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Clemenceau et la Pologne

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Academic year: 2021

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Wiesław Śladkowski

Clemenceau et la Pologne

Annales Universitatis Mariae Curie-Skłodowska. Sectio F, Historia 4142, 1-33

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A N N A L E S

U N I V E R S I T A T I S M A R I A E C U R I E - S K Ł O D O W S K A L U B L I N — P O L O N I A

VOL. XLI/XLII, 1__________________ SECTIO F__________________________1986/1987

I n s t y t u t H i s t o r i i W y d z i a łu H u m a n i s t y c z n e g o U M C S

W i e s ł a w Ś L A D K O W S K I

C l é m e n c e a u e t la P o l o g n e

Clémenceau a Polska Клемансо и Польша

Les sen tim en ts pro-polonais de G eorges C lém enceau, sa „polono- p h ilie”, ne font aucun doute m ais la connaissance qu ’on en a eu ju sq u ’à présent n ’a jam ais été systém atiq u e ni exh au stive. Cet hom m e politique est avant tout connu pour avoir été „ l’hom m e de la P olo g n e” face à L loyd G eorge à la con féren ce de Paris. En P ologne m êm e les raisons de l ’in térêt porté par C lém enceau — et toujours sou ten u au fil des

a n n ées — pour le „pays de la V istu le ” 1 onlt alim en té bien des discussions; de m êm e y a-t-o n fait paraître articles et débats de presse consacrés à la q uestion p olonaise q u ’il avait lu i-m êm e écrits durant la prem ière guerre m o n d ia le 2. En France, en revanche, les auteurs de biographies et de travau x consacrés à C lém enceau ne m en tion n en t pas de lien s qui l’auraient plus particu lièrem en t attach é à la P ologn e, fû t-ce dans sa vie p ersonnelle, longu e e t tu m u ltu eu se, ou dans ses activ ités d’hom m e po­ litiq u e et d ’hom m e de presse. N u l doute que ce u x -ci n ’étaien t pas de prem ier plan. Il n ’en est pas m oin s vrai que les p résenter dans un article p ublié en français p eu t con stitu er un apport p récieu x aux nom breuses biographies et publications parues ju sq u ’à ce jour sur „le P ère de la V ictoire”.

C’est à l’âge de sep t ans que G eorges C lém enceau en ten d it parler pour la prem ière fois de la question polonaise. Lui et sa fa m ille habitaient alors N antes, et c’est là q u ’il vécu t les grandes h eu res de la révolution

1 W. S l a d k o w s k i : Georgesa Clémeseau zainteresowanie Polską (Les in ­

térêts de Georges Clémenceau pour la Pologne), „K w artalnik Historyczny”, 1980,

n r 1, p. 69 à 84.

2 I d., Opinia publiczna we Francji wobec sprawy polskiej w latach 1914—

1918 (L ’opinion publique en France et la question polonaise dans les années 1914—

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d e 1848. B ien des a n n ées après, il écrivait dans un de ses articles: „Jje vis passer dans un éclair les grandes m an ifestations populaires de 1848 en faveur de la P ologne dont j ’avais été tém oin dans mon en fa n ce” A illeu rs encore, et p en san t assu rém ent au x ém igrants polonais, il se souvenait: „En 1848 à N an tes j’avais vu des P olonais en arm es partir

à la con q uête de leu r p a y s” *.

Q uelques an nées plus tard, C lem enceau, jeune ad olescen t encore, fit la rencontre de Ju les M ichelet, leq u el éta it un am i de son père. A vec le tem ps, il approfondit l ’oeu vre de l ’auteur de „La P ologn e M artyre” que dans son en sem ble il appréciait h autem ent. Il s ’exprim a en ce sens daîns un article critique sur son „H istoire de F ran ce” en quatorze v o lu ­ m es paru dans la revue „Le T ravail” dont il était le rédacteur en chef pendant ses an nées d’études, recom m andant à ce propos au x jeun es gens de son âge la lectu re de cet ouvrage D ans sa b ib lioth èq ue person n elle

il possédait la correspondance ainsi que nom bre d’oeu vres tant de Ju les M ichelet que d ’Edgar Q uinet *. C’est ainsi que C lem enceau se form a une opinion sur l ’h istoire de France et celle de l’Europe, sou s l’in flu en ce de l ’oeu vre de ces ém in en ts représen tan ts de l ’école h istoriqu e rom antique qui fu ren t en m êm e tem ps des am is d ’A dam M ickiew icz, de la P ologne et des Polonais. Cet hom m e p olitiq u e rem arquable — et m êm e ses plus grands ennem is, te l par exem p le C aillaux, le lui reco n n a issa ien t7 — avait u ne connaissance parfaite, com m e peu de ses contem porains, tout

autant de l’h istoire de sa patrie q ue de ce lle de l’Europe des Temps M odernes, et par co n séq u en t de la P ologn e. Qui plus est, et selon ses propres déclarations, il avait profondém ent ressen ti l ’histoire, à cette

époque, tragique du peuple polonais, les partages et les insu rrection s 8. En réa lité ainsi que l ’a ffirm en t certains de ses biographes, au m om ent de l ’insurrection de janvier, alors q u ’il ach evait ses étu d es de m édecine, il interrom pit pour q uelque tem p s ses activités p olitiq u es ", m ais, com m e lu i-m êm e le rappela plus tard, il s ’éta it alors p lein em en t solidarisé avec les actions d ’aide et de sou tien organ isées à ce tte occasion, de mêrqe

3 G. C l é m e n c e a u : V ive la Pologne, „La Dépêche de Toulouse”, 5 X 1894. 4 I d., Grandeurs et Misères d ’une Victoire, P aris 1930, p. 136.

3 G. M o n n e r v i l l e : Clémenceau, P aris 1968, p. 36. cf. aussi G. G e f f r o y :

Georges Clémenceau, sa vie, son oeuvre, P aris 1919, p. 133; L. T r e i c k : Vie et mort de Clémenceau, Paris 1929, p. 49.

° Voix catalogue de la bibliothèque de Georges Clémenceau qui se trouve au musée qui porte son nom (9, rue Franklin, P aris XVI).

7 J. C a i l l a u x : Mes Mémoires, P aris 1942, p. 296. Sur l’érudition de Clé- menceau dans le domaine de l ’histoire et de la géographie, cf. aussi A. S. G o l a :

Clémenceau et son sous-préfet, Fontenay-le-Com te 1937, p. 116 à 160.

8 C l é m e n c e a u : Grandeurs et misères..., p. 159 et suiv. 3 C. D u c r a y : Clémenceau, P aris 1918, p. 21.

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q u ’il s ’etait totalem en t associé au x sen tim en ts d ’am itié et de com passion dont la société française fit alors m ontre à l’égard des P olonais au com ­ bat ie.

A in si donc est-ce dans la m aison de famille^ d ès sa plus tendre en ­ fance et durant son adolescence, q ue C lem en ceau se fit sa propre opi­ nion de la P ologn e et de ses habitants. L’im age des P olonais qui avaient perdu leu r Etat eit leu r indépendance, m ais qui n ’en avaient pas m oins p oursuivi la lu tte afin de recouvrer la liberté, cette im age-là éta it proche ég a lem en t des idées et des con viction s politiq u es d ’alors de C lem enceau. M édecin, n atu raliste, ath ée, il tirait ses inspirations philosophiques, à l ’instar de tous ce u x de sa gén ération, de la théorie p ositiviste anglaise et, partant, était un d iscip le de D arw in, Spencer et Stuart Mill. Pour qui concerne ce dernier, il le connut p erson n ellem en t et en traduisit les oeuvres. Com m e b ien d ’autres, il transposa les principes absolus de D arwin de la lu tte pour la vie dans la nature dans les rapports sociaux. D ’après C lém enceau, ce u x -ci se caractérisaient par des lu ttes incessan­ tes, brutales et san glan tes dans lesq u elles le plus fort l ’em portait tou­ jours. La source de tout progrès dans l ’h isto ire de l ’h um anité selon C lém enceau, c’était le „con flit en tre l ’égoïsm e et l ’a ltru ism e”, la lutte „pour une v ie m eilleu re, pour la lib erté de l ’ind ividu com m e pour celle des p eu p les” ". Le p eu p le polonais in exo rab lem en t en lu tte était par

con séq u en t particu lièrem en t proche dans ses traits de ce héraut de la lib erté qui fu t l ’u ne des grandes d evises de la R évolu tion Française q ue C lém enceau adm irait tant.

D ans cette attitu d e b ien veillan te à l’égard de la P ologn e il faut ce­ pendant noter un trait qui tien t plus du senltiment que d’autre chose. C e lu i-ci trouve son origin e dans le siè g e de Paris par les Prussiens. C lém enceau qui était m aire du d ix -h u itièm e arrondissem ent et ne m éna­ geait pas ses forces pour la d éfen se de la v ille apprit que les positions allem an d es com prenaient parm i d’auters des soldats parlant polonais. C ette n o u v e lle le toucha beaucoup. C om m ent des P olonais p ouvaien t-ils faire le siège de P aris dans les rangs de leurs propres envahisseurs? „Toi aussi, B ru tu s!” — s ’é c r ia -t-il d’un ton p ath étiq ue 1г. Il ne faudrait pas croire tou tefois que cet épisode ait in flu en cé dans le m auvais sens l’opinion favorable de C lém enceau en vers la quesltion polonaise. En tou te certitu d e on p eu t affirm er q u ’il était con scien t en fait que ces

10 C l e m e n c e a u : V ive la Pologne...

11 G. C l é m e n c e a u : Mêlée sociale, P aris 1895, p. II à XX V III; cf. aussi: G. G u y - G r a n d : Clémenceau ou l’Homme de guerre, P aris 1930, p. 23 à 30; H. L. D u b l y : La vie ardente de Georges Clémenceau, t. 1, Lille 1930, p. 131 à 137; A. C h a u m e i s e: Le Fauteuil de Clémenceau, Paris 1931, p. 33 à 37.

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Polonais, su jets du roi de Prusse, avaien t été contraints de servir dans l’arm ée quoique, en effet, ils se fu ssen t battus parfois, com m e en son tem p s le „B artek ” de S ien k iew icz.13, a vec courage et déterm ination. N éanm oins, après ces évén em en ts, et pendant une lon gu e période

s ’éten d an t sur près de vin gt ans, C lém en ceau n ’eu t pas de p en sée par­ ticu lière pour la Pologne. Ceci n ’était tou tefois que le reflet et le ré su l­

tat de la situ ation d éfavorable dans laq u elle se trouvait à l’ép oq ue la question polonaise sur les bords de la S eine, abandonnée et o u b liée q u ’elle éta it par presque tous. Que dans ces an n ées-là C lém enceau ait entendu parler de la P ologne ou qu ’il ait lu i-m ém e parfois év oq u é ce su jet, on ne p eu t en ^ tre redevable q u ’au x .Polonais ou aux personnes qui lors avaien t des contacts ou, sen tim en talem en t, des lien s avec la Pologne, et qui se sont trou vées soit dans son cercle de fam ille, soit dans son p roch e entourage ou dans la so ciété de ses amis.

En tan t q u ’hom m e p olitiq u e p assablem ent connu, C lém enceau en avait alors beaucoup. Parm i eu x on com ptait Ferdynand Bryndza, jour­ n aliste autrichien d ’origine polonaise et correspondant parisien de jour­ n a u x de V ien n e et de Budapest, qui avait épousé la propre soeur de C lém enceau, S o p h ie M. C lém enceau en treten a it ég a lem en t des rapports étroits avec la fa m ille Szeps in sta llé e sur les rives du D anube, à V ienne, et qui, e lle aussi, éta it originaire de P ologne. Le ch ef de fam ille, M aurice Szeps, un des (plus ém in en ts jou rn alistes politiq u es de l’époque, était di­ recteur du journal libéral ,,N eus W iener T agblatt” ; c ’étaiit un ennem i ju ré de la politique de Bism arck et un partisan d ’un rapprochem ent franco-autrichen. A cet égard, en 1886, il avait organisé à V ienne une rencontre secrète de C lém enceau avec l’archiduc Rodolphe, qui se trou­ vait être favorable à cette d ern ière tendance. L es fru its politiq u es év e n ­ tu els de cette rencontre fu ren t réd u its à n éan t par le dram e de M ayer­ ling. Passant se s vacan ces à K arlsbad C lém enceau fu t sou ven t l ’hôte de la fam ille Szeps. La fille de M aurice Szeps, B erta, lu i accordait tou te son affection; en revanche sa soeur Sophie d ev in t la fem m e du jeun e frère de G eorges C lém enceau, Paul, in g én ieu r et in d u s tr ie l,5. D ’après la relation que nous a la issée un m ém orialiste polonais, Sophie C lé­ m enceau „soulignait toujours le fa it q u ’e lle était p olonaise d ’origine, bien q u ’e lle n e parlât pas le p olon ais”16.

Il n e fau t pas, bien entendu, su restim er l ’in flu en ce de ces m ilieu x 11 Allusion à l’oeuvre de H. Sienkiewicz Bartek le vainqueur, 1882.

14 B. Z u c k e r k a n d l - S z e p s : Clemenceau tel que je l ’ai connu, Alger 1945, p. 62.

ie Ibid., p. 23 à 31; cf. aussi M o n n e r v i l l e , op. cit., p. 358. . 16 A. L i g o c k i : Dialog z przeszłością (Dialogue avec le passé), W arszawa 1970, p. 125.

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cosm opolites tplus que p olon ais d’ailleu rs sur C lém enceau. En revanche e t de façon certaine, ses sym p ath ies ,pour .le „pays de la V istu le” se sont trou vées renforcées grâce au P olonais E dm und C hojecki à qui, parce q u ’il éta it l ’aîné d e C lém enceau, celu i-ci accorda non seu lem en t son a m itié m ais encore un sin cère respect. C hojecki était arrivé directem ent de V arsovie en France à l ’âge de v in g t-d e u x ans et s ’éta it d éfin itiv em en t in sta llé à Paris ,en 1844, se consacrant à carrière de jou rn aliste et d ’écri­ vain. Il écrivait de tem ps à autre en français, signant ses dram es et com édies du p seu don ym e de C harles Edmond. Il fut l’un des co-fondateurs et des actionnaires du très in flu en t journal „Le T em p s”; plus tard il d evin t aussi b ibliothécaire au Sénat. Connu p rincipalem ent dans les cer­ cles littéraires, ami des frères G oncourt, de Flaubert ait d’A lbert Sorel, il ne rom pit pas pour .autant ses relations avec la colonie polonaise de Paris, éta n t m êm e m em bre du C onseil d ’A dm inistration de l ’Ecole Po­ lonaise de Paris.

S es opinions socio-p olitiqu es, qui étaien t un m élange d ’idées dém o­ cratiques et révolu tion n aires et de principes issus d ’un socialism e anar- chisant, coïncidant parfois avec la doctrine pas toujours très précise du lead er des radicaux, rapprochèrent Chojecki du C lém enceau qui, lors, faisait une carrière ,p olitiq u e rapide. D ans sa b ib lioth èq ue C lé­ m enceau possédait égalem en t à côté des rom ans et com éd ies d ’Edmond, son livre sur la v ie et les id ées d e Louis B lanc. En revanche, pour sa part, C hojecki était un h abitu é des nom breuses réunions publiques de C lém enceau. Dans le célèb re tableau de J-F . R affaëlli „La réunion pu­ b lique au cirque F ernan d o”, qui rep résen te C lém enceau tenan t un dis­ cours d evan t un auditoire nom b reu x buvant littéralem en t ses paroles, on peut voir à l ’un des p rem iers rangs où avaien t pris place les plus proches am is de l ’orateur un Chojecki au noble visage paré d ’une longue barbe blanche.

Le rôle que tin t ce dernier dans l ’un des plus dram atiques épisodes de la vie du grand hom m e p olitiq u e français tém oign e par ailleurs de l ’in tim ité des rapports d’am itié en tre les d eu x hom m es. Im p liq u é en 1893 dans l ’affaire de Panam a, C lém enceau perdit d ’abord sa popularité avant de perdre les électio n s à la Cham bre des D épu tés et de devenir ainsi soudain u ne sorte de fa illi p olitique. A fflig é, voire d ésesp éré, ob­ séd é au x dires de certains par l ’id é e de suicide, il se rendit par une n uit de brouillard et de p lu ie ju sq u ’au dom icile de Chojecki, à B ellevu e. A ssis face à face, les d eu x am is s ’en tretin ren t longu em en t. Quand Cho­ jeck i v it que tou tes m arques de consolation et de com passion ne p arve­ n aient pas à apaiser le d ésespoir de C lém enceau, il changea de ton et

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par des propos durs et v irils réveilla les am bitions de son v ieil ami au point de le décider à se consacrer à la carrière de jou rn aliste ,7.

C’est chez cet hom m e politiq u e français alors progressiste que la gauche polonaise de l ’ém igration, lié e au m ou vem en t ou vrier et au Parti S ocialiste Polonais (P.P.S.) n o u vellem en t fondé, chercha un appui pour les affaires qui la concernaient. En 1893 à la su ite du su icide à Paris de L udw ik Saw ick i, ancien m em bre du m ou vem en t „ P roletaryat” 11 et déporté, la police française m it les scellés sur la cham bre qu ’il oc­ cupait et inform a l ’am bassade du Tsar de ce que s ’y trou vaien t toutes sortes de papiers. Protestanit contre une te lle décision, les socialistes polonais de Paris rédigèrent en d élégation auprès de G eorges C lém enceau B olesław L im anow ski et Maria S zelig a -L év y afin q u ’il in terv în t à la Chambre des D épu tés sur cette affaire.

Il nous accueillit dans sa salle de billard, alors qu'il s’exerçait à tirer quel­ ques boules — se souvient Limanowski. Il nous invita à nous asseoir et resta pour sa p art auprès du billard. Je pris le prem ier la parole et lui expliquai toute l'affaire. M aria Szeliga a ttira son attention sur quelques points particuliers. Clé­ menceau posa quelques questions, puis s’engagea à déposer une interpellation concernant tout ceci dès la prochaine session du parlem ent. Il prom it également d’exiger que la remise des papiers fût différée jusqu’à ce que parvienne l’autori­ sation des plus proches parents de Sawicki.'9

L im anow ski écrit encore, dans u ne lettre adressée à H enryk Gier- szyński, en pensant alors à Clém enceau:

Je sais q u ’il s’est occupé de cette affaire car il a reoommandé à Jacquerd de bien recueillir toutes les inform ations possibles au sujet du déroulem ent de toute l’affaire. 20

En 1894 s ’ouvrilt un nouveau chapitre dans la v ie de C lém enceau au cours duquel, convaincu par Chojecki, il d evint jou rn aliste et chroni­ queur politique. Il écrivit dans son propre journal „La J u stice”, m ais il fut aussi le collaborateur parm anent d ’un des plus grands journaux

17 G. S u a r e z : La vie orgueilleuse de Clemenceau, t. 2, P aris 1932, p. 8 à 10; G. H a d a n с o u r t: Clémenceau, hom m e d’Etat, hom m e d ’esprit, P aris 1961, p. 101 à 103. Des chercheurs sérieux, p. ex. G. W o r m s e r : La République de

Clémenceau, Paris 1961, p. 173; M o n n e r v i l l e , op. cit., p. 209 ou P h . E r l a n ­

g e r : Clémenceau, Paris 1968, p. 295, re jetten t la version selon laquelle Clémen­ ceau aurait eu des idées suicidaires, ce dernier réduit aussi le rôle d’Edmond dans cet événement.

ie Dénomination du prem ier parti socialiste polonais fondé par Ludw ik Wa­ ryński en 1882.

18 В. L i m a n o w s k i : Pam iętniki (Mémoires) 1870—1907, présentation criti­ que de J. Durko, t. 2, W arszawa 1958, p. 444.

*· Bibliothèque polonaise de Paris, Archives de H. Gierazyński, lettre de B. Limanowski à H. Gierszyński, 23 VI 1893.

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de province „La dépêche de T oulouse”. Le prem ier article q u ’il fit pa­ raître dans ses colon nes fu t consacré à la Pologne. Pour l ’opinion p u b li­ que française d’alors qui, en raison de l ’allian ce entre la HIème R épu­ blique et la R ussie tsariste, avait enterré la question polonaise, son titre de „V ive la P o lo g n e” était déjà choquant, qui reprenait le célèb re cri de ralliem en t de F loq uet q u i avait reten ti pour la dernière fois sur les bords de la S ein e p lu s de vin gt ans auparavant et qui, déjà à l ’époque, s ’était trou vé être fort isolé. L ’article de C lém enceau a vait été inspiré par les évén em en ts récen ts qui ven aien t d’avoir eu lieu en terres polo­ naises ainsi que par les réactions que ces derniers avaien t suscitées dans la presse française.

En septem bre 1894, au cours d ’un séjour q u ’il fit à L w ów à l ’oc­ casion d ’une exp osition polonaise, le leader con servateu r de Grande P ologn e Józef K ościelsk i, vu le fiasco auquel avait conduit sa politique loyaliste en vers le Reich, prononça un discours dans leq uel il affirm ait que les fron tières des partages n ’avaien t pas brisé l ’u n ité du peuple polonais. La réponse à ce tte éloq u en te déclaration v en an t de la part d ’un hom m e p olitiq u e de P osnanie fuit le d éclen ch em en t dans la presse cocardière de P ru sse d ’u ne v io len te cam pagne anti-polonaise; en outre les A llem an d s de G rande P ologn e et de P om éranie organisèrent une m arche ostentatoire jusque chez Bism arck m êm e; en fin G uillaum e il prononça à Toruń un discours tr u ffé d ’accents anti-polonais.

A près la période m oins tendue m ais de courte durée du gou vern e­ m ent du ch an celiier Caprivi eu t lieu une n o u v elle grande vague de

germ anisation des Polonais en territoire prussien, vague d’où naquit l ’organisation I ia k a t a !1. A u ssi la p resse de Paris en profita, après de longues années de silen ce, pour rem ettre de n ou veau au prem ier plan l ’affaire polonaise, trouvant là, qui plus est, un argum ent su pp lém en ­ taire de poids contre les A llem ands. Dans les colonnes des principaux jou rn au x parisiens „Le T em ps” 22 et „L e F igaro” 28 apparurent de longs com m entaires aux relen ts an ti-allem an d s et favorables à la Pologne, „cet­ te N iobé de N a tio n ” 24. Ce que publia donc alors C lém enceau était tout à fait p articulier et se d istin gu ait sous tous rapports du ton de ladite cam pagne de presse.

Cet article com m ençait par les sou ven irs ci-av an t rappelés de l’auteur datant des années 1848 et 1870 et concernant les Polonais et leur histoire. La p résence de certains d ’en tre eu x dans l ’arm ée d ’invasion prussienne !1 O rganisation nationaliste allemande des territoires polonais de Prusse dont le nom a été formé sur la base des initiales de ses fondateurs.

“ „Le Tem ps” 20 IX, 26 IX, 1 X 1894. « „Le Figaro” 1 X 1894.

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\ — qui fut si d oulou reu sem en t ressen tie par C lém enceau eu égard aux m arques de sym p ath ie q u ’il rappelait lu i-m êm e de la France pour la P ologne en 1848 et 1863, de m êm e égalem en t que les espoirs des A ustro- hongrois q u ’en cas de prochaine gu erre avec la R ussie les P olon ais con­ tribueraient à la gloire de la m aison des H absbourgs, tou t ceci l ’auteur l ’exp liq u ait b rièvem en t m ais avec force com m e étan t „[...] u n e con­ séquence faitale d ’un des plus grands crim es de l ’h istoire”. S elon C lém en ­ ceau, les partages de la P ologne fu rent et seront toujours un des crim es „[...] les plus od ieu x de la p o litiq u e”. Dans le débat en cours depuis déjà de longu es an nées en Europe à propos de la décadence de la P o ­ logne, et s ’appuyant sur les oeu vres bien connues de lui de M ichelet et de S o r e l2t, C lém enceau fu t à vrai dire le prem ier des hom m es poli­ tiques européens de cette époque à condam ner de la m anière la plus forte et la plus reten tissan te les Etats co-partageants.

Laissant de côté la R ussie, C lém enceau concentra son a tten tio n sur l’attitu d e de l ’A u triche e t de l ’A llem agn e en v ers les Polonais. Il v oyait l ’origine des con cession s faites au p rofit des P olonais de la part de la m onarchie des H absbourgs dans le rôle jou é par les dép utés polonais de G alicie au parlem ent de V ienne, lesq u els so u ten aien t la politiq u e du gouvernem ent. En revanche C lém enceau dirigea u ne attaque particu­ lièrem en t sévère contre la p olitiq u e allem an d e m en ée par B ism arck et G uillaum e II sur les territoires prussiens issus des partages, condam nant le D eu xièm e Reich pour avoir vou lu „dép olon iser” les Polonais. C epen­ dant, com m e il le soulignait, cette brutale politiq u e de germ anisation fut sans effets. Le discours de K ościelski, dont C lém enceau avait lu quelques passages avec satisfaction, était la preuve, à son avis, de la persistance, voire du renforcem en t des forces n ationales polonaises. „E lle n ’est pas m orte la nation dém em brée, partagée. L ’esp rit d em eure en chaque tronçon vivant. U ne force est là ” — éc riv a it-il avec insistance, m ontrant le fiasco de la p olitiq u e de con q u êtes de Bism arck, politique qui, en ce qui concernait la France, se trou vait reproduite par l ’an­ n exion au R eich de l ’A lsace et de la Lorraine. En se référan t à m ain tes reprises à cet ex em p le p récisém en t, C lém enceau associait à l ’ex igen ce n atu relle pour chaque Français de recouvrer ces d eu x régions de Fran­ ce l ’idée non encore d irectem en t ex p rim ée, m ais com préh en sib le pour chaque lecteu r de la restau ration d ’une P ologn e unie, com m e acte de justice historique. Et q u oiq u ’il faille considérer l’article de C lém enceau en étroit rapport avec sa p olitiq u e allem an d e de revanche due à Sedan, personne cependant ju sq u e .là, en Europe occid en tale, n ’avait condam né aussi fortem ent et o u vertem en t que lui les partages de la P ologne, ni

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ne s ’était exp rim é avec autant de considération sur l ’esprit national des Polonais. Dans ce co n texte, le titre si éloq u en t de son article rendait un s o n ^ lu s profond et pas seu lem en t rhétorique. .

Q uelques an n ées plus tard, C lém en ceau fit connaissance sur le ter­ rain de la P ologne. En v érité, le but principal de son voyage en G elicie, c'étaient les étud es q u ’il m enait sur la question qui l ’interessait alors du patrim oin e et des caractéristiqu es de la race ju iv e ft. T outefois, dans le liv re ” , q u ’il écrivit sur ce su jet, on trouve aussi des im pressions v i­ vantes et des observations in téressan tes ,de sa part à propos de l ’histoire de la P ologn e ainsi que des d ifféren ts d estin s contem porains du peuple polonais. R édigées à la m anière d ’un reportage, elles portent essen tiel­ lem ent sur Cracovie et L w ów , v ille s q ue C lém enceau visita alors, ainsi que sur le v illa g e de .Busk situ é en G alicie orien tale, à la frontière rus­ se. L e liv re de C lém enceau eu t à vrai dire un faib le tirage et sa pre­ m ière édition est une v éritab le rareté, m ais au m om ent de sa parution — et l ’affaire D reyfu s était alors à son apogée — en considération du caractère fon d am en tal et con troversé de son su jet, ainsi que des rem ar­ quables illu stration s de T oulouse-L autrec, on p eu t vraim ent considérer qu ’il jou it alors d ’un m an ifeste intérêt de la part dec lecteurs. C’est dans cette situ ation que parvint ju sq u ’à une partie s ig n ifik a tiv e de l’opi­ nion française l ’im age de la P ologn e rendue par l ’auteur dans la v in g ­ tain e de pages q u ’il lui consacra. En revanche, tpour C lém enceau lui- m êm e, ce vo ya ge en G alicie fu t l ’occasion de confronter l ’im age qu’il se faisait ju sq u ’alors de la P ologn e et des P olonais avec la réalité.

Par un m atin p lu v ieu x , dans le train V ienne-C racovie, regardant d éfiler à travers la fen être le p aysage de la plaine de Cracovie, C lém en ­ ceau nota ses p rem ières im pressions de G alicie en com m ençant par

des rappels historiques. La vu e q u ’il en eû t concrétisa au plein sens du term e le propos qui circulait en France, que pendant la cam pagne de 1806— 1807 „N apoléon s ’enfonça dans les boues de la P o lo g n e”. D e­ vant lui s ’éten d ait en e ffe t „une plaine sans fin de boue noirâtre sem ée de rares pins rabougris ou de b ou leau x m iséra b les”. Le seu l signe de vie dans ce p aysage triste et m onotone éta it „[...] des corbeaux, rois de cette terre d éso lée”. L es v illa g e s par lesq u els il passa, aux m aisons ex c lu siv em e n t de bois, sans traces de pierre aucune, s ’accordaient avec „[...] la tristesse nue avec l ’u n iverselle d ésesp éran ce des ch oses” s8. La p einture exp ressiv e q u ’il rendit de la cam pagne polonaise de ce tem ps-là, résolum ent m ain ten u e dans une ton a lité noirâtre, a pu être d ’un côté

îe Cf. M. H. S e r e j s k i : Europa a rozbiory Polski (L'Europe et les partages

de la Pologne) W arszawa 1970, p. 290 à 295.

S7 G e f f r o y , op. cit., p. 101; S u a r e z , op. cit., t. 2, p. 21 et suiv. ts G. С 1 é m e n с e a u, A u pied du Mont Sinai, Paris 1898.

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un contraste en soi pour l’auteur am oureux des paysages m éridionaux, m ais d ’un autre .c’éta it le portrait con sciem m en t tracé d ’un pays pauvre, m alheureux, digne de pitié, dont les traits d écou laien t non pas se u le ­ m ent de ses prem ières im pressions, priais plutôt du stéréo ty p e tou t-p u is­ sant qu ’on avait alors de la P ologn e en France. Le paysage ainsi d ép eint par C lém enceau de la p lain e de la haute V istu le constitua le fond sur leq uel il pouvait p résenter les h abitants de cette terre, paysans des alentours de C racovie allan t à la v ille en charrettes a ttelées de tout p etits ch evau x. Il nota dans l’h ab illem en t des hom m es la g ravité de la capote blanche cein te d ’une large écharpe brodée ainsi que les cou­ leurs v iv es et la richesse du costum e des fem m es. M ontrant les traits p hysiq ues et p sych iq u es caractéristiqu es des P olonais, il souligna leur belle taille, leur adresse, m ais aussi leur courage, leur b ienveillan ce, leur sens de l’h ospitalité et leur vitalité.

Avec sa pipe, sa moustache et ses bottes il pourrait aller loin — écrivait-il de façon imagée à propos des Polonais. Il était en route peut-être quand sa tragique histoire p rit fin par l’acté d’infâm e brigandage que chacun sait. Malgré tout il s’est m aintenu: sa langue qu’on voulut tu er est au ta n t jam ais vivante. Les annales de la nation ne sont point closes29.

De ces considérations caractéristiquees et bien disposées en faveur des Polonais où il accablait une fois encore les puissances p artageantes d'avoir fait disparaître la P ologn e en tant q u ’E tat m ais où il aperçevait devant le p eu p le polonais les p ersp ectives d’un d évelop p em en t historique ultérieur. C lém enceau passait à la description de la v ille . A près avoir visité le château du W aw el et la cathédrale et ses tom bes royales, notre hom m e de ravissem ent d’écrire: „B leu, rouge, rose et jaune, le marché de Cracovie flam boie sous la p lu ie”. P ou ssé par la fou le dans l’église N otre-D am e, il se trouva parm i des p aysans priant avec ferveur, et il lui sem bla qu’était revenu là p récisém ent l’esprit sim ple de dévotion du M oyen Age. Ju ste à côté, les S uk ien nice (halles aux draps) battaient leur plein de vie, m a is ce sont p lu s p articu lièrem en t les m archands juifs, v é ­ ritables m aîtres dans leu r partie, qui in téressèren t C lém enceau. La visite au M usée N ational, abondant de sou ven irs datant de l’époque des luttes insu rection n elles et révolu tion n aires, rendit celu i-ci encore plus conscient du contraste en tre les dram es san glan ts du p assé et la p aix qui régnait

alors. D ’après lui, ce lle-ci convenait au x classes dirigeantes, et notam ­ m ent au x grands propriétaires terriens ainsi q u ’au clergé qui, pour la d é ­ fense de leurs intérêts, avaien t rem is leurs pouvoirs à l’au torité occupan­ te, allan t m êm e à cette époque ju sq u ’à ad m inistrer les affaires pour la

m onarchie des Habsbourgs, obtenant en retour pour leur p ays des con­ cessions de caractère national. A la G alicie libérale dans son régim e

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l’auteur opposait le territoire sous contrôle ru sse tenu de main ferm e et où l ’on observait un autre phénom ène, m ais tou t aussi intéressant, à savoir que l’industrie varsovien n e en p lein essor gagnait l’incom m ensu ­ rable m arché russe.

L es p rem ières im pressions sur L w ów que nota C lém enceau furent un éloge de l’appétit polonais et des p laisirs de la table. La soirée passée à l'opéra-com ique de la v ille attira son atten tion sur la m usicalité de la langue ainsi que sur le charm e des fem m es polonaises. Cet adm i- rauteur connu du beau se x e fu t frappé particu lièrem en t par leu r „ 1 . . . 1

inn ocence p erverse du regard”, qu’il reconnut pour être l ’un des traits caractéristiques de la fé m in ité slave.

Son séjour au v illage de B usk, là encore, illustra pour l ’au teu r la profondeur des contrastes sociau x en Galicie: d’un côté la m isère des artisans ju ifs et des p aysans polon ais et ukrainiens, de l’autre la richesse de l ’aristocratie. „L’h eu re de la révolu tion économ ique qui m orcellera les latifu n d is galicien s n’est pas encore ven u e. Je ne crois pas que personne y son ge” so, écrivait-il. Ces ju stes p révision s de C lém enceau avaient pour origine non seu lem en t sa connaissance profonde du processus historique, m ais encore la sym p ath ie qu ’il accordait aux opprim és et au x pauvres. Et q uoiq u ’il fût l’h ôte de l ’aristocratie et de la bourgeoisie galicien nes, c’est cependant dans les traits et les q u alités du p etit p eu ple qu ’il obser­

va les valeu rs essen tielles de caractère proprem ent national fon d am en ta­ le pour l’avenir de la Pologne.

Le ton gén éralem en t favorable à la Pologne des im pressions de Ga­ licie de cet ém in en t hom m e p olitiq u e français p erm etten t de penser

qu’après avoir fait connaissance de cette p artie du pays, sa „polonoiphilie” n ’a pu qu ’être renforcée. Il l’affirm a lu i-m êm e en 1919 lors d’une co n ­ versation qu ’il eu t avec le professeur S iedleck i. Se rappelant son séjour à Cracovie, C lém enceau dit:

[...] la ville m ’a énorm ém ent intéressé. J ’ai vu là une culture en plein épa­ nouissement, hautem ent raffinée. Et à l’époque je me suis dit: mais enfin, elle existe la Pologne, puisqu’une ville polonaise comme Cracovie existe bien, et vous, vous êtes bien là qui travaillez 31.

C lém enceau revin t au problèm e polonais q uelq u es années plus tard dans les colonnes de l’hebdom adaire „Le B loc” qu’il éditait lui^même. La raison en fut les év én em en ts de W rześnia si reten tissan ts dans toute l’Europe. Il estim a qua la persécution d’en fan ts dans cette localité par les au torités p ru ssien n es était une n ou velle preuve de la m ise en oeuvre du „[...] program m e d’extirpation de la race p olonaise”. M algré cela „[...] l’âm e polonaise n ’est pas m orte”. Qui plus est, „[...] toute la

Po-30 Ibid., p. 74. 31 Ibid., p. 92.

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logne autrichienne a répondu d’un seul élan ” à l ’appel de Sienk iew icz qui annonçait une collecte de fonds en faveur des v ictim es de W rześnia. A L w ów , où l’on rassem bla des m illiers de couronnes, on com pta à la prem ière place parm i les donateurs l’ex -gou vern eu r de G alicie et frère de l ’ancien prem ier m in istre d ’A utriche, le com te S tan islaw Badeni. S e ­ lon C lém enceau, cet acte brutal de la tyrann ie p russienne, a u x y e u x du parlem ent et du gou vern em en t de V ienne réduisait à néant „[...] le rapprochem ent que la crainte de la tyrannie m oscovite avait opéré entre l’élém en t allem and et les Polonais de G alicie”. „Q uelle leçon de justice écrivait-il avec une em phase exagérée, .toute journalistique, si la p o li­ tique de dépolonisation avait p récisém en t pour résultat la reconstitution de la P ologn e” 3S.

Ju sq u ’alors dans ses écrits C lém enceau, s ’in téressan t essen tiellem en t aux terres pru ssienn es et au trich ien n es de Pologne, se situ ait dans le principal courant de ce que la p resse française de spn époque produisait, laquelle profitait largem ent de l ’aspect an ti-allem an d de la question po­ lonaise peu à peu m ieu x connue au fil des années. Cependant l ’ém inent hom m e politiq u e qu ’il était portait sur ces q uestions un regard plus perspicace. En effet, il les intégrait ipso facto dans l ’en sem ble des cou ­ rants essen tiels des rapports d iplom atiques ex ista n t alors en Europe. De m êm e form u lait-il son ju gem en t dans un esprit de sym p ath ie n ettem en t plu s vive et prononcée envers le p eu ple polonais qui com battait in ­ lassablem ent à la conservation de son identité. En ce tem p s-là, la q u e­ stion de l’ancien R oyaum e de Pologne était un tabou sp écifiq ue pour l’opinion publique parisienne. E tant donné que l’em pire russe avait d é­ claré les q uestions p olonaises relev er des affaires intérieures de la R ussie m êm e, les jou rn alistes et chroniqueurs français élu d aien t la question, ne vou lan t pas froisser l’alliée dé l’est de la III-èm e R épublique. S ’ils la m entionnaient, c’était uniq uem en t pour faire m ieu x connaître le pro­ gram m e de conciliation du Parti N ation al-D ém ocrate qui en visageait la réconciliation des Polonais avec la R ussie tsariste.

La forte in d iv id u alité de C lém enceau dans ce dom aine notam m ent contribua à opérer une réelle parcée. Son attitu d e à l ’égard de l ’allian ce de la III-ém e R épublique avec la R u ssie tsariste n'était pas d’une pièce. L uttaien t en lui l ’approche lu cid e et réaliste de l ’hom m e p olitiq u e qui approuvait tout renforcem en t des forces françaises dans une fu tu re g u er­ re avec l’A llem agn e et les ém otions, le sen s républicain du v ieu x radical 32 M. S i e d l e c k i : Paryż 1919. W rażenia i wspomnienia (Paris 1919. Im pres­

sions et souvenirs), K raków 1919, p. 154; G. C l é m e n c e a u : Le Réveil de la

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q u ’il était, condam nant le régim e au tocratiqu e du tsar 33. D ’après M. Mon- n erville, ces p rem ières raisons reten aien t C lém enceau de m anifester ou­ v ertem en t son aversion pour la R ussie 34. Cependant en réalité en tant que journaliste il n ’a pas toujours gardé cette attitude. Sous l ’influence du livre très renom m é en occident du jou rn aliste am éricain George K ennan consacré à la Sibérie, il s ’exprim a dans un long article au titre éloq uent des M isères de l ’autocratism e, dans leq u el il faisait une criti­ que acérée et ou verte de la pratique appliquée par le tsarism e qui con­ sistait à déporter en Sibérie par la voie de décisions adm inistratives des su jets em barrassants pour les autorités M.

Les év én em en ts révolu tion n aires de 1905 dans la R ussie tsardste et sur les terres polonaises, le s grandes grèves et les m an ifestations o u vriè­ res b rutalem ent réprim ées par le gouvernem ent, tout ceci con ju gu é atti­ ra l ’atten tion de C lém enceau. En mars 1905 il s’exprim a dans les colon­ nes de „L’A u rore” en d eu x longs articles de fond consarcés dans leur totalité à l’an alyse de la situ ation dans laq u elle se trouvaient les terres polonaises sous occupation russe. L e prem ier de ces articles in titu lé „En P ologn e” 36 fu t rédigé com m e l’indiqua so n auteur su r la base de docu­ m ents et de m atériau x qui lui avaien t été p erson n ellem en t en vo yés et qui étaient une présentation des p rob lèm es sociau x ex ista n t su r le s terres de l ’ancien R oyaum e de Pologne. En réalité c ’est une étud e pénétrante sur la période alors la p lu s récente de l’histoire polonaise, p lein e de réflexion s b rillan tes et de su b tiles observations de la part de l’auteur très au fait de son sujet. S oulign ant l’énorm e transform ation qu ’avait connue la société du R oyaum e de Pologne, contrairem ent à ce qui s ’était p assé en Posnanie et en Galicie, C lém enceau p osait en p rem ier lieu une question fondam entale. De q u elle façon l ’esprit dém ocratique que l ’on observait alors s ’éta it-il em paré des m asses et q u elles seraient les con­ séquences d’une telle révolution, te lle qu’elle s ’était accom plie dans les m en talités au sein de la société du Royaum e? En réponse à ceci il désignait le rôle et l ’in flu en ce du d évelop p em en t ind u striel dans le R oyaum e de Pologne, dont le résultat fu t l ’apparition d’une arm ée de travailleurs. Ce processus avait eu pour e ffe t de m odifier les structures sociales, conduisant ainsi à affaiblir l ’in flu en ce des classes dirigeantes, et notam m ent des oligarch ies de la noblesse et du clergé. Il prêta aussi une atten tion toute p articu lière à l’inspiration dém ocratique de tous les m ou vem en ts polonais nationau x de libération — de celu i de l’insurrection

38 R. W o r m s e r , op. cit., p. 262; cf. aussi B. B a s t o u l : Clemenceau vu par

un passant inconnu, Avignon 1938, p. 191.

33 Μ ο η n e r V i 11 e, op. cit., p. 361 à 363. 38 „La Justice” 12 III 1895.

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de K ościuszko jusqu’à celu i de janvier — ainsi q u ’à l ’ém ancipation de la population paysanne. C lém enceau reconnut à ju ste titre com m e un tour­ nant essen tiel dans le dévelop pem en t socio-écon om iqu e d es terres p olo­ naises la réform e de l'affran ch issem ent de 1864; il souligna qui plus est. fort à propos com bien le G ouvernem ent N ational insu rgé de janvier 1863

avait été dans cette affaire le prem ier législateu r. V oulant caractériser la période du p ositivism e, il désigna ipour ce faire les su ccès obtenus par la société polonaise dans l’oeuvre de travail organique qu ’e lle avait ac­ com plie, notam m ent dans le dom aine de l’instruction. Et quoique ce cou ­ rant refusât les idées de lu tte arm ée, la form ation politique du peuple progressa pourtant n ettem en t. D ’après C lém enceau, l ’éducatin du m ou­ vem en t ouvrier, dom inée par les idées socialistes et liée au d év elo p p e­ m ent de l ’industrie, a été un élém en t d écisif pour les rapports sociaux. Et notre auteur de .poursuivre par les p rem ières grandes g rèves et luttes de classe du p rolétariat ‘polonais à Ż yrardów et à Łódź, les procès qui s ’en suivirent, les frictions parfois v io len tes des ouvriers avec la police et l’arm ée. Il rappelait aussi les répressions an ti-p aysann es. Ce h a rcèle­ m ent eut, à s o i avis, sa part d’in flu en ce dans la transform ation des m a­ nifestations à caractère économ ique des m asses populaires en une lu tte politique au prem ier plan de laq u elle figura le mot d’ordre d’indépendan­

ce. Selon C lém enceau, les m asses populaires en Pologne, dès 1864, recon­ nurent peu à peu „[...] que l’esclavage politique engendre tous les autres et que le plus p ressé est de s’en affranchir d’abord. Les ouvriers de l ’in­ dustrie l’ont com pris les p rem iers, étant l ’avant-garde d es m asses popu­ laires et se trouvant les p lu s ex p osés au x fu silla d es [...]. C’est une m o­ bilisation sociale u n iverselle ni n ation aliste, .ni m ilitariste, mais d’autant plus redoutable au x p uissan ces qui lui barreront le ch em in ”. Annonçant une révolution en P ologne, C lém enceau sou lign ait une fois encore com ­ bien ce pays „[...] était deven u sincèrem en t dém ocratique dans ses pro­ fondeurs”. A l’heure actuelle, aucun m ou vem en t politique ou vrier ne peut ex iste r s ’il n ’a ce caractère dém ocratique, et depuis 1864, chaque date historique s ’est trouvée étroitem en t liée avec „l’esprit n ation al” dém ocratique — ajou tait-il. S elon lui encore, les principes dém ocrati­ ques étaient alors reconnus en Pologne par tou tes les forces p olitiques,

de la D ém ocratie N ationale (N.D.) au Parti S ocialiste Polonais (PPS), ainsi donc de l’ex trêm e droite à l ’ex trêm e gauche.

C lém enceau accordait une valeu r absolue com m e il en avait l’habi­ tude à la n otion de dém ocratie, san s tou tefois exp liqu er ce q u ’il en ten ­ dait par là. Il sem ble qu ’il com prenait par ce tte dénom ination les valeurs

que les dém ocraties p arlem entaires d’Europe occidentale avaient déjà introduites dans leur pratique socio-p olitiqu e. Il m ontra en revanche de m anière extrêm em en t ju ste les transform ations sociales réalisées sur les

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terres p olonaises et sou lign a le rôle des m asses populaires, notam m ent de la classe ou vrière, dans la lu tte de libération n ationale et sociale. Aussi, usant de la term inologie en cours dans le m ou vem en t socialiste et m ettant p articu lièrem en t l ’accent su r la signification de l’indépendance pour le peuple polonais, il propagea, au fond, dans son article le pro­ gram m e du P P S. On p eu t donc supposer que les gens de ce parti avaient inspiré l ’auteur et lui avaien t fait parvenir les m atériau x et données

dont il fait lu i-m êm e m ention.

Le second article de C lém enceau, lui aussi fort long et publié dans „L’A urore” ” , était consacré à la g rève scolaire. Grâce aux inform ations écrites d éta illées q u ’il ten ait, com m e il le rappelait, „d’un P olon ais”, l ’au teu r étonna là encore par la richesse des détails, des donnés sta tisti­ ques ex a ctes q u ’il fournissait, ainsi que par son an alyse très clairvoyante. A près avoir m is en relief le rôle de l’en seign em en t clandestin et rendu h om m age à ses organisateurs si sou ven t condam nés dans nom bre de procès p olitiq u es et dont „[...] le crim e unique fu t la propagande de l’A.B.C.!”, C lém enceau sou m ettait à la critique le sy stèm e scolaire tsaris­ te dans le R oyaum e, relevan t son coractère lim ité, élitaire, e t son orien­ tation pro-russe. M algré les poursuites de la police, „[...] m algré le terro­ rism e bureaucratique qui s ’exerce sur les parents pour le »crime« des en fa n ts”, a éclaté dans la P ologne tou te en tière une grève des écoles à laq u elle ont pris part quarante m ille en fan ts. En faisan t l’an alyse des reven dications des grévistes, C lém enceau so u lign ait tout p articu lière­ m ent celles qui ex igea ien t l’introduction à l ’école de la langue polonaise ainsi que l’en seign em en t de la géographie, de l’h istorire e t de la litera­

ture nationales. F aisant observer l’in flex ib ilité et la déterm ination des participants à la grève, ,,[...] aujourd’hui le plus vaste m ou vem en t po­ p ulaire”, il exp rim ait sa confiance en la victoire fin ale du m ouvem ent. Il avertissait égalem en t les au torités tsaristes de ce que, si elles ne cé­ daient ni ne satisfaisaien t les ju stes exig en ces de réform e du sy stèm e scolaire, elles seraient con frontées un jour ou l ’autre „L J au x m asses

ouvrières pour la lu tte in évitab le et d éfin itiv e contre l’oppresseur”. La conclusion par la q u elle C lém enceau ach evait son article avait un ton très net:

Telles sont les inform ations détaillées du docum ent que j ’ai sous les yeux. Il jette comme on peut en juger une assez vive lum ière sur l'état des esprits dans les provinces polonaises de l’em pire russe et la curieuse évolution de la m en­ talité populaire d’où sortira fatalem ent quelque jour la rénovation politique et sociale des Polonais.

Dans ces articles par lesq u els il propageait les idées circulant depuis longtem ps d’une résurrection de la Pologne, C lém enceau m ontrait donc

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très clairem en t q u elles éta ien t les forces capables de les concrétiser. Ces forces, c’éta ien t les m asses populaires et n otam m ent les ouvriers dont il avait psrçu et apprécié à sa ju ste valeu r le rô le p o litiq u e crois­ sant. Il est paradoxal que ceci ait été dit par un hom m e, connu il est vrai jusque là pour son radicalism e e t ses id ées progressistes, m ais qui, pie;u après, d evin t un m in istre de l ’in térieu r et un p résid en t du conseil qui, au nom de l’ordre, réprim a de m an ière brutale dans son pays, la France, toutes m an ifestations ouvrières. Il fau t tou tefois reconnaître que dans ces publications" consacrées à la P ologne, C lém en ceau m etta it sur­ tout l ’accent, voire sou ten ait la lu tte du prolétariat polonais u niq uem en t pour ses droits n ationau x et pour son indépendance, laissant en revanche de côté l ’aspect reven d icatif de classe de ce lle -ci. Ceci était tout à fait en accord dans ses vu es avec la lign e de con d uite fon d am en tale de s o ­ lidarité sociale et nationale.

C lém enceau ne s ’intéressa de n ouveau aux affaires de P ologne qu ’après l’éclatem en t de la guerre. M algré l ’in q u iétu d e ex trêm e qui régnait alors quant au sort de sa patrie, sa v o ix n e m anqua pas parm i ce lle s des jour­ n alistes français qui, après la p ublication du m an ifeste du 14 août du grand-duc N icolas M ikhaïlovitch, s ’exp rim èren t en grand nom bre sur la question polonaise. C ette ad resse h ab ilem en t rédigée appelait les P o­ lonais à lu tter au x côtés de la R ussie con tre la p ou ssée allem ande, et annonçait dans le m êm e tem ps l ’union des trois parties de la P ologne .,,[...] libre dans sa foi, sa lan gu e et son au ton om ie” sous le sceptre du tsar russe. Ce m an ifeste fu t accu eilli par presque tou te la p resse fran­ çaise avec grand enth ou siasm e, ce lle -ci y v oya n t un acte de résurrection de la Pologne 88.

„R ésu rrection ”, c ’est le cri que lançait C lém enceau dans le titre de son co m m e n ta ir e S9. „La P ologn e revivra, — écriv a it-il plus loin. Par la volon té du tsa r N icolas II, appuyé de la France et de l’A n gleterre, l’un des plus grands crim es de l ’h istoire va prendre fin ”. Et l ’au teu r de r e ­ n ou veler clairem en t ici au x p u issan ces occupantes son opinion n égative quant aux partages de la P ologne. L es p aro les su g g estiv es et puissan tes de cet ém in en t hom m e p olitiq u e fu rent bien des fois citées par d ’auitres personnes qui, au cours de la guerre, écriviren t sur la P ologne. „Jam ais cause n ’en fu t plus p op u laire en France, après ce lle de l ’Italie, que la revendication de la n ation alité p olon aise” — affirm ait C lém enceau.

Seul le tsar, d ’aprés C lém enceau, pouvait prononcer „[...] la parole m agiq u e” grâce à laq u elle la P ologn e „[...] com m e Lazare au tom b eau ”

38 Voir: Affaires de Pologne. La proclamation du Généralissime russe et

l’opinion française, Paris 1915; cf. aussi W. S l a d k o w s k i : Opinia publiczna... (L ’opinion publique...), p. 70 et suiv.

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reviend rait à la v ie et en traîn er sous le drapeau russe les S laves ré­ con ciliés lu tta n t pour la p aix du m onde. S elon lui, les Polonais de la partie russe répondraient avec en th ou siasm e à l’appel du tsar; de m êm e ferait la population polonaise de P osnanie b rutalem ent opprim ée q u ’elle éta it par les P ru ssien s. En A u triche en revanche, où les droits des Po­ lonais étaien t resp ectés depuis assez longtem ps, les au torités lancèrent l’idée dans la g én ération d’alors de la n é c e ssité de lever une insurrection contre „le M oscovite”. Cependant, „[...] l ’élan de tou te la P ologne russe vers le tsar en lu tte contre ,1e kaiser oppresseur de la P osnanie a d éjou é dès le p rem ier jour ce p lan m a ch iavéliq u e”. C lém enceau, com m e la p lu ­ part des auteurs français qui lors écriv a ien t sur la P ologne, v o y a it ainsi dans le tsar russe au su jet duq u el il s ’éta it p lu s d ’une fois exp rim é au­ paravant en term es désapprobateurs un hom m e p rovidentiel. Par cela m êm e il acceptait dans leur to ta lité les plans russes d’autonom ie pour la P ologn e, sans s ’occuper des d étails. N e m én a gean t pas à cette dernière ses v o eu x les plus sincères dictés par les m eilleu res intentions, il subor­ donnait n éan m oin s son sort au x ex ig en ce s de l ’allian ce franco-russe. Pour la F rance qui com battait l ’en vah isseu r allem and, le front oriental avait une im portance capitale.

Com m ent C lem enceau v o y a it-il l ’avenir de la Pologne? On peut- s ’en faire une idée en se référant à l ’en tretien con fid en tiel qu ’eurent avec lui le 7 octobre, à Bordeaux, les en v o y és de P iłsu d sk i en Europe occi­ dentale: S ta n isla w P atek et le dr A n ton i N atanson. C’est le journaliste G eorges B ienaim é, un am i de la P ologn e, qui les m it en contact avec le V ieu x Tigre. C lém enceau écouta aves sym p ath ie le plaidoyer de Patek concernant les asp irations des P olon ais quoique celu i-ci rappela aussi l’existen ce de légion s p olonaises lu tta n t aux côtés de l ’A utriche contre la R ussie. A près chaque point ^soulevé, C lém en ceau répétait: „oui, l’in­ d épendance vous est bien n écessaire”. Il d écon seilla tou te visite auprès du m in istre des affaires étrangères D elcassé que du reste il ne pouvait sou ffrir, car „[...] là-bas, c’est Izvolski qui g o u v ern e”. Il suggéra en re­ vanche de nouer des contacts avec Londres, le cabinet anglais étant m oins dép en dan t de la politiq u e du tsar dans l ’affaire polonaise. C’est d ’un con seil n et et p récis q u ’il m it fin à cet entretien: „Prenez les plus grands risq u es” 40.

C ependant d eu x sem ain es p lu s tard, dans l ’article su ivan t q u ’il con­ sacra à la q u estion polonaise, il m ain tin t son opinion ex p rim ée en août. S elon lui, la grande m ajorité des P olonais s ’était ten u e du côté de la 40 S. P a t e k : W spomnienia w ażkich okresów pracy (Souvenirs de moments

de travail importants), W arszawa 1939, p. 8; cf. aussi J. P a j e w s k i : Wokół spra­ w y polskiej. Paryż—Lozanna— Londyn 1914— 1918 (A utour de la question polonaise. Paris—Lausanne— Londres 1914—1918), Poznań 1970, p. 15 à 19.

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R ussie et de ses a lliées, la France et l’A n gleterre, et les derniers à r é ­ sister, quand ils au raien t bien con sidéré la m au vaise foi autrichienne, ne tarderaient pas à rejoindre la m ajorité 41.

La d iverg en ce fon d am en tale en tre les d éclarations pub liqu es et les con seils p rivés de C lém enceau dans la q uestion polon aise résultait de la n éce ssité d’accepter la politiq u e russe en vers la P ologne. En tant qu’am i sincère de celle-ci, il se rendait p arfaitem en t com pte q ue dans son aspiration à l ’indépendance e lle d evait profiter de chaque con figu ­ ration p olitiq u e favorable. Il n e p ou vait pependant pas l’écrire, ou p eu t­ -être ne le v o u la it-il pas. Pour les in térê ts de la France et sa raison d ’Etat, l ’allian ce avec R ussie était une affaire prim ordiale vu les con ­ ditions de la guerre.

Il exp rim a ce tte opinion de la m an ière la plus rude quand en 1915 W acław G ąsiorow ski publia u ne en q u ête sur la question polonaise dans les colon nes de „P o lon ia ” dont il éta it le rédacteur en chef, en q u ête au cours de laq u elle il priait les hom m es politiq u es et les in tellectu e ls français de se prononcer. „Le résultat au départ fut terrible — com m e se le rappelait des a n n ées après celu i qui en avait é té l’initiateu r. Tout sim plem ent, ces n otab ilités françaises rem ettaien t la P ologn e tou te en ­ tière entre les m ains de la R ussie. N om bre d ’hom m es p olitiq u es refu ­ sèrent de participer à ce tte en q u ête, parm i lesq u els C lém enceau. U n i­ versellem en t connu pour ses sen tim en ts am icau x en vers la P ologne, et pour cette raison âprem ent m alm en é par G ąsiorow ski, il exp losa d’in ­ dignation:

Que voulez-vous, que je froisse la Russie, que je monte la Russie contre la France? Il n’en est pas question, je vous prie de me laisser tra n q u ille 42.

C ette réponse au ton v éh ém en t de sa part fu t con sid érée par celui à qui elle s ’adressait com m e h ostile à la P ologn e. C ependant on p eu t l ’interp réter autrem ent, à savoir q u e C lém en ceau ne v ou lu t pas pour autant sou ten ir p ub liqu em en t les raisons russes dont il appréciait p le in e­ m ent le poids, et à leu r ju ste valeu r, pour les in térê ts de la France, et ceci pour n e pas ôter com p lètem en t tou t espoir aux P olonais. On en veu t pour p reu ve la réponse fournie à l’en q u ête par Pichon, l ’hom m e qui lui éta it le plus lié. C elui-ci co n seillait au x P olon ais d ’accepter pour le m om ent pour argent com ptant le m an ifeste du grand-duc et d ’éviter tou te d iscussion sur des points con troversés, n e sachant pas en e ffe t com m ent serait fin alem en t résolu e la question polonaise.

“ „L’Homme Enchaîné” 20 X 1914.

42 W. G ą s i o r o w s k i : 1910—1915. Historia A rm ii Polskiej we Francji (1910—

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Peut-être pourra-t-on aller plus loin, m ais ce n ’est pas encore le moment d’en parler. [...] Patientez et soyez sûrs que la victoire des Alliés contribuera à la réalisation de vos revendications légitimes 4S.

Quand les arm ées allem an d es fu ren t proches de V arsovie, le prem ier m in istre G orém ykin e déclara dans son discours à l ’ou verture de la D ou­ ma, le Ire août 1915, q ue la R ussie avait l ’inten tion d ’accorder l ’autonom ie aux terres polonaises. Pour C lém enceau, ce fu t l ’occasion d’écrire un arti­ cle de plus sur la R ussie libératrice “ . Il est vrai q u ’il critiquait la p oliti­ que an tipolon aise du com te B obrinski m en ée en G alicie orien tale occupée

par les troupes russes et q u e le tsarism e en visageait d ’an n exer directe­ m en t à l ’em pire, m ais il affirm ait q ue la fau te en incom bait à Nicolas II qui avait dem andé qu’une com m ission résolû t le problèm e polonais tandis que la session inaugurale de la D oum a m ontrait un renversem ent de la p olitiq u e russe dans ce tte affaire, .dans un sen s libéral. Pour G uil­ laum e II qui se préparait au rôle de libérateur de la P ologn e et en visa­ geait de créer u n e ép h ém ère „P ologn e allem an d e”, la confirm ation par

la R ussie des prom esses faites au su jet de la P ologn e allait être une d ésagréable surprise.

Pour obtenir un e ffe t de propagande n ettem en t antiallem and, ce qui à ses y e u x était essen tiel, C lém enceau partagea les illu sion s su scitées par la politiq u e russe en vers la P ologne. En ré a lité celle-ci ne fu t jam ais sincère, m ais toujours am bigüe, et après le départ des R usses du R oy­ aum e, e lle perdit en P ologn e m êm e tou te signification et tout soutien. Quand, face au x plans allem an d s qui con sistaien t à so u lever la question polonaise afin d ’ob ten ir un recru tem en t polonais, l ’opinion française pro­ gressiste qui avait com m en cé de réagir d ès 1916 ex ig ea que l ’Entente prît position en fav eu r des aspirations des P olonais pour la restauration de leur propre Etat, su ite à l’in terven tion de l ’am bassade russe à Paris, le gou vern em en t in terd it d ’écrire quoi que ce fû t dans la presse au su jet de l’indépendance d e la P ologn e C lém enceau protesta contre ces restriction s apportées par la censu re tou t en conservant des rapports loyau x en vers „La G rande R u ssie” 40.

Il exp liq u a p lu s largem en t son pom t de v u e en ce qui concernait alors la q uestion polonaise q uelq u es sem ain es plus tard:

Le gouvernem ent français est l ’allié du gouvernem ent russe et les loyales intentions du tsar ne peuvent faire doute pour aucun de nous ·]...) Je n’apporte donc ici pas de jugem ent sur les questions que je dois à cette heure écarter de

48 „Polonia” 10I V 1915; voir aussi: La France pour la Pologne. Enquête de la revue „ Polonia”, Paris 1916.

44 „L’Homme Enchaîné” 25 I I 1916.

45 S l a d k o w s k i : . Opinia publiczna... (L ’opinion publique...), p. 112 et suiv. 46 „L’Homme Enchaîné” 25 I I 1916.

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