LXVII.4 (1994)
Sur le noyau sauvage des corps de nombres
par
Jean-Franc ¸ois Jaulent (Talence)
0. Introduction. Notre point de d´epart dans ce travail est une formule explicite particuli`erement simple pour le symbole de Hilbert sur un corps local K
pqui s’exprime comme suit : Soit l un nombre premier tel que K
pcontienne les racines 2l-i`emes de l’unit´e pour un r ≥ 1. Alors pour chaque racine l
r-i`eme de l’unit´e ζ contenue dans K
pet tout x de K
p×, le symbole de Hilbert correspondant est donn´e par la formule
ζ, x p
= ζ
˜vp(x),
o` u e v
pest une application `a valeurs dans un Z
l-r´eseau de Q
ld´efinie `a partir des logarithmes des valeurs absolues l-adiques.
Or l’int´erˆet de ce r´esultat n’est pas tant de donner un nouveau moyen de calcul des symboles de Hilbert (nous avons choisi d’en donner ici une preuve directe particuli`erement simple, mais nous aurions pu aussi bien l’obtenir en transformant les formules explicites classiques qui font d´ej`a intervenir le logarithme), que de relier naturellement les symboles sauvages `a une ap- plication e v
pqui n’est pas d´efinie seulement modulo une congruence, mais prend effectivement ses valeurs dans un Z
l-module de rang 1, et peut ainsi ˆetre regard´ee comme l’analogue d’une valuation.
Plus pr´ecisement, si en chaque place non complexe p d’un corps de nom- bres K contenant les racines 2l
r-i`emes de l’unit´e, on convient de remplacer la valuation p-adique usuelle v
ppar celle logarithmique e v
p, on peut alors d´efinir un groupe logarithmique de classes de diviseurs f Cl
K, analogue au l-groupe des classes au sens ordinaire Cl
K(et donc d’une arithm´etique voi- sine) et li´e de surcroˆıt au noyau symboles sauvages dans le groupe universel K
2(K). L’isomorphisme obtenu
lr
µ
K⊗
Zf Cl
K'
lrH
2(K),
d´ej`a annonc´e dans un article ant´erieur en termes id´eliques (cf. [J
2], th. 2.12)
1991 Mathematics Subject Classification: 11R18, 11R70, 11S31.
[335]
et reproduit sous une forme voisine quoique non canonique par d’autres au- teurs (cf. [CK], prop. 2.1), prend toute son importance ici du fait que le groupe f Cl
Kn’est plus d´efini comme quotient du groupe des classes d’id`eles, mais explicitement comme groupe de classes de diviseurs, donc algorith- miquement accessible aux m´ethodes num´eriques, ce qui ouvre la voie `a une approche effective du groupe H
2(K).
Nous commen¸cons pour cela par rappeler quelques propri´et´es des valeurs absolues l-adiques et notamment leur interpr´etation en termes de corps de classes.
1. Rappel sur les valeurs absolues l-adiques. Si K
pest un corps local, i.e. le compl´et´e en une place ultram´etrique p d’un corps de nombres K, la factorisation de son groupe multiplicatif
K
p×= µ
0pU
p1π
Zpfait intervenir le groupe µ
0p, d’ordre N p − 1, form´e des racines de l’unit´e d’ordre ´etranger `a la caract´eristique r´esiduelle p, le groupe U
p1= 1 + p des unit´es principales, et le groupe monog`ene multiplicatif engendr´e par une uniformisante arbitraire π
p.
Si maintenant l est un nombre premier, la valeur absolue l-adique prin- cipale | · |
pest d´efinie sur K
p×par la formule
|x|
p=
hN p
−vp(x)i pour p - l, hN
Kp/Ql(x)N p
−vp(x)i pour p | l,
o` u h·i est la projection canonique du groupe multiplicatif Z
×ldes unit´es de Z
lsur son sous-groupe libre maximal 1 + 2lZ
l. Par composition avec le logarithme l-adique (qui est bien d´efini sur 1 + 2lZ
lpar le d´eveloppement en s´erie log(1 + x) = P
n≥1
(−1)
n+1x
n/n), on obtient ainsi un morphisme continu log | |
psur le groupe topologique K
p×`a valeurs dans le groupe additif 2lZ
l(
1).
Plus pr´ecis´ement, l’application obtenue induit canoniquement un Z
l- morphisme, que nous continuerons `a noter log | |
p, du compactifi´e l-adique de K
p×, d´efini comme la limite projective
K
×p= lim ←−
nK
p×/K
p×ln,
sur un sous-module d’indice fini de Z
lqui sera pr´ecis´e plus loin. Il est com- mode d’´ecrire
K
×p= U
p· π
pZl(
1) La d´efinition ci-dessus de la valeur absolue l-adique principale diff`ere pour l = 2
de celle utilis´ee dans [J
1] o` u sont prises en compte les composantes sur le facteur {±1} de
Z
×2. Cela est sans cons´equence lorsqu’on compose par le logarithme 2-adique.
comme produit direct de l’image U
pdu groupe des unit´es de K
p×(qui s’identifie au l-sous-groupe de Sylow de µ
0ppour p - l, au groupe U
p1sinon) et du Z
l-module libre de rang 1 engendr´e topologiquement par l’image de l’uniformisante π
p. Cela ´etant, l’application d’Artin identifie
• le compactifi´e K
×pau groupe de Galois Gal(K
pab/K
p) de la pro-l- extension ab´elienne maximale de K
p,
• le sous-groupe des unit´es U
pau sous-groupe d’inertie Gal(K
pab/K
pnr) qui correspond `a la Z
l-extension non ramifi´ee K
pnrde K
p,
• et le noyau
K
p∗= Ker log | |
pau sous-groupe Gal(K
pab/K
p∞) attach´e `a la Z
l-extension cyclotomique K
p∞de K
p(cf. [J
1], §2). En d’autres termes, K
∗pest le groupe des normes cyclo- tomiques dans K
p×.
En particulier, on a K
∗p= U
ppour p - l.
2. Expression du symbole de Hilbert en termes de valeurs ab- solues. Notons m
pl’ordre du sous-groupe de torsion µ
pde K
p×(i.e. le nom- bre de racines de l’unit´e contenues dans le corps local K
p), et ω
pl’application d’Artin attach´ee `a K
p(`a valeurs dans le groupe de Galois de l’extension ab´elienne maximale de K
p). Avec ces notations le symbole de Hilbert est l’application bilin´eaire de K
p×× K
p×sur µ
pd´efinie par l’identit´e
a, b K
pmp
=
mp√
a
(ωp(b)−1).
Cela pos´e, le r´esultat de d´epart de ce travail peut s’´enoncer comme suit : Th´ eor` eme 1. Soient l un nombre premier , K
pun corps local contenant les racines 2l
r-i`emes de l’unit´e, et m
p= 2l
rm
0p(avec l - m
0p) l’ordre du groupe µ
p. Alors, si ζ est une racine l
r-i`eme de l’unit´e dans µ
pet x un
´el´ement quelconque de K
p×, le symbole de Hilbert correspondant est donn´e par la formule
ζ, x K
pmp
= ζ
− log |x|p/mp,
o`u | |
pd´esigne la valeur absolue l-adique principale sur K
p×.
D ´e m o n s t r a t i o n. Ecrivons m
p= (N p − 1)p
rpl’ordre de µ
p, et distin- guons deux cas suivant que la caract´eristique r´esiduelle p de K
pest ´egale `a l ou non.
(i) Dans le cas mod´er´e l 6= p, il est bien connu (cf. [Se], ch. XIV) que la puissance p
rp-i`eme des symbole de Hilbert
Ka,bp
mp
est le symbole r´egulier
(a, b)
p`a valeurs dans µ
0p, caract´eris´e par la congruence
a, b K
p prpmp
= (a, b)
p≡ (−1)
vp(a)vp(b)a
vp(b)b
vp(a)(mod p).
Il vient donc ici
ζ, x K
p prpmp
= ζ
vp(x)= ζ
− log |x|p/ log N p,
compte tenu de l’expression dans ce cas de la valeur absolue l-adique : |x|
p= hN p
−vp(x)i. D’autre part, puisque K
pest suppos´e contenir les racines 2l
r- i`emes de l’unit´e, nous avons les congruences N p ≡ 1 (mod l
r) si l est impair, et N p ≡ 1 (mod 2
r+1) si l vaut 2, ce qui nous donne dans les deux cas
log N p
N p − 1 = log(1 + (N p − 1))
N p − 1 ≡ 1 (mod l
r) dans Z
×l. Il vient donc finalement
ζ, x K
p prpmp
= ζ
− log |x|p/(N p−1),
i.e.
ζ, x K
pmp
= ζ
− log |x|p/(N p−1)prp= ζ
− log |x|p/mp, comme attendu.
(ii) Dans le cas sauvage l = p, consid´erons la quantit´e
ζ, x K
p N p−1mp
=
lrlp
ζ
(ωp(x)−1).
Introduisons le sous-corps C
lde K
pengendr´e sur Q
lpar les racines l
rl-i`emes de l’unit´e, et notons ω
ll’application d’Artin associ´ee `a C
l. Nous obtenons imm´ediatement
ζ, x K
p N p−1mp
=
lrlp
ζ
(ωl(NKp/Cl(x))−1)=
ζ, N
Kp/Cl(x) C
l N l−1ml
, et nous sommes ainsi ramen´es `a un calcul dans le corps C
l, unique compl´et´e au-dessus de l du corps cyclotomique C engendr´e sur Q par les racines l
rl- i`emes de l’unit´e. Or, ici, la formule du produit pour les symboles de Hilbert dans le corps C nous permet d’´ecrire, pour tout y de C
×,
ζ, y C
l ml/mml
= Y
q6=l
ζ, y C
q −mq/mmq
= ζ
−Σq6=llog |y|q/mavec
m = 2l
r,
m
l= l
rl(N l − 1),
compte tenu des formules explicites d´ej`a obtenues dans le cas mod´er´e, c’est-
`a-dire :
ζ, y C
l ml/mml
= ζ
− log |y|l/m,
en vertu de la formule du produit pour les valeurs absolues, et finalement,
ζ, y C
l N l−1ml
= ζ
− log |y|l/m,
pour tout y de C
×donc, par densit´e, pour tout y de C
l×; et en particulier,
ζ, x K
p N p−1mp
=
ζ, N
Kp/Cl(x) C
l N l−1ml
= ζ
− log |x|p/lrl, ce qui nous donne donc, comme annonc´e,
ζ, x K
p= ζ
− log |x|p/mp.
Au passage, nous retrouverons la classique formule d’Artin–Hasse, g´en´era- lis´ee pour l impair par Iwasawa (cf. [Iw]), et qu’on peut aussi obtenir, ind´e- pendamment de toute consid´eration de parit´e, via la th´eorie de Lubin–Tate (cf., par exemple, [La], Ch. 9).
Scolie. Conservons les notations du th´eor`eme, et supposons l = 2.
Alors, si ξ est une racine 2
r+1-i`eme primitive de l’unit´e dans µ
pet x un
´el´ement quelconque de K
p×, il vient
ξ, x K
pmp
= (−ξ)
− log |x|p/mp. P r e u v e. Pour q ∈ 2
r+1Z
2, nous avons en effet
log(1 + q)
q ≡ 1 − q
2 (mod 2
r+1),
ce qui introduit un signe moins dans les calculs pr´ec´edents en vertu de l’identit´e ξ
2r= −1.
3. Valuations logarithmiques sur un corps de nombres. La for-
mule explicite donn´ee au th´eor`eme 1 invite naturellement `a prendre pour
l-valuation logarithmique attach´ee `a une place p d’un corps de nombres
K contenant les racines 2l
r-i`emiques de l’unit´e la quantit´e − log |x|
p/m
p.
Malheureusement, cette d´efinition donne lieu `a des formules de transition
inutilement compliqu´ees lorsqu’on compare les l-valuations logarithmiques
ainsi d´efinies dans K `a celles qui leur correspondent dans une extension donn´e L de K. C’est pourquoi il est pr´ef´erable de proc´eder comme suit en posant :
D´ efinition. Soient l un nombre premier, K
pun corps local, et m
p= p
rp(N p − 1) le cardinal du sous-groupe de torsion µ
pde K
p×. Par l-symbole de Hilbert attach´e `a K, nous entendons le symbole sur K
p`a valeurs dans µ
pd´efini sur K
p×× K
p×par
a, b p
=
a, b K
p prpmp
=
a, b K
pN p−1
pour p - l,
a, b K
p N p−1mp
=
a, b K
pprp
pour p | l,
obtenu en prenant la partie r´eguli`ere du symbole de Hilbert ordinaire pour les p ´etrangers `a l, et la partie sauvage pour les p qui divisent l.
Cela ´etant, nous avons, en vertu du th´eor`eme 1 :
D´ efinition & Th´ eor` eme 3. Soient l un nombre premier , et K un corps de nombres contenant les racines 2l
r-i`emes de l’unit´e (pour un r ≥ 1). Pour chaque place ultram´etrique p de K, nous appelons l-valuation logarithmique attach´ee `a la place p l’application e v
pd´efinie par (
2) :
e
v
p= − log | |
plog N p = v
ppour p - l et e v
p= − log | |
pl
rppour p | l, o`u v
pest la p-valuation au sens ordinaire, N p la norme absolue de la place consid´er´ee, log | |
ple logarithme de la valeur absolue l-adique principale associ´ee, et l
rple nombre des racines de l’unit´e d’ordre l-primaire dans le compl´et´e K
ppour p | l.
Avec ces conventions, pour toute racine l
r-i`eme de l’unit´e ζ dans K, les l-symboles de Hilbert attach´es aux diverses places ultram´etriques de K satisfont l’identit´e
ζ, x p
= ζ
v˜p(x), ∀x ∈ K
×.
Scolie. Pour chaque place ultram´etrique p, la l-valuation logarithmique e
v
pinduit un Z
l-´epimorphisme (que nous continuerons `a noter e v
p) du com- pactifi´e l-adique K
p×de K
p×sur Z
l, qui a pour noyau le groupe K
∗pdes normes cyclotomiques.
(
2) Pour quelques places de K divisant [K : Q], la normalisation retenue ici pour la l-valuations logarithmique peut diff´erer de celle donn´ee en toute g´en´eralit´e dans [J
3].
Comme on passe d’une normalisation `a l’autre en multipliant par un ´el´ement de Z
×l, c’est
sans cons´equence pour ce qui suit.
P r e u v e. Nous savons d´ej`a que le noyau K
∗p= Ker log | |
pdans K
×pest le groupe des normes cyclotomiques. Seule reste donc `a v´erifier la surjectivit´e de e v
p, laquelle r´esulte imm´ediatement du th´eor`eme 1 (et de son scolie pour l = 2), puisque les symboles de Hilbert
ζ,xKp
mp
pour ζ dans µ
pet x dans K
p×prennent toutes les valeurs dans µ
p.
Introduisons maintenant le l-adifi´e J
Kdu groupe des id`eles de K, d´efini comme le produit
J
K= Y
resp
K
×pdes compactifi´es l-adiques K
p×restreint aux familles (x
p)
pqui v´erifient x
p∈ U
ppour presque tout p. Puisque K
∗pco¨ıncide avec U
ppour p - l, la famille e
v = (v
p)
pdes l-valuations logarithmiques envoie J
Ksur la somme directe L
p
Z
lp d’autant d’exemplaires de Z
lque de places ultram´etriques de K.
Plus pr´ecisement :
D´ efinition & Proposition 4. Convenons d’appeler l-diviseur logarith- mique toute somme formelle finie
d = X
p
a
pp
de places ultram´etriques de K `a coefficients dans Z
l. Cela pos´e, la famille e
v = (e v
p)
pdes l-valuations logarithmiques d´efinit un Z
l-´epimorphisme con- tinu du l-adifi´e J
K= Q
resp
K
p×du groupe des id`eles de K sur le groupe Dl
K= L
p
Z
lp des l-diviseurs logarithmiques qui a pour noyau le groupe J
K∗= Q
p
K
∗pdes normes cyclotomiques locales.
P r e u v e. C’est clair (
3).
D´esignons enfin par R
K= Z
l⊗
ZK
×le sous-groupe principal de J
K, de sorte que le quotient Cl
K= J
K/R
Ks’identifie, par la th´eorie l-adique du corps de classes, au groupe de Galois Gal(K
ab/K) de la pro-l-extension ab´elienne maximale de K (cf. [J
1], §1).
La formule du produit pour les valeurs absolues montre que R
Kest contenu dans le noyau
J e
K= n
(x
p)
p∈ J
KY
p
|x
p|
p= 1 o
qui s’interpr`ete comme le sous-groupe des normes cyclotomiques globales dans J
K(cf. [J
1], §3).
(
3) La d´efinition ci-dessus pr´ecise celle donn´ee dans [J
2] : c’est ´evidemment la formule
explicite du th´eor`eme 1 qui justifie la normalisation adopt´ee ici.
En particulier, transportant cette inclusion par la valuation e v, nous obtenons :
D´ efinition & Proposition 5. Convenons de d´efinir le degr´e d’un l- diviseur logarithmique d par la formule
deg X
p
a
pp
= X
p
a
pdeg p, avec deg p =
log N p pour p - l, l
rppour p | l, en affectant `a chaque place ultram´etrique p un poids ´egal au logarithme de la norme absolue de p pour p - l et au nombre l
rpde racines sauvages de l’unit´e dans K
ppour p | l. Cela ´etant, l’application f div induite par les l-valuations logarithmiques e v = (e v
p)
penvoie le sous-groupe principal R
K= Z
l⊗
ZK
×de J
Kdans le groupe f Dl
Kdes l-diviseurs logarithmiques de degr´e nul.
Nous disons que l’image f Pl
K= f div(R
K) est le sous-groupe principal de Dl f
K, et que le quotient f Cl
K= f Dl
K/f Pl
Kest le l-groupe des classes logarith- miques de K.
4. Application au noyau sauvage de K
2(K). Conservons les nota- tions pr´ec´edentes, et int´eressons nous au l-sous-groupe de Sylow du noyau H
2(K) dans K
2(K) des symboles sauvages ou de Hilbert. Le th´eor`eme de Moore sur le K
2des corps de nombres nous donne une suite exacte courte
1 → H
2(K) → K
2(K) e
λ→ f L
p
µ
p→ 1,
o` u l’application e λ, induite par les symboles de Hilbert, prend ses valeurs dans le sous-groupe f L
p
µ
pde la somme directe des groupes locaux de racines de l’unit´e attach´es aux places non complexes de K, form´e des familles (ζ
p)
pqui satisfont la formule du produit
Y
p
ζ
pmp/m= 1,
o` u m
pd´esigne l’ordre de µ
pet m celui du sous-groupe de torsion µ
Kde K
×. Supposons donc que K contienne les racines 2l
r-i`emes de l’unit´e, ´ecrivons m = 2l
rm
0(avec r ≥ 1 et l - m
0) l’ordre de µ
K, et formons la suite exacte du serpent associ´ee au diagramme commutatif
1 → H
2(K) → K
2(K) e
λ→ L f
p
µ
p→ 1
↓
lr↓
lr↓
lr1 → H
2(K) → K
2(K) e
λ→ L f
p
µ
p→ 1 Dans la suite exacte longue obtenue
1 →
lrH
2(K) →
lrK
2(K) e
λ→ f L
lr
µ
p→
lrH
2(K) →
lrK
2(K) e
λ→ f L
lrµ
p→ 1,
les deux groupes `a droite sont isomorphes d’apr`es un r´esultat de Tate K
2(K)/K
2(K)
lr' f L
µ
p/µ
lpr(cf. [Ta]); et les ´el´ements d’ordre divisant l
rdans K
2(K) sont de la forme {ζ, x} pour ζ ∈
lrµ
Ket x dans K
×, c’est-`a-dire qu’il proviennent via le symbole universel {·, ·}|K
×× K
×→ K
2(K) du pro- duit tensoriel
lrµ
K⊗
ZK
×'
lrµ
K⊗
ZlR
K. Or :
Lemme 6. L’application ζ ⊗ ( P
p
ν
pp) 7→ (ζ
νp)
pest un isomorphisme du tensoris´e
lrµ
K⊗ f Dl
Ksur la somme directe restreinte f L
lr
µ
p.
P r e u v e. Fixons une racine primitive l
r-i`eme de l’unit´e ζ dans K, et consid´erons un ´el´ement (ζ
νp)
pde la somme directe L
p lr
µ
psatisfaisant la formule du produit, i.e. v´erifiant la congruence
X
p
ν
pm
pm ≡ 0 (mod l
r).
Les p pour lesquels ν
pest non nul ´etant en nombre fini, le th´eor`eme de Chebotarev nous garantit l’existence d’une place q en dehors du support de la famille (ν
p)
pqui ne se d´ecompose pas dans l’extension ab´elienne K[ζ
2lr+1]/K, c’est-`a-dire pour laquelle m
q/m est inversible dans Z
l. La quan- tit´e
ν
q= − m m
qX
p
ν
pm
pm
est donc dans l
rZ
l, et si d est le diviseur logarithmique de degr´e nul d´efini par d = P
p
ν
pp + ν
qq, il est clair que ζ ⊗ d est un ant´ec´edent de la famille (ζ
νp)
p; ce qui ´etablit la surjectivit´e. L’injectivit´e est, elle, imm´ediate.
R´ecapitulant ce qui pr´ec`ede, nous obtenons le diagramme exact :
lr
K
2(K) e
λ→ L f
plr
µ
p→
lrH
2(K) → 1
↑ ↑
lr
µ
K⊗ R
Ke
v→
lrµ
K⊗ f Dl
K→
lrµ
K⊗ f Cl
K→ 1
et le carr´e `a gauche est commutatif en vertu du th´eor`eme 1. Il vient donc finalement, comme annonc´e dans [J
1] (th. 2.12) :
Th´ eor` eme 7. Soient l un nombre premier et K un corps de nombres contenant les racines 2l
r-i`emes de l’unit´e pour un r ≥ 1. Ecrivons H
2(K) le noyau dans K
2(K) des symboles de Hilbert,
lrµ
Kle sous-groupe de l
r-torsion de K
×, et f Cl
Kle l-groupe des classes logarithmiques de K. Les l-valuations logarithmiques induisent alors un isomorphisme canonique
H
2(K)/H
2(K)
lr'
lrµ
K⊗ f Cl
K.
En particulier , le l-sous-groupe de Sylow du noyau hilbertien et le l-groupe
des classes logarithmiques sont simultan´ement triviaux.
Scolie. Le mˆeme r´esultat H
2(K)/H
2(K)
2r+1'
2r+1µ
K⊗ f Cl
Kvaut encore
`a l’ordre r + 1 pour l = 2, mais dans ce cas l’isomorphisme
2r+1µ
K⊗ f Dl
K' L f
p2r+1
µ
pest donn´e, pour ξ racine primitive 2
r+1-i`eme de l’unit´e, par ξ ⊗ X
ν
pp
7→ ((−ξ
νp)
p|2, (ξ
νp)
p - 2).
L’isomorphisme obtenu est `a rapprocher de celui donn´e par Keune (cf.
[Ke], th. 6.6) qui fait intervenir les l-groupes de l-classes au sens habituel Cl
K0, mais impose en revanche de monter dans la tour cyclotomique, alors que le th´eor`eme 7 ci-dessus se lit directement dans le corps K. Une version voisine a ´egalement ´et´e ´etablie par Kramer et Candiotti (cf. [CK], prop. 2.1), mais l’isomorphisme qu’ils donnent n’est pas canonique et en particulier il ne respecte pas l’action galoisienne. Bien entendu, le point essentiel ici est la commutativit´e du diagramme c’est-`a-dire le fait que l’application e λ provient de la valuation logarithmique e v.
Il est d’autre part tentant, compte tenu de l’isomorphisme entre quotients d’exposant l
rdonn´e par le th´eor`eme, d’essayer de construire directement un morphisme canonique non plus entre quotients mais entre sous-groupes d’exposant l
r. Il se trouve que c’est en effet possible, du moins sous la conjecture de Gross, mais ici encore en acceptant de monter dans la tour cyclotomique K
∞/K.
5. Extension aux corps surcirculaires. Supposons donc toujours que K soit un corps de nombres contenant les racines 2l
r-i`emes de l’unit´e, et introduisons sa Z
l-extension cyclotomique K
∞= S
n∈N
K
n, avec, disons (
4), K
n= K[ζ
ln],
pour un syst`eme coh´erent (ζ
ln)
n∈Nde racines primitives l
n-i`emes de l’unit´e (i.e. v´erifiant ζ
lln+1= ζ
ln).
Si maintenant p est une place ultram´etrique de K, p
nune place de K
nau-dessus de p et K
pnle compl´et´e de K
ncorrespondant, la d´efinition de la valeur absolue l-adique montre que l’on a |x|
pn= |x|
[Kp pn:Kp]et donc
e
v
pn(x) = e v
p(x) pour tout x de K
×,
c’est-`a-dire que la valuation logarithmique d’un ´el´ement x de K
×en une place p peut se calculer en n’importe quelle place au-dessus de p `a chaque
´etage fini de la tour d’extensions K
∞/K. Il est ainsi naturel de regarder Dl
Kcomme un sous-module de Dl
Knen ´ecrivant formellement chaque place
(
4) K
∞est ce qu’il est convenu d’appeler un corps surcirculaire (ou un Z
l-corps dans
la terminologie d’Iwasawa).
ultram´etrique p de K comme somme des places de K
nqui sont au-dessus : p = X
pn|p
p
n. L’identit´e imm´ediate deg
Kn( P
pn|p
p
n) = [K
n: K] deg
K(p) montre alors que l’on a
deg
Kn(d) = [K
n: K] deg
K(d)
pour tout diviseur logarithmique d de K, et qu’en particulier f Dl
Kest con- tenu dans f Dl
Kn.
Plus g´en´eralement, puisque chaque place ultram´etrique p de K est fini- ment d´ecompos´ee dans la tour cyclotomique K
∞/K, nous pouvons encore
´ecrire `a la limite
p = X
p∞|p
p
∞comme somme des places K
∞qui sont au-dessus, avec pour tout x de K
×, e
v
p∞(x) = e v
p(x), de sorte que l’ensemble de cette discussion peut se r´esumer comme suit :
Proposition 8. Pour chaque place ultram´etrique p
∞du corps surcir- culaire K
∞= S
n∈N
K
n, d´efinissons la l-valuation logarithmique e v
p∞sur le groupe
R
K∞= Z
l⊗
ZK
∞×= [
n∈N
(Z
l⊗
ZK
n×)
en posant pour tout x de R
K∞et tout n assez grand pour que x soit dans R
Kn,
e
v
p∞(x) = e v
pn(x).
Regardons enfin f Dl
Kcomme un sous-module de f Dl
K∞= S
n∈N
Dl f
Knen d´efinissant les morphismes d’inclusion par les identit´es valables pour chaque place finie p
nde K
n:
p
n= X
p∞|pn
p
∞. Nous obtenons alors le diagramme commutatif :
Dl f
K= f L
p
Z
lp → Dl f
Kn= f L
pn
Z
lp
n→ Dl f
K∞= f L
p∞
Z
lp
∞↑ f
div↑ f
div↑ f
divR
K= Z
l⊗
ZK
×→ R
Kn= Z
l⊗
ZK
n×→ R
K∞= Z
l⊗
ZK
∞×o`u les fl`eches horizontales sont les inclusions canoniques et celles verticales sont induites par les l-valuations logarithmiques.
D´ efinition 9. Nous disons que le quotient f Cl
K∞= f Dl
K∞/f Pl
K∞=
−→ lim f Cl
Kndu groupe des diviseurs de degr´e nul f Dl
K∞par son sous-groupe
principal f Pl
K∞= f div(R
K∞) est le l-groupe des classes logarithmiques du corps K
∞.
Cela pos´e, faisons choix d’une Z
l-base ζ = (ζ
ln)
n∈Ndu module de Tate T
l= lim ←− µ
ln(c’est-`a-dire, d’un syst`eme projectif de racines primitives l
n- i`emes de l’unit´e, disons (ζ
ln) avec ζ
lln+1= ζ
ln, pour tout n ∈ N). Avec les conventions ci-dessus, le th´eor`eme 7 s’´enonce `a la limite comme suit :
Th´ eor` eme 10. Soient l un nombre premier , K un corps de nombres con- tenant les racines 2l
r-i`emes de l’unit´e, et K
∞la Z
l-extension cyclotomique de K. L’application
{ζ
lr, x} 7→ ζ ⊗ e cl
K∞(l
−rdiv(x)), f
o`u e cl
K∞d´esigne la surjection canonique de f Dl
K∞sur f Cl
K∞, est un ´epimor- phisme du l-groupe de Sylow
l∞H
2(K
∞) du noyau sauvage H
2(K
∞) dans K
2(K
∞), sur le tensoris´e T
l⊗
Zlf Cl
torK∞
du sous-groupe de torsion du l- groupe des classes logarithmiques de K
∞, qui a pour noyau le sous-groupe de
l∞H
2(K
∞) form´e des symboles {ζ, x} construits sur les normes cyclo- tomiques.
En particulier , sous la conjecture de Gross dans K
∞on obtient ainsi l’isomorphisme
l∞
H
2(K
∞) ' T
l⊗
ZlCl e
K∞.
R e m a r q u e s. (i) Ce dernier r´esultat est sans rapport imm´ediat avec celui ´enonc´e `a la fin de la section pr´ec´edente : On peut aussi, bien entendu, passer `a la limite dans l’isomorphisme entre quotients donn´e par le th´eor`eme 7. Il convient cependant pour cela de remplacer le syst`eme inductif associ´e aux applications d’extension par le syst`eme projectif associ´e aux applications normes ou `a leurs ´equivalents (i.e. au transfert en termes de K-th´eorie).
L’isomorphisme final entre modules d’Iwasawa (qui est, lui, ind´ependant de la conjecture de Gross) :
←− lim
l∞H
2(K
n) ' T
l⊗
Zl←− lim f Cl
Knest essentiellement bien connu (cf. [J
2]). Par la th´eorie du corps de classes, la limite projective lim ←− f Cl
Kns’interpr`ete en effet comme le groupe de Galois Gal(C
∞0/K
∞) attach´e `a la pro-l-extension ab´elienne maximale de K
∞qui est compl`etement d´ecompos´ee en chacune de ses places. On notera dans ce cas que la condition normique sur le syst`eme projectif de racines de l’unit´e s’´ecrit pour l = 2 : N
Kn+1/Kn(ζ
2n+1) = ζ
2n, i.e. ζ
22n+1= −ζ
2n, ce qui introduit bien le signe moins attendu ici, conform´ement au scolie du th´eor`eme 7.
(ii) L’isomorphisme obtenu est `a rapprocher, en revanche, du th´eor`eme
principal de l’article de Kolster (cf. [Ko], th. 2.7). On notera cependant que
la d´efinition des groupes f Cl
Knest strictement de type corps de classes, tandis
que celle des groupes H
Kn/N
Kn(dans les notations de [J
2]) intervenant dans [Ko] rel`eve de la th´eorie de Kummer. L’isomorphisme canonique r´esultant (sous Gross) f Cl
K∞' H
K∞/N
K∞peut ˆetre regard´e comme l’une des formes les plus ´elabor´ees du Spiegelungssatz de Leopoldt.
P r e u v e d u t h ´e o r `e m e 10. Les r´esultats cohomologiques de Tate (cf. [Ta]) montrent que les ´el´ements de K
2(K
∞) d’ordre d’une puissance de l sont ceux de la forme {ζ
lr, x}, avec r ≥ 1 et x ∈ K
∞×(que nous pouvons tout aussi bien regarder dans R
K∞= Z
l⊗
ZK
∞×, puisqu’il n’est d´efini qu’`a une puissance l
r-i`eme pr`es). Or, ici, pour {ζ
lr, x} ∈ H
2(K
∞), l’expression explicite des l-symboles de Hilbert donn´ee par le th´eor`eme 3 implique que le diviseur logarithmique f div(x) tombe dans le sous-module l
rDl f
K∞de f Dl
K∞, ce qui invite `a consid´erer la classe e cl
K∞(l
−rdiv(x)) dans le groupe f f Cl
K∞.
Cela ´etant, l’application ψ|ζ
lr⊗ x 7→ ζ ⊗ e cl
K∞(l
−rdiv(x)) est clairement f un Z
l-morphisme du groupe {ζ
lr⊗ x ∈ µ
l∞⊗
ZlR
K∞| {ζ
lr, x} ∈ H
2(K
∞)}
sur le produit T
l⊗
Zlf Cl
torK∞. Son noyau est form´e des ´el´ements ζ
lr⊗ x pour lesquels f div(x) est de la forme l
rdiv(y) pour un y de R f
K∞, autrement dit pour lesquels x s’´ecrit x = εy
lravec f div(ε) = 0. Il vient donc
Ker ψ = {ζ
lr⊗ ε ∈ µ
l∞⊗
ZlR
K∞| f div(ε) = 0}.
Et le noyau de ψ est le sous-module de µ
l∞⊗ R
K∞construit sur les normes cyclotomiques.
En particulier (cf. [Ko] ou [J
2], th. 8(ii)), Ker ψ contient le noyau uni- versel :
{ζ
lr⊗ x ∈ µ
l∞⊗ R
K∞| {ζ
lr, x} = 1 dans H
2(K
∞)},
ce qui conduit bien `a l’´epimorphisme annonc´e :
l∞H
2(K
∞) ³ T
l⊗
Zlf Cl
torK∞. Plus pr´ecis´ement mˆeme, la conjecture de Gross affirmant l’´egalit´e de Ker ψ et du noyau universel ainsi que celle de f Cl
K∞et de son sous-groupe de torsion, nous obtenons dans ce cas un isomorphisme canonique
l∞
H
2(K
∞) ' T
l⊗ f Cl
K∞,
ce qui ram`ene l’´etude arithm´etique des noyaux hilbertiens attach´es aux corps surcirculaires `a celle des l-groupes de classes logarithmiques de ces corps.
Comme expliqu´e dans [J
2], cet isomorphisme ne se redescend pas, en g´en´eral,
`a un niveau fini de la tour cyclotomique.
R´ ef´ erences
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CENTRE DE RECHERCHE EN MATH´EMATIQUES DE BORDEAUX UNIVERSIT´E BORDEAUX I
351, COURS DE LA LIB´ERATION 33405 TALENCE CEDEX, FRANCE