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La Russie et les Russes. T. 1, Mémoires d'un proscrit

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(1)

BIBUOTHECA UNIV. JAGELL.

CRACOVIENISIS

LA RUSSIE

ET

LES RUSSES

N . T O U R G U E N E F F .

T O M E I.

M É M O I R E S D ’U N P R O S C R I T .

PARIS,

A U C O M P T O I R D E S I M P R I M E U R S - U N I S ,

Q U A I M A L A Q Ü A I S , 1 5;

LEDOYEN, P

a

LAIS-ROYAÜ, GALERIE D'ORLEANS, 31.

1847

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(3)

LA RUSSIE

ET

L E S R U S S E S .

(4)

I M P R I M E R I E D E C l l R A U D E l E T J O P A U S T , H u e S a i n t - H o n o r é , 5 1 5.

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LA RUSSIE

E T

LES RUSSES

PAR

N . T O U R G U E N E F F .

M em oriam q u o q u e ip sam cu n i voce p e rd id is se m u s ; si ta m in n o stra po- te s ta te essot oblivisci q u a m tacere.

Ta c i t e.

T O M E I " .

M É M O I R E S D ’ U N P R O S C R I T .

PARIS,

A U C O M P T O I R D E S I M P R I M E U R S - U N I S ,

Q U A I M A I . A Q U A I S , 1 5;

LEDOYEN, PALAIS-ROYAL, GALERIE D'ORLÉANS, 31.

1 8 4 7

(6)

UNIV.

OC

i m i

CHACÔVIENS6

n

V

B ib lio te k a J a g ie llo ris k a

1001285914

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PRÉFACE

Ce livre n ’est point une de ces fantaisies légères comme se plaisent à en broder des touristes à l’imagination brillante et facile , une de ces ébauches superficielles qui ne reflètent que les formes extérieures d’une nation , qui ne rendent que quel­

ques uns de ses traits les plus saillants, esquissés au hasard, en c o u ran t, à vol d'oiseau. C’est l’expression d’une pensée long-temps mûrie au fond du cœur, c’est le fruit des médita­

tions de toute la vie d’un homme qui a touché du doigt les plaies de son pays, et qui n’a cessé de rêver pour lui un meil­

leur avenir.

Que l’on ne croie pourtant pas que j ’attache à ces pages plus d’importance qu’elles n ’en ont réellement; en les livrant à la publicité , c’est à ma conscience que j ’obéis , c’est un de­

voir que je crois remplir. Quelques mots suffiront à prouver

l’esprit qui les a dictées, en montrant comment j ’ai été amené

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à les commencer, et comment ensuite elles se sont ajoutées in­

sensiblement l’une à l’autre , et pour ainsi dire à. mon insu.

Appartenant par ma naissance à la classe des propriétai­

res d’esclaves, je connus dès mon enfance la dure condition de ces millions d’hommes qui gémissent en Russie dans les liens de la servitude; le spectacle d’une si criante injustice frappa vivement ma jeune imagination, et laissa dans mon âme une impression qui ne devait jamais s’effacer. Mes études à l’université de Gœtlingue ne firent que fortifier cette im­

pression , en même temps qu’elles m’éclairèrent sur la faus­

seté des institutions qui régissaient mon pays. Des excursions en Allemagne , en France , en Suisse, en Italie, en Angle­

terre , achevèrent de m’initier aux sciences politiques et éco­

nomiques.

Je rentrai en Russie plein du désir de me rendre utile à mes concitoyens. C’était après la dernière campagne de France, que j ’avais faite comme employé civil. Avec les troupes qui retournaient dans leurs foyers, quelques idées libérales avaient franchi la frontière : il semblait qu’une ère nouvelle allait se lever pour la Russie.

Mes écrits m’eurent bientôt mis en rapport avec les hom­

mes les plus libéraux ; quelques uns d’entre eux, pour don­

ner aux tendances nouvelles une impulsion régulière et effi­

cace , avant essayé de réunir dans une association organisée à

l’instar des sociétés secrètes de l’Allemagne tous ceux qu’ani-

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— III —

niait l’amour du bien public, je n ’hésitai point à m’associer à eux. Ce n’était pas que je crusse beaucoup à l’efficacité de ces sortes d’associations, bien loin de là; mais j ’espérais intéres­

ser à la cause des esclaves ceux dont je me rapprochais, et hâter ainsi la réalisation du plus cher de mes vœux, l’éman­

cipation.

Pour m oi, en effet, toutes les questions étaient subordon­

nées à celle-là, et s i, malgré les travaux dont j ’étais accablé, soit au conseil d’é ta t, soit au ministère des finances, je trou­

vais encore assez d’énergie dans ma volonté pour traiter, dans des écrits successifs, des questions judiciaires, administra­

tives, financières , l’émancipation était au fond de toutes mes pensées ; c’était surtout pour les esclaves que je désirais les bienfaits de la civilisation, parce qu’ils en avaient le plus be­

soin et qu’ils rn’en paraissaient le plus dignes. La classe des paysans russes a toujours été, avant et par dessus tout, l'objet de mes affections , affections d’autant plus vives , que je n’ai jamais vu personne rendre à ces hommes la justice qui leur est duc; c’est à leur bien-être que je consacrais alors presque toutes mes veilles, et le temps n ’a fait que fortifier cet atta­

chement fraternel : cet ouvrage en sera une nouvelle preuve.

O u i, je les aime ces bons serfs russes, et jusqu’à la sainte barbé qui les distingue encore, tout en eux est pour moi ob­

je t de respect.

Je ne me dissimulais point qu’en attaquant un mal qui pro­

fitait à tant de hauts et puissants personnages, j ’attirais sur ma

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IV —

tête de redoutables inimitiés; aujourd’hui encore la chaleur avec laquelle je prends la défense du faible contre le fo rt, de l ’opprimé contre l’oppresseur, me vaudra sans nul doute les railleries et les sarcasmes de certains hommes. Mais que m’im­

portait et que m’importe encore l’opinion de la sottise ou de la sauvagerie? Je n ’ai que du mépris pour ces hommes q u i, se drapant dans les haillons d’une civilisation factice, ne rou­

gissent point d’exploiter leurs semblables d’une manière aussi infâme ; je n ’ai que de la pitié pour ceux que tant d’iniquités laissent muets et insensibles. Il n ’est qu’un suffrage qui pour­

rait me flatter : c’est celui des serfs, si jamais ils pouvaient connaître ce que j ’éprouve pour eux de vives sympathies.

Quand je reporte ma pensée sur cette époque si remplie de mon existence , quand je repasse dans ma mémoire tout ce que j ’ai fait pendant ces courtes années de ma vie publique, je me demande comment j ’ai pu suffire à tant de travaux de nature si diverse, ou plutôt je ne me rappelle que trop que c’est aux dépens de ma santé. Je luttai tant que je pus contre la fatigue; mais à la fin la nature trahit mon courage, et je me vis dans la nécessité d’aller retremper sous d’autres cli­

mats mes forces épuisées.

Je me consolais en pensant que le temps que j ’allais passer loin de ma patrie ne serait point perdu pour mes travaux ; je me proposais de profiter du congé qui me fut accordé pour étu­

dier surtout quelques questions qui se rattachent à des réfor­

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mes que je désirais voir adopter dans mon pays. Mais te Ciel avait autrement ordonné de ma destinée : je devais être fata­

lement arrêté au milieu de ma carrière.

Je poursuivais tranquillement le cours de mes pérégrina­

tions et de mes études, lorsque j’appris presque coup sur coup que j ’étais impliqué dans un procès criminel comme complice d’un mouvement insurrectionnel qui avait éclaté à Saint-Pétersbourg à la mort de l’empereur Alexandre , vingt mois après mon départ de celte ville , et que j ’avais été con­

damné à mort.

Je ne pouvais accepter en silence une condamnation aussi cruellement inique. A la première nouvelle de ma mise en accusation, j ’avais rédigé à la hâte un mémoire justificatif que j ’avais envoyé à Saint-Pétersbourg. Mais tous mes ef­

forts , tous ceux de mes amis furent impuissants à faire ré­

voquer un arrêt qui frappait les idées plutôt que l’homme. Un juge absolu avait dit que rien ne saurait le dissuader de ma culpabilité. Et quel était donc mon crime? D ’avoir trop aimé la civilisation, cette civilisation q u i, en les éclairant, rend les hommes meilleurs.

Je me résignai, et quand je me crus assez maître de m oi, lorsque je connus toutes les pièces du procès, je rédigeai un nouveau mémoire, plus explicite, plus complet. Je ne le desti­

nais point à la publicité ; mon intention avait été seulement de

consigner dans cet écrit la vérité sur les événements qui se sont

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— VI —

accomplis à Saint-Pctersbourg en 1825 et 1826. Ce n’est que de longues années après que je me décidai à rendre ma justification publique , et telle est l’origine de l’ouvrage que je confie aujourd’hui à, l’impression.

Comme on le v o it, il ne s’était d’abord agi pour moi que de me disculper des accusations calomnieuses qui avaient servi de prétexte a ma condamnation, et de montrer en même temps sous son vrai jour un fait indignement dénaturé par le servi­

lisme.

M ais, pour présenter ma défense, il me fallait nécessai­

rement rappeler les circonstances au milieu desquelles je m’é­

tais trouvé, raconter par conséquent ma vie publique et faire l’historique des sociétés secrètes en Russie. A mesure que ce travail avançait, à mesure que l’iniquité de mes juges ressor­

tait de mes explications plus palpable, plus révoltante, je sen­

tais davantage la nécessité de faire connaître l’ordre politique qui avait rendu possible une pareille procédure. Insensible­

ment je fus entraîné beaucoup plus loin que je ne m’étais pro­

posé d’aller ; à mesure que j ’écrivais, les souvenirs d’un passé déjà loin de moi renaissaient en foule sous ma plum e, et les pages, comme je le disais tout à l’heure, s’ajoutaient l’une à l’autre sans presque que je m’en aperçusse.

Je conçus dès lors l’idée d’élever mon simple mémoire jus­

tificatif aux proportions d’un ouvrage concernant la Russie en­

tière, de passer de ma cause à celle de tout un peuple. Je fus

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— VII —

amené ainsi à esquisser le tableau politique et social de la Russie ; et comme ce que j ’avais à dire sur mon compte par­

ticulier contribuait à éclairer le tableau que j ’avais entrepris de tracer et y ajoutait des traits nouveaux, je dus donner plus

d’extension à la première partie de mon travail.

'Voilà comment se sont formés peu à peu les deux premiers volumes de cet ouvrage, qui se terminait par quelques consi­

dérations sur l ’avenir de la Russie.

Pouvais-je en demeurer là? Pouvais-je étouffer au fond de mon cœur les idées généreuses qui l’avaient si long-temps fait battre? Et ma tâche eût-elle été bien remplie s i , après avoir signalé le m al, je n ’essayais au moins d’indiquer quelque re­

mède ? Vainement j ’avais voulu m’isoler de la Russie : la pa­

trie conserve sur nous un empire irrésistible. Si d’ailleurs il m’était justement permis de maudire ce soi-disant pays légal, ce pouvoir barbare qui m’a condamné, la patrie devait-elle se personnifier pour moi dans ces étroites individualités? De­

vais-je reporter sur mon pays la légitime aversion que m’ins­

pirent quelques hommes qui prétendent le représenter parce qu'ils le régissent et qu’ils parlent en son nom?

Je ne le pensai pas. Je repris donc la plume après de lon­

gues hésitations, et j ’exposai mes idées sur la nécessité pour la Russie de participer aux progrès de la civilisation euro­

péenne, et sur les mesures propres à la faire entrer dans cette

voie. C’est moins un plan de réforme que j ’ai eu la prétention

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— V I» ----

de tracer que des vœux que j ’ai voulu formuler pour l’avenir de ma p atrie, pia desideria , comme l’indique le titre même de cette partie de mon ouvrage. J ’aurais pu rendre ce travail beaucoup moins incomplet, mais le courage m’a manqué. Ce courage, l’espoir du succès pouvait seul me le donuer; e t, dans les circonstances actuelles , comment concevoir une telle espérance? Toutefois, si ce faible essai ne peut être bien utile, il témoignera du moins de l’attachement, du dévouaient dont je n’ai cessé d’être animé pour le pays qui m’a vu naî­

tre; ce seront mes derniers adieux à ma patrie, ma dernière réponse à la condamnation qui m’a frappé.

Ainsi la Russie et les Russes se compose de trois parties bien distinctes : la première a pour objet de faire connaître ma vie publique, ce sont mes mémoires personnels ; la se­

conde présente le tableau m oral, politique et social de la Rus­

sie; la troisième est l’exposé de mes vues sur l’avenir de cet empire, sur les institutions et les réformes qui lui sont appli­

cables.

11 me reste à dire quelques mots de la manière dont j ’ai traité mon sujet.

Mon langage a toujours été ce qu’il devait être, celui d’un

Russe. Ainsi, j ’ai parlé d’une manière sérieuse des choses les

plus absurdes, les plus ridicules, de

Y in s titu tio n des r a n g s ,

par exemple, parce que de telles institutions, quelque absur-

(15)

IX ----

(les, quelque ridicules qu’elles soient, n ’en font pas moins beaucoup de mal à tout un peuple. Une maladie grave peut provenir d’une cause insignifiante : cela empêchera-t-il le mé­

decin de la traiter sérieusement? j^mené quelquefois à parler d’autres pays que le mien, je l’ai fait avec la mesure qui sied à un homme appartenant à un pays à esclaves quand il vient à parler de pays d ’où l ’esclavage est proscrit. Il m’était facile d’ailleurs de me conformer à ce que commandent en pa­

reille circonstance les convenances et l’équité; car j’ai tou­

jours éprouvé pour les peuples au milieu desquels le sort m’a conduit une sorte d ’attachement fraternel, et personne ne peut désirer leur bonheur plus sincèrement que je le désire moi-même.

Commencé, comme on l’a vu, il y a longues années, cet ouvrage, sauf la partie intitulée Pia Desideria, a été terminé en 1842. Quelques additions, que la marche des événements avait rendues nécessaires, se trouvent en notes au bas des pages.

Des détails sur certains personnages dont il est fait men­

tion dans le cours de l’ouvrage, et le développement d’opinions qui ne tiennent pas essentiellement au su jet, ont été aussi re­

jetés dans des notes, et renvoyés à la fin des volumes pour ne pas rompre le fil de la narration et l’ordre logique des idées.

Il serait superflu , je crois, d ’expliquer les motifs qui m’ont

porté à écrire cet ouvrage dans une langue qui n’est pas la

mienne. Tout ce que j ’ai précédemment publié, lorsque j ’é­

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tais en Russie, l’a été en langue russe. Ma position et la na­

ture de l’ouvrage font suffisamment comprendre pourquoi j’ai cru devoir cette fois déroger à mes antécédents. Je n’en parle que pour réclamer du lecteur européen quelque indulgence pour la manière dont j ’ai traité un sujet qui aurait eu besoin, je le reconnais, de tout le prestige d’une plume éloquente ; car je ne me fais pas illusion sur l’intérêt que peut offrir par lui-m êm e, au public européen, un livre qui a trait à des m œ urs, à une société, à une civilisation que l’Europe a dé­

passées de beaucoup. On voudra b ien , je l’espère, me par­

donner mon insuffisance en faveur de mes bonnes intentions.

D ’ailleurs, je dois le d ire , c’est aux Russes q u e , dans ma pensée, s’adresse véritablement et de préférence cet ouvrage ; en le publiant, ce n’est point une vaine satisfaction que j ’ai voulu me donner, c’est un devoir que j’ai cru remplir, comme je l’ai dit en commençant. Il ne fallait rien moins que la voix de ma conscience pour me décider à affronter l’indifférence, à me résigner à l’inattention que rencontrent d’ordinaire les travaux de cette nature, et qui m’attendent probablement. Je m’en console d’avance par l’espoir, je voudrais dire la convic­

tion, que cette publication ne sera pas sans quelque effet pour mon pays. Si je n ’ai pu, malgré tous mes efforts, lui être d’aucune utilité pendant que je l’habitais, puisse mon exil du moins lui avoir été bon à quelque chose !

Puisse, su rto u t, puisse mon sort ne point décourager ceux

de mes compatriotes chez qui la lecture de ces pages éveille-

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— XI —

rait de généreuses sympathies, et qui se sentiraient entraînés à consacrer leur vie à l’amélioration du sort de leurs sembla­

bles! Quelles difficultés de la tâche ne les effraient point. Ne vaut-il pas mieux , après to u t, succomber en combattant pour la sainte cause de l’humanité , que de se traîner misérable­

ment dans l’ornière de l’égoïsme ! Et le bien ne porte-t-il pas avec lui sa récompense? N’est-ce donc rien que de pouvoir se d ire , en remettant son âme à son Créateur : « J ’ai fait ce que je devais. » Ayez donc bon courage vous tous qu’anime l’a ­ mour du bien ! La lutte à laquelle je vous convie n’est point d ’ailleurs une lutte désespérée : la cause de la justice et de la vérité doit finir par prévaloir; c’est à vous d’en hâter le triomphe.

C ham prosay, 30 se p tem b re 1814.

(18)

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MÉMOIRES

D’UN PROSCRIT.

CHAPITRE Ier.

Coup d ’oeil s u r l’é ta t de l’E u ro p e a v a n t la g u e rre de Russie.

Les fastueuses conférences d ’E rfu rt avaient m ontré Napoléon dans toute sa gloire et tout son prestige. La nouvelle cam pagne d ’A utriche qui s ’ou vrit quelques m ois après l ’avait grandi e n c o re, s ’il était p o ssib le, et l’em pire français était m onté à l ’apogée de sa puissance.

C’est à cette époque que je vins en F rance pour la prem ière fois , e t , sous l’influence des im pressions que j’avais reçu es en A llem agne, je ne considérai pas sans une sorte de te rre u r le pouvoir formidable qui présidait alors aux destinées de cette n ation, et qui sem blait te n ir égalem ent dans sa m ain les destinées de l’Europe entière.

T. I. 1

(20)

J ’avais déjà vu Napoléon à E rfu rt; m ais alors sa gran d eu r avait fait sur moi moins d’im pression que l ’infériorité d ’A lexandre. Un sentim ent p eu ju d ic ie u x p e u t-ê tre m e faisait v oir mon pays hum ilié dans la personne de son em p ereu r. 11 n’était pas nécessaire en effet de savoir ce qui se passait dans l ’in térieu r des cabinets pour re c o n n a ître , avec tout le m o n d e, lequel des deux souverains était alors le m aître à E rfu rt et en Europe.

L a seconde fois que je vis l’em p ereu r des F ran ç ais, c’était le jo u r de sa fê te , dans le parc de V ersailles.

J’errais au m ilieu de la fo u le, lorsque tout à coup il se fit un grand m ouvem ent. Napoléon p aru t avec la se ­ conde im pératrice et son brillant cortège de m aré­

ch a u x . On ne l’atten d ait pas. Tout ce peuple cria :

« Vive l’E m p ereu r ! » ; e t m o i, subissant l’émotion g é n é ra le , j ’unis m es cris à ceux des F rançais. Long­

tem ps je m e suis repro ch é cet innocent en traîn em en t;

aujourd’hui je n’en ai plus re g ret.

M ais, je dois le d ir e , les sentim ents que j’éprou­

vai tout d’abord en m e trouvant au m ilieu des F ran ­

çais leu r étaient quelque p eu hostiles : j’avais de la

peine à dég ager mon esprit des pénibles souvenirs

que j’apportais d’outre-Ilhin , et il fa llu t, peu habitué

que j’étais d’ailleurs au com m erce des h o m m es, toute

la p o lite sse, toute la bienveillance, toute la franchise

m êm e, que je rencontrai p a r to u t, p our m ’accoutum er

au x F ran ç ais et à la F rance.

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C’est que le spectacle de la profonde hum iliation de l ’A llem agne m ’av ait douloureusem ent im pressionné , e t il était bien fait, l’on en co n v ien d ra, pour affliger tous les cœ urs g én é reu x .

L’A u tric h e , qui pendant la lutte av ait déployé une si adm irable é n e rg ie , sem blait avoir perdu le senti­

m ent de son existence : la prostration des forces m o­

rales , comme celle des forces m atérielles du p a y s , était com plète. L’alliance m atrim oniale contractée avec la F rance achevait de caractériser les nouvelles et tristes destinées de l’em pire , e t faisait p ressen tir que désorm ais le salut de ce qui re sta it de l’A utriche ne pouvait dépendre que du bon vouloir, de la géné­

rosité de son ancien ad v e rsa ire , devenu son m aître.

Aussi le m inistre auquel la direction des affaires fut confiée à cette époque ne p rit-il que trop à cœ ur de se conformer en toute circonstance aux nécessités de cet­

te p o sitio n , à laquelle on p araissait se ré sig n e r, sans qu’on voulut m êm e penser à la possibilité de se re lev er p a r un noble e t puissant effort. Le pays était épuisé ; le systèm e continental s’y ex e rça it dans toute sa ri­

g u eu r ; la banqueroute était im m inente. Q uant au chef de l’é t a t , l’adversité n’avait pas amolli son cœ ur : F rançois II fut alors aussi insensible au sort de Ilofer , ce vaillant chef de l’insurrection ty ro lie n n e , qu’il fut depuis cruel pour Confalonicri.

La P russe , déjà a n é a n tie , n’avait pu que faire des

v œ u x im puissants pen d an t la lu tte g lo rieu se, mais

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fu n e ste , de l’A utriche contre la F ran c e. Les chances de la g u erre n’avaient un m om ent ranim é ses espé­

ran ces que pour la replonger dans un découragem ent encore plus profond. Si des m ouvem ents insurrection­

nels furent tentes p a r quelques p atriotes p ru ssien s, on pouvait aisém ent reconnaître que ceux-ci avaient agi m oins dans l’espoir du succès que pour céder à un sentim ent im périeux , pour accom plir ce qu ’ils considéraient comme un devoir. Victim es généreuses e t ré sig n é e s, ils se dévouaient afin de pro u v er à l’E u ­ rope que toute pensée de résistance et de liberté n’é­

tait pas étein te dans le cœ ur des A llem ands. Les u n s , l’héroïque Schill à le u r t ê t e , p ériren t su r le cham p de bataille; d’a u tre s , escortés p a r des gendarm es alle­

m ands, trav ersèren t en captifs le pays qu’ils avaient voulu d éliv rer. Bien qu’ils n ’ignorassen t pas le sort qui les a tte n d a it, tous ils avaient l’air c a lm e , d ig n e , plein d’une noble fierté. Ils n’allèren t pas au delà de W e se l...

C e p e n d a n t, quelque désespérés que fussent ces efforts tentés par la P r u s s e , si faible alo rs, si resser­

rée , ils prouvaient au moins que tout sentim ent de nationalité n ’était p oint m ort au cœ ur de ses e n fa n ts , e t p ro m e tta ie n t, pour l ’avenir, une résu rrectio n cer­

tain e et glorieuse.

Le re ste de l’ancien corps germ an iq u e, form ant la

confédération du R h in , se trouvait com plètem ent sous

l’influence de son to ut-puissant p ro tec teu r, et cette

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nouvelle organisation de l’A llem agne faisait disparaître ju s q u ’à la d ern ière trace du S a in t-E m p ire rom ain.

La position des populations qui ap partenaient au nouveau royaum e de W estphalie était la m oins tolé­

rable : aussi eussent-elles m ieux aim é v oir leur pays franchem ent a n n e x é à la F rance com me province que d’être exploitées comme royaum e séparé. Il est juste cependant de dire que quelques F rançais su re n t m é­

rite r l’estim e gén érale. P arm i les fonctionnaires don­

nés p ar l’em pereur à son frère Jérôm e, le nom du m i­

nistre Simôon se p résente toujours à m a m ém oire comme un nom digne d’être honoré parto u t. É tran g e r au p a y s . m ais sym pathisant avec les h ab itan ts par la pensée et p a r les sen tim en ts, je ne pouvais que resp ecter l’hom m e qu’ils resp ectaien t, et dont ils ne p arla ien t qu’avec un sentim ent to u t p articulier de v é­

nératio n . Je dois ajouter que le régim e français avait fait disparaître quelques vieux et m o nstrueux usages ; qu’il av ait établi plusieurs institutions u tile s, le ju ry , p ar ex e m p le , que les gouvernem ents restau rés n ’ont pas m anqué de supprim er. Mais les W estphaliens ne s’en m ontraient pas m oins im patients de secouer le jou g.

Ces dispositions n ’étaient point particulières à l’A llem agne. En quittant la F ran ce, je v isitai la Suisse e t l’Ita lie , e t , presque parto u t où s’éten d ait la domi­

nation française , je rem arquai une opposition plus ou

moins vive à cette dom ination. Mais c’est à Rome

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su rto u t, p articulièrem en t chez les ecclésiastiques, que se m anifestaient les dispositions les plus hostiles au gouvernem ent français. Com parée à l’obéissance alle­

m ande , la soumission rom aine ressem blait presque à de la révolte.

A N aples, ce p en d an t, les choses p résentaient un aspect qui contrastait assez fortem ent avec celui qu’of­

fraient les autres parties de l’Italie. On paraissait s’y com plaire davantage dans le nouv eau régim e ; sur­

tout on n ’y apercevait aucun re g re t pour le régim e ancien. On sait que M urât asp irait à une certaine in ­ dépendance. Il p ré te n d a it, disait-on , être roi au m êm e titre que Napoléon était em p ereu r, p ar le droit des victorieux.

Quinze ans plus tard je revis l’Italie. Je trouvai que nulle p art le régim e français n ’était aussi re g re tté qu’à N a p le s, et nulle p a rt avec plus de raison. En g é n é ra l, ce ré g im e , sans p arler de l’influence q u ’il a pu ex ercer sur le développem ent des idées politiques, a dû être bien plus fécond en bons résu ltats pour les Italiens que pour les Allem ands. Privé de son indépen­

dance, le peuple italien profitait au m oins du bien m a­

tériel que lui procurait l’ordre établi p a r les F rançais.

Telle était la situation de l’E urope à la fin de 1 8 1 1 .

Nous n e parlons pas de l’E spagne ; tout le monde

connaît l’héroïque résistan ce du peuple espagnol, qui

pouvait bien être b a ttu , m ais jam ais vaincu .

(25)

Q uant à la R ussie , un vif m écontentem ent y avait succédé depuis long-tem ps aux dispositions am icales qu’A lexandre avait rapportées d’E rfurt. La m ésintel­

ligence qui ré g n a it entre les deux e m p ire s , et dont l’occupation du duché d’O ldenbourg avait été la p re ­ m ière c a u s e , p ren ait tous les jours un caractère plus alarm ant pour la tran q u illité de l’E urope ; il ne fallait q u 'u n e étincelle po u r déterm iner une conflagration gén érale.

Une querelle qui éclata entre l’am bassadeur de R ussie et l ’am bassadeur de F ran ce à la cour de N aples, et qui fut suivie d’un duel entre les deux d ip lo m ates, fut considérée comme le sym ptôm e de la ru p tu re qui allait éclater entre les deu x em pereurs.

C ependant, d’après l’opinion du m in istre ru sse, cette querelle n ’eut pour origine qu’un excès de zèle p ar lequel Joachim voulut faire oublier quelques velléités d’insubordination envers Napoléon. Du m o in s , M.

Dolgorouki exprim a-t-il cette opinion dans la dépêche qu’il ad ressa à sa cour le jo u r m êm e de l’événem ent (1 er jan v ier 1 8 1 2 ).

Quoi qu’il en s o it, tout annonçait l’im m inence de la g u erre. La F ran ce fa isa it, au vu de to u s, d’im m enses préparatifs, et p ren ait toutes les m esures que lui dictait sa politique habile pour ra n g e r l’E urope entière sous ses d ra p e a u x , afin de p o rter un coup décisif à la d er­

nière puissance continentale qui pû t encore lu tte r

contre l ’am bition toujours envahissante de Napoléon

(26)

L a R ussie, de son c ô té , n’était point dem eurée inactive. Quand j ’y re n tra i, je vis les provinces que je trav e rsai rem plies de troupes. L eur aspect était im p o sa n t; m ais, dans la disposition com m e dans les m ouvem ents de ces m asses form idables, on n ’ap erce­

v ait pas cette pensée raisonnée qui se dirige avec prévoyance v ers un but certain et qui sait form er de parties diverses et m ultiples un ensem ble harm onieux.

On v o y a it, pour ainsi d i r e , le c o r p s , la m atière ; m ais on ch e rch a it en vain l’esprit qui devait l ’an im er. D ans les arm ées françaises, au co n tra ire , il y avait une âm e qui vivifiait to u t, qui se faisait sen tir p a rto u t, dans les préparatifs com m e dans l’exécution : c ’était le génie de Napoléon.

Disons enfin q u e , m algré tous ces p ré p ara tifs, plu­

sieurs perso nnes persistaient à* croire que la g u erre n ’aurait pas lie u , A lexandre e t Napoléon ch e rch a n t à s’effrayer m u tu e lle m e n t, plutôt q u ’a y a n t envie de se b attre . Telle était la pensée du chancelier R ou- m ianzoff, m in istre des affaires é tra n g è re s ; il était tellem en t convaincu que tout se b o rn erait à des d é­

m o n stra tio n s, q u e , lorsque la nouvelle des prem iers m ouvem ents des F ran çais v ers le Niém en lui fut a p ­

portée par u n em ployé d’une des am bassades ru sses en

A llem ag n e, il se récria sur la fausseté et l’e x tra v a ­

gance de cette nouvelle.

(27)

CHAPITRE II.

C am pagne de 1812.

De nom b reu x écrits ont p aru sur la cam pagne de 1 8 1 2 , on a publié des récils officiels, des d épêches, etc.; m ais nulle part on ne trouve au cu n e indication du plan que le go u v ern em en t russe pouvait avoir adopté à l’ap proche de la g u erre. La conclusion la plus logique que l ’on puisse en tir e r , c ’est q u ’il n ’en a v a it aucu n . Un instinct gén éral faisait p ressen tir que la Russie ne pouvait com battre avec succès l’en­

nem i q u ’en le laissant p é n é tre r au cen tre du p a y s , m ais rien ne prouve que cette tactiq ue ait formé la base d ’un systèm e p réalablem ent adopté.

Ni le choix des points fortifiés, ni l’établissem ent des m agasins indispensables po u r la subsistance de l’a rm é e , n ’annonçait l ’intention d’o p é re r, dès le d é­

bu t de la cam p a g n e, un m ouvem ent ré tro g ra d e . Ces

m ag asin s, ainsi que le camp de D rissa, se trouvaient

établis tout près de la frontière.

(28)

Le m inistre de la g u e rre , Barclay de T o lly, qui av a it réorganisé l ’a r m é e , était désigné pour la com ­ m ander , m ais non san s p arta g e : le général B agra- tion d evait avoir un com m an d em en t égal. Il y eut donc deux com m andants en chef, l’em p ereur n ’ayant jam ais voulu prendre officiellement le litre de com ­

m andant suprêm e. C’était une prem ière faute : on pouvait avoir d eux a r m é e s , mais le bon sens disait q u e pour ces deux arm ées il ne fallait q u ’un seul chef quand elles d evaient ag ir ensem ble , et surtout ag ir contre un ad v ersaire tel que N apoléon.

La cam pagne de 1 8 1 2 com m ença, com m e on s a it, p a r la re tra ite de l ’arm ée ru sse vers l’in térieu r.

L es étra n g ers ad m irèren t cette re tra ite ; en R ussie, au c o n tra ire , l’opinion du p a y s , ainsi que celle de l’a r m é e , s’éleva contre le général en chef Barclay de Tolly. C ependant l’em p ereu r, qui éta it à Saint-Péters- b o u rg , conservait son appui et sa confiance à l’hom ­ m e de son choix. M ais, après 1 occupation de Smo- lensk p ar l’en n e m i, m algré les sentim ents bien con­

nus de l’e m p e re u r, on dem anda avec plus de force

que jam ais l’éloignem ent du m inistre de la g u erre. En

m êm e tem ps , su r l’invitation du g én éral Y erm oioff,

quartier-m aître général de la g ra n d e a r m é e , plusieurs

gén é rau x se ré u n ire n t pour ad resser à l ’em pereur

une re p résen tatio n à l ’effet d ’obtenir le rappel de

Barclay de Tolly et son rem placem ent p ar le général

Koutousoff, qui v en a it de conclure la p aix avec la

(29)

T urquie après une cam p ag n e qui n ’avait pas été sans g lo ire, et que désignait l ’opinion g én érale. A lexandre finit par céd er. En s’éloignant de l’a rm é e , Barclay faillit être victim e de la fu reu r populaire.

Mais le p u b lic, qui n ’est jam ais long-tem ps injuste, m êm e en R ussie, re v in t, p a r la su ite, de ses p rév en ­ tions con tre B arclay de Tolly. Les m ilitaires sauront apprécier son m érite comm e g é n é r a l, et les hom m es qui ju g en t sans passion re n d ro n t hom m age à sa p ro ­ bité et à la loyauté de son ca rac tè re.

Un éloge m an q u erait à Barclay si je bornais là mon appréciation de cet hom m e rem arquable. Tous les R usses qui sav en t quels effroyables m alheurs l’éta­

blissem ent des colonies m ilitaires a causés à leur p ay s doivent de la reconnaissance à l’hom m e q u i, seul dans tout l’e m p ir e , osa désapprouver en face de l’e m p e re u r cette institution aussi absurde que cruelle. P eu t-être Barclay ne la considérait-il que sous le rap p o rt m ilitaire ; m ais, quel q u ’en fut le m otif, la m anifestation de son opinion n ’en était pas moins di­

gne d ’éloges dans un pays ou tout le monde condam ­ n ait celte in stitu tio n , m ais où personne n ’avait assez de dévoùm ent et de h ardiesse pour s’ex p rim e r fran ­ chem ent devant l’em pereur : on se ta is a it, et un au ­ to crate qui se voit si h au t placé ne daigne pas descen­

dre ju sq u ’à in te rp ré te r le silence de ses sujets.

On a observé que le co n q u é ran t ne tro u v a en Rus­

sie ni traître s, ni com plaisants m êm e. Il n ’y eu t q u ’un

(30)

pauvre évêque qui consentit à m en tionner dans les p rières d e là m esse le nom de N ap o lé o n , et cette fai­

blesse ne fut que trop sévèrem ent punie p a r le gou­

v ern em en t : l’évéque fut d é g ra d é , c’est-à-dire d é ­ pouillé de sa dignité d’é v ê q u e , chose presq u e inouïe en R ussie.

S ur la terre russe Napoléon ne ren co n tra que des ennem is; souvent m êm e il éprouva une éc la tan te ré ­ sistance de la p art d ’individus isolés. La province de Sm olensk vit quelques gentilshom m es m ourir de la m ort des m a rty rs en ré sistan t au vain q u eu r. Le fa­

m eu x R ostopcbine m it le feu à sa m aison de cam pa­

g n e , et y laissa un écriteau où les F ran çais pu ren t lire que parto u t une sem blable réception les attendait.

Appelé au g ouvernem ent de M oscou, R ostopcbine te rn it son patriotism e par plusieurs actes de violence e t d’atrocité. La veille de l’entrée de l’ennem i dans c e tte capitale, il ordonna q u ’on allât ch erch er un jeune hom m e q u ’il avait fait je te r en prison quelque tem ps auparavant, et qu ’on l’am enât devant son palais. L à, il d éclara à la populace assem blée que c’était un tra ître , qui avait vendu la ville au x F ran çais ; « Je le livre à votre ven g ean ce ! » , s’écria-t-il. Une v o ix , dans la foule, lui répondit : « Nous ne som m es pas des b o u r­

re a u x . » R ostopcbine, sans doute p re ssé de fuir, e t vou­

lant en finir p ro m p tem en t avec ce tte vie d ’hom m e qui

l ’im po rtu n ait, donna l’ordre à un gen d arm e de sabrer

le m alh eu reu x . Cet ordre re ç u t un com m encem ent

(31)

d ’exécu tio n . L’ivresse du san g p rit alors à la popu­

la c e , q u i, se jetant avec des cris de fureur sur le m a rty r désigné à ses c o u p s, l ’eu t bientôt ac h ev é, et traîna ensuite son corps dans les ru e s. Un em ployé du quartier général de l’arm ée ru s s e , qui e n tra it dans la ville , m it lin à un spectacle aussi ré v o lta n t en fai­

san t enlever les re ste s inform es sur lesquels s’assou­

vissait la rag e de la populace. Le crim e de cet hom m e était une p réten d u e traduction d ’u n e p réten d u e pro­

clam ation de Napoléon, faite à D resde et publiée dans u n journal de H am bou rg, et que la police de Rostop- chine avait trouvée dans les papiers de l’infortuné.

A près la re tra ite des arm ées françaises, le p ère de la victim e dem anda justice à l’em p ereu r contre le m eu rtrie r . Le fait fut raconté dans toute sa nudité re ­ poussante. A lexandre eut h o rre u r de l’acte de Ros- topeliine; il ordonna l’exam en d e là plainte. Mais le sénat se tro u v a tellem ent em barrassé en se voyant réduit à accuser un gouverneur g én é ral, u n lieute­

nant de l’e m p ereu r, du crim e d ’assassin at, que l’af­

faire n ’alla pas plus loin et fut étouffée. 11 est très p ro ­ bable que ce sanglant incident contribua beaucoup à l’éloignem ent que l’em pereur m ontra dans la suite pour R ostopchine. R entré à Moscou, celui-ci fit e n ­ core saisir quelques prétendus tra ître s. Le plus m ar­

quant d ’en tre eux était un F ra n ç a is , m aître de la n ­

gu es, hom m e tranquille et e stim a b le , q u ’à l’entrée de

Napoléon dans la ville on avait forcé de se rv ir d’inter­

(32)

p rête à une soi-disant députation com posée de deux ou trois boutiquiers qui devait com plim enter le vain­

q u e u r, car on voulait à toute force une députation.

Un au tre in d iv id u , d ’u n e condition égalem ent mo­

d e s te , e t non moins estim able, fut accusé d ’avoir fait la police de la ville p en d a n t l’occupation française.

Rostopchine fit travailler ces d eu x hom mes dans les rues comm e des forçats, m ais u n ord re de l ’em p ereu r ne tard a pas à les délivrer.

Un fait de plus va ca rac té riser R ostopchine. Parm i les m esures de haute adm inistration qu ’il cru t devoir adopter, se trouvait la défense au x m archandes d ém o ­ dés de se serv ir de la lan g u e française sur les ensei­

gnes de leurs boutiques. R ostopchine était pourtant un hom m e de beaucoup d ’esprit, et reconnu pour tel non seulem ent en R ussie, mais dans d ’au tre s pays civilisés.

On a beaucoup parlé de l ’incendie de Moscou. P ar qui fut-il allum é? Les F ran çais p ré te n d ire n t, ce qui était v r a i , qu’à leu r en trée à Moscou les flammes se m anifestaient déjà dans plusieurs endroits ; les auto­

rités françaises firent m êm e pendre quelques m alheu­

reux q u ’elles disaient avoir été saisis en flagrant dé­

lit. Cette p re u v e , nous le savons b ie n , ne serait pas

c o n c lu a n te , car nulle p a rt les autorités ne se font

scrupule d’em ployer toutes sortes d ’a r g u m e n ts , voire

m êm e la potence, quand elles veulent que l’on ajoute

foi à leurs assertions. Mais le sim ple bon sens dit que

(33)

ce ne sont pas les F ran çais q u ’on p o u rrait raisonna­

blem en t accuser de cet é v é n e m e n t, contraire à tou s leurs in té rê ts. D’u n a u tre c ô té , il est certain que cet incendie a m erveilleusem ent servi la cause de l’em pire ru sse , en ex c ita n t la fureur du peuple contre l’ennem i et en privant celui-ci d ’im m enses m oyens de subsis­

ta n c e .

P lusieu rs faits d’ailleurs p araissent indiquer que le feu fut m is par les R usses eux- m êm es. Les autorités de Moscou, en év a cu an t la v ille , av aien t em m ené les pom pes à incendie. 11 est notoire aussi que les prisons furent o uvertes. On disait m êm e que des to rch e s, p ré­

parées à cet e ffe t, av aient été d istrib uées p a r des ag ents de police. Ces to rc h e s , ajoutait-on, avaient été fabriquées p ar u n physicien étra n g er, qui était charg é p a r le pouvoir de construire un im m ense bal­

lon q u ’il pourrait g o u v ern er à volonté et au m oyen duquel il d e v a it, en s’élançant dans les a ir s , jeter dans le cam p en n em i toutes sortes de m atières in- llam m a b les(l). Quoi q u ’il en so it, on n ’a jam ais voulu éclaircir ce fait. Ce q u ’il y a de c e r ta in , c ’est que le g o u v ern em en t, c’est-à-dire l ’em pereur, fut com plète­

m ent é tra n g e r à tout ce qui se rap p o rte à l’incendie ; q u ’il ne donna jam ais aucun o rd re , aucune autorisa-

(1 ) Ce n ’est pas une p la isa n terie; ce projet de ballon a fait le su jet d ’un e sérieu se corresp on d an ce dip lom atique.

(34)

tion à cet égard. Il est probable que, l’impulsion ay an t été donnée p ar les au torités locales , le re ste se sera fait p ar im itation. Des soldats russes en quittant la ville, des habitants isolés a u ro n t p eu t-être mis le feu çà et là , et ses p ro g rès au ro n t été d ’autant plus ra p id e s et plus grands que l’on m an q u ait de tout m oyen pour l’é­

teindre. Ce qui est c e rta in , c’est q u e , long-tem ps avant la prise de M oscou, quelques personnes p a r­

laient de l ’incendie de la ville com m e d’une nécessité en cas d ’occupation p a r l’ennem i. Ces conversations avaient lieu en présence de Rostopehine et chez lui.

Un s é n a te u r, en tre a u tre s , dont la fortune entière consistait en maisons situées dans le quartier le plus populeux et le plus m a rc h a n d , disait qu’il n ’h ésiterait pas à y m ettre le feu si les F ran çais entraien t à Mos­

cou. Rostopehine m anifestait h autem ent les m êm es dispositions.

C ependant, long-tem ps a p r è s , ce dern ier crut de­

voir p ublier, à P a ris, une brochure dans laquelle il se défendait d ’avoir été l ’auteur de l ’incendie de Moscou.

C ette déclaration su rp rit to u t le m onde. Ses com pa­

triotes ont trouvé triste q u ’il fut en tré dans la pensée

d’un Russe de se défendre d’avoir accompli une gran d e

action. N éanm oins, quelques p erso n n es, qui ont

vécu dans son in tim ité , dem eurent persuadées

qu ’il a dit la vérité en assu rant q u ’il n ’avait pas donné

l’ordre de brû ler Moscou. Si le fait que Rostopehine

est l ’auteur de l ’incendie de Moscou est aussi vrai q u ’il

(35)

e st p ro b a b le , on ne conçoit pas, en v é rité , quel a pu être le m otif de sa bro ch u re. A son a p p a ritio n , quel­

ques p e rso n n e s, accoutum ées cà voir les homm es de cour p re n d re toutes sortes de chem ins pour en tre r ou re n tre r en fa v eu r, c ru re n t que ce m oyen p o u v ait, com m e un au tre , m en er Rostopchine au bu t qu’il se proposait d ’a tte in d re . Mais la cour de R u s s ie , pas plus que l’opinion p u b liq u e , ne lui faisait un crim e d ’avoir brûlé une des capitales de l’em pire. Les atro ­ cités qu’il avait com m ises inspiraient seules à tous les hom m es de cœ ur la répulsion dont il était l’objet ; ce­

pen d an t il ne se défendait pas de ces atrocités, bien que sa conscience les lui rep ro ch ât durem ent et incessam ­ m ent. Au surplus , avant la publication de cet é c rit, Rostopcbine sem blait avoir adopté tout à fait un rôle qui ne m anquait pas de g ra n d e u r, celui de brûleur de Moscou, e t p a rta n t de sauveur de l’em pire. A utre­

m e n t, com m ent eût-il pu savourer les dém onstrations en th o u siastes dont les bons A llem ands l’accablèrent p endant ses voyages d ans leur p ay s?

Quoi q u ’il en so it, les proclam ations que Rostop­

cbine lit pu b lier, en style grotesque et en forme de b u lle tin s , ne contenaient rien de relatif à ce m oyen ex trê m e; il y fa is a it, au contraire , sentir au x habi­

tan ts la nécessité de défendre la v ille , et cherchait m êm e à leur inspirer une parfaite sécurité en leu r as­

su ra n t que l’ennemi n ’y e n tre rait jam ais. Le fait est q u ’il ne prévoyait pas q u ’il dût en sortir sitôt lui-mê-

T. !■ 2

(36)

m e. 11 était à ce sujet en correspondance suivie avec le feld-m aréchal Koutousoff, com m andant en chef de l’arm ée ; il voulait que celui-ci com binât avec lui les m esures à pren d re po u r la conservation de la capitale.

Le m a ré c h a l, se souciant fort p eu , à ce q u ’il p a ra ît, d ’adm ettre le gou verneur de Moscou dans le p a r­

tag e et dans la discussion de ses p la n s , lui donnait les m eilleurs espérances po u r la sécurité de la ville ; il en répondait sur ses cheveux b la n c s , et disait que les F rançais n ’y en tre raien t qu ’en lui passant sur le corps.

Mais en m êm e tem ps que le v ieux m aréchal faisait ces pro testatio n s, il tenait un conseil de g u erre oii lui et tous les g é n é ra u x , un seul e x c e p té , le chef d’état- m a jo r ( l) , opinaient pour l ’abandon de Moscou.

C ependant Rostopchine transm ettait les assu rances du m aréchal au x h a b ita n ts, et com m e on n ’en pou­

v ait suspecter la sin cérité , personne ne pensait à m ettre ses richesses à couvert. Moscou renferm e tou­

jo urs de grandes quantités de m arch andises en dé­

p ô t, destinées à être expédiées dans les différentes provinces de l’em pire. Tout y re sta et tout y p érit. Ce ne fut presque que la veille de l’entrée des F rançais que les h ab itan ts songèrent à fuir et à em po rter avec eux ce q u ’ils p u re n t sauver. Des 5 0 0 ,0 0 0 h ab itan ts

( I ) L e brave, l'h on n éte K o n o v n itzin e. S on fils e st en S ib é­

rie depu is 1 8 2 6 .

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qui peuplaient M oscou, il n ’en re sta it guère que 6 0 ,0 0 0 quand les F rançais prirent possession de la ville (1 ).

Napoléon avait toujours pensé que l’occupation de Moscou conduirait prom ptem ent à une paix dont il d icterait les conditions. C ette pensée préoccupait aussi l’opinion publique en R ussie , et inquiétait ce­

lui-là m êm e q u i , p ar la suite , fut salué comm e le sauveur du pay s; c a r, en envoyant a n n o n c e ra l’em ­ p e re u r l ’abandon de M oscou, le p rin ce Koutousofî insistait surtout pour qu ’on ne traitât pas avec l’en­

nem i. A lexandre prouva q u ’il savait être ferm e quand il le voulait. On a été ju sq u ’à d ir e , dans le te m p s, q u ’il était résolu à s ’exposer à to u t, à se r e tire r môme ju sq u ’en Sibérie , plutôt q ue d ’en trer en négociations.

11 est une au tre particularité de la g u erre de 18 1 2 qu ’on n ’a pu em p êch er de se p ro d u ire , m ais que l’on s’est efforcé de faire passer inaperçue ; la voici.

A la vue de l’étra n g e r, les h ab itan ts des cam pagnes

(1 ) Le ch ef de la police à M oscou , en quittant la v i ll e , ad­

ressa un rapport à l ’em p ereu r, e t, su ivant les form es officielles u sitées en pareil c a s, qui ne p erm etten t pas de se co n ten ter de l’h o n n e u r , quand on s ’adresse à l ’e m p e r e u r , m ais qui v e u ­ len t que l ’on soit h e u re u x chaque fois q u ’on lui p a r le . ce fonc­

tionnaire disait : « J 'a i le bonheur d ’ann oncer a V o tr e M a­

je sté que le s F ran çais on t occu pé M o s c o u , e t c ., etc. »

(38)

se levèrent spontaném ent. P a r to u t, clans les provin­

ces russes pro p rem en t d ite s, les paysans firent la g u erre en partisans et com battirent avec vigu eu r.

Quand l’ennem i se fut re tiré , c e u x d’entre eux qui étaient serfs c ru re n t tout n aturellem ent q u ’u n e ré ­ sistance si h éro ïq u e, que tan t de dangers affrontés avec c o u ra g e , tant de privations endurées avec rési­

gn ation pour la délivrance com m un e, leu r avaient bien m érité la liberté. Dans celte conviction, les p ay ­ sans serfs de plusieurs localités ne vou lu ren t plus re ­ connaître l’autorité de leurs seigneurs. Les esclaves russes n e sont p a s, comme je le prouverai ailleurs, aussi dégradés qu ’on le croit généralem ent en E u ­ rope. 11 n ’y eut donc rien d ’é to n n a n t, pour ceux qu i les connaissaien t, à les voir repou sser la servitude dom estique , après avoir contribué avec succès à re ­ pousser le joug que l ’é tra n g e r avait te n té d ’im poser au pays. Dans cette conjoncture, la conduite du gou­

v e rn e m e n t, com m e celle des au to rités locales et des

propriétaires eux -m êm es, fut on ne p eu t plus p ru ­

dente. Au lieu de recourir à la violence, cet unique

argum ent des possesseurs d ’esclaves , ils s’abstinrent

d ’agir ; ils laissèrent faire les p a y sa n s, re m e tta n t à

des circonstances propices le recouvrem ent de ce

qu’ils considéraient comme leurs droits. P eut-être

m êm e quelques scrupules de conscience les em pê-

chèrcnt-ils de sévir contre des hom m es dont les sa ­

crifices av aien t été si grands et la conduite si patrio­

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tique. Ce ne fut q u ’assez long-tem ps a p r è s , quand la p rem ière effervescence des paysans se fut calm ée d ’elle-m èm e, et quand l’adm inistration eut rep ris sa m arche rég u lière , que tout re n tra dans l’ordre h ab i­

tu e l, o rd re , hélas! trop sem blable à celui q u ’un hom m e d ’état déclarait ré g n e r à Varsovie après la dernière insurrection polonaise.

Si l’arm ée russe eû t alors contenu dans son sein les élém ents de pro g rès dont elle a présenté depuis quelques g e rm e s , il est probable que des tentatives d ’affranchissem ent se seraien t m anifestées ailleurs que parm i les serfs, ta n t le peuple ru sse av a it, en ce m o m en t, le sen tim en t de sa force et de sa dignité.

Le passage de la B érésina avait clos la cam pagne.

Ce fut alors que l ’em pereur vin t à l’arm é e. Le m aré­

chal Koutousoff, si courtisan pendant toute sa v ie , cessa de l’ê t r e , dit-on , quand il se vit proclam er le sau v e u r de sa p atrie . Il avait la conscience de l’em ­ pire q u ’ex erçait son nom sur les e s p r its , et sa con­

duite publique y répond ait en tous points. Mais il ne jouit pas long-tem ps de cette glorieuse position : la m ort vint le frapper p eu de jours après ses derniers triom phes.

On dit q u ’A lexandre et son frère C o n sta n tin , m ais

ce dern ier s u rto u t, le caporal p ar excellen ce, et

qui ne ra ch etait p a s , comme l’em p ereu r, cette m a ­

nie p a r des qualités é m in e n te s, furent choqués de

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trou ver l’arm ée dans la tenue peu ré g u liè re , peu conforme aux rè g le m e n ts , q u ’elle devait, nécessai­

rem en t présenter alors. En g é n é ra l, l’habillem ent et l’équipem ent du soldat russe ne sont calculés que po u r la parade. Dès q u ’il se m et en m a rc h e , il doit p o rter su r son dos la plus grande partie de ses v êtem e n ts, tels que ses g u êtres de c u ir, ses p an ta­

lo n s, son plum et de g ren ad ier, etc. Une cam pagne telle que l’arm ée v en ait d ’en faire une avait dû c h a n ­ g er davantage encore la mise des soldats. On les tro u v a , à la fro n tière, habillés et chaussés de la m a­

nière la plus appropriée au x fatigues des longues m ar­

ches et à la rig u eu r de la saison. Us étaient vêtus à peu près comme ils dev raien t l’être toujours, en rai­

son du service qu’ils ont à faire et de l’âpreté du cli­

m a t, dut l’uniforme présen ter quelque analogie avec le costum e des p ay san s. En voyant défiler le régim ent des chasseurs à pied de la g a r d e , rég im en t qui s ’é­

tait couvert de gloire p en d an t la cam pagne , le g ra n d duc C onstantin fut o utré de l’aspect que p résentaient ces m ilitaires ; leur chaussure épaisse et disgracieuse p a ru t su rto u t le choquer. Il se m ontra aussi m écon­

ten t du peu de régularité des r a n g s , et ne p u t s ’em­

pêch er de s’éc rier avec indignation : Ces gens-là ne

savent que se battre ! Dans la houche de C onstantin

c ’était une am ère critiq u e !

(41)

CHAPITRE III.

S u r les év én em en ts de 1813 e t 1814. — M. de Stein.

Quand l ’arm ée russe franchit la fro ntière d ’Alle­

m a g n e , elle était si peu nom breuse q u ’à la prem ière re v u e que l ’em pereur en p a ssa , en p résen ce du roi de P ru sse , à K alish, elle ne m ontait g u ère à plus de 1 5 ,0 0 0 hom m es. Le reste était en arrière .

Les choses, d’ailleu rs, avaient changé de face.

T an t que les R usses étaient restés sur leu r te rrito ire , ils avaient été seuls à com battre Tennem i. Mais désor­

m ais de puissants alliés allaient joindre leurs aigles au x leurs.

La P russe se p ré sen ta la p rem ière. Les P ru ssien s,

alliés forcés de N apoléon, ne pouvaient voir qu’avec

joie les succès des Russes. C ette sym pathie s’était

déjà m anifestée dans le corps d ’arm ée prussien qui

était en tré en cam pagne avec les F ran çais sous les

ordres du gén éral York. On sait que le roi F réd éric-

(42)

Guillaum e ne fut pour rien dans les arran g em en ts que p rit ce général avec D ie b ilc h , chef d ’état-m ajor de W itg c n ste in ; ce p rin ce g a rd a m êm e toujours ra n ­ cu ne au gén éral York pour l ’indép en d an ce avec la ­ quelle il se conduisit dans cette circonstance. C’est l’obéissance passive que les rois p risen t avant tout.

Le prem ier appel aux Prussiens fut égalem ent fait sans la participation du roi de P ru sse. Ce fut le b a­

ron de Stein qui p rit l’initiative en ce tte occasion (1 ).

Sa voix connue trouva de l’écho dans les cœ u rs alle­

m ands. Le roi eut beau m o n trer de l’h u m e u r, les P russiens com m encèrent à se p réparer pour la lu tte , et bientôt l ’élan devint irrésistible : tout se le v a , p eu ­ ples et rois; le sentim ent du patriotism e et de la ven­

geance les posséda tous sans distinction. N’étaient-ils pas tous o p p rim és, et n ’é ta it-c e pas pour la déli­

vrance com m une qu’ils couraient aux arm es et m ar­

chaient ensem ble? Aussi les souverains allem ands eussent-ils pu se d ispen ser de faire à leurs sujets des prom esses m en teu se s; en s ’en a b ste n a n t, ils se se­

ra ie n t du m oins ép a rg n é la h onte du parjure.

Quand les Français eu ren t évacué l’A llem agne, on songea à ré g u la rise r l’adm inistration de tous les pays occupés p a r les arm ées des trois grandes p u issa n c e s, la R ussie, la P russe et l ’A utriche. A cet effet l’on

(1 ) Y la n o ie A h la fin du v o lu m e .

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créa le D épartem ent central. Le baron de S tein , m uni des pouvoirs de ces trois p u issances, en fut nom m é le chef.

Dans le prin cip e, M. de Stein voulait que les dif­

férents états allem ands du second ord re, au lieu d ’être adm is à se ré u n ir p u re m e n t et sim plem en t au x g ra n ­ des puissan ces, ne fussent reçu s dans leur alliance q u ’à de certaines conditions pro p res à favoriser la future réorganisation de l’ancien corps germ anique sur des bases plus conformes à ce qu ’exigeaient la sûreté et le bien du pays en gén éral. Mais dès le d é­

b u t, c ’e st-à -d ire dès la p re m iè re réun io n d’une de ces puissances secondaires à la coalitio n, l’espoir de voir p re n d re de si sages précautions fut déçu. En signant le traité d ’accession de la B av ière, le m i­

nistre qui dirigeait le cabinet de V ienne ne parut avoir aucun souci du salut futur du peuple allem and.

C ette conduite avait pu lui être inspirée par certaines v u es de la politique au trich ien n e ; m ais il n ’est pas m oins vrai q u ’elle a été fatale a u x intérêts de l’A llem ag n e , q u i, dans cette circonstance comme dans beaucoup d’a u tr e s , se trouvaient conform es au x intérêts de la civilisation et de l ’h u m a n ité , tandis que les intérêts de l’A utriche ne pouvaient être q ue ceux d’une fam ille, d ’une m aison régnante. On sait aujo ur­

d ’hui ce que v e u t cette p u is sa n c e , com m e on sait

aussi que c ’est de justice, de lib erté, d ’indépendance,

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q u e les descendants des Germ ains ont besoin. Les états allem ands ont leu r nationalité à établir, à faire prévaloir ; l’A utriche a des nationalités à détruire ou à em pêcher de se p roduire. L orsque l ’on considère la lutte qui s ’établit alo rs, et qui depuis n ’a cessé d ’exi­

ster entre ces deux systèm es politiques, on p e u t dire q ue pour l’A llem agne le génie du bien et celui du m al se tro u v èren t p erso n n ifiés, le p re m ie r dans le baron de S te in , le second dans le prince de M etter- nich.

M. de S tein avait eu aussi l’in ten tio n de faire su s­

pen d re de leurs fonctions ro yales quelques p rin ces souverains de la confédération du R hin et de les re m ­ p lacer provisoirem ent p ar leurs h é r itie r s , qui m on­

tra ie n t plus de p atrio tism e , toutefois en subordon­

n an t ceux-ci à l’autorité du départem ent ce n tral. Nul doute qu’u n e telle m e s u re , facile alors à e x é c u te r, n ’eût ex ercé une influence salutaire sur l’avenir du peuple allem and ; m ais elle ne fut pas adoptée. On continua seulem ent cà te n ir éloigné de son pays le roi de S a x e , relégué en P russe ap rè s la bataille de Leip­

zig ; un gouverneur russe était établi dans son ro y au ­ m e. T outes les contrées qu’occupèrent en su ite les ar­

m ées alliées en F ra n c e , excepté P a ris, fu rent m ises

de m êm e sous l’adm inistration de g o uverneurs ru sses,

p ru ssien s ou a u tric h ie n s , dépendants du départem ent

cen tral. Le baron de Stein av ait auprès de lui un com­

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m issaire el des em ployés p ru ssie n s, un com m issaire autrich ien et un russe (1).

L ’activité M. de Stein s’éten d ait encore au delà de ce cercle ; on le co m prendra facilem ent. L a con­

fiance dont il jouissait auprès de l’em p ereu r A lexan­

d re , et l ’identité de leurs vues dans une foule de cir­

constan ces, lui donnaient une im portance toute p a r­

ticulière. Nul h om m e, à cette ép o q u e , n ’a joui d’un créd it égal au sien dans l’esprit de ce m onarque.

M. de Stein voulait que l’on co n tin u ât la g u erre avec énergie. E n cela il était cord ialem ent secondé p a r Blücher et G neisenau, ce chef d ’état-m ajor de l’arm ée prussienne à qui B lücher lui-m êm e a ttri­

buait la plus g rand e p a rt, ap rès D ieu, des succès de la g u erre. D’un au tre c ô té , les A utrichiens ne v o u ­ laien t pas trop s’avan cer, et parlaient de cantonne­

m en ts e t de cam ps re tran ch és sur le R hin. Gneise­

nau , qui venait de passer ce lleuve avec l’arm ée p ru s­

sie n n e , se p laig n ait, dans une lettre adressée à M.

de S te in , de la lenteur des arm ées alliées, et énum é­

ra it les avan tag es q u ’on aurait en s ’avançant avec v ig ueur et célérité. Le général conjurait le m inistre de soum ettre ces considérations à l’em pereur A lexandre, et de le décider à m archer en a v a n t, com m e il l’avait

( 1 ) C'était l ’au teu r de cet ou vrage.

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déjà fait au passage de la V istu le, ce qui avait donné un e impulsion décisive au cours des événem ents.

« Si nous n ’entrons pas à P aris, disait M. G neisenau dans ce tte lettre re m a rq u a b le , la vengeance et le triom phe seront incom plets. « La le ttre , m oins les com pliments que le gén éral faisait à l’hom m e d ’é ta t, d ev ait être mise sous les y e u x du czar ; elle m e fut com m uniquée p our la traduction française.

A en ju g e r p ar le peu que j ’ai pu savoir de la con­

duite des affaires politiques à cette époque, les diffi­

cultés que l’e m p ereu r de R ussie e u t à su rm o n ter d u ­ re n t ê tre im m enses. Ce n ’était pas lui en effet qui était le chef officiel des arm ées alliées : le feld-m aré- chal au trichien p rin ce S chw artzenberg portait ce ti­

tre . Il fallut à l’em pereur tout l’a rt d’un rusé politique e t d ’un habile n ég ociateur p our faire m ouvoir le gé­

n éral autrich ien com m e lu i, A lexandre, le voulait;

m ais comme ne le voulait pas le cabinet de V ienne.

B lücher, avec son arm ée, com posée de troupes russes et de troupes prussiennes, m archait toujours en av an t, s’av en tu rait quelquefois, et p ar suite éprouvait des é c h e c s, m ais par là aussi il forçait S chw artzenberg à s’a v a n cer à son tour. On pouvait encore re m a rq u er que ce d ern ie r, soit q u ’il voulût m ontrer que c ’était lui qui com m an d ait, soit p a r d ’autres ra iso n s, affec­

ta it de ne pas avo ir, quand cela se p o u v ait, son q u ar­

tie r-g é n é ra l dans le m êm e endroit que l’em p ereu r

A lex an d re. Celui-ci cep en d an t était le m oteur de tou­

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