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L'Homme et le Temps : les motifs du temps dans la poésie baroque polonaise

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Teresa Michałowska

L’Homme et le Temps : les motifs du

temps dans la poésie baroque

polonaise

Literary Studies in Poland 13, 75-96

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Teresa M ichałow ska

L’Homme et le Temps

Les motifs du temps

dans la poésie baroque polonaise

Les conceptions scientifiques

Le bouleversem ent intellectuel qui d éb u ta dans l’E u rope du XVIIe siècle p ar un développem ent b rutal des sciences m athém a­ tiques et naturelles était dirigé con tre les au to rités de l’A ntiquité. L ’aristotélism e qui constitu ait ju s q u ’alors la vision d u m onde a com m encé à s’effriter, non seulem ent en tan t que source de connais­ sance irréfutable, dans les différentes disciplines scientifiques, mais aussi en ta n t que fondem ent d ’une m éthodologie.

La pensée scientifique de la Pologne de cette époque se trouvait hors d ’attein te de l’influence des co u ran ts nouveaux. L ’aristotélism e scolastique, qui co nstituait tou jo u rs ici la base philosophique, d om i­ nait d ans tous les milieux didactiques d 'im p o rtan ce, de l’université de C racovie aux nom breux collèges religieux — essentiellem ent des collèges de jésuites — en passan t p ar l ’académ ie de Zam ość, les lycées de T o ru ń et de G dańsk, l ’A cadém ie de Vilno.

D an s la prem ière m oitié du siècle, les com m entaires des écrits d ’A ristote perdiren t peu à peu de leur p o pu larité, au profit de concep tio n s systém atiques de la p roblém atique philosophique (laquelle c o n tin u ait à participer de la logique, de la physique, de la m éta­ physique et de l’éthique). M algré la vogue to u jo u rs im p o rtan te de la Descriptio universae naturae e x Aristotele (un texte du XVIe siècle, de Jacques C harpentier), on édite des traités d ’au teu rs polonais, celui, p ar exem ple de Ł ukasz Z ałuski (Compendium totius philosophiae,

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76 T eresa M ic h a ło w sk a

Vilnae 1640), celui de Ja n M oraw ski (Totius philosophiae principia, Posnaniae 1660), celui de T om asz M łodzianow ski (Praelectiones m eta- phisicae et logicae, G edanii 1671) ou celui de Szym on S tanisław

M akow ski {Cursus philosophicus, C racoviae 1681).

La p roblém atique du tem ps était ici com m entée dans des oeuvres de physique, et les thèses fondam entales étaient appuyées sur des affirm ations adéquates d ’A ristote {Physical IV , 10— 14) et de T h o m as d ’A quin {Summa I, 15, I, 99, II, 32—38 et sq.).

N ous trouvons, p ar exemple, un im p o rtan t traité «D e tem pora» dans l’oeuvre de M akow ski. Se référant aux au to rités de l’A n tiq u ité et du M oyen-A ge, l’au teu r discute les questions suivantes: le tem ps est-il un être réel {ens reale)2 La réponse — qui co nteste les possibilités d ’in terp rétatio n subjective, post-augustinienne — p ro clam e q u ’assuré­ m ent, il en est ainsi. Q u ’est-ce que le tem ps? La définition, appuyée sur celle d ’A ristote, explique que le tem ps, c ’est la m esure du m ou­ vem ent selon la succession du «plus tô t» et du «plus tard ». Il ne fau t pas l’identifier au m ouvem ent, p u isq u ’il con stitu e seulem ent un aspect «qu antitatif» de celui-ci. C om m ent divise-t-on le tem ps? O n distingue le tem ps extérieur {tempus extreinsecum ) et le tem ps intérieur {intrinsecum). Extérieur, il se ra p p o rte au m ouvem ent céleste régulier, im m uable. C ’est le m ouvem ent cosm ique p a r lequel nous m esurons la durée des êtres qui ap p a rtien n en t au m onde sublunaire, le m ouvem ent cosm ique qui peut servir de m esure p o u r nos affaires, nos actes hum ains, m ouvem ent q u ’on peut définir p a r une horloge ou une clepsydre. Le tem ps intérieur, c ’est la « con tinuité interne d ’un m ouvem ent».

O n peut distinguer trois concepts tem porels: aevum, tempus et aeternas. A evum , c ’est la m esure des choses qui sont im m uables dans leur substance, m ais qui sont soum ises à des changem ents accidentels. Tempus, c ’est la m esure des choses changeantes dans leur substance et leurs m an ifestations; sa durée s ’app uie sur la suc­ cession p erm anente du passé {praeteritum), du présent {nunc) et de l’avenir {futurum); il suscite une gran de différenciation d ’êtres et to utes sortes dé tran sfo rm atio n s en aux. Aeternitas, enfin, c’est la m esure des choses les plus im m uables dans leur essence et leurs m anifestations, l’aeternitas ne possède ni «passé», ni «avenir»; c ’est un «m aintenant» c o n tin u e ll.

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L 'H o m m e e t le T em ps 77 Le cursus philosophicus a répandu, dans la conscience des couches cultivées de la société polonaise du X V IF siècle, une conception du tem ps — objet, qui s’appu ie sur la trad itio n de la philosophie an tiq u e et m édiévale — le tem ps est un objet d ’études des sciences naturelles et d ’analyse théologique.

C epen dant, p o u r les gens d ’alors, le tem ps n ’était pas seulem ent la m esure des m ouvem ents cosm iques et la form e d ’existence des êtres d u m o nde sublunaire, form e opposée à l’éternité divine. Le tem ps con stituait aussi, to u t de m êm e — et, peut-être, su rto u t — le cadre de l’existence hum ain s : le to rre n t irréversible «passé»— «présent»—«futur» dans lequel s’accom plissait la vie d ’un individu. C ’est ju stem en t cette p roblém atique-là qui a trouvé son reflet dans la poésie baro q u e polonaise.

Les représentations du temps

Les conceptions an thro p o lo g iq u es du tem ps tiraien t leurs sources de la philosophie de l’A n tiq u ité; des im ages d u tem ps s’étaient form ées, parallèlem ent, dans la m ythologie, les arts plastiques, la litté ra tu re 2. N ous pouvons retrouv er leurs reflets dans la culture b aro q u e polonaise. Surgis de la trad itio n européenne, les m otifs tem poreles ont pénétré divers dom aines en s ’im prégnant de signi­ fications nouvelles. A côté de la théorie du tem ps (qui agissait de m anière indirecte, en suggérant seulem ent certains concepts généraux, com m e le caractère d estructeur des changem ents, ou la dialectique p erm anente des segm ents du tem ps), les représen tatio ns m yth olo ­ giques, qui s’appuyaient sur les personnifications an tiq ues de l ’E tern i­ té et du T em ps avaient une im po rtance fondam en tale. L ’iconographie b aro q u e (peinture, sculpture, dessin) où ces con tenu s abo n d aien t stim ulait l’im agination collective en agissant n o tam m en t dans le cadre de spectacles théâtrau x ou p a ra th é â tra u x (fêtes n atio nales ou scolaires, festins de noces, de fu n érailles...). Les signes distinctifs du tem ps, conventionnalisés en divers dom aines de la cu lture vieille polonaise,

- E. P a n o f s k y , « F ath er T im e», [dan s:] S tu d ie s in lc o n o lo g y . H u m a n istic T hem es in th e A r t o f the R enaissan ce, N e w Y o r k 1967; J. B i a ł o s t o c k i , «V an itas»,

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im prim aient aussi leur m arq ue en poésie. Celle-ci, ce p end ant, é ta it capable d ’exprim er p a r des m oyens artistiques b eau cou p plus diffé­ renciés les idées qui se ra p p o rtaien t à l’aspect tem porel de l’existence hum aine. P rofitant en ce dom aine de la topique littéraire de la R enaissance (dont Rej et K ochanow ski furent en P ologne les législa­ teurs les plus ém inents), la poésie a créé son p ro p re m onde de pensée et de représentations tem porelles, im prégnées d ’un pessim ism e c a ra c ­ téristique de l ’anth ro p o lo g ie d ’alors, d ’un pessim ism e qui ab o u tissait nécessairem ent à des réflexions sur le néant et sur la m ort.

L e s p e r s o n n i f i c a t i o n s m y t h o l o g i q u e s . Se référant à la my- th og rap hie européenne de la Renaissance, M. K. Sarbiewski a résum é dans D ii gentium (1627)-la science’de ses con tem p o rain s sur les d iv i­ nités an tiques du tem ps. C ette p roblém atiqu e se concentre d an s son traité au to u r des personnages de l’E ternité (A eternitas) et du T em ps- S atum e.

L ’effigie de l’E ternité a été frappée sur les m onnaies antiques. Sur l’une d ’elles, on peut voir le personnage qui tient de la m ain d roite un globe tandis que la m ain gauche soulève un p an de vêtem ent sur lequel il est écrit: «A eternitas». Sur une au tre m onnaie, l’E ternité est assise sur le globe, elle est coiffée d ’un b o nn et et de la m ain gauche, elle tient un serpent qui se m o rd la queue. Ce serpent en cercle sym bolise, to u t com m e les signes grap hiq ues dessi­ nés à l’in térieu r de cercle, la durée perpétuelle.

C ’est par c ette m arq ue q u ’on ex p liq u e l ’E ternité, qui n ’est rien d 'au tre q u ’une d urée in d iv isib le, san s cesse rendue à elle-m êm e. C ’est p o u rq u o i elle est, à juste titre, situ ée à l ’intérieur du cercle fo rm é par le serpent qui se m ord la q u eu e, ce qui est éga lem en t un sy m b o le d ’étern ité. U n â g e san s fin est ainsi d ésig n é: la tête qui m ord la q u eu e, la fin et le d éb u t, la tête liée à la q u eu e, c e la crée le cercle de l ’éternité.

Le concept d ’éternité (qui jo u e un rôle réel d ans la philosophie antique, su rto u t chez P lato n) a pris une im p ortan ce fondam entale dans le christianism e, devenant un facteur véritable de la réflexion sur l’existence de D ieu. Se référant à des extraits co rresp o n d an ts de la Bible, Sarbiew ski co ntinue à affirm er:

Le fait q u e l’E tern ité so it assise sur le cercle ou le g lo b e signifie ou bien q u ’elle n ’est pas é lo ig n é e des m o u v e m e n ts célestes o u bien q u e sa place véritab le est a u -d essu s d es cieu x. C ’est p o u rq u o i o n d it du C hrist, qui inaugure l'étern ité de sa lo u a n g e, q u ’il est m o n té « a u -d essu s de to u s les cieu x » . C ela peut aussi sig n i­

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L ’H o m m e e t le T em ps 79

fier que le ciel est le trôn e de l'E tern ité, c ’est p o u rq u o i l'E tem el d it: « L e s d e u x so n t m o n siè g e» , ou bien q u e l’Eternité m a in tien t le m o u v e m en t d es C ieu x en y étant a ssise, ou en co re, p lu tô t, que son rep o s et sa p o sitio n so n t in fin is et que c ’est p ou r cela q u ’elle est a ssise sur le p o u rto u r du g lo b e qui n ’a ni d éb u t ni f i n ' .

Le concept de tem ps est lié au personnage de S atu rne, le co r­ respondant rom ain de C hronos, qui, à plusieurs reprises, a été assi­ milé à C h ro no s. C o n trairem en t à l’E ternité, le Tem ps a été créé, il a un d éb u t et une fin:

Les p a ren ts de Saturne, le C iel et H écate, in d iqu en t q u ’il est un ternps c o m m e en g en d ré d es m o u v e m en ts et d es cieu x [ ...] C ’est p o u r q u o i, par la su ite, Saturne a en gen d ré Jupiter et J u n on , p u isq u e, d a n s un m êm e tem ps; le feu et l’air et les autres élé m e n ts on t été créés par D ieu , qui e n g lo b e en lui to u tes les e sp è c e s de tem p s. Q u e Saturne ait été so u s terre, par Jupiter, cela ne sign ifie-t-il pas une

durée étern elle de la p ein e de d a m n a tio n : le tem p s ne reviendra p as à la

raison, c ’est p o u rq u o i il est garrotté et p récip ité en prison (p. 53).

D estructibilité, caractère éphém ère, telles sont les p articularités des choses qui existent à l ’intérieur du tem ps.

O n r a co n te que S atu rn e a co n c lu un acco rd avec le S o leil: il tuera, dévorera to u s ses e n fa n ts, car le tem p s a eu cet a ccord av ec le S o le il: to u t ce qui naît dans le tem ps est so u m is à la d estru ctio n . O n r a co n te p ou rtan t q u e S atu rn e a rev o m i sa d esc e n d a n c e , car la d estru ction de l’un est la n a issa n ce de l ’autre.

O n représenta l’apparence de S aturne et ses attrib u ts plastiques en accord avec la trad itio n m ythographique.

Satu rn e a été représenté c o m m e un vieillard aux ch ev eu x b lan cs, à la lon gu e b arb e, c o m m e un vieillard sérieux, p âle, la tête co u v erte, drapé d an s d e s v êtem en ts d ’azur, ten a n t une faucille d an s la m ain d roite et de la g au ch e, un serp en t qui se m ord la q u eu e. T o u t cela, b ien sûr, c ’éta it les sy m b o le s du tem p s, car il n 'ex iste rien de plus vieu x, de p lu s secret, de p lus cruel q u e le tem p s q u i dévore o u a b a t to u te c h o se (pp. 4 9 — 50).

A côté du m o tif du «tem ps-destructeur» qui d étru it cruellem ent son oeuvre propre, ap p a raît, dans les réflexions de Sarbiew ski, un a u tre m otif, égalem ent caractéristique, qui s ’appuie égalem ent su r une longue trad itio n de la culture européenne. C ’est le m o tif d u «tem ps — père de la vérité» (veritas filia temporis).

M . K . S a r b i e w s k i , D ii g en tiu m , W roclaw i 972, p. 549. Les p ro ch a in es c ita tio n s so n t de cette éd ition .

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C eu x qui offraient d es sacrifices à S atu rn e a v a ien t l'h a b itu d e de se c o u v r ir la tête, et ce d ep u is une d é c isio n d ’E n ée . C ela se faisait soit p arce q u e p o u r la vérité il n ’e st rien d e c a c h é et q u e les R o m a in s c o n sid ér a ie n t S atu rn e c o m m e le père de la vérité, so it p arce que Satu rn e, q u i, ch ez les G recs est C h r o n o s, c ’e st- -à-d ire le T e m p s, révèle la v érité; d o n c la vérité est a p p elée fille du tem p s, et les A n c ie n s affirm aient q u ’il n ’est rien de p lu s sage q u e le T e m p s (p. 53).

L e s v i s i o n s p l a s t i q u e s . Les représentation s m ythologiques d u T em ps-S aturne ont constitué au X V IF siècle la base des effigies p lasti­ ques d o n t le tem ps est le contenu.

L ’iconographie du tem ps, en Pologne, rem on te à l’ép o qu e de la R enaissance, q u an d su r le m arché de l’im prim erie sont a p p a ru e s des re p ro d u ctio n s des illustrations que le peintre allem and G eo rg Pencz avait faites des Triomphes de P étrarq ue. G râce aux études de P anofsky et de V enturi, on co n n aît le p hénom ène de l’éto n n a n te po p u larité des versions plastiques des Triomphes, en Italie d ’a b o rd , puis d an s les autres pays d ’E urope, en F rance, en A llem agne su r­ t o u t 4. S ur les estam pes illu stran t le T rio m ph e du T em ps, le T em pu s éfâit représenté en principe com m e Saturne, et donc com m e un vieillard à la longue barbe, boiteux parfois, d oté d ’ailes et d ’une faux ou d ’une faucille, ten an t une clepsydre ou un ca d ran solaire, accom plissant son entrée solennelle sur un c h a r tiré p a r un cerf. Pencz l’a représenté conform ém ent à cette convention, selon ses m odèles italiens.

M aciej W irzbiçta a purvu les éditions successives des oeuvres de Rej (Zwierciadio — Le M iroir, 1567 ou 1568 ; Zw ierzyniec — Le Bestiaire, 1579) d ’une gravure sur bois, copie en n ég a tif de la gravure sur cuivre de Pencz; il a co n trib u é à la vulgarisation, d an s la Pologne du XV F siècle, de la personnification du T em ps sous les traits de S aturne. P eut-être ces illu stratio ns n ’étaient-elles pas l’unique source des représen tation s plastiques du tem ps; cep end ant, c ’est à leur suggestion que les gens d ’alors doivent tou s les g rand s spectacles p a rath éâtra u x . L ’un d ’eux, lié aux cérém onies du m ariage de Jan Z am ojski avec G ryzelda B atory a été com m ém oré dans les récits des historiens. Voici com m ent, selon J. Bielski, on rep résen tait le «triom p he du Tem ps» à C racovie en 1583:

4 Cf. P a n o f s k y , op. c it., pp. 7 9 — 81; A . A . V e n t u r i , « L e s T r io m p h es de P étrarqu e d a n s l ’art rep résen tatif», R evu e de l ’A r t A ncien e t M o d e rn e, 1906.

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L 'H o m m e e t le T em ps 81

E n su ite, M ikołaj Z e b r zy d o w sk i, au jo u rd ’hui m aréchal de la C o u ro n n e, est arrivé sur un char. Le char était tiré par les heures: d o u ze e n fa n ts b lan cs et aussi b ea u co u p de noirs, d es é to ile s derrière eu x: les b lan cs ten aien t le c ô té d roit, les noirs le g au ch e, ils éta ien t reliés par d es ch a în es d ’argent et to u s a v a ien t des cadrans sur la tête. Satu rn u s était assis d a n s le char, il avait une barbe b lan ch e, il tenait une faux à la m ain. Le tem ps fa isa it a van cer le char, il av a it lui aussi un cadran sur la tête; derrière lui a lla ien t le so le il, a tta ch é par une ch a în e, et les m o is 5.

Les représentatio ns du tem ps sous form e de S aturne on t été fixées et popularisées dans le Pologne du X V IP siècle en des form es plastiques.

P o u r exemple, nous rappellerons le bas relief rep résen tan t le Tem ps, situé sur le côté sud de la façade-jardin d u palais de W ilanów . C hauve, po u rv u d ’une longue barbe et d ’ailes gigantesques, S aturne, une faux dans la m ain gauche, déploie devant lui, de la m ain droite, un tissu sur lequel on peut voir trois cad ran s solaires. L eur sym bolique com plexe englobe aussi bien les heures que les jo u rs de la sem aine, les m ois de l’année, le jo u r et la nuit, et, enfin, le système des heures et des siècles .des planètes. Selon ce système, le règne de Jan III devait tom b er dans l’ère solaire, l’ère parfaite, la plus proche du Siècle d ’O r de Saturne. U n au tre bas relief, situé au no rd, jo u e un rôle com plém entaire du prem ier, il représen­ te la M o rt sous la form e d ’une vieille fem m e penchée sur le globe terrestre, occupée à arrach er les plum es d ’un petit A m our.

Le lien T em p s— M o rt n ’était pas caractéristique que des oeuvres plastiques. N ous l’observons aussi dans le th éâtre baroque. Les personnifications du T em ps-S aturne, qui sym bolisent le caractère éphém ère et destructible de to utes les valeurs hum aines, sont apparues sur la scène en m êm e tem ps que les personnifications de la M o rt — et parfois, aussi, à côté des personnifications du néant, de la Vanitas. Voici p a r exem ple que dans l’a d a p ta tio n scolaire du Wieczerz wielka króla nad królam i (Souper du R oi des rois, T o ru ń 1687) à l ’acte II, chez le roi cananéen ap p a ra ît la M o rt qui «am use les convives p ar un saut sym bolique, m o n tran t les déclines et les défaites des différents états et conditions des hom m es», m ais dan s la scène suivant, ap p a raît le T em pus qui, en d an sa n t de la m êm e façon,

5 J. B i e l s k i , K ro n ik a p o ls k a M a rcin a B ielsk ieg o (L a C ronique p o lo n a ise de

M . B .). vol. 3, S a n o k 1856, pp. 1 5 1 2 — 1515.

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82 T eresa M ic h a ło w sk a

m ontre «non seulem ent la déchéance des hom m es, m ais aussi celle de toutes choses, des forêts, des villes, des palais, des m ontagnes, des Sept Merveilles du m onde». E n o u tre ap p a raît aussi l’allégorie du M onde qui sym bolise la V a n ita s6.

En 1674, on représenta à Jarosław la pièce de B artłom iej W ąsowski Ludi saeculares Apollini et Temporis, avec des élém ents de ballets dans lequels «le Tem ps arm é d ’une faux, A pollon d ’un arc et de flèches pourchassent dans des filets des alliés qui se réjouissaient d e l’espoir de la victoire et, leur ayant pris leurs arm es, et d ’au tres choses, ils

leur apprennent la dévotion».

Enfin, en cette m êm e année, lors d ’une rep résentatio n à Vilna, de M etanoea triumphans, le T em pus ap p a raît «dans un vêtem ent noir, avec une barbe et un bonnet, p o rta n t une faux et une clepsydre»; en outre, il est stylisée selon le sym bole V anitas, puisque sa barbe et son bonnet, à leur to u r, com posent une rep résentatio n d ’un crâne, d ’une tête de m o r t7.

C itons enfin un co u rt fragm ent d ’une pièce de th éâtre populaire qui fut m onté dans une église le 23 m ars 1663, sous le titre Utarczka krwawię wojującego Boga i Pana Zastępów (Bataille du Dieu et M aître des Légions). P arm i les personnages allégoriques ( l’A m our, le M onde, la C harité, la Justice, la C ru auté), à côté de Jésus, d ’H érode et de Pierre ap p a raît le P écheur qui, à un certain m om ent, rencontre le Tem ps et la M o rt:

L E T E M P S

Il so rt. Il d o it a vo ir dans une m ain un cadran e t dans l ’a u tre une tro m p e tte , et qu an d il p a rle ra , on fra p p era les heures d errière le rid e a u ; il d o it a v o ir une grande perru qu e, une longue b a rb e, ê tr e tou t chenu, habillé d e sa tin e t p o r te r d e s a ile s; il ch an tera d'une voix de b a sse:

V igilate, q u ia n esc itis d iem n eq u e horam . Je te le d is, m a lh eu reu x , qui p ou r ce tte raison M ou rras, tu n'as pas rem arq u é la dernière heure. V igilate serio , q u ia n esc itis diem n eq u e horam .

La M O R T

a rrive e t d it au T em ps:

h J. O k o ń , D r a m a t i te a tr sz k o ln y . S ce n y je z u ic k ie X V I I w. (L e D ra m e et le th éâ tre sc o la ire. S cèn es jé s u ite s au X V I f s .), W ro cła w 1970, pp. 128— 130.

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L ’H o m m e e t le T em ps 83

S o n n e les heures!

Il sonne

J o u e d a n s la tro m p ette un terrible cri de guerre.

Il jo u e d e la trom p ette

Je vais c o m b a ttre le pécheur, il est tem p s de venger D ie u !

P a r la suite, le Pécheur im plore la grâce de la M ort, en vain, car la M o rt est inflexible. La scène se clôture sur le discours du Tem ps:

L E T E M P S

Il d it a u x g en s:

M ors u ltim a linea rerum , U ltim a linea dierum ,

V igilate. quia n escitis diem n eq u e horam .

A lors, on b a isse le rideau e t on jo u e de la m u siq u e. 8

Les images du temps

dans la poésie

C éd an t à la pression des représentations du tem ps qui étaient en vogue, les poètes baroques ont souvent fait appel à des images m ythologico-plastiques en utilisant les m otifs saturniens p o u r expri­ m er l’idée de l’action dévastatrice du «T em pus-D estructor».

Voici un poèm e anonym e consigné dans la deuxièm e m oitié du XVIF siècle, dans W irydarz p o etyc ki {Jardin poétique) de J. T. Trem - becki, «Le Tem ps gâche to u t» :

Le tem p s détruit to u t, d év o re tou t avid em en t. 11 ne souffre rien ici lo n g te m p s, to u t s ’en fuit a u ssitô t. S ’asséch en t les rivages de la m er, les rivières faiblissen t Et les m o n ta g n e s s ’effon d ren t, m êm e les plus hautes.

Je m en tio n n e là bien peu de ch o se . Le Ciel so u d a in Se révèle in cen d ié, et to u tes ch o se s so n t ainsi ép h ém ères. La M ort prend, se lo n son d roit, ce q u ’elle ren con tre, Et q u and viendra le tem p s, to u t c e m o n d e m ourra.

N o u s trouvon s une im age sem blable chez W aclaw Potocki (par

8 D r a m a ty sta r o p o lsk ie (L es D ra m e s de l ’ancienne P o lo g n e), éd. J. L ew ańsk i, v ol. 6, W arszaw a 1963, pp. 31 — 32.

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84 T eresa M ic h a lo w sk a

exemple dans le poèm e Ce que le Temps rencontre, il le ruine), chez Zbigniew M orsztyn qui appelle le tem ps la “co n d am n atio n des ch o ses” (Emblema, 98, v. 7) ou bien chez W espazjan K ochow ski d an s l’oeuvre intitulée P am iątka (Souvenir, 1657).

L ’expression de la puissance destructrice du tem ps é ta it aussi servie p a r les im ages du vieillissem ent d u corps de l’hom m e et p a r des images de ruine. O n co m p arait la vieillesse à l’hiver, elle était «l’hiver d u corps», opposée au «printem ps de la jeunesse». D e telles associations étaient déjà des conventions des poètes de l’A n tiq u ité , c ’est à ceux-ci que les artistes de la R enaissance les avaient reprises (sans être toujo u rs conscients de la voie q u ’em p ru n ta ie n t d an s la psychophysiologie, dans l ’a rt et l’esthétique européens — ces p a r a l­ lèles avec les «décades de la vie»9. O utre les auteurs ro m ain s (Ovide, M étam orphoses, X V ; H orace) c ’est P étrarq u e qui a, d an s ce dom aine, éveillé l’im agination des poètes de la R enaissance. Les im ages de «l’hiver du corps», nous les tro u v o n s chez R o n sard , D u Bellay, S hakespeare — en Pologne, chez K ochanow ski.

En référence, m anifestem ent, à de nom breux en droits des oeuvres de K ochanow ski, les poètes baro q u es (par exem ple Zbigniew M orsztyn, Emblèm es, 29) o n t représenté la vieillesse com m e l’hiver (sur le fond de la succession des saisons).

Les images de ruines ont rem pli un rôle analogue, exprim ant la puissance destructrice du tem ps. C ’était, d ’ordinaire, o u tre des villes, des vestiges de m onum ents, de théâtres, d ’arcs de trio m p h e; de bâtim ents édifiés p o u r com m ém orer des exploits hum ains. D ans les images de ruines se com plaisaient déjà les poètes de la Renaissance q u ’inspiraient — outre les exemples littéraires de l ’A n ti­ quité — les vestiges, vus directem ent, des grandes villes italiennes (exp. D u Bellay, L es Antiquités de R o m e )i°.

A près la célèbre Epitaphe de Rom e («R egarde ces m u rs et, tom bés en ruine, le théâtre, les églises, et les piliers brisés: voilà R om e» — Sęp-Szarzyński, Rythm es, 36, v. 3 —5), les im ages des ruines revinrent souvent chez les p oètes baro q u es ultérieurs, p ar exemple chez Zbigniew M orsztyn ou chez W acław Potocki.

9 C f. E. P a n o f s k y , «T rzy ryciny A lb rech ta D ü rera » (T rois gravures d ’A . D ürer), [dans:] S tu d ia z h isto r ii sz tu k i, W arszaw a 1971.

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L ’H o m m e e t le T em ps 85

La fragilité des édifices des hom m es était mise en évidence dans les Em blèm es de M orsztyn, elle y faisait office de m étap h o re du caractère éphém ère des valeurs hum aines tem porelles.

Les métaphores et les comparaisons poétiques

C epen dan t, les représentations conventionnelles du tem ps n ’étaient pas capables de rendre la p ro b lém atiq u e p h iloso ph iqu e com plexe du tem ps hum ain. Le principal co u ran t de la réflexion poétique se concen trait su rto u t, en effet, a u to u r de la pensée du passage du temps, pensée projetée sur le plan de la vie de -l’individu. La conscience de cet écoulem ent incessant, sans reto ur, du ruisseau du tem ps am enait inexorablem ent à penser à la M ort. Ce m om ent où l’on touche au term e est inconnu de l’ho m m e; la vie hum aine est courte et incertain e; to u t cela o rd o n n e d ’apprécier les joies tem po rel­ les avec la distance qui convient, une distance qui perm ette de distinguer leur vanité. La m o rt constitue le passage vers la form e vraie, spirituelle de l’existence en co n tac t avec D ieu ; la décom position du corps ap rès la m o rt est la preuve irréfutable de l ’insignifiance de l’existence terrestre. Petit, m isérable, désem paré face à D ieu, face à son p ro p re destin, l’hom m e est «seulem ent une om bre, une vaine v a p e u r» 11.

In d épendam m en t du fait que la vie de l’individu soit com prise de m anière objectivisée («l’être hum ain», «l’âge hum ain», «les tem ps de n o tre existence») ou de façon to u t à fait personnelle («mes jours», «mes années», «le tem ps de m a vie»), le tem ps hum ain était to u ­ jo u rs «court et incertain» (par exem ple chez Szarzynski, De la brièveté et de l ’incertitude en ce monde de l ’existence humaine — Sonnet I), il était «petit», «pauvre», «insignifiant», «il n ’est ni sûr ni éternel» (K ochanow ski, Souvenir, Trène V, v. 3). C ette «petitesse» revêtait une éloquence d ra m atiq u e qu an d elle était com parée à la durée étem elle, supratem porelie, de Dieu. Le tem ps hum ain, c ’est «un clignem ent de l’oeil divin» (G rabow ski, S etn ik X X X V , v. 14). Z bigniew M orsztyn a loué la form e divine de l’existence: «O Im m o rtel qui tiens en un m om ent des m illions d ’a n n é e s...» (Em blèm es, 47, v. 15— 16).

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86 T eresa M ic h a ło w sk a

Les réflexions sur l’insignifiance et la brièveté de la vie s ’accom ­ p agnen t de recherches verbales. La poésie baro q u e ab o n d e en com ­ paraisons im agées et en m étaphores qui doivent illustrer la petitesse de l’existence hum aine.

P o u r les poètes m étaphysiques, la vie h u m aine s’associait à des phénom ènes fugitifs, éphém ères; elle était com m e le jo u r : «D e l’aube au soir dure l’h o m m e » 12, «Il ne passera pas le tem ps du jo u r d ’h ie r/N e sera pas plus long q u ’une heure du dern ier soir»!-3, « D ’u n m atin à un soir, tu a u ras réglé m on sort, S e ig n e u r...» !4. Elle était com m e les m o ts: «com m e les m ots d ’un discours», com m e le vol d ’un oiseau: «T out à fait com m e l ’oiseau, q u ’on regarde et perd de v u e » 15.

Les artistes de l’âge m û r de B aroque (W espazjan K ochow ski, D aniel N aborow ski, Z bigniew M orsztyn et d ’autres) on t enrichi les com p araisons et les m étap hores de la fugitivité et se sont plu à les accum uler.

Le tem ps hum ain est com m e la »neige inconstante», «la feuille qui tom b e à l’autom ne», «la molle v an n u re dans le ’vent», «une eau insignifiante», une «fumée», «l’om bre de la nuit», «le songe», «songe et om bre», «vapeur brum euse», «om bre attardée» , «nuage», «bulle d ans l’eau», «flam m e»; il coule com m e le flot, s’envole en un souffle léger, court «com m e le vent», «com m e les nuages», il est «plus rapide que la ronde solaire^.

Ces co m p araisons et ces m étaphores qui se réfèrent à des p h én o ­ m ènes éphém ères, à des objets changeants, tou jo u rs m ou van ts avaient une genèse com plexe. La poésie an tiq u e suggérait des représentations qui s’ap pu yaien t sur les a n th ro p o m o rp h isa tio n s de la m ythologie (exp. H orace, Carmina, I, 11, 7 —8) et sur des associations avec l’eau en m ouvem ent (Ovide, M étam orphoses, XV, v. 179— 181).

A côté de ces représentatio ns app araissaien t des im ages d ’objets fugitifs (homo-bulla) ou de plantes à la végétation de co u rte durée (des fleurs com m e la rose; les feuilles qui to m b en t des arbres).

12 Ibidem , p. 129.

11 S. G r a b o w i e c k i , R y m y duchow ne (L e s P o e sie s religieu ses), K ra k ó w 1893, p. 38.

14 G r o c h o w s k i , op. c it., p. 129. 15 G r a b o w i e c k i , op. c it., p. 38.

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L 'H o m m e e t le T em ps 87 La Bible — à laquelle l’an th ro p o m o rp h isa tio n du tem ps était plu tô t étra n g ère — co m parait plus volontiers la vie h u m aine à des p h én o ­ m ènes n aturels de cou rte durée, elle exposait m oins le m ouvem ent d a n s son sens physique (cours, course) et davantag e son caractère fugitif, éphém ère et variable ; de là, ces associations du tem ps hum ain avec le vent, l’herbe, la fleur des cham ps, l’om bre, le crépuscule, et de nouveau, avec la cendre, la poussière, la fumée.

J o b 14, 1 — 2:

L ’h o m m e né d ’une fem m e! Sa vie est co u rte, sa n s cesse agitée. Il naît, il est c o u p é , c o m m e une fleur. Il fuit et d isp araît c o m m e une om bre.

P saum es, 103, 15 — 16 :

L ’h o m m e ! Ses jo u r s so n t c o m m e l’herbe, Il fleurit c o m m e la fleur d es ch a m p s. L o r sq u ’un ven t passe sur elle, elle n'est plus. E t le lieu q u ’elle o ccu p a it ne la r eco n n a ît plus.

En ce dom aine, des preuves évidentes d ’une soum ission aux sug­ gestions de l’A ntiq uité aussi bien q u ’à celles de la Bible peuvent être trouvées dans la poésie de la R enaissance polonaise, su rto u t d ans les oeuvres (en latin et en polonais) de K ochanow ski. Les artistes baroques trouvaient cepend ant plus fam iliers les sym boles (du changem ent, de l’éphém ère et de l’insignifiance de la vie) que leur suggérait la Bible. Ce sont ceux-ci — et no n le «cours du tem ps ailé» ni m êm e le «flot du tem ps» — qui d o m inen t dans leurs im agi­ nations.

Q u ’il ne s’agisse pas d ’une inclination accidentelle cela sem ble attesté aussi bien p ar la poésie européenne que p a r les arts plasti­ ques de cette époque. O n décèle une récurrence frap p an te de telles im ages dans la poésie lyrique du B aroque français où p o u r exprim er l’idée de l’écoulem ent de la vie hum aine, de la vanité de cette vie, on se sert de m étaphores et de co m p araisons où l’hom m e est com m e une bulle de savon (homo-bulla), com m e 1# flam m e d ’une bougie, com m e un nuage, un souffle de vent, com m e la neige, com m e l’oiseau |f). Line réflexion an th ro p o lo g iq u e pessim iste se cachait aussi

16 C f. J. R o u s s e t , A n th o lo g ie de la p o é s ie b a ro q u e fra n ç a ise , Paris 1961; M . S t r z a ł k o w a , Francuska liry k a b a ro k o w a (L a P o é sie lyriq u e fra n ç a ise au tem p s

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88 T eresa M ic h a ło w sk a

derrière les appréhen sions pictu rales de ces objets fugitifs eux-mêm es ou d ’objets sim ilaires. Sur une estam pe de G o ltiu s de 1954, un putto, assis sur une tête de m ort, souffle des bulles de savon, et l’inscrip­ tion proclam e l’insignifiance de la vie hum aine. U n rôle analogue était tenu p ar la bougie qui se consum e, p ar la lam pe, l’horloge, la clepsydre, la fleur, le m ir o ir 1-7.

Le Temps, la Mort et la Vanité

D ans la poésie baroqu e, les réflexions sur le tem ps s ’acco m p a­ gnent des idées M ors et V anitas. D a n s la philosophie de l’hom m e d ’alors, ces idées se com posaient d ’une to talité conceptuelle spéci­ fique. En a rt e t en littératu re, elles s’exprim aient p a r des symboles, des allégories sim ilaires et parfois m êm e p a r les m êm es symboles, les m êm es allégories. L ’union des idées de tem ps, de m o rt et de vanité est frap p an te dans différents dom aines de la cu lture polonaise du X V IF siècle. N o u s avons a ttiré l’atten tio n , précédem m ent, sur l’a p p a ritio n sim ultanée des personnifications du Tem ps et de la M ort dans les spectacles de th éâtre et de p arath éâtre . A jo u to n s q u e des phénom ènes sem blables sont relevés dans l ’histoire de la peinture, sur­ to u t de la peintu re sacrée. A insi dans la célèbre «R o nde de la M o rt» représentée sur un tableau p ro v en an t du couvent des A ugustins à C ra- covie ap p a ra ît — à côté d ’une inscription qui o rd o n n e de se souvenir to u jo u rs de la fin de la vie — la tête d ’un viellard b arb u sur fond d ’ailes, tête d ans laquelle on p eut facilem ent recon naître une in carn a­ tion du T em ps-S aturne. A u-dessus de la ronde, on voit une clepsydre (sym bole du tem ps et de l’écoulem ent) et d an s les personnages fém i­ nins accroupis à l ’arrière plan du tableau , on reco n n aît les allégories du Jo u r et de la N uit, qui so nt égalem ent des sym boles du tem ps. «Ces personnifications — assure l’historien d ’a rt — exprim ent la brièveté de la vie, c a r le co u rs rapide du jo u r et de la n u it ra p p ro ch e l’hom m e, insensiblem ent, du term e de sa v ie » .18 D e m êm e, d an s la

17 B i a ł o s t o c k i , op. c it., pp. 1 1 7 — 119.

18 J. S z a b ł o w s k i , «Z e stu d ió w nad ik o n o g ra fią śm ierci w m a la rstw ie p o lsk im X V II w .» (E tudes sur l ’ic o n o g r a p h ie de la m ort d a n s la p ein tu re p o lo n a is e au X V I F s.), P r z e g lą d P o ls k i, 1934, n o . 6 01, p. 90.

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L ’H o m m e e t le T em ps 89 poésie de cette époque, la pensée du passage rapide de la vie, de la puis­ sance destructrice du tem ps conduit à la conviction de l ’insignifiance de to u t ce qui est terrestre et tem porel, et ord o n n e d ’apprécier le sens de l’èxistence hum aine dans la perspective de sa fin inéluctable.

C ette interdépendance a été m ontrée p ar H ieronim M orsztyn dans un poèm e qui a été conservé sous deux versions: l ’une plus courte, intitulée Czas {Le Temps), l’au tre plus longue intitulée Odmiana {Le Changement).

Pleine de rém iniscences littéraires (surto ut d ’échos de la poésie de K ochanow sk i et d ’H orace), cette oeuvre p arle de l’écoulem ent du tem ps, à travers des images traditionnelles (personnifications du tem ps, l’h o rlo g e qui bat, le j o u r — la nuit, le re to u r des sa iso n s...), illustre la dialectique incessante de la vie et de la m o rt (v. 3 — 4) ainsi que l’inutilité d ’efforts entrepris p o u r acqu érir des biens tem porels (v. 5 - 8 )

La m ention de la m o rt — «Celui qui la ren con tre périt en un clin d ’oeil» (v. 9 — 10) — appelle des associations avec les personnifi­ cations popularisées p ar les danses m acabres du M oyen-Age.

L a M o r t . L ’iconographie de la m ort, qui façonne l’im aginaire des artistes baroques, procéd ait de la mêm e trad itio n . A ux XIVe et XVe siècles, les personnifications de la M o rt servaient à exprim er l’idée de vanitas, des réflexions sur la fuite du tem ps. D ans l’art eu ro p éen de cette époque, elles revêtaient des form es diverses: le ca­ valier de l’A pocalypse lancé au galop, les mégères aux ailes de chauves-souris et, enfin, le squelette à la faux, le cadavre. Ces d er­ nières in carnation s, qui app araissaien t d ans les «danses de la m ort», d o m in aien t l’a rt religieux d ’alors. A la R enaissance, les visions m a­ cabres de la m ort furent supplantées p ar une sym bolique sém antique com plexe, renvoyant a u ta n t à l’idée de vanitas q u ’à celle du tem ps (m iroir, im ages de vieillesse, horloge, arb re qui perd ses feuilles, flam m e sur le déclin, e t c .) I9. L ’époque b aro q u e a rendu aux personni­ fications m édiévales leur p o p u larité prem ière, elle était l’épo qu e d ’une violente poussée de la p roblém atiqu e de la m o rt, d ans tous les dom aines

|y J. H u i z i n g a , Jesień śre d n io w ie c za (H e r fs ttij d er M id d e le eu w en ), W arszaw a 1961, pp. 176— 192; J. M . C l a r k . The D an ce o f D ea th in the M id d le A ges a n d the

R e n a issa n ce, G la sg o w 1950; C h. M a r t i n e a u - G é n i e y s , L e Thèm e d e la M o r t dans la p o é s ie fra n ça ise de 1 4 5 0 — 1550, P aris 1978; B i a ł o s t o c k i , op. cit.

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90 T eresa M ic h a ło w sk a

de la c u ltu re 20. Ce re to u r au fantastique et aux représentation s m a ­ cabres du M oyen-A ge n ’était pas accidentel: il d én o tait une recherche consciente dans ses sources d ’inspiration. Le squelette, le crâne, le tibia, le cadavre en décom position étaient devenus les signes les plus sim ples de la m ort, évocateurs de pensées d u r le caractère passager des valeurs tem porelles, sur l’insignifiance et la brièveté de l’existence hum aine. Ils su rsaturaient l’im agination d ’alors, p én é tran t aussi les oeuvres d ’a rt qui n ’avaient pas de ra p p o rt avec une th ém atiq u e religieuse. L ’intérêt — souvent obsessionnel — p o u r le squelette, le co rp s m o rt, les cadavres en décom position, les fragm ents an atom iques du co rp s sont d ’ailleurs vus p ar C hastel dans un to u t au tre aspect de la cu lture eu ropéenne des XVIe et XVIIe siècles: C hastel aperçoit un lien entre ces goûts en a rt et le développem ent des sciences naturelles, des sciences m édicales surtou t, et donc de l’anatom ie. La fascination devant le m icrocosm e du corps hum ain, d evant sa structure biologique trou vait un exutoire dans les allégories et les sym boles de l’art baro qu e.

L ’histoire des coutum es polonaises d én ote un accroissem ent de l’intérêt m anifesté p o u r les fêtes funèbres au X V If siècle et d ans la prem ière m oitié du X V IIIe siècle. D es funérailles de plusieurs jou rs, arrangées su rto u t dans les familles de m agnats étaien t assorties de form es visuelles (castra doloris, processions) d an s lesquelles les sym boles du tem ps jo u a ie n t un rôle re m a rq u a b le 21. A u to u r d ’eux n aquit une littératu re de circonstances (epicedia, épitaphes, nenies, trènes, lam entations, discours funèbres) qui était naturellem ent im prégnée du thèm e de la m o rt, thèm e lié de plus en plus souvent — m algré les conventions de ces genres (de consolatio n et d ’éloge) — à la pensée de l’insignifiance de la vie et du passage irréversible du temps.

D ans l’art sacré polonais, l’intensité des m otifs m acabres survint dans les années 1630— 1680. C ’est alors q u ’on vit ren aître l’ico n o ­ graphie de la danse et du trio m phe de la m ort, c ’est alors q u ’a p p a ru t la «ronde de la m ort» (par analogie avec les «rondes de la vie», «roue de la F ortune» antérieures populaires en E uro p e); le squelette, le cadavre, le crâne, les visions du Jugem ent D ernier et de l’enfer

20 A . C h a s t e l , «L e B aroqu e et la M o rt» , [dans:] R e tto ric a e B arocco, R o m a 1955; J. R o u s s e t , L a L itté r a tu re de l ’âge b a ro q u e en France. C irce e t le P aon, Paris 1954, pp. 8 1 — 116.

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L ’H o m m e e t le T em ps 91 devaient rapp eler sans cesse la m enace du châtim ent, la brièveté et la vanité de la vie. L ’im age de la M o rt régnant sur tous les états, fauchant to u t le m onde, aussi bien le pape, le roi que le pauvre paysan, tel était le thèm e dom in an t. M ais à côté ap p a ru t un co u ran t de représentatio ns natu ralistes de la décom position du corps. U ne toile d ’un m aître inconnu, d ans l’église des V isitandines à C racovie, avec une m inutie ex tra o rd in aire m o n tre un cadavre hum ain attaq u é p a r des vers, des serpents, des grenouilles, des souris et des rats. O n peut tro u v er une scène sem blable dans l’église paroissiale de K ro s n o 22. D e telles oeuvres devaient éveiller un sentim ent d ’horreur, de terreur, illustrer les m ystères effrayants de cette m o rt du corps qui ne m érite que le plus p ro fo n d m épris, et inciter à la réflexion sur l ’insignifiance, la fugitivité des valeurs tem porelles.

Le p en d a n t littéraire de ces tendances, c ’était des oeuvres de m édi­ ta tio n sur la m ort, des serm ons et des traités. A l’exemple des m éditatio n s d ’Ignace de Loyola, le législateur de l’o rd re des Jésuites, ou de saint F rançois de Sales, sont ap p aru es de nom breuses consi­ dératio n s su r la m o rt, ainsi que des artes moriendi, p a r exemple: L ’art du bon et de l ’hereux mourir (1675) ou bien le traité, plus tard if, de Fryczkiew icz L es trois belles façons de se préparer une bonne m ort (1758).

D ans la poésie b aro q u e, la pensée de la m ort était le plus souvent associée, de façon n aturelle, à des réflexions sur le tem ps; l ’intensité de ces m otifs, nous l’ob servons su rto u t — si l’on excepte la littérature funèbre de circonstances, la littératu re de m éditation, la littérature religieuse — au d ébut du B aroque (chez ceux q u ’on a appelés les «poètes m étaphysiques», ainsi que chez les ch an tres de «plaisirs du m o n d e» )25. O n l’observe ensuite, au déclin de l’époque, dans les oeuvres des épigones. D ’ailleurs, presque tous les artistes du b a ro q u e cédèrent souvent à l ’obsession de la m o rt et des images m aca b res; c ’est le cas notam m en t de W espazjan K ochow ski, de Z bigniew M orsztyn, de W aclaw P otocki, de Jan A ndrzej M orsztyn, de S. H . L ubom irski.

D a n s le répertoire, riche et com plexe, des im ages convention- nalisées de la m ort, associées aux idées du tem ps et du néant, on

22 C f. S z a b ł o w s k i , op. c it., pp. 85, 92.

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92 T eresa M ic h a ło w sk a

trouve égalem ent des m ythologism es et des «antiqu isatio ns» qui pui­ sent directem ent leurs sources dans la trad itio n de la R enaissance, ainsi que des allégories qui ont tra it aux «danses de la m o rt» du M oyen-A ge et qui sont im prégnées du m acabre caractéristiq u e du baroque.

La M ort était donc symbolisée p a r les P arqu es; ce m o tif se retrouve aussi dans l’art sacré de cette é p o q u e 24 et d an s la poésie (par exemple chez K ochow ski).

L ’idée de la m o rt po uv ait être servie p ar les m étap ho res de la «descente sous terre», du passage aux «palais so uterrains» (par exem ple chez Zbigniew M orsztyn).

C ependant, ce qui dom ine de façon décisive, ce sont les images nées de l’esprit du m acabre B aroque. F aisan t suite à la trad itio n des «danses de la m ort» du M oyen-A ge, selon des suggestions de la pein­ ture sacrée de l’époque, les oeuvres des poètes de la m atu rité du baroque font ap p a ra ître le personnage à la faux, qui fauche les gens de toutes conditions.

C hez K ochow ski, nous distinguons une ten tative m aladroite d ’union de la vision du M oyen-A ge et de la m ythologie. C ’est Libityna {Souvenir, Trène 5) qui occupe la place du squelette à la faux.

Les poètes du B aroque n ’ont pas été fascinés que p ar le caractère inéluctable et universel de la m o rt. Le seuil sur lequel l’âm e se dis­ sociait du corps était, en m êm e tem ps, le début de la d ou ble destinée ultérieure de l’hom m e. L ’âm e accom plissait sa ro u te vers les sphères extraterrestres p o u r connaître, dans une au tre dim ension spatiale, la récom pense éternelle ou le châtim ent de la dam n atio n . Elle échappait ainsi au pouvoir du tem ps terrestre. Sur les tableaux de cette époque, on peut suivre ce voyage, indiqué p lastiquem ent com m e une ascension de l’â m e 25. En poésie, on co nsacra beaucoup d ’atten tio n à la d e­ scription du lieu du séjour des m orts (on voit revenir les images du ciel ou de l’enfer et des peines éternelles — ainsi, chez K. Bolesla- wiusz — du ju gem ent dernier etc.). M ais sur ce seuil que co nstituait la m ort, com m ençait aussi le processus de la décom position du corps. En s ’anéan tissant dans la terre, le corps tém oignait de l’action destructrice du tem ps. Les poètes baroq ues rivalisèrent dans l’accum ulatio n de

24 S z a b ł o w s k i , op. c it., p. 89. 23 L.c.

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L ’H o m m e e t le T em ps 93

l’horreur. Ils se com plaisaient dans les scènes horrifiantes. Ces des­ criptions qui reviennent de façon obsessionnelle doivent être l’expression du m épris p o u r le corps, un m épris qui provient du sentim ent de l ’insignifiance de la destinée tem porelle de l ’individu.

T o u t com m e d ’au tres poètes, H ieronim M orsztyn a souligné le co n tra ste qui existait entre «les voluptés du m onde» et l’abjection du corps après la m ort (par exem ple dans le poèm e Vanitas).

A la beauté du corps vivant, il o pp o sait la laideur du cadavre; à la m aison raffinée du riche — le cercueil é tro it; aux serviteurs de sa m aisonnée — la verm ine qui se rep ait du co rp s; aux habits d ’étoffes précieuses — le haillon pourissant.

K. Boleslawiusz dans les «Myśli bliskiego śm ierci św iatow nika» (Les réflexions d ’un m on dain sur la m o rt p ro c h e 26) a ajo u té à l’image stéréotypée de la décom position du corps les sym boles du passage du tem ps: le jo u r finissant, la bougie qui se consum e, «l’horloge qui s’écoule» (la clepsydre), le fil de la vie dévidé p a r les Parques.

Les sym boles de ce passage qui, dans la poésie b aro qu e, s’associent si facilem ent avec les em blèm es de la m ort, servaient en même tem ps, de façon plus ou m oins directe, à illustrer le n éant de la vie.

L e n é a n t . L ’idée de vanitas avait — ainsi que l’a prouvé, dans une étude rem arquable, Jan B iałostocki27 — une genèse double: la Bible et l’A ntiquité. La form ule de l’Ecclésiaste vanitas vanitatum et omnia vanitas était particulièrem ent proche de la conception du m onde du M oyen-A ge. L ’existence terrestre avait p erdu to u te valeur et la m ort n ’était que le passage — désiré — de l’âm e à une form e d ’existence véritable, proche de l’éternité divine. C hez les A nciens, la conscience du caractère inéluctable de la m ort avait développé deux positions extrêm es: l’une hédoniste (par exem ple chez H orace), l ’au tre stoïcienne, qui p roclam ait la possibilité de su rm o n ter la crainte de la fin de la vie. En m êm e tem ps, on ch erchait une façon de p ro lo ng er l’existence hum aine et on la trouv ait dans le fait de subsister dans le souvenir des descendants (c’est, p ar exemple, le m o tif de la gloire p o étiq u e)28. La Renaissance, fortem ent liée à ces trad itio n s intellectuelles, s’est

2(1 (D a n s:] P rze ra źliw e echo trą b y o sta te c zn e j, K ra k ó w 1674. 27 B i a ł o s t o c k i , op. c it., pp. 1 0 5 — 107.

2H C f. F. J a n k o v s k y , L a G loire dans la p o é s ie fra n ç a ise e t n éolatin e du

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94 T eresa M ic h a ło w sk a

efforcée de sauver la valeur du tem ps do nné à l’hom m e, en affirm ant le «m aintenant» terrestre.

D ans la culture du B aroque s’est p ro d u it un reto u r à l ’in te rp ré ­ tatio n biblico-m édiévale de l’idée vanitas. N o us en tro u v o n s déjà les traces dans la poésie de H ieronim M orsztyn (dans le poèm e Vanitas vanitatum et omnia vanitas).

De telles pensées reviennent m aintes fois chez ce poète, aussi bien dans Św iatowa rozkosz f L e plaisir du monde) que d an s son Sum ariusz (Som m e — « N o n licet plus affere quam intuleris», «S ur le m êm e sujet», «Le C hangem ent», «M ors ultim a linea rerum »). A u chapitre I de VEcclésiaste, sous le titre «V anitas v an itatu m et om nia vanitas — dixit Ecclesiastes», S. H . L ubom irski conteste, en p a ra p h ra ­ sant les versets de la Bible, to utes les valeurs du m onde.

«Vanité» sont aussi, selon lui, les p rétention s de l ’ho m m e à la connaissance. Ce «plaisir du m alin et du tro p curieux» n ’est au fond, q u ’une form e du divertissem ent que D ieu a suggéré aux hom m es.

Le m onde et ses plaisirs — c ’est la «vanité des vanités»; la passion de connaissance de la réalité — c ’est un divertissem ent. La vie — c ’est une courte pièce de th éâtre où chaque acteu r jo u e le rôle qui lui échoit (H. M orsztyn).

Ces réflexions m oroses sont accom pagnées, dans la poésie b aro q u e, des sym boles vanitas q u ’on renco n tre d ’h ab itud e dans des oeuvres plastiques de cette epoque en peinture su rto u t: la fleur, le m iro ir; et à côté de ces sym boles, il y a l’horloge, la bougie qui se consum e, la nuit-le jo u r et beaucou p d ’au tres sym boles qui se ra p ­ p o rten t au passage du tem ps et à la m ort.

La pensée baroque face à la tradition

de la Renaissance

R evenons, p o u r finir, à nos considération s initiales. La p ro b lém a­ tique du tem ps qui, av ait évolué en philosophie et d an s les sciences exactes, avait été soum ise à des changem ents dans son aspect an thro po logiqu e, p laçait l’hom m e, invariablem ent, en face des m êm es principes: le caractère irréversible du cours de la vie, la dialectique perm anen te du «passé», du «présent» et de l’«avenir», le caractère inéluctable de la m ort. Ces principes contrastaien t avec la récurrence

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L ’H o m m e e t le T em ps 95 cyclique des phénom ènes naturels. R évolutionnée p ar les physiciens et les philosophes du XVIIe siècle, la théorie du tem ps n ’avait pas désactualisé ces facteurs traditionnels de la pensée hum aine. Il en fut au trem en t avec la découverte de l ’infini, qui a bouleversé la vision, qui d om in ait encore à la R enaissance, d ’un cosm os fermé, et cela a été la cause d ’un to u rn a n t im p o rtan t dans l’anthrop olog ie et dans l’art du baroque, oppo san t l’hom m e, l’individu à l’espace infini du m onde.

Et p o u rta n t, m algré l’actualité incessante de questions to ujo u rs renouvelées, m algré la perm anence de certains aspects de la réflexion sur le tem ps, m algré, enfin, la persistance, dans la cu ltu re européenne, des représentations m ythologiques traditionnelles — plastiques ou lit­ téraires — des représentations dont l’arrière-fon d était soit antique, soit biblico-chrétien, m algré cela le b aro q u e a créé une conception anth ro lo g iq u e du tem ps to u t à fait différente de celle de la R enaissance.

A la R enaissance, la conscience de l’écoulem ent du tem ps et du caractère inexorable de la m o rt avait am ené à une réflexion sur le tem ps qui n ’excluait pas q u ’on essaie de su rm o n ter la puissance destructrice du tem ps (qu’on pense seulem ent aux m otifs de l’éternité et de la gloire poétique, de la Veritas filia temporis, du «tem ps- -m édecin»). Elle n ’excluait pas davantage les affirm ations de la vie, du «m aintenant» hum ain. Bien plus: d ans l’hum anism e et le néo­ platonism e s’est fondée la conviction de la g ra n d eu r et de la dignité de l’individu.

A l’époque baroque, la conscience de la fuite du tem ps hum ain • a suscité des positions to u t à fait différentes, qui étaient to talem ent im pliquées dans la culture — bien changeante — de l’E urope d ’alors. U n pessim ism e oppressant, qui venait du sentim ent de cette fuite du tem ps, a condu it non seulem ent à une m éditation sur la vanitas, mais aussi à une con tem platio n fascinée de la m ort, qui n ’est guère com préhensible p o u r l’hom m e d ’a u jo u rd ’hui. O n voit ap p a raître la pensée de la petitesse infinie de l’individu hum ain , de cet individu désem paré devant l ’im m ensité du cosm os et le flot incessant du tem ps. C ette pensée p ouv ait p ro venir de sources diverses: soit de la connaissance et de l’expérience des secrets de la nature, qui fru cti­ fiaient dans la philosophie d ’alors sous form e d ’oeuvres à l’exem ple des Pensées de Pascal, soit de prém isses culturelles qui se dessinèrent en Europe après le concile de T rente, suscitant une vague de religio­

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96 T eresa M ie h a lo w sk a

sité dévote, une atm o sp h ère d ’épouvante, ainsi q u ’un raz de m arée de m acabre dans l’a rt et dans les coutum es d ’alors. L ’hom m e était donc un «roseau vacillant au vent» ou bien une «poussière qui devait re to u rn er en poussière».

D ans la poésie b aro q u e polonaise, la p ro b lém atiq u e du tem ps — nous l’avons vu — se co ncen trait a u to u r des problèm es hum ain s et m enait à une position de négation de la vie, à la pensée du néant, et, enfin, à des considérations m oroses sur la m ort, vue à travers le prism e d ’allégories et de sym boles m acabres. La fuite d u tem ps et la m ort devaient con stitu er le critère principal des valeurs de l’existence tem porelle. L ’hom m e s ’avérait «om bre et vap eur vaine», no n tan t vis-à-vis de la n a tu re illimitée q ue vis-à-vis de la g ra n d eu r de Dieu. D ans un tel contexte, et face à l’inéluctable dévastatio n du «tem ps- -destructeur» et de la m o rt qui suivait celle-ci, m êm e la gloire s’avérait illusion et néant.

Les tentatives p o u r sauver la diginité de l'ho m m e ne pouvaient se faire que dans une prise de conscience de son principe spirituel, prise de conscience qui découlait d ’une attitu d e religieuse.

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