Małgorzata Czermińska
La position autobiographique
Literary Studies in Poland 14, 83-102
M ałgorzata C zerm ińska
La P osition autobiographique
L a présence de l ’élém ent au to b io g rap h iq u e d an s la prose polonaise co n tem p o rain e s’accentue de plus en plus et elle occupe sans cesse des terrain s nouveaux. O u tre les rom ans qu i co m p o rte n t un ra p p o rt plus on m oins lisible avec le vécu personnel de l’auteur, les textes strictem ent autob io g rap h iq u es que les écrivains p u b lien t jo u e n t un rôle essentiel: de tels livres im posent le problèm e avec une plus grande expressivité. C e phénom ène a to u jo u rs eu cours, cela d o n n e u ne idée de ses dim ensions. Des pastiches o n t vu le jo u r (c’est incontestablem ent un des traits du livre de K onw icki Kalendarz
i klepsydra {Le Calendrier et la clepsydre); d ’ailleurs, K onw icki
lui-m êm e appelle son livre, à un certain m om ent, un «faux jo u rn al» ) ainsi que des m ystifications accom plies to u t à fait sérieusem ent, com m e le prem ier tom e du Journal de W aclaw K u b ack i que K o n ra d G ô rsk i a désigné, avec to u te la m inutie d ’un philologue, com m e devant être e x p o st des m ém oires stylisés en jo u rn a l. C ette m ystification dévoile l’existence, d an s la conscience littéraire, d ’u ne certaine hiérarchie au sein des divers genres d ’écrits personnels. D ans les sphères intellectuelles, le jo u rn a l, anobli p a r des philosophes, des écrivains européens renom m és, occupe, de to u te évidence, une place sensiblem ent plus élevée que les honnêtes m ém oires de souche sarm ate de Ja n C hryzostom P asek (XVTFn siècle).
C ependant, il faut co n tin u er à p arler d ’autobio graphism e, d ’élém ent au to b io g ra p h iq u e ou de position au to b io g ra p h iq u e et non, to u t sim plem ent, d ’au to b io g rap h ie en ta n t que genre. Il serait sans do ute difficile de trouver d an s la littératu re polonaise du X X e siècle un texte q u ’on puisse appeler une a u to b io g ra p h ie au sens classique de ce m ot, c ’est-à-dire un texte qui présente un récit de la vie p ro p re de l ’auteur, récit organisé au to u r d ’une idée de sa p ro p re
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personnalité, idée co n stitu an t une a u to in te rp ré ta tio n de son p ro p re destin l.
Les autres genres d ’écriture personnelle se sont to u jo u rs com ptés de plus en plus n o m breux dans la littératu re polonaise. Les m ém oires y on t été représentés depuis des tem ps fo rt anciens; les ro m an tiq u es privilégiaient l’a rt épistolaire; a u jo u rd ’hui, n o us faisons une découverte tardive du jo u rn a l intim e. On co n n a ît universellem ent la situation particulière des m ém oires où le ton d ’intim ité est to u jo u rs mis en sourdine. P ar con tre, les lettres et le jo u rn a l personnel, quelle que soit l’intention en m atière de pub licatio n, ont su rto u t fonctionné dans un circuit non officiel, ils étaien t des do cum en ts privés et non une littératu re d ’action pu blique. Ils m enaient une existence secrète. L ’auto bio g rap h ie, elle, on ne l ’écrit ni p o u r soi-m êm e, com m e un jo u rn a l, ni p o u r un proche, com m e une lettre. On l’écrit p o u r la postérité com m e des m ém oires. M ais on y p arle de soi — ce n ’est pas le cas dans des m ém oires. P o u r l’écrire, il faut être convaincu de l’im p ortan ce publique de ce qui est individuel, personnel, privé.
Les péripéties de l ’individualism e ro m an tiq u e ont p rou vé que dan s la situ atio n de la littératu re polonaise, ju s q u ’à cette époque, cet individualism e ne rep o sait pas sur u ne conviction évidente, sûre. D ans n o tre trad itio n littéraire, il n ’est pas app aru de lieu p o u r l’autobio g rap h ie, laquelle doit, p o u r être soi-m êm e, placer l ’individu au centre de son m onde. Le besoin de parler de soi s ’est trouvé une issue de rem p lacem en t d an s les lettres privées, d ans le jo u rn a l tenu caché dans un tiro ir, d an s des m ém oires où la présence de l’individu est justifiée p a r sa qualité de tém oin direct des événem ents, enfin d ans le ro m an au tob io graph iqu e. Les m étam orpho ses survenues, depuis P roust, d an s ce rom an qui est tou jo urs, com m e l ’a p rouvé B akhtine, une form e qui, en fait, est am orp he et qui relève de plusieurs genres, ces m étam orphoses ont fait que l’élém ent de l ’auto b io g rap h ism e qui, d ans la littératu re polonaise, n ’a jam ais pu assouvir ses p réten tio n s, a envahi, en force, le terrain de la prose rom anesque.
La présence de l’au to b io g rap h ism e dan s n o tre vie littéraire contem po rain e, ce n ’est pas seulem ent l’ab o n d a n ce de ces oeuvres
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nées actuellem ent. C ’est aussi le grand nom bre de publications d ’anciennes lettres personnelles, polonaises ou trad u ites com m e des positions classiques de l ’intim istique européenne. L ’influence de ces m odèles — su rto u t des oeuvres rem arquab les — touche un terrain favorable et h âte la m anifestation de tendances au to b io grap hiq ues qui, au p a ra v a n t, se dissim ulaient sous des cryptonym es de rom ans ou de nouvelles. Parallèlem ent, selon une réaction inverse, se form ent les attentes actuelles des lecteurs. A cet intérêt p o u r l’autobio- graphism e est due une p artie du grand succès de ce q u ’on a appelé la littératu re du fait, d o n t l ’existence se situe à la lim ite du rom an. Les publicatio ns, sous form e de livres, de reportages, les biographies mises en littératu re, les récits de voyage, les m ém oires, les docum ents m êm es, auxquels on n ’a pas donné u n arrang em ent littéraire — ce sont des livres qui trouv ent toujo u rs un acheteur dans les librairies, un lecteur dans les b ib lio th èq u e s2.
D evant cet afflux d ’auto bio grap hism e, les réactions de la critique littéraire oscillent entre l’aversion la plus pro fo n d e et l ’enthousiasm e. Les d éclaratio ns hostiles perçoivent p a r exem ple d an s ces oeuvres u n e m enace de subjectivism e, de superficialité, d ’infantilism e, d ’indiffé rence à l ’égard de la vie sociale. A l ’intérieur de cette position, on ne p eu t accepter que les m ém oires, qui so n t concentrés sur la relatio n du m onde env ironn ant, qui sont écrits de la position du tém oin, qui ont une valeur docum entaire, de source d ’études p o u r le sociologue ou l’historien. U ne telle po sitio n exclut une conception de l ’écriture personnelle qui soit une valeur culturelle au to n o m e, elle ne voit en cette écriture que des consignations de caractère auxiliaire, docum entaire. Elle adm et la lecture de l ’intim is- tique considérée com m e source, m oyen d ’atteind re une inform ation d ’une au tre sorte, m ais elle ne l ’adm et pas com m e un b u t en soi. U n tel type de lecture critique s ’accom pagne généralem ent d ’un principe esthétique caché, qui définit l’oeuvre littéraire com m e u ne to talité close.
A l ’opposé se form e une ap préciation de l’au to biog rap hism e qui le considère com m e une chance d ’accom plir d ’im po rtantes découvertes
2 J. A n k u d o w i c z , « S p o łe c z n a recepcja literatury n ieb eletrystyczn ej» (La R éce p tion so c ia le de la littératu re « n o n littérarisée»), [dans:] P ro b le m y so c jo lo g ii lite ra tu r y , éd. J. S ła w iń sk i, W rocław 1971.
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spirituelles, com m e un élargissem ent du savoir sur l’hom m e, su rto u t dans les couches les plus intim es de sa vie intérieure. Les lettres personnelles se lisent alors com m e un d ocu m en t sur un état de conscience, et non sur un état de fait. O n considère la sphère de la vie privée de l’individu com m e une parcelle no n négligeable de l’H istoire de tous les hom m es. L ’au to b io g ra p h ie p eu t ap p a raître et être traitée com m e une des valeurs dans u n e cu ltu re qui rem plit certaines co nd itions élém entaires: «la reconnaissance de l ’im portance du vécu personnel, absolu m ent sincère dans son ra p p o rt avec autrui. Ces principes d éterm in en t la légalisation du m oi et au to risen t le sujet du discours à élire com m e thèm e son p ro p re passé. Bien plus, le m oi est sans cesse confirm é dans sa fo nction de sujet grâce à la présence d ’une référence à un “to i” qui con stitue une m otivation évidente du d isco u rs» 3.
D ans la réflexion th éo riq u e sur la littératu re égalem ent se dessine un intérêt, de plus en plus net dans les dernières années, p o u r la pro b lém atiq u e de la p ersonne. A près la critiq u e radicale du psychologism e que d evait m ener le structuralism e d an s sa prem ière phase, une chance est a p p a ru e de voir posée, sur un p lan nouveau, la question de l ’auteur, de la personnalité créatrice, de la signification de la biographie. L ’une des in spirations est l’hum an istiq ue, l’autre la sém iologie qui a form ulé des p ro p o sitio n s d ’étud e des co m po rtem ents en tan t que textes de culture signifiants. L ’ap p a ritio n dans les études littéraires de la p ro b lém atiq u e du récepteur a con stitu é un nouveau chapitre. C ette p ro b lém atiq u e on ne la conçoit pas seulem ent d ans les catégories de la sociologie em p iriqu e ou de l’analyse structurelle de la co m m u n icatio n littéraire, m ais aussi d an s le contexte de ces concepts de l’h erm éneu tiq ue que son t l’in terp rétatio n , la lecture, la com préhension, le dialogue.
Et voilà la situ a tio n : dans la création littéraire, dans la tradu ctio n , d ans l ’édition, dan s le développem ent des intérêts des lecteurs et des critiques littéraires, dans l’évolution des m éthodes des études littéraires, to u t est p ro v o catio n à l’égard du ch erch eu r qui s ’occupe a u jo u rd ’hui du phénom ène de l’au tobiograph ism e. P o u rq u o i les gens écrivent-ils sur eux-m êm es, et sur ce q u ’ils o n t vécu? P o u rq u o i d ’autres veulent-ils tellem ent lire ça? Q u ’est-il advenu de la fiction,
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de la fable, c ’est-à-dire de l ’histoire inventée, du conte, du ro m an ? Les réponses peuvent être diverses: on a faim d ’authentism e, on est curieux de la vie d ’au tru i, on est las de l’ancienne form e du rom an, ennuyé p ar les nouvelles form es q u ’il prend. P eut-être a-t-on besoin d ’en tre r en co n tact avec la personne, de ne plus se co n ten ter d ’écouter une voix anonym e? Les réponses sont diverses et de plus en plus nom breuses; diverses aussi sont les positions prises p ar le phénom ène.
M es co nsidérations ne concernent pas la p roblém atiqu e du genre de ces écrits personnels. Ce qui m ’intéresse, c ’est de saisir la présence d ’un certain élém ent au to b io g rap h iq u e d an s des textes qui font appel, précisém ent, à différentes conventions de genre, a u ta n t dans le d om aine de l’intim istique que d an s celui de la prose rom anesqu e, d a n s des textes qui parfois m êm e font p artie de ce q u ’on appelle la littératu re du fait, dans des récits de voyage, dans des form es de rep ortages qui sont à la lim ite de l’essai, où le rôle réel est tenu p ar la présence nom inale de celui qui p arle et p a r son p o in t de vue p e rso n n e l4. Je pense q u ’un élém ent com m un à tous ces textes, c ’est une certaine position de l’au teu r interne ainsi q u ’une attitu d e du récepteur est supposée dans le texte.
Je dois ici, rap p eler les catégories de ressem blance et d ’authenticité d o n t se sert P hilippe Lejeune d ans son étude «Le P acte au to b io graphique» {Poétique, 1973, no. 14). Le b u t de son argu m en tatio n est de p erfectionner essentiellem ent les distinctions évidentes entre les genres d ’énoncés, c ’est à dire entre les différents pactes qui sont proposés au récepteur p ar l’ém etteur. P a r contre, p o u r moi, ce qui est im p o rtan t, c ’est la présence d ’un élém ent com m un à to u t le groupe des textes hétérogènes qui contien n en t un quelconque élém ent d ’au tobiog raph ism e. Selon Lejeune, le pacte au to b io g rap h iq u e qui suppose l ’identification de l’au teu r avec le n a rra te u r et avec le héros (grâce à l ’identité du nom de couvertu re et du nom qui ap p a raît dans le texte, ainsi que grâce à un énoncé form ulé à la prem ière personne), ce pacte va de pair, d ’habitude, avec le pacte référentiel q u ’on peut résum er p ar cette form ule: «je prom ets de
4 La ca té g o r ie « n o m in a le » s ’en ten d au sen s où l'a u tilisée S. C h w i n , «P isarz i b e z im ie n n o ść » (L ’E crivain et l ’a n o n y m a t), P u n k t, 1975, n o . 5.
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dire to u te la vérité et rien que la vérité»; p a r co n tre, il exclut le pacte rom anesque. A son to u r, le ro m an a u to b io g ra p h iq u e suppose, fondam entalem ent, la fiction des événem ents et des personnages, m ais il se différencie de la fiction pure par, précisém ent, la présence de l’élém ent de ressem blance. L ’accord conclu entre l ’ém etteu r et le récepteur du ro m an au to b io g rap h iq u e repose sur un certain jeu entre eux: « s’ap p u y a n t sur des ressem blances q u ’il a rem arquées, le lecteur postule l’identification de l ’au teu r avec le héros, tandis que l ’au teu r nie ou du m oins ne confirm e pas cette identification». Ainsi donc, au-delà de l’hétérogénéité des pactes (pacte a u to b io grap hique — avec sa v ariante fa n tasm atiq u e — p acte référentiel, pacte rom anesque), nous observons d an s le groupe des textes qui nous occupe un élém ent com m u n que nous appelons, selon Lejeune, «ressem blance». C ’est un « po in t de référence extratextuel qui est le p ro to ty p e ou mieux, le m odèle du sujet de l’énoncé». Q u a n t à la catégorie de l’au th en ticité: «E n ra co n tan t son histoire à lui (en ta n t que héros), le n a rra te u r peut se tro m p er, m entir, oublier, déform er. En to u t cas, les erreurs, les m ensonges, les oublis, les d éform atio ns, s ’ils sont perçus, co n trib u e ro n t à caractériser la n a rra tio n qui, en ta n t que telle, restera au then tiqu e. A ppelons au thenticité cette relation interne qui est p ro p re au récit à la prem ière personne: elle est to u jo u rs différente de l ’identification qui renvoie au nom , et de la ressem blance qui exige u n e app réciation des liens qui unissent deux images différentes, ap préciation qui est effectuée p ar une tierce personne [...] les cas d ’auto b io g rap h ie inventée du déb u t à la fin sont très rares [...] M ais disqualifié en ta n t q u ’au to b io g rap h ie, un tel récit conserve, sur le plan de l’énoncé, une valeur en ta n t que fantasm e, et, sur le p lan du récit, la ru p tu re du pacte au to b io g ra p h iq u e sera un co m p o rtem en t signi fiant en raison de l’intention au to b io g ra p h iq u e qui y est cachée m algré tout».
P o u r réaliser ce que j ’appelle la positio n au to b io g rap h iq u e, il suffit de cette seule trace d o n t parle Lejeune à la fin du dernier des fragm ents cités. Il suffit d ’un tel m inim um de ressem blance ou de non ressem blance évidente, caractérisée p ar l’authenticité. En effet, l’authenticité, si elle existe en ta n t que relation interne d ’un récit à la prem ière personne, renvoie à la réalité extratextuelle
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de la b iograp hie de F au teu r p a r le biais de la non ressem blance, de la dissim ulation, du fantasm e, du jeu. C ’est une sorte de devinette que F au teu r pose au lecteur en lui d isan t: «regarde, je ne suis pas ainsi, je suis to u t à fait différent de ce que j ’ai décrit ici». Ce geste p a r lequel F au teu r fait com p rendre au lecteur q u ’il lui a posé, à son prop os, une devinette est la condition m inim ale, m ais suffisante, de la réalisation d ’une attitu d e au to biog raph iq ue. C ep en d an t, elle n ’englobe pas les liens de cause qui existent entre F auteur extérieur et to utes ses oeuvres. Elle ne concerne que le lien co n stru it et inscrit d ans le texte. Ce lien est soit d ’identification, soit de ressem blance, soit d ’au thenticité acco m p ag n an t une dissem blance. La réponse nécessaire du récepteur à l’attitu d e au to b io graphiqu e inscrite d an s le texte est de reco u rir à un dom aine m inim um de savoir extratextuel à p rop os de F auteur.
D e quelles possibilités de discernem ent de la ressem blance dispose le lecteur d ’oeuvres qui lui so n t co n tem po raines? Il semble q u ’un rôle fo nd am ental soit jo u é p a r un certain ensem ble de connaissances sur F auteur, ensem ble qui fonctionne dans la conscience du lecteur. Ce sont des in form ations sur les m enus faits de la vie de l’écrivain, parfois aussi sur sa personnalité, des inform ations généralem ent schém atiques et clairsem ées, qui proviennent de d éclaration s faites p ar F au teu r lors d ’interview s, de réponses à des enquêtes organisées p ar des revues, de p ro p o s tenus lors de soirées d ’auteur, d ’inform ations figurant dans des dictionn aires des écrivains co ntem p o rain s, dans des précis de littératu re, d ans des essais bio graphiq ues, de diverses form es d ’inform ation publicitaire contenues dans le livre lui-même, sur sa couv erture ou sur sa jaq u ette. C ’est un niveau d ’inform ation qui, p o u r le m oins, n ’est pas accessible aux seuls spécialistes. C et ensem ble d ’in form atio ns constitue un certain contexte où le public des lecteurs renco n tre un livre d ’un au teu r qui lui est co n tem porain. A quel degré ce schém a de connaissances sur F auteur est-il du dom aine de la d o cu m en ta tio n ? A quel degré relève-t-il de la légende? Quelle est la p a rt de l’individualité ou du typique? Ce schém a peut-il, en soi, susciter l’intérêt ou bien est-il traité com m e un instrum en t? Là n ’est pas le problèm e ici. A ssurém ent, p ar contre, on peut dire que ce savoir sur F au teu r le situe dans un «petit tem ps» de l ’H istoire et que l’événem entiel, p rév au t plu tô t
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ici sur la stru ctu ra tio n du p o rtra it q u ’on ne p eu t pas to u jo u rs, dans le cas d ’une biographie co n tem p o rain e, dessiner très n e tte m e n t5. Le fait est que ce schém a de connaissances sur la vie de l’au teu r, schém a qui fon ctionne dan s une conscience sociale c o n te m po rain e de l’au te u r est, d ans une m esure sensible, cocréé et co n trô lé par l’au teu r lui-m êm e. C ’est lui, principalem ent, qui est la source de cette inform ation sur lui-m êm e, il a aussi les possibilités de vérifier les inform ations données p a r q u e lq u ’u n d ’au tre sur sa biographie. A près sa m o rt seulem ent, ses am is écrivent sur lui des souvenirs et les biographes se m ettent à étu d ier des d o cum en ts qui a u p a ra v a n t devaient être enveloppés de discrétion.
La situatio n dans laquelle l ’écrivain vivant est la source p rincipale et en m êm e tem ps l’instance principale de la vérification d u savoir sur sa b iograp h ie am enuise en fait la distance qui sépare le chercheur-spécialiste du lecteur m oyen. Le critique p eut dem an d er un am ple interview à p ro p o s de la biog rap hie de l ’écrivain et publier cela d ans une revue, le lecteur m oyen p eu t poser, lors d ’une soirée d ’auteur, des questions «personnelles» — et tous deux seront finalem ent dans une situ atio n qu alitativ em en t sem blable. La biographie de l’écrivain vivant p eu t être un objet d ’expérience personnelle et de connaissance directe p o u r les individus, et s u rto u t p o u r le petit groupe de l ’en to u ra g e p roche avec lequel l ’écrivain peut s ’entretenir dans le «langage» de sa b io g ra p h ie 6. P a r contre, à l’échelle de la société, du public, cette b io graph ie est souvent plus schém atique, plus clairsem ée et plus p auvre que les biographies des personnages historiques q u ’on t popularisées des écrits qui s ’app uient sur des études particulières et qui sont unifiées a u to u r d ’une certaine conception d ’in terp rétatio n . Ainsi donc dan s le cas d ’un savoir sur la biographie et sur la p erso n n alité de l ’écrivain tou jo urs vivant, une différence se dessine su rto u t en tre les initiés et les non initiés au co n tac t personnel avec l ’écrivain. La différence entre
5 O n s ’en réfère ici aux n orm es d e J. S ł a w i ń s k i , cf. ses « M y śli na tem a t: b iografia pisarza ja k o je d n o s tk a p ro cesu h isto r y c z n o lite r a c k ie g o » (R é fle x io n s sur le th è m e: la b io g ra p h ie de l ’écrivain c o n ç u e c o m m e u n ité du p r o c e ssu s h isto rico - littéraire), [dans:] B iografia — g e o g ra fia — k u ltu ra lite ra c k a , W ro cła w 1975.
6 C ette situ a tio n est a n a ly sée par E. B a l c e r z a n , « B io g ra fia ja k o języ k » (La B io g ra p h ie en tant q u e la n g a g e), ibidem .
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le spécialiste et le sim ple lecteur a une im po rtan ce beaucoup m oindre.
N o u s avons affaire à une position au to b io g ra p h iq u e lorsque sont créés des p o in ts de contact évidents, lorsque se dessinent des relations évidentes entre le sujet de l ’énoncé et le sujet de ce texte social de la biographie, qui fonctionn e com m e un m inim um schém atique de savoir à p ro p o s de l ’au teu r réel. Je pense que c ’est le discernem ent m êm e de la ressem blance qui a une im portance fondam en tale et non sa vérification particulière. D ans la lecture actuelle d ’écrits co m p o rta n t un élém ent d ’autobiograp hism e, le centre d ’intérêt s’est déplacé ailleurs: la question de la vérité a été rem placée p a r la question de la signification.
L ’au to b io g rap h ism e est traité com m e une valeur culturelle ju ste m ent à cause de cet effort d ’au to in te rp ré ta tio n q u ’il contient, de ce p o in t de vue individuel, non im putable à des critères extérieurs. D ans l’au to b io g ra p h ie ainsi com prise, m êm e des m ystifications évidentes ou des altératio n s des données élém entaires n ’exigent pas d ’être rectifiées, m ais d ’être interprétées com m e des détails signifiants — p ar exem ple com m e étan t de l’ordre des fa n ta sm e s7. La réponse des récepteurs à l ’attitu d e au to b io g ra p h iq u e inscrite dans le texte, c ’est le recours à ce m inim um de savoir sur l’auteur, de savoir fo n ctio n n an t socialem ent. L ’oeuvre qui co n tien d rait des évocations du vécu personnel de l’auteur, m ais uniquem ent de ces évocations qui n ’ont pas été éclaircies et qui ne sont pas entrées dans le texte de cette b iog raphie fo n ctio n n an t socialem ent, l’oeuvre qui, p ar conséquent, ne p erm ettrait pas au récepteur de discerner la ressem blance ou la dissem blance acco m p ag n an t une authenticité signalée d an s le texte, cette oeuvre ne p o u rra it être reconnue com m e au to b io g rap h iq u e au sens qui a cours ici. Son àutobiog rap hism e resterait à l’état latent, au niveau d ’une intention inaccessible au
D a n s les étu d e s sur les écrits p erso n n elles, cette ten d an ce est rare. Elle ap p araît par e x em p le c h e z J. F. R i c c i , «V aleu r d o c u m e n ta ir e du jo u r n a l in tim e», [dans:] Form en d er S e lb d a rstellu n g . F e stg a b e f u r F ritz N eu b ert, Berlin 1956, qui s ’est in téressé au jo u r n a l in tim e e x clu siv e m en t p o u r s o n asp ect de valeur d o cu m e n ta ire et qui a traité d es n o ta tio n s de c e tte esp è c e c o m m e une sorte d e p o u b e lle sp éc ifiq u e, née en m arge d ’un travail de cr é a tio n a d u lte q u i a p o u r effet une vraie réalisation littéraire, une oeu v re d ’art ach ev ée.
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récepteur. D ans le cas lim ite où existent des données extratextuelles fort chiches, on peut parler d ’au to b io g rap h ism e-h y p o th èse8.
P o u r l’attitu d e au to b io g rap h iq u e, le principe de la «vérification p ar soi-m êm e» est réel, c ’est le principe de la p artic ip a tio n personnelle à l’énoncé et aussi de la responsabilité personnelle à l’égard de cet énoncé. C ’est aussi un besoin de co m m un iq uer avec un certain «tu». L a réponse du récepteur, c ’est de s’o uvrir au co n tac t avec la personne, com m e avec un au tre soi-même, ce n ’est pas d ’atten d re cette fiction que recherche le lecteur qui reco u rt au ro m an d épo urvu des suggestions au to b io g rap h iq u es les plus légères soient-elles.
Le surréaliste M ichel Leiris qui désirait que la littératu re devienne un risque ac tif de l’écrivain, à l’instar de la taurom achie, a écrit son au to b io g ra p h ie L ’Age d'H om m e afin de se dén u d er le plus im pitoyablem ent possible, non p ar plaisir exhibitionniste, mais afin de pren d re un risque, un risque m eurtier p o u r l ’artiste, car susceptible de se term iner p ar sa p ro p re sous-estim ation, p ar u ne estim ation de soi en tan t que p ersonn e to u t à fait m édiocre. Les espoirs q u ’il p laçait dans l ’attitu d e au to b io g ra p h iq u e n ’on t peut-être été rem plis que sur le terrain de ce q u ’on appelle la littératu re du fait. C a ra ctérisan t sa m étho de d ’accum ulation de la m atière d ’un repo rtag e, G ü n ter W allraff dévoile les principes les plus vrais qui sont à l’origine de cette m étho de:
C ’est p o u r m o i une c o n d itio n d ’écriture fo n d a m e n ta le , ex iste n tie lle en qu elq ue sorte: q u an d j ’écris, je d o is être to u c h é d irectem en t par ce q u e je d écris [ ...] Plus fort est m on ad versaire, p lu s lo n g te m p s je m ’efforce d ’être en son p o u v o ir afin d e ressen tir sur m o i-m ê m e , d irectem en t, son a c tio n , j u s q u ’aux lim ites du s u p p o rta b le [ ...]
— N ’a v ie z -v o u s pas peur lo rsq u e v o u s v o u s atta ch iez à c ette p orte, à A th èn es, p ou r p ro tester c o n tre la ju n te , ne cra ig n iez v o u s pas de d ev o ir passer par le « sen tier d e sa n té» d e la p o lic e ?
— J ’a vais peur. M ais il y a d es ca u ses p ou r lesq u elles il faut p ayer de sa p erso n n e, il ne suffit pas de p arcourir d es d o c u m e n ts, d es d écla ra tio n s de té m o in s, d ’écrire, bien tran q u ille à son b ureau, d es articles d éb o rd a n t d ’indignation ou d ’organ iser d es a ctio n s de m asse. La solid arité n ’est p as se u le m en t un m o t 9.
8 C o m m e d a n s l ’é tu d e extrêm em e n t in téressan te de J. Z i o m e k , « A u to b io g ra fia ja k o h ip o te z a k o n ie c z n a » (L ’A u to b io g r a p h ism e c o m m e h y p o th è se n écessaire), [dans:]
B iografia — g eo g ra fia — k u ltu ra lite ra c k a .
9 «T rzeb a p ła c ić so b ą » (Il fa u t payer de sa p erso n n e). C o n v ersa tio n d ’A d am K rzem iń sk i avec G ü n ter W allraff, P o lity k a , 1978, n o. 21.
L a P o sitio n a u tobiograph iqu e 93
Le pro b lèm e que pose Z. Ł apiński, quan d il écrit sur G o m b ro w ic z 10, est ici résolu de façon définitive et extrêm e. U n tel accom plissem ent dépasse l ’h o rizo n des possibilités du ro m a n : le re p o rter crée les différents épisodes de sa p ro p re vie, en tra ita n t celle-ci com m e une expérience, une expérience personnelle, et com m e l’exam en d ’une m atière. Seul, ce qui est «vérifié p ar soi-m êm e», éprouvé psychiquem ent et charn ellem ent, ce qui est carrém en t devenu une p artie de la p ro pre b io g rap h ie de W allraff devient la base du texte de son reportage. A insi, voilà que la littératu re du fait pren d place à l’au tre pôle de cette échelle des possibilités sur laquelle nous trou v o n s la littérature-confession, l ’intim istique qui découle en d roite ligne de l ’a u to b io g ra p h ie européenne classique, de saint A ugustin et de R ousseau.
Il sem ble nécessaire d ’esquisser deux variantes fondam entales de l ’a ttitu d e au to b io g ra p h iq u e : la v ariante extravertie où, à travers le prism e des expériences, à travers le «m oi», nous contem plons le m onde, et la v arian te intravertie où le m onde n ’est que la so urce d ’im pulsions qui p arviennent au vécu qui a cours à l’intérieur du «m oi». N o u s tro u v o n s la prem ière de ces variantes d an s la litté ra tu re des m ém oires, c ’est l ’attitu d e du tém oin où d o m in e la description , l’énoncé ainsi écrit se ra p p ro c h e du rep ortage, de la litté ra tu re du fait. D an s un tel type d ’écriture à la prem ière person ne, le lecteur sem ble chercher essentiellem ent de la vraisem blance et le p o in t de vue individuel est apprécié su rto u t com m e g arantie de vraisem blance. Ce qui est la personne est lié à la qualité de tém oin. L ’oculaire — voilà à q uo i se ram èn e la valeur de ce que transm et le m ém orialiste. Q u i il est? C ’est m oins im p o rtan t. C e qui est im p o rtan t c ’est à q u o i il a assisté.
Le deuxièm e cercle de problèm es naît en connexion avec l’attitu d e autobiographico-essayiste. Ici, la valeur recherchée est la personne, le sujet co n n aissan t et ép rouvan t. L a description n ’est que la base de la réflexion. Si l ’on peu t p arle r d ’un aspect docum entaire, c ’est su rto u t un d o cu m en taire sur la personne, la vraisem blance ne peut être garantie que dans le d o m ain e de la vie intérieure. N ous so rto n s ici de la littératu re du fait p o u r a b o rd er la
littérature-10 Z. Ł a p i ń s k i . « U n e vie et u n e c réa tio n o u d eu x c réa tio n s? » — cf. cet v o lu m e , p. 103.
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confession. Le m onde extérieur peut être do té de grands intérêts, m ais il ap p a raît to u jo u rs d an s une perspective personnelle, à travers le prism e d ’une perception personnelle.
Ces deux types d ’écriture sont servis p a r la m êm e form e gram m aticale de la prem ière personne, m ais d an s ces deux cas, avec une signification q uelque peu différente. D a n s le cas des conception s les plus égotiques, le «m oi» intim iste, s’assim ile au «m oi» lyrique. C ’est un m onologue ind ép en d an t de to u t ce qui est extérieur à celui qui parle. P a r contre, l ’énoncé du m ém orialiste- tém oin rappelle p lu tô t un m onologue d ’un p erson nag e de dram e, inexorablem ent em pêtré d an s le cours des événem ents extérieurs. Les projets du récepteur so n t égalem ent différents: le «m oi» de l ’autobiographe-essayiste en appelle au «toi», il sup po se le co ntact de personn e à personne. Si les lecteurs doivent être plusieurs, l’au teu r n ’en parle pas m oins à chacun pris séparém ent, en g ard an t une intim ité, en rech erch an t celle-ci, en recherchan t une réaction qui soit personnelle, q u o iq u ’elle ne résulte pas d ’u n e identification de n atu re hum aine. Le «m oi» d u m ém orialiste en appelle au «vous» des contem p o rain s ou de la postérité, un seul tém oin p arle à une collectivité, à plusieurs êtres qui eux, n ’o n t pas vu. Il p arle ainsi, ju stem en t, parce que b eau co u p n ’ont pas vu, m ais devraient savoir. L ’au to b io g rap h e traite son lecteur en confident, il dévoile son p ro p re m ystère à des élus qui peuvent le com pren dre. Le m ém orialiste- tém oin se sent appelé à faire savoir au m on de entier ce q u ’il a vu.
C h acune de ces attitu d e s est desservie p ar des espèces d ’espace différentes. Le m ém orialiste, fidèle à sa vocation de p asseur d ’un tém oignage oculaire, s ’efforce, dans chaque phrase, d ’enraciner son récit dans un espace extérieur, extraverbal. S’il se m o n tre lui-m êm e, c ’est sur le fond de sa m aison, de sa fam ille, des environs, de la région, ou bien su r u n fond paysages exotiques, si une p artie réelle de sa biog rap hie se passe d an s l’espace des voyages. A chaque fois ap p a raît une m o tiv atio n d ’une im p ortan ce irréfutable, en vertu de laquelle le m onde extérieur a dû être com plété d an s ses coloris p ar un énoncé à la prem ière personne, p a r un espace apprivoisé, constitué p ar la p atrie, la m aison, et cep en d an t étran g er, car in h ab i tuel, non vu p ar le passé, exigeant, de p a r sa no uveauté, d ’être écrit. L ’au tob io g rap h e, au co n tra ire, s’avance d an s l ’espace intérieur, dans
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le d om aine de la pensée, des sentim ents, des im pressions, dans les p ro fo n d eu rs incom m ensurables de la m ém oire ou sur le terrain illimité d u rêve. S ’il est sem blable à l’exp lo rateu r de continents nouveaux, ceux-ci sont chez lui les contrées de l’esp rit; s ’il est pareil au plo ng eur sous-m arin ou au spéléologue, il accom plit ses découvertes d an s les recoins obscurs de l ’inconscient. Le terrain de son exploration, c ’est son «moi» p ro p re et le d om ain e qui s ’étend du «m oi» à l ’«autre». Le m onde des choses et des êtres vivants, des paysages et des plantes, des villes et des intérieurs de m aisons, des broutilles de tous les jo u rs et des oeuvres d ’art n ’a sa raison d ’être que com m e objet d ’une observation. L ’au to b io g rap h e est, p ar principe, et de façon assez élém entaire et absolue, un adepte — d an s la p ra tiq u e — du solipsisme.
En p a rla n t de m ém oires et d ’au to biog raphie, j ’utilise ces term es de façon m étap h o riq u e, sans penser ni aux conventions des genres des m ém oires et de l’auto bio g rap h ie, ni — a fo rtio ri — à des réalisations concrètes. Je m ’occupe p lu tô t de saisir le sens le plus général de certaines attitu d es possibles, des pôles extrêm es entre lesquels peu t se situer le sujet de l’énoncé à la prem ière personne. L ’expérience de la lecture d ’u n e écriture personnelle ap pren d que fréquem m ent, il arrive que l ’u n e de ces attitu d es ap paraissen t dans un de ces personnages extrêm es et avec une conséquence inébranlable du d ébu t à la fin, su rto u t dan s le cas de textes d ’u n e assez grande am pleur. Ces deux attitu d es se caractérisent p a r des asp iration s qui vont dans deux directions opposées et si elles se re n co n tren t dans u n m ême texte, il naît en tre elles des tensions sém antiques im po rtan tes qui enrichissent la relation. N ous ne pouvo ns pas oublier ici que l ’attitu d e du m ém orialiste-tém oin se laisse caractériser com m e une asp iratio n à la descriptivité et au traitem en t objectif du m onde, m ais seulem ent lo rsq u ’on la co m pare à l ’attitu d e intravertie, reflexive de l ’au to b io g rap h e, c ’est-à-dire q u an d nous faisons des co m p araison s dans le d o m ain e de la littératu re personnelle. C o m p aré à un énoncé d ’une au tre espèce (le livre scientifique d ’un historien ou le rom an d ’un au teu r om niscient de type balzacien), la n arra tio n du m ém orialiste dévoile évidem m ent sa co lo ratio n personnelle, subjective, individuelle qui nous sem blait étouffée q uan d n ous la regardio ns d ans le voisinage d ’une n a rra tio n extrêm em ent intim iste, concentrée sur la vie intérieure.
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situation de la prose polonaise co n tem p o rain e, nous devons nous rap peler com m ent se réalisent, d an s ce contexte, les deux attitu d es du lo cu teu r que n ous avons distinguées ici. Et il sem ble q u ’in d ép en d a m m ent du choix de la con vention du genre, n ous observions des glissem ents de plus en plus nets du centre de gravité vers l’a ttitu d e au to b io g ra p h iq u e aux dépens de l’attitu d e du m ém orialiste. La vitalité d u m ém orialism e d ’autrefois est restée in con testab lem en t alliée aux intérêts des lecteurs qui on t décidé, au X IX e siècle, du succès du ro m an de m oeurs et du ro m an h isto riq ue. Les co nv entio ns du m ém orialism e d ’autrefois se re tro u v en t ici d an s des textes où nous ne tro u v o n s pas de conscience de cette co nv en tio nn alité, dans des textes qui sont écrits d ’u ne p osition p o u r ainsi dire naïve et qui, p ar conséquent, ne d o n n e n t aucune g arantie co n tre la pression de cette con vention. Ce sont le plus souvent des écrits nés grâce au rôle favorable jo u é p ar le d o p in g institutio nn el, le dop in g des p artic ip a n ts aux concours. L a situ atio n de l’écriture sur co m m an d e est celle qui livre le plus facilem ent l’écrivain aux conv entions m ortes affermies, puisq ue l ’exécutant de la co m m and e tro u v e généralem ent que cette co nv entio n prise est le plus sûr m oyen de s’entendre avec celui qui passe la com m and e.
Sur de to u t au tres principes, et d a n s d ’au tres ordres de référence se form e la situatio n de ces textes au to b io g ra p h iq u e s où la conscience de l’existence d ’une convention d an s l ’écriture intim e accède à la parole. Si n o tre cu ltu re littéraire a créé une telle situation , si la p u blication — et d o n c la lecture p ub liq u e — des écrits personnels est possible, ces écrits sont, p a r là m êm e, liés au c o u ra n t social général du fo nction nem en t des textes littéraires. C ’est un processus irréversible: la possibilité de la p u blicatio n des écrits intim es est devenue coutum ière. Le pas suivant devait être fait. Ce fut, précisém ent, la prise de conscience de l ’existence d ’une convention d ans les énoncés personnels.
A u jo u rd ’hui, l ’écritu re intim e consciente d ’elle-m êm e saisit directe m ent ce m otif. Si S tanisław Lem q u an d il fait dan s le W ysoki
Z a m ek (H a u t M anoir) le récit de sa p ro pre enfance, raille, à .un
certain m om ent, les «trucs usés du m ém orialiste chauve», si K uncew i czow a com m ence les Fantom y (Fantôm es) p ar une a u to in te rp ré ta tio n du titre et p a r un p ro jet général de la co m po sition du livre, s i ... les exemples peuvent être m ultipliés, cela atteste ju stem en t
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du fait que les m ém oires, que les autobiograp hies, que les livres de souvenirs qu i voient le jo u r a u jo u rd ’hui doiv ent se ch arg er d ’une autoréflexion sur eux m êmes, sur leur p ro p re façon de parler. C ’est un processus analogue à celui présenté, dan s le d o m ain e du rom an, p a r M ichał G łow iński qui parle, lui, de la m éthodologie r o m a n e s q u e 11. En c o n tin u a n t à parler la langue de G łow iński, nous ajo u tero n s que l’au to rité des m ém oires est en baisse a u jo u rd ’hui, to u t com m e l ’a u to rité du rom an . Les m ém oires sont a u jo u rd ’hui appréciés dav an tag e com m e un tém oignage personnel que com m e un tém oignage to u t court. Ici, un rôle im p o rtan t a dû être jo u é p ar la m éthodologie de la critique des sources dans les études histo riqu es actuelles ainsi que p ar une conception du fait en ta n t que co n stru c tio n d ’un spécialiste. L a sociologie de la science a m on tré, elle aussi, que la réponse à la question «que dit-on?» est inexorablem ent m odifiée p a r la réponse à la question «qui dit?» A insi don c, m êm e sur le terrain des m ém oires et des différentes form es de la prose m ém orialiste, on en arrive à m ettre en évidence, de plus en plus nettem ent, la personne qui parle. Il y a p a r exem ple une différence frap p an te entre les principes qui éclairent L e Livre de
mes souvenirs et ceux des Voyages en Italie de Jaro sław Iwaszkiewicz.
D ans la préface de 1941, d u Livre de mes souvenirs, l ’au teu r annonce catég o riq u em en t:
E lles m e seron t fo n d a m e n ta le m e n t étran gères, ces co n sid é r a tio n s esse n tie lle m e n t ég o tiq u e s, p sy c h a n a ly tiq u e s qui d im in u en t, à m o n sen s, la sig n ifica tio n de certain s so u v en irs littéraires, en fa isa n t d ’u n livre im prim é un c o n fe ssio n n a l o u v ert à to u s.
N o n , je n ’ai p a s l’in te n tio n d ’écrire d es aveu x, d es c o n fe ss io n s , au ssi m es so u v en irs ne se ro n t-ils pas em p rein ts de se n sa tio n n el p ou r ceu x qui so n t in téressés su rtou t par les a sp ec ts in tim es d ’u n e v i e 12.
P ar contre, d ans sa dédicace des Voyages datée du 11 o cto b re 1975:
11 ne fait p as d e d o u te q u e ce que j ’ai écrit ici d ésig n e, d a n s une certain e m esure, m on trajet, m es ex p érien ces, m on v écu , qui co n fè r e n t le sen s d ’une c o n fe ssio n ou d'un jo u r n a l in tim e à c e qui d evait être une d esc rip tio n o b j e c t iv e 11.
11 M . G ł o w i ń s k i , « “ N o u v e a u r o m a n ” — p ro b lem y teo rety czn e» (Le « n o u v e a u ro m a n » — p ro b lèm es th é o riq u e s), [dans:] P o r z ą d e k , chaos, zn a czen ie, W arszaw a 1968.
12 J. I w a s z k i e w i c z , K s ią ż k a m oich w spom nień {Le L iv re de m es sou venirs), W arszaw a 1975, p. 6.
11 J. I w a s z k i e w i c z , P o d ró że do W łoch (V o y a g e s en Ita lie ), W arszaw a 1977, pp. 7 - 8 .
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D ans ces deux déclaration s, il est questio n de confession et d ’intim ism e. C e que le poète voulait élim iner voici trente ans et q u ’il accepte a u jo u rd ’hui tém oigne du g ran d changem ent survenu dans la situation , au sein de notre littératu re, des écrits personnels. D ans le texte des Voyages en Italie to u t particulièrem ent, on perçoit nettem ent la tension dy nam ique de ces changem ents. Le passage de la position de tém oin à la po sitio n intim iste est saisi dans son m ouvem ent. Ce qui «devait être une description extérieure objective» co n tien t déjà des élém ents qui co nfèrent à ce tém oignage le «sens d ’une confession ou d 'u n jo u rn a l intim e».
P o u rtan t, l’attitu d e de l’au to b io g ra p h e n ’a pas m ené exclusivem ent à l’introversion, du m oins dans n o tre littératu re. U n égotism e aussi extrêm e, aussi conséquent et aussi conscient que celui de G om brow icz dans le Journal ou celui des volum es de jeunesse, des volum es m odernistes des Journaux de N ałk o w sk a (qu’on a publiés récem m ent) constitue to u jo u rs une exception ; s’il ap p araît, il n ’au ra pas assez de connaissance de soi, de perspicacité dans la pensée. D ans la littératu re polonaise contem p o rain e, l ’autob io g rap h ism e évolue vers la réflexion de l ’essayiste — un exem ple de cela, ce p eut être l’écriture de Jan Jó ze f Szczepański. Si celui-ci reprend l ’idée de C o n rad à p ro p o s de la m ission de l’écrivain qui serait de «rendre justice au m onde visible», il m et l ’accent sur le fait de «rendre la justice», m êm e dans des livres qui parlen t de ses voyages exotiques où la «visibilité» du m o nde jo u e un rôle p o u r le m oins rem arq u ab le. D ans les descriptions de Szczepański, le m onde visité ne cache jam ais p a r lui-m êm e le personnage du voyageur. Au co ntraire, il revêt un sens grâce au regard de celui-ci, il devient un fragm ent du vécu personnel de celui-ci, il existe to u jo u rs en relation avec l’attitu d e et la pensée de l ’hom m e qui le contem ple. La personnalité de celui-ci, les choix q u ’il fait, sa hiérarchie des valeurs et son sens éthique, sa m ém oire, son goût, ses centres d ’intérêt con stituent, to u t en ne s’im posan t pas au lecteur, en ne lui apparaissan t pas au prem ier plan, l’ossatu re indispensable et la circulation sanguine de ces récits de voyage. Le côté rep ortag e de ces livres recule à l’arrière plan, ré tro g rad e à un rôle d ’accom pagne m ent du côté essai. Si on prend tous ces livres ensem ble, en y ajo u tan t encore Rafa, P rzed nieznanym trybunałem {Le récif,
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au to b io g ra p h iq u e de cet essayisme. La réflexion sur le m onde devient su rto u t une réflexion sur la perception du m on de p ro p re à l’auteur.
Si nous rem arq u o n s, dans le d o m ain e de l’écriture personnelle, ce passage de l’attitu d e de m ém orialiste-tém oin à celle d ’a u to biographe-essayiste, quels processus percevons-nous d ans le dom aine de la p rose ro m an esqu e qui révèle un p en c h an t au to b io g rap h iq u e? La question fon dam entale est celle des dim ensions du phénom ène. En effet, la situation n ’est pas celle où une oeuvre rem arq u ab le — ou m êm e un au teu r rem arq u ab le — im pose au ro m an polonais de s ’em p arer d ’expériences auto bio g rap h iq u es. N on, ces idées sont venues de plusieurs côtés sim u ltaném en t et certaines versions sont si différentes les unes des autres q u ’elles on t dû être écrites dans des trad itio n s to u t à fait différentes. M êm e à l’intérieur de l’oeuvre d ’un m êm e écrivain, l’ap p a ritio n de l’élém ent au to b io g rap h iq u e ne co n stitu e pas, d ’hab itud e, une parcelle isolée. M ainte fois, après la publication d ’un texte clairem ent au to b io g rap h iq u e, to u t le reste de l’oeuvre révèle son im prégnation, non perceptible ju s q u ’alors, p a r cet élém ent, com m e si à la surface avait percé une force pressentie depuis longtem ps, grossie en profo n d eu r.
Justem ent, c ’est un ph énom ène caractéristique de l’au to bio - graphism e d an s la prose rom anesque p olo naise de l’après guerre que cette tendance de « l’espace a u to b io g ra p h iq u e » 14 à englober to u te — ou presque to u te — l ’écriture d ’un au teu r qui a pénétré sur ce terrain . Telle est p ar exem ple la situ atio n dans laquelle se tro u v ait l’écriture de K onw icki après la p u b licatio n de son livre
L e Calendrier et la clepsydre ou bien l ’écritu re de K uncew iczow a
après les Fantôm es, Klucze (L es Clés), antérieures, qui étaient passées presque inaperçues; N atura {Nature), un livre postérieur, n ’a fait q u ’élargir dans sa m atière, la n o ta tio n personnelle, san s.p lu s changer la perspective interp rétative qui avait été dessinée. Q u and le lecteur de ces livres regarde en arrière l’oeuvre de ces auteurs, il voit com m en t les constru ctio n s rom anesques dévoilent un m odèle a u to b io g raphique chiffré. Le développem ent intérieur d ’une telle écriture se laisse déchiffrer com m e une dém arche victorieuse de persu asio n: l’expérience personnelle triom phe de la foi en la capacité de
100 M a łg o r za ta C ze rm iń sk a
connaissance et en la force d ’attra ctio n de la fable de fiction. D ans les deux cas, nous avons affaire à ce type d ’écriture a u to b iog raphiqu e qui se caractérise p a r une attitu d e no n naïve, consciente du caractère conventionnel de l ’énoncé personnel p ub lié. K onw icki mène un jeu avec le lecteur, en p re n a n t ses d istan ces p ar ra p p o rt à sa p ro p re façon de p arle r (nous nous ra p p elo n s q u ’il définit son texte com m e un «faux-journal»), en a p p liq u a n t cette d ualité de plan du tem ps des souvenirs et du tem ps vécu à l’heure actuelle, cette dualité d o n t il s ’est servi dans ses ro m an s, et d ’ab o rd dans le Sennik współczesny (Livre des songes contem porain) et à laquelle il s ’est référé dans ses écrits p o u r le ciném a. K un cew i czow a édifie dans Fantômes une co n stru ctio n sym bolique et elle développe le récit de sa vie selon un ord re q u ’elle-m êm e utilisa jadis d ans C udzoziem ka (L ’Etrangère), un ord re qui se ra p p ro ch e n ettem ent du ro m an du «flot de conscience». L ’exp ansio n de l ’auto- biographism e sur le terrain du ro m an a été équilibrée p a r l ’in tro d u ctio n , dans l’énoncé personnel, de façons rom anesqu es de parler. En mêm e tem ps, deux forces on t agi ici: la d y n am iq u e de l ’élém ent au to b io g ra p h iq u e et la p o étiq u e du ro m an o uv ert, m ultiform e, hybride.
Si les m otifs au to b io g rap h iq u es ap p araissen t d an s les débuts de l ’oeuvre, nous avons alors affaire à un ro m an ou à une nouvelle au to b io g rap h iq u e, et d on c à une p ro p o sitio n de pacte ro m anesque qui exclut l’identification. La resem blance n ’est pas toujo u rs im m édiatem ent rem arq uée si une in fo rm atio n extratextuelle qui accom pagne le livre ne l’indique pas. En effet, d an s le cas de débuts en littératu re, la bio graphie de l ’écrivain com m ence to u t juste à se form er en ta n t que fait de conscience sociale. P ar contre, une oeuvre au to b io g ra p h iq u e tardive, écrite à l ’âge m ûr ou dans la vieillesse ou bien en un to u rn a n t de la vie révèle d ’h ab itu de l’identification et p ro p o se un pacte au to b io g rap h iq u e. Seules, de telles oeuvres plus tardives p erm e tte n t un regard total sur elles-mêmes, sur le p ro p re destin de l ’au teu r, sur le sens de l’autob io graphie.
P ar contre, l’au to b io g rap h ism e juvénile qui tro u v e une issue dans une nouvelle ou dans un ro m an (Drewniany ko ń — L e Cheval de
bois de K . B randys, Dziura w niebie — Trou dans le ciel de K onw icki, R ó d Abaczów — L a fam ille A bacz de Żakiew icz, Podróż do
Nieczaj-L a P o sitio n autobiograph iqu e 101
ny — L e Voyage à N ieczajna de Stojow ski) s ’avère être une ré cap itu la
tion, dans son genre, de sa p ro p re enfance, de sa p ro p re jeunesse. C ’est un règlem ent de com pte avec soi-m êm e ou avec son m onde, m asqué ou p lu tô t articulé p ar la form e rom anesque. On peut interpréter cette dém arche com m e un équivalent du rituel de l’acte d ’initiation à la vie adulte, c ’est-à-dire, ici à la création artisti que. C om m e to u t acte d ’initiation , de tels d éb u ts cry p to a u to b io graphiques in aug urent quelque chose, parce q u ’ils term inen t, dé n o uent, c lô tu re n t quelque chose. M êm e si la cry p to au to b io g rap h ie ne co n stitu te pas des débu ts en littératu re (parfois cette a u to bio grap hie a p p a ra ît com m e le deuxièm e, le troisièm e livre), elle est souvent le prem ier livre im p o rtan t de l ’auteur. Bien sûr, il ne s ’agit pas ici de poser la question sur le plan de l’aspect psychologique de l’oeuvre ni d ’exam iner si vraim ent cette a u to b io graphie juvénile a jo u é un rôle d ’ép uration, de mise en ordre, ou si son écriture a con stitué un to u rn a n t d an s la vie spirituelle de l ’au teu r, lui a facilité l’accès à une certaine «conscience de soi». Il suffit si nous co n stato n s que ce processus d ’«individuation» consiste en la p a rt prise p a r le héros et que nous pouvons p ar là co m p re n d re le sens spirituel du phénom ène de la c ry p to a u to bio g rap h ie juvénile.
Le récit de sa p ro p re enfance constitue u ne sorte de d éb u t natu rel de l ’au to b io g rap h ie et ce, p as seulem ent p o u r des raisons de ch ro nolog ie — car cet aspect ne d o it to u t de m êm e pas être décisif p o u r l’écrivain — m ais aussi en raison de l’im portance que nous p ouvon s attach er à cette période de la vie. D ans l ’écriture au to b io g ra p h iq u e égalem ent, le tem ps to u t com m e l’espace de l ’enfance d evienn ent souvent une m esure, appliquée plus tard à diverses situations. L ’étap e suivante de la biographie, c ’est la m aturité. Si le m ilieu de l’espace de l’enfance est la m aison, au proces sus d e l ’adolescence co rresp o n d le d ép a rt de cette m aison. Bien sûr le grand thèm e du voyage où p ren n en t p a rt aussi les vo yages en ta n t q u ’expérience interprétée dan s le cadre d ’une a u to biographie, ce thèm e ne se lim ite pas du to u t aux vécu de la jeunesse. Il existe p o u rta n t d an s l ’au to b io g rap h ie de l ’enfance ce «petit voyage», préfiguration du «grand voyage»: la sortie — littérale — hors de la m aison, du ja rd in , des environs fam iliaux, cette an n o n ce du d épart ultérieur, de l’âge adulte, vers le m onde,
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du passage d ’un espace p ro p re à un espace étranger. C ’est aussi sous cet aspect de lien avec l ’âge adulte, d ’in itiatio n au m onde des adultes que le voyage est une des m an ifestatio ns des p e r ceptions de la connaissance. D an s certaines cultures, ce tte initia tion a été institutionnalisée, p re n a n t la form e d ’un voyage d ’éd u cation. D an s l ’écriture a u to b io g ra p h iq u e actuelle, il ne se dessine pas, en tre la jeunesse et le voyage, de lien aussi évident, aussi in terdép endant que celui qui unit l’enfance à la m aison. Les d escrip tions et les jo u rn a u x de voyage publiés p a r des écrivains polonais c o n tem p o rain s font appel, il est vrai, à une re p résen tatio n du voyage — expérience initiale, m ais ce co ncept ne jo u e p as un rôle de prem ier ordre. D ans l’espace du voyage s’accom plit su rto u t la bio graphie de l ’hom m e ad ulte qui a entrepris de c o n fro n te r ce qui lui est spécifique à ce qui lui est étranger.
De m êm e, il existe une dépendance, no n indispensable qu oiq ue possible, en tre la m atu rité attein te et le sentim ent d ’ap p a rten an c e à un «lieu» bien défini sur la terre. Ce p eu t être un renouvellem ent du lien avec le pays d ’enfance, renouvellem ent accom pli après des changem ents subis p ar ce pays d an s l ’espace de tem ps qui a séparé l’enfance de l’âge adulte. Si on lit d ans une telle analyse la prose de M iron Białoszewski, celle-ci se révèle être un récit sur la reco nstruction longue, patien te et difficile, sou ven t pleine d ’inattendus, du lien avec ce «lieu propre» , com plètem en t m odifié. Les événem ents de la dernière guerre ont eu p o u r effet que dans bien des cas, le lecteur de la prose au to b io g ra p h iq u e est devenu le tém oin de tentatives d ’enracinem ent nouveau, de créatio n d ’un nouvel attachem ent — en lieu et place de l’u nion brisée avec le pays d ’enfance. Le voyage-exil, le voyage-exodus est alors une expérience qui précède cette tentative. L ’exil et l’enracin em ent peuvent co n stitu er deux pôles de possibilités ou bien deux tem ps consécutifs de la m êm e biographie.
P eut-être l’in terp rétatio n des écrits au to b io g ra p h iq u e s s’avérera-t- elle précieuse su r le plan co g n itif si elle est m enée selon cette o rd o n nance du p roblèm e: m aison d ’enfance, expérience du voyage, a ttac h e m ent à un «lieu sur la terre».