tr o d u c tio n à la th é o rie de la F o rm e Pure au théâtre», trad. par K . C h a n sk a et. J. Lacarrière, C a h iers de la C o m p a g n ie M a d e le in e R e­

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L a T héorie th éâ tra le de W itk a c y 53 doit aussi en susciter de sem blables chez le lecteur ou le spectateur. Or, ce qui rend possible un tel acte de perception c ’est précisém ent la Form e P ure, expression directe des sentim ents m étaphysiques. Le processus d e perception com m e celui de création a donc un caractère com plexe et rem plit la m êm e fo nction: en p erm ettan t de com m u n iq u er avec le M ystère de l’Existence, il apaise l ’angoisse m étaphysique. Le lecteur ou le spectateur doit faire fondre en un to u t les différents élém ents de l’oeuvre après quoi cette unité p a r­ faite de structure, «sym bole indirect» de la structu re de l’existence même, d oit susciter en lui des sentim ents p ro p res à la lui faire vivre et éprouv er selon u ne dim ension nouvelle, à lui faire vivre l’expérience du «M ystère M étaphysique de l’Existence», à lui per­ m ettre enfin d ’arriver à l'u n ité de sa personnalité, en conséquence de quoi «il finit par se percevoir, de m êm e que le m onde, d ’une m anière n o u v elle» 16. D ’où il devient évident que «l’intégration même d ’une m ultiplicité en une unité constitue le m om ent essentiel de la satisfaction esthétique p ro fo n d e; c ’est de là que procède la com ­ préhension d ’une oeuvre d ’A rt» (FN , p. 33). C ’est dire que, chez W itka- cy, «le Beau en tan t que valeur est d ’une p a rt une catégorie qualitative de l’oeuvre, et d ’au tre p art une catégorie „m étaphysique” en ce q u ’il se ra tta ch e de façon directe à Inexpérience m étaphysique vécue” d o n t il est à la fois et la cause et l’effet» 17.

D an s l ’adoption d ’une telle conception de l’oeuvre d ’art se révèle le plus m anifestem ent le dessein de W itkacy de co nstru ire une esthétique sur les fondem ents de sa philosophie. Il n ’y a donc pas lieu de s’éto n n er que to u t com m e sa philosophie, cette esthétique devait être une tentative de concilier des antinom ies. C ’est en term es de m étaphysique que W itkacy concevait la genèse et la finalité de l’art, en y voyant l’expression de l’individualité de l’artiste et en m e tta n t en relief ses fonctions expressives; m ais p o u r ce qui est de la stru ctu re même de l’oeuvre, il la définissait d ’une façon form aliste à l’extrêm e, com m e systèm e logique « d ’élém ents simples

lh S. I. W i t k i e w i c z . « W stęp d o ro zw a ż a ń n ad „ n iezro zu m ia lstw em ”» (In tro­ d u c tio n à la réflexion sur l’« in co m p réh en sib iIité» ), P r z e g lą d W ie czo rn y , 1927, n o 137, [repr. d a n s:] B e z k o m p ro m isu , p. 227.

17 E. W o l i c k a , « S y m b o lizm C zystej F o rm y w p ism a ch estety czn y ch S. I. W it­ k iew icza . P rób a an alizy» (Le S y m b o lism e de la F orm e Pure d a n s les écrits d 'esth é­

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54 J a n u sz D eg ler

et com plexes de to u te n atu re possible» sciem m ent choisis en vue d ’une fin précise. C ette d ualité de la n atu re de l’art était p o u r lui un reflet de celle de to u te l’Existence, et la Form e Pure devait co n stitu er d ans l’oeuvre d ’a rt ce «quelque chose» qui «supprim e

m om en taném ent cette c o n tra d ic tio n » 18.

A cette conception se ra tta ch e une règle des plus essentielles (déduite sans d o u te de la phénom énologie), celle de la « natu re directe de l’effet a rtis tiq u e » 19. Elle proclam e que l’oeuvre d ’art d oit agir d i r e c t e m e n t , p ar sa stru ctu re form elle (et non p a r connaissance intelectuelle). C e caractère direct et n o n conceptuel de l’acte de création et de l ’acte de perception, jo u e chez W itkacy un rôle décisif et

l'in tellect p eu t, aussi bien d a n s le p ro cessu s c r é a tif q u e d a n s la p ercep tion de l’o eu vre créée, ne jo u e r q u ’un rôle au xiliaire; il peut c o n trô ler l’exécu tion d ’une c o n c e p tio n ap p aru e sp o n ta n é m e n t o u aider à la co m p réh en sio n d e l’essen ce des c h o se s, ou e n c o r e , d a n s tel c a s p a rticu lier, il ne p eu t q u asim en t rien (F N , p. 4 4 ) 20.

Le concept de F orm e P ure ne se ra p p o rte donc q u ’à des structures d ’im pact direct, à l’exclusion de celles qui doivent être appréhendées p ar la raison et dans un laps de tem ps d ’une certaine durée. C ’est la raison p o u r laquelle il excluait le rom an du dom aine de l’A rt P u r et plaçait au som m et de l’échelle des arts la m usique et la

18 K . P u z y n a . «P o jęcie C zystej F orm y» (C o n cep t de F orm e Pure) — cf. cet v olu m e, p. 101. C f. a u ssi: J. K ł o s s o w i c z , « S a m o tn o ść i uniw ersalizm W itk a ­ c e g o » (La S o litu d e et l ’u n iv ersa lism e de W itk acy), [dans:] Z p ro b le m ó w lite ra tu ry

p o ls k ie j X X w ieku, v ol. 2: L ite r a tu ra m ięd zy w o jen n a . W arszaw a 1965, pp. 19 5 — 196;

B. W o j n o w s k a , « M ię d z y m o d e rn izm em a a w an gard ą. S ztu k a i o so b o w o ś ć w N o w y c h

fo rm a c h w m a la rstw ie S ta n isła w a Ig n a ce g o W itk iew ic za » (Entre le m o d ern ism e et

l’a van t-gard e. A rt et p er so n n a lité d a n s L e s F orm es n ou velles en p e in tu re de S. I. W .),

Ruch L ite r a c k i, 1971, n o 4 ; R . L i n k o w s k i , „ M eta fiz y czn y naturalizm estety k i

C zystej F orm y» (Le N a tu r a lism e m éta p h y siq u e de l ’e sth é tiq u e d e la Form e P ure),

S tu d ia E s te ty c z n e , 1975, v o l. X I I; W . B o l e c k i , « W itk a c y : fatalne term iny. U w a g i

w stęp n e» (W itk a cy : de m a u v a ises p asses. R em a rq u es p rélim in aires), T ek sty, 1976, n o 6.

19 B. P. M a g u i r e , « P r ó b a n o w e g o o św ie tle n ia tw ó r c z o śc i S tan isław a Ig n a ce g o W itk iew icza » (E ssai d ’une m ise en lum ière n o u v e lle de l ’o eu v re d e S. I. W .), Ł ó d z k ie

T o w a rzy stw o N au kow e. S p ra w o zd a n ia z C z y n n o ś c i i P o sie d z e ń , 1964, no 6.

20 C f. a u ssi: S. I. W i t k i e w i c z , « D u théâtre a rtistiq u e » , trad. par E. V ea u x ,

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La T héorie th éâ tra le de W itk a c y 55

peinture en les ap pelan t les « arts sim ples», puis la poésie et le théâtre, com m e « arts com plexes»21.

2. C om m e tous les pro gram m es et m anifestes th éâtrau x du X X e siè­ cle, la théorie w itkacienne du th éâtre procède de la con testation du th éâtre du siècle dernier. A n tin atu raliste, antipsychologique et antisym boliste à l’extrêm e, elle se réclam e de l’expérience de la peinture m o d ern e (ce qui est son tra it d istin ctif de plus), et s’appuie sur la thèse q u ’à la d éform atio n de l’objet dans l’image qui s’opère en p einture depuis l ’im pressionnism e, p eut corresp o n d re au th éâtre une d éfo rm atio n ô ta n t aux p rop os, aux m otifs, aux actes et à la conduite des personnages, le sens habituel q u ’ils o n t d an s la vie réelle.

II faut p o u v o ir librem ent et to ta le m e n t d éfo rm e r la vie et le m o n d e fantastiq u e pour créer u n e u n ité d o n t le se n s serait fourni par so n arch itecture interne et sc én iq u e et n on par les exig en ces d e la p sy c h o lo g ie ou d e l ’a ctio n en fo n c tio n de la v ie 22.

Ceci offre la chance d ’une form ule de théâtre créatrice d ’un univers auto n o m e, échap pant à la rigueur du m im étism e p ar ra p p o rt à la vie réelle. C ’est ce que favorise précisém ent la règle du caractère direct de l’effet artistique. D ans le spectacle théâtral, cette règle se m atérialise d ans le fait q u ’à chacun de ses m om ents, tous les élém ents doiv ent s’intégrer «en un to u t indissociable, sans tenir com pte de ce qui vient de se passer et qui va se p roduire à l’in stan t» 23. Le sujet d e l’oeuvre n ’en im porte que peu et cesse d ’être de rigueur des principes tels que la succession chro no log iqu e des faits, la logique de l ’intrigue, la contin u ité du tem ps, les lois de l’évolution des caractères, l’unité psychique des personnages, l’esprit de suite dans leur co n d u ite et dans leurs réactions.

En so r ta n t du théâtre, le sp ectateu r d evrait avoir l ’im pression d ’ém erger d'un rêve étra n g e d a n s leq u el les c h o se s les p lu s b a n a les o n t un ch arm e in exp licab le, ce ch a rm e in c o m p a r a b le que seuls p o ssèd en t les r ê v e s24.

21 C f. S. I. W i t k i e w i c z , « D la c z e g o p o w ie ść nie je st d ziełem Sztuki C zystej» (P o u rq u o i le ro m a n n ’est pas une o eu v re d ’A rt Pur), Z e t, 1932, n o 15— 18, [repr. dan s:] B e z k o m p ro m is u , pp. 1 6 0 — 179.

22 W i t k i e w i c z , « In tro d u ctio n à la th é o rie de la F o rm e P ure au théâtre», p. 24. 23 M a g u i r e , op. cit.

24 W i t k i e w i c z , « In tro d u ctio n à la th é o rie d e la F orm e Pure au théâtre», p. 28.

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56 Jan u sz D eg ler

P o u r créer un tel théâtre; il est bien entendu indispensable de faire table rase de to u te convention naturaliste, directive m ajeure du pro g ram m e witkacien de renouveau du théâtre, définissant aussi bien la n atu re que le ch am p des changem ents proposés. M ais, chose significative, W itkacy ne préconise pas de solutions nouvelles de mise en scène et de scénographie; il ne dit pas non plus q u ’il est nécessaire de rem anier l ’architecture de la scène elle-m êm e. Il se concentre p rincipalem ent sur l ’oeuvre d ra m a tiq u e estim an t que c ’est p ar son rem aniem ent q ue d o it com m encer une réform e substantielle du th éâtre. La pensée de W itkacy chem ine une fois de plus au trem en t que celle des théoriciens et des artisans de la G ra n d e R éform e, p o u r lesquels le texte d ram atiq u e, en ta n t q u ’élém ent étran ger, parce que littéraire, au théâtre, était souvent une entrave sinon u n élé­ m ent superflu. P ar contre, la théorie de la F orm e P ure au th éâtre est, dans ses grandes lignes, une théorie de l’oeuvre dram atiq u e. C ’est à la n ouveauté de la form e d ra m a tiq u e que d evaient faire p en d an t des innovations p ro p rem en t théâtrales.

La mise en oeuvre de la F orm e P ure au th éâtre d o it avoir p o u r condition prem ière l’aifranchissem ent de la d ram atu rg ie des règles de la poétique réaliste. Il fau t d ’ab o rd supp rim er l’intrigue et une action de cause à effet; les rem placer p ar une suite libre de faits qui ne se régissent que p ar leur «logique form elle interne» et qui font l’effet d 'u n «devenir dan s le tem ps». L ’anéantissem ent de l’intrigue doit cond uire à celui des significations et des problèm es qui se greffent sur les faits — et ceci libérera le th éâtre de ses fonctions sociales, didactiques, p olitiques etc., le délivrant p ar la m êm e occasion du péché du m ensonge. C ’est que dans un th éâtre «conçu com m e représentation de la vie, com m e m oyen de susciter un certain clim at sentim ental ou de résoudre certains problèm es vitaux, sociaux, n a tio ­ naux, réside to u jo u rs im plicitem ent un facteur d 'e rre u r et de m en­ songe»25. C e m ensonge est p ar co ntre absent au théâtre de la F o rm e Pure qui, sans im iter ou feindre quoi que ce soit, n ’exprim e que la «vérité artistique».

Il s'agit d e faire en so r te — écrit W itkacy — que la p ièce en sc èn e ne s o it pas le reflet de « fo y ers p a isib les» o u de m a iso n s de p asse d é m o n ia q u e s; q u ’en regard an t

25 S. I. W i t k i e w i c z , « P r é c isio n s sur la q u e stio n d e la F orm e Pure au th é â tre » , trad. par K. C h a n sk a et J: L acarrière, C a h iers de la C o m p a g n ie M a d e lein e R e ­

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L a T héorie th éâ tra le de W itk a c y 57 la scèn e et en é c o u ta n t les d ia lo q u e s, n o u s ne so y o n s p as co n tra in ts à n ou s sou cier de se n tim en ts q u e la vie n o u s offre en su ra b o n d a n ce, à ap p ren d re q u oi que ce so it et à résou d re les p ro b lèm es avec l’auteur; m ais q u ’en su iv a n t le c o u ra n t c o n str u c tif et em b ro u illé du deven ir, fait d ’a ctio n s, d e p r o p o s, d ’im ages et de se n sa tio n s m u sica les, n o u s n o u s tr o u v io n s d a n s l ’u n ivers du Beau F orm el, ayan t son sen s, sa lo g iq u e prop re et sa V E R IT E . U n e vérité qui n ’est p as celle d ’u n e p etite im age réa liste o u d ’un « fo y er p a isib le» rap p ortée à un p a y sa g e ou à un foyer réels, m a is qui e st une V érité A b s o lu e 26.

A une action affranchie des rigueurs d ’une logique qui est p ro p re à la vie réelle, corresp o n d une psychologie «fantaisiste» des perso n ­ nages. Cela signifie non seulem ent q u ’il faut renoncer aux m oyens traditionnels de caractériser les personnages, com m e l’individualisation de l’aspect, du psychism e et de la langue, m ais su rto u t les arrach er à l ’action des lois de la psychologie, de l ’éthique et m êm e de la physique et de la biologie. A insi la m o rt, com m e le tem ps et l’espace, devient-elle une notion relative: les assassinés peuvent ressusci­ ter dans la scène suivante. C ela signifie aussi l’ab an d o n de la vraisam - blance psychologique des m otifs qui anim ent les personnages, et de la règle selon laquelle to u t écart à ce q u ’on a l’h ab itu de de consi­ dérer com m e n orm al dans leurs actes, d o it s’expliquer et se justifier p ar des facteurs spéciaux (m aladie psychique p ar exem ple ou inter­ vention des forces surnaturelles).

C e à q u oi je vise — ex p liq u e W itkiew icz — c ’est à faire ad m ettre q u e l ’h om m e ou une autre créature en scèn e p u isse se suicider à la vu e d ’un verre d ’eau renversé, m êm e si d an s la scène de cin q m in u tes an térieu re, il (elle) d an sait de jo ie en vo y a n t m ourir sa m am an ch érie; q u ’u n e p etite fille de cin q an s p u isse faire un e x p o sé sur les c o o r d o n n é e s de G a u ss à d es m o n stres sim iesq u es faisant son n er d es g o n g s et répétant à to u t b o u t d e ch a m p le m ot « K a lafar».

En m êm e tem ps il soulignait q ue cette psychologie fantaisiste et, en conséquence, un co m p o rtem en t des personnages co ntraire aux règles adm ises de conduite, en tra în en t un «désordre selon le sens donné à ce m ot dans la vie», sans nullem ent exclure «l’o rd re form el qui est essentiel p o u r les oeuvres d ’art». Il y a donc lieu de distinguer «non-sens vital» et «sens form el», c ’est que «accum uler des non-sens c ’est une chose et créer des structures form elles et non en inventer tête froide — c ’en est une a u tre » 27. C ’est le non-sens formel qui m érite la condam n atio n la plus sévère.

26 S. I. W i t k i e w i c z , «O d czyt o C zystej F orm ie w teatrze» (C on féren ce sur la F o rm e P ure au théâtre), [dans:] C z y s ta F orm a ir te a trz e , p p . 237 — 238.

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58 Jan u sz D eg ler

3. Sa conception du théâtre, W itkacy la form ule en op po sitio n m anifeste aux théories théâtrales de son époque, p ro céd an t de la G ran d e R éform e et des program m es d ’av a n t-g ard e28. Il s ’o p p o sait su rto u t aux tendances qui ram enaient la réform e du th éâtre à la seule réform e de mise en scène, au renouvellem ent des procédés et artifices théâtraux, aux expériences de scénographie. Il s ’insurgeait c o n tre les tendances qui conduisaient à une « th éâtralisatio n du théâtre», conçue com m e d ég radation du rôle du texte d ra m a tiq u e et com pensée par l’octroi aux élém ents plastiques ou m usicaux d ’une suprém atie dans le spectacle.

D ’un c ô té , n o u s a v o n s d es m etteurs en scèn e d o n t le seul but est d e créer d es im p ressio n s so n o r e s, v isu elles ou cin étiq u es. D ’autres veu len t op érer une sy n th èse d e c e s élém en ts en les am plifian t au m axim u m et ab ru tissen t ainsi to ta le m e n t le sp ectateu r: sub ju gu é par d es so n s in fern aux, la variété d ia b o liq u e d es ta b lea u x , il ne sait p lu s ce qui se p a sse en lui. Il p erçoit de tem p s à autre u n e phrase d o n t le sens se perd d an s le bric-à-brac général, d a n s un c h a o s d 'é lé m e n ts c o n ­ trad ictoires faute d 'a v o ir été liés par une idée s u i g en eris de la fo rm e car, pour d evenir a ccessib le au sp ectateu r, la p ièce n ’a b eso in q u e d 'u n e certain e a m p lifica tio n d e ses c o m p o sa n te s prem ières. O n aura beau styliser ou «travailler» u n e o eu vre réaliste, on ne p ou rra ja m a is lui d o m m er une au tre d im e n sio n .

Il considérait com m e entièrem ent stériles des idées de mise en scène telles que la transposition de pièces dans le style d ’une autre

II écrivait par e x e m p le : « L a lu tte de l ’h o m m e avec lu i-m êm e ou avec le d estin , les c o n flits d e tel ou tel caractère aux prises avec d es situ a tio n s extérieu res, v o ilà les ingrédients c o m p o sa n t le m enu du théâtre m od e rn e, m en u qui d o n n e la n a u sée m êm e à ce q u ’il est c o n v e n u d ’appeler le grand p u b lic. U n e autre façon de p rocéd er c o n siste à m ettre en branle les p eurs de to u te sorte q u ’o n ép ro u v e d ev a n t l’in co n n u , en c o m m e n ç a n t par la peur du n oir et en finissant par celle d e la m ort, ravalées au rang d ’effets sc én iq u es d estin és à p ro v o q u er la ch air de p o u le. U n e tro isièm e fa ço n d e p rocéd er est c elle du théâtre sy m b o liq u e . E xem p le: un o iseau bleu p arcou rt la scèn e m ais le sp ectateu r d o it av o ir sans c e sse à l ’esprit q u e

cet oiseau n ’en est pas un. Il est, d iso n s, l ’A m o u r avec un grand A . L 'o isea u

crève sur sc èn e: c e la sign ifie q u e l’A m o u r vient de crever, lui au ssi, au co eu r d e q u elq u e co eu r. A part cela, n o u s a v o n s aussi to u s les m aîtres d e la scèn e q u ’o n s ’évertu e à représenter d a n s d es sty lisa tio n s d iverses, à la m o d e d ’au tr efo is o u à c e lle d ’a u jo u r d ’hui, les d ram es c o n stitu é s de ta b lea u x v iv a n ts, rem plis d 'h isto r io - so p h ie plus ou m o in s p ieu se, les dram es lyriq u es m u sico -h u rla n ts, h u rlo -b eu g la n ts, b eu g la n ts, b eu g lo -str id e n ts, et tou t p o u r rien. D a n s le théâtre, l’en n u i règne

san s trêve. C ar à v o u lo ir faire une tragédie g recq u e à la grecque, une p ièce d e

S h a k esp ea re à la sh a k esp ea rien n e, un Ibsen à l ’E sch y le m o d e r n isé , l'effet p rod u it est tou jou rs le m êm e» (« In tro d u c tio n à la théorie de la F o rm e Pure au théâtre», pp. 7 - 8 ) .

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L a Théorie th éâ tra le d e W itk a c y 59 époque («H am let ou le C id présentés avec le réalism e de Stanislavski seraient des m onstres pires encore q u ’un veau à deux ou trois têtes qui ne sauraient être viables et d o n t d ’ailleurs on ne su p p o rterait guère la vue») et se gaussait des expériences co n sistan t «à vouloir to u t simplifier à o u tran c e: une planche, un drap, à to u t p ro n o n c er sur le m êm e to n » 29. T o u t en se d éc la ran t p artisan de la théorie sur le caractère au to n o m e de l ’art du théâtre et to u t en so ulign ant que «le talen t scénique est un talen t spécifique, com m e l’est le talent m usical ou pictural, et il a peu de com m u n avec la littérature», que le m etteur en scène et les acteurs «sont des créateu rs essentiels de l ’oeuvre en scène»30 et l’au teu r ne fait que « do nn er u n livret, et la pièce ne se crée q u ’en scène», il ne d em an d ait pas p o u r a u ta n t une lim itation du rôle de l’oeuvre et disait q u ’«au théâtre, la p a ro ­ le est l’élém ent prim ordial auquel les au tre s doivent s’a d a p te r» 31. C ertes, il disait q u ’il y a lieu de distinguer «un th éâtre form iste, à prépon d éran ce de l’élém ent visuel ou sonore ou encore conceptuel ou d ’action» m ais en précisant que «là où au théâtre, la paro le se fait absente, c ’est un au tre art qui com m ence»32. Et d ans l ’article «Le T héâtre de l ’avenir» il soulignait avec instance:

L ’auteur n ’est pas e n c o r e superflu c o m m e d ’a u cu n s l ’affirm ent. Les acteu rs ne so n t pas e n c o r e ca p a b les d e créer à eux seu ls un théâtre im p ro v isé qui élim in era it to ta lem en t l'a u teu r33.

C et esprit de co n trad ictio n à l ’égard des tendances novatrices au théâtre de l ’époque, cet éloignem ent de la pensée th éoriq ue de la G ra n d e R éform e, ce «traditionalism e» spécifique révèlent le singulier dessein de W itkacy. Il in tro d u it sur la trad itio n n elle scène à l’italienne son «cheval de T roie»: le nouv eau dram e à psychologie fantaisiste d em an d a n t aux acteurs une nouvelle form ule de jeu d ra ­ m atique. Son p rop os est de faire exploser le th éâtre de l ’intérieur. C ’est p o u rq u o i son atten tio n se p o rte essentiellem ent vers deux

2’ Ib id e m , p. 10, 8.

30 « Z p o w o d u krytyki P r a g m a ty s tó w » ..., p. 248.

31 S. I. W i t k i e w i c z . « O artystycznej grze a k to r a » (D u jeu a rtistiq u e d e l ’acteur).

P r z e g lą d W ie c zo rn y , 1927, n o 127, [repr. d a n s:] C z y s ta F orm a w te a tr z e , p. 169.

32 S. I. W i t k i e w i c z , « O d p o w ied ź pan u N a łę c z o w i- L ipce» (En ré p o n se à M . N a łę c z -L ip k a ), Ż y c ie T eatru , 1925, n o 3 5 /3 7 , repr. ib id em , pp. 282 — 283.

33 S. I. W i t k i e w i c z , «T eatr p rzy szło ści» (Le T h éâ tre de l ’aven ir), W iek X X , 1928. n o 8, repr. ibidem , p . 175.

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60 J a n u sz D eg ler

élém ents: le texte d ra m a tiq u e et l ’interprétation, alors q u ’il laisse de côté la mise en scène et la scénographie.

A u m etteur en scène, il d em andait l’intelligence «du contenu p urem ent formel de l ’oeuvre», la création « d ’un to u t structurellem ent hom ogène» par, ce qui est essentiel, la su b o rd in atio n de tous les élém ents du spectacle à « l’idée form elle d ’ensem ble de la mise en scène» et à son «ton formel».

Le m etteur en scèn e d evrait, à m o n sens — écrivait-il — ou b lier c o m p lètem en t la vie et sa lo g iq u e, et n ’a v o ir à l ’esprit q u ’un e n se m b le d ’a ctio n s et de p r o p o s p ou r en faire, sur la base d e rares in d ica tio n s de l ’auteur, une co n stru ctio n selon son p ropre se n s du Beau F orm el d a n s le tem p s, en m ettan t à co n tr ib u tio n le p lu s grand n om b re p o ssib le d ’idées in d iv id u elles d es acteurs to u t aussi libérées que lui de la lo g iq u e qui est p rop re à la vie r é e lle 34.

Il précisait toutefois que ce «ton form el» du spectacle d o it être conform é à l’intention de l ’au teu r que le m etteur en scène se doit «de sentir ou de com prendre». A l’adresse des m etteurs en scène de ses prop res pièces, il form ulait des d esid erata plus concrets, leur d em an d an t de suivre aussi rigoureusem ent que possible ses «indications q u an t à la situation des personnages» et la description des décors, de ne pas chercher «à faire quelque chose de plus étrange que ce qui est m arqué dans le texte p ar des com binaisons de décor, d ’am biance et de grattouillage viscéral», et aussi de se restreindre au m axim um p o u r tailler dans le te x te 35.

A u théâtre de la F orm e Pure, l’acteur ne sau rait ni vivre son personnage ni s ’incarner en lui, sa finalité n ’étan t plus de «suggérer un sentim ent p récis»36, ce qui, bien entendu, exclut les m éthodes élaborées p ar Stanislaw ski (la seule de ses m éthodes que W itkacy considérait com m e ju ste est celle du jeu collectif: «A ucune „vedette” ne d oit s’y détacher, p ren d re la prem ière place et laisser aux autres com édiens le rôle de com p arses» 37). Le personnage d oit se créer

34 S. I. W i t k i e w i c z , « S zk ic d o system u p o ję ć d la krytyki form alnej w teatrze» (E b au ch e d ’un sy stèm e d e c o n c e p ts pour la critiq u e fo rm elle au théâtre), ib id em , p. 143.

35 S. 1. W i t k i e w i c z , « D r u g a o d p o w ie d ź rece n z en to m P ra g m a ty stô w » (D eu x ièm e r ép o n se aux critiq u es d es P ra g m a iiste s), ibidem , p. 269 (note).

36 W i t k i e w i c z , « O artystyczn ej grze a k to r a » , p. 170.

37 W i t k i e w i c z , « P récisio n s sur la q u estio n de la F orm e Pure au théâtre», p. 64.

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à p a rtir de la connaissance exacte de l’idée form elle de l’oeuvre, ce qui fera co m prend re au com édien q u ’avec ses faits et gestes et p ro p o s scéniques il n ’est q u ’un élém ent «de l’ensem ble de la co n stru ctio n en devenir», élém ent soum is à la vérité non pas de la vie m ais de la form e. M ais à la différence du thé­ âtre réaliste, cette règle ne lui im pose pas une seule convention du jeu. A u contraire, l’av antage du T héâtre de la Form e P ure tient précisém ent au fait q ue l’acteur s ’y voit offrir bien des m anières possibles de créer son personnage. C ette latitu de dem an d an t à l’acteur de l’esprit d ’invention, de l’im agination et des dons d ’im provisation est précisém ent, selon W itkacy, ce qui décide du caractère créatif de l’art de l’acteur. C ’est que l’acteur cesse d ’être rien q u ’un «sim ulateur-im itateur» d o n t le jeu est déterm iné p a r les situations d ram atiq u es calquées sur la vie réelle et p a r la vraisem blance des états et des expériences du héros, et devient un artiste à p art entière créan t son personnage «suivant sa p ro p re intuition créatrice».

La liberté de choix des m oyens d ’interprétatio n d ram atiq u e et de recherche d ’une m anière de jeu conform e à l’idée form elle du dram e a ce pendant ses lim ites et finit au m om ent de l’entrée en scène. C ’est q u ’en co urs de spectacle, l’acteur est tenu de chercher en to u t prem ier lieu à m ettre en oeuvre, avec une «exactitude m athém atique», la co nception de son personnage telle q u ’elle a été arrêtée et élaborée en co u rs de répétitions, et il n ’est plus question p o u r lui de s’en écarter d ’une m anière sensible ou de l’im proviser, dans la m esure où cela risquerait de se révéler incom patible avec l’idée form elle du spectacle et d ’en d étru ire l’u nité structurelle. Le théâtre de la Form e P u re n ’est pas la com édie italienne et «en e n tra n t sur la scène, le com édien d o it être com m e le peintre qui a si bien réfléchi à tous les détails de sa toile et possède une m ain si sûre que l’exécution d u tableau n ’est plus que „la mise en p â te ” d ’u n certain espace»38.

La m anière d ’in terp réter les personnages en scène qu'il propose, W itkiew icz l’appelle le «jeu signifiant» et en définit les grandes règles d an s l’article «D u jeu artistiq u e de l’acteur». Ces règles sont les suivantes: la façon de dire un texte ne sau rait être fonction d ’états d ’âm e — «pour ne p ra tiq u e r que le jeu signifiant, l’acteur doit

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oublier son corps», p a r con tre il doit «sentir q u ’il a une tête et, q u ’il est doté, au bénéfice de son idée artistique, d ’un seul organe vocal d o n t le ra p p o rt avec to u t l’aspect viscéral des sentim ents et avec son expression d o it être ro m p u » 39. Ainsi l’acteur p eu t dire les répliques avec une diction idéale et sans accents ém otifs aucuns, en m ettan t en relief „ta n tô t la valeur sonore, ta n tô t la valeur signifiante (au sens artistique) des m ots»; il p eu t aussi reco u rir à la dissonance — dire des choses gaies sur un to n lugubre et tragique, en ria n t40.

Le geste, la m im ique et les m ouvem ents ne doivent pas servir à l ’expression des sentim ents quelle q u ’elle so it: «tous les trém olos du coeur et du ventre, to u te sensiblerie et les spasm es du diap hrag m e et d ’au tre organes doivent être bannis». En m êm e tem ps, to u t au long du spectacle, l’acteur ne doit pas oublier que, telle «une tache de couleur dans la com position picturale», il con stitue un élém ent de la stru ctu re formelle à créer, aux exigences de laquelle il doit adap ter son m ouvem ent sur la scène41. C ’est la raison p o u r laquelle la disposition des acteurs dans l’espace scénique revêt une im portance extrêm e: «le regroupem ent des personnages ne sau rait être fo rtu it com m e il l’est dans la vie; il d o it être fonction du décor, de m anière à ce q ue l’ensem ble de l’im age présente, si possible à to ut m om ent du spectacle, une com position picturale», et l ’acteu r peut, après avoir récité sa réplique, se figer d an s l ’im m obilité, com m e cela se fait au théâtre jap o n ais, ou encore p ren dre et garder certaines attitudes, sans chercher à faire jo u e r constam m en t sa m im iqu e»42.

Ce m ode de jeu im pose des tâches nouvelles au scénographe. Il 39 W i t k i e w i c z , «O artystycznej grze a k to r a » , p. 170.

40 «Il faut signaler que la fa ço n de dire le texte ou d e le d écla m er d a n s une pareille p ièce n e saurait être h o m o g è n e du p o in t de vue é m o tio n n e l. L ’accen t pourrait se lo n les ca s n ’a v o ir q u ’un effet form el (par e x em p le, en d isa n t g a iem en t u n e c h o se sinistre ou le con traire, en d o n n a n t une grande im p ortan ce à une c h o se in sign ifian te o u en su b issan t d a n s la p lu s grande indifférence la pire d es m o n str u o sité s)» («P récision s sur la q u estio n de la F orm e Pure au théâtre», p. 66).

41 «L es c o m é d ie n s ne d evraien t pas exister en tant q u e tels m ais c o m m e é lém en ts d ’un en sem b le, au m êm e titre q u e telle ta ch e de c o u leu r rou ge en tel ta b lea u » (« In tro d u ctio n à la théorie d e la F o rm e Pure au théâtre», p. 24).

42 S.I. W i t k i e w i c z , « D o d a tk o w e w yjaśn ien ia w kw estii gry a k to r ó w w sz tu ce

w C zystej F orm ie» (P récision s c o m p lém en ta ires en m atière d e jeu d es acteu rs d a n s une p ièce de la F orm e P ure), [dans:] C z y s ta F orm a w te a trz e , p. 24.

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L a Théorie th éâ tra le de W itk a c y 63 ne peut en effet plus se co n ten te r de pro jeter « u ne petite boîte quelconque (comme il y en a ta n t dans la vie) dans laquelle doivent se dém ener des petits b onshom m es hum ains (trop hum ains!) q u ’on est allé chercher d ans la vie, avec to u t leur appareil de sentim ents destinés à arracher au spectateur des secousses viscérales, des larm es, des rires et autres frissons plus subtils» — m ais il doit créer sa conception plastique «dans un ra p p o rt to u t à fait fonctionnel avec le m etteur en scène et avec les inventions individuelles des acteurs», en se conform ant à «leurs exigences, c ’est-à-dire créer et com poser le décor dès les prem ières répétitions en scène»43. C ’est dire ce que doit être le point de d ép a rt du « d éco rateu r artistiqu e»: l’intelligence de l ’idée de mise en scène du spectacle et la connaissance du m ode de création des personnages p ar les acteurs. Il d o it suivre avec atten tio n leur m ouvem ent sur scène et l ’agencem ent des scènes collectives car «étant donné q u ’un certain regroupem ent des p erso n n a­ ges à gauche change entièrem ent l’im age de l’angle gauche de la scène, les deux phrases à p ro n o n c er à dro ite doivent trou ver un fond approprié». W itkacy m ettait cependant en garde, dans le contexte de ces principes, co n tre un excès d ’élém ents plastiques d ans le spectacle et con tre « l’anéantissem ent de l ’acteur et de la p arole p a r le décor». Et il précisait:

La p rép o n d éra n ce du d écor et du c o stu m e est n u isib le p o u r le théâtre, d ans la m esure où elle c o n d u it aux tableaux v iv a n ts et à la p a n to m im e . C eci est vrai a u ssi pour la su rcharge m usicale d es sp ec ta cles, d es m etteu rs en scèn e par trop ép ris de m usiq u e finissant par p asser à une fo rm e vagu e à mi ch em in entre le théâtre et le ballet. Le théâtre cesse d ’être th é â tr e 44.

C ette phrase s ’inscrit en faux co n tre l’opinion répan du e que la théorie de la Form e P ure com prise com m e tentative de recherche du «théâtral p u r» se ra p p ro ch e rait de la «panto m im e m oderne»; elle dém ent aussi les suggestions sur la ressem blance entre les co n ­ ceptions de W itkacy et de T aïro v ; en effet, p ar sa m anière de voir le rôle de la paro le dans le spectacle et les responsabilités de l’acteur, W itkacy diffère sensiblem ent du m etteur en scène ru sse45.

4Î W i t k i e w i c z , «T eatr p rzy szło ści» , pp. 1 7 7 — 178. 44 W i t k i e w i c z , «O artystycznej grze a k to r a » , p. 169.

45 A u tre q u estio n c ’est le fait que, p ou r com p ren d re plein em ent la théorie et la p ratiqu e dram atiq u e de W itkacy, il serait o p p o rtu n d ’an alyser ses exp érien ces

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64 J an u sz D eg ler

4. L ’éloignem ent de W itkacy p ar ra p p o rt aux p ratiq u es et aux c o u ran ts de la m ise en scène de son tem ps ten ait à sa conviction que, to u t en sap a n t le canon natu raliste, les changem ents intervenus dans la mise en scène depuis la G ra n d e R éform e n ’en étaien t pas m oins inaptes à restituer au théâtre sa fonction rituelle et sacrée qui le ren d ait autrefois capable de faire épro uv er aux spectateurs les sentim ents m étaphysiques. Ainsi, toute tentative valable de réform e, doit-elle p a rtir de la question suivante:

P eu t-il exister a u jo u r d ’hui une form e de théâtre su scep tib le de p orter l'h o m m e vers d es se n tim en ts m éta p h y siq u es aussi in tenses q u e ceu x d ’au tr efo is, b ien q u e les m y th es et cro y a n c e s qui les so u s-ten d a ien t so ie n t m orts p o u r n o u s ? 46

Dix ans après, A ntonin A rtau d cherchera une réponse à des que­ stions du m êm e ord re et arrivera à des conclusions étonnem m ent voisines de celles de W itk acy 47.

P o u r com prend re la raison et le sens de cette q uestio n, il faut préciser que c ’est dans l’art des siècles reculés que W itkacy recherchait

théâtrales de l ’ép o q u e de so n séjour en R u ssie. Il so u lig n a it to u jo u rs l ’origin alité foncière de sa c o n c e p tio n , et p récisait qu'en huit an s (1 9 1 0 — 1918), il est allé à peine d eu x fo is théâtre, m ais a ssu rém en t sa co n n a issa n c e du th éâ tre éta it p lu s riche. C f. L. S o k ó ł , « D r o g a W itk a c eg o d o teatru» (D e W itkacy le ch em in du théâtre), [dan s:] G ro te sk a »■ te a trz e S ta n isła w a Ignacego W itk ie w ic za , W ro cła w 1973. I. J a k i ­ m o w i c z traite de la p o rtée de la p ério d e russe p ou r la p ein tu re de W itkacy d an s « W itk a c y w R o sji» (W itk acy en R u ssie), R o c zn ik M u zeu m N a ro d o w e g o w W a rsza w ie, 1984, v o l. X X V II. C f. a u ssi: G . C o n i o , « W itk iew ic z et la R u ssie» , C ah iers

S. I. W itk ie w ic z, 1982, n o 4: A c te s du co llo q u e in tern a tio n a l « W itk ie w ic z» de

B ru xelles, N o vem b re ¡9X1, éd. A . van C rugten.

46 W i t k i e w i c z , « In tr o d u c tio n à la théorie de la F o rm e Pure au théâtre». p. 6.

47 Les deux ont recherché les p o in ts de jo n c tio n «en tre le sacré et l ’art», les deux étaien t c o n v a in c u s que le théâtre «naît so u s sa fo rm e la p lu s pure u n iqu em en t au p o in t où se fissure et s'effondre lin c u lte p récis» (W itk acy). C e qui était p ro b a b lem en t d é c isif p our leur a b o u tissem en t à une c o n c e p tio n de l'o eu v re théâtrale érigean t en valeur suprêm e l'u n io n m éta p h y siq u e de l'h o m m e avec la nature, c ’était la d éco u v erte d es cultures d e p e u p le s prim itifs et d es fo rm es d ’art rituel (pour W itkiew icz, c ’éta it à l’o c c a sio n d e so n v o y a g e en A u stra lie avec l ’e x p éd itio n de M a lin o w sk i, p ou r A rtaud c ’était à la suite de sa d éco u v erte du théâtre b alin ais et de so n v o y a g e au M exiq u e). C f. A . F a l k i e w i c z , « W itk a c y , A rtau d , aw angarda» (W itk acy, A rtau d , l’a v a n t-g a rd e). D ia lo g . 1960, n o 6; J. K o t t . « W itk iew ic z and A rta u d : W here the A n a lo g y E nds», trad. par J. C lark, T h ea tre Q u a rte rly , 1975, v ol. V , n o 18.

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la justification de ces co nception s esthétiques. D a n s ces siècles-là, l’angoisse m étaphysique était l’apan ag e de tous les hom m es et c ’est sans peine que l’art, p a rtie in tégrante et com plém ent du culte, pouvait accom plir sa v o catio n m ystique. R elevant de l’o rd re des valeurs suprêm es, l’art n ’était pas sujet à la distinction en tre con ten u et form e: «il n ’y avait alors aucune différence en tre la F orm e Pure et le contenu e x té rie u r...» (F N , p. 166). L ’«unité du sujet et de la form e» é ta it la caractéristiq ue fondam en tale de l’a rt ancien, le contenu n ’ayant été le plus souv ent m arq u é p a r un sym bole, alors que le sens prim o rd ial était d o n n é p a r l’o rd o n n an ce et les relations des élém ents form els d écou lant de la logique interne de l’oeuvre.

C h ez les G recs, le co n te n u que ch a c u n co n n a issa it de la m y th o lo g ie , im portait p eu ; le seul fait q u ’il se p a ssa it q u elq u e c h o se sur scèn e to u t c o m m e en m usiq u e, d o n n a it u n e n o u v e lle d im e n sio n à l’e x p érien ce du sp ectateu r, le tran sp ortait d an s un autre univers d ’é m o tio n s m é ta p h y siq u es, bien loin de to u te réalité (F N , p. 177).

Ce n ’était possible que grâce au fait que to u t ce qui se passait sur scène, «am plifiait p a r sa seule form e l ’élém ent m étaph ysiqu e»48.

C et état de choses ne d u ra ce p end ant pas de longtem ps. Les changem ents qui, sous l’effet des tran sfo rm atio n s socio-culturelles, o n t affecté la religion et la p h ilosophie n ’a u ro n t pas m anq ué de se répercuter sur la sphère de l ’art. L a religion perd ait progressivem ent de sa vitalité; son poids d an s la vie sociale allait décroissant et, à u ne époque récente, elle a fini p a r s’éclipser si bien que nos jo u rs, elle fonctionne «m ais sous la form e de rites autom atisés qui n ’on t plus grand-chose de com m un avec un m om ent véritablem ent m éta­ physique» (F N , 149). La crise a égalem ent affecté la philosophie qui, à force d ’avoir renoncé à sa finalité qui est de créer un système définitif em b rassan t l’ensem ble de l ’être, et de se con ten ter de solutions de détail, re n ia la vraie m étaphysique. L ’a rt a fini p ar partag er le so rt de la religion et de la philosophie.

D éjà chez les G recs l’«im age des dieux à la ressem blance des hom m es» ô ta à la religion sa p ro fo n d eu r et fut à l’origine du divorce entre le sacré et l’art, ce qui, au fil de l’évolution h isto ­ rique ultérieure, se m anifesta de la façon la plus flagrante dans l ’a b a n d o n des m ystères p ar le théâtre. M ais la véritable calam ité

48 W i t k i e w i c z , « In tro d u ctio n à la th é o rie de la F orm e Pure au théâtre», p. 8.

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