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Les dilemmes de l'historien de la littérature

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Academic year: 2021

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Henryk Markiewicz

Les dilemmes de l’historien de la

littérature

Literary Studies in Poland 20, 8-29

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8 H en ry k M a r k ie w ic z

littéraires q u ’elle inspire. D es tentatives de ra p p o rte r à l’histoire la psychanalyse littéraire se retrouvent dans les ouvrages de H arold Bloom. De même, les études intratextuelles tendent généralem ent à dégager le fond historique inscrit dans l’oeuvre litté ra ire 3. Enfin, l'historism e dem eure invariablem ent le principe fondam ental de la dém arche m arxiste en études littéraires4.

Bien entendu, à lui seul, l'historism e dans une acception aussi large ne saurait s’assim iler à la p ratiq u e de l’histoire de littératu re. Ce qui, p ar contre, p rouve irréfutablem ent la vitalité de celle-ci, ce sont des synthèses nouvelles. A titre d ’exemple, relevons, p o u r la R F A , l’oeuvre de taille de Friedrich Sengle sur B iederm eier et les « histoires sociales de littératu re » sous la direction de R. G rim m inger, H. A. G laser et V. Żm egac, p o u r la R D A — une histoire de littératu re allem ande en 12 volum es; p o u r la France — deux synthèses différentes, l’une sous la direction de C. Pichois, l’au tre sous celle de P. A b ra h am ; p o u r l’U nion Soviétique — une histoire de littératu re russe sous la direction de N. I. P ro u tsk o v et une histoire de la littératu re m ondiale.

C hez nous aussi, com m e on le sait, un to u rn a n t favorable s ’est p rodu it dans ce dom aine. C ertes, la grande synthèse lancée par K azim ierz W yka est en perte de vitesse après q u atre volum es {La

Renaissance p a r Jerzy Ziom ek, L e Baroque de C zesław H ernas, Le Siècle des Lum ières p a r M ieczysław Klim owicz, L e Positivism e

par H enryk M arkiew icz), m ais en revanche nous avons vu p araître des synthèses d ’une conception originale et d ’une exécution adm irable, sans caractère de m anuel, de R yszard Przybylski sur le classicism e polonais de la fin du X V IIIe et du début du X IX e siècles, et sur le rom antism e de M aria Janion et M aria Ż m igrodzka. O nt égalem ent

4 P.ex. dans le livre de C. U h l i g so u s le titre t ro m p eu r d e T heorie der L itera tu rh isto rie, Heid el ber g 1982.

4 II est rendu c o m p t e des ten da nce s m é th o d o l o g i q u e s c o n t e m p o r a i n e s en histoire de littérature n o ta m m e n t c h e z : G. D e l f a u . A. R o c h e . H is to ir e /L itté r a tu r e . Paris 1977; U h l i g . op. c it.: J. D. M ü l l e r . « L it e r a t u r g e sc h ic h t e /L it e r a t u r g e sc h ic h t s s c h r e i­ b u n g » . ( d a n s :] E rken n tnis d e r litera tu r, éd. D. Harth. P. G e b h a r d t, Stuttgart 1982; J. S c h ö n e r t . « N e u e r e theore tis chen K o n z e p t e der L i te r a tu r g e sc hic h tss c h r e ib u n g » , [dans:] L ite ra tu r und S p ra ch e im h istorischen P ro ze ss , éd. Th Cra mer, vol. 1. T ü bin gen 1983; C. U h l i g . « C u r r e n t M o d e ls and T h eo r ie s o f Literary H i s t o r i o g r a p h y » , A rcadia. 1987. n o I.

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L es D ile m m e s de l'h istorien d e la litté ra tu re 9 paru 2 volum es d ’un m anuel universitaire sous la direction de Jerzy Z iom ek; les suivants sont soit chez l'éditeur soit dans un état avancé de rédaction.

C ette p ra tiq u e s’accom pagne p a rto u t d 'u n e riche réflexion th éo ri­ que et m éth odolo gique qui toutefois, p o u r une p art m ajeure, n ’a q u ’un caractère partiel, fragm entaire, ou encore form ule des p ro g ram ­ mes très en avance sur les possibilités d ’exécution. A m on sens, un texte qui résiste to ujo u rs à l’épreuve du tem ps et qui est le plus riche d ’idées, c ’est l’études de Felix V odicka Histoire de littérature, ses

problèm es et ses t â c h e s en date de 1942. Ce que se p ro p o sait le

retentissant program m e de H ans R o b ert Jauss de 1967 — l’histoire de littératu re com m e histoire de la reception et de l’im pact social des belles lettres — c ’était m oins d'élim iner la problém atiqu e jusque-là étudiée que de la co m pléter; or ce program m e s ’est révélé être d ’une application difficile. Ceci est autrem ent vrai p o u r la m éthode historico-fonctionnelle développée récem m ent p ar des chercheurs sovié­ tiques (M ikhail K h ra p tc h e n n k o 6 et d 'au tres). O uvrage érudit et intelligent, le livre de C laude G uillén Literature as System (1971) n ’en co m p o rte pas m oins peu d ’idées nouvelles. Ces dernières années ont vu se m ultiplier des p ropositions o u est-allem and es7, elles p o rten t toutefois — ainsi que l’avoue avec esprit autocritiqu e l'u n des auteurs. Jô rg Schônert — toutes les caractéristiques « d ’une fantaisie théorique dém esurée » x. La conviction qui y règne c'est que la littératu re est un sous-systèm e social ouvert en relation d'in terd ép en d an ce avec les autres sous-systèm es et l'ensem ble du système social; ce qui p o u rtan t fait défaut ce sont des théories développées de ces in terdépen dan ­ ces; en to ut cas on parle p lu tô t de la contingence de la littératu re face aux autres sous-systèmes, en niant énergiquem ent le principe de la causalité.

5 En rapport avec les c o n c e p t i o n s de V o d ic k a et plus g én éra lem en t du structu­ ra lisme tch èq ue cf. The S tru ctu re o f the L ite r a r y P ro cess. S tu d ie s D e d ic a te d ta the M e m o ry o f Felix V odicka. éd. P. Seiner e.a.. A m s t e r d a m — Phila delp hie 1982.

M. K h r a p t c h e n n k o . « V nutr enniye s v o y s tv a i funkcya literaturnykh proizve- denii ». |dans:] K o n tek st 74. M o s c o u 1975.

N o t a m m e n t dans les recueils: L ite ra tu r u n d S p r a c h e . . E pochenschw ellen und E pochenstru ktu ren im D isku rs der L ite ra tu r u nd S p ra ch h isto rie. cd. H. U. G u m b re ch t, U. Link-Heer. Frankfurt am Main 1985.

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10 H e n ry k M a r k ie w ic z

En 1985, p a ru t le recueil d ’articles « O n W riting H istoriés o f L iteraturę » p rép aré sous la direction de Siegfried J. Schm idt p o u r les revues Poetics et N ew L iterary H istory. L a teneur de ces travaux se trouve le plus conséquem m ent exprim ée dans l’affirm ation de G erh ard R usch que penser en term es d ’histoire est inévitablem ent « un procédé partiel, perspectif, subjectif, re la tif et avant to u t relevant du co n stru it » 9. Schm idt en conclut que l ’acceptation ou le rejet des histoires de littératu re ne devrait pas avoir p o u r critère leur « objectivité », leur « vérité » mais p lu tô t leur « plausibilité » et leur « acceptabilité inter­ subjective ou l ’intérêt de la p a rt des groupes sociaux qui les reconnaissent dignes de le c tu re » ; d ’un au tre côté ce pen dan t les historiens doivent être « orientés em piriquem ent ce qui signifie q u ’ils doivent s’appliquer au m axim um à accroître le degré d ’intersubjectivité, de cohérence de l ’arg um en tatio n et d ’assise factuelle de leur c o n s t r u i t » 10.

P arm i les trav aux p olonais, rapp elo ns les co nsidératio ns to ujou rs inspiratrices de Janusz Sławiński et M ichał G łow iński de la conférence « L e processus historiq ue en littératu re et en a r ts » (1965) re n o u an t ém inem m ent avec le structuralism e tchécoslovaque, et l’exposé de Jerzy Z iom ek Problèmes méthodologiques de la synthèse d ’histoire

littéraire de 1974; en m an ifestan t l ’attitu d e d ’un syncrétism e pondéré,

l’auteur a p o u rta n t affirmé que « l ’histoire de littératu re relève p o u r une p a rt de l ’h istoriographie héroïque ». En m êm e tem ps, M aria Janion a lancé l’idée d ’une histoire de littératu re com m e histoire des chefs-d’oeuvre. P a r contre, Stefan Sawicki, quelques années après, p ro p o sait une histoire de littératu re conçue principalem ent com m e « histoire des structu res et qualités artistiques, de leur évolution et des m odes de leur réalisation dans la m atière verbale » n . En 1979, T om asz

9 G. R u s c h , « T h e T h e o r y o f Hist ory , Literary H ist or y and H i s t o r i o g r a p h y » , P o e tic s , 14 (1985), p. 257. A up a ra v a n t, U . J a p p , B e zie hung ssinn, Frankfur t 1980, p. 236, expri mait un p oi nt d e vue semblable.

10 S. J. S c h m i d t , « O n Writing Histori es o f L ite r a tu r e » , P o e tic s, 14 (1985), pp. 291, 298.

11 Les ét u de s de J. S ł a w i ń s k i et de M. G ł o w i ń s k i o n t paru d a n s P ro ces h isto ry c zn y w lite ra tu r ze i sz tu c e (P ro cessu s h isto riq u e en litté ra tu re e t en a rt). W ar sza w a 1967; d e J. Z i o m e k et d e M. J a n i o n d a n s P ro b le m y m e to d o lo g ic zn e w sp ó łczesn eg o lite ra tu r o zn a w stw a (P ro b lèm es m éth o d o lo g iq u e s d e s étu d e s litté ra ire s d 'a u jo u rd ’hui), K r a k ó w 1976; de S. S a w i c k i d a n s B adan ia n a d k r y ty k ą lite ra tu ry i E tudes sur la critiq u e litté ra ire ), W r o c ła w 1974.

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L e s D ile m m e s de l ’h istorien de la litté ra tu re 11

B urek en réponse à la question « D e quelle histoire de littérature avons-nous besoin? » l’im aginait com m e une série de biographies révélant « une dim ension de conscience et génératrice de valeurs des processus historiques, concrètem ent hum aine, to u jo u rs m arquée p ar une em preinte in d iv id u e lle » 12.

Il se tro uv e que les travaux d ’auteurs polonais plus h au t évoqués avaient p o u r la p lu p a rt un caractère de prog ram m e et c ’est au stade de p ro g ram m e q u ’ils en sont restés. N ous n ’avons en effet ni une histoire stru ctu raliste de la littératu re polonaise (une telle histoire n ’existe pas non plus p o u r les autres littératures), pas plus q u ’une histoire de ses chefs-d’oeuvres ni une histoire des grands écrivains.

En ce qui co ncerne cette c o n trib u tio n , voisine en ceci à l’exposé susm entionné de Z iom ek, elle fut une tentative de form uler les principes et les directives, et à la fois les restrictions et les doutes qui n ’avaient p ar la suite guidé dans m a réflexion d ’historien de littératu re à la réd actio n de m on ouvrage L e Positivism e de 1978. Ces directives sem blent se re tro u v er aussi à la base de plusieurs autres synthèses publiées ou en voie de p rép aratio n . Aussi vaut-il la peine de tenter une explication de la « poétique im m anente » qui co m m an de aux dém arches d ’a u jo u rd ’hui de l ’histoire de littérature. Il se peu t q u ’elles soient à qualifier de dém arches d ’hier; raison de plus de les articuler, ne serait-ce que p o u r offrir un systèm e de référence à des projets en herbe et aux réalisations à s ’ensuivre.

Le term e d ’« histoire de litté ra tu re » suscite de nos jo u rs diverses attentes. En term es généraux et en y m ettan t le plus de précau tio n possible, l ’on est en d ro it de dire q u ’on est en présence de l’histoire de littératu re lo rsq u ’en s ’occu pan t de littératu re d ’une m anière qui co rresp o n d aux stan d ard s acceptés de la recherche scientifique, nous la considéron s com m e une dom aine o b jectif évoluant au fil du tem ps et dégageons les ra p p o rts entre ses divers élém ents. Selon cette acception, ne serâient de l’histoire de littératu re ni une m ono graph ie d ’un ouvrage concret ni l ’étude de la genèse de celui-ci et de son im pact artistique ou social ni to u te systém atique des faits littéraires faisant a b stractio n de l ’o rd re du tem ps, ni enfin une sim ple ch ro n iq u e de faits littéraires. A force de restrein dre cette acception que j ’ad op te

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12 H en ry k M a r k ie w ic z

p o u r la suite de ces considératio ns, l'histoire de littératu re a p ou r objet la littérature d ’une langue donnée, d ’une nation, d ’un ensem ble culturel etc. dans tou t son déroulem ent dans le tem ps ou au m oins dans une phase précise, à caractéristiques distinctes, de ce déroulem ent. Il s’agit donc, à p roprem ent parler, d ’une synthèse d ’histoire littéraire et non de l’histoire d ’un genre ou thèm e littéraire, ou, d ’au tan t m oins, de l’oeuvre d ’un seul écrivain. Je rejette donc le point de vue extrêm e, réductif, des théoriciens qui considèrent com m e possible une histoire de littératu re com m e un plurale tantum com posé d ’histoires distinctes, « sérielles » ou « régionales » de différentes zones et de divers aspects d ’une littérature, liées les unes aux autres p ar tout au plus des corélations à re le v e r13.

A yant circonscrit de la sorte le cham p de nos réflexions, nous laissons cependant nom bre de question en suspens. T out d ’abo rd , les limites de ce dom aine précis q u ’est la littérature, sont sujettes à controverse face à son environnem ent de toutes les autres pro d u ctio n s écrites. C om m e on le sait, le term e de « littératu re » d an s son acception d ’a u jo u rd ’hui, ne rem onte guère au-delà du X V IIIe siècle. Le recours à ce term e p o u r les époques antérieures, co m p o rte une p art d ’abus. Ce que l ’on con state largem ent aussi ce son t les h ésita­ tions q u an t au littéraire ou le n o n -littéraire de la prose n arrative de non-fiction et des écrits de philosophie ou de m orale. O n ne saurait p o u rta n t dram atiser à l’excès ces incertitudes. D ’un cô té — du m oins dans la cultu re européenne — l ’on s ’en tient invariablem ent aux traits distinctifs de la poésie: le caractère fictif, imagé et une o rdonnan ce surajoutée. Ces traits distinctifs ont p ar la suite été étendus à l'ensem ble de la littérature, o pératio n dans laquelle l'o rd o n ­ nance surajoutée se transform e en une qualité plus générale que l’on peut appeler « é la b o ra tio n linguistique a c c ru e » . D 'u n au tre c ô t é — de nos jo u rs ces incertitudes perdent de leur poids à l’heure où les traits distinctifs évoqués, même pris séparém ent, sont perçus com m e conditio n suffisante du littéraire, en faveur des genres limi­ trophes. Si le littéraire des essais de Jerzy Stem pow ski ou de Pawel Jasienica ne fait pas l'om bre d ’un doute, il n ’y a pas non plus

■' Cf. Ci. P l u m p e . K. O. C o n r a d y , « P r o b l e m e der L itera tu rg esc hich ts­ sc h r e i b u n g » , [dans.J L itera tu rw isse n sch a ft 2, éd. H. Brackert, J. Stü ckrath, Re in bek b / H a m b u r g 1981. p. 382.

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L es D ile m m e s (le l ’h istorien d e la litté ra tu re 13

à b an n ir de la littératu re les écrits jo urn alistiq u es d ’A leksander Św ięto­ chow ski ou les essais historiques de Jó ze f Szujski. N éanm oins l'h isto ­ rien de littératu re doit p ren dre conscience et en faire p art au lecteur, du principe q u ’il adopte p o u r le « découpage » du littéraire de la vaste aire des textes écrits, principe q u ’il se doit p ar la suite de suivre avec conséquence.

En ra p p o rt cependant avec les genres lim itrophes, surgit dans to u te sa cru dité un au tre problèm e, à savoir l’objet formel qui intéresse l'historien de littératu re dans ce dom aine ob jectif q u 'est la littératu re. En d ’autres term es et en m ettan t « le p oint sur le / » : l’historien de littératu re doit-il ne concentrer to u te son atten tio n que sur les spécifiques traits littéraires des textes étudiés ou doit-il peut-être l’étendre à d ’autres propriétés, par exem ple cognitives ou idéologiques? Là et plus loin, m on p ro p o s sera de nom m er explicite­ m ent les dilem m es q u ’au ra à tran ch er l’historien de littérature, et non d ’im poser h quiconque un choix précis en la m atière, « le seul ju ste ». A yant toutefois dans des questions précises des préférences qui le sont to ut au tan t, je ne chercherai pas à les dissim uler. Ainsi, d ans ce cas je me p ro n oncerais p o u r une appro che globale et non spécifique de la littérature. Il convient donc de considérer celle-ci sous l’angle de toutes qualités porteuses de valeurs, en p ren ant plus particulièrem ent en considération celles d ’entre ces valeurs qui étaient attendues d ’un genre littéraire précis dans son contexte h istori­ que. Précisons aussi que les p ro priétés cognitives ou idéologiques de la littératu re sont aussi, dans une large m esure, spécifiquem ent littéraires, en raison du fictif d o n t elles se revêtent, de leur polysém ie caractère imagé, et valorisation ém otive. D e m ême, les genres limi­ tro p h es d o n t il était question plus haut doivent retenir l’intérêt de l’historien de littératu re p a r leur m enace co g n itif ou idéologique et non sous l ’angle seul de leurs caractéristiques p rop rem ent litté­ raires. En traitan t par exemple de l’école historique de Cracovie, l ’historien de littérature ne doit pas lim iter son effort de description et d ’analyse au seul aspect stylistique, en passan t o u tre à l’idée que cette école se faisait de l’histoire de la Pologne et aux conséquences politiques de cette conception.

La littératu re et un ensem ble d ’oeuvres littéraires. P o u r quel­ ques-unes des époques, reculées — un ensem ble incom plet et l’on ne sait pas toujours dans quelle m esure représentatif. P o ur les autres

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époques — c ’est un ensem ble aussi riche et a b o n d a n t q u ’un chercheur ne peu t les con n aître que dans un choix fondé sur les opinions de ses prédécesseurs. Il est c o n tra in t s’appuyer sur ces opinions égalem ent dans le cas des textes q u ’il n ’a pas lus lui-m êm e, faute de tem ps ou convaincu de leur insignifiance. D es p ro p o sitio n s se font jo u r de rendre objective la représentativité du corps de textes d ’une époque précise, en le fo n d an t sur un échantillonnage au h asa rd ; toutefois les m êm es théoriciens estim ent nécessaire de le com pléter p a r un corps com plém entaire co m p re n an t des textes de valeur si, p a r le fait d ’un hasard, ils ne se sont pas trouvés dans le corps représentatif. Ainsi, en apparence aplani, l’écueil re s u rg it14.

M ieux que jam ais au p a rav an t, nous n ous rend on s co m pte q u ’une oeuvre de littératu re c ’est la résultante des données du texte et de la dém arche d ’in terp rétatio n du lecteur. Le prem ier de ces facteurs est invariable, le second varie, quelquefois de fond en com ble, en re n d an t m ultiform e l’existence d ’une oeuvre dans le tem ps et dans l’espace. L ’o rientation interprétative du lecteur devient opération nelle dès l ’interp rétatio n des m ots et des phrases, et que dire des configura­ tions sém antiques plus élevées et du sens d ’ensem ble de l ’oeuvre? D ’où, com m e l’affirme A lastair Fowler, « l’histoire de littératu re ne saurait plus être celle des oeuvres m ais celle des co nstruits d ’oeuvres » 15. E t il faut distinguer l ’in terp ré tatio n d ’auteur, l’in terp ré tatio n h isto ­ rique p ro p rem en t dite, l ’in terp rétatio n historique potentielle, l’in terp ré­ tatio n adap tativ e (« m o dernisante » ) 16. L ’interp étatio n ad ap tativ e d é ta ­ che l ’oeuvre de sa situ atio n historique et la tran sp o rte d ans l ’époque de celui qui en tente l ’in terp ré tatio n ; p o u r des raisons qui sont évidentes, elle ne sau rait conduire à une recon stitu tio n de l ’en racin e­ m ent historique de l’oeuvre et des ra p p o rts historiques en tre les oeuvres. P o u r ce qui est de l ’in terp rétatio n d ’au teu r, elle est, dans la p lu p art des cas, inconnue; q u an t à l’in terp ré tatio n historiqu e pro p rem en t dite — elle n ’est accessible que très partiellem ent. Ce qui

14 Cf. M. T i t z m a n n , « P r o b lè m e des Ep och en beg rif fes in der Literat urg esc hichte », [dans:] K la ssik u n d M o d e rn e, éd. K. Richter, J. Sc hôn er t, Stuttgart 1983, p. 116.

15 A. F o w l e r , « T h e S él ec tio n o f Literary C o n st r u c ts », N e w L ite r a r y H isto ry , 1975, n o 1, p. 43.

16 Cf. H. M a r k i e w i c z , « Interpretacja se m a n ty c z n a dziel literackich » (Interpré­ tatio n sé m a n tiqu e des oe uvre s littéraires), [dans:] W y m ia ry d z ie ła lite ra c k ie g o , K r a k ó w 1984, p. 181.

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L e s D ile m m e s de l ’h istorien de la litté ra tu re 15

reste p ra tiq u e m e n t à l’historien de littératu re c ’est l ’interp rétation historique potentielle. Elle a p o u r sujet le lecteur historiquem ent adéquat, c ’est-à-d ire rem plissant correctem ent tous les op ératio ns de lecteur présupposées dans l’oeuvre, conform ém ent aux critères de com pétences littéraires et dans le cadre de la vision du m onde p ro p re au tem ps de la naissance de l ’oeuvre. Bien entendu, une telle in terp ré tatio n ne sau rait être q u ’une co n stru ctio n h y po théti­ que et il sera difficile de la libérer de certains élém ents de m o derni­ sation.

L a littératu re — répétons-le — est un ensem ble d ’oeuvres littéraires. C et ensem ble se laisse considérer d ’une double façon: com m e un ensem ble collectif, une m ultiplicité d ’oeuvres isolées, ou com m e une stru ctu re théo rique. D an s le second cas, il s ’agira d ’un ensem ble de caractéristiq ues de ces oeuvres (propriétés, élém ents constitutifs, rela­ tions), spécifiques p ar leur qualité, leur choix et leurs fonctions, à découvrir au niveau linguistique générique, au niveau th ém atiq ue et à celui des idées. Ce term e neutre de « caractéristiques » p araît plus ad é q u at que les term es fréquem m ent en usage de « norm es » ou « co nvention s ». C ’est que « norm e » suggère d ’une m anière tro m ­ peuse un p o stu la t de règle form ulé explicitem ent, alors que conven­ tion — un fait rép an d u com m e suite d ’une acceptation com m une.

U n term e souvent en usage d ans ce contexte, c ’est-à-dire à l ’exam en de la littératu re ram enée à un m odèle théorique, est celui de « système » et de ses différents sous-systèm es qui s ’entrecroisent. D an s la p lu p art des cas ce ne sont que des déclarations ou hypothèses de travail adoptées au d ép a rt, d o n t on ne tente plus dans la suite ni vérification ni révision. A adm ettre l ’acception forte de « systèm e » com m e ensem ble oü il y a interaction entre t o u s les élém ents qui le com posent, il est ab u sif de considérer com m e tel la littérature. En effet, la com édie de m oeurs de l ’époque du positivism e n ’offre pas de corrélation essentiel avec la p arab o le ou la légende de la m ême époque et il en est de m ême du ro m an historiqu e à le ra p p o rte r aux m orceaux satiriques en vers. Il est p a r co n tre légitime de p arler de littératu re en ta n t que système p o u r affirmer q u ’elle est un ensem ble d ’élém ents aux caractéristiques spécifiques et aux fonctions com m unes, aux diverses corrélations internes partielles, plus fortes que les co rréla­ tions avec l’environnem ent (à titre d ’exemple, on p eut invoquer ici la série suivante: poésie positiviste — ro m an co n tem p o rain — com édie

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16 H e n ry k M a r k ie w ic z

de m oeurs — m orceaux satiriques en vers). G uillén écrit à ju ste raison q u ’à la différence de la langue ou de la société, ce qui caracté­ rise l ’histoire de littératu re c'est non pas tan t la présence de systèmes entiers, q u ’une tendance au systèm e ou à la s tru c tu ra tio n 17. Sembla- blem ent, G uénnadi P ospélov est d ’avis que la n atu re du processus littéraire ne perm et de p arler de « systèmes artistiques » que dans un sens très re la tif du term e 18. Le term e de « systém oïde » serait peut-être mieux appro prié. P o u r éviter toutefois un nouveau term e de plus, nous nous en tiendron s au term e de « configuration » qui signifie un ensem ble d ’élém ents aux corrélation s internes plus lâches que ce n ’est le cas de système.

Selon cette acception, la littératu re est une configuration tra n s­ histo rique dans laquelle nous distinguons généralem ent, selon le critère linguistique et/ou ethnique, différentes sous-configurations. D ans cel­ les-ci. il est possible de destinguer. toujou rs selon le critère form ulé plus h au t (critère des caractéristiques spécifiques com m unes ou de leur choix et leurs fonctions spécifiques), de nouvelles sous-configu­ ratio n s circonscrites p ar le tem ps, que nous appelons des époques et des périodes littéraires.

Ainsi, la littérature s ’offre-t-elle au chercheur de façon im m édiate com m e un ensem ble de textes d o n t on dégage un ensem ble de leurs interp rétatio n s historiques potentielles et p ar la suite — diverses configu­ ratio n s littéraires, telles que le co u ran t littéraire, le genre littéraire, le systèm e de versification, com p te tenu égalem ent des règles de poétique norm ative si celles-ci avaient été formulées. Ces configura­ tions sont quelquefois de longue durée sous une form e stable, elles chang ent ta n tô t lentem ent ta n tô t avec ra p id ité; quelquefois il y a ru p tu re de con tinuité, ce qui donne lieu à l’ap p aritio n d ’une qualité d 'in n o ­ vation fondam entalem ent différente. C ’est su rto u t à l’heure actuelle, sous l’influence de M ichel F oucault, que nous som m es enclins à considérer le changem ent en littératu re non com m e une évolution co n tin u e m ais com m e un m ouvem ent d an s lequel c ’est p a rto u t que l’on perçoit des lacunes, des vides, des cassures, des bonds et des c r is e s 19. C ’est to u t cela (q u ’il s ’agisse d ’une durée presque in­

17 C. G u i l l e n . L ite r a tu re as S y ste m , P rince ton 1974. p. 376. IS G . P o s p e l o v . L ite r a tu r n y i p ro c e ss, M o s c o u 1981, p. 34. 19 . l a p p . op. (it. , p. 179.

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L e s D ilem m es de l'h istorien de la litté ra tu re 17 variable, ou de tran sfo rm atio n s graduelles ou p ar bonds), que nous appelions le « processus littéraire ». Il conviendrait de renoncer au term e de « processus historico-littéraire » en usage chez nous, dans la m esure oü c ’est un pléonasm e.

Bien entendu, les configurations littéraires ne changent pas d ’elles- -mêmes. Les changem ents sont le p ro d u it d ’actes générateurs de textes en interaction avec les attentes et les souhaits des lecteurs. L ’histoire de littératu re devrait être, à vrai dire, leur histoire; c ’est ce que postule S. J. S chm idt:

Les hist oires de littérature ne sau rai ent être celles de textes c on sidér és sé pa r é­ ment; elle d o iv e n t être c o n ç u e s c o m m e celle des actes orien tés vers la c ré at io n de textes et d e to ute la g a m m e c o m p l è te des c o n d i ti o n s externe s dans lesqu elles ce s actes s ’ex cer cen t (pr od uct io n, distri bution, percept ion par le p u b li c ) 20.

Ce d o n t il faut tenir com pte c ’est le fait que nous n ’avons pas de prise directe sur ces actes-là, aussi est-il plus com m ode de les présenter indirectem ent, en décrivant leurs objectivations (la critique littéraire est une objectivation partielle des com portem ents des lecteurs). A joutons q u ’en raison des valeurs qui s ’y ra tta ch en t, ces objecti­ vations offrent plus d ’intérêt et de poids que les actes qui les suscitent. Ce q u ’il faut avoir à l ’esprit c ’est que la relative stabilité de nom breuses configurations littéraires transform e la n a rra tio n {sensu

strictiori) du processus en m orphologie descriptive de littératu re dans

une situation historique précise. Souvent, p o u r nous faciliter la tâche, nous rem plaçons la n arratio n du processus p ar une série de ses représentations statiques en coupe, co rresp o n d an t à différents p oin ts de l’axe tem porel. Plus d ’une raison justifie cette dém arche. D ’une part, l ’objet de recherche de l ’historien de littératu re ce ne sont pas — redisons-le — des actes ou des processus, phénom ènes en m ouvem ent au sens strict du term e, m ais des ensem bles d ’oeuvres littéraires soit de faits sém iotiques ayant essentiellem ent la n atu re d ’objets et non de processus. D ’autre p art, de telles descriptions sont motivées p ar la nécessité de m ettre au jo u r les corrélation s entre les différentes ca rac té­ ristiques de la configuration littéraire considérée, même qu an d elle se trouve en m ouvem ent. E tan t do nné la n atu re linéaire du langage, il est nécessaire de « faire stopper » la configuration en m ouvem ent, pour en exam iner la structure.

20 S c h m i d t , op. c it., pp. 292, 296.

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18 H en ry k M ark ie w icz

Parm i les critères de systém atisation des époques ou périodes littéraires, ceux de co u ran t et de genre littéraires se révèlent p arti­ culièrem ent féconds. U ne période littéraire nous ap p a raît com m e une configuration des co u ran ts littéraires d o n t un, p o u r la p lu p art des cas, dans sa phase ascendante et à son apogée, en constitue la dom inante (par exem ple le réalism e à l’époque positiviste), m ais dont les phases initiale et finale s’insèrent dans les périodes voisines — celle qui précède et celle qui suit. A son tou r, le c o u ra n t littéraire est une configuration des genres littéraires considérés historiquem ent. Il y a lieu égalem ent de tenir com pte de la stratification de la littérature, c ’est-à-dire de sa différenciation en littératu re de haute volée et en littératu re populaire. C ette question n ’a p as été ju s q u ’ici mise en lum ière d ’une façon satisfaisante d ’un point de vue th éorique; quoi q u ’il en soit, l ’observation s’im pose que les littératu res m oder­ nes sont souvent sillonnées par des co u ran ts littéraires dans lesquels les oeuvres relevant de ces deux niveaux de littératu re form ent une certaine continuité.

Le co u ran t littéraire est un co nstructio n théo riqu e à un degré beaucoup plus élevé que ne l’est le genre littéraire. Q uelquefois, sans respecter l’intégralité des oeuvres littéraires, le concept de co u ran t en quelque sorte traverse, opération à la suite de laquelle il leur arrive d ’être rattachées — en raison de leurs caractéristiqu es variées — à plusieurs co u ran ts littéraires en même tem ps. De plus, le co u ran t littéraire est une stru ctu re plus hypothétiqu e et p rê ta n t davantage au d ébat que le genre littéraire qui, lui, perm et généralem ent une qualification sans controverse des oeuvres. C ’est la raison p o u r laquelle il sem ble plus com m ode de procéder, en vue d 'u n e synthèse d ’histoire littéraire, p ar ordre prim aire selon les genres que selon les courants.

M ais « plus com m ode » ne signifie pas « facile ». En prem ier lieu, une description synthétique des tran sfo rm atio n s d ’un genre doit p rendre en considération l’aspect quantitatif, c ’est-à-dire la fréquence variable de ses caractéristiques précises. Il est difficile de substituer à des notions imprécises, telles que « souvent », « rarem ent », « sp o rad iq u e­ m ent », des données plus rigoureuses de n atu re statistique, prem iè­ rem ent — en raison de la rareté ou, au co n traire (cas plus fréquent) de la su rabo nd ance des m atériaux; deuxièm em ent — parce que de nom breuses caractéristiques essentielles d ’un genre littéraire (idée, qualité, structure, tonalité ém otive) échappe aux tentatives de q u a n ti­

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L es D ile m m e s de ¡ ’h istorien de la litté ra tu re 19 fication. C ela m ontre, certes, que nos procédés descriptifs pèchent par im précision, m ais en atten d a n t, nous n ’y pouvons rien. Enfin, troisièm em ent, les procédés statistiques sont d ’une application extrê­ m em ent p énible: p o u r dresser un relevé statistique de la présence d ’un phénom ène dans un genre littéraire, il fau d rait — selon M ichael T itzm ann — en établir la fréquence dans la totalité des textes qui relèvent du genre (en ten an t com pte du fait que le phénom ène considéré peut se retrou ver plus d ’une fois dans un texte), dans les différents corps de textes (selon leur apparten an ce aux différents groupes d ’écrivains, co u ran ts littéraires, variétés génériques), dans les différentes phases de la période étudiée. Il fau d rait aussi établir le nom bre et le pourcentage des textes, le n om b re et le pourcentage des auteurs chez qui ce phénom ène se re tro u v e 21. C ’est po urq u o i la description q u an titativ e d ’un genre littéraire ap p a raît de nos jou rs com m e une pro p o sitio n aux chercheurs à venir, m unis d ’ordinateurs.

En étu d ian t les divers plans ou aspects d ’un genre littéraire — de style, de structure, de thèm es, d ’idées — nous co nstato ns q u ’ils sont, certes, en co rrélation les uns avec les autres et dénotent quel­ quefois des changem ents concom itants (pour établir ces corrélations, l’approche statistique serait particulièrem ent o p po rtune), m ais que quelquefois le rythm e de leurs changem ents se révèle diversifié, asynchrone. En même tem ps, l’extension de certaines caractéristi­ ques est intergénérique (des thèm es chers à la fois au rom an et à la com édie positivistes) ou interco u ran t ou encore interépoque (p.ex. des systèmes de versification). Il faut com pter égalem ent avec les diver­ gences entre les données déduites de la p ra tiq u e littéraire d ’une p a rt et les règles form ulées de p oétique norm ative d ’au tre part. Enfin, l’on constate des co rrélations entre des phénom ènes non seulem ent éloignés les uns des autres dan s l ’ord re du tem ps, mais encore a p p a rte n a n t à des littératu res différentes (p.ex. le dram e histori­ que polonais de l ’époque positiviste et les dram es de Shakespeare), soit entre des phénom ènes qui ne sont aucunem ent des m aillons voisins du processus littéraire.

C ’est ce qui entraîne des difficultés de taille en fait de p résentation narrative. En effet, en cherch ant à m ettre en valeur la concom itance de phénom ènes et la corrélation en tre des phénom ènes d ’époques

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20 H en ry k M a rk ie w ic z

différentes, l'historien de littératu re doit constam m ent surm o nter la n atu re linéaire du langage. Il doit aussi faire le nécessaire pour écarter le risque de redire les mêmes form ules dans des contextes différents. U n m oyen à utiliser p o u r s’en préserver est le recours à la technique de « mise hors de parenthèse », c ’est-à-dire d ’aligne­ m ent de ces co n stata tio n s selon l ’ord re décroissant de leur généralité. T o u t com m e l’interprétation littéraire, la synthèse d ’histoire de litté­ ratu re, du m oins au stade oü elle en est à l’heure présente, constitue un art d ’écrire d em an d a n t un don de rhétoriq ue, de l ’habileté d éc o m p o sitio n et de l ’invention stylistique. C ’est non sans m elancholie q u ’il faut rep rendre la form ule de Jo h n E rpenbeck selon laquelle, aux yeux du grand public, plus un ouvrage d ’histoire littéraire est idiographique, plus il est vivant; plus il est no m oth étiq u e — plus il est e n n u y a n t...22 Q u ’il me soit perm is d ’y ajo uter ce que me dicte m a p ro p re expérience, à savoir que, souvent, ce n ’est pas tan t la form ulatio n de jugem ents qui est la plus difficile que l ’o rd on nan ce de leur exposé. Et au fur et à m esure que m on m an uscrit prenait du volum e, de plus en plus fréquem m ent j ’étais h anté p ar la question suivante: com m ent procéder p o u r estom per la sécheresse et la m o n o to ­ nie de style consécutives à l’em ploi de mêmes form ules, dicté p a r le devoir de conséquence term inologique. Et, plus généralem ent, com m ent éviter l’em ploi de term es identiques q uan d on parle de choses qui seulem ent se ressem blent.

C ette difficulté se fait sentir en particulier en ra p p o rt avec la seconde tâche qui se pose devan t l’historien de littératu re. A une époque, il était question d ’une histoire de littératu re sans nom s d ’auteurs. A en faire une histoire de seules configurations littéraires, on serait parvenu à une histoire de littératu re sans titres d ’oeuvres. M étho dologiquem ent, une telle histoire de littératu re serait d ’une hom ogénéité et d ’une conséquence exem plaires, mais ce ne serait à p ro p rem en t parler que de la poétique historique. C ’est en ce sens que G łow iński écrivait:

Le pro ce ssu s historico-littéraire co n si ste e n ' p r i n c i p e en é la b o r a tio n de n o rm es prop res à perm ettre la cr é a tio n et la réception des oeu vre s littéraires, [...] de c o n v e n t i o n s de to ute sorte: gén ériques, stylistiques, métr iques et aussi t h é m a t i q u e s 23. 22 Cf. « Zu P ro ble m en der literarischen Wert ung in der Litera tu rge schichtsschr ei­ bung. D o k u m e n t e eines Ar bei tsg es prä ch s », W eim arer B e iträ g e, 1980, c. 10, p. 106.

23 M. G ł o w i ń s k i , « Th eor etical F o u n d a t i o n s o f Historical P oet ics », N e w L ite r a r y H isto ry . 1976. n o 2. p. 242.

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L es D ile m m e s de l'historien de la litté ra tu r e 21

C ’est égalem ent de partiels que se laissent qualifier les projets de chercheurs ouest-allem ands d ’une histoire sociale de littératu re en tan t que « description et analyse synchroniques et d iachroniques des structures typiques et des fonctions de com m unicatio n littéraire dans les relations systém iques de vie sociale » 24. O r l’une com m e l’autre dém arche serait un appauvrissem ent et un rétrécissem ent injusti­ fiés de l’objet de l’histoire de littératu re; c ’est à raison que Sławiński écrivait que le « processus historico-littéraire est une unité de systè­ mes supraindividuels et d ’énoncés in d iv id u e ls» 25.

L ’histoire des configurations littéraires c ’est — p o u r reprendre la term inologie de F ernand B raudel — une histoire des conjonctures et une histoire de la longue durée; or, parallèlem ent à ce type d ’histoire, une histoire événem entielle de littératu re est indispensable. En histoire de littérature, les événem ents ce sont les oeuvres littéraires. Il ne s’agit pas ou to u t au m oins il ne s ’agit pas à titre exclusif — de faits relatifs à leur création, leur p u blication et leur perception p ar le public. L ’oeuvre littéraire s ’entend ici principalem ent com m e un fait d ’histoire littéraire qui in tro d u it des innovations dans les configurations littéraires auxquelles elle ap p a rtien t. Il y a lieu de distinguer ici des innovations qui tro u v en t une co n tin u atio n et se généralisent, to u t com m e d ’ailleurs des innovation s qui, sans être typiques p o u r le co u ran t littéraire en place et sans faire l’objet de contin u atio n im m édiate, restent anticipatrices p ar ra p p o rt à d ’autres phases, plus éloignées d an s le tem ps, du processus littéraire (p.ex. l ’oeuvre poétique de N o rw id); il s ’agit enfin d ’autres innovations non typiques, m ais génératrices de valeurs. En p ren an t en considé­ ra tio n de telles oeuvres, l ’historien de littératu re réduit dans une certaine m esure un risque qui plane to u jo u rs sur l’histoire des configurations littéraires, celui d ’une image p ar tro p schém atique de la période étudiée. M ais to u t aussi im portantes sont des oeuvres qui, sans transform er la configuration en place, en sont une réalisation parfaite (Potop — L e Déluge de Sienkiewicz en offre un exemple).

En analysant ces facteurs, nous introduiso ns dans la synthèse d ’histoire littéraire, sous une form e plus ou m oins directe, l’élém ent

24 S c h o n e r t , op. c it., pp. 10 2 — 103.

25 J. S ł a w i ń s k i , « Sy n c h r o n ia i dia ch ro n ia w p ro ce sie h i s t o r y c z n o l i t e r a c k i m » (Synchronie et d ia ch ro n ie dans le pro ce ssu s historico-littéraire), [dans:] P ro c e s h isto ­ r y c z n y ..., p. 30.

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22 H en ryk M a rk ie w ic z

d ’évaluation p o u r lequel il n'est pas possible de s ’affranchir entièrem ent de l ’optique de perception p ro p re à notre tem ps. Q uelquefois d ’ailleurs cette optique s’im pose d'elle-m êm e p o u r restituer à l ’histoire de littératu re des oeuvres que n o tre seulem ent époque a eu le mérite de redécouvrir et d ’apprécier à leur ju ste valeur.

Enfin, certaines oeuvres trouv ent leur place dans la synthèse d ’histoire littéraire en raison de leur retentissem ent et de leur bonne fo rtu n e auprès des lecteurs et égalem ent en raison de leur vertu représentative ou significative, c ’est-à-dire à titre d ’illu stratio n p o u r la description d ’un genre ou d ’un co u ran t littéraire. D a n s tous ces cas, une nouvelle fois, le fil de la n arratio n sensu strictiori de l ’historien de littératu re s ’arrête et fait de la place à l ’analyse et in terp rétatio n abrégée d ’une oeuvre. C ette m ultiplicité propre à la synthèse d ’histoire littéraire qui doit allier l’histoire des con­ jo n ctu res et de la longue durée à celle des événem ents littéraires, est une difficulté de plus, m éth odologique et p ra tiq u e d ’exécution, qui rend ardue la tâche de l’historien de littérature.

Les co n statatio n s narratives et descriptives sont toutefois loin d ’épuiser les tâches de la synthèse en histoire de littératu re. Elle tend aussi à m ettre en lum ière la genèse et les fonctions des faits considérés. L ’explication génétique — il y a lieu d ’en p ren d re conscien­ ce — n ’arrive jam ais à atteindre le niveau de l ’explication causale, en d ’autres term es, nous nous m o n tro n s incapables d ’indiquer les co n d itio n s suffisantes (ou le facteur prim o rd ial d an s l ’o rd re des cond itions suffisantes) p o u r l’ap p a ritio n du p hénom ène considéré. En ce sens, c ’est à ju ste titre que W ellek écrit:

A p p liqu é e s à la littérature, l'explication c a u sa le en tant q u ’ex p lica tio n d éterm i­ niste par d é d u c ti o n d ’une loi générale, ou la d é m o n s tr a ti o n de la c a u se suffisante, se révèlent d é c e v a n t e s 26.

C ette irréductibilité sem ble être le trait co n stitu tif to u t au m oins des sphères d ’activité hum aine q u ’on appelle la créatio n ; il est plausible — com m e le fait C laus M ichael O rt en suivant en ceci l’exem ple de quelques sociologues — de les nom m er des systèm es ém ergeants, c ’est-à-dire conditionnés m ais no n réductibles à leurs c o n d itio n s27. C 'est dire q u ’en rejetant l’explication p ar con d itio n s

26 W e l l e k , op. c it., p. 76.

27 C. M. O r t , « P ro b le m s o f Interdisciplinary T h e o r y - F o r m a t i o n in the Socia l Hist ory o f L iter a tu re » . P o etic s. 14 (1985). p. 336.

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L es D ile m m e s de l ’h istorien d e la litté ra tu re 23

suffisantes, inadéquate à son objet, l'histoire de littérature peut n éanm oins indiquer les conditions nécessaires et les conditions favo­ risantes l ’ap p a ritio n et su rto u t la généralisation d ’un phénom ène précis. A insi, à p ro p o s des conditions nécessaires, il est perm is d ’affirm er que l’épanouissem ent du genre satirique en Pologne dans la zone d ’annexion autrichienne dans la II m oitié du X IX e siècle, avait p o u r condition nécessaire les form es constitutionnelles de la vie p o litiq u e de l ’époque, et que la voque du ro m an feuilleton tenait à l ’existence de la presse. C om m e on le voit, les con statation s relatives aux con ditio ns nécessaires sont p lu tô t peu intéressantes. Plus fructueuse par co n tre est la recherche des co nditions favori­ santes. C ’est ainsi que s ’im pose l’hypothèse que les conditions ayant favorisé l ’épannouissem ent de la nouvelle réaliste sont à rechercher du côté des prém ices de la crise de l’optim ism e positiviste et de l'intérêt idéologique p o rté à la condition du peuple. En p arla n t de la genèse du ro m a n d ’analyse B ez dogmatu (Sans dogme) de Sienkiewicz, il y a lieu d ’invoquer la crise définitive de l’idéologie positiviste, le tarissem ent thém atique du rom an social de m oeurs et égalem ent l’influence de la littératu re française. Bien q u ’incom plètes et hyp othé­ tiques, ces explications n ’en sont pas m oins d ’un enrichissem ent p o u r n o tre connaissance des m écanism es de changem ent en littéra­ ture. C ertaines de ces corrélations sont d ’une évidence frappante, d ’au tre d em an deraient une vérification statistique, plus difficile encore q u ’elle ne l’est à la description du g en re28.

Les explications conditionnalistes se réfèrent, explicitem ent ou im plicitem ent, à des généralisations revêtant la form e de pro po sitio ns pro babilistes (ou: lois quasiprobabilistes), c ’est-à-dire concluant à la p ro b a b ilité de conséquences précises si des circonstances ou conditions précises o n t lieu (« probabilité » étant entendu ici selon son sens co u ran t de forte chance d ’ap p aritio n et de diffusion du phénom ène d o n t il est question dans la p ro p o sitio n conséquente, sans p ou r au ta n t que soient avancés des indices q u an titatifs précis). Il s’agit de généralisations, telles que « s ’il y a des libertés politiques, la p ratiq ue d 'u n e satire politique s'en trouve fa v o risée» ou « s ’il y a une crise de Weltanschauung, il y a lieu de s ’atten d re à un délabrem ent des

2X C' est ce qui était tenté p .ex. par E. H a n k i s s , « T h e Structure o f Literary E v o l u t i o n » . P o e tic s , 1 (1972), et D . K. S i m o n t o n . « T i m e Series A nal ys is o f the Literal« C r e a t i v i ty » , ibidem . 7 (1978).

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24 H e n ry k M ark ie w icz

grandes form es narratives et à la pro m o tio n des form es cou rtes; parallèlem ent, on voit les oeuvres s’im prégner plus fo rtem ent d ’élé­ m ents de réflexion ».

D e nos jo u rs, il est généralem ent adm is que les tran sfo rm atio n s de chaq ue configuration sociale et p a rta n t littéraire tiennent à des conditio ns aussi bien internes q u ’externes: le poids des phases an té­ rieures de la configuration étudiée co rresp o n d ra it au prem ier des deux cas, les im pulsions p ro v en an t d ’autres configurations — au second. A la jo n ctio n du m arxism e et du structuralism e tchécoslovaque s'est affirmé chez les chercheurs un ensem ble de convictions leur faisant o p ter p ou r l'explication co nditio nn aliste des chan gem en ts en littérature. A nou s en tenir à la form ule la plus pondérée, nous som m es en d ro it de dire que le ternissem ent p ro gressif d ’une configuration littéraire au niveau de la créatio n et de la reception, suscite des dém arches d ’intensification et de com plication et, après leur épuise­ m ent — une certaine dispersion d ’innovations littéraires d ’une intensité variable de co n tin u atio n et de négation de l’état antérieu r de la configuration. P arm i ces innovations, seules se généralisent et se stabilisent celles qui s’ad a p te n t le mieux à leur environ nem en t social, c ’est-à-dire qui sont fonctionnelles face à sa dem ande. D ’u ne p er­ spective m arxiste il est possible de préciser q ue ces inn ov ation s sont stim ulées et sélectionnées en fonction de leur utilité à l’expression littéraire de différentes o rien tatio n s idéologiques qui, elles, sont à leur to u r fonction de la division en classes de la société et, en dern ier ressort — des ra p p o rts de p roductio n.

La pensée m arxiste plus récente attire en m êm e tem ps l’atten tio n sur l’influence du m ode de p ro d u c tio n littéraire, c ’est-à-dire de l’état des forces de p ro d u c tio n (techniques de co m m u nicatio n), des ra p p o rts de p ro d u ctio n , de distrib u tio n et de co n so m m atio n de p ro d u its littéraires (sur ce point, l’on con state souvent la confusion en tre les oeuvres littéraires et leurs véhicules m atériels); en d ’autres term es, il s ’agit des ra p p o rts de co m m u nicatio n littéraire et des in stitu tion s qu i les m atérialisen t29. Dès q ue l'histoire de littératu re tient co m p te

2V Cf. p.ex. Th. E a g l e t o n , C r itic is m e a n d Id e o lo g y , L o n d o n 1978, p. 4 7 et s s . ; S. Ż ó ł k i e w s k i , « P o ż y t k i p o z n a w c z e i granice s t o s o w a n ia an alizy te k stó w k u l t u r y » (Les A v a n t a g e s co gn it ifs et les limites de l ’anal ys e des texte s d e culture). K u ltu ra i S p o łe c ze ń stw o . 1985, n o 2. p. 13.

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L e s D ile m m e s de l ’historien de la litté ra tu re 25 de ces facteurs, elle em piète sur ce que Stefan Żółkiew ski a appelé « l’histoire de la cu ltu re littéraire », m ais elle les in trod uit seulem ent com m e u n fond explicatif.

L ’explication conditio n aliste d ’une oeuvre littéraire gagne en

richesse et en précision dès q u ’on replace celle-ci dans ses ra p p o rts avec les autres oeuvres de son au teur, avec la trad itio n littéraire q u ’il rep résen te individuellem ent et quelquefois aussi avec les traits de sa p erso n n alité et les faits de sa biographie. Sur le plan de la n arratio n , une synthèse d ’histoire littéraire ne p arv ien dra pas, m êm e

à grand ren fort de digressions et de to urs de force stylistiques,

à tenir com p te de tous ces facteurs; en tra ita n t de la Trilogie

de Sienkiewicz, nous pouvons, en la replaçan t dans l’évolution

d ’ensem ble du ro m an historique, l’inscrire dans la trad itio n d ’un K raszew ski ou d ’un Łoziński, m ais il nous sera difficile d ’y ra tta c h e r l’oeuvre antérieu re de Sienkiewicz, son expérience am éricaine, ses lectures des poèm es héroïques et des m ém orialistes polonais du X V IIe siècle etc.

De plus et p eut-être avant to ut, la réception sociale identifie les oeuvres non seulem ent p ar genres et p ar co uran ts littéraires d ont elles relèvent, m ais encore com m e celles d ’un au teu r précis, com m e expression d ’u ne individualité unique génératrice de valeurs; il est hors de d o u te que cette individualité constitue un objet des plus légitim es de l ’intérêt de l ’histoire de littérature. M ais ce n ’est que rarem en t, p ar le fait d ’une co ncentration poussée dans l’ord re du tem ps, du thèm e et du genre, que cette individualité peu t se m anifester avec to u t son relief, d an s une synthèse littéraire p ro céd an t par c o u ra n ts et p ar genres.

S ’il n ’est donc pas. possible, sur une seule lancée narrative, d ’accorder le récit des changem ents qui affectent les configurations littéraires avec l’exposé des changem ents qui interviennent dans l’oeuvre des écrivains, l’au teu r d ’une synthèse ne p arv ien d ra pas à préserver d ’un m orcellem ent les individualités créatrices et l’évo­ lution de leur a rt; dans le m eilleur des cas elles resteront entières mais reléguées à un plain secondaire. Il n ’est pas possible de faire une om elette et de garder en mêm e tem ps des oeufs entiers.

C om m ent y o bv ier? La p ratiq u e de co nstru ire des synthèses de chapitres m o no graphiqu es sur les som m ités, et de chapitres collectifs sur le reste de la littérature, selon un o rd re p ar genres, p araît

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défectueuse dans la m esure où elle exclut les grands écrivains du processus littéraire, en ap p auvrissan t et défigurant l’image de celui-ci. U ne au tre p ro po sitio n s ’im pose: celle de faire en sorte q u ’en inscri­ vant dan s le fil principal de l’exposé, l ’oeuvre de ces grands écrivains com m e élém ent du processus littéraire, il en soit reparlé dans des chap itres m onographiq ues à p art. Ces derniers seraient des chapitres en gros p lan : avec un exposé plus détaillé et une plus large place faite à l ’in terp rétation des oeuvres. Des redites seraient inévitables dans la m esure où, en tra ita n t de L a lka {La Poupée) com m e d ’un m aillon du ro m an social positiviste et com m e celui de l ’oeuvre de Prus, il faud rait ab o rd er d ans les deux chapitres, des problèm es en partie différents et en partie les mêmes. U n exercise d ’écriture difficile, d em an d a n t une nouvelle fois à l’au teu r de l’astuce et du doigté. Je pense toutefois q u ’il vaut la peine d ’en tenter l’effort et je regrette de n ’avoir pas suivi ce chem in, faute de tem ps et de savoir, en écrivant Le P ositivism e: il est p o u rtan t bien vrai que. dans ce cas précis, la paru tio n antérieure du volum e « positiviste » de la série P an o ra m a de la L ittératu re Polonaise des X IX e et X X e Siècles co m p ren an t des p o rtra its, quelquefois m êm e de haute m aîtrise, des grands écrivains de cette période, d eto u rn a ite de cette option.

Enfin — la synthèse d ’histoire littéraire d o it p ren dre en considéra­ tion aussi le fonctionnem ent de la littérature. Au prem ier plan, cela signifie les changem ents qui affectent l ’interp rétatio n des oeuvres littéraires (c’est-à-dire les interp rétatio n s historiques pro p rem en t dites et les in terp rétations d ’ad a p ta tio n ) et l ’influence q u ’exerce la litté­ ra tu re com m e trad itio n , sur son p ro p re développem ent. A u prem ier plan qui recoupe l’histoire de cu lture littéraire app araissent ici des problèm es tels que 1) extension sociale et stratification du public littéraire; 2) situations littéraires de com m unication et les institutions qui y co rresp o n d en t; 3) m otivations et préférences des lecteurs; 4) m anières d ’identification, d ’in terprétatio n et la ev oluation de la littératu re; 5) ran g et variétés fonctionnelles de la reception de la littératu re dans l’ensem ble des activités du public des lecteurs; 6) influence de la littératu re sur les au tres secteurs de la culture sym bolique; 7) tran sfo rm atio n s q u ’elle entraîne dan s l’idéologie, la m entalité et le com portem ent des lecteurs. Ces questions sont à poser aussi bien à p ro p o s des configurations littéraires q u ’à propos des oeuvres considérées séparém ent.

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L e s D ile m m e s d e l ’h istorien de la litté ra tu re 27

Les décennies récentes ont fait à ces questions une place de m arque, en p o stu lan t après H arald W einrich une « histoire de litté­ ra tu re d ’une perspective de lecteur ». C ependant, l’expérience nous ap p ren d que les réponses que peuvent nous fou rnir les tém oignages disponibles du passé, ne sont que fragm entaires. En particulier, nos connaissances de la m anière d ont on lisait p ar le passé les oeuvres littéraires, se b o rn en t p o u r la p lu p art des cas, aux conclusions tirées de l’analyse des textes de critiq ue littéraire, ce qui nous do n n e une science — d ’ailleurs p roblém atique — sur les m anières d ’une lecture savante. Q uand aux lectures scolaires nous avons accès p lu tô t aux directives qui les concernent et d o n t s ’écartent souvent réelles experiences de lecture de p o tach e s30.

Bien entendu, nous som m es p rofondém ent convaincus de l’influen­ ce pro fo n d e q u ’exerce la littératu re sur la m entalité, les m oeurs, l’activité sociale des lecteurs, m ais une m éthode p ro b a n te d ’étude de cet im pact nous fait défaut, en particulier p o u r la littératu re des époques révolues. P o u r ces raisons, l’histoire des fonctions sociales de la littératu re devrait co m p o rter des lacunes im possibles à com bler. O n peut la p ra tiq u e r avec succès m ais fragm entairem ent : un effort de synthèse m atériellem ent sym étrique p ar ra p p o rt à l’histoire des configurations et des oeuvres littéraires, serait une entreprise u to p i­ que, opinion que je ne suis pas seul à exprim er. Il faut p ar co n tre postuler une étude em pirique de la vie littéraire d ’a u jo u rd ’hui p o u r perm ettre la co nstruction d ’une telle synthèse à p a rtir de no tre époque.

Digne d ’atten tio n est la p roposition avancée p ar des chercheurs des deux E tats allem an d s31 de tenter de l’histoire de littératu re une approche plus large que n ’en d o n n en t les considérations plus haut, à savoir en y incluant sur un pied d ’égalité et non à titre uni­ quem ent de toile de fond explicative, de l’histoire des institutions

,0 Cf. J. S ł a w i ń s k i , « O d b i ó r i o d b io r c a w p roc esie h ist o r y c z n o l i t e r a c k i m » (La R éc e ptio n et le sujet récepteur dans le pro ce s su s historico-littéraire), [dans:] P u b lic zn o ść lite ra c k a , W r o c ła w 1982, pp. 8 4 — 85.

31 Cf. p.ex. R. R o s e n b e r g , « Literat urgeschich te als G es ch ic hte der literarischen K o m u n i k a t i o n », W eim arer B e itr ä g e , 1977, c. 6; W. V o s s k a m p , « P r o b l e m e und A u f g a b e n einer sozi algesch ich tlich ori entierten Li teraturgeschichte des ach tzeh nten J a h r h u n d e r ts » , [dans:] D a s ach tze h n te Jah rh u n dert, éd. B. Fabia n, W. Sch midt-B ig ge r- m ann . N u n d el n 1978. pp. 5 4 — 55.

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et des processus de com m unication littéraire, c'est-à-dire de la p ro ­ duction, de la d istrib ution et de la con som m atio n de la littérature. C om m e je l’ai dit plus haut — je ne partage pas la position réd u ctio n n iste de ceux qui nous conseillent de nous en tenir à des histoires de littératu re distinctes « sérielles » ou « régionales ». D ’autre p art cependant, avec l’état actuel des recherches spéciales d an s ce dom aine, la synthèse d o n t je parle est vraisem blablem ent irréali­ sable. Il n ’est pas facile non plus d ’im aginer la façon d o n t on p o u rra it em brasser p ar une seule séquence narrative et histoire de littératu re sensu strictiori, et histoire de la cu ltu re littéraire. P ou r ces raisons, il ap p araît com m e plus réaliste — du m oins p o u r l’instant — de garder à chacune des deux un statu t distinct.

Ainsi, de quelque po int de vue q u ’on ne se place, la synthèse d ’histoire de littératu re nous ap p a raît com m e une co nstructio n défi­ ciente qui ne se laisse pas réaliser dans to u te son étendue en raison de lacunes de d o cu m en tatio n ; incertaine de son objectivité dans le choix et l’in terprétatio n des m atériaux disponibles, défigurée sinon p ar la subjectivité du m oins p ar le présentism e; hy po thétiq ue dans ses explications, toujours aux prises avec les difficultés d ’une m atière linguistique linéaire; inéluctablem ent vouée à l’hétérogénéité, à l’incon­ séquence, aux com prom is et aux subterfu ges32.

La prise de conscience de toutes ces m isères ne saurait toutefois susciter chez l ’historien de littératu re un com plexe d ’infériorité, c ’est que cette déficience tient à la difficulté extrêm e des tâches qui se posent devant lui. M ais cette prise de conscience ne doit pas non plus servir de lénifiant à sa conscience de chercheur et favoriser chez lui une attitu d e d ’acquiescem ent face à l’inexactitude et à une absen­ ce de rigueur; elle doit, au contraire, m obiliser vigilance et énergie p o u r réduire ces défaillances à un strict m inim um . N orw id con stitue de

•32 J. E h r h a r d dans « E x a m e n de c o n sc ie n c e d ’un historien de litt é r a tu r e » (cf. « P r o b l è m e s m é th o d o l o g i q u e s de l ’histoire l i tt é r a ir e » . R om an isch e Z e its c h rift fü r L ite ra tu rg e sc h ic h te , 1977, pp. 2 6 8 — 269) a a v o u é o u ve rt em en t q u ’à so n sens, l ’histoire de littérature n ’est pas c a p a b le de préciser sa m é th o d e , de cir con scire so n objet, d e devenir une scienc e en raison des aspects é m i n e m m e n t subjectifs d e la pratique d e la lecture et du disc ours hist ori que entre lesqu els elle doit se situer.

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L es D ile m m e s de l'h istoiren d e la litté ra tu re 29

nos jo u rs un de ces trésors de citations d o n t on abuse à l’extrêm e; il est toutefois difficile de résister à la ten tatio n de reprendre une de ses form ules co n n u es: « l ’originalité c ’est l’attitu d e consciencieuse face aux s o u rc e s » 33. L ’historien de littératu re se doit d ’avoir ce paradoxe co nstam m en t à l’esprit.

Trad. par H u b ert K r zy ż a n o w s k i

C. N o r w id , « O Juliuszu S ło w a c k im » (D e J.S.), [dans:] P ism a w ybran e, ed. J. W. G o m u lic k i, vol. 4, W ar sza w a 1968, p. 213.

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