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La postérité de Machiavel

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O R G A N O N 7 (1970) LE 500e A N N IV E R SA IR E D E L A N A IS S A N C E DE M A C H IA V E L

Nicola Petruzzellis (Italie)

LA POSTÉRITÉ DE MACHIAVEL

Le cinquième centenaire de la naissance de Machiavel voit u n grand nombre d’études, d’essais e t de recherches paraissant surtout au XXe siècle e t s ’em ployant à élucider la pensée du Secrétaire florentin qui semble à certains énigm atique comme celle d’u n nouveau Sphinx, e t qui sans doute n ’est pas dépourvue de nuances parfois presque insaisissables, d’équivoques e t de contradictions. Sa vie personnelle et les vicissitudes de Florence e t de l’Italie du temps, les thèmes essentiels de sa pensée, ne sont au jou rd ’hui un m ystère pour personne qui étudie la litté ra tu re ita­ lienne, l’histoire sociale, politique et m ilitaire, l’histoire des idées et de la philosophie. Cependant les faits et les concepts déjà connus sont loin d’ê tre interprétés et jugés de façon unanim e car ils sont considérés moins du point de vue de la réalité historique de la pensée de l’époque de Ma­ chiavel que du point de vue des préoccupations d ’au jo u rd ’hui. Donc nous ne nous attarderons pas à exposer pour la centièm e fois, m êm e ra­ pidement, les oeuvres de Machiavel, mais nous nous en servirons pour discuter quelques interprétations récentes, ay an t déjà mis en question l’hypothèse de Croce de l’am oralité de la politique en général et de la politique de Machiavel en particulier ainsi que refusé l’apothéose d ’un Machiavel fondateur d’une nouvelle m orale l.

Nous nous pencherons surtout sur l’hypothèse bien plausible en ap ­ parence qui ferait d e M achiavel le précurseur de l’éthique de la situa­ tion, chère à de nom breux épigones de l’idéalisme et de l’existentialism e qui s’orientent vers celle-ci des diverses directions. D ’après une telle h y ­ pothèse «le mal n ’est pas un caractère im m uable de l’âme hum aine, mais une conséquence possible de la situation de l’homme dans l’histoire, un des moyens q u ’il p eu t choisir dans sa lu tte incessante contre les forces qui le m enacent et m etten t en question sa sécurité; le sens donc de la m anière de poser le problèm e par M achiavel n ’est pas dans l’adm is­

1 N ous avon s d iscu té c e s th èses d an s L in e a m e n ti d i filo so fia p o litic a , 2« éd. N ap oli 1966 vol. Ier pp. 108-135.

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sion p ure et simple de la thèse que la politique soit mauvaise et rien d’au tre que mauvaise, expression m arie de la substance dém oniaque de la nature humaine, mais, au contraire, dans l’affirm ation que sur le plan politique, la distinction en tre le bien et le mal, en tre l’utile et l’honnête (pour nous servir du vénérable langage de Ciceron cher aux humanistes du quattrocento) devrait ê tre in terprétée non pas comme valeur absolue mais comme opportunité, à suivre ou à repousser selon l’heure et le temps et les vents de la fortune».

Quoique pessimiste en ce qui concerne la n atu re humaine, Machia­ vel, comme d’ailleurs aucun homme de bon sens, n ’a jamais identifié pu­ rem ent et sim plem ent la politique avec le mal, mais l’a toujours consi­ dérée en ta n t qu’instrum ent du bien com mun et n ’a jam ais prêté à la n a­ tu re hum aine un fond de substance démoniaque. Cependant si la dis­ tinction en tre le bien et le mal n ’avait qu’une valeur relative à l’oppor­ tunité déterm inée p ar la condition hum aine en général et par 'la situa­ tion historique e t existentielle des individus dans leurs rapports inter- subjectifs, elle n ’au rait aucune efficacité pratique, car à chaque moment de la vie individuelle e t sociale se joue le jeu de la «fortune» et sont présents les facteurs hédonistiques et utilitaires qui rem p orteraien t fa­ talem ent su r quelques velleités en sens opposé, si n ’intervenaient les choix divers aidés p a r la ferm eté de propos et la cohérence des idées, des intentions et des actions c’est-à-dire p a r cette v ertu que Machiavel m ettait au service de l’am bition des princes sans scrupules. Il est vrai en même temps que M achiavel n ’a jamais approuvé ni recommandé les cru ­ autés gratuites et on peu t même ajo u ter qu’il en a explicitem ent con­ damné l’abus. Une méchanceté définie e t condamnée par les lois des pays civilisés caractérise le com portem ent des individus arriérés et des psychopates e t non pas, certes, l’action d’u n homme politique avisé. Ma­ chiavel donne quelques indications en ce qui concerne les intérêts p er­ sonnels du prince ou collectifs de l’état, mais ne pose pas le problèm e de la possibilité de tro u v er un critère sû r pour décider des choses aussi in­ certaines, subjectives et brûlantes. La vie de César Borgia, incarnation m achiavellique du Prince, qui n ’hésite pas à poignarder u n serviteur ré­ fugié dans les bras du Pape, ne fu t pas dépourvue de cruautés gratuites. Mais, sans ten ir compte que rien, à l’exception de la loi rigoureuse­ m ent observée et appuyée sur les données de la médecine e t de l ’hygiène mentale, ne sau rait em pêcher des arriérés m entaux et des paranoïaques de faire de la politique et même parfois d’accéder au pouvoir, existe-t-il en politique u n objectif aussi clairem ent et infailliblem ent précisé et qualifié qu ’il puisse ju stifier le sang versé et même p eu t-être le géno­ cide? Le bien commun et le salu t de la p atrie existent — selon M achia­ vel, en dehors de la justice, de l’honneur et de la liberté 2?

2 L a p h ra se c r u eile d e M ach iavel dans le s D isco rsi so p r a la p r im a d e c a d i T ito L iv io (III, 41i) est fo rm u lée a in si: «lorsqu’on d élib ère du salu t d e la p atrie, on n e d oit ten ir com p te n i de ce qui est ju s te ni d e c e qui e st in ju ste, n i d e c e qui

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L’opportunité est un élém ent de la situation e t de l’action humaine, mais n ’en est pas le seul élém ent: son caractère concret mais impossible à codifier exige des critères de jugem ent très élevés e t très vastes et un esprit critique raffiné. Si l’opportunité n ’est conçue que p a r rap p ort aux vents de la fortune et non pas p ar rapport aux possibilités logiques, h i­ storiques, psychologiques et morales, elle s’abaisse au niveau de l’occa­ sion qui fait le larron selon le proverbe populaire. La m orale de la si­ tuation devient une éthique de l ’opportunism e qui peu t parfois m ener au succès, mais à u n succès passager e t peu certain car il n ’y a rien de plus instable et de plus im prévisible que les chances offertes p ar la for­ tune et le m om ent historique.

L’analyse de ces interprétations récentes de M achiavel nous am ène au problèm e général de la valeur de sa pensée qui ne fu t ni une philo­ sophie ni une doctrine morale. Machiavel n ’avait ni la méthode ni l’esprit d’un philosophe: il fu t u n observateur perspicace des faits présents ou lointains entre lesquels il voulait étab lir des rapports parfois discu­ tables. Quoique très lucides, ses idées et interprétations historiques sont l’exemple d’une historiographie que Hegel appelait histoire pragm atique car elle fait en trer les faits du passé dans les catégories qui sont celles de l’historien e t les organise d ’après une finalité étrangère au x temps et au x personnages historiques. A ujourd’hui M achiavel serait fondateur d’u n e idéologie politique dont, certes, il serait difficile de préciser le chem inem ent e t les intentions particulières.

Si l’on voulait à to u t prix classer la pensée de M achiavel d’après u n schéma moderne, on p ou rrait dire qu’il est le fondateur de la science em ­ pirique de la politique. Il est u n observateur politique auquel n ’échappe aucun aspect im portant des événem ents, qui déchiffre avec une perspi­ cacité singulière les intentions de ses contemporains, en enregistre les paroles et les réalisations, en étudie le com portem ent et la pratique; en cherchant de ram ener to u t cela à une ligne de développement cohérent. Intellectuel, habitué à dominer seulem ent la page écrite ou à écrire, il est fasciné p ar la puissance de la pratique à laquelle il s ’efforce de tro u­ ver des perspectives, dépassant très souvent les intentions de l’homme d ’action lui-mêm e. Il est la conscience politique de son tem ps en ta n t que réflexion im m édiate sur les données qui ont leu r origine dans les faits et dans les agents autres que lui-mêm e. Il déduit la norm e du fait, intéressé uniquem ent à la vérité de fait q u ’il cherche non seulem ent à expliquer mais à justifier entièrem ent en déduisant du succès seul la rationalité et la valeur des choses. Il au rait accepté sans réserve la thèse de la conversion réciproque du réel et du rationnel que Hegel soutiendra trois siècles après. Machiavel déteste les prophètes sans armes, sans te n ir est p ie u x , n i cru el, n i lou ab le, n i ig n o m in ieu x , m a is la issa n t d e c ô té to u te autre p réoccupation, s u iv r e e n to u t le p a rti q u i assu rera s a s u r v ie e t m a in tien d ra sa li­ berté».

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compte qu ’ils n e seraient pas prophètes s’ils étaient armés et sans se douter que ceci est égalem ent sont sort, car les princes et les puissants d e son tem ps poursuivent d’autres buts et s’engagent dans d’au tres cal­ culs et programmes que l’unité de l ’Italie.

L’homme politique d ’au jo urd ’hui blâm era am èrem ent les Italiens qui avaient retardé de trois siècles l'u n ité nationale en refu sant de suivre les conseils de Machiavel. Mais ce blâm e n ’est fondé que sur la con­ naissance de ce qui s’est produit ensuite. Les conditions historiques, so ­ ciales et politiques du Cinquecento italien conféraient à l’idée de l’unité nationale que proclam ait M achiavel u n caractère to u t-à-fait utopique et étran g er à la vérité de fait de l’époque. Cette unité d’ailleurs n ’au rait pas jpu être réalisée avec les méthodes suggérées p ar Machiavel, malgré le cy­ nism e dom inant chez les principaux acteurs de la scène politique du XVIe siècle — ou peut être justem ent à cause de ce cynisme associé au m anque de cette p arfaite cohérence géom étrique q u ’im pliquait la vertu machiavellique. Q uand trois siècles après e t grâce au concours des cir­ constances historiques suffisam m ent m ûries, les Italiens se m ettro n t à réaliser l’u n ité politique de leu r pays dont D ante au trecento avait déjà clairem ent m ontré l’unité ethnique, linguistique e t géographique, ils au ­ ro n t à affronter des sacrifices e t des guerres sanglantes qui dem ande­ ro n t non seulem ent la cohérence et la constance, mais le désintéresse­ m ent et l’héroïsm e des auteu rs du Risorgim ento et des innom brables m orts anonymes.

L ’hédonisme et l’utilitarism e politique de M achiavel n ’étaient pas les instrum ents les m ieux choisis pour réaliser la noble idée de la p atrie réunifiée qui dem andait et dem ande d ’au tres forces de cohésion. Dans les pages de M achiavel n ’ap p araît que le prince, son entourage et ses soldats, mais il n ’y a guère de place pour le peuple sinon comme fig u ran t sans importance.

Pour faire accepter p ar les patriotes du XIXe siècle, le personnage de Machiavel, Ugo Foscolo dut en proposer l’in terprétatio n la plus im­ probable et la plus inadmissible lorsqu’il écrivit dans I Sepolcri: (vv. 155-

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V id i o v e p o sa il coirpo di q u el gran d e C he tem prando lo scettro ai regn atori G li a llo r n e sfronda, ed a ile g en ti sv e la D i ch e la g rim e gron d i e t di c h e san gu e.

(Je regardai où g ît le corps d e c e grand h o m m e q u i en trem p an t le scep tre d e s m on arq u es e n le v a se s la u ries d év o ila n t a u x gens

d e q u elles la r m e s il fu t co u v ert et d e q u el sang.)

Les dictatures et les im périalism es de type nationaliste ou internationa­ liste reconnaîtront certes dans M achiavel leur p récurseur et dans sa pen­ sée la seule technique de gouvernem ent. Mais même si le machiavellisme

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se réduisait à une technique politique, quoique en fait il est en même temps plus e t moins que cela, il serait une technique rien de moins que sûre. Le machiavellisme porte en lui la précarité innée à to u t u tilita ­ rism e érigé en systèm e: il s’avère inefficace à l ’individu comme il s’est avéré inefficace à Machiavel lui même persécuté p a r les Medicis e t igno­ ré des républicains après la chute des Médicis, il n e m ène à rien à lon­ gue échéance dans u n é ta t dém ocratique; mais il se m ontre sans résultats durables pour les tirans e t les dictateurs si l’on pense aux succès éphé­ mères d’u n Agatocle ou d ’un César Borgia qui fu ren t ta n t adm irés par Machiavel. L’histoire des siècles postérieurs jusqu’aux temps les plus ré­ cents po urrait fournir des exemples encore plus nom breux et plus spec­ taculaires.

«Vaincre p ar la force ou par la fraude», «savoir bien user de la bête», «prendre le ren ard et le lion; car le lion ne se défend pas contre le lacs et le renard ne se défend pas contre le loup», voilà les m axim es résum ant l ’essentiel du m achiavellism e3. Mais elles constituent en même tem ps le program m e de ce genre de politique que M achiavel re ­ présente de façon exem plaire et qu’il considère comme uniquem ent va­ lable, une sorte d ’utilitarism e politique q u ’il n ’inventa pas et qui lui survécut au tan t qu’à son époque. Les historiens du m achiavellism e savent d’ailleurs parfaitem ent que plusieurs antim achiavelliques fu ren t en fait des cryptom achiavelliques; if suffit de citer ici l’exem ple le plus spectaculaire de Frédéric II de Prusse.

Mais fut-elle nom breuse, la postérité de M achiavel ne confirm e guère la validité de la doctrine que l’on peu t tirer de ses maximes et de ses thèses, mais prouve seulem ent que les rêves et les illusions qui sont à son origine ou s’y m êlent dépassent le cadre de son expérience person­ nelle en exprim ant cette volonté de puissance que Nietzsche exaltera dans le surhomme. Le P rince de M achiavel est un ancêtre du surhom m e nitzschéen. Nietzsche, qui avait lu Schopenhauer et avait déduit de la volonté de vivre sa volonté de puissance, n ’en vit pas la stérilité et n ’en ressentit pas le vide sinon à de rares mom ents d’effusion lyrique. Ma­ chiavel lui même, m algré son réalism e n e se ren d it pas compte de la (fragilité de sa construction.

Il ironise au sujet des utopies platoniques e t hum anistes avec les pa­ roles mémorables si souvent répétées et citées: «Et plusieurs ont im agi­ né républiques e t monarchies qu’on n ’a jamais vues ni connues; car la vie telle qu’elle est, diffère tellem ent de la vie telle qu’elle devrait être et celui qui abandonne ce qu’on fait pour ce qw’on devrait faire risque plutôt la ruine que le succès: car l’homme qui voudrait suivre toujours ce qui est bon risque d’ê tre ruiné au m ilieu de ta n t d’autres qui ne sont pas bons 4». Mais lui aussi, il se laisse en tra in er p ar l ’im magination quoi­

8 Cf. Il P rin c ip e , X V III. 4 II P rin c ip e , X V .

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que de façon différente en s’im m aginant un état et un prince m ûs par une logique inflexible e t d ’une cohérence sans défaillance e t sans hési­ tation.

Quoique inspirée p a r d’autres principes, la v ertu m achiavellique n ’en est pas moins intransigeante que la v ertu stoïque ou chrétienne et même elle im plique un ascétisme à l’envers, une violence faite à la n atu re hu­ maine privée de sentim ents et de valeurs qui lui sont propres et forcée à suivre les voies qui lui sont contraires.

Machiavel lui même, m algré son m anque de préjugés, ne réussit guère à incarner ce type d ’homme ou de surhom m e qui se dessine su r le fond de son II Principe et de ses Discorsi, comme il fu t loin de réaliser cette parfaite cohérence qu ’il exigeait des Italiens et su rto u t des hommes politiques de son temps. Il vécut et m ourut pauvre, co qui, fût-ce honorable pour l ’homme, rend inexplicable le théoricien qui, conseiller des républiques et des princes n ’en fu t pas moins un homme politique quoique d ’im portance secondaire et dépourvu de ce pouvoir q u ’il idolâtra et qu’il eut pu obtenir, fût-ce en proportions modestes. Républicain, il servit les m onarques et les tyrans et, après la chute des Médicis à Flo­ rence, il se fit des illusions de pouvoir reto urner à la Segreteria de la république restaurée.

On p eut com prendre l’am ertum e de l’isolement dans la villa de S. An­ dréa à Percussina près de S. Casciano et l’inactivité angoissées à loquelle il fu t condamné, on peut s’ém ouvoir comme d ’aucuns biographes sur sa profession de fidélité impavide, mais on doit se dem ander quel sens a une loyauté et une fidélité chez celui qui conseille des déloyautés et des meurtres? Qui aurait des doutes à ce sujet q u ’il relise les chapitres XVII et XVIII de II Principe.

On peut adm irer sa connaissance lucide e t hardie de la psychologie des masses esquissée avec désinvolture dans les passages comme le sui­ vant: «car on peut dire ceci des hommes en général: qu’ils sont ingrats, inconstants, faux, poltrons, avides de gain; lorsque nous leur faisons du bien, ils nous sont attachés et nous offrent leur sang, leu r avoir et leur vie; dévoués, quand nous n ’avons pas besoin d’eux, mais dans la néces­ sité, ils se détournent de nous. Et le prince qui se baserait sur leurs pa­ roles en négligeant d ’autres préparations courrait à la ruine; car les ami­ tiés q u ’on paie au lieu de les obtenir p ar la grandeur et la noblesse de l’âme quoique dues et méritées, font défaut et ne nous servent pas lorsque le besoin s’en fait sentir» 5.

Dans la m asse fourm illante d’hommes Machiavel ne voyait aucune chance de salut: l ’hum anité est pour lui en effet une massa damnationis dont le prince est le juge e t le bourreau comme d’ailleurs il peut en être le démagogue. Dans les Istorie Florentine il m et dans la bouche d ’un des

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chefs de la révolte des Ciompi (laineurs) ces paroles: «Il fau t donc, selon mon sentim ent, pour obtenir l ’abolition des m aux déjà faits, en recom ­ m encer de nouveaux; redoubler les vols, les incendies, et les sacrilèges, et faire en sorte de nous fortifier d’un grand nom bre de cam arades; car on ne p un it personne quand le nombre des délinquants est trop grand et il n ’y a que les petits crimes qu’on châtie; les grands sont toujours récompensés: alors aussi que plusieurs souffrent, il y en a peu qui cher­ chent à se venger; car on supporte avec plus de patience les pertes qui sont communes à tous, que celles qui tom bent sur un p etit nom bre de particuliers. C’est donc une chose certaine que la quantité de crimes nous en facilitera l’am nistie, et nous ouvrira le chem in à obtenir ce que nous demandons pour notre liberté. Il m e p araît aussi que nous allons à une conquête assurée car ceux qui pourraient s’y opposer sont divisés et riches: leur division nous donnera la victoire et nous nous y m aintien­ drons p ar leurs richesses. Mais su rto ut ne vous en laissez point imposer par cette antiquité du sang: car tous les hommes ay an t u n même p rin ­ cipe sont d’une aussi ancienne origine les uns que les autres e t la nature les a tous faits égaux: m ettez vous tous nus les uns et les autres, vous ne nous reconnaîtrez pas: habillez nous des habits de ces prétendus Nobles et qu ’eux s ’habillent des nôtres, nous paraîtrons des gens de q u a­ lité e t eux de la canaille; car il n ’y a que la p auvreté et la richesse qui m ettent de la différence dans le genre humain. Mon chagrin est que je vois que plusieurs ont de la douleur de ce qui s’est passé et n ’ont pas la résolution de recommencer. Et si cela est, vous n ’êtes pas des gens tels que je vous avais crus. Car enfin ni les rem ords de la conscience, ni l’infamie ne doivent point faire d ’impression sur vous e t souvenez vous que de quelque m anière qu’on rem porte la victoire elle comble toujours de gloire les vainqueurs. Pour la conscience il ne fau t pas s’en faire une affaire...»6 Si nous faisons abstraction de l’âpre et sauvage éloquence de ce passage, peut être peu connu e t rarem ent cité, nous trouvons là la confirm ation que le m achiavellism e né des principes hédonistiques et u ti­ litaires est une technique am bivalente pour les ty ran s comme pour les démagogues, pour les conservateurs comme p o ur les révolutionnaires.

La m utinerie des laineurs s’épuisa en une série de désordres, M achia­ vel lui même commenta: «cela dura trois ans et eut pour conséquence de nom breux exilés et morts» 7.

Catherine de Médicis, fille de Lorenzo II duc d ’Urbin, à qui fu t dédié

Il Principe après la m ort de Giuliano, est l’incarnation fém inine la plus

p arfaite du Prince machiavellique. Certes elle obtint quelques succès immédiats, mais le sort tragique de ses fils et la fin de la dynastie fu ren t le p rix payé pour la N uit de Saint Bartholom ée et pour toute sa politique.

6 Cf. L e Isto rie F lo ren tin e, III, 13. 1 O p. cit., III, 18.

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D étruire to u t d’u n coup tous ses ennemis comme l’av ait suggéré Ma­ chiavel, Catherine de Médicis ne le réu ssit pas comme H itler ne le réus­ sit pas non plus. Et cela ne sera facile à personne parce que les ennemis d ’u n homme politique qui est plus q u ’un m aire de village sont non seu­ lem ent nom breux mais aussi cachés. D’ailleurs, il ne sera guère plus fa­ cile de gagner les ennemis et les indifférents p ar les faveurs distribués petit à petit, et ceci su rtou t si les ennemis envisagent purem ent et sim ­ plem ent se substituer au prince et à ses amis.

Machiavel ne fu t pas philosophe e t se soucia peu de philosophie, mais dans toute théorie il y a toujours u n fond philosophique plus on moins clair et cohérent. La position philosophique qui se laisse entrevoir comme fond du m achiavellism e p o u rrait être appelée hum anism e n a tu ­ raliste très proche de celui d ’un Pomponazzi: position bien souple qui pouvait être absorbée p ar certaines form es d’immanentisme. En effet, l ’idéalisme postkantien n ’hésita pas, su rto u t grâce à Hegel et à Croce, d ’assim iler le m achiavellism e 8.

Singulière à ce point de vue e t particulièrem ent intéressante semble l’attitu d e de Fichte qui dans son program m e de la reconstruction de l’Allemagne en crise à la suite des guerres napoléoniennes, fu t attiré et repoussé à la fois p ar le personnage de M achiavel: a ttiré p ar le patrio­ tism e qui vibre avec un ton pathétiquem ent lyrique à la fin du P rin ­

cipe, repoussé par l ’am oralisme du Secrétaire de Florence, difficilem ent

compatible avec la noble inspiration de l’ethique fich téen n e9.

En général, lorsque l’é ta t est affaibli et les caractères des citoyens s’amollissent, on pense avec nostalgie à Machiavel qui qualifiait de vertu l'inflexible énergie appliquée à réaliser les desseins politiques, qui stigm atisait comme corruption la faiblesse de caractères e t le désaccord en tre le bu t visé et les moyens adoptés, qui exaltait l’unité et le ras­ sem blem ent national. Mais si cela annoblit le personnage du Secrétaire de Florence et attrib ue à quelques fragm ents de son oeuvre une fonction historique et morale, cela ne rachète pas ni son m atérialism e originaire ou dérivé de l’immoralisme de ses prémisses ni des équivoques que nous avons relevées. La fin ne justifie pas toujours les moyens et, ce qui plus est, elle ne justifie pas tous les moyens. S ’il y a inconséquence chez celui qui v eut la fin, mais refuse de se servir des moyens les plus adaptés, il y a inconséquence aussi grave e t aussi désastreuse chez celui qui choisit les moyens si violents qu’il en vient à com prom ettre la fin ou à la rendre inutile et sans valeur bien q u ’elle ait été réalisée. Les médica­ m ents anodins n ’arrivent pas à guérir les m aux profonds, mais les

8 Cf. F. Meimedke, L ’id e a d é lia R agion e d i s ta to (trad. d e D. Scolari) F irenze, 1942-1944, p. 211 e t le s su ivan tes, au ssi N. P etru zzellis, L in e a m e n ti d i filo so fia p o li- tica , 1°, éd. cit. pp . 136-173.

9 Cf. N. P etru zzellis, L ’id e a lis m o e la sto ria , 3me éd. B rescia 1957, pp 84-85 108-109.

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recettes qui prescrivent des doses toxiques excesives tu e n t le m alade au lieu de lui donner la chance de survivre. Un état uni et indépendant, mais asservi à la tyrannie d ’un prince ou d ’une oligarchie supprim e la liberté et la dignité des citoyens et leu r ôte la joie et l ’avantage qui devraient résu lter de l ’u n ité et de l ’indépendance nationale. Ni M achiavel n i ses disciples n ’ont réussi à résoudre le problèm e des rapports en tre

ethos et kratos, problèm e très ancien, voire éternel, et qui ne fu t pas

ignoré de l’A ntiquité comme en tém oignent les fragm ents des Sophistes et les Dialogues de Platon. La civilisation médiévale fit un grand pas en avant par rapp ort à elle-m êm e quand à la devise «force passe droit» elle opposa «force n ’est pas droit». Quand le kratos étouffe l’ethos, il est non seulem ent une force qui d étru it son term e antithétique, mais une af­ freuse puissance d ’autodestruction qui finit p ar en tra în er dans Pabîme toute la société et pourrait, au jo urd ’hui, y en traîner l’hum anité tou t en­ tière dans le jeu des relations internationales qui se font de plus en plus étroites. Il est dangereux de croire que les hommes sont ce qu’ils de­ v raien t être, mais encore plus dangereux serait de considérer comme illusion fantastique l’exigence de ce q u ’ils devraient être, exigence qui est l ’élém ent essentiel de l’hum anité et le ressort de tou t progrès, donc aussi du progrès juridique, politique et social. La violence p artie du sommet ou de la base, les oppressions ouvertes ou dissimulées, les in­ justices laissent les vestiges indélébiles de rancunes et de vengeances, diffusent dans le corps social un venin toxique qui continue à provo­ q u an t le m arasm e social et politique.

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