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Les Normes actuelles de la lecture (des connaisseurs)

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Janusz Sławiński

Les Normes actuelles de la lecture

(des connaisseurs)

Literary Studies in Poland 9, 65-84

1983

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Janusz Sławiński

Les N orm es actuelles de la lecture

(des connaisseurs)

î

Les problèm es d o n t il sera question ici se situent sur le terrain com m un de la sociologie de la littératu re et de l’histoire littéraire. Ce terrain concentre sur lui une atten tio n de plus en plus grande m ais n ’est pas encore devenu eo ipso un cham p de recherche do nt la form e serait nettem ent tracée. Et il ne le deviendra pas tan t que, d ’une p art, les initiatives socio-littéraires (des sociologues) ne se ra p p ro ch e ro n t pas des réalités textuelles les plus intéressantes — ce qui est com préhensible — p o u r les littéraires, et que, de l’autre, ces derniers ne cesseront d ’inventer des théories de plus en plus astu ­ cieuses des situations intratextuelles de com m unication, p o u r éviter, av an t tout, de se trouver face à face aux situations réelles de co m m u ­ nication p a r lesquelles les oeuvres en tren t dans le circuit social. Q uoique l’on dise cepen dant de l’aversion des littéraires p o u r to u t contact direct, au plan de la recherche, avec l’em pirie de l’assim ilation sociale de la littératu re, il ne fait pas de doute que, ces dernières années, s’est pro fon dém ent modifié le m odèle des intérêts de l’histoire littéraire, sous l’influence justem ent de la p roblém atiq ue de la ré­ ception et du récepteur. N ous nous rendons de m ieux en mieux com pte du fait que les recherches n ’accusant aucun intérêt p o u r les ph éno m è­ nes de la réception ne sont pas en m esure de présenter d ’une m anière satisfaisante les m écanism es du processus historico-littéraire. Le fait q u ’une oeuvre est située d ans l ’histoire ne consiste p as seule­ m ent en ce que, créée en un tem ps défini, elle se n o u rrit de son

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expérience: il consiste p o u r une p art au m oins égale en ce q u ’elle

est reçue en des tem ps et dans des milieux divers, se p énétran t

ainsi graduellem ent de décodages m ultiples. Ce q u ’est une oeuvre à une époque donnée et dans un cercle social déterm iné lui a été de quelque façon insufflé p ar la lecture des récepteurs pou r lesquels cette époque est « le m om ent présent » et le m ilieu u n « nous » déterm iné. La caractéristique de la situation h istorico-littéraire pre­ n an t en considération exclusivement les systèmes de norm es qui guident les ^décisions des créateurs, serait a u jo u rd ’hui ressentie p ar les littéraires com m e unilatérale, donc insatisfaisante; ils savent en effet q u ’à une telle situation concourent d ans une m esure non m oindre les norm es co n d itio n n an t la lecture — celles-ci n ’é ta n t pas le m oins du m onde identiques aux autres. Les deux ensem bles de norm es doivent cependant co uvrir des zones com m unes (« p ro d u its »), sans quoi la com m unication littéraire efficiente serait im possible.

Les norm es de lecture en vigueur perm etten t à la collectivité littéraire non seulem ent de m aîtriser la sphère des réalisations scrip­ turales du passé, m ais aussi d ’apprivoiser ce qui ne fait que naître d an s la littérature, ce qui app artien t à a u jo u rd ’hui, est peu audible, voire inaccom pli. Elles com posent com m e un filet que la collectivité des lecteurs jette sur le m onde de la littératu re p o u r en retirer les valeurs p o u r quelque raison satisfaisantes ou utiles. Elles sont to u t à la fois des exigences posées à la littératu re encore inexistante: « t u dois être telle que nous puissions te c o n s o m m e r» ; les norm es de lecture im pliquent des norm es corresp o n d an tes de créatio n (et inversem ent, de toute évidence). L ’historien de la littératu re est in­

téressé non seulem ent p ar ce qui a été recueilli d a n s le filet,

m ais p ar ce qui passe sans encom bres p ar ses mailles, ce qui donc se situe au-delà des intérêts des usagers de ce filet. L’aire du non lu et de l’illisible est, p o u r to u te culture littéraire, un ph én o ­ m ène aussi significatif que la sphère du lu et du lisible.

Ce que nous appelons ici globalem ent norm e de la lecture n ’est q u ’une catégorie générale qui englobe des norm es diversifiées d ’un

caractère plus précis. U ne atten tio n distincte do it être accordée

aux norm es suivantes:

A. E ntrent en jeu avant to u t les critères de choix de la posi­

tion à lire, appliqués en un tem ps et milieu donnés. 11 y va de la hiérarchie des préférences du lecteur, celle-ci définissant en quel­

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L a ?s N o rm e s de la lectu re 67

que sorte d ’avance les types de création avec lesquels il désire en­ treten ir le con tact. P ar exem ple: il choisit l’oeuvre à lire du fait de son ap p arten an ce à tel genre, du fait de telles propriétés du m atériau thém atique ou idéologique, du fait de l’époque d o n t elle provient, du fait de la personne de l’écrivain qui a p ro d u it l’oeuvre, etc. D ans les décisions individuelles de lecture, la norm e du choix a u n double sens. D ’une part, elle perm et d ’extraire l’oeuvre d ’un certain ensem ble de textes se tro u v an t à la disposition du récepteur; d ’au tre p a rt cependant, elle renvoie au-delà de la réalité des textes — à un systèm e tax onom ique défini qui déterm ine les conditions propres à to u te la classe d ’oeuvres analogues à l’oeuvre choisie. L ’utilisation d ’u ne telle norm e perm et au lecteur d ’atteindre un bu t im m édiat (sans g aran tir, évidem m ent, que l’expérience concrète de lecture sera satisfaisante), to u t en étan t un acte de classification orienté vers une zone beaucoup plus étendue des réalisations littéraires: elle est une définition d ’o rdonnan cem ent dans la sphère de l’univers de la littératu re accessible au lecteur. Le choix du livre im plique parfois une classification à échelons m ultiples; q u an d , p ar exemple, je d em an ­ de à la librairie ou à la salle de lecture un ro m an historique d ’un écrivain polonais con tem po rain, m on souhait suppose une d é­ term in atio n de l’oeuvre recherchée p ar ra p p o rt à une hiérarchie de lim itations à q u atre étages, d ont chacune désigne un ensemble d ’oeuvres co ntenu dans un ensem ble plus grand (rom an — rom an historiqu e — rom an historique d ’un écrivain contem porain — rom an historiqu e d ’un écrivain contem po rain polonais). Les m otivations des décisions individuelles de lecture sont plus ou m oins fortuites, cependant le systèm e taxonom ique auquel elles se réfèrent p orte to u jo u rs un caractère m ésologique — il est la pro priété com m une de la couche ou du groupe du public littéraire.

B. A ux norm es de lecture ap p artien n en t ensuite les principes qui

guident les procédés diagnostiques du récepteur, qui form ent son ap titu d e à reconnaître les propriétés catégorielles du m essage indi­ viduel auquel il a affaire. U n des niveaux de la lecture (et nous ne n ous obstinerons pas à reco nnaître q u ’il est le plus im po rtant, q u o iq u ’une telle thèse puisse se justifier) c ’est l’établissem ent d ’une relatio n entre le texte lu et un certain type de textes p ar ra p p o rt auquel le texte donné n ’est q u ’un « cas » particulier. Il y va de ranger l’oeuvré dans la catégorie corresp o n d an te com m e de perce­

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voir les diverses distances qui l’en séparent: sem i-appartenance, références négatives, etc. D ans chaque cas, l’on a affaire à une réduction de la réalisation scripturale individuelle à un certain ensem ­ ble de propriétés répétables, sérielles, stéréotypées. U ne telle réduc­ tion d onne au récepteur une chance de déclarer: « je connais déjà ça, je sais com m ent y réagir». En d ’autres term es, le diagnos­ tic du récepteur consiste à su b o rd o n n er l’oeuvre lue à une con ­ vention littéraire déjà connue qui, à son sens, est capable d ’expli­ q uer d ’une m anière satisfaisante l’ordre de cette oeuvre. Les procé­ dures diagnostiques sont de to u te façon une prém isse indispensable p o u r voir ce qui, d ans l’oeuvre, est insolite et irrépétable. Si l’on adm et que l’originalité du message puise tou jo u rs son sens dans le dépassem ent ou l’a b a n d o n p a r le créateur de la convention, l’appel à celle-ci est indispensable au récepteur p o u r identifier les m om ents originaux.

C. Les norm es de la lecture c'est aussi les règles de com p ré­

hension de l’oeuvre. On peut ici prendre entre parenthèses le niveau élém entaire de la com préhension qui se rattach e to ut sim plem ent à la connaissance, du côté du récepteur, de la langue ethnique dans laquelle l’oeuvre a été écrite (ou traduite). C ette condition de la lecture est évidente et n ’appelle pas d ’autres com m entaires, q u o iq u ’il soit notoire q u ’il y a différents degrés de com pétence d an s la langue m aternelle et q u ’ils règlent d ’une m anière décisive les co n ­ tacts des lecteurs avec la littératu re; dans la langue m aternelle fonctionnent aussi des barrières linguistiques, déterm inées su rto u t par les standards d ’instru ctio n de ses usagers. R em arq u o n s en outre com bien se com pliquent les processus de réception dans la situation oü l ’oeuvre ap p a rtien t aux stades archaïques ou aux secteurs d ia­ lectaux de la langue ethnique donnée. C ependant, les norm es spé­ cifiques de la com préhension des messages littéraires se situent au- dessus de ce niveau élém entaire. D ans chaque cas, elles supposent un degré défini d ’instruction linguistique du lecteur, sans être réductibles à ce degré. De telles norm es fon den t leur p rop re diffé­ renciation sur l’initiation socialem ent diversifiée à la trad itio n litté­ raire. L ’expérience linguistique du lecteur n ’est sous ce rap p o rt q u ’un su bstrat sur lequel s’accum ulent les expériences acquises p ar lui au co ntact des m odes d ’utilisation de la langue, spécialisés sous le ra p p o rt littéraire. En p a rla n t ici des règles de com préhension,

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nous avons à l’idée les stratégies de lecture orientées vers la sém an­ tique de ces m essages spécialisés e t non pas de n ’im porte quels messages.

Il y va des justifications to u ch an t aux ap titu d es extrêm em ent variées du récepteur (telles que nous pouvons distinguer analy tiq ue­ m ent): la technique d ’appréhension des com posantes de la m icro­ sém antique de l’oeuvre (p.ex. les tropes poétiques), m ais aussi l'in terp rétatio n des élém ents m acro-sém antiques (l'affabulation, le sujet lyrique, la situation narrative, etc.); les directives p o u r la synthèse des significations partielles liées aux unités des différents niveaux du texte; les directives p o u r la tran sfo rm atio n des signi­ fications, p erm ettan t de passer des élém ents donnés dans une phase de la lecture à leurs form es transform ées dans d ’au tres phases; les directives de prévisibilité p erm ettan t au lecteur d ’extrap oler les élém ents actuellem ent donnés à la lecture, donc p.ex. de prévoir le déroulem ent de la fable, les conclusions idéologiques que l’auteur tirera des prém isses, l’évolution du caractère du personnage, etc. Enfin — m ais avant to u t — il y va des règles de lecture du sens to tal de l’oeuvre, donc du passage de ce qui semble être son sens essentiel d an s « la structure de surface» à ce qui l’est réellem ent, m ais caché d an s « la structu re profonde » (p.ex. les m éthodes d ’in­ terp rétatio n des contenus allégoriques ou sym boliques).

D. A ux norm es de la lecture ap p artien n en t aussi celles qui dé­

finissent la hiérarchie d ’im portance des com posantes de l’oeuvre, c ’est-à-dire qui p o rten t à reconnaître certaines de ses couches, certains de ses élém ents ou de ses coupes com m e plus valables que d ’autres. Elles précisent ce « quelque chose » qui, dans le processus de la lecture de m essages du type donné, devrait assum er le rôle de d o ­ m inante, être l’objet d ’une atten tio n particulièrem ent p én étran te du lecteur, m obiliser son activité interp rétativ e; en m ême tem ps, elles circonscrivent dans l’oeuvre les cham ps des élém ents de second plan, qui ne m éritent pas de retenir particulièrem ent l’atten tio n, p érip héri­ ques ou neutres. C om m e il est aisé de le rem arquer, nous avons affaire ici à une norm e analogue — sau f q u ’« en plus petit » — à la norm e du choix (p. A ); l’au tre — com m e on s’en souvient, définit les préférences de lecture rap p o rtées à quelque ensem ble de textes au sein duquel est distingué le sous-ensem ble privilégié, celle-ci en revanche définit les préférences relativisées p ar ra p p o rt à Faire

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de l’oeuvre dans laquelle sont circonscrites les régions « choisies » — à un niveau d ’im portance plus élevé que les autres.

E. Les norm es de lecture englobent — chose évidente — les p rin ­ cipes de valorisation des oeuvres. D ans cette sphère, elles définis­ sent avant tout les types de valeurs aptes d ’une m anière générale à m arquer leur présence dans la littérature (esthétiques, cognitives, idéologiques, ludiques, etc.). Elles précisent ensuite la sphère des valeurs spécifiques — de la littératu re dans son ensem ble ou seulem ent de tels genres. Enfin, elles définissent le dom aine des valeurs supérieu­ res, celles qui sont à la base de tous gestes d ’appréciation u nivo­ que de l’oeuvre (de confirm ation ou de rejet). L ’insistance m ise sur l’une quelconque de ces possibilités im prim e à chaque fois un stigm a­ te différent sur le style de lecture. A utre sera la lecture généreuse qui adm et l’existence de différents registres de valeurs et, respective­ m ent, de m esures diverses appliquées à leur ap p réciatio n ; au tre sera la lecture, disons, spécialisée, orientée avant to u t sur « la spéci­ ficité » (de quelque façon q u ’on la com prenne) de la littérature, sur les frontières de son au to n o m ie; au tre encore sera la lecture concentrée sur les valeurs d ’une catégorie strictem ent définie (p. ex. m orales), leur su b o rd o n n an t dans l’acte d ’appréciation to utes les a u ­ tres valeurs du message (l’on a affaire à un cas particulier q uan d les valeurs supérieures sont identifiées aux valeurs spécifiques). A cette différenciation se superpose, en la croisant, une autre, attachée à l’espèce des m esures adoptées dans les valorisations du lecteur: sont-elles des critères universels ou des principes relativisés p ar ra p p o rt au caractère des messages appréciés, ou encore des m esures absolum ent subjectives.

F. Enfin, m entionnons p o u r term iner les norm es qui dem andent au lecteur d ’introduire l’oeuvre et l’expérience de la lecture dans quelque entité plus grande, ou, au co ntraire, de la situer dans l’isole­ ment. D eux choses différentes entrent ici en jeu. Les norm es d o n t il est question peuvent équivaloir aux reco m m andatio ns p o rta n t le lecteur à inclure l’oeuvre lue dans un système objectif plus étendu, p ar exem ple q u ’il la traite com m e une com posante de la biographie de l’écrivain, q u ’il la considère d an s le contexte du savoir h isto ri­ que concernant l’époque oü elle a été écrite, etc. O u inversem ent: elles peuvent recom m ander des procédés interprétatifs qui favoriseront la concentration du lecteur sur l’oeuvre considérée com m e un systèm e

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qui s’explique de lui-m ême, possédant un sens com plet, renvoyant à son p ropre program m e idéo-artistique im m anent.

Plus im p o rtan te cependant est une au tre question: le p o stu lat que le récepteur incorpore l'expérience retirée de la lecture de l’oeuvre d an s le territo ire plus vaste de ses expériences socio-culturelles. La lecture considérée com m e une thérapie, com m e une m anière d ’acqu érir le savoir sur le m onde, com m e une éducation m orale, com m e un affinem ent des argum ents idéologiques, com m e un divertissem ent — voilà a u ta n t de styles différents de réception de la littératu re d on t chacun se situe d ans un cham p défini de l’activité spirituelle et sociale du lecteur, pén étran t dans diverses sphères de sa biographie. Les norm es d o n t nous parlons situent la lecture dans différents contextes des com p ortem ents de l’individu: elles d e m a n d e n t'd e la tra ite r com m e un stim ulant de l’action (également litté ra ire ...), com m e une systém atisation du vécu, une p rép aratio n , une explica­ tion, une évasion, une consolation, une m anière de rem plir le tem ps lib re; elle d oit à chaque fois renforcer d ’autres stim ulants, co o pérer avec d ’autres systém atisations du vécu, en trer en co rrélatio n avec d ’au tre s m anières de passer ses loisirs. O u au co n traire: elles de­ m an d en t de la traiter com m e une expérience sui generis qui se dépose dans le stock distinct des aventures spécifiquem ent littéraires.

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Tels sont les types essentiels des norm es qui nous intéressent — présentés d ans leurs plus grandes lignes. Leur présence dans la co n ­ science culturelle collective de quelque lieu et d ’un tem ps do n n é est un facteur de régulation des processus de prise de contact du public avec la littérature. Ces norm es façonnent le m odèle obligatoire de lecture m odale qui est la m esure des initiatives de lecture. La lecture individuelle d ’une oeuvre est inévitablem ent m édiatisée — elle se ra p p o rte en effet aux lectures de cette oeuvre p ar d ’autres, mais aussi à to u tes les expériences de lecture, accum ulées ju sq ue-là p ar l’individu donné. M on dialogue le plus privé avec l’oeuvre s ’inscrit d an s le cadre d ’un scénario préalablem ent — m ais non p ar m oi — p ré p a ré ; il en tre dans to u t le système de lecture, historiquem ent et m ésologiquem ent défini. Q ue je le veuille ou non, j ’ap p artien s à un choeur, quoique je puisse ch an ter faux, plus bas ou plus

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fort que les autres. Le fonctionnem ent des norm es de lecture fait que les lectures des couvres sont com parables: la mienne, la tienne et la sienne, mais aussi les m iennes différentes les unes p ar rap p o rt aux autres. Les oeuvres ne sont pas les seules à se regrouper en genres, espèces, variantes: les réceptions des oeuvres o n t aussi leur génologie; jusque-là cependant nous savons peu sur elle. La problé­ m atique des recherches sur la lecture devrait être co nstruite parallèle­ m ent à la problém atiqu e de l’histoire de la littératu re pratiquée du point de vue des activités créatrices. Là égalem ent on peut tendre à des approches diachroniques, faisant ap p a raître la form a­ tion d ’un ensem ble donné de norm es, son évolution, les stades de stabilisation et de déclin, ainsi q u ’à des approches synchroniques ren dant com pte de la coexistence en un tem ps d onné de divers systèmes secondaires, voire concurrentiels, de lecture. D ans ce second cas il s ’agit avant to u t de l’exploration de la stratification sociale des norm es de lecture — de leur distrib ution relativem ent aux niveaux de culture littéraire distingués chez le public K

D ans la réflexion sur la lecture, beaucoup plus que dans les recherches p o rta n t sur les systèmes de la création, a p p a ra ît une variété m éthodologique de l’analyse du m atériau historique et - du m atériau contem porain. La reconstruction des styles de lecture du passé se heurte à de nom breuses questions em barrassantes que je ne v oudrais pas soulever ici. D 'ailleurs, presque to u t ce q u ’on p o u rrait en dire au rait un caractère purem ent po stu latif; il y a trop peu d ’essais de prospection détaillée et systém atique à la fois des m écanism es de lecture des époques révolues, p o u r q u ’un com m entai­ re m éthodologique puisse s’en n o urrir. Les sciences littéraires ne font que se rendre lentem ent com pte de la nécessité de d o n ner une description de ce continent inconnu. Il serait en revanche injustifié de se plaindre du m anque d ’intérêt des chercheurs p o u r les phé­ nom ènes de la lecture dans la vie littéraire contem poraine (du vingtiè­ me siècle); su rto u t le dernier q u a rt de siècle a ap p o rté dans ce dom ain e une m asse d ’études détaillées; tous les ans il en paraît

1 J ’em p lo ie ici et d a n s d ’au tres p assa g es de cet article la n o tio n de culture littéraire au sens que j ’ai essa y é de préciser d ans l ’esq u isse « S o c jo lo g ia literatury i p oetyk a historyczn a » (S o c io lo g ie de la littérature et p o étiq u e h isto riq u e), [dans:]

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de plus en plus. Ce ne sont cependant pas dans la p lu p art des cas des -entreprises capables de d o n n er une réponse aux questions des littéraires (ce qui d ’ailleurs n ’est pas leur principal d é fa u t...). Elles rép o n d en t à des questions sociologiques (ou socio-psychologi­ ques), ab solum en t indépendam m ent de la p roblém atiq ue du processus h istorico-littéraire; certaines servent les besoins de la po litique cu ltu ­ relle ou éducative: elles fournissent des inform ation s utiles p o u r l’établissem ent du répertoire des éditeurs, p o u r l’organisation du réseau des bibliothèques ou le colportage des livres dans différents milieux. D ans chaque cas, les in terp rétatio n s se font à p a rtir des résultats d ’enquêtes ou d ’interview s faites d an s des groupes définis du public. Elles p o rten t principalem ent sur des questions telles que le tem ps consacré à la lecture, les types de littératu re préférés p a r les récepteurs et les m otiv ations des choix, les dépendances entre la lecture et les autres m anières de rem plir les loisirs. Le m om ent essentiel pris en considération p o u r la distinction des groupes soum is au sondage, est le niveau uniform e d ’instruction. P arfois — quoique rarem ent — on obtient les données au m oyen d ’une expérim entation spécialem ent m ontée, qui place les particip an ts devant des tâches de lecture spécialem ent co nstruites; on obtient ainsi une chance d ’observer leurs décisions. Les techniques d ’expérim entation sont, il va sans dire, beaucoup plus exclusives que les enquêtes, m ais leurs résultats sont p ro portionnellem en t m oins triviaux. O n peut d ’ailleurs s'im agi­ ner un croisem ent des deux techniques (p.ex. l’expérim entation com m e un con trô le de l’enquête). Le plus sim ple évidem m ent serait que l'historien de la littérature puisse utiliser les m atériaux et les résultats des recherches sociologiques sur la lecture et leur su rajouter la superstru ctu re de sa p ropre approche des phénom ènes de la lecture. Il est difficile cependant d ’y com pter à q u elq u ’un qui a eu la possibilité de connaître de plus près les études faites sur ce s u je t2. Elles ne sont absolum ent pas orientées sur l ’analyse des opératio n s effectuées p ar le lecteur dans la m atière du texte; hors de leur thém atique se situent les questions liées à la trad itio n littéraire en ta n t que système définissant « l’horizon des expectations »

2 C f. les rem arques critiq ues de S. Ż ó ł k i e w s k i sur les recherches s o c io lo g i­

qu es sur la lecture, d an s so n esq u isse « B adania kultury literackiej i funkcji sp o ­ łeczn ych literatury » (R ech erch es sur la cu lture littéraire et les fo n c tio n s so c ia le s de la littératu re), [d an s.] P ro b le m y so c jo lo g ii litera tu ry.

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des récepteurs; elles passent avec une indifférence to tale à côté du fait que divers types d ’oeuvres et de conventions d éterm inen t des situations de com m unication qui ne sont pro pres q u ’à elles et qui prog ram m en t — du m oins globalem ent — le déroulem ent du processus de réception et «les points de vue» du lecteur. Aussi n ’y a-t-il pas — et il ne peut pas y avoir — de passage co ntin u des études de ce type à la réflexion sur les norm es de la lecture (dans l’acception in d i­ quée ci-dessus) \ A u fond, p o u r ob ten ir des observations sociologiques valables p o u r lui, le chercheur en littératu re devrait lui-m êm e com p oser des questionnaires app rop riés ou prép arer les scénarios des ex périm en­ tations. O n peut d o u ter que q u elq u ’un le rem place en ce point. C om m e on le sait cependant, les littéraires ne sont pas pressés d ’en tre p re n ­ dre un tel effort. Il leur est plus com m ode d ’échafaud er des su pp osi­ tions, de m o n ter des hypothèses, de construire des conceptions th é o ri­ ques, souvent extrêm em ent suggestives, dépourvues cependant de la g arantie em pirique. Il leur est plus com m ode de faire sem blant de croire en un Collègue m ythique qui p re n d ra soin de co nstru ire un fondem ent solide sous l’édifice suspendu p ar eux en l’air.

Il y a toutefois une sphère de phénom ènes que l’historien de la littératu re peut prospecter d ’une m anière convenable sans m êm e faire sem blant q u ’il atten d les services des sociologues — et se faire un accès aux norm es qui guident la lecture d ’un groupe social défini. Je pense aux norm es de la couche du public littéraire que l’on pou rrait désigner com m e la couche des connaisseurs. A la dif­ férence de la lecture réalisée p ar d ’au tres couches du public, la lecture des connaisseurs n ’est pas m uette — elle p ren d corps dans les cristallisations des textes, elle est p o u r une g rande p a rt un p h é­ nom ène public, elle laisse des tém oignages qui se prêten t à des dém arches analytiques et interprétatives analog iq uem en t aux oeuvres littéraires auxquelles elles sont des « réponses ».

En p arlan t des connaisseurs (dans les limites de la vie littéraire d ’a u jo u rd ’hui), j ’ai à l ’idée avant to u t les écrivains, les critiques et

•Ml y a évid em m en t des ex cep tio n s; on d o it y ranger en P o lo g n e le très p récieux ou vrage de B. S u ł k o w s k i P o w ieść i c z y te ln ic y . S p o łe c zn e w aru n kow an ie

zja w isk odbioru {Le R om an e t les lecteu rs. L es co n d itio n n em en ts so c ia u x d es p h é­ nom ènes de la récep tio n ), W arszaw a 1972, qui d ém o n tre la p o ssib ilité d ’une c o o p é r a ­

tion fructueuse des c o m p éte n c es s o c io lo g iq u e s et littéraires d a n s les rech erch es sur la lecture.

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les littéraires; ce sont eux en effet qui produ isent ces tém oignages de lecture. M ais le cercle des connaisseurs est évidem m ent plus large: il englobe dans une certaine m esure les professeurs de lycée (po- lonisants), les anim ateu rs de la culture, les bibliothécaires ainsi que les am ateu rs de la littérature, les érudits et les m aniaques, profes­ sionnellem ent et institutionnellem ent no n définis. D an s chaque couche du public se trouve u n noyau de particip an ts plus ou m oins nettem ent délim ité, h o rs duquel s’étendent les régions de la p articip atio n re­ lâchée et, plus loin, les périphéries qui passent im perceptiblem ent dans d ’au tre s couches. D e to u te évidence, la zone centrale de la couche des connaisseurs est constituée p a r ceux d ’entre eux d on t les o pinions sur l’oeuvre littéraire obtien nent la form e de com m uni­ qués circulant dans le milieu des lecteurs. C ’est l’élém ent distinctif fo ndam ental — on p o u rra it dire fonctionnel — de cette couche. Il y en a d ’au tres cepen dan t. La situation de connaisseur se caractérise p ar l ’absence de frontières nettes entre la réception désintéressée de la littératu re et sa réception « professionnelle »; en d ’au tres term es: la lecture ne s’y situe pas essentiellem ent dans l’ordre des loisirs.

Significative de ce milieu est son inclination p o u r les lectures novatrices, p o u r les décodages s’éc artan t des stéréotypes de réception, guidés p a r des concepts inteprétatifs, calculés, intentionnellem ent pervers. L ’on a affaire ici dans la sphère de la réceptivité à un phénom ène analo gu e à ce qui se passe dans l ’av an t-g ard e littéraire: parm i les lecteurs il y a égalem ent des avant-gardistes qui co m b at­ tent les attaches conservatrices aux systèmes en place de lecture. E videm m ent, l’expérience littéraire des connaisseurs est équivoque (comme to u te expérience): to u t en g aran tissan t l’activité experte, elle im pose des b orn es à la sensibilité et à la liberté de réaction aux stim uli nouveaux qui n ’ont pas de place dans les stéréotypes connus. Il y a la rou tine paralysante des connaisseurs, souvent plus poussée m êm e que la rou tine des représentants des au tres couches du public. C epen dan t incom parablem ent plus souvent q u ’ailleurs est p ratiquée dans leur m ilieu (égalem ent différencié au fond) la stratégie co nsistant à lire co n tre les lectures jugées com m es stéréotypées. Il arrive aussi q u ’une telle stratégie soit efficacement m obilisée p ar l’effort de l’écrivain qui tend à surm o n ter tel cano n de la créatio n; alors co n so n n en t ou s’affrontent deux innovatism es. M ais la lecture novatrice peut être une réponse à des oeuvres déjà figées et —

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sem blerait-il — ayant adop té une fois p o u r toutes la pose de telle convention définie.

Il ne fait pas non plus de dou te q u ’à la portée de la couche des connaisseurs se trouve un répertoire beaucoup vaste que de to u te autre couche du p u b lic,-d e conventions littéraires p erm e tta n t d ’identifier les messages. L ’ap titu d e à d iagn ostiqu er et la capacité de com prendre l’oeuvre ne sont pas univoquem ent attachées au goût. Ce dernier agit restrictivem ent, n ’exclut pas l’intérêt p o u r les p h é­ nom ènes qui ne tom bent p as positivem ent sous ses critères. M e servant des notions in troduites dans l’esquisse déjà citée « Sociologie de la littérature et poétique historique », je dirai que la cu ltu re littéraire des connaisseurs d ’a u jo u rd ’hui (il n ’en a pas to u jo u rs été

a in si...) est dom inée p ar le savoir et la com pétence, le goût

jo u a n t visiblem ent un rôle de second plan. 3

Les rem arques qui viennent feront penser à un w agonnet fra ­ gile tiré p ar une lourde locom otive. Elles se p ro p o sen t d ’énu m érer d ’une m anière concise les principes les plus généraux de la stratégie de la lecture, adop tés a u jo u rd ’hui chez n ou s p ar ceux qui s’occupent professionnellem ent de littérature. En disant « a u jo u rd ’hui » j ’ai à l’idée l’état de la culture littéraire des connaisseurs, form é au cours des dernières années (à p a rtir de 1956, date qui m arqu e nettem ent la limite de périodisation). De cette période proviennent ju stem en t tous les tém oignages que j ’ai pris en considératio n en fo rm u lan t mes diagnostics. Je la traite p o u r plus de com m odité com m e synchronie, quoique l’ad o p tio n du point de vue év o lu tif puisse d o n n er des ré­ sultats extrêm em ent intéressants. L ’on sait cepen dan t que, p o u r p ré­ senter l’évolution du système, il faut d ’ab o rd savoir quels élém ents le com posent.

J ’om ets aussi le phénom ène, extrêm em ent intéressant d u point de vue socio-littéraire, de la diffusion des m éthodes de lecture des « p ro fe ssio n n e ls» parm i les autres couches du public: l’influence q u ’ils exercent sur la pratiq u e générale de la lecture. Q ue saurions- nous dire cependant sur ce sujet sans p arven ir à des précisions em piriques? N ous app ren o n s com m ent lisent les connaisseurs à p artir de leurs textes concernant la littérature. Q u an t à la m anière do nt

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leurs techniques de lecture agissent sur la lecture des « am ateurs », nous ne pouvons l’app ren d re que dans la m esure oü nous réussirons au préalable à p ro vo q u er la p ro d u c tio n de tém oignages susceptibles d ’interprétations. Le problèm e passionnant de la diffusion des norm es de lecture des connaisseurs dans les larges couches de la collectivité lisante, n ’a pas trouvé jusq ue-là (du m oins chez nous) de place dans le cham p d ’investigation de la sociologie em pirique de la littéra­ ture. Et p o u rta n t, pourrait-il sem bler, il doit être posé si les consi­ d érations sur la stratification sociale du public m oderne veulent expliquer quoi que ce soit. Im p o rtan tes sont non seulem ent les fro n ­ tières entre les couches des lecteurs: non m oins valables sont les mécanism es des « échanges » entre les strates, en p articulier les p ro ­ cessus de po pularisatio n des m odèles élitaires de lecture. D ans cette optique devrait avan t to u t être considéré l’enseignem ent scolaire de la littérature au niveau secondaire, au jo u rd ’hui le principal canal (quoique pas l’unique) p a r lequel les norm es de lecture des connaisseurs entrent dans le circuit social, subissant en même tem ps des gauchis­ sem ents et des schém atisations. L ’école d ’a u jo u rd ’hui en tan t que système de tran sfo rm atio n des catégories de la h au te culture littérai­ re en catégories de la culture populaire, est un sujet qui atten d to u jo u rs son investigateur.

M ais voici l’énu m ération annoncée ci-dessus.

Le t e m p s p r é s e n t — le p a s s é . La conviction la plus signifi­ cative p o u rrait être form ulée com m e suit: dans l’expérience de la lecture, un rôle décisif incom be aux contacts avec les oeuvres écri­ tes au tem ps considéré p ar nous com m e notre présent. Le passé de la littératu re — le plus respectable m êm e — ne p eut être un m o ­ dèle qui puisse faire violence; il est davantage une tâche p o u r le lecteur q u ’une m esure ou un m odèle. N o tre lecture est guidée p ar l’oeuvre d ’a u jo u rd ’hui — celle su rto u t qui vainc d ram atiqu em ent l’ordre établi de la convention. C ’est au travers de ses réalisations que devraient être lues les oeuvres des époques passées. Il faut incessam m ent m ater la ten tatio n d ’expliquer le m oins connu p a r le plus connu, les oeuvres non apprivoisées au m oyen des chiffres bien assim ilés; et aller en sens inverse: exiger des textes littéraires du passé im m obilisés (au plan du sens, de la form e a rtis iq u e ...) des réponses aux questions posées p a r les créateurs contem porains, les forcer — même p ar la violence — à découvrir leur affinité avec les

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poétiques ou les philosophies d ’a u jo u rd ’hui. Ainsi elles sont arrachées à l ’inertie, acq u éran t en m êm e tem ps quelque chose d ’in n atu rel; elles deviennent nouvelles d ’une nouveauté non encore pleinem ent m aîtrisée p ar nous, dans une certaine m esure incertaine, donc vraim ent contem poraine.

N ous avons renoncé à co m prendre l’héritage com m e un système de référence m assif et sécurisant, auquel on recou rt d an s les situations oü nous m anquons de clés p o u r les recherches d ’a u jo u rd ’hui. Plus m êm e: nous désirons éprouver le d anger de la littératu re ancienne, p arven ir à l’é tat antérieur aux in terp rétatio n s qui la circonscrivent, reconnaître ce q u ’il y a eu d ’énigm atique dans ses m essages com m e sont énigm atiques les oeuvres à peine nées. La lecture de l’oeuvre ancienne est entendue com m e une projection dan s le passé de ce « non lu » caractéristique qui m arqu e le co n tact avec les oeuvres con tem p oraines novatrices, non encore exploitées p ar la lecture.

L a s i g n i f i c a t i o n d e la t a x o n o m i e . La taxonom ie littéraire a u jo u rd ’hui em ployée n ’est ni développée ni particulièrem ent com ­ pliquée. Elle se n o u rrit, certes, des éclats de l'ancienne conscience génologique, m ais les distinctions strictes de genres n ’y ont q u ’une signification secondaire. Elle opère au m oyen de diverses oppositions, do nt q u atre interviennent le plus souvent et que, de ce fait, on peut reco nn aître com m e constitutives. Les voici: 1) la littératu re au sens strict — l’écriture paralittéraire (dans deux variantes: la n ar­ ratio n docum entaire et l’essai); 2) l’oeuvre h au tem en t artistiq ue (« a m b itie u se » ) — l’oeuvre populaire (de m asse); 3) la poésie — la prose; 4) les grandes form es narratives (le rom an) — les petites formes narratives.

Ces oppositions se superposent et se croisent, et leurs dépen­ dances hiérarchiques ou autres ne sont pas claires. Parfois (et dans certains cas) elles restent d ans une relatio n de supériorité — infériorité, d 'a u tre s fois elles sont réciproquem ent concurrentielles, au m oins dans une certaine m esure. A insi p ar exem ple le caractère hautem ent artistique est a ttrib u é aux oeuvres p ar ailleurs ne faisant pas p artie de la littératu re au sens strict (p.ex. au traité m oral ou aux m ém oires); la littérature populaire peut être en prose ou poétique q u o iq u ’on traite souvent la poésie com m e la form e la plus sublim e de la littératu re h autem ent artistiq u e; p a r ailleurs la poésie c ’est aussi bien le lyrisme philosophique de haut vol com m e la chanson

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qui est un des genres m aîtres de la littératu re populaire. E t ainsi de suite. Ce n ’est pas cela cependant qui m érite l ’atten tio n . Les distinctions dan s la conscience littéraire ne rép on den t jam ais aux im pératifs du calcul des ensem bles et il serait difficile de trouver parm i les historiens de la littératu re un m aniaque qui s’en em b arras­ serait.

Ce qui d onn e à penser dans la taxonom ie utilisée a u jo u rd ’hui c ’est quelque chose de to u t à fait autre. Les choses se passent com m e si on réalisait des distinctions principalem ent p o u r prendre com m e directive le refus de les respecter. Le sens des oppositions et des critères de classification semble être purem ent négatif. La norm e de lecture qui règne en la m atière p o u rra it être verbalisée com m e su it: q u an d tu lis une oeuvre que tu serais enclin à ranger dans quelque catégorie à p a rtir d ’indices facilem ent percevables, effor­ ce-toi d ’y découvrir les règles propres aux oeuvres classées dans l ’anticatégorie. Si un des m om ents p erm e tta n t d ’o pposer la littéra­ ture au sens strict à la p ro d u c tio n paralittéraire, est la présence dans la prem ière d ’un univers fictif représenté, en lisant p ar exemple un jo u rn a l ou des m ém oires il faut y rechercher m éthodiquem ent ju stem en t cette « ficitivité » garantie de la littérarité, la com position d ’affabulation, il faut les lire com m e on a coutum e de lire un ro m an ; et au c o n tra ire : dans la fiction rom anesque il faut voir « un rrçorceau de la vie ». C onform ém ent à cette même norm e, le ro m an policier ou le thriller (généralem ent traités com m e des form es de la littérature de divertissem ent) peuvent être appréciés du fait de leurs com plica­ tions m orales ou philosophiques et non com m e des charades astucieu­ ses ou des dispositifs d ’horreur. La chanson est parfois reçue com m e de la poésie lyrique réflexive. D ans la n arratio n en prose on distingue des ord onnancem ents p ropres à la langue poétique, dans le ro m an — la rigueur de la nouvelle, dans la nouvelle — la liberté de com position du rom an.

Le sens de la taxonom ie est continuellem ent mis en question. Il a p p a ra ît que les distinctions sont nécessaires p o u r o p érer en dépit d ’elles des identifications. La signification de la convention sem ble consister en ce q u ’elle assure la netteté aux violations de celle-ci. U n des buts principaux qui se posent au récepteur est de lire le texte en quelque sorte con tre sa classification « naturelle », l ’in terp ré tatio n perm ettan t de situer l’oeuvre sim ultaném ent dans deux ensem bles opposés.

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L e f é t i c h e d e la p o l y v a l e n c e . C aractéristique est l’intérêt porté à toutes sortes de « clignotem ents » de re n o n c ia tio n sém an­ tique. Plus m êm e: l’insistance à les réclam er, la su b o rd in atio n de l ’app réciation positive de l’oeuvre au degré de sa com plexité (et incertitude) signifiante. Il n ’est question que l’oeuvre n ous dise quelque chose de définitif, fournisse un savoir, éveille une im pression hom ogène, form ule une règle m orale. Le lecteur dem ande q u ’elle sème en lui l ’inquiétude, q u ’elle l’exacerbe, le m ette hors de lui, m ette en question quelque chose à quoi il est habitué, s’oppose à ses expectations. Il souhaite une polysém ie qui désarçonne — des questions et non des réponses, des possibilités de rechercher des sens différents et non un sens défini, des chances et non des solutions, des déviations et non des règles. N ous avons affaire là à un des p aradoxes les plus voyants de la lecture d ’a u jo u rd ’hui: le récepteur atten d avec ferveur quelque chose qui doit le surprendre, il s’atten d à une surprise, il recherche un piège dans lequel il veut tom ber, il veut être dupé. Ainsi, p ar son attitud e, il rend im possible (ou l’affaiblit) l’effet auquel il s’attend . Q u an d il se sent déçu, il essaie d ’organiser lui-m êm e son aventure de lecteur. N o us savons com bien fréquentes sont a u jo u rd ’hui les lectures com pliquées de textes de toute évidence sim p le s... La lecture des connaisseurs de­ vient un art parfois beaucoup plus inventif que l’écriture qui en est l’objet.

Divers sont évidem m ent les idéaux de la polysémie attendue. La distinction essentielle y est déterm inée p ar l’opposition vivace dans la conscience littéraire d ’a u jo u rd ’hui entre la poéticité et la narrativité. P o u r être très concis: la poéticité répond à la tendance à p ro d u ire dans la littératu re des êtres verbaux s’expliquant d ’eux- mêmes, alors q ue ce qui est significatif de la n arrativ ité c ’est de donner vie, p ar le verbe, à des êtres capables de s’affranchir, dans le processus de la lecture, de leur su b strat verbal, et se prêter à l’in terp rétatio n d an s les catégories de l’expérience extralinguistique du lecteur. C ette opposition perm et de séparer d ’un trait assez net deux types de polysém ie distingués a u jo u rd ’hui. N ous laisserons de côté la poétique, car son analyse devrait être précédée de consi­ dérations tro p détaillées et tro p techniques p o u r les besoins de cette esquisse. Q uelques m ots en revanche sur la polysém ie narrative.

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d affabulation en term es de « grande m étaphore », de sym bole, d ’allé­ gorie ou de parabole. N ous désirons que l’histoire contée déborde sur sa p articularité thém atique, que les personnages soient des a tti­ tudes, les réalités des signes, les épisodes des modèles. Il est secon­ daire, dans ce contexte, de savoir où le lecteur situe les sens décou­ verts hors de la fable: dans l’ordre de la m étaphysique, de l'historio- sophie, de la m orale ou de la politique. L ’im p o rtan t c ’est la disposi­ tion à passer de ce qui est donné dans le récit à ce q u ’on peut y deviner, du m anifeste au caché. Le caché est to ujo u rs plus sublime que le m anifeste (c’est d ’ailleurs un des préjugés les plus intrigants). Le sens vraim ent essentiel de l’histoire racontée se trouve (devrait se trouver!) non en elle-même, mais ailleurs — hors de la sphère directem ent accessible. Le lecteur doit pénétrer dan s cet ailleurs en dépit de toutes les résistances du texte. « M ais, M essieurs — se défend parfois l'écrivain — j ’ai vraim ent voulu présenter uniquem ent des faits n u s » . A quoi les connaisseurs rép o n d en t: « N u s — donc m axim alem ent polysém iques ». Le récepteur ne prend pas note de l’absence de com plications significatives dans l’oeuvre; il soupçonne alors que le vrai sens (plus p rofo nd) lui échappe, q u ’on lui propose à dessein quelque sens incom plet p o ur m ettre à l’épreuve sa sagacité. Il s'intéresse m oins au fait que l’oeuvre raco n te quelque chose, davantage à ce q u ’elle cache. La norm e de la lecture m éfiante, qui arrache à l’oeuvre sa sém antique secrète, acquiert — chose com ­ préhensible — une netteté particulière dans les situations socio-cultu­ relles oü interviennent des restrictions de censure. C ’est une chose secondaire, au fond, de savoir quels contenus elles concernent co n ­ crètem ent: politiques, m oraux, idéologiques. Le seul fait de leur existence — sous quelque form e que ce soit — influe sur le caractère de la co m m un ication littéraire. Elle form e l’attitu d e du lecteur enclin à supposer q u ’une partie des inform ations transm ises p ar l’écrivain doit se situer dans les bandes sém antiques secrètes de l’oeuvre, que le créateu r a m asqué quelque chose, appelé au trem en t, omis, en un m ot — q u 'en m enant son jeu avec la censure il en appelle à la perspicacité herm éneutique du récepteur. D ans ces cas, la sensi­ bilisation à la polysémie du message acq uiert une acuité ex tra o rd i­ naire. Ces conditions favorisent en quelque sorte naturellem ent la p ro p a g atio n des m éthodes agressives de lecture. Parm i les m odes a u jo u rd 'h u i recherchés de polyvalence on peut, semble-t-il, en

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q u er un qui est le d én om in ateur com m un des au tres: il est égalem ent prisé d an s ses m anifestations poétiques et narratives. L 'o b serv ateu r ne peut pas ne pas rem arquer la prédilection inhabituelle des ré­ cepteurs (élitaires) p o u r to utes sortes de citations, allusions littéraires, références stylisées des énonciations, pastiche, renversem ents p a ro d i­ ques. C ’est une source de satisfaction hautem ent prisée des lecteurs que la possibilité de découvrir, hors de la parole p ro pre de l’oeuvre, la parole d ’une au tre oeuvre, hors du style m ère — le style de q uel­ q u ’un. Très prisée est la situation oü l’oeuvre sem ble hésiter en tre deux codes différents de la littérature, qu an d elle parle sim ultané­ m ent p o u r son propre com pte et p o u r le com pte d ’un autre, q u an d elle dem ande donc que nous utilisions dans la réception des « stra ­ tégies m ixtes ».

L a n e u t r a l i s a t i o n d e l’a u t e u r . Le processus de la lecture a cessé d ’être entendu com m e une m anière d ’éprouver un co n tact avec l’écriture d ’une personne concrète — l’au teu r de l’oeuvre, l’écri­ vain. Les questions du genre « q u ’est-ce que l'écrivain avait à l'idée »

nous sem blent hautem ent incongrues. N ous nous o b s t i n o n s ;i co n si­

dérer que l'oeuvre est un être qui existe indépendam m ent de son créateur. N ous nous im aginons le processus créateur com m e un retrait de l'écrivain de l’oeuvre en voie de naître, et en m êm e tem ps com m e l ’installation progressive dans cette oeuvre de q u e lq u ’un d ’au tre qui nous parle, à nous lecteurs. Nul besoin de rap peler quel g ra n d rôle incom be dans les conventions actuelles de lecture aux catégories du type « sujet littéraire », « n arrateu r », « au teu r im pliqué », etc. C 'est à eux que nous reconnaissons le droit de s'exprim er sim ultaném ent dans l'oeuvre et à travers l’oeuvre; avec eux nous m enons notre jeu de lecture, m ettan t entre parenthèses l’a u te u r réel. N o us le situons volontiers dans quelque préhistoire m ythique de l’oeuvre, qui peut faire l’objet de souvenirs, m ais n ’en tre pas (ne devrait pas entrer) dans le m om ent présent de la lecture. La neutralisation de l'a u te u r dans le processus de réception doit con du ire — évidem m ent — à l'ébranlem ent de la stabilité signifiante du m essage. L ’oeuvre dépourvue du g aran t de son sens (autrefois c ’était l’intention de l'écrivain) devient vulnérable face aux im p u tatio n s du lecteur. Elle ap p a raît à nos yeux com m e un o rd re de la natu re se p rê ta n t à des interp rétatio n s m ultiples. En m êm e tem ps d onc s'estom pe la frontière entre les règles de la réception « correcte » (adéquate) et les abus interprétatifs. L ’a u te u r est absent — donc to u t est perm is.

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Les N o rm es de la lectu re 83

L a s e n s i b i l i t é à la t e c h n o l o g i e . L’oeuvre est une co n n a issa n ­ ce, une expression, une prop ositio n idéologique, m ais elle est avant to u t quelque chose de fabriqué, p ro d u it avec un m atériau oü l’on distingue les unités constitutives, conform ém ent à certaines règles com binatoires. La lecture com préhensible d o it saisir ces unités et ces règles. D ans l’oeuvre on doit pouvoir déceler la recette de sa com position, les règles de la gram m aire (quelle q u ’elle soit, p u isq u ’il y en a de différentes sortes) qui ont rendu possible sa création. C ’est p o u rq u o i on s ’intéresse extrêm em ent à toutes sortes de d éclara­ tions m éthodologiques form ulées dans l’oeuvre — l’ordre du m étatexte c o n ten an t la verbalisation des o p ération s productrices. N o u s re­ cherchons très volontiers dans les oeuvres les intentions au to -th é m a ­ tiques; et nous puisons des satisfactions particulières dans la recon­ naissance que le m essage littéraire raconte en quelque sorte lui-m êm e la m anière d o n t il a pris form e parm i les m ultiples possibilités d ’être au tre que ce q u ’il est définitivem ent devenu.

L 'o e u v r e e n t a n t q u e s y s tè m e . La lecture a p o u r tâche de parvenir ju s q u ’à la totalité de l’oeuvre, c ’est-à-dire de déco uv rir le systèm e (littéraire, idéologique, m oral, im aginaire, etc.) qui l’explique intérieurem ent. Lire des sens partiels, expliquer des effets frag m en­ taires, co m p ren d re par tranches, ne nous satisfait pas. N ous voulons tro u v er à chaque fois la form ule de l’entité de l’oeuvre; la lecture est une tentative de parvenir à une telle entité. Le désir de la

découvrir doit, il va sans dire, condu ire à la d estru ction de la

processualité de l'oeuvre qui s’im pose à la lecture. L ’oeuvre en tan t que déroulem ent nous intrigue et nous satisfait m oins q u ’en tan t que systèm e: un ensem ble d ’oppositions, un réseau de relations, un m odèle. L ’ord re tem porel est reconnu p a r le lecteur com m e une sphère de la p articu larité de l’oeuvre; l’entité recherchée s’étale d an s l’ordre atem porel. La lecture ad éq u ate serait d o n t équivalente à une sorte de géom étrisation du message. L ’on sait bien com bien so n t géné­ ralisées dans la h au te culture littéraire contem poraine les plus diverses représentatio ns stéréom étriques de l’o e u v re ...

* * *

Là s’interrom pt p lutôt que se term ine la tentative entreprise d 'in v en to rie r les norm es les plus générales de la lecture des co n n ais­ seurs d ’a u jo u rd ’hui. Son principe m éthodique n ’est pas p articu lière­ m ent raffiné: il se ram ène à la recom m andation de traiter les én o n cia­

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tions form ulées a u jo u rd ’hui sur la littératu re (critiques et scientifi­ ques, m ais aussi les m anuels, les program m es scolaires, etc.) com m e des tém oignages de la stratégie de lecture p ratiq uée p ar le public auquel ap p artien n en t les au teurs de ces énonciations. Il s ’agit de les analyser com m e si elles étaient des réponses à une enquête socio-littéraire faite dans un groupe social défini et se résum ant dans la question m aîtresse: d ’après quefjes règles vous lisez. N ous co n n a is­ sons les questions auxquelles personne n ’a jam ais essayé de do n n er une réponse. M ais il y a aussi des réponses à des questions qui n ’ont pas été posées. C ’est justem en t à de telles réponses non intentionnelles sur les processus de lecture * que nous avons ici affaire. Il faut donc leur faire corresp o n d re un q uestionnaire de recherche adéquat.

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