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La Pologne : extrait du Quaterly Review (Avril 1863)

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LA

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POLOGNE

E X T R A I T

QUARTERLY R E V I E W

(Ayiul 1863)

PARI S

A r.A LIBRAIRIE DE E. DENTU

P A L A I S - R O Y A L , G A L E R I E D ’ O R L E A N S

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LA

POLOGNE

E X T R A 1 T

QUARTERLY R E V I E W

(Ayril 1863)

PAR1S

A LA LI BR AI RI E DE E. DENTT P A L A I S —R O Y A L , G A L E R I E D ’ O R I . E A N S 1863

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L A P O L O G N E

1. Russia for the Russians, and Poland for the Poles, par S. Sulima. Leipzig et Londres, 1863.

2. La Q-uestion polonaise-russe, par P. Schebalski. Leipzig, 1862. 3. Geschichte der Rerolutionszeit, par H. von Sybel. Dusseldorf, 1880. 4. Poland : A letter to the Earl of Ellenborough, par le genśral comte

Zamoiski. Londres, 1861.

5. Nationalities of Europę, par R. J. Latham, M. D. Londres, 1863.

II est peu de situations plus embarrassantes que celle d’un homme ayant des opinions moderees sur une ques- tion qui passionne tout le monde. II est egalement mai yu de ceux qu’il laisse en arriere et de ceux dont il ne partage pas Tentliousiasme. Pour les deux cótes, il reunit les de- fauts d’un antagonistę et d’un deserteur. Ghaque parti mó- priselezele tiede et l’extreme prudence, qui nese donneńt qu’a moitie. Gelui qui a choisi le justemilieu doit s’y reśi- gner; il n’obtiendra aucune sympathie, et sera hónni par.

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tout esprit enthousiaste. On prefere un ennemi a un ami qui yient a yotre aide enyeloppe d’une armure de si et de mais. II est encore plus desagreable que la tiedeur de 1’allió prenne la formę de la precision historique. Rien n’est plus irritan t, quand les hommes se preparent a une lutte a mort contrę un ennemi formidable, que de voir leur ardeur soumise a une pedante critique et jugee au milieu de petits faits insignifiants.

G’est avec la pleine connaissance des desayantages de notre position que nous essayerons de porter un jugement impartial sur la lutte dont la Pologne a etć si longtemps le theatre. C’est un sujet dans lequel il est tres-difficile a un contemporain de donner une juste yaleur aux faits histo- riques. Les yertus deployees par les Polonais et leurssouf- frances depuis un demi-siecle ont provoque, de la p artd e toutes les nations ciyilisees, une unanimite de sympathies que le mouyement italien lui-meme n’avait pas eyeillee. Quelle qu’en soit 1’issue (et 1’ayemr est bien sombre), cette lutte est beaucoup plus emouyante que celledont Garibaldi est le heros. Elle est bien autrement serieuse, et a tout 1’attrait que presente a elle seule la grandeur.

La tyrannie a ete plus sauyage et plus puissante, la re - sistance plus opiniatre, Peffort supreme plus desespere, et les resultats definitifs peuyent s’etendre beaucoup plus loin.Le roi Ferdinand de Naples, n’ayant que de yulgaires prisons a ses ordres, est un tyran banał, compare a celui qui dispose, comme instrument de torturę, d’un immensedó- sert arctique, etendant ses solitudes desolśes sur la moitie du globe.

L’arrestation de quelques mecontents connus est un abus de pouyoir, insignifiant en comparaison du decret qui, du meme coup, condamne tout un parti politique a camper a

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perpetuite sur les frontieres du Gaucase, afin de reduire une autre race au meme joug. Les dangers des deux luttes ne sauraient non plus se eomparer. Garibaldi semblaitseul, mais on yoyait en lui le precurseur de la monarchie qui deja s’etait emparee de la moitie de la Peninsule, et qui s’ap- puyait en dernier ressort sur la France entiere. Les Polo- nais se battent seuls, sans allies, sans les preparatifs les plus ordinaires de la g u erre, entoures d’ennemis plus ou moins declares, et contrę le maitre d’un demi-continent. Ge qui ajoute encore a 1’interet que doit a tant de titres nous inspirer cette lutte heroique, c’est que les destinees de 1’Europe orientale en dependent. L’Autriclie sera-t-elle ecrasee sous la double pression du mecontentement de ses sujets et du pouyoir croissant de la Russie? La yision du « Kalmouk inondant 1’Europe w, qui troublait la calme in- telligence de lord Castlereagh et qui a depuis fait devier la politique de plus d’un homme d’Etat, cette yision deyien- dra-t-elle une affreuse realite, ou sera-t-elle oubliee comme un reve ? L’heritier du grand empire grec que la main de­ bile du « malade » gouyerne plus faiblement chaque an- nee viendra-t-il de Petersbourg ou d’Athenes ? Ges ques- tio n s , et bien d’autres , peuyent etre resolues par les combats de quelques bandes de faucheurs et d’exiles, li- vres avec un si merveilleux heroisme et si peu de chances de succes.

II n’est pas etonnant que 1’Europe contemple avec le plus vif interet un tel conflit. Nos querelleurs cousins, de Fautre cótó de l’Atlantique, ont bien raison d’espbrer que la Pologne fera diyersion a la sollicitude genante des na- tions europeennes pour leur guerre ciyile. La sympathie uniyerselle qu’arencontree 1’appel des Polonais empechera les hommes d’Etat anglais de regarder le dranie qui se

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de-roule sur la Yistule ayec la paresseuse indifference qu’ils ont misę a etudier le demembrement de leur ancienne ri- vale de 1’Ouest. Nous ne pretendons pas preyoir les diffi- eultes ou 1’issue d’une lutte qui varie de jour en jour. Mais la crise a un cóte historique aussi bien que politique; elle souleye des controverses sur les faits du passe aussi bien que du present, et ceux-lanous pouyons les examiner sans avoir la conviction desagreable que le sujet de nos disser- tationsaura completement change d’aspect avant que nos leeteurs puissent lirę ce que nous ecriyons.

Le monde attache une grandę valeur aux titres histori— ques, et ceux-la meme les recherchent qui doiyent leur succes a leur courage ou a leur liabilete. Ils appellent Phistoire a leur aide, et la forcent a prouyer que le pouyoir qu’ils etablissent est le reveil de quelque droit oublić ou la copie de quelque ancien modele. Napoleon riait de cette faiblesse et se yantait de ce que sa premiere lettre de no- blesse fut datee de Montebello; mais, quand il en yint a fonder une dynastie, il ne se crut assure contrę le prestige des Bourbons exiles qu’en s’entourantlui-meme d’une misę en scene plus imposante encore. Son imitation de la cour de Charlemagne fut une reconnaissance tacite de la supe- riorite d’un titre historique sur tout autre. Les amis de la Pologne, tout en appartenant pour la plupart a 1’ecole liberale extreme en politique, croient necessaire de pro- duire quelque droit historique a la sympathie qu’ils ambi- tionnent. C’est pourquoi ils proclament bien haut de pre- tendues traditions inyentees par les Polonais emigres, a une epoque ou peu d’hommes etaient competents pour les examiner, mais dont on avait cesse de parler et que nous croyions jugees depuis longtemps. En Angleterre, et su r- tout en France, le partage est de nouyeau discute et de

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nouveau declare « le plus grand crime des temps mo- dernes ». De plus, la part de chacun, dans ce crime, est fixee d’apres 1’estimation qu’en avaient dictee les haines d’il y a un siecle. Par une inyersion hardie, le blame le plus grand est reserye a la Russie, la Prusseest consideree comme simple complice, tandis que 1’Autriehe est presque absoute, comme un auxiliaire involontaire.

Du reste, ces aperęus historiques n’ont aucun rapport avec la lutte qui se livre en ce moment. La eonscription arbitraire ordonnee par le grand-duc Constantin n’en est pas moins un outrage a Phumanite ; la yiolation du traite de Y ienne, quant a 1’administration de la Pologne, n’en est pas moins flagrante, quel que soit notre avis sur les transactions de 1764-95. Mais les alterations de 1’histoire, en supposant menie qu’elles influent sur le sort d’un pays, sont une arme a peine legitime dans une insurrection, et le jugement que portent sur le partage les avocats de la Pologne est si peu impartial qu’un rapide examen des faits reels ne saurait etre superflu.

Avant de decider si la prise des provinces polonaises par la Russie doit etre fletrie du nom de « crime », il est ne- cessaire d’etablir ce que signifie ce mot, applique a une transaction politique. Dansun sens, toute prise de posses- sion, d’un territoire ou de n’importe quoi, est un crime; si la morale de la vie priyee est rigoureusement appliquee aux actes des nations, il est evident que toute nation s’appro- priant ce qui ne lui appartient pas enfreint le huitieme Commandement, et se rend par consequent coupable d’un crime. La question de savoir jusqu’a quel point la morale de la vie privee est applicable a la vie publique est trop yaste pour etre discutee par parenthese. N’oublions pas qu’une nation ne peut en appeler a aucun tribunal, et ne

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saurait attendre de redressement que de son epee on de celle de ses allies : ce qui etablit entre elle et un indiyidu une difference bien difficile a determiner. Ge qui nous im - porte ici, c’est de formulerune estimation, je ne dis pas po- sitive, mais relatiye, de la culpabilite de chacun.

La condamnation de la Russie n’a pas eu pour base la morale rigoureuse dont nousparlions tout a 1’heure. Quand on nomme le partage « le grand crime de 1’histoire mo­ dernę », on yeutdire que c’etaitquelque chose de bien plus graye qu’une annexion ordinaire. Quel que soitson avis sur la moralite abstraite de la conquete, le monde juge diver- sement le conquerant, selon le mobile qui l’a fait agir, ou plutót selon les pretextes qui ont servi a couyrir le grand et uniyersel mobile, la soif de la domination. Au dernier degre de Fechelle morale est la conquete inspiree par le seul amour de la conquete : la prise de la Silesie par F re- deric, ou de 1’Alsace par Louis XIV, par exemple, sans au- cun droit, sans aucune appareneede sympathie, de ressen- timent ou de necessite qui en deguisat Finjustice, doiyent precipiter le coupable au plus profond du cercie de 1’enfer reserye aux conquerants. On doit etre un peu moins severe envers ceux qui, pousses a 1’agression , comme Napoleon, par 1’imperieuse ambition de leurs sujets, durent conquerir pour exister. L’instinct de la conseryation, meme peu scru- puleux, est d’un degre plus eleve que la rapine yolontaire et spontanee. La responsabilite d’une puissance qui a con- quis de yastes proyinces, par suitę de ses efforts a repousser une agression injuste et non provoquee, est plus legere en- core. On peut excuser ainsi presque toutes (nous youdrions pouyoir dire toutes) les acquisitions de 1’Angleterre aux Indes.

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sympa-thie pour ses souffrances excitóe par une similitude d’o ri- gine et de religion, ont toujours ete consideres comme les motifs les plus purs de tous, et les souverains n’ont jamais hesite a en proclamer la parfaite innocenee. La conąuete de Calais par les Franęais, celle de Grenade par les Espa- gnols, etdenotre temps celle de Milan par le sltalien s, ontce caractere. En refusantd’appeler les annexions de Catherine « le plus grand crime des temps modernes », nous ne p re- tendons pas les absoudre entierement, comme plan et comme details. Une guerre d’agression ne se fait pas a l’eau de ro sę, etlapartiedirigee par une diplomatie astucieuseestordinai" rement plus reyoltante encoreąue les horreurs d’une campa- gne. Nous voulons seulement essayer d’etablir que, sous le rapport de la m oralite, elles doivent etre placees au som- met, et non tout au bas de 1’echelle que nous ayons dres- see. Nous les mettons au niveau de la conquete de Grenade et de Milan, et bien au-dessus de l’annexion anglaise du royaume d’Oude.

Cette comparaison paraitraparadoxale aceux qui se sont penetres du point de vue populaire en cette matiere. 11 est d’usage, lorsqu’on s’occupe de cette question, d’ignorer toute 1’histoire anterieure au XVIII6 siecle. A cette epoque, deux pays attirerent 1’attention de 1’Europe occidentale. L’un etait faible et en decadence, dechire par les factions et 1’intrigue etrangere; 1’autre etait fort et grandissant, et, sous la conduite d’un prince d’une habilete merveilleuse, il prenaitun ascendant dangereux sur son yoisin. Tout d’un coup, le plus fort enleve au plus faible un grand morceau de son territoire; d’autres yoisins faisant la meme chose en meme temps, le plus faible cessa d’exister. Ainsi considere en lui-meme et sans s’inquieter du passe, le partage a pres- que les couleurs sombres que lui pretent les refugies

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polo-nais. 11 n’est pas etonnant que PEurope contemporaine, qui ne savait rien de la questionpolonaise, se soit tranquil- lement contentee de cette maniere d’envisager les choses. Si elle avait suivi les relations des Polonais et des Russes pendant des siecles, comme elle a su m les relations des Franęais et des Allemands, elle en aurait probablement ap- precie autrement le cóte morał. Elle aurait vu que la con- quete iPetait qu’une i'econquśte, que les transactions aux- quelles elleassistait n’etaientque les dernieresscenes d’un dramę long et varie, et que la masse des habitants des pro- vinces annexees, loin d’etreprives de leur liberteetde leur patrie, etaient reunis a des populations de leur race et de leur religion, dont 1’ambition des nobłes polonais les avait longtemps separes.

Un coup d’oeil sur Phistoire des deux races placera les evenements de 1764-95 sous leur vrai jour. Du plus loin qu’on les connaisse, les Polonais et les Russes semblent avoir ete animes de cette haine reciproque naturelle chez des races parentes et non identiques. La Pologne propre- ment dite, c’est-a-dire la contree habitee par des Polonais, etait situee presque tout entiere de ce cóte-ci, a 1’ouest de laV istule; unepetite bandę, comprenantune partie des pro- yincesde Mazoyie etdeSandom ir, s’dtendaitseule sur l’au- treriye. Au dela, aPest, tout etait russe. Lorsque leur his- toire se degage plus nettem ent, vers Pan 1000, les deux races yiyaient cóte a cóte, sous formę de puissantes monar- chies. Roleslas le Rrave regna comme roi de Pologne sur des proyinces qui, apresent, appartiennentpour laplupart a PAllemagne. En dehors de la Pologne, il possedait toute la partie orientale de ce qui est aujourd’hui la Prusse, un morceau de la Saxe et une grandę partie de Pempire d’Au- triche actuel. Mais, si etendu qu’ait ete son joug vers Pouest,

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aucune race purement russe ne paraitlui ayoiretesoumise. La Russie etait gouyernee alors par Władimir le Grand, qui en fitun royaume chretien; et, quoiqu’elle se composat d’une foule de petites principautes que les descendants de Rurik ayaient successiyement reunies sous un meme scep- tr e , aucune de ses parties n’avait encore souffert de l’es- prit agressif des Polonais. La ligne qui separait les deux royaumes de Roleslas et de Władimir commenęait a peu pres a 50 milles a l’est de Memel, allait tout droit vers łe sud et yenait se heurter a la cłiaine des Garpathes. G’est presque la frontiere que, huit siecles plus ta rd , Gatherine obtint pour son empire. La seule differencc entreles deux, c’est que 1’ancienne etait a peu pres de 50 milles plus fa- yorable a la Russie que la nouyelle.

Lesdeuxroyaumes, debutantainsi,eurentunsort bien dif- fe re n t: la Russie fut exposee a deux causes de destruction qui n’affecterent pas au meme degre sa riyale; son premier malheur est d’avoir ete diyisee a 1’infmi. A la mort de Wła­ dimir, en 1015, son empire fut morcele par la mesintelli- gence de ses fds, et, a la generation suiyante, le morcelle- ment fut porte plus loin encore. Une diyision en suiyait une au tre; de nouyelles combinaisons reunissaient de temps en temps les differents fragm ents; mais les Russes ne rega- gnaient pas 1’unite perdue. Un terrible fleau, qui faillit les aneantir, vint leur en apprendre toute la yaleur : nous vou- lons parler de 1’inyasion des hordes mongoles qui suiyirent les traces de Genghis-Khan. Ces hordes innombrables,de- bouchant en Europę et deyastant les contrees qu’elles tra- yersaient, epuiserent le peu de force de resistance que ses diyisions ayaient laissee a la Russie. S’etant repandues jusqu’a la place occupee a present par Petersbourg, et au sudjusqu’a Kieff, elles tinrent les Russes sous leur joug

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pendant plus de deux cents ans. L’impetuosite de leur pre­ mierę invasion les porta d’abord au dela des limites de la Russie, jusqu’en Silesie; mais ensuite les barbares n’attei- gnirentplus les domaines delaPologne, qui eut ainsi le lo i- sirde profiter des malheurs de ses yoisins, et menie de con- tribuer a les prolonger.

Lesmemescirconstancesfurentencoremieux mises a pro­ fit par un autre voisin de la Russie qui s’etait fortifie de sa faiblesse. Enyiron un siecle apres les fatales dissensions qui suiyirent la mort de Władimir, les Lithuaniens, peuple tri- butaire vivant sur les bords de la Raltique, fonderent une monarchie et enleyerent rapidement proyince apres p ro - yince aux princes russes affaiblis. Ils conquirent ainsi Grodno, Mińsk, Polocsk et Smoleńsk, et, malgre les Mon- gols, ils porterent, en 1320, leurs armes yictorieuses en Volhynie et dans la Russie mćridionale, jusqu’a Kieff nieme. Toutes ces yictoires profiterent a la Pologne, car, en 1326, les deux couronnes etaient reunies par le mariage de Jaghellon, grand-duc de Lithuanie, et de la reine de Po­ logne. IAmion politique des deux pays en fut la suitę un peu plus tard, et, par consequent, un seulsceptre reunitet les depouilles russes echues a la Lithuanie et les conque- tes des Polonais eux-memes. II resulta de ce partage d ela Russie, qui pourrait bien avoir ete appele par les Russes d’a.lors « le plus grand crime des temps modernes », que vers 1’annee 1450 le pays etait ainsi reparti entre les puis- sances spoliatrices :

Les Mongols occupaient toute la contree arrosee par le Yolga et le Don. Les Polonais, laissant la Vistule en arrierc d’eux, s’etaient empares de la vaste plaine, large de 500 milles, qu’arrosent la Dwina et le Niemen au Nord, et le Dnieper au Sud. Entre les deux, les Russes etaient captifs.

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Les princes nationaux qu’ils ayaient encore a leur tete n’etaient pas independants, mais vassaux des Polonais ou desMongols; de plus, ils differaient de leurs oppresseurs non-seulement par la race, mais aussi par la religion, car ils etaient Grecs, tandis que les Mongols etaient mahome- tans et les Polonais catholiques.

Vers la fin du XVe siecle, le flot qui s’etait eleve contrę la Russie pendant plus de trois cents ans se retira. Le temps etait venu pour elle de secouer son long esclavage et de commencer le penible travail d’une liberation g ra- duelle. Elle commenęa par les Mongols. La petite princi- pautedeM oscou,un des fragmentsde 1’empire de Władimir, ayait peu a peu regagne une independance relatiye. Par des mariages ou des guerres, ses princes reussirent a s’appro- prier quelques petits districts ayoisinants. En 1477 son grand-duc, Ivan le Grand, etait assez fort pour refuser le tribut aux Mongols. Sa reyolte fut heureuse, et, quatre ans apres, le dernier khan de la Hordę d’or (ainsi s’appelaient les enyahisseurs) perissait sur le champ de bataille. La puissance des Mongols fut renyersee aussi completement que celle de leurs coreligionnaires lesMaures d’Espagne, a peu pres a la menie epoque. Deliyres de leurs maitres asia- tiques, les Russes ne perdirentpas de temps et chercherent a employer a leur tour les moyens qui ayaient asseryi a la Pologne d’immenses populations russes. Pendant pres de deuxsieclesencore, 1’issue sembla douteuse. AuXVIesiecle, les districts de Smoleńsk, Tchernigow, e tc ., furent rega- gnes; mais le gouyernement russe n’etait pas assez affermi encore pour commencer ses conquetes. Sa force a toujours dependu de ses chefs, et, quand ils font defaut, rien dans 1’organisation nationale ne peut les remplacer. Aussi long- temps que regnerent Iyan III, Basile et Ivan le Terrible, la

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carriere reconąuerante des Russes fut soumise a eertaines vicissitudes, mais ne subit aucun arret important. Peu- plades apres peuplades, russes de race et de langue, etaient reunies a leurs freres. Mais en 1598 s’eteignit la longue li- gnee de Rurik. Une periode d’anarchie suiyit. Boris Go- dounoff, beau-frere du dernier czar, reussit a se faire elire au tróne vacant, sans toutefois heriter du prestige que la familie de Rurik avait exerce sur 1’esprit des Russes. Le peuple, qui avait patiemment supporte les cruautes du der­ nier Ivan, s’indigna des caprices de 1’usurpateur Boris. Quelques annees de famine contribuerent a le faire detester, et au bout de cinq ans le peuple etait pręt a la revolte. Le tróne de Pologne etait alors occupepar Sigismond III,Sue- dois de naissance et catholique ardent. Lahaine des Russes pour leur czar lui parut une occasion favorable d’etendre la puissance de son pays adoptif et de sa foi, et il conęut un projet semblable a celui qui, un siecle auparayant, ayait arme Jacques IY d’Ecosse contrę Henri VII d’Angleterre. 11 suscita un pretendant au tróne de Russie. L’imposteur etait un moine a moitie fou qui, chasse de son couyent, et pour echapper a d’autres punitions, avait passe en Pologne. Soi- gneusement instruit de son role, conyerti avec ostentation au catholicisme, oblige p aru n p acte solennel avec le nonce a introduire ce culte en Russie, marie a la filie d’un chef polonais, il fut proclame comme Demetrius, fils d’Ivan, qu’on croyait mort et qui ayait etó sauve. II fut enyoye en Russie avec une armee polonaise, au plus fort du mecon- tentement contrę Boris. Rcęu avec enthousiasme, il defit sans peinc les troupes du czar, et fut bicntót deliyre de toute opposition par la mort subite et opportune de ce prince, qu’on ne manqua pas d’attribuer au poison.

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Quand les Russes eurent obtenu et couronne leur Perkin Warbeck (1), ils ne furent pas enchantes de racąuisition. II obseryait les coutumes polonaises dans ses fetes, et sa femme affectait de montrer son attachement a son pays et a sa foi. Un parti rival surgit, dirige par un noble russe, et le faux Demetrius, inąuiet de son sort, se jęta par une fe- netre et se tua. Mais le roi Sigismond, ayant vu 1’utilite de freąuentes reyolutions pour paralyser un ennemi, ne devait pas renoncer a ses projets parce que son prolege avait peri misćrablement. Un nouveau Demetrius fut suscite aussitót qu’on eut trouye un homme pręt a courir Payenture, et il fut enyoye, avec une nouyelle armee polonaise, sous les murs de Moscou. Maintes batailles furent liyrees, maints sieges entrepris. L’armee polonaise vivait sur le pays, ra - yageait, brulait et pillait, comme une seconde hordę bar- bare. Au bout d’un certain temps, le roi Sigismond refle- chit qu’il pourrait tirer un profit plus direct de ces opera- tions, car le nouyeau Demetrius ne se montrait pas tout a fait aussi souple que son predecesseur au sujet du catholi- cisme, et pensait a assurer sa position par lui-meme en re - cberchant 1’appui des pretres grecs. L’annee precedente, Sigismond s’etait solennellement engage par un traite a ne pas faire la guerre a la Russie, mais cette circonstance l’inquietait peu. Dans 1’interet de sa familie et de sa foi, il s’avanęa vers Moscou, a la tete d’une grandę armee, pour s’emparer du tróne de Russie. Par un reste de pudeur, il consentit a ce que le nom de son flis Ladislas fut substitue au sień. Un simulacre d’election fut obtenu, par la force

(1) Perkin Warbeck pretendait 6tre Richard d’York , fils d'Edouard I V . 11 fut soutenu par Jacąues IV d’£cosse contrę Henri V II, et pendu a Tyburn, en 1499.

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des armes, des nobłes p resen ts; le second faux Demetrius fut mis de cóte; et pour eyiter, comme l’observa paternel- lement Sigismond, tout conflit entre lui et son fils, il oc- cupa de nouveau les districts de Smoleńsk et de Tchernigow, qui ayaient ete repris a la Pologne par Basile quatre-vingts ans auparayant. Pendant ce temps, les parents de Sigismond, en Suede, profitaient de leur mieux de cette precieuse occa- sion. Ils yinrent soi-disant pour aider le czar russe contrę ses ennemis polonais; bientót, sans aucun pretexte de pro- yocation on de droit, ils s’annexerent Noygorod et les pro- yinces russes des riyes de la Baltique. La Russie se tro u - vait ainsi absolument priyee de tout acces a cette mer. Quelques annees de confusion suiyirent 1’election de La- dislas. II continua a regner, au moins de nom, soutenu par une armee polonaise qui occupait Moscou et commettait des actes a peu pres semblables a ceux dont Varsovie fut le theatre au siecle suiyant. Ils desarmerent la population et pillerent a leur gró, ayant soin tout d’abord de yider le trósor public. Les Moscoyites se soumirent pendant quel- que temps, laissant nieme les soldats polonais tirer sur les images des saints grecs. Leur patience se lassa enfin; ils se souleyerent. Le commandant polonais ordonna, avec le plus grand calme, qu’on mit le feu en plusieurs endroits de la ville. On obeit, et Moscou fut reduite en cendres. Tout fut detruit, excepte le Kremlin et quełques eglises; et sept cent mille personnes furent chassees, denuees de tout, et deyant chercher asile contrę les rigueurs du climat russe au mois de mars. L’oppression etait deyenue intolerable ; les habitants de la Russie orientale se leyerent, chasserent les Polonais de Moscou et continrent Sigismond jusqu’a ce que la nation eut elu czar Michel Romanow, fils du pa­ triarchę (1613). Les Polonais se battirent encore cinq ans;

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la paix fut enfin retablie. Sigismond gardait les conąuetes qu’il avait faites, mais renonęait a disposer de la couronne de Russie. Michel Romanoff deyint czar de Russie, et La- dislas dutoublier ses reves ambitieux. Mais un demi-si&cle s’ecoula avant que la Russie se remit des pertes que lui ayait fait subir la Pologne, en profitant d’un moment de faiblesse passagere. Ce ne fut qu’en 1667 qu’elle regagna les provinces de Smoleńsk et de Tchernigow, que Sigis­ mond avait prises afin d’eviter tout differend ayec son fils; ce ne fut que beaucoup plus tard qu’elle recouyra les precieux territoires que la Suede s’etait appropries dans les memes circonstances.

Le partage de la Russie par la Suede et la Pologne ne figurę pas dans les declamations des ecriyains liberaux comme « le plus grand crime des temps modernes ». II eut lieu un siecle avant le partage de la Pologne, et lui est sem blable en bien des points. Tous deux furent soigneusement calcules pour profiter d’une periode d’anarchie; tous deux commencerent par donner le tróne au protege des puis- sances partageantes et finirent par la conquete du p ay s; tous deux furent entrepris dans 1’interet d’un credo reli- gieux et d’une dynastie ambitieuse; tous deux encoururent le reproche de yioler les traites. Ils different en un seul p o in t: Catherine reunit a son empire des populations qui ayaient deja appartenu a la race et a la religion de cet em­ pire; Sigismond annexa a son royaume des populations etrangeres comme race et comme religion. Et eependant l’odieux des actes de Catherine est presque devenu un axiome politique, tandis que le monde a tres-peu entendu parler des mefaits de Sigismond. II n’y a pas eu d’emigra- tion de nobles russes pour en faire le recit, avec des cou- leurs de fantaisie, dans toutes les capitales de 1’Europe; il

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n’y a pas eu d’figlise puissante pour dćplorer, sous prćtexte de sympathie pour les opprimes, les esperances deęues d’une propagandę militaire.

En tout cas, on ne pouvait pas s’attendre a ce que les Russes se resignassent au meme oubli. Leur nationalite avait couru de grands dangers; ils avaient perdu, pour un demi-siecle, deux grandes et fertiles proyinces, et le tout par 1’ambition religieuse et dynastiąue d’un roi de Polo- gne : comment ne se seraient-ils pas occupes des affaires politiąues de leurs remuants yoisins? Ils ayaient appris par une douloureuse experience ce que signifiait leur monar­ chie electiye. Le dernier des Jaghellons etait mort en 1572, et 1 election au tróne de Pologne, hereditaire jusqu’alors, n ćtait deja plus qu’une lutte entre les souyerains etran- gers pour obtenir ce pays, dont ils appreciaient la puis- sance militaire. La Pologne changeait de politique en changeant de princes : Phistoire nous le montre a chaque page. Apres le court intermede du regne peu serieux de Henri de Yalois, Etienne Batory, yoiyode de Transylva- nie, fut le premier successeur des Jaghellons; e t, sans compter leur yigoureuse attaque de la Russie, les Polonais se trouyerent brouillós avec les Turcs. Sigismond, catho- lique żele, vint apres Etienne, et un imposteur fut suscite comme pretendant au tróne de Russie, et tenu, par les en- gagements les plus formels, a y repandre le catholicisme. On comprend combien il etait important pour tous les yoi­ sins de la Pologne de sayoir comment et par qui son tróne etait occupe; la necessite de yeiller sur ce point ayait ete demontree a la Russie par une leęon qu’elle ne pouyait ou- blier. Quand, apres un demi-siecle de malheurs, les Russes reconquirent les proyinces et la paix politique dont ils jouissaient ayant que Sigismond leur imposat le

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mier faux Dćmetrius, il etait bien naturel que leurs diplo- mates prissent un vif interet aux yacances du tróne de Po- logne. Eh bien (et eeci montre toute 1’injustice avec laąuelle les relations entre la Russie et la Połogne ont ćte jugees), apres ces manceuyres de Sigismond, les czars et czarines de la maison Romanoff ont ete seyerement blames pour s’etre meles de Pelection de ses successeurs. Un tel reproche ne peut etre emis qu’en yertu du principe qui semble avoir dirige les ćcriyains liberaux : celui d’ignorer absolument 1’histoire de Russie et de Pologne anterieure a Pierre le Grand. Ce n’est pas la Russie qui a inaugure le systeme d’intervention dans les elections des rois de Po­ logne; elle ne Pa meme adopte qu’au moment ou, ayant laisse les autres puissances se disputer Parmee polonaise, elle s’exposa a un coup perfide et presque mortel; ce n’est pas elle non plus qui commenęa le jeu dangereux de com- battre une nation riyale en se melant de la succession de ses ro is; une lutte sur ce terrain ne peut finir que par la desorganisation et la mort politique d’une des parties. C’est la Pologne qui choisit les armes dans ce duel a m ort; il ne lui appartient pas de les recuser a present parce qu’elle ne s’en est pas seryie aussi habilement que son ad- yersaire.

C’etait folie de la part des Polonais de provoquer une lutte de ce genre: les semences d’anarcliie n’etaient que trop repandues cliez eux et n’ayaient pas besoin d’etre cultiyees par les diplomates etrangers. Nous en yoyons un exemple remarquable en 1668, Pannee meme ou la Russie ayait efface le dernier yestige de Pinyasion polonaise. Jean Casimir, fils de Sigismond, degoute de Panarchie qui re- gnait autour de lui, et desesperant de faire marcher une constitution impossible, ayait abdique. La liaute noblesse

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du royaume, desirant un contre-poids a la preponderance de la Russie, dont elle voyait le reyeil d’un oeil inąuiet, et desirant aussi simplifier la Constitution de maniere a aug menter son propre pouyoir, proposa d’elire ąueląue grand capitaine franęais, tel que Turenne ou Condć. La petite noblesse, au contraire, fort peu au-dessus de la mendicite, en generał, appreciait vivement un systeme qui politique- ment la rendait 1’egale des plus riches : elle defendit ses privileges. Une fois, entre autres, on lui proposa de modi- fier le liberum veto, en alleguant que, lorsque la Diete ne votait pas, 1’armee, qui etait payee comme 1’armee an­ glaise, par un yote annuel, devait etre licenciee et le pays rester sans defense. Sa patriotique rćponse fut « qu’elle « prćferait exposer 1’Etat a l’invasion etrangere que de “ souffrir la plus legere atteinte a ses libertes » (1). II est probable que ces libertes ayaient une valeur pecuniaire; il est du moins certain que, dans toutes les elections sui- vantes, la corruption fut largement employee et singuliere- ment efflcace. La meilleure explication de la conduite de la petite noblesse lors de 1’election du successeur de Jean Casimir, c’est que la Russie avait deja commence a intri— guer afin de s’assurer un candidat qui ne lui fut pas hostile. Quels qu’aient ćte ses mobiles, elle ne voulut pas entendre parler d’un candidat franęais, et nomma un obscur repre- sentant de son ordre, Michel K oributh, qui ne s’y atten- dait nullement. La haute noblesse refusa d’acquiescer a eette election et mit a sa tete Jean Sobieski. Aprós quel- ques annees d’anarchie, l’un des partis s’adressa a l’Au- triehe, 1’autre a la France. Au moment ou Sobieski, avec une armee polonaise, sauyait. son pays des Turcs, sa tete

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ćtait misę a pnx par le pouvoir legał, a Yarsoyie. La lutte fut enfin terminee par la mort de Michel et 1’election una- nime de Sobieski; mais il ne fut nomme qu’a la condition de conserver scrupuleusement le liberum veto et les plus grands abus de la Constitution.

Son regne fut une suitę de brillants exploits, comme il conyenait au dernier roi independant de la Pologne; mais aucun eclat militaire ne pouyait plus sauver la republiąue. Le mai cause par les factions etait trop profond pour que la main la plus yigoureuse put l’extirper. Un des vices de la Constitution etait le profit que pouyait tirer des elections le parti vainqueur. Les domaines de la couronne etaient extremement yastes, et le roi avait coutume, a son avene- ment, de les affermer, a des prix tres-bas, a ses partisans les plus declares. La fortunę d’un homme etait faite lors- qu’il avait. joue un role important dans 1’election du can- didat heureux. Ce systeme ressemble un peu a ce qui se passe en Amerique de nos jours, et produisit exactement les memes fruits. L’esprit de p arti, excite par 1’espoir de gains immenses, eteignit tout patriotisme.

Les Polonais etaient exposes a une autre tentation, que le patriotisme americain n’a jamais connue : la yaleur des troupes polonaises et le peu de scrupule qu’on mettait a les employer obligeaient les puissances yoisines a donner, si elles le pouyaient, un roi inoffensif a la Pologne. Pour y paryenir, ii leur fallait corrompre les electeurs. Les nobles polonais, habitues a considerer les elections comme une affaire de parti, n’etaient pas, helas ! au-dessus de la cor- ruption; et bientót la Russie, la Suede, la France et l’Au- triclie eurent chacune son parti dirige par son ambassa- deur. Aussitót qu’un tel systeme de politique interieure s’introduit etprend racine, 1’independance a cesse de fait.

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Le partage de la Pologne ćtait commence; le territoire etait intact, mais les coeurs des habitants etaient partagśs. Les elections furent de plus en plus influencees par les etrangers, et de moins enmoins par les interets du pays.

A la mort de Sobieski, Frederic-Auguste de Saxe fut elu a Finstigation de la Russie. Une etroite alliance fut formće entre les deux pays. Les Russesenyoyerent 20,000 roubles a Varsovie, afm d’assurer au roile consentement du Senat. Mais, Pierre le Grand battu par Charles XII a Narya, le roi de Pologne changea par ce fait meme. Frederic-Auguste fut expulse, et le conąuerant suedois donna la couronne a son protege Stanislas Łęczyński. Un an ou deux apres, la fortunę des armes changeait de nouyeau : le pouyoir de Charles etait renyerse a Pultawa, et, comme une conse- ąuence naturelle, Stanislas fut exile et Frederic reprit sa place. Pendant son e x il, Stanislas avait marle sa filie a Louis XV; et, a la mort de son riyal, 1’idće qu’il seraitsou- tenu par la France fit reussir sa rećlection (1732). Mais le Cardinal Fleury avait une ayersion innee pour la guerre, et les secours attendus se reduisirent aux modestes propor- tions d’un detacbement de 3,000 hommes, arriyes trop tard pour etre d’aucune utilite. Le parti russe conyoąua une autre Diete qui nomma le candidat russe, et Stanislas fut de nouyeau renyerse. L’influence russe fut alors si bien etablie, que personne n’essaya plus de 1’ebranler. Le der- nier roi de Pologne, Stanislas Poniatowski, fut nommepar la czarine Catherine, en 1764, sans opposition sćrieuse de la part des autres puissances. Plus de 100,000 roubles fu­ rent depensćs pour acheter des patriotes. Le primat seul passe pour ayoir coute 12,000 ducats. En dehors de cette faible resistance,l’imperatrice ne rencontra aucun obstacle a 1’accomplissement de sa yolonte.

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En ce qui concerne laczarin e, il est probable que cet arrangement eut pu durer un certain temps. Sans etre desagreable aux Polonais, il assurait a la Russie une do- mination aussi complete que celle de 1’Angleterre sur le Deccan. II flattaittous les sentiments d’ambition, d’orgueił national ou de sympathie religieuse qui puissent animer les Russes. II leur donnait 1’assurance que la puissance po- lonaise ne serait jamais tournee contrę e u x ; que les p ro - vinces russes encore sous le joug seraient protegees, et 1’Eglise grecque garantie contrę 1’intolerance qui etait de- venue un des principes du gouvernement polonais. La Russie n’avait donc aucune raison de desirer un change- ment. L’etat actuel des choses lui donnait ce qu’elle perdit dans les transactions suivantes : une influence qui s’eten- dait aux frontieres de la Silesie et de la Morayie. Ce n’est pas la Russie qui proposa le p artag e; il avait ete discute plus d’une fois. Yers la fin du XYIe siecle, 1’idee en ayait ete emise par la cour d’A utriche; au milieu du XYIIe siecle, lors de l’abdication de Jean Casimir, Charles XI de Suede, dans 1’interet de sa maison, ayait propose un projet sem- blable. Ces deux propositions echouerent, faute d’appui suffisant. 11 y a des fruits qu’on ne trouye murs et bons a cueillir que quand ils sont pourris, et la maturite de la Pologne pour le partage semble avoir ete soumise a la menie regle. C’est a Frćderic le Grand de Prusse qu’appar- tient le merite d’avoir conęu le plan qui fut execute. II est a present admis, nieme par les historiens alleraands, que le premier partage fut propose a Catherine par le prince Henri de Prusse, au nom de son frere Frederic, et du plein consentement de Joseph, empereur d’Allemagne. Frederic n’avait jamais ete tres-scrupuleux dans ses acquisitions territoriales, et il etait peu probable qu’il le deyinta 1’egard

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des Polonais. La spoliation etait la tradition hereditaire de sa race, et 1’histoire de son royaume n’etait qu’une suitę d’annexions illegales. II etait compose de territoires pris a autrui, et surtout a la Pologne, dont ses predecesseurs avaient ete longtemps les vassaux. La yeille encore, lui— meme, en ajoutant a son royaume bigarre un lambeau de 1’empire d’Autriche, il s’etait librement servi d’elle, sans y etre aucunement autorise, pour recruter et approvision- ner son armee. Son projet de s’etendre en prenant une nouyelle proyince polonaise etait donc pour lui la chose la plus simple. Ses peres 1’ayaient faitayantlui, et lui-meme etait deyenu un grand homme et avait acąuis une grandę place dans 1’histoire de son temps par son habilete en de semblablesentreprises. Si on ayaitpu lui dire que lesultra- liberaux de 1’Europe, sa coterie fayorite, seraient un jour si indignes qu’il traitat Culm comme il avait traite la Si- lesie, il 1’aurait appris avec dedain sans doute, mais avec une surprise inexprimable. Plus tard, les historiens prus- siens s’efforcerent de prouyer que Frederic pouyait invo- quer « l’excuse destyrans, la necessite ».Le grand homme lui-meme aurait trouve inutile de defendre ce qui lui p a- raissait la tradition naturelle de sa dynastie. Quel eut ete son ćtonnement s’il avait appris que dans 1’appreciation du « grand crime » il passait pour moins coupable que Ca- therine!

L’attitude prise par les deux puissances allemandes mo- difia naturellement la politique de la Russie. Si personne n’intervenait, l’existence d’une Pologne dependante n’etait nullement hostile a ses interets; mais on ne pouyait pas exiger qu’elle ne se melat en rien des affaires de ses voi- sins. Une riyalite seculaire, que de recents evenements ayaient montree yiyante encore dans les coeurs polonais ;

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les graves injures que la Russie venait de su b ir; les cen- taines de millede Russes (Russes de race et de foi) qui ge- missaient sous le joug arbitraire des nobles polonais; 1’anarchie qui dechirait la Republique depuis des genera- tions, anarchie aussi fatale a la paix interieure qu’a de bonnes relations avec 1’etranger : tout se reunissait pour interdire a la Russie une politique d’abstention. Aussi longtemps qu’elle put contróler la politique etrangere de sa yoisine et limiter ses forces militaires, Padministration interieure lui importait peu. Untel etat de choses deyait. cesser le jour oii la Republique serait attaquee sur ses autres frontieres. Toute la question etait changee du moment oit deux grandes puissances militaires, tres-capables de le faire, proposaient de transporter leurs frontieres sur la terre polonaise, aux portes de la Russie. Sans doute un souverain russe chevaleresque, ayant assez d’imagination pour admirer le gouYernement de la noblesse polonaise, aurait pu faire la guerre a la Prusse et a 1’Autriche et maintenir 1’intćgrite de la Pologne. Ceux q u i, plus ta rd , ont vu comment une garantie ćtrangere prolonge la vie d’un « malade », apprecieront a leur gre le succes ou l’avantage d’une telle politique. Gatherine etait loin d’etre une souveraine a la don Quichotte. Mais les Polonais, eon— querants eux-memes, et souvent aux depens de la Russie, n’avaient aucun droit de se plaindre du parti qu’elle prit. Elle effaęa les derniers yestiges de leur domination en Russie ; elle reunit, aux autres Russes ceux qui depuis des siecles etaient sous le joug des Polonais; elle occupa ce qui leur restait encore (1) du pays du Niemen et du

Dnie-(1) La Podlachie et Chełm , qui etaient originairement russes et conąuis par la Pologne, ne furent pas repris par Catherine; 1'une passa a la Prusse Pautre a 1’Autriche.

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per, ce qui, plusieurs siecles auparayant, avait appartenu a 1’empire de Władimir et de Jarosław; mais elle ne prit pas un seul arpent de terre purement połonaise. Les seuls Polonais qui se rangerent sous son sceptre furent les no- bles qui ayaientreęu d’immenses terres, depouilles de leur propre pays, et un certain nombre de fugitifs qu’avait eloi— gnes la rigueur du servage, et qui se refugierent parmi les Cosaques de 1’Ukraine. Partout ou elle planta le d ra- peau russe, lamasse de la population etait russe, la langue etait russe, et, excepte quelques domaines dans lesquels de fanatiques proprietaires ayaient opere des conversions forcees, le eulte grec etait seul connu.

Maintenant, cette maniere d’agir constitue-t-elle ceque le comte Zamoiskiappelait 1’autre jo u r, a Manchester, « le grand crime du temps » ?

Nous bornant a le considerer en lui-meme, nous hesite- rions encore a lui accorder cette importance. Les accusa- tions auxquelles a donnę lieu son execution etaient cer- tainement fondees, quant a la yiolation des traites; mais la question de sayoir si 1’liostilite d’une des parties con- tractantes affranchit les autres de leurs engagements sera toujours un point conteste de morale internationale, e t, par consequent, Ton peut se demander si Catherine etait degagee de sa promesse de maintenir 1’integrite de la Po- logne par les efforts du parti dominant pour liyrer ce pays a 1’Autriche. Quoiqu’il ensoit, il faut conyenir quesacon- duite fut la loyaute menie, comparee a quelques-unes des transactions que la meme generation vit s’operer. Elle n’entrainait aucune yiolation des traites aussi flagrante que la conquete de la Silesie, aucune dćception aussi impu- dente que le traite par lequel Clive donna le Bengale a l’An- gleterre. Fermer les yeux sur le reste de 1’histoire de

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Russie et de Pologne, c’est prendre une vue etroite de la ąuestion et la juger par des principes que nous n’appli- quons jamais aux peuples dont nous connaissons mieux 1’histoire primitive. Le partage n’etait en realite qu’une bataille dans la longue campagne qui a dure huit siecles et qui n’est pas terminee ! L’histoire des Maures et des chre- tiens en Espagne en est un parallele assez exact.

En 700, les Goths chretiens sont maitres de toute l’Es- pagne. Ils sont yaincus par les Maures; et pendant plusieurs siecles, il ne leur reste de leur antique et splendide mo­ narchie qu’une petite langue de terre. De generation en generation, la lutte se continue avec desfortunes diyerses. Les chretiens sont affaiblis par leur diyision en plusieurs pe- tits Ltats. Enfin, les dissensions intestines des Arabes leur offrent une occasion fayorable, et ils commencent a reg a- gner le terrain perdu. Peu a peu, a de longs intervalles, et malgre des revers accidentels, ils recouyrent parcelle par parcellede leur antique empire. Apres huitsiecles, la grandę masse des pays dont ils ayaient ete chasses est de nouyeau reunie sous un sceptre chretien. II ne reste aux enyahisseurs que laseule proyince de Grenade. Quefait Ferdinand le Ca- tholique? Sesoumet-il aujoug etranger,a eause de son an- tiquite? Considere-t-il comme un grand crime de ramener ceux de sa race et dc sa foi sous le nieme sceptre que leurs compatriotes et leurs coreligionnaires? Les Arabes ayaient gardę Grenade sans interruption pendant pres de huit cents ans. Les Polonais ne pouyaient alleguer une aussi longue possession, lorsque Catherine reprit Witebsk et laY olhy- nie. Gependant, Iaconquete de Ferdinand n’a jamais passe pour le grand crime de son temps. Toutes les circonstances qui, selon la theorie populaire, auraient du proteger les

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Polonais contrę Catherine, auraient dii proteger aussi les Maures contrę lui: unelongue possession, une grandę his— toire, et la faiblesse d’une decadence imminente. Mais les historiens politiąues, tres au courant de la lutte dont la prise de Grenade ne fut que le commencement, refuserent de condamner une ?^conquete comme une agression, et de juger separement les divers incidents d’une lutte seculaire entre deux grandes races. S’ils avaient suivi le long debat entre les Russes et les Polonais ayecrinteret qu’ils ontpris a la lutte des chretiens contrę les musulmans, ils n’au- raient pas juge si legerement les eyenements de 1773-95. La guerre, sous quelque formę qu’elle se presente, est une ealamite ; elle entraine le meurtre et le pillage; elle change la liberte en esclayage, la richesse en pauyrete; souvent elle condamne de fieres etillustresnations a Pinsignifiance ou a la mort. Mais son caractere morał n’est pas modifie par le fait de sa duree. Elle doit etre jugee d’apres les memes principes, qu’elle dure des siecles ou des annees.

Nous avons plus d’une fois mentionne comme tres-im - portante la difference dereligion entre les Polonais etleurs sujets a Test du Niemen et du Bug. Catherine elle-meme insista beaucoup sur ce point, et les mauyais traitements que les dissidents (on appelait ainsi tous ceux qui n’etaient pas catholiques) subirent du catholicisme dominant etaient 1’objet de plaintes frequentes de la part de la Prusse p ro - testante d’un cóte, et de la Russie orthodoxe de 1’autre. Les ecrivains polonais ont affecte de dedaigner cette con- sideration, a cause des yices bien connus de Catherine, qui deyaient, d’apres eux, 1’empecher de pretendre a tout żele religieux. Mais un tel raisonnement depasse le but. La question du caractere prive de Catherine n’a absolument

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rien a faire avec ces transactions, bien qu’il ait exerce une certaine influence sur le jugement qu’on en a porte. Les defenseurs de la foi, partout et toujours, ont ćte disposes a se servir de leur żele public pour passer legerement sur leurs devoirsprives. On n’est pas oblige de croire que l’em- pereur Napoleon III ait ete anime de 1’esprit des croises lorsqu’il combattit avec tant d’energie pour les droits des moines latins a posseder une clef de 1’eglise du Saint-Se- pulcre, a Jerusalem, ni que sa vigoureuse defense de l’in- dćpendance du papę soitle resultat d’une deyotion passion- nee. Mais son droit de se meler de ces questions n’en est pas moins reconnu. Lorsqu’un souverain yeut soutenir un sentiment religieux, il se base non sur ses propres conyic- tions, mais sur celles de ses su jets; et si leurs idees sur la question debattue sont serieuses et sinceres, ses droits a s’en declarer le champion sont incontestables, quelles quc soient ses opinions personnelles. II n’y a rien d’etrange a voir un prince peu fervent tirer son epee dans une cause religieuse, parce qu’il agit non pour lui-meme, mais commc representant de ses sujets. Catherine peut n’avoir pas ete animee d’un grand żele pour le culte grec, mais elle regnait sur des milliers de pretres et des millions d’hommes que cette cause enflammait, et son interet evi- dent etait de les consulter sur un point qui agite toujours si fortement les masses. Le mecontentement cause dans le clerge par les mesures de son mari ayant beaucoup con- tribuć a la mettre sur le tróne, elle avait toute raison de connaitre et d’apprecier la yaleur de son concours.

On ne peut cependant mettre en doute la sincerite de son interyention en faveur des dissidents polonais, a moins de contester aussi la realite de leur persecution. Mais ceci est precisement le cóte faible de la question polonaisc. En

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depit de tout 1’enthousiasme des liberaux d’Europe pour ses institutions, c’est łe seul peupłe q u i, en pleine ciyilisation moderne, aux XVIIe et XVIII6 siecles, renonęa a ses habitu- des de tolerance pour entrer dans la voie despersecutions.

II est assez difficile d’expliquer ce retour a un mai dont la plupart des nations cherchaient a se delivrer; il pa- rait avoir ete cause en partie par le żele exagere du Sue- dois Sigismond, en partie par le proselytisme des jesuites, et aussi par la fureur croissante des factions, qui d’annee en annee rendait les nobles plus etrangers a toute idee de tolerance et de douceur. Quelle que fut la cause, 1’effet fut important. Dans la Pologne proprement dite et dans les provinces occidentales de la Republique, le changement de systeme affecta surtout les protestants. Au com- mencement du XVII6 siecle, Sigismond n’admettait les dissidents ni au Senat ni a aucun emploi; ce q u i, dans un pays ou la loi etait presque inconnue, impliquait de fait le refus de toute protection. La populace fut ameutee contrę eux, quelques sectes furent chassees du pays, d’au- tres furent priyees de leurs eglises. La perseeution ne se bornait pas a leur interdire 1’enseignement; le systeme d’obtenir 1’unite religieuse par le massacre des hetero- doxes fut pousse loin au XVIII6 siecle. En 1687, nous voyons un homme brule vif pour ses erreurs religieuses, et en 1724, un magistrat de Thorn execute a cause de ses idees protestantes. Dans la partie orientale de la Pologne, ce sont les dissidents grecs, de race russe, qui souffrirent. L’animosite des Polonais contrę le culte grec etait, sans doute, excitee par des causes politiques, mais leur guerre avec la Russie en 1610 fut surtout une guerre de prosely­ tisme, e tn ’avait fait qu’accroitre leur colere contrę une eon ; fession que leurs efforts n’avaient pas reussi a ebranler.

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Une terrible persecution des Cosaąues de 1’Ukraine en fut la suitę. Les eruautes qui s’y commirent passerent (comme celles qui attachent une eternelle infamie au nom du m ar- quis Wielopolski) pour ayoir ete ordonnees afm de provo- quer une reyolte ouyerte, avant qu’une desaffection crois- sante rendit la repression plus difficile. Un decret re- duisit, d’un seul coup, toute la population cosaque en ser- yitude. Les pretres qui refusaient de se soumettre a la papaute furent emprisonnes; leurs eglises passerent aux catholiques. Les cendres de plusieurs generations de schismatiques furent outrageusement deterrees et jetees au vent. Les tribunaux eux-memes subirent 1’influence du mo­ ment et furent regis, comme le dit 1’historien, « instinctu reverendornm patrum Societatis Jesu » (4).

Le plan rćussit admirablement. Blesses de ce mó- ange d’oppression et d’insulte, les Cosaques se leyerent. Pendant quelque temps, sous la conduite de l’heroique Sulima, ils soutinrent contrę leurs oppresseurs une lutte semblable, dans son desespoir, a celle que soutiennent a present les Polonais contrę les Cosaques et leurs formi- dables escadrons. Mais leur yaleureuse armee, indiscipli- nee et mai ćquipee, ne pouyait pas se mesurer avec celle des Polonais, dont le prestige etait encore si grand. La rćyolte fut reprimee ayec la derniere rigueur. Sulima fut pris et empale vif; ses officiers furent executes avec une ćgale barb arie, et pour le moment, « 1’ordre regna dans 1’Ukraine >.. Jusqu’a la fln du XYIIe siecle, cette fśroce eyangelisation fut poursuiyie sans relache. Les plaintes des populations russes, et des nobles parmi elles, etaient

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eonstantes. Les appels des chefs de la grandę rebellion cosaąue de Chmelnicki, en 1658, aux chretiens grecs pour qu’ils se joignissent a euxcontrę leurs maitres catholiąues, prouyent bien que les maux de 1’Eglise grecque etaient encore a cette epoque un puissant sujet d’excitation.

Lapersecution deyint moins flagrante, mais les dissidents furent encore soumis a une oppression cruelle et traites comme un parti antinational. Les proprietaires firent de grands efforts pour conyertir au catholicisme leurs serfs russes, dans le siecle qui preceda le partage, et nous pou- vons leur appliquer ce que nous avons dit de Catherine : ils etaient moins excites par une ferveur evangelique que par des vues politiques bien naturelles. Ce mouvement ajouta cependant un element considerable aux dissensions qui haterent la chute de la Republique. Apres deux siecles de persecutions, le patriotisme des dissidents etait deyenu fort tiede. Ils solliciterent ouyertement 1’appui de la Russie et de la Prusse contrę leurs antagonistes catholiques. Quand Catherine obtint 1’election de Poniatow ski, le der- nier r o i, deux confederations de dissidents se formerent en sa fayeur.

Sous le regne de ce prince, deux souleyements de paysans du culte grec yinrent s’ajouter aux autres mal- heurs de la Republique, et sont remarquables en ce que ce fut le seul signe de vie donnę par les paysans pendant la ruinę de ce qu’on appelle leur patrie. Quand le partage fut consomme, on ne trouya pas un des habitants non anoblis des proyinces annexees a la Russie qui youlut s’armer en fayeur de la Pologne.

La justification de Catherine nous parait complete, autant qu’une conquete peut etre justifiee. La

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munaute de religion, qui passait autrefois pour une ex- euse ; la communaute d’origine, qui, de nos jo u rs, suf- fit a justifier les cruautes les plus atroces et le mepris le plus flagrant des traites; Fantiquite de la possession, qui a toujours passe pour un pretexte valable de guerre; les exi- gencesde ses frontieres et lanecessite d’un contre-poids a Fagrandissement de puissants yoisins, principe qui n’est pas entierement inconnu a la diplomatie contemporaine: tous ces arguments se reunissent pour justifier l’annexion des proyinces que Catherine reprit a Fennemi hereditaire de son empire. Tout ce qui peut etre mis en avant pour excuser la conquete de Grenade par les Espagnols, de Ca­ lais parlesFranęais, du Bengale par les Anglais, de la Lom­ bardie par les ltalien s, peut etre mis en avant en fayeur du faitque FEurope a appris a nommerle «grand erime des temps modernes ».

La juste horreur excitee par son histoire personnelle et les cruautes que les czars ont eommises plus tard contrę les Polonais ont coneentre sur Catherine Findignation qu’a proyoquee Fextinction de la Pologne. Nous avons plaide sa cause; il nous faut maintenant consaerer quelques mots a ses copartageants. Leur defense n’est pas aussi facile. Von Sybel entreprend celle de la Prusse et la poursuit avec sa force et sa d arte habituelles; mais yoici tout ce qu’il trouve a dire en fayeur du monarque prussien : il admet que Catherine ne desirait pas le partage et qu’il lui fut im- pose malgreelle par les cours de Yienne et de Berlin; mais il affirme que les puissances allemandes ćtaient elles-memes contraintes de Fexiger a cause de la suprematie de Cathe- therine sur le gouyernement polonais. Cette suprematie etait telle que, sous le rapport de la politique ćtran- g ere, la frontiere de la Pologne etait la yśritable

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fron-tiere russe. Une telle defense impliąue qu’il est legał de rćagir par une agression armee contrę une influence ćtrangere exereće sur un voisin. II serait dangereux d’in - troduire un tel principe dans le droit international; ce- pendant on ne peut lui contester quelque valeur, si la doc- trine de la balance despouyoirs n’est pas une chimere. Une influence excessive et constante est une conquete deguisće. Le soin qu’ontpris les grandes puissances pour ścarter les differentes familles regnantes de nouveaux trónes, tels que ceux de Belgique et de Grece, n’avait pas d’autre raison. Les remontrances que les puissances occidentales ont adressćes a 1’Autriche au sujet des traitśs secrets par les- quels elle maintenait les petits Etats italiens sous son in­ fluence n’avaient pas d’autre base.

Par consequent, si la conquete entraine la conquete, 1’influence, quand elle equivaut a la conquete, peut aussi conduire a la meme nćcessite. Ge qui est eyident, c’est que, dans un equilibre aussi bien etabli que celui des nations europeennes, chaque Etat a le droit d’exiger que son yoisin nedćpende de personne. Quand,par suitę de quelque des- organisation interieure, cette independance deyient im - possible, il ne peut 1’ignorer, et doit prendre des precau- tions , et s’assurer, si ce yoisin doit dependre d’une puis- sance, qu’il depende egalement de toutes. Ge rćsultatpeut etre obtenu soit par une tutelle d’ambassadeurs, comme a Constantinople, soit par un partage. Les deux procedes sont ćgalement incompatibles avec une yćritable vie natio- nale, et ne sont pas toujours efficaces, car 1’arrangement turc n’a pas empeche la guerre. II est douteux qu’il eut etó meme applicable, avec toutes les humiliations qu’il en- traine, a un peuple moins dispose a une soumission orien- tale. II n’en est pas moins yrai que, dans leur interet, les

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puissances voisines doiyent exiger une de ces deux garan- ties d’un £ tat incapable de se gouyerner ou de se d ś- fendre.

Que la Pologne ait ćte dans ces conditions, c’est incon- testable. Depuis la mort de Sigismond, un siecle et demi avant le partage, l’anarchie etait son etat normal. Aucune partie de la Constitution ne fonctionnait, tous les emplois etaient mis en vente et dćdommageaient amplement ceux qui les ayaient achetes. 11 n’y ayaitpas de pouyoir executif assez fort pour attenuer le mai, comme en France, par des administrateurs dependant directement de la couronne. L’armee avait des generaux que le roi ne pouyait pas desti- tuer. Elle etait payće, comme 1’armee anglaise, par un yote annuel de la Diete, et la Diete ne pouyait rien decider si le patriotisme de ses membres ne les faisait renoncer tous au veto qui pouyait a tout moment interrompre ses delibera- tions. Le depute qui osait prononcer le mot fatal le payait de sa vie, s’il ne reussissait pas a s’echapper; mais le veto n’en etait pas moins efficace et irreyocable. L’antagonisme des factions augmentant, cette prerogatiye insensee fut. exercee de plus en plus legerem ent, et 1’armee resta sou- yent des annees sans etre payee.

Les moyens de s’assurer 1’unanimite de la Diete etaient tres-varies. Quelquefois les nobles se reunissaient en grand nombre autour de Yarsoyie pourmenacer les recalcitrants; quelquefois 1’armee campait au dehors et suryeillait elle— menie les votes. Dans une occasion, le roi emprunta une idee a la jurisprudence anglaise, et enferma la Diete, sans nourriture, jusqu’a ce qu’elle fut d’accord. Plus ta r d , le soin d’obtenir 1’unanimite fut confie a 1’ambassadeur de Russie, qui employait quelquefois la menace, mais doiRr-“~ la corruption etait 1’arme ordinaire.

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Tout cela n’etait pas fait pour constituer une bonne o r- ganisation; mais, si les nobles ayaient eu un peu de patrio- tisme ou de sagesse, de tels defauts eussent ete facilement corriges. Ils n’etaient rien en comparaison des difficultes qu’entraine le singulier systeme des « confóderations ». Elles ont ete bien nommees revoltes legałeś.

La conduite de la Diete ou celle du roi deplaisait-elle a un certain nombre d’individus, ils se croyaient le droit de for- mer une ligue armee et de faire preyaloir leurs opinions a la pointę de 1’epće. S’ils ótaient assez forts, la loi ou le decret inerimine etait annule; s’ils ćchouaient, personne ne les considerait comme traitres ou mauyais citoyens. Au milieu d’une race vive et emportće, un tel abus devait prospćrer rapidement. Les confederations deyinrent la res- source liabituelle des minorites. Tout pouyoir etranger pouyait en obtenir laformation. Les merites des differents candidats au tró n e, les griefs des dissidents contrę les catholiąues, les propositions des reformateurs ou les plaintes des reactionnaires, etaient decides tout naturelle- ment, non par un yote legał, mais par cette guerre ciyile ćrigóe en systeme. Geci demontre bien le caractere peu pratiąue de 1’esprit de Rousseau , car c’etait 1’institution, entre toutes, qui excitait son admiration dans le systeme polonais. C’etait, selon lu i, la plus forte negation du pou­ yoir absolu qu’une Constitution politique put exprimer. L’experience cependant prouva ce que des obseryateurs plus calmes ayaient prevu, que 1’anarchie complete et la dependance qui en est la consequence naturelle etaient les seuls fruits possibles d’un systeme aussi peu ra - tionnel.

Quelques hommes, sincerement deyoues a leur pays, tenterent un supreme effort et chercherent a modifier la

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Constitution avant qu’elle fut submergee. II ćtait trop tard ! Siecle apressiecle,lesPolonais avaienttenuauxplusgrands abus; ils avaient rejete tout conseil de reforme, ils ayaient sciemment dedaignć les ayertissements qu’on leur adressait sans cesse sur les consequences ineyitables de leurs di- yisions. Lorsqu’ils consentirent enfm a proposer une re­ formę, la derniere heure avait sonne pour leur pays, et les plus aveuglespouvaientpreyoirson imminente destruction.

La Constitution de 1791, qu’on a beaucoup yantee, avait le grand tort d’etre un elan de repentir in extremis. Elle deyait aussi peu empecherles malheurs qu’entrainaient des siecles de troubles que les concessions de Louis XVI deyaient arreter laRóyolution, ou la Constitution de Fran- ęois Ilentrayer la marche de Garibaldi. Cette Constitution meme, toute specieuse qu’elle fut en biendes points, n’etait en realite qu’une nouyelle preuye de dependance, un nouycl appel a Finteryention. Triste destinee de la Pologne! ses meilleurs mouyements eux-memes lui etaient suggeres par 1’intrigue etrangere. Sur le papier, la Constitution de 1791 paraitun patriotique effort de reformer des abus notoires; pour beaucoup deceux qui lasoutinrent, elle ayait certaine- ment ce caractere. De fait, elle etaitconęue et imposee par l’Autriche.Ellepeut,sousplusieursrapports, interesserFhis- torienet lephilanthrope d’aujourd’h u i; mais le point impor- ta n tp o u rla diplomatiecontemporaine, c’est qu’ellerendait la couronne hereditaire, augmentait sespouyoirs, etlacon- fe ra ita l’electeurdeSaxe, princecatholique, attache auparti autrichien en Allemagne, et des plus hostiles a la Prusse. Ce n’etait en realite qu’une tentatiye deguisee de transferer la suzerainete de la Pologne de Petersbourg a Vienne, et d’obtenir pour 1’Autriche, et au prix de la securite futurę

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de la Prusse, une indemnite et une reyanche des pertes qu’elle avait subies. On peut a peine blamer la Prusse de s’opposer a ce qu’un territoire qui coupait ses propres Ltats en deux fut liyre a rAutriche. On lui a amerement repro- che, a elle et a la Russie, de s’etre opposee a la Gonstitu- tion reformatrice de 1794 et d’avoir fait de son adoption le signal de nouvelles propositions de partage. Le fait est incontestable; mais on en a omis le motif. Les reformes polonaises ne tombaient pas dans une terre assez propre a de telles semences pour que 1’idee de leurs fruits salutaires eut pu alarmer 1’ambition de Catherine et de Frederic-Guil- laume. Pour ce qui tendait a retablir l’ordre et 1’indepen- dance en Pologne, on pouvait compter sur la turbulence des nobles pour en faire une lettre m orte; les deux souye- rains connaissaient trop bien les Dietes polonaises pour craindre un projet de reforme. Le pouvoir de rAutriche ćtendu jusqu’au Dnieper et au Netze etait un danger bien autrement serieux. Catherine ne pouvait que repondre par la confederation de Targowicz, quiannula lanouyelleConsti- tution ; et Frederic-Guillaume n’eut d’autre alternatiye que d’oceuper en toute liate les districts dont rAutriche ayait voulu faire une menace permanente pour Berlin. N’oublions pas que des dangers dumeme genre menaęaient 1’Autriche, et que le nieme argument peut etre retourne en sa fayeur. Quand un Etat a commence a se decomposer a l’interieur, la ligne entre une influence toute-puissante et la conquete est insaisissable, et il est souyent malaise de dire lequel de ses yoisins est coupable de spoliation yeritable. II est eyident que, quand l’un d’eux a commence, les autres sont forces de 1’imiter, par instinct de conseryation. S’il est re- connu qu’un Etat doit tomber en ruinę, il deyient essentiel

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