Patrick de Laubier
Soloviev et Maritain - pensuers de
l’éthique = Sołowiow i Maritain jako
myśliciele etyczni = Soloviev and
Maritain - Thinkers of the Ethics
Humanistyka i Przyrodoznawstwo 12, 65-77
2006
P a tr ic k d e L a u b ie r
U n iv ersité de G enève U n iw e rsy tet w G enew ie
SOLOVIEV ET MARITAIN - PENSEURS DE L’ETHIQUE
Sołowiow i Maritain jako myśliciele etyczni
Soloviev i Maritain - Thinkers of the Ethics
S ł o w a k l u c z o w e : dobro m o raln e, ety k a K e y w o r d s: m o ral rig h t, social an d political
społeczna i polityczna, chrześcijaństw o. ethic, C h ristian ity .
S t r e s z c z e n i e A b s t r a c t
W łodzim ierz Sołowiow i Ja c q u es M a rita in są odrębnym i przedstaw icielam i dw udziestow ie cznej filozofii c hrześcijańskiej, k tó rzy w c e n tru m sw oich z ain tereso w ań staw iali dobro m oralne. C echą w spólną ich tw órczości je s t ścisły zw iązek, jak i przydzielali filozofii i teologii w refleksji m oralnej, co je s t b ardziej w idoczne w filozofii Sołowiowa. Jed n o cześn ie sta ra li się aplikow ać zasady m o raln e do życia społeczno-politycznego. Rosyjski m yśliciel s ta ra ł się przeciw staw ić w zrastającem u wpływowi m ark siz m u w Rosji, n a to m ia s t M a rita in b u dow ał wizję h u m a n iz m u in teg raln eg o , k tó reg o celem było połączenie współczesnej dem okracji z w arto ściam i c h rześ cijańskim i.
W lodzim ierz Solowiow an d Ja c q u e s M a rita in a re d istin c t re p re se n ta tiv e s o f tw e n tie th -c en tu r y C hristian philosophy. B oth o f th e m w ere m ostly in te re s te d in m o ral rig h t. W h at th e y have in com m on in t h e ir c rea tio n is th e connection b e tw een philosophy an d theology in a m oral th o u g h t, w hich is b e tte r visible in Solowiow’s philosophy. S im u ltan eo u sly th e y trie d to apply m oral ru le s to socio-political life. R u ssian th in k e r trie d to oppose risin g influence o f com m u nism in R ussia, w h ereas M a rita in w as co n stru c tin g a vision o f th e in te g ra l h u m an ism , w hich w as m ad e to connect m o d ern dem ocracy w ith C h ristia n values.
V ladim ir Soloviev (1853-1900) et Jacques M aritain (1882-1973) sont deux philosophes chrétiens de race, qui o nt laisse des œuvres considérables p a r leur originalité, leur profondeur et la qualite du style. Nous ne retiendron s ici que la philosophie m orale, qui occupe u n e place centrale dans leurs reflexions. Soloviev est u n orthodoxe convaincu, en difficulte chronique avec les auto rites politiques tsa riste s auxquelles l’Eglise russe e ta it soumise. Sa philosophie religieuse qui me lait philosophie et religion, p rit parfois les tra its d ’une gnose chretienne.
M aritain, qui se convertit en 1906 au catholicism e, avait épousé une juive russe et son catholicism e ne connut aucun flechissem ent au point que sa propre evolution vis-à-vis des affaires du m onde anticipa et influenca celle de l’enseignem ent de l’Eglise catholique au lendem ain de V atican II.
Les deux philosophes, on l’a note, sont chrétiens et s ’accordent pour donner au Bien une place centrale dans leur philosophie m orale. C’est la volonte de faire le bien qui fait la m oralite d ’u n acte et cette action est conforme à la raison. L ’u n et l’a u tre voient dans le christianism e, dans le C hrist, la force qui p erm et à la m oralite de tro u v er u n achèvem ent que ni P laton ni A ristote n ’envisageaient. Soloviev est p lutô t platonicien et M aritain, thom iste original, se refere plus volontiers il Aristote.
On p eu t voir dans ces deux a u te u rs deux figures caractéristiques du genie oriental et du genie occidental issus de la trad itio n greco-rom aine où a pris naissance le christianism e.
La Chine et l’Inde offrent des perspectives tre s differentes et les deux philosophes ont pris soin de se ren seig ner su r ces cultures qui n ’ont beneficie ni du „miracle g rec”, ni de l’annonce de l’Evangile.
Soloviev v eut donner à la philosophie m orale une base rationnelle qui puisse aussi in teg rer les valeurs religieuses dont le christianism e, pour lui, est le somm et. Le C hrist Dieu-homme rep résen te alors „rideal-réalise”. Il distin gue trois sen tim en ts fondam entaux, pudeur, pitie et pieté qui co n stitu en t la stru c tu re n atu relle de la m orale1: „Le vrai com m encem ent du perfection n em en t m oral consiste dans les trois sen tim en ts fondam entaux, qui sont in h eren ts il la n a tu re hum ain e et form ent sa v e rtu n aturelle: le sen tim en t de la pudeur, qui sauvegarde n o tre dignite superieure il l’encontre des usurp atio n s des instin cts anim aux; le sen tim en t de pitie qui etablit une egalite in térieure e n tre nous et les autres; et finalem ent le sen tim en t religieux, dans lequel s ’exprim e la reconnaissance p a r nous du Bien su prem e”2. Ce perfectionnem ent m oral est u n e œuvre à la fois personnelle, fam iliale et collective c’est „la prép aratio n de l’h u m an ite à l’ordre m oral absolu ou au Royaume de D ieu”.
Philosophie et theologie so nt associees et m ême unies plus que distinguees. Son style ap p arem m ent limpide n ’est pas toujours clair car Soloviev qui a beaucoup lu utilise de m ultiples sources dans l’elaboration de sa som m e ethique. Il se propose d ’en faire la synthese en theologien p lu to t q u ’en philosophe: „La réalité de la Divinité n ’esta pas une deduction de l’experience religieuse, m ais elle en est le contenu il y a Dieu en nous-donc II existe”3.
1 O n sa it que Soloviev vécu t u n e a n n ée à l ’académ ie théologique de S t Serge e t sans d ev en ir lui-m em e m oine, il tra n s p o se les tro is vœ ux m o n astiq u es d a n s sa philosophie m orale: la c h aste te dev ien t p u d e u r, p a u v rete, pitie e t obeissance piete.
2 V. So l o v i e v, L a ju s tific a tio n d u bien (1897), P a ris 1997, p. 470.
Au fond ce platonicien chrétien élabore une scolastique, ou systèm e or ganique, en u tilisa n t non pas A ristote, m ais la philosophie m oderne avec K ant, Schelling et une lecture personnelle d ’A uguste Comte (christianise)4. Dans les Leçons su r la divino-hum anite (1878-1880), il p a rla it de la Sophia comme „hum anité ideale et accomplie, etern ellem en t contenue dans l’etre divin intégral, c’est-à-dire dans le C h rist”5. V ingt ans plus ta rd dans la Justification du bien il ne m entionne plus la Sophia, m ais ecrit: „Le vrai fondem ent de l’ordre m oral parfait, c’est l’universalite de l’E sp rit du C hrist, capable de to u t em brasser et regenerer. De s lors, la tâche essentielle de l’h u m an ite est d ’accepter le C hrist, re n d a n t ainsi possible l’in carnation de Son E sp rit en tou te chose”6.
Le titre de son ouvrage que Soloviev tra d u isa it en francais p a r La vérité du bien ou philosophie morale p lu tô t que Ju stification du bien1 est ainsi à la fois une h istoire de la m orale et une an ticipation de son fu tu r developpem ent selon une „organisation indivisible d ’u n trip le a m o u r” envers Dieu (pieté), envers le prochain (pitie) et à l’egard de la création m atérielle (pudeur).
P o u r p rése n ter Jacques M aritain dont la vie a u ne duree qui est presque le double de celle de Soloviev, il fau t citer E tienne Gilson: „Nul m etaphysicien n ’a u ra trouve, dans la fam iliarité de l’eternel, le secret d ’une fam iliarité plus parfaite dans son commerce intim e avec les soucis quotidiens de son tem ps. Pas une question posee où que ce soit dans le monde, pourvu seulem ent q u ’elle trah isse l’inquietude sincere de la verite, que Jacques M aritain ne l’entende et ne lui donne réponse. Pas u n appel de ceux qui o nt faim et soif de justice auquel sa voix ne se soit jointe, que ce fu t celle de C esar ou celle du C hrist. L ittératu re, a rt, science, ethique, politique nationale ou in tern atio nale, on ne voit aucun dom aine de la vie et de la pensee de son tem ps q u ’il n ’ai personnellem ent habite, explore et reconnu ju s q u ’à l’extrêm e lim ite de ses frontieres, lieux n a tu re ls d ’u n e pensee atten tiv e à »distinguer po ur unir« [...]. Ce n ’est pas son m oindre m erite d ’avoir recrée au XXe siecle u n clim at spirituel comparable a celui du X lIIe siecle, où chacun disait la verite d ’une m aniere telle qu; au ssitôt dite elle cessait de lui a p p a rte n ir”8. Beau tém oignage v e n an t d ’u n h isto rien de la philosophie, philosophe lui-meme, qui, comme M aritain, s ’eta it mis à l’ecole du g ran d theologien medieval.
4 Schelling in P hilosophie de la R evélation ou P hilosophie p o sitiv e ré in tro d u it D ieu e t là rév élatiô n religieuse d an s là philosophie (idealiste). L ’œ uvre d ’A u g u ste Com te, th eo ricien du cu lte de l ’h u m a- n ite, à im p ressio n n e Soloviev qui le com bat d a n s sa th es e u n iv e rs ita ire sous titr é e „contre le p o sitiv ism e” e t le re tro u v e à là fin de sa vie (Idee d ’h u m a n ite 1898). L ’a u te u r du D iscours s u r l ’esprit p o s itif v o u laitêtre à là fois l ’A risto te e t le P a u l de T arse de l ’âge positiviste. Soloviev se ré clam a it de P la to n m ais son ch risto c en trism e com m ande to u te son œuvre.
5 V. So l o v i e v, Leçons s u r la d ivin o -h u m a n ite, tra d . P a ris 1991, p. 122.
6 Ibidem , p. 198.
7 L e ttre à T av e rn ie r d u 28 m ai 1897.
Soloviev et M aritain ne fu re n t q u ’episodiquem ent des professeurs, ils trav aillèren t le plus souvent en dehors des in stitu tio n s dans des contextes culturels et n atio nau x tres différents. On p e u t p a rle r de philosophie d ’in spiration chrétienne avec M aritain et de philosophie christianisee chez Solo viev.
1. Le B ien m oral ch ez Soloviev et M aritain
On v e rra successivem ent les prises de position des deux a u te u rs à propos du bien dans l’action m orale. „Tout comme dans le m onde anim al la necessite psychologique vien t s ’ajouter a la necessite m ecanique sans la supprim er, m ais aussi sans s ’y reduire - ecrit Soloviev - de même, chez l’hom m e, à ces deux especes de necessite vient s ’ajouter la necessite de l’idee et de la raison ou necessite m orale. Elle comporte essentiellem ent que les m otifs ou raisons suffisantes des actions des hom m es ne se b o rn en t pas aux images concretes et particulieres qui agissent su r la volonte au m oyen des sensations plaisantes ou deplaisantes, m ais que ces images peuvent etre rem placees comme m otifs et raisons suffisantes des actions de l’hom m e p a r l’idee rationnelle et universelle du bien agissant su r la volonte consciente sous la form e du devoir absolu ou, selon la term inologie de K ant, de l’im p eratif categorique. P a rla n t plus sim p lem ent, l’hom m e p eut faire le bien en dehors ou en contradiction de toutes considerations d ’in te re t egoïste, au nom de l’idee m e me du bien p a r respect pou r le devoir ou la loi m orale”9.
Soloviev in tro d u it aussi l’elem ent religieux n atu rel: „La religion n atu relle donne une sanction rationnelle à to u tes les exigences de la m oralite. Si nous supposons que la raison nous dit d irectem ent q u ’il est bon de soum ettre la chair a l’esprit, q u ’il est bon d ’aider les a u tre s et de reconnaître les droits d ’a u tru i comme les no tres, po u r obeir à ces exigences de la raison, il fau t croire en elle, croire que le bien que la raison reclam e de nous n ’est pas u ne illusion subjective, m ais a des fondem ents reels et exprim e la verite et que cette verite est grande et nous depasse. Ne pas avoir un e telle foi, c’est ne pas croire au sens de notre existence propres, c’est renonce a la dignite de l’etre raiso nn able”10.
Il affirm e, enfin, q u ’il fau t deux conditions pour choisir le bien, une connaissance suffisante de ce d ern ier et une receptivite: „La question se pose sous cette forme: en supposant une connaissance n e tte et complete du bien, un etre raisonnable peut-il se tro u v er tellem en t depourvu de receptivite p a r rap p o rt a u bien po ur le reje te r absolum ent et definitivem ent, et choisir le mal?
9 V. So l o v i e v, op. cit., p. 18
U n tel m anque de réceptivité p a r rap p o rt a u bien (par ailleurs p arfaitem en t reconnu) serait quelque chose d ’absolum ent irra tio n n el”11.
Cette approche consistant à donner une im portance déterm in an te à la connaissance du bien dans la decision m orale evoque Socrate et son g rand disciple P lato n pour lesquels la connaissance du bien decide de to u t en m atiere ethique. Selon A ristote au contraire: „pour la possession des v ertus, ju ste m e n t la force du savoir est negligeable, voire nulle, alors que les a u tre s dispositions loin d ’etre negligeables, peuvent tout. E t ce sont elles précisem ent qui survien n e n t à force d ’executer souvent ce qui est ju ste et te m p e ra n t”12.
M aritain, va plus loin encore q u ’A ristote en p ré se n ta n t les conditions concrètes de l’agir m oral à propos de l’acte de liberte chez l’enfant: „Il s ’a b stien t d ’une action m auvaise parce q u ’elle est m auvaise; donc il conna ît la distinction en tre le bien et le mal; il sait que le bien est à faire parce q u ’il est bien (ordre de la v aleur - obligation m orale) et il se decide effectivem ent pour le bien, to u rn a n t librem ent vers lui son ap p etit n a tu re l et necessaire de son bien ou du b on h eu r (ordre de l’exercice et de la finalité): m otivations qui tra n sc en d ent to u t l’ordre des desirs et des appetitions em piriques [...]. Ainsi faire le bien po ur l’am our du bien im plique necessairem ent [...] q u ’il y a u n certain ordre inchangeable et qui cependant n ’existe pas dans l’existence em pirique, qui existe dans l’esp rit comme vu et connu p a r l’esprit; disons u n ordre ideal auquel nos actions doivent etre consonantes et qui depend de n o tre etre meme et de ce que nous sommes dans no tre essence [...]. Bref, ce qui est im plique dans le p rem ier acte de liberte quand il est bon, c’est la notion d ’une norm alité ou loi des actes hum ains, loi natu relle qui transcende le m onde des faits p urs et sim ples”13.
Toutefois, non seulem ent la simple connaissance du bien ne suffit pas, m ais l’acquisition des vertu s p a r l’exercice que recom m andait A ristote, va se h e u rte r à une réalité existentielle que le philosophe grec ignorait savoir, un e n a tu re hum aine blessee qui exige la gràce po ur faire le bien: „Nous ne pouvons pas ignorer si n o tre ethique est une philosophie m orale adequatem ent prise, et si nous tenons compte de l’e ta t où se trouve concrètem ent, existentiellem ent, la n a tu re hum aine [...] q u ’aim er Dieu efficacem ent par-dessus to u t est depuis le peche d ’Adam, impossible à l’hom m e avec les seules forces de la n atu re. Il fau t pou r cela la gràce qui g uerit la n a tu re et qui sanctifie. O r quand l’enfant fait son choix po u r le bien honnete, ce choix nous l’avons vu, im plique que, du m eme coup, fut-ce sans le savoir, il ordonne sa vie à Dieu comme à sa fin
11 Ibidem , p. 22.
12 Ar i s t o t e, E th iq u e a N icom ache II 1105 bl, F la m m ario n 2004.
13 J. Ma r i t a i n, N e u f leçons s u r les notions p rem ieres de la ph ilo so p h ie m orale, OC T. IX, Tequi
ultim e, donc aim e Dieu plus que to u tes choses; d ’où il su it que le choix du bien honnete dans le prem ier acte de liberte n ’est possible q u ’avec la gràce san ctifian te”14.
2. La question du m al ch ez Soloviev et M aritain
Soloviev aborda la question du m al dans les Lecons su r la divino-hum anite (1880): „N ’ay an t pas de principe physique, le m al doit donc avoir u n principe m etaphysique. La cause efficiente du m al ne p e u te tre individuel dans sa m anifestation n atu relle dejà conditionnee, m ais l’etre dans son essence eter- nelle absolue, dont releve sa volonte initiale im m ediate. Si notre monde n a tu re l, qui gît dans le m al et est u ne te rre de m alediction et d ’exil où poussent les ronces et les epines, est la consequence ineluctable du peche et de la chute, ce n ’est evidem m ent pas en lui que se trouve le principe du peche et de la chute, m ais dans ce ja rd in divin où est plan te l’arb re de vie m ais aussi l’a rb re de la connaissance du bien et du mal; en d ’a u tre s term es, le m al ne p eut provenir initialem en t que du m onde a n te n a tu re l e te rn e l”15.C’est „Pàme du m onde” ou h u m an ite ideale et libre qui serait à l’origine du mal. C’est P laton dans Timée qui fo u rn it ici le vocabulaire sinon l’explication et il faud ra a tte n d re une experience personnelle du m al qui s ’exprim e dans le court récit su r l ’A n tich rist pour avoir une a u tre in te rp ré ta tio n du m al conforme à la Revelation chrétienne.
Dans La ju stifica tio n du bien, Soloviev evoque le m al en ces term es: „Dieu p erm et le m al dans la m esure où sa negation ou son an ean tissem en t cons titu e ra ie n t une violation de la liberte hum aine et seraien t donc u n plus grand m al puisque serait ainsi ren d u impossible dans le m onde le bien parfait, c’est-à-dire libre, d ’a u tre p art, Dieu p erm et le m al dans la m esure où il est possible à Sa Sagesse de tire r du m al u n plus g ran d bien ou la plus grande perfection possible - ce qui est la cause de l’existence du m al”16. U ne note indique q u ’il se borne ici à une réflexion de logique générale et q u ’il fau d rait pou r aborder ce sujet effectuer u n e „recherche m etaphysique su r la n a tu re de Dieu et de l’origine du m al dans le m onde”. F au te de cette approche, précise-t- il, on doit se bo rn er à eviter personnellem ent le m al et à co nstater que la possibilite du m al p eu t resu lte r en u n plus grand bien17. Ce tra ite m e n t du m al
14 Ibidem , p. 127. Il cite alors S t T hom as in d iq u a n t que si le p re m ie r acte de lib e rte s ’o rd o n n e à là v raie fin qui e st le b ien com m e v a le u r u n iv erselle, il te n d m êm e in co n sciem m en t v ers D ieu com m e fin u ltim e, il e s t delivré d u péché originel. Il p e u t ig n o rer le C h rist, m ais c ’e s t d an s là grâce du C h rist q u ’il te n d à sa fin u ltim e p a r là c h a rite theologale.
15 V. So l o v i e v, Levons..., p. 133-134.
16 V. So l o v i e v L a ju stifica tio n ..., p. 177.
p a r preterition fu t soudainem ent complete dans la dernière œuvre de Soloviev p a r u n recit su r l’Antichrist, incarnation hum aine du mal.
Ce recit d ’une q uarantaine de pages commence p a r l’evocation du „pan mongolisme” qui inquietait vivem ent Soloviev18. On assiste ensuite a l’avene- m ent de l’Antichrist, ascete et philanthrope, qui s ’impose comme nouvel Em pereur rom ain de l’Europe unie, s ’adjoint u n pontife, Apollonius, eveque catholique inpartibus infidelium , grand Magicien, et entreprend de controler les Eglises en organisant u n Concile a Jerusalem . Il se h eu rte a une faible m inorite de chretiens authentiques rassem blee a u to u r de Pierre, le pontife rom ain, de Je an le moine orthodoxe et de Pauli, professeur lutherien de Tûbingen, sym bolisant a eux trois, le p etit reste des vrais disciples du C hrist tandis que le grand nom bre apostasie. Les juifs, revenus en Israel19, commencent p a r voir dans l’A ntichrist le Messie attendu, mais bientôt desillusionnes, ils le com battent et constituent une arm ee su r le M ont du temple, qui s ’apprête a affronter celle que l’A ntichrist a rassem blee en Syrie avec les païens de toutes les nations. A ce m om ent là u n gigantesque trem blem ent de terre sous la M er m orte engloutit l’arm ee de l’A ntichrist et les juifs im plorent le Dieu d ’Israel lorsque le Ciel s ’ouvre et le C hrist apparaît dans sa gloire. La résurrection des juifs et des chretiens executes p a r l’A ntichrist inaugure alors u n regne de mille ans20.
Ce recit legendaire se p resen te u n peu comme le m ythe platonicien qui invente une im agerie po ur decrire u ne realite q u ’une analyse rationnelle ne suffirait pas a rendre. Le m al est u n m ystere que l’A n tich rist incarne dans l’histoire. Le C hrist est la verite et l’A n tich rist est le g rand m en te u r qui p erv ertit l’h u m an ite a com m encer p a r les chretiens eux-memes. La serénite de la Justification d u bien fait place a u n pessim ism e que le m illenarism e final, du court recit ne parv ien t pas à dissiper com pletem ent. Seraphin de Sarov avait denonce l’A n tich rist et Dostoïevski, am i de Soloviev, avait pein t des possedes, m ais ce n ’est q u ’au siecle suivant que Raspoutine, Lenine et Staline donneren t corps à des personnages historiques p o rteu rs du m al et u tilisa n t la Russie pour le repandre.
M aritain a tra ite du m al dans le De Bergson a Thom as d ’A q u in (1944); Court traite de l ’existence et de l ’existant (1947); N e u f leçons su r les notions prem ières de la philosophie m orale (1951); Le péché de l ’ange (Revue thom iste avril-juin 1956) et Dieu et la perm ission du m al (1963). Il etudie le m al en s ’in sp iran t etro item en t de l’analyse de S t Thom as. Le m al est la p rivation d ’un
18 De n o u v eau d ’a ctu alite avec la m o n te e en pu issan ce de la C hine q ui com pte 1 m illiard 300 m illions d ’h a b ita n ts c o n tre 140 m illions en R ussie e t 450 m illions d an s l’E u ro p e des 25 en pleine crise dem o g ra p h iq u e .
19 Soloviev, tre s p opulaire chez les ju ifs ru sses, m o u ru t en p ria n t p o u r eux.
20 Ap 20,1-6. Ce m illen arism e que J u s tin e t Iren ee a tte n d a ie n t a êtê nie p a r A ug u stin , e t T hom as d ’A quin. L’in tê rp rê tà tiô n selon laquelle le C h rist re v ie n d ra it visib lem en t re g n e r s u r la te r r e a v a n t le Ju g e m e n t d e rn ie r a êtê fo rm ellem en t ê càrtêê p a r u n d e cre t d u M ag istere ro m ain (S a in t Office 1944).
bien (Augustin) et faire le m al c’est d ’agir sans reg ard er la regle que la raison propose. E n faisan t le m al m oral l’hom m e fait le rien, „nean tise” et entraîne dans l’univers de liberte q u ’est chaqueetre raisonnable, une privation du bien d ’où ré su lte n t la souffrance et la m o rt dues au desequilibre personnel et meme cosmique provoque p a r la faute dans u n m onde dont les m em bres sont solidaires. P a rla n t en theologien plus q u ’en philosophe, M aritain ecrit: „La peccabilite de la creatu re est ainsi la rancon de l’effusion m em e de la Bonte creatrice, qui po u r se donner personnellem ent au point de tra n sfo rm er en elle u n a u tre q u ’elle, doitetre librem ent aim ee d ’am itie, et qui pouretre librem ent aim ee d ’am itie doit faire des créatu res libres, et qui pour les faire libres, doit les faire failliblem ent libres. Sans liberte faillible, pas de liberte creee; sans liberte créee, pas d ’am our d ’am itie en tre Dieu et la creatu re, pas de transform ation su rn atu relle de la creatu re en Dieu, pas d ’entrée de la creatu re dans la joie de son Seigneur, E t il e ta it bon que cette suprem e liberte fu t librem ent conquise. Le péche-le m al-est la rancon de la gloire”2 1.
Dans Dieu et la perm ission du m al M aritain tra ite n o tam m en t des rap po rts e n tre la Gràce et la liberte en défendant l ’innocence absolue de Dieu: „Tout ce que je fais de bien v ien t de Dieu et to u t ce que je fais de m al vien t de moi, parce que Dieu a la prem iere initiative dans la ligne de l’etre et que j ’ai la prem iere initiative dans la ligne du non e tre ”2 2.
3. La p h ilosop h ie m orale appliquée
a la so ciété p olitiq u e
Dans La ju stifica tio n d u bien (1897) u n d ern ier chapitre intitule: L ’or ganisation morale de l ’hum anité dans son ensemble2 3 offre le tableau d ’une
societe m ondiale pacifiee où „La tâche religieuse, l’organisation de la pieté dans l’Eglise, devait occuper la prem ie re place, ta n t parce q u ’elle est essentielle que parce que, dans u n certain sens, elle éetait la chose la plus simple et le moins conditionnee du cote hum ain. E n effet, le lien de l’hom m e vis-à-vis du principe absolu qui lui est révele ne p e u te tre déterm ine p a r rien d ’a u tre que p a r ce principe lui-meme, puisque rien n ’est su p é rie u r”2 4. Il p o u rsu it en evoquant la
vocation d ’u n fu tu r E ta t chretien non pas in to leran t comme au Moyen Age, m ais accueillant aux valeurs h u m an itaires du m onde m oderne2 5.
21 J. Ma r i t a i n, De B ergson à Tho m a s d ’A q u in , P a ris 1947, p. 282.
22 J. Ma r i t a i n; D ieu et la p e rm issio n d u m a l, OCXII, p. 51.
23 V. So l o v i e v, L a ju stifica tio n ..., p. 404.
24 ib id em , p. 459.
25 Ja c q u es M a rita in q u i c o n n u t N icolas B erdiaev, disciple a sa m anié;re de Soloviev, p ro p o sa d a n s son o u v rag e H u m a n is m e in te g ra l (1936) de d is tin g u e r la chrétienté sacrale d u M oyen Age
Soloviev, on l’a vu, avait s tru c tu re sa philosophie m orale a u to u r de trois sentim ents, la p u d eu r à l’egard du corps, la pitie à l’egard desegaux et la piete vis-à-vis des superieurs. Ce trip artism e evoque lah ie ra rch ie platonicienne de la cite, philosophes, g u erriers et agriculteurs et me m e de la personne tete, cœur, ventre. Soloviev l’applique à la societe politique m ondiale en placant l’Eglise, au som m et comme expression p a r excellence de la piete, puis l’E ta t qui doit organiser la solidarite q u ’inspire le sen tim en t de la pitie, enfin la vie fam iliale eteconomique que Soloviev m et sous le signe de l’ascetism e releve de la pudeur. Ces categories, ces distinctions s tru c tu re n t la cite hum aine que Soloviev depeint à la veille de sa m o rt et av an t d ’ecrire le Court récit eschatologique qui revele l’echec spirituel des E tats-U nis d ’Europe devenu le som m et de la societe m ondiale apres s ’etre liberes des mongols.
o n p o u rra it qualifier la cite hum aine decrite dans la Justification d u bien, comme u n Nouveau Moyen Age (Berdiaev) ou meme une Chrétienté profane (M aritain). La theocratie (libre) que Soloviev avait envisagee dans u n prem ier tem ps laisse place à une societe politique où l’E ta t a davantage d ’autonom ie p a r rap p o rt à l’Eglise avec au-dessus des deux in stitu tio n s u n role de controle spirituel donne au „prophetism e”.
Soloviev a percu l’enjeu de la question sociale au m om ent où le m arxism e s ’im posait à l’intelligentsia ru sse26: „Les socialistes et leurs adversaires ap p aren ts - les ploutocrates - se donn en t inconsciem m ent la m ain su r le point essentiel. La ploutocratie soum et les m asses du peuple à ses in te rets cupides etegoïstes, en dispose à son propre avantage, n ’y voyant que des travailleurs, des p roducteurs de richesses m at erielles. Le socialisme proteste contre »semblable exploitation«, m ais sa pro testatio n est superficielle, elle est depour- vue de fondem ent de principe, puisque le socialisme lui-meme ne reconnaît en l’hom m e q u ’u n agenteconom ique (ou, en to u t cas, plus que to u t et a v an t tout) - et s ’il n ’est que cela, il n ’y a pas de raison essentielle pour le proteger contre cette exploitation”27.
Jacques M aritain pouvait tro u v er chez S ain t Thom as l’idee d ’une troisiem e cite e n tre Babylone et Jerusalem , la cite p ro p rem ent hum aine, telle q u ’elle pouvait se p rese n ter sous ses yeux à l’apogee du Moyen Age, h u it siecles apres S t A ugustin. Mais cette cite historique avait definitivem ent disparu et se tro u v ait rem place dans la France du XXe siecle p a r une cite profondem ent secularisee où l’E ta t v en ait de se sep arer de l’Eglise au nom d ’une lalcite radicale. Le reve d ’A uguste Comte d ’u n christianism e sans le C hrist tro u v ait
d ’u n e possible chrétienté p ro fa n e p lu raliste. P a u l VI en p a rla n t de C ivilisation de l ’a m o u r re p rit d ’u n e ce rta in e m an iè re l ’idee de M a rita in e t in d ire c te m e n t celle de Soloviev d o n t B erdiaev se souvint p ro b a b le m e n t d a n s son ouvrage: U n nouveau M oyen A ge (1924), tra d . L ’Age d ’hom m e 1985.
26 E n 1899, Lé n i n e exile en S ibérie p u b lia it L e developpem ent d u capitalism e en R ussie.
des echos aussi bien à gauche chez les anticlericaux, q u ’à droite chez M aurras. S t Thom as co n trairem en t à St A ugustin n ’a pas developpe de theologie de l’h istoire et on p e u t pen ser que c’est sous l’influence de Berdiaev28, lui-meme disciple de Soloviev, que M aritain a developpe u n e philosophie de l’histoire dans H um an ism e intégral (1936). D isting u ant une chrétiené sacrale medievale et une chrétienté profane fu tu re de style pluraliste et dem ocratique. Comme Soloviev, M aritain pense q u ’une conception evangelique de la religion prevaud- r a su r une conception politique de la religion dont l’autocratie russe eta it l’exemple extrem e. Au lendem ain de la deuxieme guerre m ondiale M aritain ecrivait: „Tout chretien souhaite l’avenem ent d ’u n ordre v raim en t chretien du m onde, d ’u n E ta t reellem ent et organiquem ent chretien, et professant ex- terieu re m e n t du christianism e. Mais l’h istoire nous oblige à reconnaître que ta n t que l’E ta t n ’est pas chretien dans ses stru c tu re s vitales, et ta n t q u ’en se d isant chretien il n ’exprim e pas le vsu profond et la foi exultante des personnes hum aines qui le composent, l’E ta t politique, toujours m enace p a r les prin- cipautes dem oniques dont parle sain t Paul, ne professe exterieurem en t le christianism e q u ’aux depens du christianism e lui-meme. Il ajoute: A vrai dire l’idee meme d ’u n E ta t chretien ap p araît aujo u rd ’h u i (1947) comme quelque chose de bien eloigne”29.
28 Un nouveau M oyen A ge de N. B erdiaev d a te de 1924. Sa critiq u e d u m onde m o d ern e e t de son in d ividualism e e s t m ieux in sp iree que ses propositions positives: „Sous quels tr a its se dessine le N ou v eau M oyen Age? Il est plus facile de sa isir les tr a its n eg atifs que les tr a its positifs. C ’e s t a v a n t to u t [...] la fin de l ’h u m an ism e , de l ’individualism e, du liberalism e form el de la c u ltu re des tem p s n o u v eau x e t le d e b u t d ’u n e nouvelle epoque religieuse côlléctivé d a n s laquelle d ô iv én tétré révélés des forces e t des prin cip es opposes. Le royaum e h u m a n is te se decom pose e t se divise en u n com m unism e a th e e e t u n a n ti-h u m an ism e poussé à l ’extre;me e t en u n e Eglise du C h rist qui doit ra sse m b le r en éllé to u te existence a u th e n tiq u e ” (E d itio n Age d ’h o m m e 1985, p. 72). M a rita in ^ a c c e p te r a pas la liq u id atio n de l ’h u m an ism e e t de la dem ocratie précôniséé p a r B erdiaev d an s son ouvrage de 1924, m ais v o u d ra a u c o n tra ire les p u rifie r e t tro u v e ra d a n s l ’exem ple a m ericain des a n n ees 50 (Réflexions su r l ’A m ériq u e, 1958) des élém ên ts d ’u n e c h ré tiê n té b iblique (de style p ro te s ta n t) com patible avec la dem ocratie. D ans Dé B ergson a T ho m a s d ’A q u in M a rita in e crit à p ropos de B erdiaev; „M ais m em e en d is p u ta n t avec lui, on recoit to u jo u rs de lui c e tte stim u la tio n p recieuse qui v ien t de l ’e sp rit en q u ete de l ’eitre E t d an s l ’o rd re de la philosophie m o rale e t sociale, e t s u rto u t de la philosophie de l ’h isto ire , ou, com m e il d it de l ’histo rio so p h ie q ui e st son cham p de reflexion p référé, il n o u s ap p o rte des in tu itio n s concrètes fecondes q ui eclaire n t beaucoup des problèm es p ra tiq u e s les plus u rg e n ts de n o tre te m p s ” (p. 123).
29 Dé B ergson a T h o m a s d ’A q u in , p. 148. N otons que P a u l VI q ui tra d u is it M a rita in e t se plaisait à re co n n a ître l ’influéncé q u ’a v ait ex ercer sa pensee s u r la sienne, fu t le pape p ro p h e tis a n t la „civilisation de l’a m o u r” en ces te rm e s „La sagesse de l ’a m o u r frâ té rn é l, q ui a cara cté risé le ch ém in ém én t h isto riq u e de l ’Eglise en s ’e p an o u iss an t en v e rtu s e t en oeuvres q ui so n t a ju ste titr e qualifiees de ch retien n es, explosera avec u n e nouvelle fecondite, d a n s u n b o n h e u r trio m p h a n t, d an s u n e vie sociale rég én ératricê. Ce n ’e st pas la h a in e , ce n ’est pas la lu tte , ce n ’e st pas l ’avarice qui se ro n t sa d ialectique, m ais l ’am o u r, l ’a m o u r g e n e ra te u r d ’a m o u r, l ’a m o u r de l ’h o m m e p o u r l’hom m e. Ce n ’e s t pas qu elq u e in té ré t provisoire e t equivoque q ui l ’in sp irera , n i u n e condescendance im prégnéé d ’a m e rtu m e e t d ’a illeu rs m al tôléréé, m ais l ’a m o u r m em e que n o u s te p o rto n s à toi, o C hrist! decouvert d an s la souffrance e t d a n s le b esoin de n o tre sem blable, quel q u ’il soit. La civilisation de l ’a m o u r l’e m p o rte ra s u r la fievre des lu tte s sociales im placables e t d o n n e ra a u m onde la tr a n s fig u ratio n t a n t a tte n d u e de l’h u m a n ite fin alem e n t c h ré tie n n e ”. H ôm élié d u 25 d ecem bre 1975.
M aritain publia en 1953 M an a n d the State qui se resse n t du lieu de sa rédaction. Im pressionne p a r la dem ocratie am ericaine et n o ta n t apres Toc- queville, que la religion faisait bon m enage avec cette laïcité positive alors q u ’en France le laïcisme est synonyme d ’anticlericalism e, il en tre dans les details d ’une societé civile a y an t u n consensus biblique p e rm e tta n t aux chretiens et no tam m en t aux catholiques de proposer les valeurs dont ils se reclam ent to u t en cooperant avec ceux qui p en sen t au trem en t.
La philosophie politique de Soloviev et celle de M aritain on t connu une incontestable evolution.
Soloviev a commence p a r u n ideal theocratique libre, puis s ’est rallie à un ideal de cite laissant une large autonom ie à l’E ta t, re p ré se n ta n t la pitié organisée, et accordant à l’Eglise, re p ré se n ta n t la pieté organisée une m ission su rto u t spirituelle, sans oublier le role du „prophete”. M ort en 1900, il ne pouvait gue re im aginer la suite et le ro le que jo u era it son pays. On a tte n d a it la Troisiem e Rome, ecrivit au lendem ain de la Revolution de 1917, Serge Boul- gakov, et ce fu t la Troisiem e Internationale! Soloviev en devenant soudaine m en t fort pessim iste avec le Court recit su r l ’A n tich rist se m o n tra it sin- gulierem ent prophetique en denoncant l’apostasie laten te des chretiens. On p e u t ajouter au jo u rd ’h u i que ses craintes de citoyen russe à l’egard de la Chine on t repris de l’actualité. M aritain a d ’abord ete favorable au m onarchism e dans des contextes politiques et personnels bien particuliers. Le laïcisme francais, a u m oins au lendem ain de la separation de 1905, avait pris u n caractère anticatholique m arque et l’Action Francaise fondee p a r C harles M aurras qui n ’eta it pas catholique, proposait de defendre les in te rets politiques de l’Eglise en se réclam an t du regim e m onarchique historique. N ouveau converti (1906) M aritain s ’in teressait su rto u t à la religion et à la philosophie de St Thom as. La condam nation de l ’Action Française p a r Rom e (1926), m it en evidence l’am biguïté d ’une politique d ’insp iratio n positiviste. M aritain, comme le fit Pie XII dans les grands m essages de Noel d u ra n t la seconde guerre m ondiale, reco n n u t la valeu r de la dem ocratie que l’exemple nord am ericain illu strait positivem ent. E n p a ra p h ra sa n t Newman, on p eu t dire que pour re s te r le me me lorsque to u t change, il fau t aussi changer ce Iqui est contingent pour m ieux conserver l’essentiel30.
Soloviev et M aritain ont propose une sagesse vitalem ent chretienne selon deux dim ensions, personnelle d ’abord avec u n ideal christocentrique et non pas seulem ent anthropocentrique, et une dim ension de citoyenneté m ondiale31.
30 E n геяН «, c ette a d a p ta tio n de l’e n se ig n e m e n t de l ’Eglise cath o liq u e au x circo n stan ces est in au g u ré e p a r Leon X III e t n o ta m m e n t d an s le cad re p o litique de la F ra n ce lo rsq u e les catholiques o n t è tè in v ites à n e pas associer tro p e tro ite m e n t le u r foi religieuse avec u n ty p e (m onarchique) de regim e p o litique (R alliem en t).
31 So l o v i e vd a n s L a ju stific a tio n d u bien s ’efforce de m o n tre r co m m en t ces tra d itio n s p ré p a re n t le
L ’u n et l’a u tre on t aussi privilegie Israel. Soloviev defendait les juifs disc rim ines et me me parfois persecutes dans l’em pire tsa riste 32, tan d is que M arita in, qui avait epouse une juive russe, se fit le denonciateur infatigable de l’antisem itism e33.
4. P ortée de la con trib ution de Soloviev et M aritain
a
la p h ilosop h ie m orale
La con trib u tio n de Soloviev est tre s originale34 et, on l’a vu, m arqu ee p a r P lato n qui considerait avec Socrate que la connaissance e ta it l ’elem ent essentiel de la conduite m orale. Sa division trip a rtite des sentim ents: pudeu r, pitie et pieté s ’insp ire au ssi de P lato n , m ais deux a u m oins, la p u d e u r et la pitie doivent quelque chose à S chopenhauer qui v oulait in tro d u ire certain s tra its du Bouddhism e en occident. A vant to u t Soloviev est chretien, u n ch retien oriental, u n orthodoxe ru sse dont les difficultes avec son Eglise ont e n tra în e des epreuves plus que des doutes. L ’ideal m oral pour Soloviev c’est la sain teté, un e sa in te té p rophetique d o n t le mode le est le C hrist, vrai Dieu et v rai hom m e. L o rsq u ’il m eu rt, en 1900, l’in tellig en tsia russe, qui s ’eloignait du ch ristian ism e depuis les ann ees 60, va connaîltre u n m ouvem ent p a rtie l de conversion a u ch ristianism e qui av ait eté in au g u re p a r Gogol et Dostoïevski m ais c’est s u rto u t Soloviev et son œuvre philosophique qui o n t donne des fondem ents in tellectuels à ce re to u r en ré in tro d u isa n t la m etaphysique contre le positivism e ré g n a n t, u n peu comme en F rance avec Bergson vers la me me epoque. Il a exerce u ne influence s u r des theologiens comme S. Boulgakov, des philosophes comme N. Berdiaev et S. F ra n k , des poetes comme V. Ivanov et m e m e s u r ses co n trad icteu rs comme Leontiev et Roz anov. E n revanche Tolstoï dont Lenine fît l’apologie lo rsq u ’il m o u ru t, re sta refrac taire à la pensee de Soloviev qui alla ju s q u ’il faire du celebre rom ancier une figure de l’A n tich rist dans le Court récit. U ne a u tre p ersonnalité hostile à Soloviev c’est K o n sta n tin Pobiedonostsev, H a u t P ro c u re u r du S a in t Synode et m aître de l’Eglise orthodoxe ru sse p e n d a n t u n q u a rt de siecle (1881-1905). Ce ju ris te m ystique, theoricien du nationalism e religieux russe, ne pouvait guere su p p o rte r les prophetes.
e t grâce à deux a u te u rs tre s proches Louis G a rd et e t L ouis M assignon p o u r l ’Islam e t O livier Lacom be p o u r l ’Inde, sans o u b lier Rene G ro u sset V in cen t L êbbê p o u r là C hine, se te n a it a u c o u ra n t de ces u n iv ers religieux e t cu ltu rels.
32 V. So l o v i e v, Les ju if s et la question chrétienne.
33 J. Ma r i t a i n, Isra ël p a r m i les n a tio n s’ L ’im possible antisém itism e.
34 S. Bo u l g a k o v fa it des réserv es s u r c ette originalité, m ais Radlov (in tro d u c tio n au x œuv res com pletes) p ense que c ’est là co n trib u tio n m aje u re de Soloviev à là philosophie.
M aritain, am i des a rtiste s et des m ystiques, s ’est m is une fois pour toute a l’ecole de sain t Thom as d ’A quin u n peu apres sa conversion35. Il y re s ta fidele ju s q u ’il la fin de sa vie en ap p o rta n t u n vrai genie dans l’intelligence des lum ieres philosophiques q u ’il pu isait chez le g rand theologien et en les a p p liq u ant a d ’innom brables dom aines de la philosophie et me me de la theologie. E tienne Gilson n ’h e sita it pas a dire que de pareil philosophe ne se revelait que tous les 4 siecles! Son originalite n ’est donc pas comme Soloviev d ’avoir propose un e s tru c tu re nouvelle de la philosophie m orale, m ais d ’avoir explicite en philosophe u n tre so r existan t dû a u n theologien considere p a r les catholiques comme le „docteur com m un” dont le philosophe privilegie est non pas P laton, m ais A ristote. Indiquons p o u rta n t l’idee m aritan ien n e de „philoso phie m orale ad eq u atem ent p rise” qui tie n t compte de la situation existentielle d ’une h u m an ite blessee p a r le peche originel ce qui exige une lum iere s u r n atu relle po u r en pren dre la m esure et la grace po u r bien agir. Nous avons deja indique la contribution de M aritain dans le dom aine politique.
Le neo-thom ism e, m al nom me, a connu en u n siecle (1879-1965) une sorte de monopole chez les catholiques et puis on a assiste a u n reflux a u lendem ain du Concile. Les docum ents pontificaux co ntin u ent à citer regulierem ent le docteur angelique, m ais la scolastique que l’on enseigne dans les sem inaires et les universites catholiques, est plus rare dans la litte ra tu re theologique36. P ou r Soloviev qui a connu en Russie u n renouveau d ’in te re t avec la chute du com m unism e la situ atio n est peut-etre m oins favorable a u jo u rd ’h u i d ’a u ta n t q u ’il n ’est pas considere comme u n a u te u r classique dans la form ation des clercs orthodoxes.
35 C’e st R aïssa M a rita in q ui com m ença a lire sa in t Thom as.
36 O n p e u t p re n d re le cas de l ’œ uvre d ’u n théologien célèbre, U rs von B a lth a sa r fo rt critiq u e à l ’eg ard du n eo-thom ism e e t a contrario le silence s u r l ’œ uvre considerable de C harles Jo u rn e te .