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L'Image du Français et de la France dans la littérature des Lumières polonaises

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Teresa Kostkiewiczowa

L’Image du Français et de la France

dans la littérature des Lumières

polonaises

Literary Studies in Poland 19, 79-100

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Teresa Kostkiewiczowa

L ’im age du Français et de la France

dans la littérature des Lum ières p olon aises

La prép ondérance de la F rance dans la vie sociale de l ’E urope du X V IIIe siècle a été rem arquée déjà p ar les co n tem p orains de V oltaire, de D iderot et de R ousseau. Le M arquis C araccioli, am ­ bassadeur de N aples à la co u r de Louis XVI, a publié en 1776 à Venise l ’oeuvre intitulée Paris, le modèle des nations étrangères ou l ’Europe française où il écrivait: « O n reco nn ait to u jo u rs une n atio n dom inan te q u ’on s ’efforce d ’im iter. Jadis to u t était rom ain, a u jo u rd ’hui to u t est f r a n ç a is » 1. En suggérant que le phénom ène de la d o m inatio n d ’une n ation sur les autres, dans un m om ent historique déterm iné, est une règle d ’histoire, l’au teu r confirm e avec adm iratio n cette supériorité intellectuelle et artistique de la France du X V IIIe siècle. Il est bien connu que le royaum e d ’esprit français s ’étendait sur les territoires de l ’E urope C entrale et com p ren ait donc Varsovie. La présence de ce qui est français en P ologne du X V IIIe siècle est évidente. Elle se m anifeste dans tous les dom aines de la vie sociale2. Ce propos n ’a pas p o u r objet de présenter les m anifestations et l ’étendue de ce phénom ène, il ne se prop o se pas non plus d ’analyser les traditio ns ultérieures des ra p p o rts réciproques entre la Pologne et la France. En ra p p o rta n t certains faits, u n iq uem en t en tan t q u ’exemples, nous le traitons de contexte indispensable p o u r décrire la façon d o n t cette présence française s’est introdu ite dans la conscience

1 L. R é a u , L 'E u ro p e fra n ç a ise au S iè c le d e s L um ières, P aris 1938, p. 1. 2 R é a u , op. c it., rap p elle certain s faits de ce d o m a in e. C ep en d a n t, ce son t u n iq u em en t les in fo r m a tio n s partielles et fragm entaires. N i la m o n o g r a p h ie de ce p ro b lèm e, ni les étu d es c o m p lè te s de ces p h é n o m è n e s partiels n ’existen t encore.

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80 T eresa K o s tk ie w ic z o w a

des P olonais de l’époque et a trouvé sa rep résen tation dans la littérature.

D epuis le X V IIe siècle, lorsque les liens plus étroits entre la F rance et la P ologne on t été noués, les con tacts culturels entre les deux pays n ’ont jam ais été rom pus. L a présence de la pensée et de la littératu re française est visible m êm e à la fin du X V IIe siècle et dans les trente prem ières années du X V IIIe, bien q u ’il ait existé à cette époque une tendance à la xénophobie. Elle se m anifestait p ar une ferm eture du m onde sarm ate à to u t ce qui était considéré com m e é tra n g e r3. M ais c ’est seulem ent vers la m oitié du X V IIIe siècle que nous pouvons observer les tendences de plus en plus fortes de faire entrer la P ologne — un pays en plein processus des réform es suivant les idées principales du siècle — dans cette com m u nau té qui à été appelée E urope Française. Le processus d ’européisation de la P ologne des L u m ières4 s ’est m anifesté d ’une m anière la plus forte p a r la présence croissante des divers élém ents de la cu lture française dans la vie sociale.

M entionnons — en quelques-uns. Le prem ier c ’est la connaissance de la langue française qui se rép en d ait non seulem ent dans les cercles des aristocrates éclairés, faisant de nom breux voyages, m ais aussi parm i les élèves des écoles religieuses réfo rm ées5. Le second élém ent c ’est la présence des enseignants (en o u tre à l’Ecole M ilitaire) ainsi que des artistes, des im prim eurs et des libraires fran ­ çais dans la capitale. Le troisièm e enfin c ’est la reception du livre français qui accroissait d ’une année à l’autre p o u r atteind re son

3 J. T a z b i r parle d es m a n ife sta tio n s de la x é n o p h o b ie et de la m anière d o n t les P o lo n a is co n sid èr en t les étrangers en P o lo g n e du X V I I e s. d an s « K s e n o fo b ia w P o lsce X V I — X V II w .» (X é n o p h o b ie en P o lo g n e au X V Ie — X V I Ie s.), [dans.]

A ria n ie i k a to lic y , W arszaw a 1971; « S to s u n e k d o o b c y c h w d o b ie b a r o k u » (La

R e la tio n aux étrangers au B a ro q u e), [dans:] S w o js k o ść i c u d zo z ie m sz c zy zn a w d z ie ­

ja c h k u ltu ry p o lsk ie j, W arszaw a 1973.

4 J. M i c h a l s k i parle d es m a n ife sta tio n s et du d éro u lem en t de ce p rocessu s d a n s le d o m a in e d es id ées so c ia le s et p o litiq u e s d an s « S a r m a ty z m a europ eizacja P o lsk i w X V III w. » (Sarm atism e et e u ro p éisa tio n de la P o lo g n e au X V IIIe s.), [dans :] S w o js k o ść i c u d z o z ie m s z c z y z n a ...

5 C f. A . N i k l i b o r e , L ’E n seign em en t du fra n ç a is dans les écoles p o lo n a ise s de

X V I I I e s., W ro cła w 1962; L. G r o b e l a k , « L a G éo g ra p h ie du réseau scolaire

fran çais en P o lo g n e au X V I I I e s .» , [dans:] L a L itté r a tu re des L u m ières en France

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L ’Im age du F rançais e t de la F rance 81

apogée dans les années quatre-vingt. En Pologne on p o u v ait facilem ent trou ver des publications scientifiques (quelquefois préparées spéciale­ m ent sur la dem ande des institutions polonaises) des écrits p o liti­ q u e s 6 et des oeuvres littéraires venant de la F ra n c e 7. Il est intéressant de rem arqu er q u ’à cette époque paraissaient en P ologne des jo u rn au x littéraires dans la langue française: Journal Littéraire de Pologne (1754), Journal Polonais (1770), Journal Littéraire de Varsovie { M i l — 1778). A cela, il faut ajouter de m ultiples con tacts directs noués grâce aux voyages des Polonais en F rance, m ais aussi grâce aux visites des rep résentants de divers milieux français en P o lo g n e8. Leurs fruits se faisaient voir dans le style de la vie, d an s les m oeurs et su rto u t dans la m ode.

En p arla n t des tendences universalistes des Lum ières Polonaises et de leur o uverture sur la culture étrangère identifiée le plus souvent avec la culture française, il faut toujo u rs tenir com pte des tendances co n traires existant à la m êm e époque. Elles se sont m anifestées à p a rtir des années soixante-dix p ar une rem ise en v aleur des tra ­ ditions culturelles p o lo n aises9.

Les phénom ènes signalés ci-dessus, qui se sont p ro d u its dans la vie sociale de la P ologne dans la deuxièm e m oitié du X V IIIe siècle sont p o u r nous le p o in t de référence à la question des im ages littéraires de la F rance et des Français. En effet, nous devons nous dem ander si les contacts et les liens des P olonais avec la France on t trouvé leur représentatio n dans la littératu re polonaise, et dans quelle m esure les écrivains on t rem arqu é et ensuite

fixé l ’image du pays qui d om inait sur la scène européenne.

6 Q u elq u es in fo r m a tio n s à ce sujet se trou ven t d an s l ’essai d e J. F a b r e ,

S ta n isla s A u gu ste e t les h om m es de le ttre s fra n ç a is, C ra co v ie 1936.

7 C f. Z. S i n k o , P o w ie ść za c h o d n io eu ro p ejsk a w k u ltu rze lite r a c k ie j p o lsk ie g o

O św iecen ia (L e R om an d e l ’E u rope d ’ou est dans la cu ltu re litté ra ir e du S iè c le des L u m ières p o lo n a is), W ro cła w 1968; L. G r o b e l a k , « L a D iffu sio n d es lettres françaises

au X V I I Ie s. à travers l ’en se ig n e m en t sc o la ir e » , [dans:] A u to u r du X V I I I e s. en

France e t en P ologn e.

8 Cf. R . W o ł o s z y ń s k i , P o ls k a w opiniach F rancuzów X V I I I w. (L a P ologn e

dan s Vopinions des F rançais au X V I I I e s.), W arszaw a 1964.

9 D e ces p ro cessu s parle M . K l i m o w i c z , « C u d z o z ie m sz c z y z n a i rod zin n o ść. E lem en ty k ultury p olsk iej c z a s ó w O św ie c e n ia » (T o u t ce q u i est étran ger et fam ilial. E lém en ts de la cu ltu re p o lo n a ise au S iècle d es L u m ières), [dans:] S w o js k o ść i cu­

d zo z ie m sz c zy zn a . ..

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82 T eresa K o stk ie w ic z o w a

O n peu t dire que to u t intérêt p o rté à un étrang er est dû à son caractère particulier non seulem ent dans le dom aine de la langue, de l’habillem ent, du com portem en t m ais aussi dans celui de son psychism e, des ses inclinations et réactions. D éjà il y a longtem ps il s ’est m anifesté une tendence à saisir cette particularité. Elle a fait naître un nouveau genre littéraire: descriptio gentium. Des descriptions généralisantes, som m aires, ou des énum ération des traits caractéristiques des natio ns (parfois m êm e ayant un aspect satirique et recherch ant avant to u t des trais négatifs des étrangers) fonction naien t com m e des opinions stéréotypées, com m e des clichés, qui déterm inaient fortem ent la m anière de voir les a u tre s 10. D ifférents types de descriptio g e n tiu m 11 présents dans la littératu re polonaise déjà au X V Ie et au X V IIe siècles on t été connus aux tem ps des Lum ières. Ils con stitu aien t un p o in t de référence im p o rtan t p o u r les p o rtra its littéraires du Français.

Il sem ble que le stéréotype traditionnel de la description n ’a pas changé, dans ses traits généraux, depuis le B aroque. Les ca­ ractéristiques conventionnelles créées p ar Ignacy K rasicki peuvent prouv er cette thèse. Le poèm e héroïcom ique M yszeida (Souriade, 1775), nous d onne les descriptions des arm ées des souris et des rats qui son t aidés p a r les rongeurs de différents pays. A cô té de ceux venus des bo rd s de D anube, de Tybre, de D niepre, d ’Elbe et de Tam ise se b atten t, p our p o rter aide aux souris, des chevaliers

vivant aux bords de la Seine.

Les so u ris de la S ein e alertes, élégan tes, Le signal du c o m b a t est prêt à se d on n er, O n les v oit d an s le ca m p sauter, c a b r io le r 12.

D an s le poèm e écrit plus tard (inc. « G dybym byl Szwajcarem » — Si j ’étaits Suisse) qui réalise aussi le schéme typique du descriptio

10 Le p ro b lèm e du stéréo ty p e d an s la v isio n des d ifférents n a tio n s an alyse Z. M i t o s e k , L ite ra tu ra i s te r e o ty p y (L a L itté r a tu r e e t les s té ré o ty p e s ), W roclaw

1974.

11 C f. S. K o t , « D e s c r ip tio gen tiu m di p o eti p o la cch i del s e c c o lo X V I I » ,

R icerch a S la vistich e, 1958, n o 6.

12 Je cite d ’après la trad uction fran çaise du p o è m e , faite par J. B. L avoisier,

L a S o u ria d e, V iln o 1817. Il faut p ou rtan t n oter que le p o è m e a été trad uit en

français par J. B. D u b o is ju ste après sa p a ru tio n en p o lo n a is et p u b lié en 1778 à Berlin.

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L 'Im a g e du Français e t de la France 83 gentium , K rasicki a in tro d u it un nouveau m o tif qui correspond p o u rta n t aux traits déjà m entionnés: « si j ’étais F rançais, je ne serais pas si fier». F. K. D m ochow ski a mis l ’accent sur un au tre trait de cette natio n. En a d o p ta n t le texte de L ’A rt poétique de Boileau, il l ’a enrichi (à l ’occasion des rem arques à p ro p o s d ’une caractéristique convenable des héros com iques) de ses pro p res réflexions sur les stéréotypes dans les jugem ents des nations.

D an s la littératu re des Lum ières on peut trouver de nom breux exem ­ ples de cette caractéristique stéréotypée du Français. Il est p o u rta n t intéressant de n oter que l ’oeuvre de K rasicki com pren d des preuves de la distance prise p a r l’au teu r face à ces stéréotypes. O n peut m êm e y voir des tentatives de présenter la n ation française d ’une m anière plus individualisée. L 'action du ro m an M ikolaja Doswiad- czynskiego p rzyp a d ki (Les Aventures de Nicolas Expérim entateur, 1776) se d éroule — en o utre — à P aris et il y a des personnages qui sont Français.

Les expériences q u ’à faites sur son chem in le jeu ne gentilhom m e polonais co m pren nen t aussi les contacts avec les représentants de cette n atio n . Le prem ier p arm i eux, c ’est D am o n — précepteur du jeune seigneur (car sa m ère a décidé de l’éduquer suivant les nouvelles tendences). C ’est ainsi que N icolas E xpérim entateur parle de sa je u ­ nesse :

U n e v o isin e , to u t récem m en t arrivée de V a rso v ie, p ersuad a à m a m ère q u ’un je u n e h o m m e de m o n â ge n ’avait p as b eso in d ’un m aître de latin c o m m e les p etits e n fa n ts, q u ’il lui fallait un gou vern eu r pour lui enseigner la lan gu e française, et, c e q u i est bien p lu s essen tiel, la m anière de se p résenter et de se con d u ire en so c ié té . Elle r eco m m a n d a p our c ette im p o r ta n te fo n c tio n un F ran çais q u ’elle avait c h e z elle. Q u o iq u ’il y fût c o m m e valet de ch am b re, c ’était, d isa it-elle, un in n o cen t stratagèm e p ou r cach er l ’écla t d e la n a issa n ce; q u ’au trem ent, s ’il venait à être c o n n u , il serait arrêté pour une affaire d ’h on n eu r q u ’il avait eue à V ersailles, so u s les yeu x, p ou r ainsi dire, du roi, avec le prem ier président du p arlem ent de P aris 13.

Ce précepteur en traîn ait son élève dans l’exercice «des sentim ents du co e u rs» et des subtilités de l’esprit. Il le faisait surto u t par la lecture des ro m an s b aroques et p ar la conversation à la mode.

13 Je c ite d ’aprés la trad u ction français de J. B. L avoisier, A v en tu res de N icolas

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84 T eresa K o s tk ie w ic z o w a

Il s ’est avéré enfin être un sim ple escroc qui, p ro fita n t de la naïveté du jeune hom m e, l’a mêlé aux intrigues m en an t à la p erte de la fortune et s ’est enfuit ensuite. L a deuxièm e expérience de N icolas c ’est son séjour à P aris présenté com m e ville de luxe, des distraction s et de la vie m ondaine. Le nouveau venu im ite fidèlem ent les m oeurs locales, ce qui le con d u it à la b an q u e ro u te et aux tro u b les de santé. La troisièm e expérience c ’est la rencon tre avec le M arg rav e de Ven- nes — un F rançais qui est capitaine d ’un navire. A ce m om ent-là, N icolas a déjà derrière lui un long voyage et, av an t to u t, une éducation m o rale q u ’il a reçue sur 111e de N ipe (l’île qui rep ré­ sente un m odèle utopique de la vie sociale organisée co n form ém ent aux lois de la nature). C ette nouvelle ren co n tre avec u n F rançais actualise dans la conscience de N icolas les stéréotypes traditio n n els et le souvenir des expériences antérieures le rend p ru d e n t.

Les F ran çais so n t d ’un ca ra ctère so c ia b le . L ’accu eil d u m arq uis m e sa u v a d ’en n u i d es fa ç o n s et d es cér é m o n ie s u sitées d a n s les in sta n ts d ’u n e prem ière c o n n a iss a n c e [...] sa v iv a cité, u n e grande fa cilité à s ’e n o n cer, m e le firent v o ir tel q u e n o u s a v o n s c o u tu m e d e n o u s représenter un F ran çais, b eau p arleu r, c a p a b le d e s ’occu p er très sérieu sem en t d e b a g a te lle s, traitan t lestem en t l ’a m itié et l ’a m o u r , rian t de to u t et de to u t le m o n d e , fort en g o u é de so n p a y s, et p ro fe ssa n t un gran d m ép ris p ou r to u t c e qui est au d elà du R h en , d e la m er et d es P y rén ées, c o n sta n t d a n s ses bizarreries, escla v e de la m o d e , et s ’a im ant p ar-d essu s t o u t 14.

P o u rtan t, le co n tac t plus p roche avec le M argrave devient p o u r N icolas une nouvelle leçon p ra tiq u e lui p erm e tta n t de ch an ger ses opinions. Il co nstate avoir trouvé dans ce jeu n e hom m e à la m ode « u n vrai p h ilo so p h e» . Il est significatif que d ans le texte ce fait est com m enté p ar le M argrave lui-m êm e.

C ette m anière de p ro n o n cer, sa n s restriction s sur le ca ra ctère des n a tio n s en général, est n écessa irem en t su jette à l ’erreur; c ’est ce q u i p r o d u it la vôtre à m on égard. In tim em en t c o n v a in c u q u e to u t F ra n ça is est in c o n sta n t et léger, v o u s a v ez pris p ou r u n e p o lite sse d ’h ab itu d e et n o n réfléchie l’a ccu eil que je v o u s ai fait à m on b ord , peur-être p o u r la fa u sse té. Je ne d isc o n v ie n s p as que la ch a leu r de n otre sa n g prête à ces ju g e m e n ts; m ais, q u an d ils v o n t trop lo in , il est b o n de co n ten ir un peu l’ex cesiv e p r écip ita tio n d ’une im a g in a tio n p réven u e. C ette vivacité qui dans les un s, est une ca u se de lég èreté et d ’in c o n sta n c e , p ro d u it d an s d ’autres la franchise, la b o n té, l ’o u v ertu re, l ’affab ilité, v ertu s e s se n tie lle s à la so c iété. [ ...] A d m e tto n s que la légèreté est le d éfa u t ca ra ctéristiq u e d es F rançais, il ne faut p a s co n clu re de là que to u t Français et lé g e r 15.

14 Ibidem , pp. 2 2 2 —223. 15 Ib id e m , pp. 2 2 8 - 2 2 9 .

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L ’Im a g e du F ran çais e t de la France 85

C es nouvelles expériences ont p rov o q u é aussi un changem ent dans la p ercep tio n de Paris. P en d an t son deuxièm e séjour dans cette ville déjà en co m pagnie du M argrave, N icolas n ’y voit p as seulem ent des gens vaniteux et m alhonnêtes.

Je fis c o n n a issa n c e d ’u n e fo u le d e p erso n n es d istin g u é es et estim a b les so u s to u s le s r a p p o rts; ce qui co n tr ib u a b e a u c o u p à m ’ô ter la m anie de porter un ju g e m e n t trop gén éral sur le caractère d es n a tio n s. Je tro u v a i au m ilieu de Paris d es p h ilo so p h e s sa n s orgu eil, d es riches sa n s h auteur, d es gens p ieu x san s aigreur, d es h é r o s m o d e ste s, des grands seign eu rs affables 16.

D ’une p a rt la réflexion sur la fausseté des visions stéréotypées a m o n tré q u ’il est possible de p résenter la n atio n française d ’une m anière p lu s com plète, d ’au tre p a rt elle a d o n n é la chance d ’indivi­ dualiser ses p o rtra its littéraires. P o u rta n t la littératu re de l ’époque n ’a p a s p ro fité de cette possibilité. Les circonstances politiques et socio-culturelles qui accom pagnaient le processus d ’universalisation des m o eu rs e t de la pensée en o n t décidé. Les réform ateurs qui dans les années soixante o n t entrepris d ’instruire le noblesse polonaise, lui d o n n a ie n t p o u r m odèle l ’étran g er habillé à la française. T o u t en ap p récian t les valeurs positives représentées p a r les étrangers, la litté ra tu re signalait p o u rta n t la rap id ité avec laquelle to u t ce qui é ta it français envahissait la vie sociale de la Pologne.

Le ch ro n iq u e r Jędrzej K itow icz a n o té l ’invasion de la m ode française déjà à l ’époque du règne d ’A uguste I I I :

A u ss itô t a fait son a p p a ritio n u n e rich e brod erie sur les ro b es d ’hiver et la brod erie en so ie sur c elles d ’été. C es b rod eries éta ien t im p o r tées de la France. L es m a n c h e ttes e t les c o rsa g es éta ien t o rn és d e d en telles de B r a b a n t17.

Les écrivains re m a rq u aien t q u e les influences françaises ne se lim itaient pas uniquem ent à la sphère de la m ode. « A P aris les femmes bo iv en t le plus de café / C ’est de là que cette m ode est arrivée chez n o u s» — écrivait J. E. M inasow icz dans une épigarm m e qui ridiculiset une dam e exaltée, im itant les coutum es étrangères.

L a présence des m odèles français qui saute aux yeux d an s tous les dom aines de la vie justifiait l’opin ion que les m anières françaises ne sont q u ’u n e m ode superficiellem ent ap pro priée p a r les Polonais.

16 Ib id e m , p. 241.

17 J. K i t o w i c z , O p is o b y c z a jó w za p a n o w a n ia A u g u sta I I I [L a D escrip tio n

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86 T eresa K o s tk ie w ic zo w a

« M a in te n a n t Varsovie s'est francisée», ont co n staté déjà en 1768 les rédacteurs de la revue M onitor. « M a in te n a n t to u t est l’affaire de m ode; to u t est à la française, à l’allem and e» — Ignacy K rasicki à mis cette opinion dans la b ouche d ’un gentilhom m e de province, personnage de M ikolaja Doswiadczynskiego przypadki. Le héros d 'u n au tre ro m an de K rasicki Pan Podstoli {Monsieur Podstoli, 1778) a aussi rem arq u é cette « fran cisatio n de la m o d e» . D ans cette situation, l ’invasion de ce qui était français d ans différentes sphè­ res de la vie prov o q u ait une réactio n critique co n tre l’im itation snob des m odèles étrangers. C ’est p o u rq u o i dans les oeuvres littéraires de l’époque il y a tan t de p o rtra its satiriques des personnages qui s’habillent, se co m p o rte n t et p arle n t com m e des Français. P arfois même, ces personnages là sont appelés to u t co u rt des Français. La com édie de Franciszek B ohom oles Paryzanin p o lsk i {Le Parisien polonais, 1757) peu t ici servir d ’exemple. Son héros négatif, un jeu n e gentilhom m e qui est p arti faire ses études en F rance, en est revenu aveuglem ent im prégné de couteum es superficielles du « grand m onde » et plein de m épris p o u r la trad itio n nationale. Evidem m ent, cette critiques est dirigée co ntre ceux qui o nt été séduits p a r les charm es du m onde des salons parisiens. Ainsi, l’opinion du grand m onde est l’unique critère d o n t se sert le Parisien polonais p ou r juger le co m p o rtem en t des autres. Il n ’arrête pas de rép éter: « A h , si Paris le voyait! [...] C e s t visiblement con tre la politique du grand m o n d e » 18. La com édie est donc une sorte d ’avertissem ent con tre les conséquences négatives du séjour d an s un m onde qui rejette la hiérarchie des valeurs fixées. « C o m m e P aris change les gens», «voici l’avantage de P aris» — c ’est ainsi que ju ge l ’édu cation parisienne du gentilhom m e son p ro p re milieu qui ne peut pas l ’accepter pleinem ent.

D ans une au tre com édie de B ohom olec Kawalerowie m odni ( Che­ valiers à la m ode) un certain M artiner, précepteur de Cléon et de D o ran te (garçons qui p o rten t les prenons français à la m ode) devient responsable des opinions ridicules et du com portem ent de ses élèves. Il leur met dans les têtes de telles opinions:

18 Les c ita tio n s des c o m é d ie s de F. B o h o m o l e c o n t été trad uites d ’après

K o m ed ie k o n w ik to w e et K o m ed ie na te a tru m , éd. J. K o t t . W arszaw a 1960. Il est

u tile de rem arquer ici q u e ces o u v ra g es son t les a d a p ta tio n s p o lo n a ise s d es c o ­ m éd ies fran çaises d e L. H o lb erg Jean en France et d e M olière L es P recieu ses

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L ’Im a g e du Français e t de la France 87

Celui qui ne sait p as p arler français ne peut pas apprécier les bonnes m anières [...] C elui qui ne con n aît pas la langue française ne peut pas avoir de bons sentim ents.

Le petit-m aître, h éros n ég a tif de nom breuses com édies et satires, est devenu le personnage sym bolisant une soum ission aveugle à la m ode française du grand m onde. D ans la satire Głupstwo (Bêtise) A dam N aruszew icz présente to u te la généalogie de ce personnage:

P atrz na teg o m ędrka, na ten łeb m isterny, C o o b w ą c h a ł k aw iarn ie P aryża i B erny C zy liż taki la ta w iec u p o rn ie nie trzym a, Że k to n ie był w P aryżu, ten rozum u nie m a?

R egarde ce fa u x -sa g e, cette c a b o c h e d élicate / Q ui a parcou ru les ca fés de P aris et de Berne / Le cou reu r, ne s'o b stin e-t-il pas à p rétendre / Q ue celui qui n ’a pas vu Paris, n ’a pas d ’esprit?]

Ce petit m aître, libertin dans ses jugem ents sur le m onde, qui m enait une vie débauchée et se m oq u ait des coutum es traditionnelles, était identifié avec le F rançais. «V ive le F ran ç ais» — s ’écrie le Petit M aître, héros de la com édie de Franciszek Z abłocki Fircyk w zalotach {Petit m aître en am ourettes, 1781). Il explique ainsi les origines de sa philisophie qui p rend la vie à la legère et qui garde une distance ironique aussi bien face aux échecs q u ’aux succès.

En 1785, dans une image des m oeurs de la vie de Varsovie, M onitor (n° 16) em ployait aussi le m ot « F ra n ç a is » p o u r désigner un hom m e vêtu à l’étrangère, se co m p o rta n t avec arogance et d ’une façon inconvenable:

A yan t vu u n e table libre sur laq u elle n ’y avait q u ’u n e b o u te ille je m ’y a ssis, m ais à p ein e pris-je la place q u e vint à m oi un F ran çais d a n s une red in gote ép a isse et velu e, co iffé d ’un é n o rm e ch a p ea u . C et in d ivid u s ’ap p ro ch a d o n c de m o i, en trép ign ant de fa ç o n à faire trem bler la salle. Il avait u n e m ine hardie et très sign ifian te, il ten ait d an s le bec u n e p ip e et m ’e n v o y a it la fu m ée en p lein e figure

— raconte le jo urnaliste.

D ans ces satires à p a rt les jeunes qui suivent la m ode française, on ridiculise aussi les dam es et les ecclesiastiques qui font partie de cette m ême catégorie de gens. D ans la satire R edu ty {Redoutes) d ’A dam N aruszew icz, parm i les particip an ts d ’un bal m asqué,

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appa-88 T eresa K o stk ie w ic z o w a

rissent aussi de tels personnages. Il sont caractérisés m êm e p ar l ’em ploi des m ots français:

O w o ż jed z ie m a d a m a ro m elsk im i cu g i,

L ’ab b é siedzi na p rzed zie, n a bal m usi sp ieszyć.

[V oila une m a d a m e qui va d a n s so n ca ro sse, / L ’a b b é est assis devan t, il d o it se presser au bal.]

D ans la satire Z ona modna (Epouse à la mode) de K rasicki l ’héroïne est ridiculisée p arce que, seuls, les m odèles français o n t p o u r elle une valeur. Telles sont, p a r exemple, les conditions q u ’elle pose à son m ari dans le c o n tra t du m ariage:

P un k t p ierw szy, że w m ieście

J ejm ość przy d o sk o n a łej francuskiej n iew ieście, C o lepiej (bo F ran cu zk a) p otrafi ratow ać, B ędzie m ieszk a ć, ilek roć trafi się c h o ro w a ć.

[Prem ièrem ent: que M a d a m e h ab itera la ville en c o m p a g n ie d ’u n e F ran çaise par­ faitem en t préparée, ch a q u e fo is q u ’il lui arrivera d ’être m alade, car ce so n t les F ran çaises qui so ig n en t le m ieux.]

D ans la satire Palinodia {Palinodie) de K rasicki ap p a raît déjà un accent critique face aux nobles qui, d ’une m anière irréfléchie suivent la m ode étrangère de cultiver les ja rd in s:

P rzen ió sł p y szn y m o g ro d em F ran cu za i W łoch y, N ie m iał, p raw da, p sze n ic y , ale m iał karczoch y.

[Par son jard in m agnifiq u e, il a d ép a ssé la F rance et l ’Italie / C ’est vrai, il n ’avait p as de b lé, m ais il avait d es artichauts.]

La reception superficielle de la littératu re française a aussi été l’objet de la critique. D ans le dram e de B ohom olec intitulé Autor kom edii {Auteur de comedie) le héros — hom m e de lettres — veut écrire p o u r « fa ire honte à ceux qui, ayant lû légèrem ent quelques patits livres français veulent juger de to u t et osent corriger ceux qui ont passé leur vie à étu d ier» . La reception du ro m an sentim ental, superficiellem ent ém otionnelle et bornée à l’im itation de la m ode, à été raillée dans Ż o n a modna de K rasicki. D ans le paysage d ’un ja rd in sentim ental son héroïne réfléchit sur «les m alheurs de Pam éla ou d ’H eloïse».

Le poèm e Spacer nocny p o Warszawie {Promenade nocturne à Varsovie), attrib u é à Ja n A ncuta, donne l ’image la plus com plexe et la plus forte en m êm e tem ps des conséquences de la m ode française. A V arsovie la vie n o ctu rn e m ènent donc les gens form és

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L ’Im a g e du F rançais e t de la F rance 89

d ’après les m odèles des salons libertins de Paris. Le personnage principal c ’est:

[ ...] m istrz w szelkiej ro zp u sty ! Jest to ó w , jak ich zo w ią , h o n n e t’h o m m e d ziś m o d n y ; W n o c y p o d ły , w d zień d u m n y , c h o c ia ż w orek p u sty , M in a zaw sze fertyczn a, brzuch p o trzy dni gło d n y . C h ó d d ziw a czn y , strój śm ieszn y, h alsztuk b rod ę kryje, F rak w zad zie, pręcik w ręku, a w o str o g a c h n o g i, C h o c ia ż nigdy n a k o n iu nie jeźd ził, ja k żyje, K a p elu sz d u ży , by d esz cz n ie lał na o stro g i. B ru ta lstw o m a za m o d ę , grzec zn o ść za p ro sto tę, S k acze, śp iew a, trzp io ta się, bredzi, g ad a w iele, S ta r o ży tn y m n a zy w a fa n a ty zm em c n o tę, C zęsto , niby n iech cą cy , za św ista w k ościele. Patrzaj teraz, c o je d z ie za la lk a w karecie: Z loryn etk ą p iesz czo n ą g łó w k ę sw ą w ysadził.

Zam g o , to drugi rodzaj jest na w ielk im św iecie P u sta k ó w , co p an P iron w m o d ę ich w p row ad ził. U m ie słó w m o d n y ch k ilka, p ięć w ierszó w W oltera, Zna, ja k zg a n ić p o lo n e z , k o rn et lub fryzurę,

R ó ż, p o m a d y i puder p rzed ziw n ie w ybiera,

M a w g ło w ie n ajm o d n iejszy ch d e se n ió w strukturę. W iesz, c o tu ten huk zn a czy , c o tu za a sa m b le? M nich dziś p ew n ym k o b ie to m daje kolacyją. W oln y d o k to r , ju b ila t, trzęsie z ło tk o w d am b le Ten to sam , c o n ied a w n o w rzeszczał nam m isyją.

[Le m aître de to u te d é b a u c h e / C ’est ce, c o m m e o n les a p p elle, h o n n ê te h o m m e à la m o d e au jou rd 'h u i; / L âche la nu it, fier le jo u r m algré sa b o u rse vide. / Sa m ine toujou rs vive, so n ventre v id e, m êm e p en d a n t trois jo u r s.

Sa d ém arch e bizarre, son vêtem en t ridicule, un foulard c a c h e sa barbe / La q u eu e de pie sort du derrière, une verge à la m ain, les p ied s d ans les ép ero n s. / Bien q ue ja m a is de sa vie, il ne so it m o n té sur un c h e v a l, / S on ch a p ea u d o it être grand, p ou r que la p lu ie ne m o u ille pas ses ép ero n s. [...]

D e la brutalité il se fait u n e m o d e , prend la p o lite sse p o u r sim p licité d ’esprit, / Il su rsau te, il ch an te, il fait le fa n fa ro n , il ra d o te, il parle b e a u c o u p , / Il appelle la vertu un fan atism e a n tiq u e, / S o u v e n t, c o m m e si par in a tte n tio n , il sifflote à l’église.

R egard e m a in ten a n t la p o u p é e m a scu lin e q ui v a d ans so n c a r o s s e : / I l en sort la tête d o rlo tée et p ou rv u e de lo rg n o n . / Je le c o n n a is, c'est le se c o n d genre des vain s du grand m o n d e / Q ue M . P ir o n a in tro d u its à la m o d e.

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90 T eresa K o stk ie w ic zo w a

Il co n n a ît q u elq u es m o ts à la m o d e, cin q vers de V oltaire, / Il sait con d a m n er une p o lo n a ise , une co rn ette et u n e coiffu re, / Il fait un ch o ix b izarre du rou ge, des p o m m a d e s et de la p ou d re, / Il a d a n s la tête la structure d es d essin s à la m o d e . [...]

Sais-tu que veut dire ce vacarm e, ce que c ’est que cette a ssem b lé e? / L ’abbé d o n n e a u jou rd 'h u i le dîner aux d a m e s, / G ran d d o cteu r ju b ilé, il a g ite sa b ou rse rem p lie d ’or. / C ’est le m êm e q u i, il y a p eu , n o u s criait la m esse.]

Ju sq u ’ici nous avons attiré n otre attentio n sur la critique de l ’assim ilation superficielle de la m ode française. Le poèm e cité abo rde la même question, m ais dépasse en même tem ps de sim ples ob ser­ vations de m oeurs. En effet, la description de la vie n o cturne de V arsovie, reflète une vision de la culture française, réd uite au m odèle de la culture libertine de la cour et des salons. C ette cu ltu re a p o u r principes le m anque d ’authenticité se m anifestant par une prise des m asques et des poses, p ar le rejet de la hiérarchie des valeurs traditionnelles (des valeures ethiques, religieues et de m oeurs), p ar le criticism e et enfin p ar la tendance à dom iner les autres. Le co m ­ portem ent aro g an t en l ’hab it étranger sont deux m anifestations exté­ rieures des principes cités. Evidem ent ce m ode de vie restait en co n trad ictio n m anifeste aussi bien avec la trad itio n nobiliaire de la culture sarm ate, q u ’avec le m odèle créé p a r la littératu re de l ’époque de l’hom m e social engagé dans l ’oeuvre de la réform e du pays et réalisant ses am bitions dans une activité pratiq u e et utile. D ans cette optique le conflit entre le frac et la redingote p olonaise (décrit p ar les chercheurs s ’o ccupant de cette période) ne se conçoit pas com m e une o pposition entre ce qui est polonais et ce qui est étran ger (la littératu re des époques précédentes fait déjà la critique de l’habit et des voyages étrangers) m ais com m e une opposition entre les tendences universalistes des Lum ières et le traditio nn alism e sarm ate. Le conflit relève du choix de l’un des deux m odèles culturels opposés. La critique de la m ode « à la française» n ’est que l’effet de la distance entre l’un des m odèles perçu com m e français et la culture de m anoir, de salon ou de ville. Elle découle aussi de la préférance accordée à la cultu re ru stiq ue et fam ilière se d istin ­ guant p ar ses traits particuliers, locaux et rejettan t l’unification du co m portem en t. C ep endan t cette culture fam ilière polonaise s’ouvre facilem ent aux idées nouvelles qui naissent à l’étranger.

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L 'im a g e du Français e t de la France

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La fascination p o u r la culture libertine d u ra it en P ologne ju s q u ’à la fin du siècle. D ans sa com édie Powrót posła (Retour du député) (1790) Julian U rsyn Niem cewicz oppose un petit-m aître C h arm an tsk y (nom signifiant form é à la base de l’adjectif français ‘c h a rm a n t’) et une femme à la m ode S tarościna (épouse du starostę) aux héros positifs qui estim ent les m odèles de la culture n ationale en restan t en même tem ps ouverts aux valeurs étrangères. Voici le fragm ent d ’un dialogue où deux images opposées de la F rance se co n fro n ten t:

V A L E R Y : P en d a n t co m b ien de tem p s a v ez-v o u s visité les p a y s étrangers? C H A R M A N T S K Y : C ela n ’a duré q u ’un an m ais j'a i pris to u tes leurs m oeurs.

V raim ent je ne p o u v a is p lu s co n tin u e r à vivre ici [ ...] J ’ai voulu voir Paris. [...] V A L E R Y : V ou s étiez d o n c à P aris, lorsq u e la R é v o lu tio n , c ette ferveur à éclaté? C H A R M A N T S K Y : C e so n t, en effet, ces ém eu te s qui m ’o n t fait q u itter la France. V A L E R Y : M ais c ’est alors q u ’il fallait rester d an s ce pays / A d m irer c e tte n ation vaillan te, si lo n g te m p s op rim ée / Q u i prenait c o n sc ie n c e d ’elle-m êm e et brisait ses ch a în es / c o m m e sur les ruines de la tyran ie se form ait le g ou vern em en t libre / C ’était une im age d ig n e d ’être vue par un h o n n ête h o m m e /V o u s avez sûrem ent essayé de tou t voir et d ’être p artout / V o u s co n sid é r ie z leurs lois et m êm e leurs erreurs /.

C H A R M A N T S K Y : Je v o u s av o u era i, je ne sais p a s / c e qui s ’éta it p assé c h ez eux. Car to u te s leurs a ctio n s m 'im p orten t peu. / M erci p ou r ces fam eu x efforts et liberté. / V o u s ne m e croirez pas ce q u ’on s ’en n u ie à Paris. / R ien au m on d e ne pourra recom p en ser c ette perte. / V ou s ne verrez p o in t de d em o iselles. Les théâtres, les jard ins / les b o u lev a rd s so n t presqu e déserts.

C ependant, avant que la littérature polonaise ait touché la question de la révolution française, elle a créé une au tre image encore de la culture française. C ’était la F rance en tan t que royaum e des sciences et des arts et berceau des idées nouvelles. Il est caractéristique que, bien que les iniciateurs des réform es politiques et sociales en Pologne se soient inspirés de la pensée française, ils ne pouvaient pas se référer aux m odèles co nstitutionnels de la m onarchie absolue française. D ans les traités politiques on citait donc l ’exemple des républiques bien gouvernées (Venise, Suisse ou m êm e Angleterre). On rem arq u ait aussi la divergence entre les théories des philosophes, le niveau intellectuel de la société et l’état du pays. H ug o K ołłątaj écrivait par exem ple:

11 n 'existe p as de n a tio n qui aurait p lus d ’in stru ction, q u i s ’o ccu p erait plus d es q u estio n s du trésor et qui en parlerait au ta n t; et p ou rtan t il n ’y a pas d ’autre n on plus qui aurait p lus de d ettes et où les im p ô ts seraient p lu s injustes.

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P ar contre, dans le dom aine du développem ent de la science, de la littératu re et de la langue la F rance était un exem ple à suivre. Les expériences françaises confirm aient la justesse et Futilité des efforts des réform ateurs polonais. En 1765, M onitor (n° 10) écrivait:

Il y avait les tem ps où la la n g u e fran çaise p resqu e un iverselle a u jo u r d ’hui n ’avait pas de livres. L es siècle d e L o u is X IV , féco n d en esprits sa g e s, l ’e n co u ra g ea it et lo rsq u e l ’A ca d ém ie de la L a n g u e F ran çaise fut fo n d ée , d es o u v ra g es ex cellen ts d ans cette lan gu e em p liren t le m o n d e.

En 1767 le m êm e thèm e a été repris p ar cette revue (n° 73). L ’exem ple français a servi d ’argum ent en faveur du p erfectionnem ent de la langue natio n ale:

Il y a un siècle o u d eu x le fran çais et l ’an glais n ’éta ien t p as d an s un éta it m eilleur [que le p o lo n a is actu ellem en t]. Leur esprit n ’était p as alors p lus c o n n u s d ans le m o n d e que le n ôtre m ain ten an t. Le travail et l ’a p p lica tio n d es c ito y e n s, l ’en co u ra g em en t et l ’ex em p le d es n o b les, les reco m p en ses d es m o n a rq u es, to u t cela a fait q u ’aussi bien leur lan gu e, que leur esprit so n t ch ez n o u s tellem en t adm irés.

La F rance était un m odèle aussi dans le dom aine des belles lettres bien que, to ut au début de l ’époque des Lum ières, les acquis littéraires français soient placés au m êm e ran g les oeuvres italiennes. En 1765, une telle com paraison indique p o u r B ohom olec la valeur de ses com édies jouées sur les scènes des écoles religieuses:

«M oi-m êm e je sais très bien que la lecture de ces com édies ne d o n n era pas au lecteur a u ta n t de plaisir que l ’on tire d ’h abitud e de la lecture des oeuvres françaises et italiennes» — écrit-il d an s la préface.

En présen tan t le program m e du développem ent du d ram e polon ais dans la préface de sa com édie Panna na wydaniu (Fille à marier), A dam K azim ierz C zartoryski a p o rté la plus grande atten tio n au dram e français:

Je d ois m ainten an t parler de l ’état et d es tra n sfo rm a tio n s du théâtre en France. Je m ’arrêterai sur cette n a tio n un peu p lu s lo n g te m p s q u e sur les autres p our c e tte raison que les F ran çais on t travaillé le p lus p ou r le p erfectio n n em en t des sp ec ta cles et q u e leurs d ém arch es au tou r de ce jeu o n t tellem en t d év e lo p p é leur g o û t q u ’ils ne se c o n te n te n t pas d e n ’im porte q u oi. C ’est p o u rq u o i on p eu t trou ver c h e z eux b ea u co u p p lu s de c o m p o sitio n s d ra m a tiq u es d ig n es d ’être im itées.

D ans le poèm e Do poezji (A la poésie) A dam N aruszew icz exprim e son désir de voir la poésie polonaise atteind re un tel niveau

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L ’Im age du F rançais e t de la France 93

qui lui p erm ettait de ne pas envier les m uses du T ybre et de la Seine. D ans un au tre poèm e, Do m u z zam ilklych {Aux m uses taciturnes) en re g rettan t que le développem ent de la vie littéraire en Pologne soit em pêché p a r les événem ents du 1er partag e, il écrivait ainsi:

M ętn e niestałej W isły o d n o g i T a k ie sły sza ły śp iew an ie,

Ż e gd yb y się cza s nie zm ien ił srogi, N ie zajrzałaby S ek w an ie.

[Les co n flu a n ts tro u b les de la V istu le in sta b le / O nt en ten d u d es c h a n ts si p arfaits / Q u e si les tem p s n ’éta ien t p as d ev en u s durs / Ils n ’auraient p as e n v ié la Seine.]

Franciszek K arpińsk i en exprim ant son ad m iratio n p o u r les valeurs artistiques de la poésie de N aruszew icz, a con staté que son plus grand m érite était « d ’u n ir les M uses polonaises avec celles de la Seine p ar de douces liens d ’égalité».

Les rep résentants de la jeu n e génération des poètes des Lum ières polonaises tém oignent aussi de leur fascination p a r la F rance en ta n t que siège des sciences et des arts. T om asz K ajetan W ęgierski, l ’un des « m aig res hom m es de lettres» de V arsovie, so u p irait dans le poèm e M y śl moja {Ma pensée):

M n ie gd yb y ten, c o m o ż e z m ien ić lu d zk ie stany, M ó g ł p o lic z y ć p rzy p a d k iem ja k im m ięd zy p an y, U m ia łb y m z tą o d m ia n ą p ew n ie b yć szczęśliw y. N ajpierw ej tw e, P aryżu, szed łb y m w id zieć dziw y I z ź r ó d ła różn y ch z a b a w czerpając p o trosze W iek m ój bym na n au k i d zielił i ro zk o sze.

[Si c e lu i qui p eu t ch an ger le sort h u m ain / P o u v a it par hasard, m e m ettre p arm i les rich es / Je sau rais sûrem ent vivre heureux avec ce ch a n g em en t. / O Paris, j ’irais d ’ab ord v oir tes m erveilles / Et p u isa n t d a n s la so u rc e de d ifférents je u x / Je p arta­ gerais m o n tem p s entre les livres et les v o lu p tés.]

C e désire nostalgique de puiser de la vraie science d ans sa source, c ’est-à-dire à Paris, n ’est pas ici uniquem en t une m an ifestatio n de la m ode, m ais découle d ’une fascination au thentique p a r la ville des philosophes, ainsi que de la reconnaissance de la su périorité intelle­ ctuelle de ceux qui y vivent.

C ep en d an t, il n ’était pas seulem ent question de l’a d a p ta tio n passive des m odèles français ou de la reception superficielle de la littératu re et de l ’art étrangers. Les écrivains, les créateu rs des doctrines littéraires, tous ceux qui p ro g ram m aien t le développem ent de la

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94 T eresa K o s tk ie w ic z o w a

cultu re polonaise ne se lim itaient pas à exprim er leur ad m iration p o u r la lucidité et la perspicacité de la pensée de V oltaire, à s’ém ouvoir pen d an t la lecture des ro m an s sentim entaux de l’époque, ou enfin à apprécier la perfection artistique du dram e classique. O n voulait «égaler les M uses de la S eine» non pas u ne sim ple im itation, mais p ar la création des oeuvres originales, m ais de m êm e valeur artistique que le m odèle choisi.

D an s la conscience des écrivains polonais des Lum ières, la reconnais­ sance de la suprém atie culturelle de la F rance allait de paire avec l ’am bition de l ’égaler et de faire de la culture polonaise une com po sante de la culture européenne. Il faut cependant rem arquer que l’ad m ira­ tion p o u r l’oeuvre des plus grands créateurs français de l’époque n ’engendrait pas une pleine acception de leur activité d an s d ’autres dom aines. D ans le poèm e d ’Alojzy Feliński écrit déjà dans les années quatre-vingt-dix, et intitulé Do K ościuszki (A Kościuszko) l’auteu r se plaint que la déesse de la liberté, p o u r qui l’E urope élève des autels n ’a pas toujou rs de serviteurs fidèles. Et il donnait l ’exemple de V oltaire:

W olter, ó w sła w n y W olter, ó w d o w c ip jed y n y , K o ch a ł lu d zi, lecz bardziej dary K atarzyn y. N a p o ch w a ły w o ln o śc i cały rozum sili, A p o ch leb ia ty ra n o m , którzy ją gnębili.

[V oltaire, ce V oltaire célèbre, cet esprit u n iqu e, / Il aim ait les gens, m ais b eau cou p p lu s les ca d ea u x d e C ath erin e, / Il efforce so n esprit p ou r les é lo g e s de la liberté, / M ais il flatte les tyrans qui l ’opp ressen t.]

C ’était déjà la période où l’on com m ençait à m ettre en doute la prépondéran ce culturelle de la F rance. En 1792, dans la revue Zabaw y O bywatelskie les rédacteurs, en analysant la situation de la littératu re européenne, écrivaient : « Les plus beaox tem ps de la littéra­ ture française sont déjà passés. A ctuellem ent, c ’est l ’époque de la célébrité, de la gloire des A llem ands». M ais c ’était aussi l’époque où la F rance attirait l’atten tio n de l ’E u ro pe p o u r des raisons plus im portantes que le génie de ses écrivains et philosophes.

C ’est donc le cours de l ’histoire qui déterm inait les nouvelles transform ation s de l’im age de la F rance dans la littératu re polonaise. Presque au même m om ent où la révolution française a attiré sur la F rance l’intérêt de l’E urope, les conjonctures politiques on t permis

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L ’Im age du Français e t de la France 95

en Pologne d ’entreprend re des travaux visant la réform e définitive du système politique polonais. En 1790, ces travaux ont abo uti au vote de la C on stitu tio n du 3 m ai. C ependant cela a engendré une suite d ’événem ents: la confédératio n de Targow ica (un com plot contre l ’oeuvre de la réform e), la guerre polono-russe, le deuxièm e p artage de la Pologne, l ’insurrection de K ościuszko, enfin le troisièm e partag e et la liquidation définitive de l ’E ta t P olonais. D ans la ferveur des querelles politiques différents attitud es se polarisaient. La pensée de certains groupes devenait plus radicale, et face à la puissance m enaçante des pays occupants, c ’étaient les tentatives de préserver la liberté nation ale d ’ab ord, et sa défense ensuite qui occupaient les P olonais. Les événem ents de cette période on t trouvé leur rep ré­ sentation dans la littératu re qui analysait la situation du pays, persu ad ait de la nécessité de la réform e du système, form ait les idéaux de l ’opinion publique et enfin ex hortait à la lutte con tre les envahisseurs et les traîtres de la n ation. D ans toutes ces actions l ’exem ple de la France et des F rançais était l ’argum ent de p o int de groupes politiques à différentes o rientations idéologiques. La F rance est devenue avant to u t un sym bole de la lutte co ntre le despotism e et p o u r la liberté. A côté des trad u ctio n s et des adap tatio n s des chants révolutionnaires français (Ça ira, Carmagnole) on com ­ p osait de nom breux chants p olon ais ayant le to n et contenu pareils. Stanisław Staszic dans Przestrogi dla P o lski (Avertissements pour la Pologne) voulant gagner l ’o pinion publique p o u r l ’idée des réfor­ mes sociales radicales écrivait:

La F rance est la prem ière en E u rop e à briser les ch a in es du d esp o tism e. [...] D ieu , ach ève l ’oeu vre de la lib éra tio n de l ’h o m m e! [ ...] Q u e, du lieu qui d urant tant de siècles d o n n a it n aissan ce aux p rin cip es de l ’escla v a g e, se répandent a u jo u rd ’hui sur l ’E u rop e les idées de l ’h o m m e libre.

D ans les oeuvres p ro v e n an t de la période de la révolution française qui traitaien t de ses événem ents, la m anière de juger le rôle de la F rance en E urope évoluait d ’une façon intéressante. D ans un poèm e de Jak u b Jasiński W iersz w czasie obchodzonej żałoby p rzez dwór p o lsk i p o L udw iku X V I (Poème à l'occasion du deuil de Louis X V I porté par la cour polonaise) le poète voit dans les décisions des dirigeants de la révolution une conséquence directe des transfo rm ations de la conscience collective provoquées p ar l ’épa­

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96 T eresa K o s tk ie w ic z o w a

nouissem ent de la pensée scientifique. C epen dan t il m et au prem ier plan l ’afferm issem ent politique dans la lu tte p o u r abolir la tyranie:

O to naród w sła w io n y na całej lu d z k o śc i

Z sw ych k u n sztó w , z swej n au k i, m ęstw a i grzeczn ości, Z m ierzyw szy du m ę, h ań b ę i klęski tyrana,

P o w ie d z ia ł: C h cę m ieć k róla, lecz nie ch cę m ieć pana.

[V oilà u n e n a tio n co n n u e de to u te h u m a n ité / P our ses arts, sa scien ce, sa vaillan ce et sa g en tillesse / A y a n t m esuré la fierté l ’in fa m ie et les d éfaites du tyran , / Elle a dit: Je veux un ro i et n on p as un m aître.]

L a suite est u n essai d ’expliquer à l ’opinion p ublique polonaise la justesse de la décision de guillautiner le m o n arq u e qui a trahi la n atio n et a enfreint la loi. Les événem ents français so n t aussi traités com m e u n avertissem ent d u m o narque polonais. D ans d ’autres oeuvres du m êm e poète la F rance rév olution naire a p p a ra ît com m e un défenseur de la dignité et de la liberté de l ’hom m e. Le poèm e Do egzylontów polskich, O stałości (A u x Polonais qui s ’exilent, de la constance) a été écrit p o u r afferm ir les ém igrants qui o n t q u itté leur pays après la prise du p ouvoir p a r les adversaires des réform es. Il présente donc une vision presque p ro p h étiq u e de la victoire de l’idée prônée, et c ’est la naissance du m on de de l ’égalité et de la liberté en F rance qui est l ’argum ent en faveur de cette vision de la réalité:

N ie d łu g o F ran cu z, krw ią dla nich ob la n y , D ź w ig n ie im o łta rz na b rzegach S ek w an y. F ranku w aleczn y z w y n iesio n y m c zo łem , C ieb ie w o ln o śc i ch cę m ie ć a p o sto łe m ! R y k n ą tyrany zim n ą zjęte trw ogą,

L ecz n igd y w ytrw ać tw ym siło m nie m o g ą .

[B ien tôt le F ran çais ayan t versé so n sa n g p o u r elles / Leur élevera d es au tels sur les b o rd s d e la Seine.

F ran çais va illa n t, avec un fron t h a u ta in / C ’est toi que je veux avoir p ou r ap ôtre de la l i b e r t é ! / L e s tyrans frém iront pris de frayeur / M a is ils ne p ou rron t ja m a is résister à tes forces.]

L a F rance révolutionn aire est donc présentée à travers le sym bole du chevalier de la liberté, qui c o n trib u e ra à l ’abolition de la tyranie et à la libération de to u te l ’E u ro p e:

K ro cie T e u to n ó w sw o im zła m iesz m ęstw em , Z w y c ięstw o b ęd ziesz p o p ę d z a ć zw y cięstw em ,

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L ’Im age du F rançais e t de la F rance

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Z etrzesz d e sp o tó w n ied o łężn e gniew y, O d T agu w o ln o ść szerząc aż d o N ew y .

[Tu vaincras par ta v a illa n ce des fo u le s d e T e u t o n s ,/ T u m archeras d 'u n e v ictoire à une a u t r e ,/ T u briseras la co lère im p u issa n te des d e sp o te s / En rép an d an t la lib erté du T age ju s q u ’à la N eva.]

L ’exemple de la F rance devient l ’un des m otifs typiques de la poésie politique anonym e des années 1792— 1794; il est à retrou ver su rto u t dans les appels à la nation p rô n a n t les idées du radicalism e politique et m anifestant les attitu d es antiroyalistes, renforcées p ar l ’adhesion de Stanislas A uguste à la C onfédération de Targow ica. D ans la poèm e Do panujących i do narodu (A ux souverains et à la nation) l ’auteur anonym e fait de l ’appel de la F rance révolutionnaire le m oyen principal p o u r persuader le lecteur:

L u d y! N a ro d y ! F rancyja w as w zyw a! F ra n cu zi dzieln ym są d la w as p rzykładem . F ran cyja w o ln a , F rancyja sz częśliw a ! Id źd zie w skazanym d o w o ln o ści ślad em !

[P eu p les! N a tio n s! L a F rance v o u s a p p elle! / L e s F ran çais v a illa n ts son t un exem p le p o u r v o u s. / La F ran ce libre! La F rance h e u r e u se ! / S u iv ez d o n c le ch em in de la lib erté q u ’elle v o u s fraye!]

D ans un au tre ouvrage anonym e intitulé Do Polaków (A u x Polonais) l’au te u r recom m ande à ses co m patrio tes d ’agir « co m m e les F rançais» en glorifiant leurs actes p ar des m ots à une très forte tension ém otionnelle:

O ! B o g o w ie w o ln o śc i! o św ięte F rancuzy, Za w aszym p rzew o d n ictw em , w aszym i p o w o d y T e w ła sn o ść zy szczą , tam te p o w sta n ą narody. W y to , wy o d su n ą w szy lud ćm ią ce zasłony P o k a ż e c ie , jak k ru szyć i berła, i trony.

[O D ieu x de la lib erté! O S ain ts F ran çais, / S o u s votre c o m m e n d em en t et grâce à v o u s / Les n a tio n s retrou veron t leur liberté, d ’autres s ’in su rgeront [ ...] C ’est v o u s q u i ayan t so u lev é les v o ile s qui ca c h a ie n t les yeux au p eu p le / M on trerez, c o m m e n t briser les sceptres et les trônes.]

Il est évident que le radicalism e des actions révolutionnaires et su rto u t les m anifestations de la terreur n ’o nt pas été favorablem ent accueillis p ar tous les groupes politiques en Pologne. Au co ntraire, dans les milieux conservateurs et m onarchiques la terreu r suscitait des craintes. Le poèm e N a d rewolucją dwóch narodów w Europie

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98 T eresa K o s tk ie w ic z o w a

(De la révolution de deux nations en Europe) est l ’exemple de cette distance prise face aux événem ents révolutionnaires. A la rév olu tion sanglante en F rance il oppose les réform es pacifiques polonaises:

Jak F rancuz, ślepe n ig d y ś narzęd zie przesąd u, W ięzień w łasn ych ty ra n ó w , a ofiara rządu. S k o ro d o rd zaw ych żela z p o c ią g n ą ć był zd o ln y m ,

P rzez rzeź w ch o d ził d o ja rzm a , przez m ord zo sta ł w oln ym . I lecąc z m on arch izm u w an arch izm b ez trudu,

D a ł znać, że letarg k róla m align ą jest ludu. A ch , ja k ten św ięty za p a l lito ści je st g o d n y m , Ż e n aród , c o z a p o m n ia ł o stan ie sw o b o d n y m , B iegn ąc d o lo su sw eg o n a d to sp orn ym k rok iem , R ysy słod k iej w o ln o śc i zalał krwi p o to k ie m .

[C om m e le F ran çais, ja d is in stru m ent aveu gle de la su p erstitio n , / P riso n n ier de ses propres tyrans et v ictim e du g o u v ern em en t, / P u is q u ’il aspirait aux fers ro u illes / C e fut par le carn age, q u ’il to m b a so u s le jo u g et ce fut par le m eurtre q u ’il d ev in t libre / Et p a ssa n t aisem en t de la m o n a r ch ie à l ’a n arch ie / Fit savoir que la torpeur du roi était la m a lig n e du peuple. / O , c o m m e c ette ferveur sacrée est p ito y a b le , / Q u e la n a tio n qui avait o u b lié l ’état libre / C o u ra n t vers so n d estin d ’un pas trop pressé / In on d a d ’un flot de sa n g la d o u ce liberté.]

Le poèm e se term ine p a r la supposition que « le siècle qui v ien d ra » ju g era avec justesse les acquisitions de deux n atio n s:

W zn iesie S p raw com W o ln o ści w sp an iałe ołtarze, C o n ie krw ią, lecz rad ością rum ienili twarze.

[Ce siè cle élévera des au tels m agnifiq u es aux L ib é r a te u r s,/ Q ui co lo r a ie n t les visages de jo ie et n o n pas de sang.]

A p a rt de nom breuses apologies de la révolution française, il fau t noter aussi l’existence des ouvrages qui gardent une certaine distance face à ses m éthodes et à ses conséquences. Voici les con sidération s contenues dans la b rochure K toś piszący z W arszawy (Q uelqu’un qui écrit de Varsovie, 1790) de F. J. Jezierski:^

L ’esprit de liberté se co u a les trô n es [ ...] La F rance se rév o lta à ca u se de l ’o p p ressio n , de la v io len ce et des abus de la cour [...] de la b astille [ ...] Par tou t cela , ayan t attein t la liberté, par c ette liberté m êm e, la n ation fran çaise se priva de la sécurité et de la tran qu illité. Le go u v ern em en t rép u b licain à le vice de so u p ço n n er les uns les autres. Si l ’o n ajoute à c e la l ’im p é tu o sité et l’em p o rte m en t des F rançais, les lan tern es p arisien n es p eu ven t servir de gibet lo n g te m p s en core. La n o u v elle m anière d e gou vern er serait le m êm e rem èd e p ou r la F ran ce que le transfer de la p o d a g re d es pieds à la p oitrin e.

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L ’Im age du F rançais e t d e la France 99

La fascination p o u r la liberté qui figurait p arm i les m ots d ’ordre de la rév olutio n française p ren ait une form e parad ox ale dans les déclarations des représentants des couches sociales to u t à fait étrangères au radicalism e social, m ais favorables aux trad itio ns de la liberté républicaine. U rszu la T arnow ska p ar exemple, a consacré une im­ p o rta n te p artie de ses m ém oires aux descriptions des événem ents révolutionnaires et aux réflexions à ce sujet. C ’est ainsi q u e lle a m otivé son intérêt p o rté à ce qui ce p assait en F rance:

Il n ’e st pas lieu ici de décrire d ’u n e m anière d éta illée c ette ép o q u e in téressan te où les F ra n ça is o n t p arven u à se libérer du règn e a b so lu p ou r fond er la R ép u b liq u e libre. Le m o n d e entier le sait, et m o i, je l ’écris p ou r m o i-m êm e, p arce que j’ai horreur de la cru au té, je ressen s un b o n co n te n te m e n t de la liberté d es F rançais, car je su is née d an s un p ays libre.

N o u s avons com m encé notre p résentation des images du Français et de la F rance en év oqu ant des stéréotypes co uran ts enracinés dans la trad itio n . Ils reflétaient d ’une p a rt la conscience de la p articu larité et de la spécificité des voisins proches et lointains; et d ’au tre p a rt — une prise de distance face à eux qui se m anifestait p a r une caractéristiqu e lapidaire mais accentuan t d ’h abitude ces traits de l ’étrangers qui, dans le système des valeurs accepté, sont considérés com m e négatifs ou ridicules. C ette p articu larité du descriptio gentium peut suggérer que le p o rtra it littéraire de l ’étranger n ’a pas d ’objectifs cognitifs m ais reflète p lu tô t l’esprit et la situatio n de la n atio n qui décrit et qui juge. La réflexion sur les visions de la F rance dans la littératu re polonaise du X V IIIe siècle perm et de con stater que les p o rtra its de l’étranger cachent aussi les traits de ceux qui le p résentent. D ans les textes de K rasicki nous avons observé les tentatives de se libérer de l’influence du stéréotype banal et de rem arq u er la diversité et la m ultiplicité des traits de caractère des h ab itan ts de la F rance sinon leur traits individuels. Quels étaient les résultats de ces tentatives? La littératu re polonaise de la deuxièm e m oitié du siècle a donc rem arq u é et décrit la F rance des petits- -m aîtres. Leur com portem ent et leur façon de penser sont devenus une m ode qui su p p lan tait la coutum e locale et les valeurs trad i­ tionnelles. On a apprécié aussi la F rance en tan t que centre des sciences et des arts d o n t il fallait égaler le niveau p o u r se sentir p arte n aire dans le royaum e universel d ’esprit. Enfin, au m om ent des

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100 T eresa K o s tk ie w ic z o w a

efforts les plus intenses visant la réform e intérieure du pays et en mêm e tem ps des plus grands dangers que co u rrait cette oeuvre et l’existance de l’E tat même — la F rance est devenue sym bole de la liberté et exem ple des activités (aprouvées ou mises en q ue­ stion) qui envisageaient la reconstruction du m onde. Le p o rtra it du Français n ’était pas d û à un sim ple intérêt p o rté à la spécificité du pays et de ses habitants. C ’est la situ ation qui était to ujurs le p o in t de référence p o u r ceux qui créaient l’image. Ce qui était français est devenu une m esure, une com p araiso n à faire, un m odèle qui facilitait l’auto-identification. D an s chacun des cas décrits un nouveau stéréotype se form ait et com m ençait une existence au to n o m e dans la m entalité n ationale qui recherchait l’affirm ation de ses prop res aspirations.

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