LXII.1 (1992)
Sur les extensions de groupe de Galois A e 4 par
C. Bachoc et S.-H. Kwon (Talence)
0. Introduction. Soit K/k 0 une extension s´ eparable de degr´ e n, et soit N/k 0 sa clˆ oture galoisienne (dans une clˆ oture s´ eparable k s 0 de k 0 ). Le groupe de Galois G de N/k 0 se plonge dans le groupe sym´ etrique S n , de fa¸con canonique ` a automorphisme int´ erieur pr` es. Nous nous limiterons aux extensions paires, c’est-` a-dire pour lesquelles l’image de G est con- tenue dans A n . On sait depuis Schur que, pour n ≥ 4, H 2 (A n , {±1}) est d’ordre 2, et d´ efinit donc une extension de G, unique ` a isomorphisme pr` es, que nous notons e G. Nous nous int´ eressons dans cet article au cas o` u G est isomorphe ` a A 4 . L’unique extension non triviale de A 4 par {±1} a une r´ ealisation dans le groupe des quaternions usuels de norme 1 : {±1, ±i, ±j, ±k, (±1 ± i ± j ± k)/2}. L’autre groupe pair en degr´ e 4 est le groupe bicyclique de type (2, 2); c’est le 2-sous-groupe de Sylow de A 4 , et son extension correspondante est le groupe quaternionien H 2 .
Lorsque k 0 n’est pas de caract´ eristique 2, ce qui est le cas dans nos appli- cations, un th´ eor` eme de Serre ([S1]) permet de lier la possibilit´ e de plonger N/k 0 dans une extension e N /k 0 de groupe de Galois e G ` a un calcul d’invariant de Witt de la forme Tr K/k0(x 2 ). En outre, dans le cas A 4 , e N est la clˆ oture galoisienne d’une extension e K/k 0 de degr´ e 8 contenant K/k 0 .
Dans cette note, nous consid´ erons le cas o` u k 0 = Q. Nous calculons des polynˆ omes d´ efinissant les corps de groupe de Galois e A 4 r´ ealisant les plonge- ments des corps de groupe de Galois A 4 extraits de la table [BPS] de corps de degr´ e 4 et totalement r´ eels; pour cela nous utilisons un crit` ere de plonge- ment arithm´ etique valable pour k 0 = Q (proposition 1.3), et l’existence d’un “plongement pur” (th´ eor` eme 2.2), c’est-` a-dire non ramifi´ e en dehors des id´ eaux premiers d´ ej` a ramifi´ es dans K.
Le th´ eor` eme 2.5 montre l’existence d’une classe au sens restreint d’ordre 2
pour toute extension de Q de groupe de Galois A 4 totalement r´ eelle. Cette
propri´ et´ e remarquable est aussi v´ erifi´ ee par toute extension bicyclique de Q
plongeable dans une extension quaternionienne.
Le paragraphe 3 donne les r´ esultats num´ eriques, et en particulier les dis- criminants minimaux pour les deux signatures possibles (proposition 3.2).
Ces calculs num´ eriques ont ´ et´ e faits dans le syst` eme PARI, mis au point par C. Batut, D. Bernardi, H. Cohen, M. Olivier.
Cet article est extrait des chapitre 3 des th` eses de chacun des auteurs (Bordeaux, 1989).
Remerciements. Les auteurs remercient Jacques Martinet pour les avoir guid´ ees dans ce travail, Jean-Pierre Serre pour leur avoir commu- niqu´ ees le r´ esultat sur l’existence d’un plongement non ramifi´ e du lemme 2.4, et Henri Cohen pour son aide dans l’utilisation du syst` eme PARI.
1. Probl` eme de plongement. Reprenons les notations de l’intro- duction. Dans le cas o` u K = k 0 ( √
x 1 , √
x 2 ) est une extension bicyclique de k 0 , le th´ eor` eme de Serre ([S1], Th. 1) donne le crit` ere de plongement suivant, d´ ej` a d´ emontr´ e par Witt dans [W]. On note (x, y) le symbole de Hilbert.
1.1. Proposition ([S1]). K/k 0 est plongeable dans une extension qua- ternionienne si et seulement si
(−1, x 1 )(−1, x 2 )(x 1 , x 2 ) = 1.
En effet, il suffit de remarquer que l’invariant de Witt de la forme Tr K/k0(x 2 ), calcul´ e dans la base {1, √
x 1 , √ x 2 , √
x 1 x 2 }, est ´ egal ` a l’expres- sion de gauche.
Ce crit` ere se g´ en´ eralise aux extensions de groupe de Galois A 4 . Soit K/k 0
une telle extension, et soit N sa clˆ oture galoisienne. Soit S le 2-sous-groupe de Sylow de G, et posons k = N S et N = k( √
x 1 , √
x 2 ). Alors, comme [G : S] est impair, l’homomorphisme de restriction Res : H 2 (G, {±1}) → H 2 (S, {±1}) est injectif.
Soit s l’´ el´ ement de H 2 (S, {±1}) correspondant ` a l’extension de S par le groupe des quaternions. Soit x = Cor (s) la Corestriction de s; x correspond
`
a l’extension non triviale de G que l’on note e G.
1.2. Proposition. Sous les hypoth`eses pr´ec´edentes, N/k 0 est plongeable dans une extension de groupe de Galois e G si et seulement si
(−1, x 1 )(−1, x 2 )(x 1 , x 2 ) = 1.
D ´ e m o n s t r a t i o n. Soit G k0 le groupe de Galois absolu de k 0 , et soit π : G k0 → G l’homomorphisme surjectif d´ efinissant N .
→ G l’homomorphisme surjectif d´ efinissant N .
Alors N/k 0 est plongeable si et seulement si il existe un rel` evement
e π : G k0 → e G de π rendant commutatif le diagramme suivant : 1 → {±1} → e G → G → 1
˜ π - ↑ π
G k0
Un tel rel` evement est n´ ecessairement surjectif, car la suite exacte n’est pas scind´ ee.
L’homomorphisme π induit un ´ el´ ement π ∗ x de H 2 (G k0, {±1}). L’exis- tence de e π est ´ equivalente ` a la condition π ∗ x = 1.
La commutativit´ e du diagramme suivant :
H 2 (G, {±1}) −→ Res H 2 (S, {±1})
π
∗
y (π|Gk)
∗
x
H 2 (G k0, {±1}) −→ Res H 2 (G k , {±1}) et l’injectivit´ e des restrictions montrent que
π ∗ x = 1 ⇔ (π| Gk) ∗ s = 1,
c’est-` a-dire : N/k 0 est plongeable dans une extension de groupe de Galois e G si et seulement si N/k est plongeable dans une extension quaternionienne.
On peut donc appliquer la proposition 1.1.
Dans le cas o` u k 0 = Q, le crit`ere de la proposition 1.2 se traduit par des conditions arithm´ etiques. On retrouve les conditions de plongement d´ emontr´ ees dans [K], et g´ en´ eralis´ ees dans [B] au cas d’un groupe G isomor- phe ` a PSL(2, l).
Notation : L’indice figurant dans un id´ eal premier d´ esigne son degr´ e r´ esiduel.
1.3. Proposition. Soit K un corps quartique sur Q dont le groupe de Galois de la clˆ oture galoisienne est isomorphe ` a A 4 . Alors K est plongeable dans une extension de groupe de Galois e A 4 si et seulement si :
(i) K est totalement r´ eel ,
(ii) pour tout nombre premier impair p divisant le discriminant d K
de K,
pO K = p 2 2 ⇒ p ≡ 3 mod 4 et pO K = (p 1 p 0 1 ) 2 ⇒ p ≡ 1 mod 4.
Nous utiliserons plus particuli` erement dans le paragraphe 3 le corollaire suivant :
1.4. Corollaire. Si K est totalement r´eel et si d K d −1 k = 1 ou est une
puissance d’un nombre premier , alors K est plongeable.
D ´ e m o n s t r a t i o n d u C o r o l l a i r e. La condition de la proposi- tion 1.2 se localise aux places v de k. Elle est trivialement v´ erifi´ ee si v est non ramifi´ ee dans N . Sous les hypoth` eses du corollaire, elle est donc v´ erifi´ ee partout sauf peut-ˆ etre aux places au-dessus d’un seul nombre premier p; la formule du produit pour le symbole de Hilbert montre qu’elle l’est partout.
1.5. R e m a r q u e. Il n’y a que deux signatures possibles pour e K. En effet, on a vu que, si K est plongeable, alors il est totalement r´ eel. Si K = K( e √
γ) est une r´ ealisation du plongement, alors pour tout σ appar- tenant ` a G, γ σ γ −1 est un carr´ e dans N , donc γ est soit totalement positif soit totalement n´ egatif et e K et soit totalement r´ eel soit totalement imaginaire.
1.6. A p p l i c a t i o n n u m ´ e r i q u e. La table de [BPS] des corps r´ eels de degr´ e 4 et de discriminant inf´ erieur ` a 10 6 fournit une description des 31 premiers corps r´ eels de degr´ e 4 et de groupe de Galois isomorphe ` a A 4 . Ils v´ erifient tous les hypoth` eses du point (ii) de la proposition 1.3 sauf deux d’entre eux, pour lesquels
d K = 520 2 = (2 3 · 13 · 5) 2 , d K = 728 2 = (2 3 · 7 · 13) 2 ,
d k = 13 2 , d k = 7 2 ,
(5) = p 2 2 , (13) = p 2 2 .
D’apr` es la proposition 1.3, ils sont donc tous plongeables sauf les deux corps dont le discriminant est 520 2 et 728 2 .
2. Plongement et ramification. Le corps de base est k 0 = Q. Si K est un corps de degr´ e 4 sur Q de type A 4 et plongeable dans une extension de type e A 4 , on cherche ` a r´ ealiser le plongement en minimisant le nombre de places ramifi´ ees.
Nous aurons besoin du r´ esultat suivant, dˆ u ` a T. Crespo, qui d´ ecrit toutes les r´ ealisations du plongement ` a partir de l’une d’entre elles :
2.1. Proposition ([C1]). Si K( √
γ) est une r´ ealisation du plongement , alors les autres sont les K( √
mγ) avec m ∈ Z − {0}.
Le th´ eor` eme suivant d´ ecrit la ramification dans le (ou les) plongements de plus petit discriminant :
2.2. Th´ eor` eme. On suppose K plongeable.
1) Si e K est une r´ ealisation du plongement , alors tout id´ eal premier de K au-dessus d’un nombre premier de Q ramifi´e dans N/k est ramifi´e dans e K.
2) Il existe une r´ ealisation e K du plongement telle que e K/K soit non ramifi´ ee en dehors des id´ eaux premiers de K qui sont ramifi´ es dans N/k.
On appellera un tel corps un “ e A 4 pur”.
2.3. R e m a r q u e. Si e K = K( √
γ) est un e A 4 pur, alors e K est ´ eventu- ellement ramifi´ e ` a l’infini. Changer γ en −γ chasse la ramification ` a l’infini, mais enintroduit ´ eventuellement en 2.
D ´ e m o n s t r a t i o n. 1) Soient L 1 , L 2 , L 3 les trois extensions interm´ e- diaires de N/k. Si e K = K( √
γ) est une r´ ealisation du plongement, posons N = N ( e √
γ). Alors le groupe de Galois de N sur k est le groupe quaternio- nien d’ordre 8, donc les extensions e N /L i sont cycliques. Si P est un id´ eal premier de N ramifi´ e sur k, il est ramifi´ e sur au moins un des L i , donc dans e N .
2) Partons d’une r´ ealisation e K = K( √
γ) du plongement. Soit S l’en- semble des nombres premiers p de Z au-dessous d’un id´eal premier de K ramifi´ e dans e K.
Si p appartenant ` a S est ramifi´ e dans k, alors p est impair, donc mod´ er´ e dans e K/K, et par la th´ eorie de Kummer le changement de γ en pγ ´ elimine la ramification en p (il faut remarquer que l’indice de ramification d’un id´ eal de K au-dessus de p est impair et que la valuation de γ en deux id´ eaux au-dessus de p a mˆ eme parit´ e). On se ram` ene donc ` a une r´ ealisation du plongement pour laquelle les ´ el´ ements de S sont non ramifi´ es dans k.
Si p appartenant ` a S est non ramifi´ e dans N , alors le lemme suivant permet de conclure. Il nous a ´ et´ e communiqu´ e par J.-P. Serre et nous re- produisons sa d´ emonstration :
2.4. Lemme ([S4]). Soit 1 → C → e G → G → 1 une extension centrale de groupes finis, et soit G Q le groupe de Galois absolu de Q. Soit π : G Q → G un homomorphisme continu, et soit S l’ensemble des p o` u π est ramifi´ e.
Supposons que π soit relevable en e π : G Q → e G. Alors on peut choisir un tel rel` evement qui soit non ramifi´ e en dehors de S.
D ´ e m o n s t r a t i o n. Soit π e 1 un choix quelconque d’un rel` evement de π, et soit S 1 l’ensemble des p o` u e π 1 est ramifi´ e. Soit p appartenant ` a S 1 \ S. Il suffit de montrer que l’on peut construire un rel` evement π e 2 de π ayant pour ensemble de ramification S 1 \ {p}.
Soit I p (respectivement D p ) le groupe d’inertie (respectivement de d´ e- composition) de p dans G Q (d´ efini ` a conjugaison pr` es). L’homomorphisme e π 1 applique I p dans C; de plus e π 1 (D p )/ e π 1 (I p ) est cyclique, donc e π 1 (D p ) est ab´ elien. Par la th´ eorie locale du corps de classes, on peut donc voir e π 1 |D p comme un homomorphisme g p : Q ∗ p → e G, homomorphisme dont la restriction ` a Z ∗ p a une image dans C. Soit e p : Z ∗ p → C l’homomorphisme ainsi obtenu. En utilisant maintenant le fait que G ab Q s’identifie au produit des groupes d’inertie locaux Z ∗ p , on voit qu’il existe un homomorphisme e : G Q → C et un seul qui est non ramifi´ e en dehors de p, et dont la restriction
` a Z ∗ p vu comme groupe d’inertie en p est ´ egale ` a e p . On pose e π 2 = e −1 e π 1 .
C’est bien un rel` evement de π qui a pour ensemble de ramification S 1 \{p}.
Le th´ eor` eme suivant montre encore une analogie entre le cas des exten- sions bicycliques plongeables dans des quaternioniennes et celui des ex- tensions de type A 4 dans des e A 4 . En effet, J. Martinet a remarqu´ e que, lorsque le plongement dans une extension quaternionienne est possible, alors le nombre de classes au sens restreint de l’extension bicyclique est pair (in- dication : les corps bicycliques dont le nombre de classes au sens restreint est impair sont les corps Q( √
p 1 , √
p 2 ) o` u p 1 et p 2 sont des nombres premiers congrus ` a 1 modulo 4 (ou p 2 = 2) et tels que p p1
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