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Précis historique et chronologique de la littérature française depuis ses origines jusqu'a nos jours

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PRÉCIS

HISTORIQUE ET CHRONOLOGIQUE

ME I. A

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OUVRAGES DU MÊME AUTEUR

Pr i n c i p e sd e c o m p o s it io n e t d es t y l e, avec étude d e s genres de litté

rature. 2* édition. 1 vol. in-12.

DIFFICU LTÉS ET FINESSES DE LA LANGUE FRANÇAISE. 1 VOl. ( fc 'p iiî's é .)

ICrylofo ule La Fontaine russe.

Hi s t o i r ed e s l i t t é r a t u r e s é t r a n g è r e s, t r o i s b e a u x v o l u m e s i n - 8 se

v e n d a n t séparément :

Tome I. — Littératures a l l e m a n d e , S c a n d i n a v e s , f i n l a n d a i s e , h o n g r o i s e .

Tome IL — Littératures anglaise, des Pays-Bas, slaves (Russie, Pologne, Bohême, Serbie).

Tome III. — Littératures italienne, espagnole, portugaise, grec­ que moderne.

Cet ouvrage, approuvé par Mir l’Évêque de Versailles, a été adopte par le Ministère de l’Instruction publique pour les prix, les biblio­ thèques scolaires, populaires et de quartier. La Société d encoura­ gement lui a décerné une médaille d’honneur.

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PRÉCIS

II1ST0RIQÜE ET CHRONOLOGIQUE

DE LA

LITTÉRATURE FRANÇAISE

DEPUIS SES ORIGINES JUSQU’A NOS JOURS PAR

A l f r e d B O i G E A l I L T

ANCIEN PROFESSEUR DE LITTÉRATURE FRANÇAISE AU LYCÉE IMPÉRIAL DE SAINT-PÉTERSBOURG, MEMBRE ET LAURÉAT DE PLUSIEURS SOCIÉTÉS SAVANTES

OUV RA GE A P P R O U V É PAR M *r L’ARCHEVÊQUE DE PARIS

e t au q u el la s o c ié té lib re d’in s tr u c tio n e t d’éducatiorx a d é c e rn é u n e m é d a ille d ’h o n n e u r HUITIÈME ÉDITION

«S*

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4*-PARIS

LIBRAIRIE CH. DELAGRAVE 1 5 , R U E S O D F P L O T , 1 5

Jy

« r . 18 80

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AVERTISSEMENT

!

r>E LA 7 e ÉDITION

En offrant au public la septième édition de cet ou­ vrage, l’auteur a voulu le rendre plus digne encore du favorable accueil qui a été fait aux éditions précéden­ tes. Il l’a revue avec le plus grand soin et y a apporté de notables modifications. Certaines parties ont été en­ tièrement refondues, notamment celle qui concerne le xix° siècle. Il lui a semblé que la littérature mo­ derne devait avoir une place assez large dans un livre consacré à l’enseignement, car s’il importe à la jeu­ nesse de bien étudier avant tout les périodes classiques de notre littérature, il y a aussi un grand intérêt pour elle à connaître l’époque où elle vit, les idées et les systèmes qui ont cours, les écrivains dont les noms retentissent sans cesse à ses oreilles. La critique peut tout aborder, quand elle prend pour guides le beau, le vrai et le bien, quand elle cherche, sans passsion ni parti pris, à rendre à chaque auteur la justice qu’il mérite. Notre littérature a donc été, pour ainsi dire, mise à jour, et le lecteur trouvera la vie contempo­ raine jusque dans son actualité. Cette partie de l’en­ seignement littéraire n ’a pas seulement un vif intérêt,

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v r AVERTISSEMENT.

elle a encore, ce nou ssemble, une véritable impor­ tance. Au moment d’entrer dans la vie réelle et pra­ tique, la jeunesse manque d’expérience, elle a besoin de s’appuyer sur celle des autres. Les livres vont s’offrir à elle avec leurs titres plus ou moins attrayants ; les­ quels choisir? quelles lectures faire? Il y en a de bons, 'de mauvais, de dangereux. C’est lui rendre service que de lui former un jugement préalable et donner à son goût une saine direction. Tel est le but que s’est pro­ posé l’auteur en traçant le tableau abrégé mais as­ sez complet de la littérature du jour.

Quant au plan général de l’ouvrage, il est resté le même, l’expérience en ayant démontré les avantages. C’est toujours une histoire abrégée de la littérature française, pouvant servir de cadre et de point de dé­ part à une étude plus approfondie. Les ouvrages spé­ ciaux ne manquent pas pour ceux qui voudront en­ suite étendre et compléter leurs connaissances. Ce

Précis vise donc à une brièveté méthodique qui per­

mette d’embrasser d'un coup d’œil l’ensemble des lettres françaises; il fixe les idées de l’élève et laisse au professeur le soin d’y ajouter de plus larges déve­ loppements, s’il les juge nécessaires à son cours.

L’auteur n’a pas négligé les origines, mais il a été sobre de détails philologiques et de recherches savantes. 11 a pensé qu’il suffisait d’indiquer les sources de la langue, sa formation, les divers éléments qui ont con­ couru à former l’esprit national, il s’est abstenu à dessein de tout étalage d’érudition. Des notions claires

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AVERTISSEMENT. VII

et simples sur les troubadours et les trouvères, sur les grandes épopées chevaleresques, les romans satiriques et les chroniqueurs, voilà ce qui lui a paru suffisant pour faire suivre le mouvement intellectuel et le déve­ loppement national jusqu’à l’époque de la Renaissance. Les trois siècles suivants demandaient naturellement de plus grands détails : chaque écrivain remarquable y trouve sa place suivant le degré d’importance que lui assignent ses œuvres. Il eût été facile de grossir le vo­ lume par plus de développements : c’était un attrait au­ quel il a fallu résister ; on devait ne pas perdre de vue le but de l’ouvrage, qui est de résumer sans sécheresse, d’être bref et complet sans lacunes, clair et méthodique sans pédantisme.

L’auteur a adopté pour son œuvre la méthode nar­ rative, qui a l’avantage de mieux attirer l’attention, de plaire à l’esprit et de fixer les souvenirs. De plus, il a suivi pas à pas la marche historique, pour éclai­ rer l’une par l’autre la littérature et l’histoire, dou­ ble étude que l’on ne peut séparer, tant elles ont de rapports et de connexité intimes. Mais il a été sobre de considérations générales et de vues esthétiques ; il les a indiquées au besoin, sans trop appuyer, pour rester toujours accessible aux jeunes esprits. On trou­ vera la biographie des écrivains unie à la critique, car l’homme ne peut être séparé de son œuvre; c’est sou­ vent dans les circonstances de sa vie que se trouve le se­ cret de sa pensée, la raison d’être de son génie.

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v i n AVERTISSEMENT.

lettres est aussi l’histoire de la langue, et il y a inté­ rêt ii en suivre le développement, les progrès de siècle en siècle. Mais il eût fallu un volume spécial pour donner les extraits de nos chefs-d’œuvre : les citations ont donc été restreintes à un petit nombre de passages, ceux qui caractérisent le mieux l’écrivain ou son épo­ que : le cadre tracé ne permettait pas de faire plus, tl y a du reste des recueils spéciaux pour les chefs- d’œuvre » "otre langue : il est facile à chacun d’y re­ courir.

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PRÉCIS HISTORIQUE

DE LA

LITTÉRATURE FR A N Ç A ISE

O

PREMIÈRE ÉPOQUE

D IT E D E S O R IG IN E S

Depuis les temps les plus reculés de l’histoire de la Gaule jusqu’au serment de Charles le Chauve et de Louis le Germanique, en 842

IBÈRES, CELTES, DRUIDISME, BARDES, COLONIE DE MARSEILLE, CONQUÊTE ROMAINE.

Les plus anciens habitants de la Gaule sont les Ibères, les Celtes et les Kymris [1), migrations venues de l’Orient à une époque reculée que l’bistoire ne peut guère dé­ terminer.

La race ibérienne se montre la première au midi de (1) Les Kymris, peuple d’origine scythique, envahirent la Gaule après les Celtes, et finirent par se mêler à eux; M. Michelet les croit de race celtique. Voir De l'Affinité des langues celtiques avec le sanscrit, par Pictet,. Le baron de Belloguet, dans son Ëlhnogènie gauloise, soutient que les Kymris sont une race distincte des Celtes, dont ils diffèrent par le caractère physique et moral.

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la Gaule, s’établit des deux côtés des Pyrénées, et donne son nom à la péninsule qu’on nomme Espagne aujour­ d’hui. C’est d’elle que descendent les Basques et les Gascons, peuple vif et hardi, attaché à son sol, à sa lan­ gue et à ses mœurs.

Quant aux Celtes ou Galls (Gaulois), race indo-ger­ manique, leurs nombreuses familles étaient répandues surtout dans la Gaule, qui prit d'eux son nom. Ils se fixèrent aussi en Italie (Gaule cisalpine), dans une partie de l’Espagne (Galice), dans la Grande-Bretagne (le pays de Galles), la Calédonie (Écosse), et dans l’Hibernie (Irlande).

Les Galls avaient le teint blanc, la taille haute; ils étaient braves, aimaient les aventures, les courses loin­ taines, les parures brillantes, et se faisaient un point d’honneur de ne jamais reculer dans le combat. Quand il tonnait, ils lançaient leurs flèches contre le ciel en signe de défi. Avec un tel caractère, on ne saurait s’é­ tonner s’ils firent plusieurs fois trembler Rome, dont le Capitole ne fut sauvé que par la vigilance de Manlius Capitolinus. Les auteurs rapportent qu'Alexandre, ren­ contrant vers le Danube une peuplade de Gaulois, leur demanda ce qu’ils craignaient : — Rien, que la chute du ciel! — répondirent-ils. Ne serait-ce point là le germe de cette furia francese, comme disent les Italiens, qui est encore un des traits caractéristiques de la nation française ?

A l'appui de cette opinion, on peut rappeler ce que disait Caton l’Ancien : « La nation gauloise aime pas- « sionnément deux choses: bien combattre et finement « parler. » Ainsi, à l’élan guerrier les Gaulois joignaient le don de la parole; et ce double caractère semble s’être transmis as-ez fidèlement aux Gaulois modernes.

La religion des Gaulois était le druidisme; leurs prê ■

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DES ORIGINES. 3

très se nommaient druides, du mot deru, chêne (1;, qui était l’arbre vénéré chez eux. Ils croyaient à l’immorta­ lité de l’âme et à la métempsycose, comme les Orien­ taux ; dans les grandes calamités ils immolaient des victimes humaines.

Les seuls monuments de ce culte disparu sont cer­ taines pierres brutes, disposées sur le sol sans aucun art de structure, et nommées dolmen, men-hir, cromlechs, qu’on rencontre encore dans plusieurs contrées jadis habitées par les Gaulois : on pense qu’elles ont pu servir aux sacrifices druidiques ou à marquer des tombeaux, car les druides tenaient leurs réunions dans la profon­ deur des forêts et n’avaient pas d’autres temples. La nature était l’objet de leur culte; ils inclinaient ainsi au panthéisme, comme les brahmes de l'Inde, avec lesquels ils ont plus d’un rapport. Ils attribuaient des propriétés merveilleuses à certaines plantes, à la ver­ veine, au sélage et surtout au gui du chêne, arbuste parasite que l’on recueillait à certaines époques avec des cérémonies toutes particulières.

Les druides étaient à la fois les prêtres, les sages, les savants de la Gaule; leur autorité sur la nation était sans égale. Cependant ils n’écrivaient rien; toute leur science morale ou religieuse était renfermée dans quinze ou vingt mille vers qui se transmettaient par la mé­ moire, et que les jeunes druides étaient tenus d’ap­ prendre par cœur. Au reste, ce n’est que par ses vain­ queurs que l’on a recueilli quelques notions sur ce peuple primitif.

A côté des druides se trouvaient les bardes, qui com­ posaient et chantaient des poèmes en l’honneur des (I) Peut-être le mot druide vient-il du celtique derhouyd, parlant de Dieu ou interprète des dieux.

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dieux et des héros; la conquête romaine les fit dis­ paraître peu à peu, en effaçant la langue et la civilisa­ tion gauloises ; mais en Écosse, en Irlande et dans le pays de Galles, où l’épée des Romains et des Anglo- Saxons ne put pénétrer, la langue et les chants des bardes celtiques se sont perpétués jusqu’au xvne siècle. Quant à leur poésie, on peut en avoir une idée par les poèmes d’Ossian, barde écossais du m ' siècle, retrouvés au siècle dernier par Macpherson. Bien que celui-ci ait altéré le caractère énergique et primitif des poésies ossianiques, on ne peut nier qu’elles ne renferment des beautés originales, et qu’une mélancolie tendre et rêveuse ne s’y mêle à des descriptions pleines de richesse et d'harmonie.

En France, c’est dans l’Armorique (la Bretagne) (1) que se sont conservées la langue et la poésie des Celtes; l’isolement de cette contrée lui a permis de garder longtemps son indépendance et ses mœurs antiques, et de nos jours encore on peut dire que la presqu’île ar­ moricaine est plus celtique que française (2).

Tandis que les Ibères et les Gaulois se partageaient le sol, des Grecs phocéens venus de l’Asie Mineure fon­ dèrent sur les côtes de la Méditerranée la puissante colo­ nie de Marseille, 600 ans avant Jésus-Christ Cette ville étendit peu à peu sa domination; elle devint aussi riche que savante et son commerce rivalisa même avec celui de Carthage.

4 LA LITTÉRATURE FRANÇAISE.

(1) Outre les Celtes primitifs, l’Armorique reçut plusieurs migra­ tions venues à différentes époques de la Grande-Bretagne, surtout quand les Saxons s’établirent dans ce pays.

(2) Voir les curieuses recherches de M. de la Villemarqué sur les bardes armoricains et les Chants populaires de la Bretagne qu’il a publiés. Les noms de Taliesin, d’Hyvarnion et de Gwenchlan sont les plus célèbres. Les poèmes des bardes gallois ont été recueillis en

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DES ORIGINES. 5 Mais voici Rome avec ses infatigables légions; elle pressent déjà que le monde doit être sa conquête ; elle a commencé par soumettre ces terribles Gaulois cisalpins qui avaient menacé son existence; arrivée au sommet des Alpes, elle jette un regard avide sur les belles plaines où coulent la Durance et le Rhône; bientôt elle les envahit et les appelle sa Province (Provence); elle jette les fondements d’Aix et de Narbonne, et fait alliance avec Marseille, en attendant qu’elle l’asservisse.

Bientôt César paraît avec le génie de la conquête : il trouve la Gaule divisée en une multitude de petits peu­ ples; pendant neuf ans il l’attaque sans relâche, et la Gaule épuisée tombe à ses pieds après la défaite de Ver­ cingétorix.

La Gaule reste province romaine jusqu’à l’invasion des barbares; peu à peu sa nationalité, sa langue, ses mœurs s’effacent devant celles du peuple conquérant. Les Romains la couvrent d’écoles et de monuments (I) ; elle répond à ces avances de la civilisation romaine en produisant des savants, des poètes, et surtout des avocats qui se distinguent à Rome même (2).

II', IIP ET IV' SIÈCLES

CONVERSION DE LA GAULE. — ÉPISCOPAT. — MONACHISME.

La religion chrétienne, qui devait tirer le monde romain de l’erreur et de la corruption où il était plongé, contenait les germes féconds et réparateurs d’une

civi-(1) Les plus beaux restes de ces monumeuts de la domination ro­ maine se trouvent à Aix, à Arles, à Ntmes, à Trêves.

(2) Le célèbre acteur Roscius, l’orateur Ilomitius Afer, le poëte Var- ron d’Atax, Gallus, l’bistorien Tro^ue-Pompée, Pétrone, sont nés en Gaule.

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lisation nouvelle. Ses saintes doctrines se propagèrent, malgré les cruelles persécutions qui avaient pour but de les étouffer : la parole des apôtres et le sang des martyrs devaient faire la conquête du monde. La vérité reli­ gieuse, confinée depuis des siècles au milieu des arides rochers de la Judée, allait s’épanouissant de région en région, comme une fleur qui répand ses parfums et promet des fruits abondants. L’Évangile saisit les âmes, les agite, les pénètre, les émeut, les transforme, et bientôt la pensée humaine, ravivée par le souffle bien­ faisant de la foi, retrouve l’enthousiasme, source infinie d’héroïsme et de poésie. Les Actes des martyrs, rédigés dans les prisons, en présence même des supplices, sont de naïves et sublimes preuves de cette première trans­ formation (1).

La Gaule reçoit la prédication évangélique au 11e siè­

cle; l’Église de Lyon, fondée par saint Pothin et saint Irénée, est cimentée par le sang d’une foule de martyrs, parmi lesquels une jeune fille, l’esclave Blandine, dé­ ploie le plus héroïque courage. Bientôt après, saint Denis convertit Paris, qu’on nommait alors Lutèce, fonde plusieurs églises et mérite le titre d’apôtre des Gaules.

Depuis ce moment, la vie religieuse donne du mouve­ ment à la pensée : de pieux et savants évêques, issus pour la plupart de familles patriciennes, continuent dans la Gaule l’œuvre civilisatrice. Quand la persécu­ tion a cessé par l’avénement au trône de Constantin le Grand, ils prêchent, ils écrivent, ils discutent. C’est dans l’Église que s’est réfugié le talent ainsi que la science ; le courage ne leur fait pas défaut quand il s’agit de résister à l’injustice ou à l’erreur : c’est ainsi que Maint A m b ro is e (2), évêque de Milan, soumet à la

péni-(1) Voir Ampère, Hist. littéraire de la France avant le xne siècle. (2) Né à Trêves.

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DES ORIGINES. 7

tence puDlique 1 empereur Théodose, coupable du mas­ sacre de Thessalonique; que s a in t n ü a i r e , de Poitiers, le Rhône de l'éloquence latine, résiste courageusement à l’empereur Constance, qui protégeait les Ariens. Citons encore s a in t P a u lin , de Bordeaux, auteur de Poésies pieuses et de Lettres intéressantes; s a in t P r o s p e r ,

d’Aquitaine, qui composa un poëme sur la Grâce, imité depuis par Louis Racine; S id o in e A p o llin a ir e , de Lyon, gendre de l’empereur Avitus, puis évêque de Clermont : ses poésies, souvent frivoles, nous donnent de précieux renseignements sur la société de ce temps, que les barbares venaient d’envahir; s a l u t A v it, évêque de Vienne, auteur d’un poëme remarquable sur la Créa­

tion, sorte de Paradis perdu, ayant peut-être inspiré

quelques passages de Milton (1).

L’épiscopat n ’était pas la seule influence bienfaisante qui fût exercée ssr cette société néo-chrétienne ; le mo­ nachisme, né en Orient des besoins de la vie contempla­ tive, passa en Occident vers la fin du ive siècle, et jeta de profondes racines dans le sol de la Gaule. Saint Martin fonda près de Tours le monastère de Ligugé; saint Honorât celui de Lérins, et Cassien celui de Mar­ seille, pour lequel il écrivit ses Institutions monastiques. Mais le législateur le plus célèbre de la vie cénobitique

( 1 ) ADAM ET ÈVE CHASSÉS DD PAEADIS.

« Bien que les champs se montrent à eux verdoyants de gazon et peints de fleurs variées, malgré les fleuves et les fontaines, la face du monde leur semble sans beauté après la tienne, ô Paradis ! ... Tout offense leurs regards, et comme il est ordinaire à l’homme, ils aiment davantage ce qu’ils ont perdu. Le monde paraît se resserrer devant eux ; l’extrémité de la terre est loin, et cependant les presse. Le jour est terne ; sous les feux du soleil, ils se plaignent que la lumière a disparu : les astres gémissent dans le ciel, plus éloignés de leur tête ; ils aperçoivent à peine dans le lointain ce ciel qu'ils louchaient auparavant. »

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fut saint Benoît, de Nursie, abbé du Mont-Gassin, qui remplaça la contemplation des anachorètes orientaux par le travail actif de l’esprit et du corps, besoin naturel aux races occidentales. Les moines devaient non-seule­ ment prier, mais encore étudier les livres et cultiver la terre : triple sanctification de l’homme opérée dans la solitude, mais dont les bienfaits devaient rejaillir sur les nations entières. « Les moines, dit M. Guizot, ont été les défricheurs de l’Europe ; ils l’ont défrichée en grand, en associant l’agriculture à la prédication. » Ainsi, au moment où l’invasion barbare menaçait de ruine l’an­

tique civilisation romaine, la Providence préparait de pieux asiles où devait se conserver le dépôt des vertus religieuses et de la culture intellectuelle (1).

LA LITTÉRATURE FRANÇAISE.

(1) « Oh! qu’elles sont douces à ceux qui ont soif de Dieu, les soli­ tudes infréquentées ! qu’elles sont aimables à ceux qui cherchent le Christ, ces retraites immenses où la nature veille silencieuse 1 Ce si­ lence a de merveilleux aiguillons qui excitent l’âme à s’élancer vers Dieu et la ravissent en d’ineffables transports; là, on n’entend au­ cun bruit, si ce n’est celui de la voix humaine qui monte vers le ciel. Ces sons pleins de suavité troublent seuls le secret de la solitude dont le repos n’est interrompu que par des murmures plus doux que le repos lui-même, les saints murmures des chants modestes. Du sein des chœurs fervents les chants mélodieux s’élèvent, et la voix de l’homme accompagne la prière jusque dans les cieux. »...

« Je considère, il est vrai, avec respect tous les lieux décorés par les saints qui s’y retirent, mais j’honore particulièrement ma chère Lérins, qui reçoit dans ses bras hospitaliers ceux qu’a jetés sur son sein la tempête du monde ; qui introduit doucement parmi ses om­ brages ceux que brûlent les ardeurs du siècle, pour qu’ils y respi­ rent et y reprennent haleine sous l’abri spirituel du Seigneur. Abon­ dante en fontaines, parée de verdure, couverte de vignes, agréable par son aspect et par ses parfums, elle semble un paradis à ceux qui l’habitent. »

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DES ORIGINES. 9

V' ET VI' SIÈCLES

CONQUÊTE BARBARE ; SES RÉSULTATS. — FORTUNAT. — GRÉGOIRE DE TOURS. — LÉGENDES

Depuis longtemps les barbares frappaient aux bar­ rières de l’empire romain, demandant leur place au soleil. Un ébranlement général se produit au commen­ cement du siècle ; la Gaule est inondée et bouleversée par un déluge de peuples scythiques et germaniques ; les uns passent en ravageant comme une tempête ; les autres se fixent sur le sol de la Gaule : ce sont les Bour­ guignons au sud-est, les Visigoths au midi, les Francs au nord. Clovis, chef de ces derniers, établit sa domination sur la Gaule presque entière : il se convertit au christia­ nisme à la voix de sa femme Clotilde, et pose les fonde­ ments de la nation française.

Ainsi le vieux monde romain était mort, rongé par ses propres vices ; la civilisation païenne avait fait son temps; elle disparaissait pour faire place à un monde nouveau, à une croyance nouvelle. L’Europe devait se transformer sous une double influence, celle de la reli­ gion chrétienne et celle de la conquête barbare.

Ces peuples vainqueurs étaient pour la plupart de race germanique ; pour les connaître, il faut lire le livre de l’historien Tacite, intitulé Mœurs des Germains, où il trace leur portrait avec une exactitude remarquable. C’étaient des hommes de haute stature, au teint blanc, aux cheveux blonds, aux yeux bleus, aimant surtout la guerre et affrontant la mort, le sourire aux lèvres. Pen­ dant la paix, ils passaient leur temps à chasser, à jouer ou à boire. Ils choisissaient leurs chefs parmi les plus

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braves : la vaillance était chez eux le meilleur titre de noblesse. Chaque chef avait ses compagnons, ses fidèles (leudes), qui combattaient et mouraient au besoin à ses côtés. Ils avaient un respect particulier pour leurs femmes, et celles-ci les accompagnaient jusqu’au milieu des périls du combat. Dans cette description fidèle des mœurs primitives des Germains, il est facile d’entrevoir les germes de la féodalité et de la chevalerie du moyen ége.

Mais il ne faut pas croire qu’en subissant la conquête germanique, la Gaule ait adopté la langue et les mœurs des vainqueurs. Les barbares étaient trop peu nombreux et trop inférieurs en civilisation au peuple vaincu pour ne pas se fondre dans sa masse ; ils oublièrent donc peu à peu leur langue pour adopter celle des Gallo-Latins: c’est ce qui explique pourquoi, dans la langue française, il reste si peu de mots teutoniques.

M. Ampère a dit : « Le français est une langue latine; les mots celtiques y sont restés ; les mots germaniques y sont venus ; les mots latins sont la langue elle-même : ils la constituent (1). »

Le résultat immédiat de la conquête barbare fut un épaississement de l’ignorance et des ténèbres. Depuis Clovis jusqu’à Charlemagne, l’histoire des Francs ne présente que confusion et luttes sanglantes. Car, bien que ces vainqueurs, devenus chrétiens, ménageassent les évêques, dont l’autorité était grande sur le peuple, ils ne dépouillèrent que lentement leurs instincts

fé-(1) La langue latine était d’origine sanscrite ainsi que le celtique : de là sans doute la facilité qu’eurent les deux idiomes à s’assimiler. On croit que les sons e, è, u, qui sont restés dans notre langue, pro­ viennent de la prononciation gauloise ; il en serait de même du son nasal m et n, du ch, du j et des II mouillées. Les philologues esti­ ment à une centaine le nombre des mots celtiques restés dans la langue française, et celui des mots teutoniques à un millier.

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DES OlUGINES H

roces ; les arts et les lettres, apanage des vaincus, étaient pour eux un objet de mépris. Cependant la langue latine continue d’être en usage, tout en se corrompant de plus en plus au contact de la barbarie. Le clergé est toujours le dépositaire du savoir, en même temps qu’il défend avec courage les droits de l’humanité et de la religion, souvent violés par les barbares.

Ainsi, au vie siècle, s a in t C é s a lr e (470-542), d’Arles, soutient dignement la tradition apostolique; il était sorti du monastère de Lérins. devenu une pépinière de savants et vertueux évêques. Ses Sermons et ses Homélies sont empreints d’une douce et charmante familiarité.

F o r tiu ia f (530-609), évêque de Poitiers, est le der nier représentant de la poésie en Gaule jusqu’à Charle magne. Il se trouva à la cour du roi Sigebert au moment du mariage de ce prince avec Brunehaut, et le célébra en composant un épithalame d’un goût tout mytholo­ gique. Il se fixa ensuite à Poitiers, auprès de sainte Ra- degonde, femme de Clotaire I", qui y vivait dans un cloître, et il devint l’intendant, le secrétaire de cette princesse. C’est là qu’il composa, à côté de beaucoup de petites pièces de vers puériles et monotones, plu­ sieurs hymnes chantées encore dans les cérémonies du culte catholique (I).

S a in t G ré g o ire d e Tours (539-593), né en Auvergne, d’une famille de sénateurs, est l’historien de cette épo­ que; sans son Histoire ecclésiastique des Francs, nous n ’aurions aucun renseignement sur les faits qui suivirent la conquête de Clovis.

Saint Grégoire fut un grand évêque : son mérite le fit élever au siège de Tours, si important alors par le tom­ beau de saint Martin. Il lutta avec une noble fermeté

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contre la conduite criminelle de Chilpéric et de son épouse, la cruelle Frédégonde ; toute sa vie fut un com­ bat en faveur de l’Église et des opprimés.

Grégoire de Tours, dans son histoire, n’est pas sa­ vant; il avoue lui-même son ignorance, et déclare qu’il écrit en style rustique; mais il est simple et naturel, et n ’en peint que mieux l’époque rude et barbare qu’il raconte ; on oublie ses défauts en faveur de l’intérêt qu’il inspire (1).

A la fin du vie siècle, les ténèbres de l’intelligence deviennent plus épaisses : toute culture de l’esprit semble disparaître. L’Église seule en conservait le dépôt à l’état latent, toute prête à en provoquer le réveil sous une impulsion favorable. Ce qui vit toujours et ne s’é­ teint pas dans la mémoire populaire, ce sont les bien­ faits de l’enseignement chrétien, ce sont la vie et les miracles des saints, des martyrs, dont le recueil a con­ stitué depuis la vaste collection des Bollandistes, sous le titre d’Acfes des Saints (Acta Sanctorum). Le jésuite Bolland, qui lui a donné son nom, avait été précédé dans ce travail par le P. Rosweyde, de la maison

d’An-(1) a La culture des lettres s’éteignant ou plutôt périssant dans les villes de la Gaule, pendant que le bien et le mal s’y commettaient également, et que s’y déchaînait la férocité des barbares ou la fureur des rois... et qu’il ne pouvait se trouver un seul grammairien sa­ vant dans la dialectique pour retracer toutes les choses, soit en prose, soit en vers, la plupart en gémissaient souvent, disant : « Malheur « à notre temps ! car l’étude des lettres a péri parmi nous, et l’on « ne rencontre plus personne qui puisse mettre par écrit les événe- « ments présents. » Ces plaintes et d’autres semblables, répétées chaque jour, m’ont décidé à transmettre au temps à venir la mémoire du passé ; et, bien que parlant un langage inculte, je n’ai pu taire Cependant ni les entreprises des méchants, ni la vie des hommes de bien. Ce qui m’a surtout excité, c’est que j’ai souvent ouï dire que peu d’hommes comprennent un rhéteur qui parle en philosophe ; presque tous, au contraire, un narrateur qui parle comme 1( vul­ gaire {quia phitosophantem rhetorem iritelligmt pauci, toqueutem rusticum multi), »

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DES ORIGINES. 13

vers. Il en refit le plan, en suivant l’ordre du martyro­ loge et du calendrier. Après vingt-cinq ans de travaux, avec l ’aide d’un collaborateur dévoué, il n’avait pu ter­ miner que les deux premiers mois de l’année. L’impres­ sion commença en 1630. L’œuvre fut continuée, inter­ rompue, puis reprise en 1836, et le tome LIY° parut en 1847. L’achèvement en est prochain. C’est un trésor inestimable, non seulement pour l’Eglise, mais encore pour la littérature et pour l’art.

La légende, récit naïf et populaire, est le principal élément littéraire de ces siècles d’ignorance et d’obscu­ rité. Par elle se transmettent les traditions et les souve­ nirs. Elle est la source poétique dont s’empareront les conteurs et les poètes, en groupant leurs récits autour de deux héros principaux, Charlemagne et le roi Arthur. RENAISSANCE SOUS CHARLEMAGNE (768-814) Il fallait une main vigoureuse, un homme de génie, pour relever l’esprit humain de la dégradation où il était tombé : la Providence suscita cet homme, qui fut Charlemagne.

La vie de Charlemag ,e offre deux côtés bien distincts: ses grandes guerres contre les barbares qui continuaient l’invasion, tels que les Saxons en Germanie, les Avares sur le Danube, les Lombards en Italie et les Sarrasins en Espagne ; ensuite ses efforts constants pour civiliser les peuples qu’il gouverne.

C U a r le m a g n e comprenait que l’épée ne suffit pas pour fonder un empire ; qu’il faut y joindre la religion, les lois et la science. Son premier soin fut de rétablir la discipline ecclésiastique, de réorganiser les écoles et

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l’enseignement. Il écrivit aux évêques pour les exhorter à faire revivre les études. La circulaire qu’il leur adressa en 786 est un curieux document : il représente au clergé qu’il est inconvenant de prier Dieu en mauvais langage ; que les prêtres doivent étudier pour comprendre les beautés des saintes Écritures et ne pas être exposés à l’erreur.

Grâce à sa vigoureuse impulsion, des écoles s’élevè­ rent de toutes parts : chaque église, chaque couvent eut la sienne ; il y en avait une dans le palais impérial, où les enfants de l’empereur étudiaient au milieu des autres écoliers ; lui-même surveillait tout, et l’on raconte qu’un jour il tança vertement quelques jeunes nobles dont il trouva les compositions mauvaises.

Malheureusement les hommes instruits manquaient à Charlemagne. Par ses bienfaits, il attira à sa cour des étrangers de distinction. Le premier est l’Anglais

A lc u in , l’homme le plus savant de son temps, qui dirigea l’école du palais, et plus tard celle de Saint- Martin de Tours. Viennent ensuite P ie r r e d e P ls e ,

W a r n e f r i d , historien des Lombards, tous deux en­ levés à l’Italie; K g ln iin r d , élevé avec les enfants de Charlemagne, et qui devint son secrétaire, peut-être même son gendre; il nous a laissé la vie du grand em ­ pereur; A n g iiiie r t, assez bon poète; T n ritln ou Tilpin, archevêque de Reims, auquel on attribua, mais à tort, la chronique fabuleuse intitulée : Vie et gestes de

Charles le Grand et de Roland, livre qui paraît être du

xie siècle.

Pour mieux vaincre toutes les résistances, l’empereur donnait lui-même l’exemple de l’étude : pendant ses repas, il se faisait lire la Cité de Dieu de saint Augustin. La nuit, il plaçait sous son chevet des tablettes, pour s’exercer à tracer des caractères dans les intervalles de

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DES ORIGINES. IS son sommeil. Éginhard, qui rapporte ce fait, ajoute qu’il ne réussit jamais bien dans son travail, parce qu’il avait commencé trop tard. On a voulu conclure de ce passage que Charlemagne ne savait pas écrire; mais il est plus probable qu’il ne parvenait pas à se distinguer dans la calligraphie, art d’autant plus estimé alors qu’il n’y avait encore que des manuscrits. Enfin nous savons qu’il com­ posa une grammaire tudesque, et fit faire un recueil des vieux chants de la Germanie, travaux aujourd’hui perdus.

Au milieu de son palais, Charlemagne avait aussi créé une Académie où il aimait à s’entourer de tous les savants de sa cour. On y agitait une foule de questions littéraires et théologiques. Dans ces réunions, chaque académicien prenait le nom d’un homme célèbre de l’an­ tiquité : Angilbert se nommait Homère, Alcuin Horace, Charlemagne s’appelait David.

N’oublions pas de citer les ordonnances de Charle­ magne connues sous le nom de Capitulaires : c’est un recueil où se révèle la sagesse autant que le génie de celui qui l’a dicté (1).

(1) Oïl a egalement attribué à Charlemagne les Livres Carolins, ou­ vrage écrit au moins sous son inspiration, et concernant la querelle des Iconoclastes.

Voir Guizot, Ilisl. de la civilisation en France ; Ampère, List. tilt, de ta France avant le xue siècle; Ozanam, le Christianisme chez les Francs.

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DEUXIÈME ÉPOQUE

D IT E D U M O YEN AGE

Depuis le serment de 842 jusqu’à la renaissance s ousFrançois I", 1515.

ÉTAT DE LA LANGUE ET DE L’INTELLIGENCE A TRÈS CHARLEMAGNE.

.près la mort de Charlemagne, le mouvement qu’il avait provoqué s’arrête. Son fils, Louis le Débonnaire, prince pieux, mais sans énergie, voit des enfants ingrats se révolter pour lui arracher sa couronne; les troubles civils tendent à replonger l’empire dans la barbarie.

En 841, Lothaire livre à ses deux frères, Louis le Germanique et Charles le Chauve, la sanglante bataille de Fontenay ; ceux-ci sont vainqueurs, et l’année sui­ vante, à Strasbourg, ils se font un serment mutuel de fidélité et d’alliance. Ce serment, qui nous a été con­ servé par Nithard, historien du temps (1), est intéres­ sant en ce qu’il nous offre l’un des premiers monuments connus de la langue vulgaire; il nous prouve que la langue latine, altérée dans ses formes par une ignorance croissante, avait été remplacée par un idiome encore

(1) Nithard était filsd’Angilbertet de Berthe, fille de Charlemagne r son livre a pour titre : Histoire des divisions entre tes fils de Louis le Débonnaire.

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17 DU M O Y E N Â G E .

grossier, véritable souche de la langue irançaise ac- ^ tuelle (1).

On peut trouver, dès le vi* et le vu0 siècle, les premiers vestiges de la langue vulgaire, source du français mo­ derne. On distinguait dès lors la langue romane du tudesque et du latin, et saint Mummolin, élu évêque ? v de Noyon, fut choisi, dit son historien, parce qu’il comprenait bien l’une et l’autre langue. Le Glossaire de Reichenau, récemment découvert, donne l’expli­ cation en langue vulgaire de certains termes latins de la Bible; il date de l’année 768, celle qui vit monter

(1) EXTRAIT DU SERMENT DE 842

ENTRE LOUIS LE GERMANIQUE ET CHARLES LE CHAUVE.

TEXTE EN LANGUE ROMANE.

Pro Deo amiir et pro Christian poblo et nostro commun salva- ment, d’ist di in avant, in quant Deus savir et podir me dunat, si salvarai eo cist meon fradre Karlo et in adjudlia et in cadhuna cosa, si cum om per dreit son fradre salvar dist, in o quid il mi altre si fazet. Et ab Ludher nul plaid num- quam prendrai, qui meon volcist meon fradre Karle in damno sit.

TRADUCTION LITTÉRALE.

Pour (de) Dieu l’amour et pour (du) chrétien peuple et notre com­ mun salut, de ce jour en avant, en tant que Dieu savoir et pouvoir me donne, ainsi sauverai-je celui- ci mon frère Charles, et en aide et en chaque chose, si comme on par droit son frère sauver doit, afin que il à moi autant en fasse. Et de Lothaire nul accommodement ja ­ mais (ne) prendrai qui, à ma vo­ lonté, à celui-ci mon frère Charles en dommage soit.

SERMENT DES SEIGNEURS.

TEXTE EN GALLO-ROMAIN. TRADUCTION LITTÉR ALE.

Si Lodhuvigs sagrament que n fradre Karlo jurât conservât, et Karlus meos sendra de suo part non los tanit, si io returnar non lint pois, ne io ne nuels cui eo returnar int pois, in nulla adju­ r a contra Lodhuvigs nun lin iver.

Si Louis (le) serment, que son frère Charles jure, conserve, et Charles mon seigneur de sa part ne le tient, si je détourner ne l’en puis, ni moi, ni nul que je détour­ ner en puisse, ep nulle aide contra Louis ne lui ir%i.

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Charlemagne au trôpe. Le concile de Tours, en 813, ordonne aux évêques de faire traduire les écrits des Pères en langue romane ou thiostique, pour qu’ils puissent être compris de tous. Enfin, dès le x® siècle, cet idiome vulgaire peut déjà servir d’interprète à la poésie, comme le prouve la Cantilene de sainte Eulalie, qui commence ainsi :

« Buona pulcella fut Eulalia ; « Bel avret corps, bellezour anima. « Voldrent la veintre H Deo inimi, « Voldrent la faire diaule servir.

« Eulalie fut une bonne vierge; elle avait beau corps et plus belle âme. Les ennemis de Dieu voulurent la vaincre, voulurent lui faire servir le diable. »

La langue romane, dérivée directement du latin (romain), fut parlée, avec des différences locales, dans tous les pays qui avaient subi la domination romaine ; nous la trouvons donc en Italie, en France et en Espagne. Chacune de ces contrées lit sa langue d’après son génie propre, ses habitudes de prononciation et l’adjonction plus ou moins grande des éléments étrangers. Le fonds commun est le latin; le reste tient au caractère na­ tional. L’italien est plus près de la langue mère; le français en est le plus éloigné. La géographie suffit à expliquer ces variations, en y joignant l'influence plus ou moins forte de l’invasion barbare.

En France même, la diversité d’idiome s’accusa for­ tement entre le Nord et le Midi. Il y eut réellement deux langues, sans compter de notables différences d’une province à l’autre; elles se retrouvent encore de nos jours dans les patois populaires. La langue du Nord, ou roman-wallon, a pris le nom de longue d'oïl; celle du Midi s’appela langue d’oc, ou langue provençale (1). On (1) Oc signifie oui, et vient du latin hoc; oïl a la mêiûv,

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DU MOYEN AGE.

peut prendre la Loire comme ligne de séparation assez exacte entre ces deux dialectes. Comment la langue du Nord a-t-elle fini par prévaloir, par devenir la langue littéraire de la France, et comment celle du Midi, qui l’emportait d’abord en grâce, en souplesse, en har­ monie, s’est-elle éclipsée dans le dédain et l’oubli, c’est ce que nous allons expliquer par la suite de cette étude.

Il suffit d’interroger l’histoire pour constater que le midi de la France reçut de l'occupation romaine une empreinte plus forte et plus durable que le nord, et, en même temps, que l’invasion barbare y pesa moins long­ temps, moins lourdement que sur le reste du pays. Le royaume des Francs avait au nord son centre d’action, et il eut plus souvent à défendre le Rhin que les Pyré­ nées. Quand l’empire de Charlemagne fut dissous, la Gaule méridionale devint à peu près indépendante : elle n’eut pas à subir les sanglantes divisions qui agi­ tèrent le Nord, non plus que les terribles dévastations des Normands. Les traditions latines y étaient restées vivaces ; l’esprit municipal s’y ranima promptement; la culture romaine se raviva sans peine; les grandes villes, comme Toulouse, Bordeaux, Narbonne, Arles, devinrent des centres de commerce et de luxe; il se forma des seigneuries puissantes, dont la domination fut propice au développement intellectuel. .

La chevalerie y brillait de tout son éclat. La douceur du climat, un certain esprit de liberté, le goût des plaisirs, et, de plus, des communications fréquentes avec les Maures d’Espagne, déjà fort avancés en civilisation comme en science, tout concourait à donner à cette tion et vient du latin illud. La l a n g u e italienne fut appelée langue de si (sic). Chaque langue a pris son nom d’un mot exprimant ¡’af­ firmation.

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partie de la France une prospérité, un état de culture qui n’avaient rien d’égal dans le reste de l’Europe. Il n'est pas étonnant que, sous ces influences diverses, sa langue se soit développée et fixée promptement, par une alliance heureuse de l’expression et de l’harmonie. Elle déploya avec aisance ces grâces naïves, ce tour ingénieux, cette allure vive et légère qui firent donner à ses productions le nom de gaie science, de gai

savoir. - /

Les poètes du Midi se nomment troubadours, du mot

trobar, trouver, inventer. Nous les voyons dans toutes

les cours, assidus auprès des seigneurs et des dames, chantant la gloire des uns, le mérite des autres, et * visant à recueillir honneur et profit. Ils paraissent dans toutes les fêtes, les tournois, les réunions, toujours accueillis avec faveur, chantant l’amour sous toutes les formes, et portant jusqu’au raffinement l'analyse subtile de la passion.

A côté des troubadours, il faut citer les jongleurs, qui les accompagnaient quelquefois pour chanter leurs vers, au son d’un instrument, guitare, mandore, viole ou rote. Les jongleurs faisaient diversion au chant par des tours d’adresse, des jeux de passe-passe, qui discré­ ditèrent peu à peu leur profession et les firent tomber dans le mépris. On vit pourtant des jongleurs s’élever au rang de troubadours et de chevaliers par leur talent à composer des vers.

Les compositions des troubadours sont des chansons (cansos), des pastourelles, des tensons, sortes de dialogues poétiques, des sirventes où la satire s’exerce souvent avec une virulente audace. Mais le caractère général de cette poésie est la grâce, la légèreté et l'harmonie bien plus que la richesse de l’invention ou la force de la pensée.

Le génie oriental jeta son reflet sur l’imagination des

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DU MOYEN AGE. 21

troubadours. La Catalogne fut unie à la Provence sous la domination de Raymond-Bérenger (1092); la gaie science florissait à la cour des comtes de Barcelone ; elle se trouva en contact avec cette civilisation arabe qui avait produit les merveilles des palais de Cordoue, de Grenade et de Séville ; elle y puisa plus d’une inspira­ tion; elle y gagna surtout la richesse de la forme et la savante harmonie du rythme.

Mais malgré cette facilité élégante, la poésie des trou­ badours n’atteignit jamais un haut développement : le printemps, la gloire et la beauté, tels étaient les sujets qu’elle traitait sans cesse en se jouant; la variété de la forme ne peut leur enlever un caractère général de fri­ vole monotonie. Ainsi, sur près de deux cents trouba­ dours connus, pas un qui se dessine fortement par ces grandes qualités d’invention et d’exécution qui caracté­ risent le génie. On peut voir dans cette faiblesse de conceptions et d'idées la cause principale qui empêcha la langue d'oc de devenir une véritable langue littéraire : une langue ne peut vivre et durer en effet que si le génie l’a consacrée par des chefs-d’œuvre.

Il y aurait donc peu d’intérêt et de profit à étudier ici en détail chacun de ces poètes de la langue d’oc, dont plusieurs sont de nobles chevaliers, de grands sei­ gneurs, des rois même, tandis que d’autres, de plus humble naissance, ne durent qu’à leur talent le titre envié de troubadour. Nous citerons seulement les plus connus d’entre eux : S o rd e l d e M a n io u e , célèbre par sa bravoure et ses aventures ; Dante parle de lui avec admiration dans son Purgatoire; A r n a u d d e M a rv e ll, pauvre §erf qui devint troubadour du vicomte de Béziers, et célébra les charmes de la comtesse Adélaïde, fille du comte de Toulouse, Raymond Y ; B e r n a r d d e v e n - la d o u r , G a u c e lm F a j d i t , P i e r r e V id a l étaient

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aussi d’humble origine, mais leurs vers les mirent au niveau des plus nobles seigneurs; A rn a u d D a n ie l a été célébré par Dante et par Pétrarque : ce dernier l'appelle le grand maître d ’amour; F e y r o ls d ’A u ­ vergne chanta la croisade à laquelle il prit une part glorieuse.

G u illa u m e i x , comte de Poitiers et duc d’Aqui­ taine, se distingua également par son esprit, par sa bravoure et par sa conduite violente et déréglée ; il partit, en 1101, avec une armée pour la croisade, dont il revint presque seul pour aller mourir dans un cloître.

B ertrand de B orn est un troubadour guerrier, un poëte batailleur dont les hardis sirventes font penser aux chants belliqueux de Tyrtée. 11 excita les fils de Henri II d’Angleterre à se révolter contre leur père; c’est pour cela que Dante, dans son Enfer, le représente portant à la main sa propre tète ensanglantée. Ce turbulent sei­ gneur perdit deux fois son château et finit sa vie dans un cloître (1).

(1 ) SISVENTE GUERRIER ' .

Bien me plaît le doux temps de Pâques Qui fait feuilles et fleurs venir ; Et il me plaît quand j'entends la joie

Des oiseaux qui font retentir Leur chant par le bocage ; Et il me plaît quand je vois sur les pr

Tentes et pavillons plantés ;

i Bem platz lo dous temps de pascor

Que fai foillas e flors venir ; E platz me quan aug la boudor Dels auze s que fan retentir

Lor cant per lo boscatge ; Et platz mi quan vei sobrels praez Tendaz e pavaiHos fermatz ;

E ai gran allegratge, Quau vei per campaigna rengatz

* Cavalier e cavals armatz.

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DU MOYEN AGE- 23

R ic h a r d C œ u r -d e -I d o n (1157-1199), si célèbre par ses exploits chevaleresques à la troisième croisade,

Et j ’ai grande allégresse,

Quand je vois rangés dans la campagne Cavaliers et chevaux armés. Et il me plaît quand les courriers

Font fuir les gens et leur avoir (leurs troupeaux) ; Et il me plaît quand je vois après eux Grande foule d’hommes armés rugir ensemble j

Et il plaît à mon courage, Quand je voix châteaux forts assiégiés Et faubourgs détruits et effondrés ; Et que je vois l’armée sur le bord Tout à l’entour clos de bons fossés Garnis de palissades et de pieux. Et de même me plaît le seigneur, Quand il vient le premier à l’attaque,

A cheval, armé, sans crainte, Et qu’aussi il donne aux siens de la hardiesse

Par ses vaillantes prouesses ; Et, dès que le combat est engagé,

Chacun doit être disposé Et le suivre de bon gré ; Car on n’est en droit d’être prisé

Qu’autant qu'on a donné et reçu maints coups. Nous verrons, à l’entrée du combat, lances et épées Briser et dégarnir casques de couleur et écus, et maints Vassaux frapper ensemble ; et ensuite errer à l’aventure

Chevaux des morts et des blessés. Et quand ils seront entrés en bataille, Que nul homme de haut parage

Ne pense plus qu’à trancher têtes et bras ; Car mieux vaut un mort qu’un vivant vaincu. Je dis que n’a pas autant de saveur pour moi

Le manger, le boire ni le dormir, Comme lorsque j’entends crier : A eux I Des deux parts ; et lorsque j’entends hennir Chevaux à vide à travers l’herbage ; Et que j’entends crier : A l'aide! à l’aide!

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cultiva aussi la gaie science qu’il avait apprise dans les cours du Midi. A son retour d’Orient, l'empereur Henri YI le retint prisonnier pendant dix-huit mois dans un château d’Allemagne (1). Une légende, petit êlre fabuleuse, raconte que le lieu de son séjour fut décou­ vert par son ami, le troubadour Blondel, qui eut la pensée d’aller de château en château, répétant les chan­ sons composées par le roi, et qu’il reconnut le prince dont la voix continua, du fond de sa prison, la chanson commencée par son féal serviteur (2).

Petits et grands à l’ombre,

Et que je vois les morts qui à travers les côtes Ont les pennons de lance qui les ont traversées Noble comtesse, on vous tient pour la meilleure

Qu’on puisse voir en tout le monde, Et pour la plus charmante

Qu’on ait jamais vue et qu’on voie maintenant ; Béatrix, de haut parage,

Bonne maltresse en parole et en faits, Source d’où jaillissent toutes les beautés.

Belle hors de pair,

Votre riche mérite est si grand Que sur tous il est élevé.

(1) Le château de Diernstein, ou Dürrenstein sur le Danube.

(2) SIRVENTE.

Si prisonnier ne dit point sa raison

Sans un grand trouble et douloureux soupçon, Pour son confort qu’il fasse une chanson. J ’ai prou d’amis, mais bien pauvre est leur don 3 Honte ils auront, si, faute de rançon,

Je suis deux hivers pris.

Qu’ils sachent bien, mes hommes, mes barons, Anglais, Normands, Poitevins et Gascons, Que je n’ai point si pauvres compagnons, Que pour argent n’ouvrisse leurs prisons.

Point ne les veux taxer de trahisons, Mais suis deux hivers pris 1

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DU MOYEN AGE. 25

La poésie provençale fut principalement lyrique : là est son mérite et son charme. Encore ce lyrisme est-il plus dans la variété du rythme, dans la grâce et l’har­ monie des vers que dans la force de la pensée et de l’émotion. Elle ressemble à une mélodie musicale qui berce l’âme plutôt qu’elle ne la pénètre profondément. C’est par erreur et prévention qu’on lui a attribué la création des chansons de geste qui font la gloire des poètes du Nord. Sauf quelques romans chevaleresques, tels que Girart de Roussillon et la Belle Maguelone, la langue d’oc n’a presque rien à opposer à ces grandes épopées narratives où excella le génie plus inventif et plus fécond des poètes de la langue d’oïl.

D’abord si riante et si insoucieuse, la poésie des trou­ badours incline au xn' siècle vers la satire, et, dans le siècle suivant, nous la voyons s’éteindre en exhalant des chants de haine et de vengeance. Le principal repré­ sentant de cette veine satirique est P ie r r e C a r d in a l,

que ses hardis sirventes ont fait surnommer le Juvcnal Pour un captif, plus d’ami, de parent ;

Plus que ses jours, ils épargnent l’argent Las 1 que je sens me douloir ce tourment I Et si je meurs dans mon confinement, Qui sauvera le renom de ma gent ?

Car suis deux hivers pris !

Point au chagrin ne voudrais succomber I Le roi français peut mes terres brûler, Fausser la paix qu’il jura de garder ; Pourtant mon cœur je sens so rassurer : Si je l’en crois, mes fers vont se briser :

Mais suis deux hivers pris ! Fiers ennemis, dont le cœur est si vain, Pour guerroyer attendez donc la fin De mes ennuis : me trouverez enfin Dites-le-leur, Chail et Pensavin,

Chers troubadours, qui me plaignez en vain : Car suis deux hivers pris !

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de la Provence. Bientôt la croisade des Albigeois vint porter un coup fatal au génie poétique de la langue d’oc.

La licence et la corruption avaient fait de grands progrès dans les cours du Midi; à la faveur de cette liberté de mœurs, une hérésie de date ancienne qui se rattachait au manichéisme, l’hérésie des Albigeois s’était insinuée partout et trouvait des partisans ou des protecteurs auprès des princes ; Raymond, comte de Toulouse, lui accorda ouvertement son appui. Le légat Pierre de Castelnau ayant été assassiné sur les terres de ce seigneur, le pape Innocent III excommunia Raymond et fit prêcher une croisade contre les Albigeois. Les hommes du Nord saisirent avidement cette occasion d’écraser ceux du Midi, et tout ce beau pays fut mis à feu et à sang. Peu à peu les troubadours disparurent, les chants cessèrent, et celte langue si suave, si poéti­ que, fut arrêtée dans son essor. Pourtant le peuple du Midi l’a conservée jusqu’à nos jours, mais sans qu’elle ait pu reprendre un caractère littéraire.

Au xive siècle (1323), Toulouse fit une tentative pour ressusciter le gai savoir, en établissant les Jeux Floraux, dont une femme célèbre, nommée C lé m e n c e i s a u r e ,

passe pour la fondatrice, quoiqu’on ne sache rien de positif sur sa vie. Les Jeux Floraux, érigés en Académie à la fin du xvne siècle, subsistent encore aujourd'hui; on y distribue toujours la violette, Vamarante, Véglantine, le souci, le lis, la primevère; mais les pièces couronnées sont en langue française. Cette cérémonie, appelée fêle

des fleurs, a lieu le 3 mai au Capitole de Toulouse.

Il faut signaler le réveil qui s’est produit dans notre siècle en faveur de la langue et de la poésie provençales. L’élan fut donné par le poële-perruquier J a s m i n , dont les pièces naïves et spirituelles furent applaudies dans tout le midi de la France et couronnées aux Académies.

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DU MOYEN AGE. 27

R o n r n a n i i i e e t m i s t r a l o n t c o n t i n u é a v e c s u c c è s c e m o u v e m e n t p o é t i q u e : c e d e r n i e r s ’e s t s u r t o u t f a i t r e m a r ­ q u e r p a r u n e j o l i e é p o D é e r u s t i q u e , M ir e io{Mireille)( 1 ) .

LANGUE D’OIL

LES NORMANDS. TROUVÈRES. — CHEVALERIE.

Au moment où la langue d’oïl se formait en se déga­ geant du latin, un peuple apparut pour se l’approprier et y mêler quelques éléments nouveaux : c’étaient les

Normands. fi-ipv' ! t' !

Sortis de la Scandinavie, les Normands, au ixe siècle, couvrent les mers du Nord de leurs barques légères; ils

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se rient des dangers, recherchent les aventures, et

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surtout le butin. Ils pénètrent par l’embouchure des fleuves; ils ravagent à plusieurs reprises les côtes de France et d’Angleterre; ils font même le siège de Paris, et Charles le Simple, ne pouvant plus leur résister, fait un traité avec Itollon, l’un de leurs chefs (911); il lui donne la main de sa fille Gisèle, avec la belle province de Neustrie pour dot.

Rollon devient chrétien avec son peuple, et, chose singulière, ces pirates, naguère si féroces, se plient sans peine au joug de la civilisation en adoptant rapidement

ir» f»t T o c m n o i i r c H o c v o î n p n c • o n l i n m n f i l c

la langue et les moeurs des vaincus; en un mot, ils deviennent Français.

A une raison fine et déliée les Normands joignaient une imagination vive et le goût des aventures

extraordi-(1) La littérature provençale a été l’objet de nombreux travaux cri­ tiques. Raynouard publia une Grammaire romane et. une Collection des poésies originales des Troubadours Fauriel composa [’Histoire de la poésie p'Cvençale; llarret, les Troubadours et leur influence. Un savant allemand, Diez, a fait aussi sur cette matière de nombreux travaux qui ont rectifié et complété les recherches antérieures.

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naires; si l’on y ajoute le caractère chevaleresque des Francs, l’esprit droit et positif des Romains, le génie narquois, satirique et léger des Gaulois, on a à peu prçs tous les éléments qui sont entrés dans la formation de- l’esprit français.

Non contents d’avoir adopté la langue française, les- ■ Normands la transportèrent avec eux en Angleterre ainsi que dans les Deux-Siciles. Guillaume le Conque- ^ rant, maître de l’Angleterre par la bataille de Hastings, en J 066, imposa à ce pays la langue française, qui y fut pendant trois siècles la langue officielle, la langue ^ aristocratique : voilà pourquoi l’anglais est encore mêlé < d’une foule d’expressions françaises ; enfin les premiers trouvères qui écrivirent en langue d’oïl sont anglo- ; normands.

Au xie siècle, la société féodale est assise, régulière­ ment organisée. Après l’an 1000, époque fatidique et redoutée où l’on attendait la fin du monde, l’humanité se reprend avec bonheur à respirer et à vivre. C’est comme une renaissance ; elle se manifeste par un élan plus vif de foi reconnaissante. « Il semblait, dit un chroniqueur de l’époque (Glaber), que le monde, en se 1 secouant, voulût dépouiller sa vieille enveloppe pour se 1 revêtir partout d’une blanche robe d’églises. » Cette foi ardente et forte, la chevalerie naissante va l’appuyer de j ses plus héroïques efforts en opposant aux invasions-

J

de l’Islam les merveilleuses expéditions des croisades.

Quelle sera la littérature de cette société nouvelle, née de la force et de la conquête, mais profondément pénétrée de la foi religieuse ? Elle reflétera fidèlement les mœurs et les caractères de l’époque : la grandeur mêlée à la violence, l’esprit d’aventures, le besoin d’action, le mépris du danger et de la mort; avec cela une sou­ mission docile à l’Église, le respect des femmes, la

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DU MOYEN AGE. 29

loyauté, la fidélité au serment, le dévouement absolu au chef, au suzerain, ce qui s’alliait très-bien avec - l’esprit d’indépendance; en un mot, Vhonneur, vertu nouvelle, chrétienne et chevaleresque, source d’actions héroïques, véritable titre de noblesse des nations mo­ dernes. Tels sont les sentiments, les vertus, les passions dont nous trouvons l’expression dans les œuvres litté­ raires de cette période. La Chanson de Roland nous en offrira le premier et le plus beau modèle.

On peut dire que la société féodale se résume dans l’institution de la chevalerie. L’initiation à la vie mi­ litaire par la remise des armes était une coutume ger­ manique. Tacite en fait mention dans ses Mœurs des

Germains. « Le jeune homme, dit-il, est revêtu chez

eux de l’écu et de la framée; c’est là leur toge, premier honneur de la jeunesse. » Au moyen âge, c’est la même coutume avec des cérémonies différentes. L’Église, as­ sociée à tous les actes de la vie, donne à celui-là sa consécration solennelle.

A peine sorti de l’enfance, à sept ans, le jeune noble était attaché à un seigneur en qualité de page, varlet ou damoisel ; il exerçait toutes les fonctions de la do­ mesticité auprès du châtelain ou de la châtelaine. Vers quatorze ans, il devenait écuyer, apprenait à manier les armes, suivait son maître à la chasse et à la guerre, soignait son armure et son destrier. Quand le jeune homme avait gagné ses éperons par quelque prouesse, il était admis aux honneurs de la chevalerie. Il faisait la veillée des armes dans l’église; le jeûne, la confession, la communion précédaient l’initiation solennelle. On revêtait le candidat d’une tunique blanche, symbole de pureté, puis d’une robe rouge, pour mon trer que son sang devait couler dans les combats, enfin d’une robe noire, emblème de la mort. Après les trois coups de plat d’épée

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sur l'épaule, signe de l’investiture militaire, il recevait l’accolade qui 1 initiait à la fraternité chevaleresque, puis il endossait son armure, recevait l’épée bénite,« chaussait les éperons dorés, s’élançait sur son cheval, et chacun devait reconnaître en lui un féal chevalier. Son serment l’obligeait d’accomplir rigoureusement les de­ voirs énumérés dans le Gode de la chevalerie; le senti­ ment de l’honneur, sanctionné par la religion, en était la sauvegarde la plus sûre.

De telles mœurs, un tel état social devaient parler à l’imagination ; aussi la poésie ne lui fit-elle pas défaut ; les trouvères, comme les troubadours, en furent les interprètes. Ce fut comme une éclosion spontanée, natu­ relle; faute de savoir, on n ’imitait pas; on suivait les traditions nationales avec une ignorance naïve, une bonne foi qui avait plus de charme que de grandeur. De là sortirent des chants gracieux, et surtout devastes épopées, dénuées de proportion et d’art, mais qui ont pour elles la richesse des détails et la vérité des pein­ tures, les Chansons de geste.

Quelle est l’origine de ces poèmes? Les critiques mo­ dernes la font remonter aux forêts de la Germanie. Tacite parle des antiques poésies qui servaient d’annales aux Germains, en célébrant le dieu Tuiscon, fils de la Terre, et son fils Mann. Ces chants nationaux se con­ servèrent en se multipliant. Éginhard rapporte que Charlemagne en fit un recueil pour les garder à la mémoire. 11 les puisa évidemment dans la tradition et dans les souvenirs de ces chanteurs, de ces jongleurs qui s’attachaient aux princes et aux chefs de guerre II en avait lui-même à sa cour, et ses grandes, actions devaient fournir ample matière à l’inspiration de leurs uccesseurs. Auixe siècle, le biographe de saint Luidger, ue de Munster, rapporte que ce prélat guérit mira­

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DU MOYEN AGE.

culeusement un aveugle que tout le monde aimait parce qu’il savait chanter les hauts faits des anciens et des rois (I). Les aveugles ont toujours eu le privilège de la poésie et du chant.

Ces poésies primitives, ces cantilènes, nées des événe­ ments et de l’inspiration des chanteurs populaires, sont la matière première des chansons de geste. Comme les

romances de l’Espagne, elles consistaient en fragments

assez courts, de forme narrative et lyrique ; elles pas­ saient de bouche en bouche et faisaient le fonds du ré­ pertoire des jongleurs qui ont précédé les trouvères. Peu à peu, la matière de ces chants s’est condensée, développée autour d’un héros légendaire; des écrivains plus ou moins habiles s’en sont emparés, ont composé ces longues épopées, ou chansons de geste, dont plu­ sieurs ont de trente à cinquante mille vers, et qui sup­ posent déjà plus de loisirs, plus de raffinement dans le goût des poètes et des auditeurs. C’est ce qui nous explique pourquoi un môme poème présente souvent plusieurs récits du même événement. 11 y a parfois dans un même chant jusqu’à cinq ou six variantes qui se suivent : preuve évidente de l’existence de ces chants primitifs sur lesquels travailla l’imagination féconde des trouvères. Ceux-ci n ’ont donc fait qu'étendre ou coor­ donner les poèmes des jongleurs, lesquels tombèrent dès lors au second rang, et se résignèrent au rôle de chanteurs et d’amuseurs publics.

Ce que nous avons dit des troubadours peut s’appli­ quer en partie aux trouvères, poètes de la langue d’oïl. Ils parcouraient aussi les châteaux et les cours. Les princes, les chevaliers, quand ils ne cultivaient pas eux- mêmes la poésie, se plaisaient du moins à protéger les

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poètes. Aussi l’arrivée d’un trouvère dans un de ces hauts manoirs où le seigneur vivait isolé avec sa famille, était une bonne fortune, une distraction qu’on accueil­ lait avidement; pages et chevaliers, dames et damoi- selles se groupaient pour entendre des chansons gra­ cieuses, ou de longs récits fantastiques qui célébraient les faits et gestes des anciens preux. Pour ces hommes toujours bardés de fer, les épopées chevaleresques étaient encore une école de vaillance et comme un écho des combats où ils brûlaient de s’élancer.

Les compositions des trouvères étaient des Chansons, qui ressemblaient assez à nos romances ; des Jeux-

Partis, analogues aux tensons des troubadours; des Sirventes, des Fabliaux ou Contes; mais surtout ces

longs Romans ou Épopées qui peignent si bien les mœurs chevaleresques, l’esprit d’aventure, l’ardeur guerrière dont étaient animés les chefs de la société féodale. Là est le caractère distinctif et la gloire nationale de nos vieux poètes de la langue d’oïl. 11 ne faut donc pas dire, avec Voltaire, que les Français n’ont pas la tête épique. L’épopée est, au contraire, le caractère dominant de notre vieille littérature ; on l’y trouve avec surabondance et satiété; toute l'Europe lui a fait des emprunts; mais il lui manqua la fixité, la maturité de la langue, et su r­ tout le génie d’un Homère ou d’un Dante pour créer quelque grande œuvre approuvée par le goût et digne de l’admiration des siècles.

Un mot seulement sur les chants lyriques des trou­ badours. Ce n ’est pas que la matière ne soit abondante : M. Paulin Pâris en a édité un recueil sous le titre de

Romancero français. Mais le sujet ne supporte guère

l’analyse, et la place manque pour les citations.

A u d e fr o y l e B a s ta r d a fait de gracieuses chansons, en forme de pe tits drames, où l’amour joue le principal

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