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Widok Karl Dedecius — traducteur et médiateur entre la Pologne et l’Allemagne

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Wrocław 2012

alfred strasser

Université Lille 3 — Sciences Humaines et Sociales

KARL DEDECIUS — TRADUCTEUR ET MéDIATEUR ENTRE LA PoLoGNE ET L’ALLEMAGNE

Il y a peu d’intellectuels qui représentent autant le rapprochement germano- polonais d’après guerre comme le traducteur Karl Dedecius. Il est lauréat des distinctions les plus prestigieuses des deux pays: en 1990, les libraires allemands lui ont décerné le prix de la paix; en 2010 Dedecius et l’ancien évêque d’opole, Alfons Nossol, furent distingués par le Prix national allemand. Il a été décoré de l’ordre du « mérite culturel » du Ministère de la culture polonais et il est doc- teur honoris causa des universités de Łódź (1990), de Toruń (1994), de Cracovie (2000), de l’Université Catholique de Lublin (1987) et de l’Université de Co- logne. Depuis 2001, des archives de l’Université européenne Viadrina de Franc- fort-sur-l’oder et du Collegium Polonicum à Słubice portent son nom; en 2002, le nom de Karl Dedecius fut attribué à un lycée bilingue à Łódź et en 2003, un prix de traduction Karl Dedecius fut créé qui est décerné aux meilleurs traductions du polonais et de l’allemand1. Ces distinctions ne sont que les plus importantes d’une liste qui pourrait être prolongée à l’infini, distinctions que Karl Dedecius a reçues avant tout pour ses travaux de traduction de textes littéraires du polonais en allemand.

Une brève retrospective sur les premières années de sa vie montrera que l’am- biance d’une ville multiculturelle qui était Łódź et son multilinguisme déterminait la vie de Dedecius et les traductions qui s’ensuivirent.

1 Le prix Karl Dedecius est doté de 10 000 €, il est décerné une année sur deux à un traducteur polonais et à un traducteur allemand pour la meilleure traduction du polonais vers l’allemand et de l’allemand vers le polonais. Depuis sa création, les lauréats de ce prix furent Krzysztof Jachim- czak et Hans-Peter Hoelscher-obermaier (2003), Maria Przybyłowska et olaf Kühl (2005), Tadeusz Zatorski et Martin Pollack (2007), Ryszard Wojnakowski et Renate Schmidgall (2009), Ryszard Turczyn et Esther Kinsky (2011).

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I

Karl Dedecius est né en 1921 à Łódź d’une famille allemande. Du côté pater- nel, sa famille est originaire de Bohème et de Moravie, les racines de sa famille maternelle se trouvent en Souabe. Malgré ses origines allemandes, Dedecius ne fréquentait pas le lycée allemand de la ville. Ses parents préférèrent qu’il fasse sa scolarité dans différents lycées polonais de Łódź avant de passer, en 1939, son baccalauréat au lycée Stefan Żeromski, quelques mois avant le début de la deuxième guerre mondiale. Dans son autobiographie Ein Europäer aus Łódź (Un européen de Łódź)2, Dedecius se souvient qu’en classe de terminale, il avait à tra- duire pour la première fois le texte d’un poète polonais. Mais s’agissant d’un poème de Jan Kochanowski (1530–1584), auteur de la renaissance polonaise, il traduisit du latin en allemand et non pas du polonais en allemand.

Après l’envahissement de la Pologne par les troupes allemandes, Dedecius fut engagé pour creuser des tranchées pour l’armée polonaise, mais face à une armée allemande qui avançait très vite, il s’enfuit et rentra, gravement malade, à Łódź chez ses parents. Entre temps, la ville était occupée par les Allemands; comme tous les Allemands de Łódź, Dedecius fut appelé à faire son service de travail obligatoire qu’il put effectuer d’abord comme traducteur dans un bureau de l’ad- ministration de l’occupant à Łódź, puis à opava; en 1941, Dedecius fut incorporé à la sixième armée de la Wehrmacht ce qui le mena tout droit dans l’enfer de la bataille de Stalingrad et, ensuite, en captivité en Union soviétique jusqu’en 1949.

Contre la dureté et l’hébétude de la vie de prisonnier, Dedecius « trouvait (…) un médicament efficace: la traduction »3. Partant de ses connaissances du polonais, il apprit le russe par la lecture des poèmes de Mikhaïl Lermontov (1814–1841), de Sergueï Essénine (1895–1925) et d’Alexandre Pouchkine (1799–1837). Petit à petit il arriva à déchiffrer l’alphabet russe et, finalement, commença à traduire leurs textes. Le choix des auteurs est dû au hasard des livres disponibles dans le camp de prisonniers. À cette époque, Dedecius mit au point sa méthode de travail:

avant de traduire un auteur, il effectuait une analyse en profondeur de son style, du vocabulaire et des figures de style qu’il utilisait. Ce travail avait un effet secon- daire intéressant: par ces analyses, Dedecius était capable d’écrire dans le style

2 K. Dedecius, Ein Europäer aus Łódź. Erinnerungen, Frankfurt am Main, Suhrkamp 2006.

3 « Ich (…) fand die für mich wirksame Medizin: das Übersetzen » (ibidem, p. 145). Voici une raison différente, qui incita Dedecius à la traduction: lycéen, il écrivait des poèmes, lesquels furent tous détruits durant la guerre. Aussi, en ceptivité, il renonça à la posture « sérieuse » de l’écriture poé- tique pour se consacrer à l’observation de l’étranger. Ne voulant pas rejouter une pierre à l’édifice déjà suffisamment fourni — et souvent médiocrement — de la poésie et des poètes, il se consacra dès lors à la traduction de textes méconnus, jugeant essentiel de traduire « d’une petite langue (…) dans une langue plus importante ». Voir: K. Dedecius, Vom Übersetzen: Theorie und Praxis, Frank- furt am Main, Suhrkamp 1986, p. 161.

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de l’auteur qu’il traduisait. Subséquemment, les soldats russes lui demandèrent d’écrire des lettres d’amour dans le style de Pouchkine.

Après la signature de l’armistice le 8 mai 1945, Dedecius fut contraint de choisir sa nationalité ainsi que le pays dans lequel il vivrait après sa mise en liber- té. Il opta pour l’Allemagne et non pour la Pologne: d’après le droit russe, il était citoyen polonais par son lieu de naissance et, en tant que tel, il aurait pu bénéficier d’une libération immédiate. Mais, par sa famille, il se sentait Allemand, enraciné dans la culture allemande. Il refusa de jouer de cette dualité afin d’améliorer son quotidien durant sa captivité et de rentrer avant les autres prisonniers de guerre:

on peut changer sa nationalité, mais on ne peut pas changer ses parents ni son appartenance à un peuple ni son éducation, ni sa croyance (…). Je voulais assumer mon sort que la guerre m’avait infligé avec toutes les conséquences. Comme tous les autres Allemands4.

Fin 1949, Dedecius fut enfin libéré et il commença à refaire sa vie à Weimar en RDA. Il obtint la poste d’assistant à l’Institut d’études Théâtrales Allemand.

Une de ses tâches était de traduire des pièces de théâtre et des articles sur le théâtre du russe pour son professeur. Cependant, après deux ans, lui et sa famille quit- tèrent l’Allemagne de l’Est par Berlin pour s’installer d’abord au Palatinat et en- suite à Francfort-sur-le-Main où Dedecius vit encore aujourd’hui.

II

Dans sa nouvelle patrie, Karl Dedecius aspirait à travailler comme journa- liste pour un des grands quotidiens de Francfort. Mais tous les efforts d’obtenir une poste à la Frankfurter Allgemeine Zeitung ou à la Frankfurter Rundschau se sont soldés par un échec. Finalement, il accepta une poste de cadre dans une grande société d’assurances qu’il occupait pendant vingt-cinq ans. Il ne quitta ce poste qu’en 1978 pour se consacrer à la création d’un Institut Germano-Polonais à Darmstadt pour la recherche sur la culture et sur la littérature polonaises.

En même temps, Dedecius commença à nouer des contacts avec la Pologne.

Il s’intéressait à la littérature de son pays natal, spécialement à la poésie et se pro- cura — non sans difficultés — les publications récentes de poètes polonais qu’il traduisait pendant son temps libre. Ce travail représentait pour lui une manière de retrouver l’univers multilingue de son enfance qui lui manquait tant: « Je n’étais pas habitué à vivre dans un monde unilingue. Je regrettais la diversité linguistique de mon enfance. Je lisais et je traduisais des poèmes »5.

4 « Man kann seine Staatsbürgerschaft wechseln, aber nicht seine Eltern, seine Volkszugehöri- gkeit, seine Erziehung, seien Glauben (…) Ich wollte das mir vom Krieg auferlegte Schicksal mit allen Konsequenzen tragen. Wie die anderen Deutschen auch » (ibidem, p. 150).

5 « Ich war nicht gewohnt, In einer einsprachigen Welt zu leben, ich hatte Verlangen nach der Sprachenvielfalt meiner Kindheit, las und übersetzte Gedichte » (ibidem, p. 191).

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Malgré tout, ses démarches auprès des éditeurs pour se faire publier se sont toutes soldées par un échec. Siegfired Unseld, alors assistant de l’éditeur Peter Suhrkamp, pensait qu’« après cette guerre, plus personne ne s’intéressera aux lit- tératures slaves »6, d’autant plus que la Pologne appartenait au bloc communiste du Pacte de Varsovie.

Seules les revues littéraires publiaient parfois des traductions de Dedecius, notamment la revue Mickiewicz-Blätter, créée en 1956 à l’occasion du centenaire de la mort du poète polonais en 1855. Cette revue en langue allemande avait pour but la promotion d’un dialogue germano-polonais par la littérature. Dedecius y présenta dans les numéros 10, 11 et 12 trois poètes polonais morts pendant la deuxième guerre mondiale: Józef Czechowicz (1903–1939), mort pendant une attaque aérienne, Tadeusz Hollender (1910–1943), executé dans le ghetto de Var- sovie, et Krzystof Kamil Baczyński (1921–1944), mort pendant l’insurrection de Varsovie. Mais Dedecius présentait aussi des traductions de la poésie d’Antoni Słonimski (1895–1976), de Jarosław Iwaszkiewicz (1894–1980), de Mieczysław Jastrun (1903–1983), de Władysław Broniewski (1897–1962) ou encore de Paweł Hertz (1918–2001).

Ce fut certainement grâce aux traductions publiées dans ces revues que l’atti- tude de refus de la part des maisons d’édition vis-à-vis de la littérature polonaise cessa. Ainsi, en 1959, une première anthologie, intitulée Lektionen der Stille (Le- çon du silence), fut publiée chez Carl Hanser Verlag7. Dans ce recueil, Dedecius rassembla et traduisit trente six poètes polonais, dont les futurs lauréats du Prix Nobel, Czesław Miłosz (1911–2004) et Wisława Szymborska (1923–2012), mais aussi des textes de Zbigniew Herbert (1924–1998), de Stanisław Jerzy Lec (1909–

1966), de Tadeusz Różewicz (*1921), de Jerzy Harasymowicz (1933–1999), de Julian Tuwim (1894–1953) et de beaucoup d’autres. Il intégra aussi bien des poètes vivant en Pologne que des auteurs en exil passés sous silence dans leur pays natal.

L’écho dans la presse allemande était plutôt positif: le critique Marcel Reich- Ranicki écrivit dans une lettre à Dedecius le 1er avril 1959: « J’ai lu votre antholo- gie de poésie avec beaucoup d’intérêt et beaucoup de satisfaction et bien que j’aie été souvent surpris par votre choix, il n’y a, pour moi, aucun doute: vous avez fait un livre très précieux »8. Le 8 août 1959, le même Marcel Reich-Ranicki consac- rera une longue critique à ce livre dans le quotidien conservateur Die Welt. Après avoir constaté la sécularité de « l’excellence » de la poésie polonaise, il conclut

6 « Nach diesem Krieg wird sich in Deutschland niemand für slawische Literatur interessie- ren » (ibidem, p. 190).

7 Le titre Leçon du silence est emprunté à un poème de Tymoteusz Karpowicz.

8 „Mit Interesse und Genugtuung habe ich Ihre Lyrik-Anthologie gelesen und obwohl mich die von Ihnen getroffene Wahl oft befremdet hat, unterliegt es für mich keinem Zweifel, daß Sie ein sehr wertvolles Buch gemacht haben » (M. Zybura (dir.), Lekcja ciszy w glosach krytyki niemiec- kiej — Lektionen der Stille. Deutsche Stimmen, w 50-lecie I wydania — Eine Gedenkgabe zum 50.

Jahrestag der Erstveröffentlichung, Wrocław 2009, p. 30).

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par la sentence suivante: « Un recueil édifiant, stimulant, précieux, qui remplit sa tâche d’une manière remarquable et qui montre que l’éditeur est un connaisseur de la matière, un traducteur délicat et d’une grande ouverture d’esprit »9.

Dans sa critique du numéro 21 de la revue Die Silberdistel, Cornelius Streiter mit en avant le haut niveau de la poésie polonaise: « Karl Dedecius qui, ces der- niers temps, s’est fait remarquer de façon répétée en tant que traducteur congénère du russe et du polonais, présente une preuve valable du niveau élevé de la création littéraire en Pologne »10.

Le poème qui toucha le plus le public allemand fut À un allemand inconnu à l’ouest de Jerzy Waleńczyk (1927–1994), dans lequel le poète se défend contre une idée propagée par l’état: à savoir qu’il fallait combattre l’ennemi de l’ouest.

Dans les vers de Jerzy Waleńczyk, le moi lyrique adjure un Allemand inconnu de ne pas croire à ces paroles. Mais en dépit de toute propagande, le moi lyrique ne souhaite rien d’autre que de vivre en paix sur cette terre unique qui appartient à tout le monde.

Après le bon accueil de Leçon du silence, Dedecius rencontra moins de dif- ficultés à intéresser les éditeurs allemands à la littérature polonaise contempo- raine. Il traduisait et publiait les textes des poètes les plus prestigieux et, pour son travail, divers prix de traduction lui ont été décernés, comme le Prix de traduc- tion de l’Académie allemande de langue et de poésie en 1967. De plus, Dedecius cherchait le contact personnel avec les poètes dont il traduisait les textes et il se lia d’amitié avec beaucoup d’entre eux. Cette amitié s’exprimait par des textes lui étant dédicacés de ses amis poètes: Zbigniew Herbert lui dédia son poème Colantonio — S. Gierolamo e il leone, un texte sur saint Jérôme, le patron des traducteurs. Mais le plus bel hommage lui fut rendu par Tadeusz Różewicz avec son poème À K.D. dans lequel le poète vante, dans une langue simple, les mérites de son traducteur allemand, mais qui peut aussi être lu comme l’éloge des qualités de tout traducteur: « Tu traduis/ ma mémoire/ dans ta mémoire/ mon silence/ dans ton silence/ [...]/ [tu] déplantes/ ma langue/ dans une langue étrangère/ puis mes idées portent/ des fruits/ dans ta langue »11.

Karl Dedecius n’a pas seulement réussi à s’imposer en tant que traducteur mais parvint, grâce à son engagement pour la connaissance de la culture polo- naise, à redonner à l’Allemagne de l’intérêt pour la Pologne. Son travail fut fina-

9 « Eine aufschlußreiche anregende, wertvolle Sammlung, die ihre Aufgabe vorzüglich erfüllt und den Herausgeber als guten Kenner des Gegenstandes und insbesondere als vielseitigen, fein- fühligen Übersetzer zeigt » (ibidem, p. 78).

10 « Karl Dedecius, der als kongenialer Übersetzer aus dem Russischen und aus dem Polnisch- en in letzter Zeit wiederholt hervorgetreten ist, legt mit seiner Lektion der Stille einen vollauf gülti- gen Beweis für den Höchststand polnischen Literatruschaffens vor » (ibidem, p. 66).

11 Ibidem, pp. 254–255. La traduction des vers de Tadeusz Różewicz est faite à partir de sa traduction allemande: « Du übersetzt/ mein gedächtnis/ in dein gedächtnis/ mein schweigen/ in dein schweigen/ (…)/ [du] verpflanzt/ meine zunge/ in eine fremde/ dann/ tragen meine gedanken/

früchte/ in deiner sprache ».

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lement couronné par la création de l’Institut Polonais en Allemagne à Darms- tadt (L’Institut Polonais de Darmstadt a été fondé en 1979), dont Dedecius fut le premier directeur12. Une des réalisations les plus importantes de cet institut est la publication d’une bibliothèque polonaise en langue allemande: en cinquante volumes, le lecteur allemand peut connaître les textes essentiels de la littérature polonaise à partir du Moyen âge jusqu’à la fin du XXe siècle.

Le travail de traduction de Dedecius était toujours accompagné par la publi- cation d’essais sur les auteurs qu’il traduisait, mais aussi de réflexions théoriques sur la traduction et le travail du traducteur. Ses essais littéraires sont rassemblés dans les recueils Von Polens Poeten (Sur les poètes polonais)13 et Lebenslauf aus Büchern und Blättern (Curriculum vitae composé de livres et de feuilles)14. Les textes avec ses observations sur la traduction furent publiés dans des revues diverses. Dedecius les a rassemblés en 1986 dans son livre Vom Übersetzen. Theo- rie und Praxis (De la traduction, théorie et pratique)15.

III

Dans les dix chapitres de De la traduction, Dedecius aborde quelques ques- tions théoriques sur la traduction, mais il donne surtout des conseils pratiques aux collègues traducteurs pour expliquer ce qui fait une bonne traduction et ce qui permet de devenir un bon traducteur. Dans tous ses textes, Dedecius souligne qu’il est avant tout un traducteur souhaitant transmettre ses expériences person- nelles aux lecteurs, mais qu’il n’est pas chercheur qui développe des théories sur la traduction: « Ce qu’un traducteur peut dire de la pratique de la traduction n’est qu’un témoignage de sa propre expérience. Cela reste la tentative de fixer les ex- périences personnelles et d’espérer que quelques jugements valables pour tout le monde peuvent en être déduits »16.

Cependant, Dedecius admet que le traducteur doit mener une réflexion sur le texte qu’il veut traduire, ses spécificités et ses difficultés, sans pour autant donner trop d’importance à la théorie. Dans le chapitre Theorie und Praxis (Théorie et pratique), il précise:

12 L’Institut Polonais de Darmstadt a été fondé en 1979 par la République fédérale d’Alle- magne, par les lands de Hesse et de Rhénanie-Palatinat et par la ville de Darmstadt. Il a des tâches de recherche et d’information sur la culture, la société, l’histoire et la politique polonais et il doit organiser des manifestations sur ces thèmes ainsi que sur les relations germano-polonaises.

13 K. Dedecius, Von Polens Poeten, Suhrkamp, Frankfurt am Main 1988.

14 K. Dedecius, Lebenslauf aus Büchern und Blättern, Suhrkamp, Frankfurt am Main 1990.

15 K. Dedecius, Vom Übersetzen. Theorie…

16 « Was ein Übersetzer über die Praxis des Übersetzens zu sagen hat, spricht immer nur von seiner eigenen Praxis. Es bleibt ein Versuch, die persönlichen Erfahrungen dingfest zu machen und zu hoffen, dass sich daraus — vielleicht — ein paar allgemeingültige Einsichten ableiten lassen » (ibidem, p. 25).

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Pendant des années, j’ai traduit sans réfléchir sur le comment et le pourquoi et sans avoir lu une seule phrase sur la théorie de la traduction. Mystifié par mes expériences, j’ai commencé à réfléchir sur mes expériences et à y mettre de l’ordre. Cependant, je n’ai pas trouvé de méthode fiable, appli- cable à tout (…) mais je reste méfiant envers l’idée que la théorie soit salutaire. Le travail pratique en profite très peu17.

Pourtant, Dedecius se livre à des méditations théoriques dans le chapitre Qua- dratur des Kreises (Quadrature du cercle). Dans ce texte, il compare les deux lan- gues d’une traduction à des figures géométriques, l’une à un cercle et l’autre à un carré. Comme eux, les langues ne sont pas congruentes, il est donc impossible de faire une traduction où le texte traduit corresponde complètement au texte origi- nal. Vouloir faire une traduction absolument parfaite signifierait vouloir obtenir la quadrature du cercle. Pour faire une bonne traduction, aucune des deux figures géométriques ne doit dominer l’autre: le cercle ne doit pas complètement entourer le carré et le carré ne doit pas être plus grand que le cercle. Le cercle et le carré doivent avoir la même « superficie » et donc la même valeur.

Pour arriver à une telle traduction Dedecius propose de se libérer, pas à pas, de la dépendance paralysante de quatre éléments qui sont le vocabulaire (le dic- tionnaire), la structure de la phrase (la grammaire), le message (l’interprétation) et l’effet (la critique), pour arriver à une traduction qui soit, vis-à-vis de l’original, libre, autonome, égale et de même valeur.

Le traducteur doit trouver un équilibre entre la contrainte du texte d’origine et la liberté créatrice. Dans ce contexte, Dedecius n’admet pas que le traducteur corrige le texte de départ — une des erreurs les plus graves, d’après lui, qu’un tra- ducteur puisse commettre et qui nuirait gravement au texte de la traduction, sauf s’il s’agit d’erreurs évidentes.

Pour arriver à une traduction libre, autonome, etc., le traducteur doit être, d’après Dedecius, aussi poète — pas par une propre production de poésie mais par le fait de considérer la traduction comme une création poétique. En même temps, il s’oppose à l’idée que seuls les poètes savent traduire la poésie: tout au contraire, nombreux sont les poètes qui sont incapables de s’adapter au style d’un texte qui n’est pas le leur.

Dans le chapitre Theorie und Praxis (Théorie et pratique), Dedecius présente les différentes positions théoriques sur la traduction, et ce dès l’antiquité, notam- ment des littératures romanes, anglo-saxonnes, de la littérature russe, allemande et polonaise. Il cite les prises de position des écrivains et des traducteurs importants sur le sujet, mais il ne s’intéresse guère aux travaux des universitaires contempo-

17 « Ich habe jahrelang übersetzt, ohne eigentlich über das Wie und Warum gründlicher nach- zudenken, ohne einen einzigen theoretischen Satz über die Übersetzung gelesen zu haben. Erst dann, von den Erfahrungen gefoppt, fing ich an, meine Einsichten zu bedenken und zu ordnen. Ich fand dennoch keine zuverlässige (…) Methode, die auf alles anwendbar wäre. (…) Das Mißtrauen gegen die Heilsamkeit der Theorie bleibt unbeseitig. Die Praxis profitiert davon wenig » (ibidem, p. 89).

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rains sur la question. Il ne prend que très rarement position sur un sujet, exprimant seulement son opposition farouche à l’amalgame traduction/trahison.

À la fin de son essai, il constate qu’en dépit de toutes les écoles de traduc- tion et de toutes les modes, « les questions clés restent les mêmes »18 depuis que saint Jérôme (347–420) les souleva dans sa lettre De optimo genere interpretandi (De la meilleure façon de traduire). Pour faire une bonne traduction, il faut tenir compte de la règle « pas mot à mot, mais sens par sens », car « une traduction à la lettre mène au non-sens »19. Ce problème essentiel de la traduction ne pourra ja- mais être résolu malgré la multitude de travaux de recherche effectués sur le sujet.

À côté de saint Jérôme, Dedecius reconnaît Horace (65–8 av. J.-C.) et Chris- toph Martin Wieland (1733–1813) comme ses maîtres. Il considère que l’Ars poe- tica (Art poétique) de Horace est une somme de réflexions sur les qualités et les compétences d’un bon poète, qualités qui sont également indispensables pour le traducteur. Dans le chapitre Horaz als Vorbild (Horace qui fait référence) de De la traduction, Dedecius extrait les maximes qui lui paraissent les plus importantes pour le traducteur, notamment celles affirmant que la poésie n’est pas le résultat de l’unique talent d’un auteur, mais aussi de son application au travail: « Le don seul ne suffit pas. La formation seule ne suffit pas. La poésie demande les deux. (…) Sans parler de l’abnégation et du zèle »20.

Wieland est, pour Dedecius, le modèle d’un traducteur, non seulement pour sa grande capacité de travail — il traduisit 22 pièces de Shakespeare en cinq ans

— mais aussi pour sa manière d’aborder une traduction. Dans le chapitre Wieland als Lehrer (Wieland en tant qu’enseignant), Dedecius transmet quelques pensées de l’auteur allemand. Selon Wieland, le traducteur doit avant tout être compé- tent, c’est-à-dire qu’il doit être à la taille du texte qu’il veut traduire. En même temps, il faut qu’il garde une distance critique, voire ironique, vis-à-vis du texte de départ, même s’il l’apprécie. De plus, le traducteur ne doit pas faire sa traduction à partir de théories a priori, qui seront source de crises et de conflits, mais il doit adapter sa méthode de travail aux exigences du texte. Pour Wieland, les traduc- teurs occupent une position autonome et indépendante vis-à-vis des auteurs. Les traducteurs ne doivent être « ni les perroquets des auteurs, ni leurs courtisans et aucunement leurs esclaves, mais leurs avocats, leurs interprètes, leurs amis cri- tiques et leurs héritiers »21.

Dedecius ne se contente pas de transmettre le savoir de ses maîtres; il veut, au-delà, partager ses propres expériences avec ses collègues. Le chapitre Vorsätze für den Eigengebrauch (Résolutions pour l’usage personnel) est un B.a.-ba du

18 « die Kernfragen bleiben die gleichen » (ibidem, p. 196).

19 « non verbum e verbo, sed sensum exprimere sensu », « Si ad verbum interpretor, absurdum resonat » (ibidem, p. 92).

20 « Begabung allein genügt nicht. Bildung allein genügt nicht. Poesie verlangt nach beidem.

(…) Von opferbereitschaft und Fleiß ganz zu schweigen » (ibidem, p. 184).

21 « nicht Papgeien der Autoren, nicht ihre Liebesdiener oder gar Sklaven, sondern ihre An- wälte, Deuter, kritische Freunde und gerechte Nachlaßverwalter » (ibidem, p. 181).

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traducteur. En forme de textes courts, Dedecius donne des recommandations pour réussir une traduction. Le traducteur doit avant tout être familier de son texte et il doit avoir un maximum d’informations sur sa genèse. Par ailleurs, le traducteur doit être conscient que sa traduction ne sera jamais complétement finie, parce qu’elle ne sera jamais parfaite. À la relecture, toute traduction peut toujours être améliorée. Pour cela, le contact avec l’auteur peut être judicieux et, de ce fait, Dedecius prône de donner sa préférence aux textes des auteurs vivants:

[Je] préfère les auteurs contemporains. Ce n’est pas facile, parce que les auteurs vivants peuvent demander des comptes — les morts ne peuvent plus se défendre. En plus, on doit partager les honoraires avec les vivants (de toute façon, ils revendiquent toute la gloire). Mais les avantages prédominent. (…) on peut joindre l’auteur, parler avec lui, même sur les choses apparemment sans importance. Tu éviteras des recherches, des heures de travail, des conflits face à toute une armée de chercheurs en littérature. L’économie nationale te remerciera22.

L’importance de Karl Dedecius est double: traducteur autodidacte, il réussit à intéresser les éditeurs et les lecteurs allemands à la poésie polonaise contem- poraine. Par la grande qualité de ses traductions il parvint à restituer des textes extraordinaires « du genre majeur de la littérature polonaise »23 en langue alle- mande. Le rôle de Dedecius ne se limita pas au simple travail linguistique: par son initiative, des instituts de recherche sur la Pologne furent créés en Allemagne.

Son engagement eut un effet boule de neige: aujourd’hui, beaucoup de chercheurs allemands s’intéressent à la culture de leurs voisins. Son rôle de premier acteur dans le rapprochement entre la Pologne et l’Allemagne est reconnu de part et d’autre de l’oder. Les nombreuses distinctions qu’il reçut en témoignent.

Mais Dedecius est avant tout traducteur et, en tant que tel, il transmet sa riche expérience dans son livre De la traduction à ses collègues. Ce livre qui renvoie aux bases même du travail de traducteur peut être considéré comme un manuel de la traduction avec une portée universelle dépassant le seul cadre germano-polonais.

KARL DEDECIUS — TRANSLAToR AND MEDIAToR BETWEEN PoLAND AND GERMANY

Summary

Karl Dedecius is the most important translator of Polish poetry into German of our time. He was born in 1921 in Łódź to German parents. After the German invasion of Poland in 1939, he was incorporated in the German Wehrmacht and eventually became a prisoner of war in the Soviet

22 « Bevorzuge Zeitgenossen. Das ist nicht leicht: Von den lebenden Autoren kann man zur Rechenschaft gezogen werden – Tote wehren sich kaum. Mit den Lebenden muß man auch das Honorar teilen. (Den Ruhm nehemn sie sowieso ganz für sich in Anspruch.) Aber die Vorteile über- wiegen. (…) Der Autor [ist] zu erreichen. Sprich mit ihm. Auch über das scheinbar Belanglose. Du ersparst einer ganzen Armee von künftigen Literaturhistorikern Nachforschungen, Arbeitsstunden, Streitigkeiten. Die Volkswirtschaft wird es dir danken » (ibidem, p. 165).

23 S. Peter, « Jahrhundert des Gedichts », Frankfurter Allgemeine Zeitung, 20 mars 2009.

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Union. During this time, he taught himself Russian and also translated poems by Lermontov and other Russian poets. In 1949 he came back to Germany, first to Weimar in GDR and two years later to Frankfurt in GFR.

In his free time, Dedecius translated Polish poetry into German. In 1959 the first anthology Lesson of Silence was published. After this, many other translations of Polish literature into Ger- man followed. As Dedecius was making a name for himself as a translator, he was commissioned to found a Polish-German research institute. By making Polish culture known in Germany Dedecius certainly contributed to better relations between Poland and Germany.

His essay On Translating: Theory and Practice can be considered as a handbook for transla- tion. In this book he relates the history of translation theory from antiquity until today and other theoretical questions, but first of all, he gives advice on how to make a good translation.

Key words: abridgment of Karl Dedecius’ biography, translation of Polish poetry to German, Dedecius’ notes about history of translation

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