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Anatomie des voyages du comte Jan Potocki

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Janusz Ryba

Anatomie des voyages du comte Jan

Potocki

Literary Studies in Poland 22, 31-55

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PL ISSN 0137-4192

Jan usz R yba

A natom ie des voyages

du com te Jan Potocki

Itinéraires parcourus

Le Siècle des Lum ières était une épo qu e de g ran d e m ob ilité; il est perm is de dire que le tourism e m o derne y plonge ses racines. C ’était un siècle riche de g rands no m ad es; or, Jean P oto cki (1761-1815) était de la race. A sa qualité d ’écrivain de génie — o n lui doit

Rękopis znaleziony h* Saragossie (Le M anuscrit trouvé à Saragosse) —

il alliait celle d ’un savant aux centres d 'in térêt m ultiples, qui se faisait, to u r à to u r, slavisant, orientaliste, archéologue, ethn o g rap h e. R etracer la carte de ses voyages nous paraît le m eilleur m oyen de m esurer l'élan de son «tourism e» et la perm anence de sa m obilité.

C'est de b onne heure — à l’âge de 13 ans, en 1774 — que P otocki q u itta la Pologne. Le peu que nous savons sur cette époq ue de sa vie s’éclaire d ’une esquisse inachevée, la plus riche p o u rta n t de renseignem ents sur l’a u te u r du M a n u sc rit..., d ue à la plum e de sa seconde épouse K o n stan cja née P otock a, en secondes noces R aczyń­ s k a 1. Elle n ous ap p ren d que, parti en 1774 p o u r la Suisse, P o tocki y suivit une éd u c atio n p en d an t 4 ans. En 1778, il vient à V ienne où il entre dans une école m ilitaire. La capitale de l’A utriche était à l'époque le séjour fréquent de ses parents.

Au déclenchem ent de la guerre au stro -p ru sien n e p o u r la succes­ sion bavaroise, en jan v ier 1778, P otocki prend le parti de s’engager dans l’arm ée autrichienne. Il y parvient, en dépit des réticences de ses

1 Le tém oignage de K onstancja Raczyńska sur Jan Potocki a été publiée par M. E. Ż ó ł t o w s k a , «Jan Potocki w oczach żony: nie dokończony szkic biograficzny» (J. P. vu par son épouse: esquisse biographique inachevé), Wiek Oświecenia. 1975, no 3.

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parents et su rto u t de sa mère. M ais cette cam pagne fut loin de com bler ses rêves de hauts faits d’arm es, ayant dégénéré en farce à la faveur des m anoeuvres et des louvoiem ents déployés p a r les hauts com m andem ents p o u r éviter l’affrontem ent. Et, de plus, les troupes s'étant p ar tro p ab o n d a m m e n t nourries de pom m es de terre, la guerre passa d an s l’histoire com m e «guerre des patates». Elle ne fit d’ailleurs pas long feu, s’étan t conclue par une paix signée en mai 1779. Affecté à B uda, P otocki y m ène une vie m o n o to n e de garnison, nullem ent à sa convenance, aussi, au b out d ’un an, d o nne-t-il sa dém ission. A la m i-m ai 1780, le voici p artir en un prem ier voyage conçu avec élan, qui le con duit en Italie et en Sicile, à M alte et ju sq u ’à l'Afrique. Il y visite T unis avec l’île de D jerb a ainsi que T ripoli. A M alte, il découvre la M éditerran ée en p artic ip a n t à des expéditions navales co n tre des corsaires m usulm ans.

En 1781. P otocki visite l’Espagne. Deux ans plus tard , il explore les an tiquités hongroises et serbes. Dès le d ébu t de 1784, il entrep ren d un nouveau voyage qui le mène, cette fois, en T u rq u ie et en Egypte. Il gagna la T u rq u ie par la M er N oire, ce qui lui perm it de visiter les pays riverains de cette mer. Son séjour en T urq u ie se lim ita à C o n stan tin o p le q u ’il visita fort en détail, d u ra n t to u t un m ois. De la capitale de l’em pire o tto m a n , il se rendit en Egypte, en visitant en chem in des îles de la M er Egée. En E gypte son itinéraire était le suivant: d ’A lexandrie où il d éb a rq u a, il se rendit à R osette d ’où il gagna le C aire en re m o n ta n t le Nil. A p artir du C aire, il faisait de nom breuses excursions, entre autres vers les pyram ides. Son chem in du re to u r suivit le m êm e itinéraire. A A lexandrie, il s’em b a rq u a sur un b ateau se re n d an t à Venise. En chem in, il visita la côte d alm atin e et gagna Venise le 2 novem bre 1784. N ous savons peu sur ce q u ’il faisait après, sauf que de Venise, il se rendit à Velletri, localité située en Italie centrale où il visita un musée des antiquités, p ro p riété des Borgia. Puis, il re n tra en Pologne. Sans po uvo ir préciser l’itin éraire de son chem in du reto ur, nous ne pouvons que présum er qu'il m enait p ar Vienne.

Le 29 avril 1785, P otocki épo usa Ju lia L ub om irska, fille de Stanislaw , g rand m aréchal de la C o u ro n n e, et d ’E lzbieta née C zarto - ryska bien en vue d ans la h au te société européenne. A ussitôt ap rès le m ariage, il p art p our Paris. F in novem bre, sa belle-m ère l’v rejoint après avoir fait un voyage en Italie. Sa femme fait égalem ent un

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séjour à P aris où Potocki mène d ’intenses études scientifiques d o n t il se divertit en voyageant. E n ao û t-se p te m b re 1786, il p arco u rt l’Italie. En septem b re 1787, il se rend en H ollan de p o u r scruter la révolution qui vient d ’y éclater, ce qui le d éto u rn e m om entaném en t de son projet initial d ’aller en A ngleterre, q u ’il m ettra à exécution à la fin de l’auto m n e. Ceci n’épuise p o u rta n t pas le registre des voyages que l'au teu r du M anuscrit trouvé à Saragosse fit en 1787. Il convient de le com pléter p ar son séjour à Vienne et à Spa, avec sa mère.

En jan v ier 1788, P otocki q u itta P aris à d estin atio n de la P o ­ logne, en faisant une halte à Vienne. D éb u t avril, il est déjà à Varsovie. A ussitôt ren tré, il se lance d ans la vie politique en o u v ra n t une violente cam pagn e co n tre la P russe q u ’il accuse de préparer une agression co n tre la Pologne. D a n s le co u ran t du m êm e mois, il p art p our la G ra n d e Pologne, province avoisinante de la Prusse, p o u r en cerner les problèm es et palper les réalités. En mai il est déjà de re to u r à V arsovie. Sur d em and e du roi qui, angoissé par la violence de sa cam p ag n e antiprussienne, cherche à l’éloigner de Varsovie, il se voit inviter p ar un au tre P otocki, Szczęsny, à Tulczyn en U kraine. Il y va, mais renonce vite au voyage et rebrousse chem in loin de l’U kraine. D e Varsovie, il se rend une nouvelle fois en G ra n d e Pologne et se fait élire, p ar la diétine de S roda, dépu té du p alatin at voiVodie) de P o znan à la diète qui allait se réunir à V arsovie en o cto b re 1788. Les devoirs de p arlem entaire lim itent quelque peu la m obilité de P otocki, d ésorm ais astreint au séjour dans la capitale. Il se rendit q u a n d même, en septem bre à Berlin «où il était reçu avec force civilité par sa M ajesté le ro i» 2. Le 14 m ai 1790 il fait à Varsovie l’u n des plus excentriques exploits de sa vie: avec Jean -P au l B lanchard, il effectue une ascension en ballon, en com pagnie de son valet tu rc favori, Ibrahim , et d ’un caniche. Cet exploit fait m o nter sa cote dans la hau te société de Varsovie.

En août 1790, P otocki ab a n d o n n e subitem ent sa charge p arle­ m entaire et q u itte la Pologne. Il s’installe à Paris p ou r un séjour de quelqu e durée, puis, part p o u r M adrid q u ’il gagne en m ars 1791 pour se rem ettre en chem in à la fin de mai. Ju sq u ’à la fin de juin, il

2 Un «canard» en date du 4 novembre 1788; cité après: W. S m o l e ń s k i , «Publicyści anonim ow i z końca wieku XV III» (Les publicistes anonym es de la fin du XVIIIe s.). Przegląd H istoryczny, 1912, vol. XIV, p. 209.

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p arco u rt le sud de l’E spagne et, en juillet, s’em b arq u e p o u r le M aroc. L’idée de visiter l’em pire m aro cain lui vint dans la cap itale espagnole où il se lia d ’am itié avec B in-O tm an, am b assad eu r du M aroc. Celui- -ci le m unit d ’une lettre de re co m m an d atio n à l’em pereur d u M aroc, M oulaï-Jezida, ce qui le mit en d ro it de faire ce voyage. C ’est que les voyageurs privés n’étaient pas à l’ép o qu e adm is au M aroc. Le voyage en privé d ’un E uro p éen sans escorte n’y était guère possible en raiso n des plus hau ts risques de la p art des trib u s qui peuplaient le pays; or, le d ro it d’escorte ne revenait q u ’aux re p résen tan ts officiels des puissances étrangères. P otocki s’y ren dit en privé, ce q u ’il souligne n o n sans quelque fierté dans son co m p te re n d u de voyage:

D ’ailleurs, je suis le premier étranger qui soit venu dans ce pays-ci avec la simple qualité de voyageur3.

Il d é b a rq u a près de T éto u a n le 2 juillet 1791. C ’est dan s cette ville q u ’il lui fallut a tte n d re la réponse de l’em pereur au q u el le caïd de T éto u a n expédia la lettre de re co m m an d atio n d o n t P o to ck i avait été m uni par B in-O tm an. La réponse, favorable, lui in d iq u ait de se rendre à Sale où une audience lui était assignée. Le voyageur se vit accorder une escorte de 50 hom m es à sa charge, et re co m m an d er de se jo in d re à celle de l’am b assa d eu r de Suède, en ro u te égalem ent p o u r Sale. La prem ière audience lui fut accordée le 2 a o û t 1791; elle fut suivie d ’une seconde à Sale le 4 ao û t, et d ’une troisièm e, le 13 a o û t à Larache. Le chem in du re to u r e m p ru n ta it le m êm e itinéraire. Le 17 ao ût, P otocki g agna T anger, p o rt sur le d étro it de G ib ra lta r, d ’où il mit le cap sur C adix. La traversée d u ra une q uinzaine d ’heures.

3 J. P o t o c k i , «V oyage dans l’Empire de M aroc, fait en l’année 1791. Suivi du Voyage de Hafez, récit oriental», [dan s:] Voyages, éd. D. Beauvois, vol. 1, Paris 1980, p. 181. Ce com pte rendu de voyage sera plus loin signalé sous le sigle de VM . Egalement les citations des com ptes rendus des voyages en Turquie e t^ n Egypte, en H ollande et dans le Caucase, proviennent de cette édition-là. Ces com ptes rendus seront dans la suite marqués par les sigles suivants: VTE — Voyage en Turquie et en Egypte; VH — V oyage en H ollande; VAC — Voyage dans les steppes d’Astrakhan et du Caucase. Aux citations de passages du com pte rendu du Voyage au M aroc, empruntées à l’édition de D. Beauvois, nous avons introduit des m odifications mineures en nous fondant sur l’editio princeps de cette relation, de 1792, notre impression ayant été que l’éditeur avait quelquefois pris trop des libertés avec le texte de cette édition-là (préparée par l’auteur lui-même).

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Ce ra p id e passage de l’univers d ’une civilisation islam ique à celui de la civilisation chrétienne lui fit de l’effet. Ce C adix, p ar voie de m er, il se ren dit à L isbonne d ’où il s’em b a rq u a p o u r Londres. D ’A ngleterre, il se dirigea en F ran c e et d é b a rq u a à P aris en novem bre 1791. C ’est lors de ce séjour-là q u ’il p ro n o n ç a un discours à une réu nio n du club des jacob in s.

Il q u itta la capitale de la F ran ce à la m i-décem bre 1791 et par l’A llem agne, regagna la Pologne. Ce g ran d périple de plus de deux ans, 1790-1792, a p p o rta , sur le plan littéraire, un riche acquis sous form e de com ptes ren d u s de voyage. P otocki a décrit son voyage au M aroc. Il en a fait au ta n t p o u r sa visite de l’E spagne et p o u r son chem in du re to u r p ar le P ortugal, l’A ngleterre, la F ran ce et l’Alle­ m agne. Il est à d ép lo rer q u ’à l’exception du com pte ren d u du voyage au M aroc, les m anuscrits ne s,e soient pas conservés4.

A près le déclenchem ent de la guerre polono-russe en m ai 1792, P o to c k i se rendit à G ro d n o p o u r s’engager en v olon taire sous les o rdres du général M aria n Zabiello. L’adhésio n du roi à la confédération de T a rg o w ic a 5 le décida à se retirer de la vie politique.

E n juillet 1792, P otocki co m b attait encore en L ituanie con tre des

4 Les manuscrits de ces com ptes rendus de voyage se trouvaient à Łańcut. Ils avaient été dépouillés avant la seconde guerre m ondiale par W. K o t w i c z , Jan hr.

Potocki i jeg o podróż do Chin (Le comte J. P. et son voyage en Chine), Vilno 1935. En

1944, tous ces manuscrits disparurent.

5 Targowica — bourgade en Ukraine. Le 15 mai 1792, l’aile conservatrice de la noblesse y ourdit un com plot passé dans l’histoire sous l’appellation de confédération de Targowica. Cette confédération était dirigée contre l’oeuvre de la Diète de 4 ans (1788-1792) qui adopta des réformes visant à faire sortir la P ologne du chaos politique et à en faire un Etat moderne. Or la confédération de Targowica, résolument antiréformatrice, se trama avec la bénédiction de la Russie, intéressée à maintenir la Pologne dans un état d’anarchie,'source de faiblesse. Les conspirateurs demandèrent ouvertement à la Russie de les aider à faire conserver en Pologne l’ordre politique et juridique ancien, désormais mis en cause par les réformes de la D iète de 4 ans. D onnant suite à cet appel, la Russie fit entrer ses troupes en Pologne. Bien que la guerre ne fût pas encore perdue, le roi Stanislas Auguste adhéra le 24 juillet 1792 à la confédération de Targowica et, en sa qualité de chef suprême des forces armées polonaises, donna l’ordre à celles-ci de déposer les armes. Cette guerre eut pour conséquence le deuxième partage de la Pologne par la Russie et la Prusse, en 1793, à la suite duquel la Pologne se vit amputée de plus de 300 mille kilomètres carrés de territoire.

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tro u p es russes; en ao û t il se tro u v ait déjà à Ł ańcut, prestigieuse résidence de sa belle-mère, dans le sud de la P ologne. Il y écrivit

Parady (Les parades), six pièces en un acte, p o u r le th é â tre du

château de Ł ańcut, com posé d ’aristocrates. Le d éb u t de 1793 le voit à Varsovie. Il y prépare l’éd ition de ses Chroniques, mémoires et

recherches pour servir à fhistoire de tous les peuples Slaves qui

p araîtra en mai de la m ême année chez l’im prim eur T ad eu sz M o ­ stowski. F in janvier, il q u itte V arsovie p o u r n’y revenir q u ’en a u to ­ mne, p o u r un court séjour p en d a n t lequel il descend ra à M okotów , de nos jo u rs q u artie r urbain , à l’époqu e résidence su b u rb a in e de la duchesse L ubom irsk a. En novem bre, il voyage à P odolie, à Łabuń, po u r y rend re un hom m age à C ath erin e II au nom de sa belle-mère d o n t une partie des fiefs s’est trouvée dans les frontières de l’em pire russe après le deuxièm e p artag e de la Pologne.

C ’est l’Allem agne qui fut le but d’un n ouveau long voyage de P otocki. P otocki q u itta V arsovie le 24 m ars 1794, av a n t que n’éclatât l’in surrection de K ościuszko. D u ra n t presque tro is ans — ju sq u ’à la fin de 1796 — il p a rc o u rra l’Allem agne et l’A utriche. N ous savons fort peu des p érég rinations auxquelles ce voyage d o n n a lieu. Il séjourna d ’ab o rd à R heinsberg, résidence du duc H enri de Prusse, frère de F rédéric II. Il y écrivit, p o u r le th éâtre de sa cour, une com édie en deux actes Les Bohémiens d 1 Andalousie qui fut m o ntée le 20 avril 1794. In d u b itab lem en t c’est dans la période in itiale de son voyage que P otocki fit une excursion au D an em ark . E n juillet 1794 il fit un séjour à B erlin; du 13 ao û t au 17 septem bre de la m êm e année il découvrait la Basse-Saxe, voyage q u ’il a décrit d an s Voyage

dans quelques parties de la B asse-Saxe pour la recherche des antiquités slaves ou vendes. Il fit un plus long séjour à H am b urg chez S tanisław

Szczęsny P otocki qui, après avoir q u itté la P ologne en 1793, s’y fit co n struire un palais. C ette résidence accueillait des p erso nn alités connues de l’époque. L’au teu r d u M an u scrit... avait d o n c l’occasion d ’y nou er plus d ’une connaissance. D ans la dernière phase de ce voyage «germ an o p h o n e» son pied-à-terre était Vienne.

A la fin de 1796, P otock i reg ag n a Varsovie. C ’était son d ern ie r séjour dans cette ville. Au d éb u t de l’année suivante, il p artit p o u r M oscou com m e délégué de la noblesse d u go uv ernem ent de B raclaw p o u r le co uro n n em en t de P aul I. Il y séjo urna ju s q u ’à la fin de m ai, en faisant des dém arches p o u r se voir accorder l’a u to ris a tio n de

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visiter la Sibérie. F ace au refus, il p artit de M oscou le 15 m ai ancien style (29 m ai nouveau style)6 1797 p o u r le C aucase ju squ e-là faible­ m ent exploré. E n route, il visita les vastes étendues de la partie européenne de la Russie entre M oscou et A strak h an . Ce voyage d u ra près d’un a n : le 27 avril a.s. (9 m ai n.s.) 1798, il franchit le B osphore et se re tro u v a en E urope. Et c’est sur le B osphore que s’achève son com pte ren d u de voyage. L’itinéraire de son chem in du re to u r à p artir du B osph ore ne nous est pas c o n n u ; nous ne pouvo ns que présum er que, p u isq u ’il se rendait en U kraine, il e m p ru n ta un parcours m enant p ar les territo ires de la B ulgarie et de la R oum anie d ’a u ­ jo u rd ’hui.

Sa prem ière épouse Julia, étan t décédée jeune, à l’âge de 27 ans (le 26 a o û t 1794), P otocki, de re to u r de son voyage caucasien, se résolut à se rem arier. Le 10 ju in 1799, il ép o u sa K o n stan c ja P oto ck a, fille de Stanisław Szczęsny et de Józefina Am elia née M niszech. O n au rait cru q u ’après ce m ariage, p arta g ean t le plus fort de son tem ps entre T ulczyn et D ym idów ka, il avait fini p ar s’étab lir m ais il n’en fut rien. E n m ai 1802 il alla à S aint-P étersb o u rg , s’y in stalla et c’est dans le co u ra n t de cette année-là q u ’il y fit p araître son plus gran d ouvrage scientifique, fruit de vingt années d’études, H istoire primitive

des peuples de la Russie.

Au d éb u t de 1803, il p a rtit p o u r Vienne, voyage occasionné par la m ort de son père qui décéda le 14 décem bre de l’année précédente. A la fin de 1803, il p artit p o u r l’Italie, mais in terro m p it ce voyage pour des raiso n s financières. S ur son chem in d u reto u r, il fait une halte à Venise p o u r étudier les possibilités d ’un com m erce avec la Russie via O dessa. A vant de regagner S aint-P étersb o u rg , il fit escale à Vienne. D e re to u r dans la capitale de l’em pire russe, il se lança d an s un intense trav ail d ’étude et de réd actio n en vue d’une histoire des différentes provinces russes.

D ébut ju in 1805, P otocki p art en un nouveau g ra n d voyage, cette fois non plus en privé, m ais com m e m em bre d ’une m ission russe se

6 Les dates se rapportant au com pte rendu du voyage Caucasien de Potocki et à ses lettres de la période de son séjour en Russie sont marquées selon le calendrier julien en usage en Russie jusqu’à la fin de 1917. L’abréviation: a.s. signifie ancien style. D ans les parenthèses, nous transposons les dates en termes de calendrier grégorien (c’est-à-dire selon le nouveau style, abréviation: n.s.) en usage dans les autres pays d’Europe.

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re n d an t en C hine. Il prit la tête de l’équipe de chercheurs accom pa­ g n an t la m ission p ro p rem en t dite. C ette expédition des grandes prom esses allait to talem en t échouer. La m ission g ag n a O u rg a (au ­ jo u rd ’hui O u lan -B ato r) et se vit intim er p ar les C hinois l’o rd re de

rebro usser chem in (la M ongolie à l’époqu e faisait p artie de l’em pire chinois). Ce renvoi de la m ission ten ait à une m ésentente sur le pro to cole dip lo m atiq u e entre l’am b assad eu r russe Y ouri G olovkine et le w ang (duc) d ’O urg a, Y o nd on-d ordjim . D e l’avis de P otocki, la faute en inco m bait à G olovkine. La m ission fit d em i-to u r et re m o n ta à Irk o u tsk . P o to ck i adressa à A lexandre I une d em and e d ’a u to risa ­ tio n de ren trer à S ain t-P étersb o u rg et q u itta Irk o u tsk le 18 m ars a.s. (30 m ars n.s.) 1806. Sur son chem in du re to u r P oto cki se résolut à une escapade hardie. Au lieu de co n tin u er d ’O m sk su r Tom sk, il dévia vers B arn aoul, puis m it le cap sur S em ipalatynsk d ’où il gagn a K o u ld ja la chinoise (au jo u rd ’hui Ining); de là il alla à B o u k h a ra d ’où il prit la chem in du nord, vers la voie sibérienne, et reg agn a O m sk. L’étendue g éo g raphique de cette escapade fut im posante. D e Sibérie, P oto cki gagna les territo ires lim itrophes de l’actuel A fghanistan p o u r se retrouver, en suivant le chem in du nord, au point de dép art. Il vaut la peine de souligner que lors de cette escapade, Potocki franchit (en fraude) la frontière de la C hine prop rem en t dite; il fut seul parm i les m em bres de la m ission à y avoir réussi.

E n m ai 1806, P otocki se vit rem ettre l’a u to risatio n de l’em pereur à re to u rn er à S ain t-P étersb o u rg . Il regagna la capitale en juillet. Ses projets d o n t il sera q uestio n plus loin, ay an t échoué, il re n tra en Podolie, au début de 1808, et s’installa à D ym idów ka, p ro p rié té de son épouse. M ais le m énage allan t mal, le 15 avril 1808, les deux époux signèrent l’acte de sép a ratio n et le 1er février de l’année suivante, divorcèrent.

S’étan t séparé de K o n stan c ja , P o to ck i bénéficiait de l’ho sp italité de voisins. Il séjournait de préférence à* Tulczyn, à W innica et à Janów , ce dern ier — siège des C hołoniew ski; les hivers, il les passait à K rzem ieniec, ville de P odolie. E n 1810, il p artit p o u r S aint- P étersbourg où il s’o ccupa de l’édition de ses ouvrages scientifiques.

En m ars 1811, P otocki revint en Podolie. E ntre tem ps, le T u rc Ibrahim fit co n stru ire p o u r son m aître un m an oir de style o rien ta l à U ładó w ka qui devint la dernière résidence de l’auteu r de M anuscrit

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et des amis, en raréfian t de longs voyages. En 1815, il prit le parti d ’aller à Vienne où se ten ait le fam eux C ongrès qui a ttira souverains et leurs m inistres et la fine fleur de la société européenne. Les qualités de son esprit et sa vogue de voyageur faisait de P otock i un p oint de m ire de « la h a u te » et lui valu t le su rn o m de « Jea n le v o y ag e u r» .

Ce voyage fut le dernier long déplacem ent de sa vie. Le 11 décem bre 1815, il se suicida d ’u n coup de pistolet. La balle qui lui fendit le crâne, il l’avait fabriquée du pom m eau qui o rn a it le couvercle de son sucrier, en le dégrossissant avec soin, de m anière à ce q u ’il s’ad a p te au ca n o n de son pistolet. La légende veut q u ’il le fît bénir p ar le chapelain d ’U lad ôw k a, sans lui en révéler, bien entendu, la d estination. Il fit aussi un projet de son épitap h e q u ’il envoya à K rzem ieniec.

C ette reco n stitu tio n som m aire m ais assez com plète, de ses v oy a­ ges et de leur chronologie, perm et de m esurer la m obilité de P oto ck i et l’envergure de son «tourism e». R écapitulons: parm i les pays d’E urop e, il visita l’A llem agne, l’A utriche, le D an em ark , la Suisse, l’Italie et la Sicile, M alte, l’Espagne, le P o rtu g al, l’A ngleterre, la F rance, les Pays-B as, la Bohêm e, les territoires des actuelles Y o u g o ­ slavie, B ulgarie et R oum anie, la p artie européenn e de la Russie. Il visita les îles grecques en M er Egée, m ais m it-il jam ais les pieds en G rèce continentale? Le b atea u à b o rd d u quel il revenait d’Egypte m ouilla à Irâk lio n d an s l’île de Crète. Il en découle que sa croisière le conduisait dans plusieurs autres p o rts grecs, sans p o u r a u ta n t offrir à Potocki l’o p p o rtu n ité d ’une excursion en p rofon deu r du pays. Il se peut q u ’il visitât la G rèce en revenant de son voyage caucasien en 1788; il a été dit que son com pte rendu de voyage s’arrête au B osphore. N ous avons h y p o thétiquem ent retracé la suite de son itinéraire en le faisant passer p ar les territo ires de la B ulgarie et de la R oum anie d ’a u jo u rd ’hui. M ais il n’est guère exclu q u ’après avoir franchi le B osphore, il fît une excursion en G rèce, av an t de re p re n ­ dre le chem in de l’U k rain e, p a r la Bulgarie et la R oum anie. Il serait en effet difficile d’ad m ettre que ce fin connaisseur de l’an tiq u ité n’eût jam ais visité Athènes.

Des itinéraires ainsi retracés de P otocki il ressort que la partie de l’E u ro p e qui lui fut la m oins fam ilière était la Scandinavie. Il ne vit q u ’un seul des pays Scandinaves — le D an em ark .

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P our ce qui est de l’outre-m er, il visita la T urquie, l’Egypte, le M aroc, le Libye, la Tunisie, la M ongolie, la Sibérie, le Caucase, B o u k h ara et une frange de la C hine. Et lors de ses m ultiples voyages et déplacem ents d ’u ne résidence à une au tre, il ap p rit à bien connaître la P olog ne et l’U kraine.

M ais ce tracé im p o san t des itinéraires d e P o tocki ne do n n e pas à lui seul la pleine m esure de sa m obilité. C 'est que d ans nom bre de pays nom m és, en particu lier européens, il séjou rn a plus d ’une fois: deux fois en E spag ne et en A ngleterre, souvent à V ienne et à Saint- P étersbourg, tro is fois en F rance, en A llem agne et en Italie.

La m obilité de P otocki avait un d o u b le caractère. Elle peut se m esurer, com m e p o u r to u t voyageur au n o m b re de ses déplacem ents hors de sa résidence. M ais aussi à la fréquence des chan gem ents de résidence. D ans le cas de P otocki, il est m ême abu sif de parler résidence en raiso n de la co nstance du changem ent. Il s’agissait bien plutôt de haltes prolongées ou de plaques to u rn an tes.

Son enfance se p assa à Pikôw , lieu de sa naissance. A l’ép o q u e de scolarité, il résida à L ausan ne et à G enève; plus ta rd à Vienne. D u ra n t son co u rt séjo u r en Pologne avant le voyage en T u rq u ie et en E gypte de 1784 et après, il résida vraisem blablem ent d an s les propriétés de sa fam ille en U k rain e et peut-être à Pikôw . Puis, ce fut une halte de trois ans à Paris, plaqu e to u rn a n te l’aig uillan t su r des itinéraires sans cesse nouveaux. D e re to u r en F rance, au d é b u t de 1788, il s’installa à V arsovie qui lui servait <de plaque to u rn a n te p ou r des déplacem ents de co u rte durée, ju s q u ’a u voyage d an s les pays allem ands, entrep ris en m ars 1794. D u ra n t €ê voyage, sa plus longue halte fut H am bo urg, puis — Vienne. Après le m ariage avec C o n s ta n ­ ce P o to c k a il h ab itait la résidence de son beau-père — T ulczyn ou à D ym idôw ka. D u m ilieu de 1802 à la fin de 1807 il résid a à S aint- P étersbo urg d ’où il p a rtit p o u r V ienne en 1803 et p o u r la C h in e en 1805. R eto u rn é en U k rain e, d éb u t 1808, il vivait p rin cip a le m e n t à D ym idôw ka. En 1811, il s’installa à U ladôw ka, sa d ern iè re halte.

Pikôw , L au sann e, G enève, Vienne, Paris, V arsovie, H a m b o u rg , Tulczyn, S ain t-P étersb o u rg , D ym idôw ka, U lad ô w k a — a u ta n t de localités qui servait à P otocki de séjours prolongés o u de haltes. A noter que d an s quelques-unes de ces localités, il c h a n g e a it de résidence à plus d’u n e reprise.

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les au tre s voyageurs de son tem ps. Il conféra à sa m obilité un ca rac tè re extrêm e: le co n stan t changem ent de haltes prolongées en fit un a risto c ra te nom ade, un nom ad e de luxe. M ais c’est ce m ode de vie qui était à sa convenance. «La vie presque no m ade avait de l’a ttra it p o u r lui», écrit K o n stan cja R aczyńska, d ans l’évocation sus­ m entionnée de son ex -ép o u x 7.

Son mode de voyager

C om m enço ns par les m oyens de tra n sp o rt q u ’utilisait P oto ck i lors de ses voyages. Il voyageait en prem ier lieu en diligence, très en usage à l’époque en E urope. «D e R ostock à W eim ar — n o ta-t-il — il y a sept milles que l’on fait avec les m êm es ch ev au x » 8.

M ais il faisait appel aussi à d’autres types de véhicules h ip p o m o ­ biles en usage à l’époque.

J’ai profité — écrit-il dans son com pte rendu du voyage néerlandais — de la trêve pour venir chercher ici des papiers importants, que j’avais oubliés dans une malle. D eux excellents attelés à une chaise très légère m’y ont conduit en dix heures et me ramèneront demain à Amsterdam (VH, vol. 1, pp. 136-137).

Souvent, en particulier dans des pays non européens, il voyageait à cheval. C ’était le cas de son voyage caucasien.

Je suis parti de Jekaterinograd vers les onze heures du matin, et suis venu à Prokhladnoï, où m’attendait une brillante escorte de Cosaques de l’Oural avec Ismail, fils de***, qui était venu à ma rencontre; nous passâmes le Malk et entrâmes dans une steppe qui nous semblait à perte de vue parce que m ontagnes étaient couvertes par des amas de nuages. Bientôt après nous arrivâmes à un village tcherkesse qui ne ressemble point à ceux des Tchétchènes ou des K oum uks (VAC, vol. 2, p. 125).

Ce qui m érite l’atten tio n c’est que d ans certain s voyages, P otocki se déplace escorté. C ’était le cas de son voyage caucasien; égalem ent au M aro c il se vit accord er une escorte, p o u r des raisons de sécurité.

Le cheval n’était pas sa m o n tu re exclusive p o u r p arco u rir les pays visités. P ou r se déplacer et aussi p o u r le tra n sp o rt de bagages,

7 Ż ó ł t o w s k a , op. cit., p. 69.

8 J. P o t o c k i , Voyage dans quelques parties de la Basse-Saxe pour la recherche

des antiquités slaves ou vendes, fa it en 1794, Hambourg 1795, p. 22. Ce com pte rendu

sera marqué plus loin du sigle VBS. D ans les passages cités de ce com pte rendu, nous avons modernisé l’orthographe et la ponctuation.

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il se servait aussi d ’ânes et de mules. D u lieu de so n débarquem ent au M aro c à T éto u a n , il a fait une partie de la ro u te à pied, accom pagné d’un âne qui tra n s p o rta it ses bagages.

J’ai débarqué — écrit-il — à l’entrée d’une rivière assez considérable dont la barre n’est pas exem pte de danger. [ .. .] Et, sur ce, l’on m’am ène un petit âne sur lequel je vais charger m on porte-feuille et mes piastres, laissant m es autres effets entre les mains des douaniers qui sont en tout pays les ennem is naturels et éternels des voyageurs (VM, vol. 1, p. 152).

M ais c’est à dos de m ule q u ’il fit la suite de la ro u te vers T éto u a n à p a rtir de la d ouane, cette m o n tu re lui a y a n t été envoyée par le caid, inform é de son déb arq u em en t. C ’est égalem ent en m o n tan t une m ule q u ’il faisait des excursions d a n s les localités situées dan s la région de T éto u an .

v Potocki utilisait souvent la voie m aritim e ou fluviale. Ce n’était p o u r lui ni une triste nécessité ni co ntrain te, m êm e q u a n d il se ren d ait sur un au tre continent ou sur une fie. C ’est q u ’il aim ait à voyager p ar eau. Souvent, ayan t le choix en tre deux itinéraires: par eau ou p ar terre, il o p tait p o u r le prem ier. Sur la V olga et sur le Nil, il naviguait en barque. P o u r de faibles distances en m er, il prenait aussi des em b arcatio n s p ropres à la navig ation fluviale. C ’est ainsi q u ’il se fit tra n sp o rte r en caique, canot tu rc léger, p o u r gagner C o n sta n tin o p le de B üjük D ere. E t c’est en b a rq u e q u ’il fit la traversée sur la B altique d u p o rt de W ism ar à l’île de Poel.

«J’ai pris une b a rq u e p o u r m e con d u ire à l’fie de P eul qui est vis- -à-vis du golfe à un mille et dem ide W ism ar» (VBS, p. 25).

P o u r les voyages au long cours, il p renait des bateau x. Il fit sur «l’In n o c en t» la croisière d ’A lexandrie à Venise et le «Sainte-A nne» p o u r se faire tra n sp o rte r de C o n sta n tin o p le à Venise. «D éjà je suis à bord de la Sainte-A nne, corvette française qui d o it m e p o rter à A lexandrie» (VTE, vol. 1, p. 74).

Au cours de ses voyages, P oto ck i ne se b o rn a it pas aux itinéraires terrestres ou p ar eau. Q u a n d s’en p résen ta l’occasion, il ne m a n q u a pas de faire usage du ballon, le seul m oyen de tra n s p o rt aérien à l’époque. Il fut l’un des rares voyageurs d u Siècle des Lum ières à avoir silonné la terre, les m ers et les airs.

V oyons m ain ten an t ce que co m p o rta it le b agage de P o tocki. L’au teu r se m o n tre av are de renseignem ents à ce sujet; essayons toutefois de reconstituer à p a rtir des m inces renseignem ents q u ’il fait

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filtrer, le con ten u de son sac de voyage. T o u t ce q u ’il faut p ou r écrire; en effet P otock i faisait, en voyageant, de nom breuses notes, m atière prem ière de ses com ptes rendus de voyage. Six de ces com ptes rendus se sont conservés ju s q u ’à nos jo u rs, les M émoires sur

Texpédition en Chine inclus. Il n o tait ses im pressions, m ais égalem ent

des observ atio n s d’un caractère scientifique auxquelles il puisait p ou r ses études et traités. Les notes d em an d aien t du papier q u ’il était difficile de se p ro cu rer d an s les pays n o n européens q u ’il p arco u rait, aussi était-il obligé d ’en em p o rter en g ran de q u an tité d an s ses bagages.

Il avait aussi besoin du papier p o u r dessiner, c’est que p endant ses voyages il m ettait a u ta n t de passion à dessiner q u ’à noter. Les thèm es de ses dessins étaient variés: paysages, architecture, types anthrop o lo g iq u es. Il fit accom pagner son com pte rend u du voyage caucasien d’une série de dessins rem arquab les, p o rtra its de rep résen tan ts de différentes trib u s peu p lan t les contrées visitées. Il dessinait sur du papier H ollande, fort apprécié au X V IIIe siècle.

Depuis que je suis ici [à M ozdok — J .R .] le temps a été toujours fort doux, mais lourd et brumeux. Ce matin, pour la première fois, une petite gelée d’autom ne a éclairci l’atmosphère, et lorsque l’on a ouvert les volets, le Caucase, que je n’avais pas même aperçu, m’a paru, com m e on dit, tout à fait sur mon nez. Alors je suis allé sur le rempart, et j’ai vu toute la chaîne, depuis le m onte Mqinware, appelé par les Russes K azbek, jusqu’à l’Elbrous. J’ai été prendre mes crayons et j’ai achevé en deux heures de temps un dessin d’une rassemblance frappante et sur une échelle considérable, car j’ai em ployé neuf grandes feuilles de papier de H ollande (VAC, vol. 2, pp. 121-122).

Des livres étaient un au tre élém ent im p o rta n t du bagage de P o to ck i; c’est en particulier p o u r le voyage caucasien q u ’il en a pris en abondance. Il a em p o rté en tre autres le Dictionnaire com paratif de P eter Sim on Pallas, des oeuvres d’H é ro d o te et de S trabo n. D an s une notice du 20 m ai a.s. (2 ju in n.s.) 1797, il regrete de ne pas avoir pris d’oeuvres d ’au teurs tels que de G uignes, d ’H erbélot, Pétis de la C roix, A bulghasi. P a r contre, il a em p o rté un g ra n d atlas historique co m p ren an t 37 cartes, synthèse d ’ouvrages de nom b reu x auteurs d o n t ceux que nous venons de nom m er. C et atlas fut l’oeuvre de P otocki lui-m êm e et lui valut — dit-il — l’estim e de Jean Jacques B arthélém y, archéo logu e co n n u de l’époque.

Le fonds de la bib lio th èq u e qui l’ac com pagn ait au gm en tait au gré du parcours. C ’est que lors de ses voyages, il achetait de nom breux livres et en recevait aussi en cadeau.

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J’ai acquis — écrit-il dans le journal du voyage caucasien — un fragment de ces derniers [il s’agit de contes — J.RŻ] qui sont entièrement dans le goût des Mille et une

Nuits; on m’a parlé d’une histoire d’O uchounderi-khan que l’on ne peut entendre sans

verser des larmes (VAC, vol. 2, p. 75).

Et dans sa description du voyage m arocain, P otocki a noté:

U n jeune Talbe qu’on avait chargé de chercher pour moi un exemplaire de M ille

et une N uits est venu me voir ce matin. Il m’a dit que l’ouvrage que je désirais avoir

portait chez eux le titre des trois cent cinquante-quatre nuits, ce qui fait une année lunaire; qu’il n’en connaissait dans la ville aucun exemplaire mais qu’il m’apportait un autre ouvrage intitulé Giafar et Barmeki, dans lequel on trouvait une grande partie des histoires contenues dans l’autre (VM, vol. 1, pp. 194-195).

Le nom bre de livres em portés d an s les voyages était inversem ent p ro p o rtio n n el à la p ortée g éo g raph iq ue de ceux-ci. C ’est que plus longue était la distance à p arco u rir, plus il était pénible de tra n s p o r­ ter un lot volum ineux de livres. E n faisant de co urts déplacem ents en U kraine, p o u r se’ rendre chez des voisins, il se faisait suivre de chariots chargés de livres.

«Il passait des hivers entiers à Jan ó w — écrit Stanisław C h o ło ­ niewski — avec des fourgons de livres d ’érudition. Des S trabo ns, des W arrons, des Scaliger, des m anuels et des dictionnaires de to u tes les antiquités orientales étaient ses com p ag n o n s inséparables no n seule­ m ent à Janów , m ais encore d ans des auberges juives dans ses plus co u rts d éplacem en ts» 9.

M ais le bagage de P o tocki ne com p renait pas que des biens m eubles inanim és. Le petit caniche P o teau était son co m p ag n o n inséparable même d an s des voyages à plus h au t risque. Il l’ac co m ­ pagnait dans son ascension en ballon, fait que nous avons évoqué plus h au t; il était aussi du voyage caucasien à haut degré de risq ue; dans le co m pte rendu de ce voyage, P otocki n o ta: «M on chien a fait g ran de sensation parm i eux [les K o u m o u k s — J .R .]» (VAC, vol. 2, p. 41).

Les voyages de Jean P otocki, ceux en particulier dans les pays d’outre-m er, étaient a u ta n t d ’entreprises coûteuses. M ais leur aspect financier est rarem en t évoqué, sa u f p o u r le tra n sp o rt de la m on naie.

9 S. C h o ł o n i e w s k i , «Proroctw o Józefa de Maistre w Petersburgu przesłane Janowi Potockiem u r. 1810, sprawdzone w U ładów ce R.P. 1841» (La prophétie de J. de M. à Saint-Pétersbourg envoyée à J. P. en 1810, vérifiée à U ładów ka en l’an de grâce 1841), [dan s:] O brazy z galerii życia mego, Lwów 1890, p. 189.

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P artait-il m uni de grosses som m es? Ce qui en tra it en jeu c’était évidem m ent de la m onnaie en or ou en arg en t; en em p o rter en grande q u a n tité ce serait augm enter sensiblem ent le poids du bagage. U n passage du com p te ren d u de son voyage au M aro c laisse présum er que, dans les autres voyages aussi, il utilisait des lettres de change:

J’avais une lettre de change considérable sur un marchand maure appelé Sidi M oham m ed el-Birouni. Il me fit offrir des lettres sur Fez ou M iquenez, mais je répondis que j’aimais mieux de l’argent com ptant et il m’envoya aussitôt son changeur juif qui m’en paya le m ontant: la som m e était d’environ deux mille piastres courantes (VM , vol. 1, pp. 208-209).

Tel serait donc, en grandes lignes, le co n ten u de bagages de P otocki. Et q u ’en fut-il de ses usages vestim entaires? S’habillait-il à l’européenne ou préférait-il le costum e du pays q u ’il était en tra in de visiter? O r, c’est p o u r le second term e de l’altern ativ e q u ’il penchait: il cherchait à se rendre sem blable, p ar le costum e, aux h ab itan ts des pays q u ’il découvrait. Ce «m imétism e vestim entaire» lui valut des avantages certains: il estom pait d an s une certaine m esure la différence en tre l’étran g er q u ’il était et la p o p u la tio n indigène, a ttén u a it de p art et d ’au tre le sentim ent de distance, ce qui, bien en tendu, facilitait le con tact. Le costum e local était, de plus, bien ad a p té aux co nd itions clim atiques et préservait le voyageur de leurs inconvénients. Ainsi, en l’a d o p ta n t, P otocki a ttén u a it les incidences négatives d ’un clim at sur sa santé.

En Egypte, il s’habillait à l’égyptienne; il se fit raser le crâne et coiffa le tu rb an . A D agestan, pays h abité p ar les Azares, les C oum iks et les Nogaies, il a rb o ra la zergaka, un costum e de peau chevaline. Et à Tanger, il se pavan ait coiffé d ’un large chap eau an dalou .

Il en [éclats d’objets brisés par des explosions — J.R.~\ tom ba aussi sur moi d’assez gros, mais leur coup fut amorti par un grand et épais chapeau andalou qui me couvrait presque tout entier (VM, vol. 1, p. 291) — nota-t-il dans le com pte rendu.

D ans les salons d ’aristo crates à Paris, à V ienne ou à Saint- P étersbourg, sa tenue était im peccable, p ro p re à la h a u te société; chem ise blanche, frac, p a n ta lo n strict, bas et souliers. C 'est d ans une telle tenue que nous le voyons sur la toile de G io v an n i B attista Lam pi l’afné et sur deux autres p o rtra its de peintres anonym es. M ais

à la fin de sa vie, à U ladô w ka, il p o rtait volontiers du costum e polonais, sem blable à la sukmana paysanne.

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«A présent, q u a n d il venait à U ład ó w k a et à Z ofiów ka — écrit E d o u ard K rako w ski — il se vêtait volontiers d e sukmana, la longue tu n iq u e polonaise brodée et ceinte d ’une écharpe. Lui q u ’o n avait si souvent vu en E u ro p e en frac et h aute cravate, les cheveux en „coup de vent” et couvert de d éco ratio n s et de plaques, lui qui avait co n n u le m onde, les salons et les C ours, s’est h abillé en paysan qui causait avec ses paysans, com m e fit plus ta rd le com te Léon T o lsto ï à Y a sn a ïa -P o lia n a » 10.

P otocki fut un hom m e aux centres d ’in térêt m ultiples, ce qui tro u v a un reflet dans ses voyages. L oin de se confiner dans les questions scientifiques relatives à la p réhisto ire slave, son intérêt se p o rtait littéralem ent à to u t: la co nfiguratio n d u terrain , le m onde végétal et anim al, la religion et les rites, les m oeurs, l’économ ie, l’histoire politique. Ses descriptions trah issen t un re m a rq u ab le don d’observation.

Le désert est encore partout sillonné par ce coléoptère que les naturalistes admirent pour son industrie à réduire en de grosses boules les excréments des quadrupèdes et l’activité avec laquelle il roule au loin ces sphères cinq ou six fois plus grosses que lui et les enterre ensuite en des souterrains faits avec un art infini. Les traces que cet insecte laisse dans le sable sont très profondes, le vent ne les efface pas aisément, et elles lui servent, sans doute, à retrouver le chem in de son trésor, auquel il revient jusqu’à ce qu’il ait tout emporté. Chaque fois il prend un autre chemin, aussi chaque excrément un peu considérable à l’air d’un carrefour où viennent aboutir nombre de routes différentes (VM , vol. 1, p. 232).

Les o bservations de P otocki, relatives aux co m p o rte m e n ts des hom m es, se distinguent p ar une acuité non m o indre que celle qui est la p art de ses descriptions du m on de anim al.

P otocki cherchait, d ans ses voyages à n ou er un co ntact étro it et cordial avec les p o p u latio n s indigènes. C ’est ce qui lui v alu t des renseignem ents précieux sur leur vie. C’est volontiers q u ’on lui en pro diguait, en le ^voyant co nstam m en t in terro g ateu r, soucieux de com p rend re les phénom ènes q u ’il a p p ro ch ait et d o n t le sens de quelques-uns lui échappait.

U n au tre m oyen de s’en q u érir sur les pays visités était p o u r lui la lecture d ’ouvrages docum en taires, tels q ue m ém oires ou jo u rn a u x qui lui p erm ettaient de s’initier aux ra p p o rts sociaux d’un pays do nn é.

10 E. K r a k o w s k i, Un témoin de rEurope des Lumières. Le comte Jean P otocki, Paris 1963, p. 221.

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Ces ouvrages étaient souvent écrits en des langues q u ’il ne m aniait pas; il se les faisait trad u ire. Il arrivait aussi q u ’il se faisait résum er par écrit les événem ents politiques qui s’étaient jou és dan s le pays visité av a n t son arrivée. C ’est ainsi q u ’il se m ettait au co u ran t de l’actualité politique en y ajo u ta n t la vue directe des choses. C ’était bien vrai p o u r son voyage au M aroc.

M ulay Jessid — écrit Potocki — trouvera sans doute aussi son Suétone, mais, en attendant qu’il se présente, je pense qu’on sera bien aise de trouver ici les principales anecdotes des com m encem ents de son règne, telles que je les ai entendu raconter cent fois et telles que me les a écrites un hom m e du pays que je ne veux pas nommer et dont le secours m’a surtout été nécessaire pour les réduire en une espèce d’ordre chronologique (VM , vol. 1, p. 256).

T o u t m oyen lui était b o n p o u r se pro cu rer de l’inform ation. A constater chez ses interlocu teurs un p enchant p o u r les boissons fortes, il n’usait guère du com pte-gouttes. C ’était su rto u t vrai po ur les h ab itan ts du C aucase qui aim aient à se régaler de la vodka. V oyons ce q u ’il en dit d an s ses notes de voyage:

Ourous, député tchétchène, m’a fait l’honneur de siéger longuement chez moi, à boire mon eau-de-vie et raconter ce qui se passe chez ses voisins, les Ingouches et les Karaboulak (VAC, vol. 2, p. 100).

C ’est dire que sa soif de connaissances avait p o u r alliée la soif to u t court de ses interlocuteurs. T o u t au long de ses voyages, P otocki accum ula une riche d o cu m en ta tio n géographique, culturelle et hum aine.

C ’est selon l’échelle de valeurs des peuples d o n t il faisait la découverte q u ’il en jug eait les m oeurs, to u t en se g ard an t d ’eil tenter l’évaluation selon sa p ro p re axiologie. D an s son co m pte rend u du voyage au M aroc, il se m o n tre critique à l’égard des voyageurs qui jugent une civilisation étrangère au m oyen des critères pro pres à la leur. C ’est p ar la réflexion suivante q u ’il conclut sa description im partiale des exercices de la cavalerie m auresque:

Cependant, j’ai entre les mains la relation d’un voyageur anglais qui dit: «Lorsque les Maures sont à cheval, il paraissent être devenus fous: ils partent au galop, s’arrêtent, se tournent à droite et à gauche, et se démènent com m e des insensés». Mais un voyageur maure, ne pourrait-il pas dire aussi: «Lorsque les Anglais sont à cheval, ils paraissent être devenus fous: ils poussent leurs chevaux avec tant de vitesse qu’ils ne peuvent plus les arrêter et se cassent infailliblement le cou s’ils rencontrent le moindre obstacle. D ’ailleurs, ils ne savent donner à leurs chevaux aucune souplesse, il leur faut beaucoup de temps pour les mettre en train, ils ne

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peuvent ni partir à toute bride, ni s’arrêter sur les talons, ni se retourner pour donner avantageusement ou éviter un coup sabre». Voilà ce qu’un voyageur maure pourrait dire et dirait infailliblement, tandis qu’un Français partisan de l’ancienne équitation, traiterait d’ignorants et l’Anglais et le Maure parce qu’ils ne connaissent ni l’un ni l’autre la volte en dedans, la tête à la muraille et mille autres airs de manège également agréables. Hélas! Les voyageurs n’ont, ordinairement pour observer, que les lunettes qu’ils ont apporté de leur pays et négligent entièrement le soin d’en faire retailler les verres dans les pays où ils vont. D e là tant de mauvaises observations (VM , vol. 1, pp. 166-167).

C ette ap p ro ch e «du d ed an s» des faits de cu lture a permis à Potocki de form uler des o b servations pertinentes et pénétrants. Ce qui, aux yeux d’autres voyageurs, était de n atu re à indigner, était p o u r P otocki parfaitem ent justifié. C ’est q u ’il replaçait les faits perçus d an s leur contexte culturel et eth niqu e d ’origine qui en expliquait le pou rq u o i. Son attitu d e relativiste trou ve son illustration dans la m anière d o n t il perçoit l’usage des cadeaux à offrir aux grands, de rigueur au M aroc, qui indignait les voyageurs venant d ’E urope. P otocki envisageait cet u sag e-co ntrainte en ad o p ta n t le point de vue de la culture m arocaine, en cherchant à rem on ter ju sq u ’aux causes qui l’ont engendré. C ette app ro ch e faisait 'perdre à l’usage incrim iné les aspectes désagréables q u ’il présentait aux E uropéens enferm és d ans le point de vue p ro p re à leur culture.

C ’est, bien entendu, dans la m ultiplicité des horizons q u ’il fit siens, q u ’il y a lieu de voir avec a u ta n t de vigueur dans le M anuscrit

trouvé à Saragosse. Le fait q u ’à 13 ans il q u itta la P ologne fut sans

d o u te décisif p o u r son sens de la relativité; il em pêcha le systèm e de valeurs et les m odèles de conduite prop res à la culture polonaise de s’ancrer d ans son esprit. Son séjour en Suisse où il partit pour s’édu qu er fut tro p co u rt p o u r q u ’il pût le m arq uer p rofo nd ém en t; cela fit que les attitu d es de P otocki au seuil de ses grands voyages ne sont pas à ra p p o rte r à un systèm e hom ogène de valeurs p ro p re à une culture concrète. D ’où l’esprit de P o tocki était particulièrem ent susceptible de l’idée de relativité. C h aq u e nouveau voyage afferm issait en lui cette d isp osition d ’esprit. Ce flux de norm es de conduite diverses, de valeurs m orales, de religions, de conceptions philosophiques dans lequel P otocki plongeait continuellem ent, sti­ m ulait son esprit m ais était en m êm e tem ps une force destructrice.

Le M anuscrit trouvé à Saragosse indique que son au teu r avait des

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coherente, fondée sur des principes stables, ce q u ’il y a lieu d ’a ttri­ buer à son relativism e de voyageur.

La passion explo ratrice et cognitive de Potocki n’était pas seule à s’exprim er dans sa m anière de voyager; elle se d o u b lait d ’un goût p rononcé du risque, de l’in atten d u , des situ atio n s périlleuses. P otocki aim e des sensations fortes.

Ce p enchant tro u v a son com pte d an s les voyages aux pays non européens où P oto cki put découvrir de l’excès: la cru au té des princes, leur faste inoui, des m oeurs singulières aux yeux d ’un Européen. T o u t cela devait stim uler son im agination . Enfin, d an s ces pays-là il tro u v ait aisém ent des situ atio n s où ses jo u rs étaient en danger.

Le goût du risque se retrouve d ans tous les voyages de P otocki, depuis le prem ier ju sq u ’à dernier. En voici quelques exemples. Il a été dit plus h aut que de Büjük D ere à C o n stan tin o p le, il fit la traversée en caïque, léger canot à voile. C ette em b arcatio n se caractérisait p ar une faible stabilité; les ram eurs la m ain tenaient en équilibre à coups d ’avirons et p ar le m ouvem ent de leurs corps. Le jo u r où P oto cki faisait cette traversée, la m er était houleuse, ce qui, bien entendu , au gm entait le risque de culbute. Il accepta non sans em pressem ent la p ro p o sitio n de traversée faite p ar les ram eru s qui o n t sans d o u te deviné son g oût du hasard.

Sa decente de la Volga de S are p ta à A stra k h an fin m ai début ju in 1797, offre un au tre exem ple de cette disp osition d ’esprit. Le m aire de K am ienny J a r où fit halte la b arq u e de P otocki, avertit celui-ci des périls q u ’il encourait en co n tin u an t le voyage p ar voie fluviale, à cause des pirates qui infestaient le fleuve. En vain, car Potocki qui po uvait faire le même chem in p ar voie terrestre, reprit la b arq u e et faillit effectivement tom ber, avec son équipage, entre les m ains de pirates.

Lors de son voyage m arocain, P otocki fit aussi plus d ’une fois preuve d ’un goût désintéressé du risque. P en d an t le siège de T anger par les E spagnols, il s’installa, obligé de q u itte r son ancien logis transform é en poudrerie, d an s le ja rd in du consul suédois, W yck. O r c’était un end roit particulièrem ent exposé aux obus espagnols, chose q ue P otocki savait parfaitem ent bien.

Et l’on p o u rrait m ultiplier les exemples. Il faut, de plus, tenir co m p te du fait que les com ptes ren dus de voyage, source principale

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de ce que nous savons sur la m anière d o n t P otocki se co m p o rta it lors de ses périples, ne dévoilent q u ’une infime fraction des situations dans lesquelles il s’exposait à de graves dan g ers; sans d o u te en a-t-il sautées dans sa description.

O u tre la passion explo ratrice et le goût du risque, les com ptes rendus de voyage de P o tocki reflètent l’âm e artiste du voyageur. Elle se retro u v e s u rto u t d ans son intérêt p o u r la n atu re et sa sensibilité à la beauté des paysages.

Les Grecs n’allaient point faire le tour des glaciers de Grindelwald et de Cham onix. Ils n’avaient vu que leurs taupinières du Parnasse et de l’Olym pe. Ceux d’entre eux qui venaient au Phase et à D ioscourias devaient sans doute être frappés d’un si grand spectacle et facilement adopter les opinions des Orientaux qui y plaçaient la scène de leurs récits m ythologiques.

Zoroastre, parlant du mauvais génie Ahriman, dit: «Il s’élance de dessus le som m et de Boruz et son corps étendu sur l’abîme semble un pont jeté entre les m ondes». Je ne connais rien dans M ilton de plus beau que cette image; mais dans le

Z en d-A vesta elle se trouve mêlée de tant d’inepties, qu’il me semble évident que cet

ouvrage a, pour ainsi dire, été édifié par les destours sur les débris de celui de Zoroastre. [ .. .]

Le soleil se couchant derrière la chaîne me l’a fait voir tout entière, et pour ainsi dire en silhouette. Alors elle m’a paru com m e une crête prodigieuse, hérissée d’une infinité de dents que l’on n’apercevait point lorsque le soleil donnait dessus. Les Alpes ne sont point ainsi découpées et ne se présentent point de cette manière de quelque côté qu’on les regarde (VAC, vol. 2, p. 122).

P our voir des phénom ènes rares de la nature, P oto cki faisait souvent halte en chem in, voire déviait de l’itinéraire retenu. C ’était le cas lors de son re to u r de Sibérie à S ain t-P étersbo urg, en 1806. Il décida alors de faire une halte à Sim birsk (au jo u rd ’hui O ulianovsk), pour voir le confluent de la Volga et de la K am a, spectacle in c o m p a ­ rable, selon l’avis de tous.

L’âm e poétique de P otocki s’éclaircit à sa réflexion sur les raiso ns de son voyage au M aroc, con cluant son co m pte rendu m aro c ain ; il l’entrep rit p o u r com bler son rêve sur ce pays. Il est à présum er que la p lup art des voyages q u ’il fit d an s des pays non européens c o m b ­ laient aussi un rêve et q u ’il les avait précédés de voyages d an s l’im agination.

D ans la réflexion ci-dessus évoquée, P otocki a no m m é les élém ents du voyage qui présentaient à ses yeux un a ttra it particulier. Le lot de ces élém ents indique la n a tu re de sa sensibilité artistiq u e.

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Je termine ici la relation d’un voyage que je n’ai point regardé com m e une entreprise dont il dût résulter beaucoup d’instructions, mais plutôt com m e une partie de plaisir, une promenade dans une autre partie du m onde [ .. . ] Or les déserts et leur silence, la mer et ses vagues mugissantes, le calme et les orages, le gros temps et ses sifflements aigus, les paysages et la nature, voilà les vrais dom aines du rêveur solitaire (VM , vol. 1, p. 309).

Les inconvénients des voyages

Les itinéraires parco u ru s, la fréquence des voyages d ém o n tren t que son goût du voyage était une g ran d e passion. O r cette passion éch ap p a au con trô le de l’au te u r d u M anuscrit trouvé à Saragosse. Ses forces physiques et psychiques, ses m oyens financiers n’o n t pas résisté à sa m obilité. P oto cki ne p arv int pas à y m ettre de l’h a rm o ­ nie, raiso n p o u r laquelle les voyages avaient d an s sa vie une p art de force destructrice.

Les voyages le ruin èren t financièrem ent. «Il fit vite de dissiper, à constam m ent voyager, une succession ancestrale déjà bien entam ée»

— écrit Stanisław C h o ło n ie w sk i11.

Les voyages on t aussi largem ent co n trib u é à sa difficile situ atio n conjugale, en p articu lier p o u r son second m énage — avec K o n sta n ­ cja P otocka. Lors de son expédition en C hine, elle le tro m p a. D ans son livre Rogalin et des habitants, E dw ard Raczyński écrit: «elle avait, bien le tem ps de l’oublier. Q u a n d il ren tra, il ne ten ait plus la prem ière place dans son c o e u r» 12.

D ans ses m ém oires, F ilip W igiel se m o n tre plus circonstanciel q ue ne l’est R aczyński: il fait état de la fuite de K o n stan c ja avec un am an t. Les lettres q ue P otocki écrivait à son frère Seweryn de son expédition en C hine in diqu ait que le com p o rtem en t de son épouse l’a douloureusem ent m arqué. Sa co n du ite de l’ép oq ue où P o tock i se tro u v ait en m ission p o u r la C hine fut décisive p o u r la ru p tu re du lien conjugal.

Les relations avec sa prem ière épouse, Julia, une des plus belles P olonaises du X V IIIe siècle, n’allaient pas, no n plus, p o u r le mieux. M ais, à la différence de la seconde union de P otocki, p o u r la

11 C h o ł o n i e w s k i , op.cit., p. 185.

12 Cité après: D. C i e p i e ń k o - Z i e l i ń s k a , Klaudyna z Dzialyńskich Potocka, Kraków 1973, p. 118.

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prem ière, c’est à défaut de tém oignages précis q u e nous ne pouvons que présum er une incidence défavorable sur le lien conjugal, de ses absences prolongées de voyageur. Celui qui s’éprit de Julia fut E ustachy S anguszko; c’est à force de persévérance q u ’il finit par o b ten ir les faveurs de cette belle femm e qui p assait p ou r vertueuse pour ne s’être jam ais fait connaître com m e séductrice, en quoi elle différait de nom bre d ’autres dam es du Siècle des Lum ières.

Les confidences de P otocki sur le conflit en tre sa passion des voyages et ses devoirs d ’époux et de père (il avait cinq enfants) sont rarissim es. Il en a dit le plus, encore q u ’il ne s’agisse que d’un aveu laconique, d an s sa lettre à A dam Jerzy C zarto ry sk i en d ate du 19 février a.s. (3 m ars n.s.) 1806. La rareté des confidences à ce sujet ne prouve nullem ent une absence de re m o rd s; sa retenue verbale ne fait qu ’indiquer q u ’il s’interdisait, p ar discrétion, de soulever des q ue­ stions asso m brissant son âm e. La perm anence de ses voyages suggère cependant que cette passion avait to u jo u rs raison des réticences que po uvait soulever en lui le sentim ent familial.

Les voyages on t égalem ent fini p ar co m p ro m e ttre la santé de Potocki. D ans une des îles de la M er Egée, d o nt c’est plus ta rd que P otocki au ra ap p ris l’extrêm e nocivité du clim at, n o tre voyageur fut atteint de paludism e. C ’est alité q u ’il fit la croisière de l’île de R hodes à A lexandrie, et, en visitant l’Egypte, il eut des accès de la m aladie. Les séquelles s’en sont révélées néfastes: à la suite de com plications, il en ép rouv era ju s q u ’à la fin de ses jo u rs. Et des d ou leu rs névralgiques le h an tero n t dans les dernières années de sa vie. Elles avaient p o u r cause les voyages et, plus précisém ent, les co nd itions m atérielles de ceux-ci.

L’intensité des voyages m ultipliait leur effet pernicieux sur la santé de P otocki. C o n stam m en t en voyage, l’écrivain infligeait à son organism e un effort co ntinu. C ’est presque en perm anence q u ’il se tro u v ait en état d ’acclim atem ent. Il s’exposait aux froids et aux chaleurs; c’est plus d ’une nuit q u ’il co u ch a sous une tente, s’ex po san t à l’hum idité. Sa santé s’en ressentait, et plus il avançait d an s l’âge, plus le m al devenait poignant.

Ces souffrances par excès de voyages m ontaient gradu ellem en t ju sq u ’à l’heure où P otocki se vit obligé de renoncer, d’a b o rd à voyager d ans les pays d ’outre-m er, puis à p arco urir l’E urope, s u rto u t vers des pays éloignés. Son cas est celui d ’un m aniaque qui, à force

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d’avoir tro p p ratiq u é son activité préférée, n’est plus capable de continuer. P ou r en conclure, deux raisons m ajeures sont à distinguer dans le cas de P otocki, lui in terd isan t de voyager: sa santé ruinée et sa ruine financière.

C 'était p o u r lui, psychiquem ent parlant, un vrai désastre, le tassem ent graduel de son activité de voyageur ayant o uvert une brèche dans son em ploi du tem ps. A vant m êm e de m ettre définitivem ent un term e à ses voyages, m ais en ay an t le pressenti­ ment, il se mit à solliciter un poste d an s la diplom atie russe, afin de com bler le vide d o n t il savait q u ’il allait se creuser dans sa vie. En décem bre 1804, il se vit offrire une place au D épartem en t asiatique du M inistère des affaires étrangères à S ain t-P étersb o u rg et en devint le titulaire. Ce poste ne lui d o n n ait ce pendant pas le ch am p d ’action q u ’il espérait et n’était pas de n atu re à com bler le vide en question. Aussi en treprit-il des dém arches énergiques p o u r se voir confier la direction du dit départem en t. En lui im po sant une vie active, ce poste lui eût perm is non seulem ent de se refaire psychiquem ent une vie, m ais encore de faire fructifier ses connaissances sur l’O rient. Ne pou vant plus se rend re dans les pays o rientaux , il au rait pu, à la tête du d ép artem en t asiatique, s’en occuper en hom m e politique, ce qui le consolerait ne serait-ce q u ’en p artie de l’am ertu m e de ne plus voyager en O rient.

C ’est au cours de son voyage p o u r la C hine que P otocki intensifia ses dém arches p o u r la d irection du d ép artem en t asiatique. D ans sa lettre à A.J. C zarto ryski du 12 avril a.s. (25 avril n.s.) 1806, il écrivait, en sollicitant son app ui: «M on âge exige que je me fixe»13, confession d ’un no m ade qui prit conscience de la fin proche de sa vie d ’errance et de la nécessité d ’ad o p te r un m ode de vie établi. C ’est dans cette o p tiq u e et non d ans celle d ’un am bitieux q u ’il faut voir les dém arches de Potocki p o u r le poste en question.

Ces dém arches s’étan t soldées par l’échec, P otocki, découragé, q u itta S ain t-P étersb o u rg au déb u t de 1808 et re n tra en Podolie.

Après s’y être installé, il cessa de voyager. Ce fut la fin de ses longs voyages. Les déplacem ents q u ’il faisait en U k rain e ne p o u ­

13 Cette lettre fut publiée par V. A. F r a n c e v , Posledneye utchenoye pubteshest-

viye grafa J. Potockogo 1805-1806. l z m ateryalov dla yego byografii, Prague 1938, p.

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