PASICRISIE
TROISIÈME SÉRIE
COURS ET TRIBUNAUX DE BELGIQUE
ANNÉE 1901 Ire PARTIE
ARRÊTS DE LA COUR DE CASSATION V
Bruxelles. — lmp. Bruylant-Christophe et C»e, rue de la Régence,67.
PASICRISIE BELGE
O-
RECUEIL GENERAL
DE І.Л JURISPRUDENCE
DES
COURS ET TRIBUNAUX
DE BELGIQUE
EN MATIÈRE CIVILE, COMMERCIALE, CRIMINELLE, DE DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF
--- Л Année 1901
Ire PARTIE. — ARRÊTS DE LA COUR DE CASSATION
REDACTEURS : MM. L. MÉLOT, procureur général, et Ch. VAN SCHOOR,premier avocat général prèslacourdecassation. a
IIe PARTIE. — ARRÊTS DES COURS D’APPEL
RÉDACTEUR: M. Constant CASIER, conseiller à lacourde cassation, avec la collaboration de plusieurs magistratsdes coursdoBruxelles, do Gandet do Liège.
IIIє PARTIE. — JUGEMENTS DES TRIBUNAUX
RÉDACTEUR :M J. SERVAIS, avocat général prés la cour d’appel de Bruxelles,avec le concours de plusieurs membres des tribunauxde premièreinstance et de commerce
et deplusieursjugesdo paix.
IV» PARTIE. — JURISPRUDENCE ÉTRANGÈRE I il i. rÉdACTEUR : M. J. SERVAIS, avocatgénéral prèsla cour d’appel deBruxelles
aveclacollaboration de magistrats des cours et tribunauxdo France, do Hollande, du g.-d. de Luxembourg, etc.
Ve PARTIE. — REVUE DE DROIT BELGE
RÉDACTEUR : M. J. SERVAIS, avocat général près la cour d’appelde Bruxelles.
Iго PARTIE
ARRÊTS DE LA COUR DE CASSATION
BRUXELLES
BRUYLANT-CHRISTOPHE
ET
Cie,
ÉDITEURS Emile BRUYLANT, Successeur67, RUE DE LA RÉGENCE
COUR DE CASSATION DE BELGIQUE
DE LA RÉCIDIVE
ET DE
DISCOURS
prononcé par M. MÉLOT, procureur général
A L’AUDIENCE SOLENNELLE DE RENTRÉE
LE 1er OCTOBRE 1901
Messieurs
,
Appelé deux fois à l’
honneur
de prononcer lediscours
derentrée qui
précèdela
reprise de vostravaux,
jevous
aientretenus
en1892
Deslenteurs de l''administrationde lajustice civile. En1897, c’
est encore dela justice civile que
je vousai
parlé,pour rechercher
lemérite
de l’
institution du juge uniqueencette matière.Je me
suis proposé
devous soumettre aujourd’hui
quelques questionsinté
ressantla
législationrépressive. La plupart
de ces questionsm’
ontété dictées par
les souvenirs d’une longue
pratiquejudiciaire. Je
n’ai
pas la prétention de lesrésoudre;
les limitesd
’un discours
derentrée
ne permettentmême pas d’
enfaire
unexamen
approfondi ;je
mebornerai
doncà
lesexposer.
I. —
Parmi les faitsgraves
donttous
lesEtats
se préoccupent,figure
enpremière ligne
l’augmentation constante
du nombredes
récidivistes.J’
entendspar là, non
les prévenusqui tombent sous le coup des articles 54
etsuivants
du codepénal, mais tous
ceuxqui
comparaissent devant lejuge après avoir subi des peines d
’emprisonnement.
Ces
malfaiteurs d’habitude
deviennent deplus
en plusnombreux.
Legou
vernement
le reconnaissait déjà enprésentant
la loi du 31mai
1888. «L’objet
de la
législation pénale,disait
l’exposé
des motifs, n’estpas seulement
de__
2_
« produire, par
lechâtiment
infligé auxcoupables,
l’
intimidationqui
doitcon-
«
tribuer au maintien de l’ordre
public.L
’expiationà
laquelle ellesoumet
les«
coupablesdoit servir à
les amenderet
à diminuer lacriminalité,
en préve-“ nant
la récidive. Les indicationsde la statistique, selon que
le chiffrede
la“ récidive
croitou décroît,
marquent ceque
vaut le systèmepénal d
’un pays.“
Elles nesont pas
favorables enBelgique. »
C’estpour remédier au mal signalé et
compléter
les effetsbienfaisants du système
de l’emprisonnement
cellulaire,que
la loi de1888 a
créél’institution
nouvelle de lalibération
conditionnelle.Depuis1852, M. Ducpétiaux en avait définiles avantages.
« La libération
conditionnelle, disait-il, estun moyen
d’
excitation à« l’amendement
et derécompense pour la bonne conduite
enprison.
“
Elle
donne les moyens d’
éprouverla
régénération descondamnés,
de«
commencerleur
réhabilitationmorale
et de faciliterleur reclassement dans
*•
lasociété.
*•
Enréduisant
la durée des peines, elleserait un nouveau moyen d
’éco-
“ nomie pour
l’Etat. »Le gouvernement espérait
qu’
ainsicomplété notre
systèmepénal pourrait
réagir contre l’accroissement
dela
criminalité et lapersistance
delarécidive.
Pour atteindre ce
but,
il comptait surtout sur l’
assistancedes
comitésqui
sevouent
aupatronage des condamnés libérés.
La loi de 1888 a introduit dans
notre législation une seconde
innovation :la faculté accordée
au juge de condamner les prévenusconditionnellement
lorsquel
’emprisonnement à
subir nedépasse
passix
moiset qu’
ilsn’
ont pasencore été frappés par
lajustice criminelle
oucorrectionnelle.
*Le rapporteurde
la section
centrale, M. Thonissen,a
ditexcellemment
àce
propos :“
Il n’estpas toujours
nécessaireque
lesportes
de laprison
se«
ferment
surl’homme qui,
dansun
momentd
’emportement ou defaiblesse,
a« contrevenu
une première
foisà la
loi pénale...»
«
...
Lespeines
decourte
duréen’
exercentqu’une
faible influence sur«
l’
état de lacriminalité
etl
’emprisonnement,
avec soncortège
deconsé-
“ quences avilissantes,
produit souventun
résultattoutopposé à
celuiqu’
on en«
attend.
Ilopère une
dépression du sens moral,il
dégrade le condamné à ses“ propres yeux, le rend indifférent
à
la réprobation del
’opinion
publiqueet
le“ prédispose à
la récidive.»
La
loifrançaise
du 26 mars1891,
dite loiBérenger, a été votée dans
le même esprit. Une circulairedu 20
février 1901, adressée aux'procureurs générauxpar
M. legarde des sceaux
ministre de la justice, constate,dans
lestermes suivants,
lesbons
effets decette loi.
« Ellea dépassé
toutes les espé-“ rances,
et je nesais
si le législateurlui-même
a prévu tousses bienfaits.
« Cette remise
provisoiredu
premier châtiment apparaissaitsurtout
comme« une loi de
pitié
et de pardon; enréalité,
elledotait
notre code pénald
’un
« frein
moral d’une
grande puissance, capabled’arrêter
lefléau
delarécidive!«
Cette douceur étaitune force. »
... «
L’
expérience aclairement
montré lesavantages
de la condamnation“ avec
sursis
; nos mœurs judiciairesdoivent
se prêter deplus
enplus
àcette
«
pratique. Il fautque,
dans leursréquisitions,
vossubstituts, pénétrés
de“ l’idée qu’
il estplus utile deprévenir unerécidivequede punir une pre-“ mièreinfraction, engagent les tribunaux
plus
hardimentdans cette
voieз —
“ où ils n’ont marché jusqu’à présent qu’avec une certaine hésitation (1). »
En
cequi concerne la peineà
appliquer aux petitsdélits quand
la répres sion
effective estjugée
nécessaire, la même circulaireajoute avec
raison:
«Il
“ faut
segarder
de voir dansl'emprisonnement
le châtimentnécessaire
de la“ plupart des infractions
et den’
accorder aux peinespécuniaires qu
’un“ caractère accessoire,
uneimportance
secondaireet
presqueinsignifiante.
«
L
’amende, en l’état
de l’espritpublic, présente cet avantage
den’ètre
»
paspar elle-même déshonorante
et devraitêtre considérée, pour tous
les“
délits
depeu
de gravité,comme suffisamment
répressive et remplacerles
“
courtes peinesd’emprisonnement. Il
suffit,pour
serendrecompte de
l’
effica-“
citédes peines
pécuniaires, de songerà
lasomme
deprivations que
“
représentepour l
’homme vivant
de son salairele payement d’
une amende,“ même
minime, augmentéedes frais
dela
condamnation.Telle amende
de“
16 francs, ou mêmeinférieure, qui
ne sera soldéequ’
au prix depénibles
“
efforts,
nevaut-elle pas, dans l’
intérêtdelà répression,
avec ledéshonneur
«
enmoins,
quelquesjours
d’
emprisonnement?“
... Plus
lesprisons
resterontfermées
auxcondamnés primaires,
moins« elles
auront às’
ouvrir auxrécidivistes. »
Comme on le
voit,
le département de lajustice
en France est d’
accordavec
le législateurbelge. Les mêmes
principes sontproclamés
dans lesdeux
pays etnous savons
que lejugebelge
enfait
trèsfréquemment application.
Il ne semble pas cependantque la
criminalité en aitété sensiblement
diminuée.Les
cabinets de nos jugesd
’instruction sont
de plusen plus encombrés ;
il en est demême des
rôles des tribunaux correctionnelset des chambres
correc tionnelles des cours d’appel ;
il nese passeguère d
’annéesans que
les Chambres soient saisies de demandesd’augmentation
depersonnel pour
quelquetribunal.
Enfin, vous-mêmes, Messieurs, quand vous examinez
ces nombreuxpourvois
soumisà votre
seconde chambre,sans
motifsà
l’appui,
formés exclusivement pourprolonger au
profit du condamné le régime de ladétention
préventive,ne constatez-vous
passouvent qu’antérieurement à
l’arrêt
dénoncé, le deman
deuravait
subiune
série de condamnations: 5, 10,
20, parfois davantage.Qu
’attendre
de pareilsmalfaiteurs
à l’expiration de leur peine? N’est-il pas
aisé deprédire qu’
ilsne
tarderont pasà
commettre unnouveau délit,
lequelsera
suivi d’une
nouvellecondamnation,
dont l’
effet seratout aussi
nulque
celuides
condamnations précédentes. Lesrepris
dejustice
decette
espècesont
en état de révolteconstante contre
laloi pénale : ilsn’ont pas,
enréalité, d’autre
profession. Pour eux, comme ledit
l’exposé des
motifs de la loi de 1888,“ la sentence du juge est une
formalitébanale
et la prisonune
“ hôtellerie
bienmontée,
danslaquelle un
séjourpassager n
’est passans
“ attrait, surtout
pendant l’hiver ».
Il s’en
faut cependant
qu’au point devue
de lamoralité tous
cesrécidi
vistes
puissent être placés
surlamême ligne. Il
en estqui,
vicieuxpar nature,
paraissentincapables de
nepas
faire le mal. En voici un exemplesaisissant.
Unaccusé, dont j’ai
eu à m’
occuperautrefois
etqui avait
déjàsubi
de nom
breuses condamnationspour
vol,venait
d’être
mis enliberté par expiration de
la dernièrepeine
prononcéecontre
lui. Commeil
s’éloignait
de Louvain en(1) Journ. des trib., 17 mars 1901.
— 4 —
suivantune grand
’
route, ilremarqua que
les habitantsd
’une ferme
de bonne apparence la quittaient successivement pourse rendre
aux champs.Il
s’arrêta et vit
enfinle fermier
sortir le dernier,fermer la
porte dela
fermeet s’éloigner à
sontour.
Pour unvoleur
de profession,l’
occasion étaitvraiment trop belle. II
eut bientôtfait de pénétrer dans
laferme à
l’
aide d’
escalade, defracturer
lesmeubles
et des
’enfuir
enenlevant l
’argentqui s’
y trouvait.Malheureusement
pourlui, quelqu’
unl’avait vu. Il
fut poursuivi, arrêté,et l’
on constata, non sanssurprise, qu’
il était nanti d’une
somme d’
argentsupérieure
à cellequi avait été
soustraiteau
fermier. L’excédent
représentaitexactement
lepécule attribué
aucondamné sur le produit
de sontravail
en prison.Il
n’en avait encore rien dépensé.L'homme
qui, dans
ces conditions,commet un nouveau vol
lejour
même où. il recouvre laliberté, semble
bienêtre
le typedu
malfaiteurincapable
de résister à ses mauvaisinstincts.
Cesont là
desnatures exceptionnellement
mauvaiseset
rebellesà
tout amendement.A côté de ces
récidivistes indomptables,
il en est d’
autres, très nombreux, quipourraient être ramenés et retenus
dans la bonne voie.C
’est encore unancien souvenir qui
me serviraà
lescaractériser.
Comme
je
visitaisun
jour la prison de Gand avec le directeur,mon attention
fut attirée surun
jeune détenuqui
manœuvrait la navettedu tisse
rand
avec
uneremarquable activité.
Voilà, dis-jeà mon guide, un
de vospensionnaires qui paraît aimer
letravail.
C’
estsans
doute pour quelqueacte
deviolence
qu’il aété
condamné. Non, me répondit-il,c’
est pour volet c’
estla seconde
peinequ
’il subit pourle mêmemotif. L
’histoire
de ce garçon estfort
triste.Lorsqu’
ilentra
icià la suite
desa
première condamnation, iln’avait
d’autre
professionque celle
de manouvrier; il neconnaissait
aucunmétier.
Jeluifis
apprendrecelui
de tisserand; il étaitadroit, intelligent, plein d’ardeur et
devint bientôt unhabile
ouvrier. Jem
’intéressaià lui.
A l’expira
tion
desa peine,
je réussis àlui
trouverdu
travaildans une
filaturedirigée par
un de mes amis.Je
nelaissai
pasignorer à
cedernier
letriste
passé de mon protégé, mais jecrus pouvoir
répondrequ’
ayant appris unmétier
quilui permettrait
devivre
convenablement, ilse
conduiraitdésormais
enhonnête
homme.Hélas! six
mois après lesjuges
le condamnaient pour laseconde fois.
Qu’
était-il
doncarrivé? Letravail
avait-il manqué?Avait
il été renvoyé dela filature?
Ses compagnonsavaient-ils appris sa
premièrecondamnation, l’
avait- ontraité avec
mépris et pourlui la
vie del
’atelierétait-elle
devenue impos
sible?Rien
detout cela.
Ilnese plaignait de personne: tout
lemonde avait été bon
pourlui; seulement, après quelques
semaines detravail,
ilavait
revu ceuxqu’il appelait
ses anciensamis. Entraîné par leurs
conseils etleur exemple,
il avait désertél
’atelier
pour s’abandonner à la dissipation,
à ladébauche, à l
’ivrognerie;
comme la premièrefois,
lesalaire
honnêtementgagné
avaitété remplacé par
le vol. Quevoulez-vous, ajouta-t-il,
leplaisir
de me livrer avecdes camarades
àune
vie joyeuse et facile m’a perdu
; iln’y a
plusqu
’à me rendre macellule
etmon métier
detisserand
; vous verrez qu’ici je nerecule pas devant
le travail. Et, en effet, medit
le directeur,aucun
détenu ne tra vaille
avec plus desoin
etplus
d’ardeur.
Voilà la
seconde
classe de récidivistesà laquelle
je faisais allusion. Beau
coup plus nombreuseque la première,
elle comprendtous
lesindividus d’une
nature plutôtfaible que vicieuse.
Uneprotection
intelligente les relèveparfois5
d’
une
première déchéance; maisle plus
souvent lemilieu
corrupteur d’où, ils
sortaient les ressaisitet, sous sa funeste influence,
lesrechutes deviennent de
plus en plusgraves.
Ily a
là, pourl’ordre social, un
danger quela loifran
çaise
du27 mai
1885 a cherché à conjurerpar
la relégation.Dans
lesdiscussions qui
ontprécédé
l’
adoptionde cette loi,
M.Waldeck-
Rousseau, ministre del’intérieur,
arappelé
qu’
au témoignage de M. deToc
queville
:
la transportationest
« laseule peine qui,
sansêtre
cruelle,délivre
“ lasociétéde la
présence des coupables «
;que
M. de la Rochefoucaulddisait
de même : «La réforme pénitentiaire est un
non-sens quand on ne comprend pas, à côtédes établissements pénitentiaires, des
colonies pour leslibérés »
;qu’enfin,
àpropos du
même sujet, Lamartinedisait
encore:
« Sans la trans-“
portationdes
récidivistes, la loipénale
estuneimpasse. »
Le ministre démontrait
l’
urgence de la loi enconstatant que
le nombredes récidivistes qui
était de28 p.
c. en1850 s’
étaitaccru
d’année enannée
poura'teindre51p.
c. en1880.
Et
il ajoutait: «
On parle daméliorer les conditionssociales dans
«
lesquellestant
de déshérités doiventvivre, mais iln
’estpas une amélioration
«
qui
s’impose
avecplus
d’
urgenceque l’
assainissementdes milieux
où ils se“ trouvent,
oùils travaillent,
oùils souffrent!
“ L’
instinct populaire,qui
n’a
pasbesoin
destatistique, a résumé
toutes« ses
impressions dansune
doubleformule.
Ondit
danslepublic que
le récidi-«
viste est un dangerpar lui-même et on ajoute qu’
ilest surtout
undanger par
“
la corruptionqu’
ildéveloppe.
“
Qu’il soit
undanger
parlui-même
c’
est cequi
est surabondamment«
démontré. Il suffiraitd
’ouvrir, au hasard, lecasier
judiciaired
’unrécidi-
« viste
pour voir, si
l’
onn’
en étaitconvaincu
d’avance, qu’après un
certain“
nombre decondamnations
—nombre
discutable sur lequel onpeut argu-
“ menter —
telhomme
asuffisamment fait
la preuveque
les peines s’émoussent„
surlui; qu’elles deviennent sans
efficacitéet que
dès lorscondamner sans
«
cessepour remettre
sanscesse enliberté, élargir un condamné
avecla
certi-“ tude
qu’
il faudral
’arrêter une quatrième ou une
cinquième fois lelendemain,
“
ce n’
estplus qu’un échange
derigueurs absolument
stériles et de délits et de“ crimes perpétuellement
renouvelés.C’est donner
le piredetous
les spectacles:“ celui de l’impuissance en face de
la révolte. »
Ce
que
M. Waldeck-Rousseau disait pourla France,
en 1885, estresté
vraipour
laBelgique
: nos lois sont impuissantesà
refréner la récidive et sinous venions
à posséder un jour quelquecolonie
où l’
Européen pût s’accli
mater, j
’estimequ’
ilserait hautement utile
de suivre l’exemple
de la France.Peut-être
nefaudrait-il pas
condamnerà
la transportationcesmalfaiteurs
absolument incorrigiblesque
j’
aicherché à
caractériserplushaut.Que feraient-
ils dansla colonie,
sinonyjeter
ledésordre
et voler leurs compagnons.La
loi mesemblerait devoir être
faitemoins contre
les récidivistesqu
’enfaveur
des récidivistes.J
’entends parla qu’
elle devraits’appliquer principalement
auxcon
damnésqui
se sont engagés dans la mauvaise voiepar faiblesse
decaractère
plutôtque
parvice
denature
c’
est-à-dire à tous ceuxqu’il importe, autant
dans leurintérêt que dans
l’
intérêtsocial, desoustraire à
l’influence du
milieu oùils
se sontcorrompus et
où ilsretourneraient
se corrompre.S’ils étaient transportés
loin de cesfoyers
dedépravation, dans un
pays neuf, où ilsn’au
raient
pourvivre d’autres ressources que
le travail,il
seraitpermisd’espérer
etde
prédire leur relèvement moral.
Ils pourraient même, avec le temps,devenir
pour la colonieun élément
de prospérité.L
’Australie, aujourd’
hui sifloris
sante, n’a
pas
eud’autres
débuts.Faut-il ajouter
que
lesuccès
desemblable
établissementcolonial
seraitsubordonné
à ladéfense
absolue d’
yimporter des
boissons alcooliques? On ne sauraitoublier que
l’ivrognerie est un redoutable facteur
dela
criminalité, qu’elleycontribue
aumoins autant que la fainéantise et
ladébauche
etque la loi
sur l’ivresse
publique comme la loi surle
droit de licence etl
’action des
sociétésde
tempérancesont restées sans
effet appréciable. Lesjournaux
enregistrent chaque jour autant dedrames causés par
l’alcoolisme que d’
attentats commispar des
repris dejustice. C
’estun fléau que toutes
lesbonnes volontés ont été
impuissantes à conjurer: il empoisonnerait
la colonie comme il empoisonne lepays.
Ilfaudrait, pour
en triompher, recourirà des
moyens toutautrement
énergiquesque ceux employés
jusqu’ici : ce n
’est pasavec des
plumeaux à épousseterqu’
on nettoielesétables d
’Augias!— Faisant abstraction
maintenant
de cetteaffligeante question de
l’alcoolisme, il
resteà rechercher
si,à défaut d’
établissement colonial,la
Bel
giquedevra
continuer,comme
ledisait
M.Waldeck-Rousseau, à
donner lespectacle d
’une
loi pénale impuissante en face del’
incessante révoltedes réci
divistes.
Le
mal
ne paraît pasaussi
irrémédiable.Que
fait-on d’un homme qui commence
à perdrela raison
? On letraite
d’abord
avecla plus
grandedouceur
et, pour leguérir,
on emploie successive ment
lesmoyens indiqués
parlascience.
Mais lorsquetous
ces moyens ont échouéet qu’il
est devenucertain que
lemalade
ne pourraitconserver
laliberté sans
dangerpour
lui-même ou pour autrui, on le metdans
l’impossi
bilité denuire
enl’enfermant
dansune
maison d’
aliénés.Il n
’
ya pas
deraison,
suivant moi, pourtraiter
autrementlesrécidivistes
incorrigibles.Quand un homme paraît
s’engager
dans la mauvaise voie, j’estime,avec
les autorités citées plushaut, qu’il
fautle traiter
avec bonté: éviter,
s’il se peut,
de poursuivreune
première faute,et, si
la chose estimpossible,
ne con damner, d’abord, qu
’à l’amende;
user de la condamnationconditionnelle;
n
’
avoir recoursqu’
en cas denécessité absolue
à l’
emprisonnementqui
dégrade lecondamné et
le déclasse, et s’efforcerainsi
de nepas
créerdes
récidivistes.Mais, enfin, lorsque tous
ces moyensavortent, lorsqu’
ilestconstant qu’
endépit
des efforts faits pourle sauver, l’homme
entend se perdreet qu’une suite
decondamnations restées sans
effet prouvequ
’il
est rebelleà
toutamendement, lanécessité
d’
agir plussévèrement
s’
impose.La
société nepeut
demeurerla
vic
time bénévole de malfaiteursincorrigibles et
quand la seule défense àleur opposer est
latransportation ou,
pour ysuppléer,
la détentionperpétuelle, on nesauraitlui méconnaître
le droitd
’y recourir.
Ilconviendrait seulement que
lerécidiviste, condamné
àla
dernièrepeine qui doit
encoreêtre
suivie desa mise
enliberté,
fût solennellementaverti des graves conséquences qu
’entraîne
rait pourlui
une nouvellerechute.
Ce
serait
làun
dernier moyend’
intimidation.Et
s’
ilrestait
inefficace,qui
donc pourrait
encoreplaindre
le condamné?N’
aurait-ilpas démontré lui-même
la nécessitéabsolue
dela mesure prise
contrelui ?
— 7 —
Onpeut ajouter
qu’il serait inutile d’édifier
pourcette
catégoriede récidi
vistes de coûteuses
prisons cellulaires.
Aquoi servirait-il
desoumettre
au régime de laséparation des
individus dont les mauvaisinstinctsont été recon
nus indomptables?
Il suffirait de lesmettre
dansl
’impossibilité de nuire en les traitant commedes
aliénésdangereux.
— Pour combattre
le fléau dela récidive,
il resteencore un
moyen, et c’est peut-être leplus sûr.
“
Qu’
onexamine, dit Montesquieu
,la
causede tous
lesrelâchements, onverra
« qu’
elle vientde
l’
impunitédes crimes,
et non pasdela modération des
peines.»
Lerapport
de M.Thonissen
surleprojet
de codedeprocédure
pénalefait
remarquer avecraison que
cette maxime célèbre atrouvé
sajustification dans l’histoire. «C
’est dansla
certitude dela
répression, ajoute-t-il,bien
plusque
“
dans
l’intensité du châtimentqu’
ondoit chercher
le moyen de maintenirla
»
sécurité
générale.« Rien
n’
est plusvrai.
En dehors'des crimespassionnels,
qu’il faut classerà part,
onverrait bien peu
d’attentats contre les
personneset contre lespropriétés
si ceuxqui
lesméditent étaient
certains d’être prompte
ment découverts et punis.
Le
meilleurmoyen
de prévenir des attentatset
de diminuer le budget desprisons
serait peut-êtred’
augmentercelui
dela police.IL
—Sil’encombrement
durôle
des juridictionscorrectionnelles est dû en partie à l’accroissement du nombre des récidivistes, lamultiplicité
despetits
délitsdéférés à cettejuridiction y contribue encore davantage.
Des audiences entières sont parfois consacréesà l’instruction de préventions
decoups
et blessures sans gravitésérieuse,
dedétournements
ou devols
de sommes ou d’objets de minime importance, d’outrages àdes agents
dela
force publique, de rébellions, de violences commises d’habitudepar des ivrognes,
c’
est-à-dire d’infractionspunies
leplus souvent
desimples
amendes de 16francs
ou d’
un emprisonnement de 8jours,
15 jours ou unmois.
Desheures entières
sont quelquefois consacréesà juger
dejeunes délinquants
inculpés de contraventions que le codeforestier
punitd’amendes variantd
’un franc 50
centimesà
5 francs.On se
demande s’il
estbien nécessaire qu’
untribunal
composé dequatre magistrats ait à connaître
desemblables
affaires ets
’il neconviendrait pas de
les porterdevantune
juridictionqui statuerait
presquesans
frais, d’une
façon beaucoup plusprompte
etpar conséquent
beaucoupplusefficace.
C
’est làun point
surlequel
lalégislation étrangère pourrait être utilement
consultée.A
son retourd’
unvoyage
en Angleterre, ungreffier du tribunal
de Bru
xelles racontaitqu’à
peineengagé
dans lesrues de
Londres, il s’étaitvu enlever
son porte-monnaie. Heureusement pourlui,un policeman avait été témoin
du vol. Ilsaisit
leporte-monnaie
dans la main duvoleur et
conduisit cedernier
devant
le jugede
police, eninvitant
le greffierà
lesuivre.
Lejuge instruisit
immédiatementlacause
; le volé rentra en possession de sonporte-monnaie et
levoleur,
condamnéà
l’
emprisonnement, futemmené à
laprison
poury
subir sa peine. Levol, l’
arrestationdu
prévenu, sa comparution devant le juge, l’
instruction del’
affaire etla
condamnation, tout cela,disait
le greffier,n’
avaitpas pris une heure.
Sipareille mésaventure m’
étaitarrivée
en Belgique, cen’
est pasavant
2ou 3
moisque
j’en aurais
vu ledénouement
etaprès combien
d’
écritures et deformalités!
Arrêtéchez nous, dans depareilles circonstances,
levoleur
serait conduit aubureau
depolice
oùprocès-verbal
seraitdressé.
Puis viendraient
successivement
l’envoi du procès-verbal
auparquet
avecmise du
prévenuà
la disposition duprocureur
du roi, leréquisitoire de cemagistrat
saisissant lejuge
d’instruction
del
’affaire,l’
interrogatoire du prévenu,sa
mise sous mandatd’arrêts’
il n’avait pas de
résidence enBelgique; réunion dans
les5 jours
de lachambre
du conseil pour statuer sur le maintien de la détention préventive,audition des
témoinspar
lejuged’instruction, communication
de la procédure auparquet, réquisitoire
duprocureur
du roi aux fins de renvoi devant letribunal
correctionnel, ordonnance de la chambre du conseil,assi
gnation du
prévenu, jugement
sujet à appel. Enfin, en cas de mise enliberté
duprévenu après
interrogatoire et de non-comparution surla citation,
juge ment par défaut, notification
decejugement,
etc., etc.Il
estcertain qu’en
cettematière
notreprocédure
est le contre-pied de la procédureanglaise
: la simplicitéet
larapidité
decelle-ci
n’a
d’
égaleque
lacomplication
etla lenteur
de l’autre.Tout le
monde reconnaîtles servicesexceptionnels rendus à
lajustice par
les cours dejuridiction
sommaire deLondres.
Sans entrer icidans tous
les détailsde
leurorganisation,
il ne serapeut-être
pas inutile d’enrappeler
lesgrandes lignes. Je
lesemprunte à
l’ouvrage
de M. de Franqueville sur Le système judiciairedela Grande-Bretagne.
“ La cour
depolice, dit cet auteur,
est, endroit, un
tribunal de simple“
policeet
depolice
correctionnelle,une
cour chargéed’examiner
lesdemandes
“ d’
extradition; en fait, elle est aussi devenue, grâceà
labienveillance
des«
magistrats,
un tribunal de conciliation, un cabinetdeconsultations gratuites
«
et
même de distribution de secours aux indigents,etc.
»...“ Bien que
chaquecour
aitun
ressortdéfini,tout
magistratpeutjuger
les«
délits
commisdans
l’agglomération métropolitaine....
“ Lorsque l
’un desjugesqui siègent
alternativement dans chaque courde
«
policeprend place
sur lesiège où,
d’
après laloi, un
magistratdoit se trouver« chaque jour
nonférié,
de 10heures
dumatin
à 5 heures del
’après-midi, il u ouvre
leregistre
surlequel
setrouve
reproduitela
listequi
lui faitconnaître«
lenom des prévenus
arrêtésou
assignésqui comparaîtront devant
lui,pendant«
la journée...“
On ajoute surcette liste, pendant
la suspensiond
’audienceet
même„
jusqu
’à
lafin
de la journée, lesnoms des gens
arrêtésdepuis
lamatinée;
« quelquefois,
même, il y aune
heure à peine.« Lepoliceman fait sa déposition
...
« Le juge ne perd
pas
son tempsà interroger
l’accusé
surses nom,
«
prénoms,etc.
:tout cela
est inscrit surla feuille
;il lui
posesimplement
la« question
:
Qu’
avez-vous àdire?»
Le
magistratinscrit
enfin lui-mêmesurla liste
lejugement qu
’il a rendu.Point
decomplication d’écritures, point
dedossier : lafeuille
suffità
tout.Divisée en 14 colonnes,
elle fait
connaître lenom,
l’
âge etla
profession du prévenu, ladate
etl’heure
desonarrestation, l
’inculpation, les témoins, qui
a opéré l’arrestation, quels
objets ontété trouvés
en possession dela
personnearrêtée,
elleporte
lasignature
de l’agent qui a la charge
de l’
accusé, lenom
dujuge qui
tient l’
audience, lejugement
écritde
lamain
dujuge, les observa tions faites par
celui-ci, enfin le degré d’instruction
del’
accusé.C’
estdevant
ces cours dejuridiction sommaire,si
simplementorganisées,
que sont d’abord
traduitstous
les individusaccusés
d’un
actequelconque
tombant sous
lecoup
de la loi pénale, depuis lecrime
le plusgrave jusqu’
àla plus
minimecontravention. Elles
jugent les cas lesmoins
graves, c’
est-à-dire lesplus
nombreux,elles renvoient aux
sessionstrimestriellesceux d
’une gravité moyenne
etaux cours d
’assises ceuxqui semblent tout
àfait
sérieux.Ces cours de juridiction sommaire qui, suivant
lajuste expression
de M. de Franqueville,jouent
lerôle
decrible initial, ont
jugé enune année
(l’année1891)
733,140individus,
sur lesquels362,499
ontété condamnés
àraison
dedélits
et240,074 à
raison decontraventions.
Lemaximum
de lapeine d’
emprisonnementqu’elles
peuvent prononcerest
fixéà six
mois;mais
c’est làune
peinequ’elles
n’appliquent que dans des circonstances tout
àfait exceptionnelles.
Lescondamnations à
l’emprisonnement
varientdequinzejours
àun
mois,plus
souventencore elles
sontinférieures
àquinze
jours. Dans l’immense majorité des
cas lejuge se borneà
infliger unesimple amende
etencore
luiarrive-t-il parfois d’acquitter l’
inculpé bienque
l’infraction soit constante.
M. deFranqueville
en citel
’exemple
suivant : “ Un capitaine«
esttraduit devant
M.William sous
la prévention d’
ivresse.Le juge
: Mais,“ je vous reconnais, nous
sommescamarades,vous
avezété
avecmoiaucollège« d
’
Eton.Réponse
:Oui, c’
est vrai. Le juge :Je suis extrêmement triste de
“
vous voir
danscette position
: jevous acquitte, mais
je vous demande très«
instamment devous
corrigeret
deneplus vous
exposerà une
pareillehumi-“ liation.
L
’accusé remercie
et seretire. »
Le
sentiment qui dicte
aujuge anglais desemblables sentences se
montrelà tout
entier :point
de peine pourune
première faute depeu
degravité,
s’
il estpermis
d’
espérerqu
’une remontrance
avec un bon conseil suffirontà
éviterla récidive;
lajustice, dans ce
cas, s’élèvejusqu’
aupardon.
Il est
à
remarquerque si
l’accusé
traduitdevant
lejugedepolice “a plaidé“ coupable ou
a formellement reconnu
l’exactitude
des faitsqui lui sont
« reprochés,
il nelui
estpas permis
d’attaquer
lejugement qui
lecondamne ».
Lorsque l
’
appelest recevable,
il est portédevant
lacour des sessions
trimes trielles, mais cette partie des attributions
de lacour
ne paraîtpas
l’occuper beaucoup;
car sur les602,573 jugements rendus
en 1891,233 seulement ont fait
l’objet d
’un
appel. Cenombre d
’appels rapproché de celui des sentences, montre
de quelrespectlesjugements des
tribunaux de police sontentourés.
Le faits’explique sans doute par
la raisonque
lesfonctions
dejuge de police,largement
rémunérées,sont exclusivement
confiéesà des
avocatsqui, pendant sept ans
au moins,ont
exercéleur
profession avectalent
etd
’une
façonabso
lument irréprochable.
Sans
suivre complètement
lalégislation
surlaquelle
jeviens
dejeter un
rapidecoup
d’
œil, peut-être serait-ilutile
de créer en Belgiquequelque insti
tution nouvelle
serapprochant des cours
dejuridiction sommaire del’
Angle terre. Ce qui m’
adéterminé à vous
enentretenir,
c’
estla conviction que deux
juges depolice
comme ceux deLondres, exerçant leurs
fonctions au centre dechacune des grandes
agglomérationsdu pays
etsiégeant alternativementchaque
jour de10
heures dumatin à 5
heures de l’après-midi, videraient l’
arriéré enmoins
d
’un anet réduiraient deplus
demoitié la
besognedes
tribunauxcorrec
tionnels.
III. — Les
rigueurs
du code pénalet
du code d’instructioncriminelle du
premierEmpire
ontété successivement tempérées par
le code pénal de 1867 et10 —
par
les lois sur lacorrectionnalisation des
crimes, sur la détentionpréventive,
sur lalibération etla
condamnation conditionnelle. Lelégislateur
continuera sansdoute
àsuivre la
voie généreuse dans laquelle ils’
est engagé.Parmi
lesnombreuses
questionsqu’
ilsera peut-être amené à discuter,
il enesttrois
dont je voudraisencore vous dire quelques
mots.Voici la première.
Le nouveau
codepénal néerlandais
de 1881 seborne
àdéterminer
le maximumdes
peinesqui
peuventêtre
prononcéesà raison
de toutes lesinfractions qu’
il prévoit. Ens’
abstenant de rien disposerquant
au minimum, illaisse
au juge lapleine faculté d’
apprécierla
peine àappliquer
suivantl
’ensembledes circonstances
de la cause.La
loi nelui
traceaucune
règle àcet
égard; elle s’enrapporte
àson bonjugement
età
saconscience.
Le champ d’
appréciation du juge belgen’
estpas aussi étendu. Si favo
rables que
soient les circonstances, ilest interdit
aujuge
d’abaisser la
peine au-dessous dumwwn« spécialement
fixépar
le code pourchacune des infractions qu
’ilprévoit.
La
loinéerlandaise
me paraîtà la
fois plusprudente
et plus humaine.Le
rédacteur d’un
codepénal
estincapable
depunir équitablement des faits qu’
il ne connaîtpas
; enréalité,
il nepunit que des qualifications
: or, ilpeut
arriveret
ilarrive que
lesfaits
neprésentent pas la
gravitéque leur
qualifica
tion légaleleur
attribue, pourainsi
dire,théoriquement.
Ainsi,
par exemple, la violation des obstacles
fortsoufaibles qui
protègent la propriété adéterminé le
législateurà
classer parmi les crimestous
lesvols
commisà
l’
aide d’escalade.
Telle
est laloi.
Supposonsmaintenant
qu’unpère
passe avec sonenfant près
d’
unjardin
séparéde la
voie publiquepar une légère clôture.
L’
enfantaperçoit
un vieux jouet abandonnésurla
pelouse du jardin.Il
ledemande
avectant d’instance que
le pèrea
lafaiblesse
defranchir
la clôture, deramasser
lejouet
etdeledonner
à sonenfant.
Voilà un vol
àl
’aide d’
escalade,puni
de laréclusion
decinqà dixans, et,
en cas decirconstances atténuantes, d’
unemprisonnement
detrois
mois au moins (art.476
et80
ducode pénal).On
se demande si, eu
égardaux
circonstancesspéciales
de lacause,
au mobilequi a fait agir
le prévenu età
la valeur absolumentinsignifiante
de l’objet
dérobé, lejuge ne trouverapas bien
sévère la peine detrois mois d’
em prisonnement qu’
il esttenu d’appliquer.
Dira-t-on
qu’
en pareilleoccurrence il lui
estloisible
de neprononcer qu
’une peine conditionnelle.
Soit,mais encore
faut-ilque la
lois’y prête etl
’on ne saurait oublierqu
’unecondamnation
correctionnelle antérieure, fut-ce à une simpleamende
du chefdedélit de
chasse, rend impossible toute condam nation
avecsursis.
Ne
peut-il arriverque
la bonne volonté du juge se brisecontre cet
obstacle?
Dans
le casque nous
venons de supposer,tandisque
lejuge hollandais infligeraitsans doute une légère
peine pour rappeler auprévenu
que lapro
priété d
’autrui,
quellequ
’ellesoit,
doitêtre
respectée, lejuge belge
en seraitréduit à
regretterd’avoir
dû prononcerune peine
dont l’
exagérationblesse sa
conscience.La
deuxième question,qui
me paraîtdevoir être soumise un jour
au législateur, estcelle
desavoir
si le juryqui
adéclaré
l’accusé coupable
ne11 —
devrait pas être interrogé sur
ledegré
de la culpabilitéqu’il
aadmise
et par tant
sur lanature
dela peine àappliquer.
Je n’hésiterais pas, pour ma
part, à
reconnaîtrece droit aux
jurés.Des
nombreusesaffaires
de la courd’assises
auxquellesj’aiassisté,
ilen
est deuxdont
lesouvenir
nem
’a
jamais quitté. Dans lapremière
affaire,il
s’
agissait d’un accusé
dont lesantécédents étaient bons.
Unjourqu
’il se trou vait
assis dansun
cabaretà
côté d’une jeune
filleet que
celle-ci l’impatientait par
ses propos, il l’
avait frappée àl’aide
d’unpetit couteau
dont ilse
servaitpour couper un fruit.
Malheureusementla pointe
ducouteau avait atteint
labase
ducœur; la
victime succomba. Déclaré coupable, l’accusé
fut condamnéà la
peine de mort par applicationdu
code pénal de1810
alorsen vigueur.
Lelendemain comparaissait
devant le même juryun repris
dejustice
dela pire espèce. Reclus
dansun dépôt
demendicité, il
avaitannoncé
qu’
aussitôt sa mise enliberté
iltuerait
sonancienne
maîtresse etilavait tenu
parole. Quoique bien accueillipar cette
femmequi avait
mêmeréussi
àlui procurer du
travail, ill’assaillittraîtreusementle soir mêmeet,
luiplongeant un large
couteauentre
les épaules, ill’étendit
morteà
sespieds.
Lejury
renditun
verdictd’acquitte
ment. Les conversations
particulières endonnèrent
bientôtla
raison. Dans lapremière affaire,
les jurés s’étaientattendus à ce que
lacour infligeât
àl’
accusé quelquepeine
d’
emprisonnement;la
peine de mort prononcéecontre lui
lesavait
épouvantés; leverdict
dulendemain
étaitla
conséquence de la condam nation de
la veille.D’autres
faitsqu
’il serait troplong
derapporter
confirmentcette
véritéque certains acquittements, paraissant inexplicables,
n’
ont pointd’
autre causeque l’
appréhensiondes jurés
de voir suivreleur
verdictde
peines trop rigoureuses.Qu’on ne s
’
ytrompe pas d’
ailleurs :bien que distinctes,
la question de laculpabilité et celle
dela pénalité
àappliquer sont
sifortement unies qu
’il
est impossible de lesséparer.
Cela estsi
vraique
la solutionà donner
àlaseconde question modifie
parfois la réponseque le
jugese
proposait defaire à
lapre
mière. Voici, par exemple,
cequi s’
estprésenté
unjour à
l’
occasion d’une
affairecorrectionnelle :
l’
undes
juges acquittait; lesdeux autres,
convaincus delaculpabilité
duprévenu,
voulaientcondamner; mais
l’un
d’eux proposait une peine
tellementsévère que
l’
autrelui opposa
leraisonnement
suivant: Si
vous persistez, j’
acquitteraiaussi.
Un acquittement est, en définitive, moinséloigné de
la justicedue
auprévenu que
la peineexcessive que vous
voulezlui appliquer.
Ce
droit demodifier
la décisionprise
sur laquestion
deculpabilité, en cas de désaccord sur la pénalitéapplicable, échappe
auxjurés.En outre,
etbien que l’
appréciation de la secondequestion rentre
essentiellement dansles attri
butions dujuge
du fait, la loiles soustrait complètementà
leur examen. On en comprend difficilement laraison.
Lejuge
appelé à statuer surla
culpabilitéd’un
accusédoit pouvoirdire dansquelle mesure
ille trouvecoupable.
Pourquoi ne pasdemander aux
jurés:
1°
L’accusé
est-ilcoupable?
2° Y a-t-il lieu de
lui appliquer
lapeine
de laloi?
3°
Cettepeine doit-elle être descendue
d’un degré?4° Y
a-t-il lieu
de ladescendre de deux
degrés?
Un
questionnaire formulé
àpeu
près dans cesens
permettraitaux
jurés— 12 —
de
se
prononcersur la
nature dela
peineà
appliquer, etpar
cela même ren drait beaucoup
plusrares
certains acquittements dont ons
’étonne aujourd’hui.Croit-on que
lesjurésseront
facilement entraînés à prononcerdes peines
trop modérées?Rien
ne le prouve. Et enadmettant que
l’hypothèse vîntà se réaliser,
n’est-il pas
vraiqu
’en présence d’une
culpabilitécertaine,
l’application
d’une peine
même insuffisante blesseraitmoins
lesentiment
publicqu’une
inex- pliquableimpunité
?La
dernièrequestion qui
mereste
àvous
soumettre estrelative à
l’inter
rogatoire
généralque le président
de la courd
’assises
faitsubir à
l’accusé avant
l’audition destémoins.
C’
estlà, comme
onlesait,
un actedu pouvoirdiscrétionnaire
du président.La commission
parlementaire chargée de larédaction
du code de procédure pénale en adiscutéle mérite
et proposelemaintiende
l’état
de choses existant.
Voicice
qu’endit
M.Thonissen, rapporteur
delà commission : «La majorité
« de
la commission
estimeque
lesprésidents
desassises doivent conserver le
« droit de
procéderà
l’
interrogatoire del’accusé.
Elle estconvaincue que
ces«
honorables magistrats, au lieu de sefaire
les auxiliairesdociles
duministère
« public, n
’auront
d’autre préoccupation que
celle de contribuerà
la manifes-«
tation
delavérité.
Sans doute,
l’
interrogatoire del’accusé,
commetout ce qui
estl’
œuvre de«
l
’homme, a donné lieuà des
abus. On avu des
présidents, perdant devue
«
l
’élévation
etla dignité de
leurmission,
se poser en adversaires déclarés, en“
ennemisdes accusés, et leur faire
subir,pendant
desheures, une
véritable«
torture
morale. Mais cesabus d
’autorité,qui n’
ontjamais été
fréquents,« deviendront chaquejour plus rares. Ils
disparaîtront
de plus en plusdevant
“
lesprotestations du barreau et la
réprobation de l’
opinionpublique. Si nous
«
étions forcés
desupprimer toutes
les institutionsqui, bonnes
enelles-mêmes,
“ sont
susceptibles de donnerlieu àdes abus,
nousserions très
embarrassésde« fixer
leslimites de cette
œuvre dedémolition. »
Sij
’
avaiseu l
’honneur d’appartenir à la
législature et de faire partie dela commission,j’aurais votéavec la
minoritéqui
acombattu
cesconclusions.
Suivant
moi,
le législateur nedoit pas
seborner à espérer
la disparitiondes abus qu’
il constate,il doit
s’efforcer d
’ensupprimer la
cause, etce devoir s’
impose plus particulièrementquand
les abus signalésentachent
l’administra
tion de lajustice répressive. Il
importe peuque
les abus soientplus
oumoins fréquents,
il suffitqu’
ils se soientproduits, qu’
ilspuissent
seproduire encore et que toutes
lesprotestations
dubarreau
et de l’opinion
publique dontonparle, soient
impuissantesà réparer
lemal qu’
ils aurontcausé.
Il ne faut
pas, dit-on, imputer
aux institutionsles faiblesses deshommes, soit; mais
ilest prudent aussi
detenir compte
de cesfaiblesses
dansl’organisa
tion des
institutions.
Or, dans le système toléré par la loi et consacrépar
l’usage, je necrois pas que
lesabus
donton s’estplaint
puissentêtre complète
ment
évités.La raison
en estque ni
devant les cours d’assises, ni devant
les tribunaux correctionnels, ceux que la justiceappelle à
sabarre
nesont interrogés par
lejuge auquelils ont droit.
Pour moi.
le jugeidéal
c’est Saint-Louisjugeant
sous lechêne
de Vincennes lesdifférends que
sessujets
venaientlui exposer.
C’
est le magistrat dutribunal de Bow-Streetque
M.Albanel
nousmontre
siégeantsans
dossier,sans paperasses et rendant sa sentence après avoir
entendu lesplaignants,
les—
13témoins
et l’accusé
(1).C’
est encore notrejuge civil dontl’opinion
nesaurait être
effleuréepar aucune circonstance
étrangère aux débats:plus
de visitesde plaideurs,
nulle étude préalable desdocuments
de l’une ou
de l’autre
des parties ; lejuge entre à
l’audience sans
rien connaître de l’
affairequi sera
plaidéedevant
lui.Cejuge-là,
je
lecherche encore
parmi lesprésidents
decour d’assises
ou des tribunaux correctionnels etje
ne le trouve plus.Sans
doute,comme tous leurs collègues,
cesmagistrats sont
exclusivementpréoccupés
de remplirleur
mission avec uneinébranlable impartialité
—
personne plusque
moin’
en est convaincu— mais,
enfin, ce sont des hommes; l’
étudequ’ils ont faite du
dossier formé sur les réquisitions duministère
publicleur a
donnéd’avance,
sinonune
conviction, aumoins une impression qui
les domineet les amène fatalement àdiriger
l’
instruction oraledans
lesens
oùils croient
avoir découvertla
vérité.C
’
estlà un sentiment
humain, instinctif; le magistrat le plus scrupuleux en subitl’influence,
même à son insu. Etcomment le soustraire à cette influence,
sinonpar
quelque disposition de loi ainsi conçue:
“
En matière
criminelle, correctionnelle et depolice,
il est interdit au“
juge,à peine
de nullité, deprendre
connaissance del’instruction préparatoire
« avant l’
ouverture des débats. »
Dans
ce système chacun reprendraitsa place :
leministère
public feraitseul
lapreuve
de son accusation, ladéfense lui
répondraitet
lesdébats
seraient dirigéspar un véritable juge,
c’
est-à-direpar
unprésident désormais
àl'abri
detoute influence favorable ou
défavorableà
l’une ou
l’autre
des parties.Ainsi disparaîtraient
cesinterrogatoiresgénéraux qui,
habilementconduits,
produisentparfois
des effetsutiles, mais
qui parfoisaussi
constituent,suivant
l’expression de M.Thonissen, une
véritabletorture
moralepour
l’
accusé.Serait-ce
là,
commeon l’a
dit,renoncer à
un bonmoyen d
’instruction?
J
’estime pour ma partqu
’un moyen d
’instruction n’
estjamais
bon quandil peutentraîner des abus
et compromettre lecaractère
du juge.Il fut
un
temps où latorture physique
étaitaussi considérée comme un
bonmoyen
d’
instruction.L
’ordonnance
de 1670 enprescrivait l’emploi pour obtenir l’
aveu de l’accusé et,
lacondamnation
prononcée, pourobtenir
larévélation
deses
complices. Lesjuristes
dusiècle
de LouisXIV
n’admettaient pasque l
’instructionpût
sefaire
autrementet leur
avis était partagépar
l’immense majorité
deleurs contemporains.
Au xvne siècle, en effet,si
le senshumain
existait chezquelques
uns, ilfaisait
défaut même chez les plus honnêtes,gens.
Jen’
enveux
pour preuveque
lalettre
adresséepar
Mme deSévigné
à sa fillele
17juillet
1676,c’est-à-dire
lelendemain
de l’exécution
dela marquise
deBrinvilliers. “ Enfin, écrit-elle,
c’
en est fait,“
la Brinvilliers est enl’
air : son pauvre petitcorps
aété
jeté,après
l’exécu-
“ tion,
dans un fortgrand feu et
lescendres
auvent.
“ On
l’
a présentéeà
laquestion :
ellea dit qu’il
n’en étaitpas
besoin;
“ qu’
elle diraittout....
“ Après
cette
confession on n’a pas laissé
delui
donnerdès
le matin la questionordinaire
et extraordinaire.»
(1) Grande Revue, article reproduit par Indépendance belge du 1er septembre 1901.
14 —
Et quelques
jours après,
le24 juillet,
trompée parun
renseignement inexact, elleécrit
de nouveauà
Mme
deGrignan
:«
Lemonde
estbien
« injuste.
Il l’a été aussi
pour laBrinvilliers
:jamais tant
de crimes n’ontété
«
traités si doucement, ellen’a
pas eu laquestion ! «
Voilà comment
lafemme
la plus charmante etla mère la plus tendre parlait
de ces moyens d’instruction qu’
on nesauraitrappeler
sans horreur. Les légisteset lesgens du xvn® siècle
avaient-ils conscience de leurcruauté? non
;ils avaient
lesidées
et lessentiments
deleur
temps. C’
estleur
excuse.Ne
lescondamnons
pas tropsévèrement;
l’
équité leveut, la prudence le
conseille.Nous
aussi,
nousserons jugés
un jour; etqui sait si certaines
dispositions denotre législation
répressive, ceuxqui
lesappliquent
et ceuxqui les approuvent,
n’auront pas
besoin dela même indulgence.
Au nom
du roi,nous
requéronsqu’il plaise à
la cour déclarerqu’
elle reprend ses travaux.COUR DE CASSATION
RÉUNION EN CHAMBRE DU CONSEIL
DU 1er OCTOBRE 1900
La Cour
s
’estréunie
lelundi
1eroctobre1900, à
10heures
etdemie du matin, pourfaire ses
adieux à M. le procureurgénéral Mesdach
de terKiele.
M. le premier président De Le Court s
’
estexprimé
en cestermes
: Monsieurleprocureurgénéral,Lorsqu il y a cinquante ans, à peine sorti de l’université, je vous rencontrais dans les bureaux de M. l’avocat Duvignand, où vous terminiez votre stage de barreau et où je devais commencer le mien, et que là vous m’expliquiez et me montriez comment, dans mon inexpérience, je devais traiter le premier dossier d’affaire civile qui m’était confié, je ne me doutais certes pas que ce serait moi qui, tout à la fin de ma carrière, viendrait vous témoigner tous les regrets qu’éprouvent vos collègues de la cour de cassation en vous voyant résigner votre charge éminente de procureur général près ce siège la dernière de celles que vous avez remplies depuis le 30 juillet 1850, date de votre entrée dans 1 ordrejudiciaire comme substitut de procureur du roi à Anvers.
La loi, en effet, vous oblige aujourd’hui, à raison de votre âge, à vous séparer de cette magistrature que vous avez illustrée dans tous ses rangs, et où vous auriez brillé longtemps encore, n était la disposition rigoureuse que je viens de rappeler. '
Agréez donc, Monsieur le procureur général, en mon nom et en celui de tous vos collègues de la Cour de cassation et de toutes les juridictions du pays, l’expression des vifs regrets que cause votre départ; et ces sentiments se basent non seulement sur les belles qualités du magistrat, que vous avez constamment montrées pendant toute votre longue carrière, mais aussi sur la nécessité pour nous de nous séparer d’un collègue toujours aimable et bienveillant, juste et loyal, prévenant et affectueux pour tous.
Et veuillez être convaincu dans votre retraite que vous continuerez a rester entouré de cette meme affection et de cette même estime de notre part, comme nous vous prions
de nous conserver aussi les vôtres. r
Il n y aura entre nous qu’un simple changement dans nos relations de magistrats mais non une réelle séparation.
Et comme nous vous connaissons depuis si longtemps, nous sommes persuadés qu’il en sera de même de votre côté.
M.
le premier
avocatgénéral Mélot
aprononcéensuite
lesparoles sui
vantes :
Monsieurleprocureurgénéral,
Aucun magistrat n’a parcouru une carrière plus longue et plus noblement remplie que la vôtre.
1