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La constitution russe et la Pologne

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LA

CONSTITUTION RUSSE

ET

LA POLOGNE

I V A N G O L O V I N E

P A R IS

E. D EN TU , ÉDITEUR

L I B R A I R E D E L A S O C I É T É B E S G E N S D E L E T T R E S PALAIS-ROYAL , 1 3 ET

il,

GALERIE D'OBLÉANS

1863

Tous droits réservés

E, Xi. K a s p r o w ic z in Xieipsig.

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(3)

LA

CONSTITUTION RUSSE

ET

L A P O L O G N E

(4)

P A R I S . — I M P R I M E R I E J O U A U S T E T F I L S ,

BUE SAINT-HONORÉ, 3 3 8 .

7 n . 5 3 * 1 * 0 fih O O O A ÏÛ

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(5)

CONSTITUTION RUSSE

E T

L A POLOGNE

PAR

I V A N G O L O V I N E

P A R IS

E. D EN T U , ÉDITEUR

L I B R A I R E D E L A S O C I É T É D E S G E N S D E L E T T R E S P A L A I S - R O Y A L , 1 3 E T l f , G A L E R I E D ' O R L É A N S

1863

Tous droit? r<fserv<fs

(6)

H * • \

(7)

A SA MAJESTÉ L’EM PEREUR ALEXANDRE II

S I R E ,

Vous l’avez dit : « Vous donnerez une constitution à la Russie, pourvu qu’on ne vous presse pas. »

Je prends acte de vos paroles. Vous avez été de­

puis en Finlande proclamer les principes qui doivent régir ce duché. J ’espère que les Slaves ne sont pas moins chers à votre cœur que les Finnois.

Le prince Gortchakoff croit enfin qu’une constitu­

tion donnerait à la Russie les sympathies des gran­

des puissances. I l est bien temps de prouver que les Russes sont des hommes qui méritent d ’être gouver­

nes comme tels. Vous venez, par l’émancipation des serfs, d ’asseoir le trône des Romanof sur des bases solides. Une constitution ne fera que consolider encore davantage votre dynastie. En dépouillant les révo­

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lutionnaires de leurs bonnes idées, vous êtes sûr d’ajourner la révolution indéfiniment, d’agir en con­

servateur éclairé et bien intentionné. Il n ’y a pas d ’autre issue possible. Le gouvernement militaire ne vaut rien pour les Polonais, les Russes eux-mêmes n ’y ont qu’un goût médiocre. Vous ne verrez ces­

ser les grands abus qui entachent l’ordre qu’avec ce nouveau régime; vous ne pourrez conserver la Pologne qu’avec une constitution libérale.

Je compte, S ire, sur votre parole impériale, et j ’ai l’honneur de me dire

de Votre Majesté

le très-humble et très-obéissant serviteur,

Iv a n GOLOYINE.

12 octobre 1863.

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L A

CONSTITUTION ROSSE

ET

L A P O L O G N E

CRITIQUES ET TRAITEES

L’auteur de La Russie et VAvenir (1), u n des livres les mieux écrits sur ce pays, reproche aux émigrés russes d ’écrire trop pour les Russes et pas assez pour les Français. S’il fallait aussi écrire différemment pour les Anglais et pour les Alle­

m a n d s, cela n ’en finirait pas. Supposer que les étrangers ne savent de la Russie q u ’une seule chose, c’est q u ’il y fait tr è s - f r o id , q u ’ils doutent que les Russes soient chrétiens, c’est les offenser.

Nous pouvons mieux servir notre pays q u ’en écrivant des géographies et des histoires élémen­

taires de la Russie.

Les lecteurs ru sses, s’attaquant à La Russie (1) P aris, G a m ie r frères.

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sous Nicolas I er, ont prétendu que j ’étais tombé dans une grande erreur en assurant que Paul Ier avait été pris dans une maison d’enfants trouvés, attendu q u ’il n ’en existait pas sous Catherine.

Le fait est q u ’on a été chercher à Strelna le pre­

mier enfant finnois qui était venu au monde.

Cet enfant avait un frère q u i , devenu g r a n d , p rétendait que le tzar était son proche parent.

Paul Ier le fit appeler et lui dit : « Puisque tu as de la ressemblance avec m o i, tu vas aller en Sibérie, où tu ne m anqueras de r ie n , pourvu que je n ’entende plus parler de toi. E s -tu content? » Le Finnois se déclara satisfait et reçut u n grand apanage de l’autre côté des monts Oural.

Quant à l’asile des m ineurs de Moscou, son origine est assez curieuse pour être rapportée.

M. Demidoff perdit un procès au Sénat; s’y transportant tout furieux, il injuria les sénateurs et se porta à un excès que la plume se refuse de rendre. Catherine II était une femme d ’esprit ; au lieu de condamner M. Demidoff aux travaux forcés, elle le condamna à élever à ses frais l ’hospice qui porte son nom.

Les contrefaçons allemandes de La Russie sous Nicolas J er ne m ’ont pas permis de rectifier dans une autre édition les erreurs qui s’y sont glissées.

Ainsi Michel Golovine, et non pas Thomas (1),

(1) N’a y a n t pas p u m e p ro c u re r u n e édition russe, à

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sur l’invitation de Boris Godounoff de rentrer dans son pays, et sur sa promesse de lui donner une terre plus belle que celle q u ’avait possédée son oncle Pierre, répondit, suivant les récentes re­

cherches, qu’il n ’avait émigré que par haine de lui et de sa race, à laquelle il avait voué une haine éternelle. Sa fille Sophie épousa en premières noces leprince Sapiehà, et, à la mort de ce dernier, qui arriva trois ans ap rès, W iezniw iecld, qui d onna Mniczeck au faux Dmitry.

A ujourd’hui on m ’accuse de trahison parce que je défends la cause de la Pologne, étroite­

ment liée à celle du progrès en Russie. Ainsi que je l’ai dit à une autre occasion (anniversaire de la révolution polonaise en 1848), je m’ho­

nore d ’avoir trahi le despotisme en faveur de la liberté.

Sur les bords de la Vistule, le vieux monde est en lutte avec le nouveau, le progrès avec la stag n atio n , l’Occident avec l’Orient, le monde romain avec le B as-E m pire greffé sur le tarta- risme ; et comme le sang ne coule jamais en vain à t o r r e n t s , il sortira du conflit actuel une marche plus décidée pour les réformes russes,

P aris, de l ’Histoire de Russie, p a r K a ram zin e, et la tra ­ duction fran çaise n e co n ten an t pas de n o te s , je n ’ai pu co n su lter le volum e X I, où il est p arlé de Michel Golo- vine.

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et une solution définitive de la question polo­

naise. L’état ante bellum était intolérable. Que tous les élèves de Granowsky désertent la cause polo­

n a is e , cela les regarde. Je reste fidèle à mes convictions et je saurai rendre ma vie uniforme.

Je n ’ai de haine ni contre le tzar ni contre sa race ; mais ce n ’est pas à moi de me convertir à l’autocratie, c’est à lui de se faire à ia liberté et au régime constitutionnel.

J’ai été le premier Russe à protester à l’étranger contre l ’autocratie. M. N. de Tourgueneff était depuis vingt ans en exil sans pouvoir se décider à publier son livre. Si j ’ai ouvert l’émigration littéraire, je crois savoir ce q u ’elle veut et où elle va. Quand donc mes compatriotes de Londres vont trop loin ou font fausse ro u te, fussent-ils vingt ou trente, j ’ai le droit de leur crier les mots de Mirabeau : « Silence aux trente voix ! » La question de la Russie n ’est pas une question de communisme, de socialisme ou de dém ocratie, mais de simple liberté et de simple civilisation.

On me dira que la Cloche sainte sonne trop bien pour ne pas continuer à résonner, et que c’est à des cloches plus petites de se taire. Cependant le prince Pierre Dolgoroukoff a fait preuve d ’une inhabileté sans pareille en acceptant le procès du prince Worontzoff. Sans doute c’était un coup monté p ar le gouvernem ent russe ; mais chantage est un mot abhorré en France, e t,

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lorsque l ’homme qui s’en rend coupable a une fortune in d é p e n d a n te , il n ’a que ce q u ’il mérite en recueillant le mépris public, et M. Herzen fait preuve de m anque de tact en accueillant ses élucubrations. « La petite feuille » ( Listok) a encore moins de lecteurs que la Cloche. Et d ’où vient que le nombre des abonnés à cette d er­

nière va en dim inuant? De ce que le gouverne­

ment russe a permis de la réfuter? — N o n , mais bien de ce q u ’elle ne connaît pas la Russie, et a donné aux Polonais des espérances qui ne se sont pas réalisées. Les Russes se laissent défaire, mais ne désertent pas. C’est par la défection q u ’ils ont protesté à Austerlitz contre le plan autrichien de la b a t a i l l e , à Friedland contre l’alliance russe.

M. Herzen n ’est ni un homme pratique ni un homme politique, ce qui ne l’empêche pas d ’ê­

tre un excellent écrivain et d ’avoir produit tout le bien dont il était capable.

Qui n e su t se b o rn e r n e su t ja m a is é c r ir e ,

a dit Boileau, et les écrivains russes à l’étranger, émancipés de la cen su re, ont toujours oublié que dépasser le b u t , ce n ’est pas l’atteindre.

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MISGOVERNMENT

Je suis obligé de me servir de ce mot anglais pour désigner le genre du gouvernement ru sse , mot qui veut dire un mauvais gouvernem ent, et qui en russe se rend par celui de néouriadiUa, ou adm inistration défectueuse. Abstraction faite de la fo rm e , le fond ne vaut rien. Une autocra­

tie peut être plus ou moins m auvaise, tout comme une dém ocratie, cela dépend de la capa­

cité des gens qui sont à la tête du gouvernement.

Les tzars russes régnent peut être b i e n , mais ils gouvernent détestablement ; et puis il n ’y a pas un seul tzar, il y en a une infinité; une camarilla en hau t et une sous-camarilla plus b a s , ce qui compose le régime du favoritisme.

Il n ’y a ni lois ni droits en Russie ; ni la per­

sonnalité ni la propriété ne sont respectées.

Maluto-Skouratoff n ’est pas le seul qui soit mort des mauvais traitements de la police secrète.

Quant à la propriété, voici comment elle est sau­

vegardée.

Un noble russe, qui a un nom italien, achète

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aux criées publiques une terre dont la dimension réelle n ’est pas en rapport avec le cahier des charges. Les réclamations restent vaines. Homme résolu , l’acquéreur se jette à genoux devant l’Empereur actuel, à Moscou, à l’assemblée de la noblesse, et s’écrie : « Votre Majesté Impériale ! votre grand gouvernement m’a v o lé , je demande justice ! » L’Em pereur est consterné, il appelle Valoueff, lui ordonne de vérifier l’affaire, et l’on finit enfin par donner une compensation au noble dépouillé.

Un autre achète une maison, également à l’en­

chère. Voici plusieurs années q u ’on ne la lui donne pas, disant q u ’elle vaut plus. Le Sénat a ordonné q u ’on le fît entrer en possession de son achat, mais les employés attendent q u ’on leur graisse la main !

Un troisième place de l’argent sur hypothèque ; le débiteur ne payant pas, la saisie est ordonnée ; mais, chaque fois q u ’on vient pour saisir, le pos­

sesseur réclame pour le toit en fer qui n ’a pas été év alu é, ou p our un m ur q u ’il a eu le temps d ’a­

jouter en attendant.

Un tailleur français, devenu riche, apporte à un prince russe un habillement que celui-ci re­

pousse comme étant mal fait. Le tailleur insiste pour être payé du vêtement et réclameSO roubles.

Le Sénat en est saisi et décrète que le plaignant doit poursuivre le défendant là où se trouvent ses

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biens, clans le gouvernement de Twer, et non pas à Moscou, comme on l’a fait. Force est au tailleur de recommencer ses pas et démarches. A la n o u ­ velle instance, on appelle son affaire à P â q u e s , où le dégel rend tout voyage impossible ; il fait défaut et se voit, par contumace, renvoyé de sa plainte. Le prince demande alors des dommages- inlérêts, et on lui alloue 20,000 roubles. Le tail­

leur veut p a r tir , le prince s ’y oppose; il veut vendre sa maison, le prince y met opposition, et il se voit réduit à tomber à ses genoux et à de­

m ander pardon.

Quand, au contraire, on n ’a rien pu prouver à un homme, on le laisse sous soupçon, ce qui est un terme moyen entre le guilty et le not guilty an­

glais (coupable ou non coupable), et un jour la police lui fait jeter de l’huile dans la rue et le dé­

porte en Sibérie, ainsi q u ’on l'a fait avecZykof,le meurtier présumé de la princesse Golitzine.

Les prévarications con tinuent pires que du temps de Nicolas. Un jeune homme qui a quelques mil­

liers de roubles pour toute fortune et voudrait se marier se présente chez un dignataire pour lui de­

mander un emploi qui puisse le faire vivre, lui et sa famille future. Le haut fonctionnaire, après lui avoir adressé quelques q uestions, finit par lui dire q u ’il a de mauvaises bottes. Rentré chez lui, l ’aspirant songe sérieusement à se commander des bottes. Le lendemain se présente un bottier

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qui v e u t, de gré ou de force, prendre mesure.

Notre jeune homme se dit : Autant vaut celui- ci q u ’un autre. Mais sa surprise est grande quand il apprend que les bottes coûtent 3,000 francs ou 800 roubles. L’ouvrier lui explique enfin que la plus grande part de cet argent revient à un autre que lui. Le jour se fait, et le jeune homme est prêt à s’en commander deux paires plutôt q u ’une. Il paye, et la place q u ’il convoite ne se fait plus attendre.

« Cinquante mille francs pour vous, Monsieur le sénateur, si vous n ’allez pas à la séance. Vous trouvez que c’est trop peu ! Cela sera 80,000. » M. le sénateur décommande sa voiture et garde sa chambre !

Tout le monde vit, en Russie, au-dessus de ses m o y e n s , donc presque tous les fonctionnaires volent. Les Russes passent pour ne pas s’e n t e n ­ dre en adm inistration, mais les Allemands ne font guère mieux. Avec la juridiction par écrit, il est impossible de se faire rendre justice. Un colonel allemand d ’un régim ent de hussards qui va en Pologne est sommé de rendre son apparte­

ment. Il dit à son quartier-m aître que cela ne fait pas son affaire, attendu q u ’il a meublé l’appar­

tement et q u ’il compte revenir dans six mois.

« S ais-tu ce que tu feras? O n t écrira, tu répon­

d ras; on t ’écrira encore, tu répondras encore, et en attendant je serai de retour.» En effet, les

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six mois révolus, il rentre dans son appartem ent et salue le quartier-m aître en lui disant : » On t’a écrit? — Oui, colonel. — On t'a ré é c rit? — Oui, colonel. — Tu as répondu, et me voilà, comme je t ’ai annoncé. » Si l’on n ’est pas plus expéditif dans l’état militaire, q u ’est-ce que cela doit être dans l’état civil ? Aussi y a-t-il des procès qui durent plusieurs générations.

A Vienne, le prince Gortchakoff, alors minis­

tre de Russie auprès de la cour d ’Autriche, lisait ses notes au chapitre r u s s e , et se plaisait à l’effet q u ’elles produisaient sur sa complaisance. Il di­

sait que, si la démocratie venait à triompher, il se ferait m archand de tableaux. Je peux lui assurer q u ’avec tout son goût du b eau , il ferait de mau­

vaises affaires. Il paye son cuisinier 25,000 fr.

p ar an. L’impératrice donne au sien 40,000 fr., ce qui permet à ce dernier de venir à Paris et d’y faire de magnifiques présents à ses parents et connaissances. L’im pératrice, avec tous ses goûts de simplicité, a des demoiselles d ’h onneur dont la toilette lui coûte plusieurs milliers de roubles p ar jour. Elle parle le russe comme une A llem ande, mais c’est une excellente per­

sonne. La princesse D*** est mise de côté, et Mme S ...., née S ...., a l’influence q u ’a Mm6 V ...., née 0 ....ff.

Veut-on une preuve bien plus simple de l ’in­

capacité du gouvernement russe ? 11 est toujours

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défendu de fumer dans la r u e , de crainte des incendies : or les fumeurs se cachent, et produi­

sent les incendies, qui ne sont nulle part aussi fréquents q u ’en Russie.

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LES ANGOISSES DE LA POLOGNE

« Si la cause des vainqueurs plaît à D ie u , la cause des vaincus plaît à Caton. »

M. de Kisseleffle jeune, en quittant P aris, à l’ouverture des hostilités, en 1854, a dit q u e , si les Russes devaient être battus, ils auraient la consolation de trouver les sympathies que trou­

vent les Polonais. Mais il ne suffit pas d’être battu pour être aimé ; la cause juste n ’est pas toujours celle du plus faible. Il a toujours été lâche d ’abuser de sa force, et il y a de la dignité à céder au plus faible. La temporisation de l’em­

pereur Alexandre est déplorable. Le soulèvement actuel de la Pologne est la conséquence de l’é­

mancipation des serfs. Il ne s’ensuit pas q u ’il n ’eût pas fallu émanciper les serfs, mais il fallait en même temps régler les affaires de la Pologne, se rappelant q u ’un gouvernement qui est bon pour les Finnois n ’est pas bon pour les Polonais.

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Que d is-je ? les Finnois : ils ont une constitu­

tio n ; ce sont les Bachihkirs qui n ’en ont pas!

Les Russes accusent les Polonais de s’être soulevés mal à propos, et de ne pas l’avoir fait lorsque l’occasion était propice. A insi, en 1830, lorsque la Russie est sur le point de pous­

ser ses hordes contre la France, la Pologne, sur un signe de Louis-Philippe, arrête la tem pête, la détourne sur elle-même, et succombe, sans que le roi des Français ait autre chose à lui don­

ner que des regrets stériles... Avoir obéi à son impulsion sans avoir des garanties était, dit-o n , agir en aveugles. En 1848 et 49, les Polonais ne p ren n en t q u ’une part indirecte à la révolu­

tion de H ongrie; en 1855, p end an t la guerre de Crimée, ils ne bougent pas, et c’est aujourd’hui, que la Russie a réparé les brèches de la guerre et amélioré son armée, que les Polonais, par l’organe de M. Wolowski, jettent le gan t d’une guerre à mort contre l’autocratie russe! — Les per­

sonnes qui parlent ainsi ne réfléchissent pas que l’indignation n ’attend pas l’opportunité, et éclate quand elle ne peut plus tenir.

Comparez donc cette conduite des Polonais avec celle des Allemands, les sujets russes de prédilection ( die vonüglichen Russischen Unter- thanen). Ceux-ci s’emparent des meilleures fonc­

tions de l’empire, du plus de roubles q u ’ils peu­

v ent; ils font l ’honneur à la Russie de la repré­

_ J8 -

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senter à P aris, à Londres, à Francfort, de com­

mander la majeure partie de ses régim ents; ils renchérissent sur l’oppression et font pis que les oppresseurs; ils captent la confiance des monar­

ques, germanisent la Russie le plus q u ’ils peu­

v e n t, et, du fond de leur cœur, ils la méprisent au tan t q u ’ils la détestent. Les Polonais se con­

duisent comme des chevaliers, les Allemands des provinces de la Baltique comme des laquais! Les Polonais, par conséquence lo giq u e, n ’ont pas d’ennemis plus acharnés que ces Messieurs ; Berg, Korf, Raden, sont des noms allemands.

Lorsque le prince Gortchakoff a été nommé lieutenant de l’Empereur en Pologne, il a trouvé que tout ce q u ’a fait le prince Paskiewitch avant lui était mal fait. En cela il avait raison, mais il n ’en agit pas moins mal à son tour. Il se mit à dé­

précier systématiquementles R u sses,àles écarter de tous les e m p lo is , au point de soulever l’éto n - nement et le mécontentement des Polonais eux- mêmes. De là suivit l’adresse à l’Empereur, qui n efu t pas acceptée, et l’autonomie administrative fut remplacée par l’indépendance nationale dans les vœux de tous les Polonais. Aujourd’hui les Russes bien pensants veulentbien que la Pologne se détache, mais à tout jamais, sans prince russe p o u rro i. Le gouvernement, au contraire, voudrait en faire autant de goubernies q u ’il y a de voïévodies.

Les biens de tous ceux qui ont pris part à Vin-

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surrection sont confisqués, et, comme tous les nobles ont été dans celte catégorie, ils sont tous réduits à être des m anœ uvres, attendu que la participation d ’un seul membre d ’une famille suffit pour amener la saisie de toutes les terres de toute la famille. La Pologne est dévastée, ruinée, dépeuplée. Sans doute qu’une guerre de partisans peut durer infiniment, mais les Polo­

nais, ne voyant venir d ’aide de nulle part, se pré­

paren t à crier : « Vive la Russie! » Et voici un journal russe qui représente une sœ ur de charité dem andant à un prêtre : « Mon père, v o is - tu venir quelqu’un de l’Ouest? — Non, ma s œ u r, je ne vois venir personne. — Et du Midi? — Non p l u s , m a sœur. — Regarde au N o rd , mon p ère, v o is - tu arriver q uelqu’un? — J’ai beau regarder, je ne vois personne, ma sœur. — Et de l’Est? — Je vois venir l’hiver ! »

- 20 —

(23)

ai

PROJET DE CONSTITUTION

L’orgueil et la bêtise sont les deux qualités qui distinguent le gouvernement russe. Il n ’au­

rait pas été si fier s’il était plus intelligent, et il aurait été plus capable s ’il était moins fier.

Et de quoi est-il fier, g rand Dieu? De ce qu’il sert d’éleignoir à la lu m iè r e , de borne au pro­

g rès, de gendarme à l’Europe. Il a émancipé les serfs, mais il y aurait eu un massacre général des nobles s’il ne l’avait pas fait. Il ne sait pas déraciner les prévarications, achever la réforme judiciaire. Qu’il laisse donc ces tâches d’Hercule aux représentants du peuple. L orsqu’il aura fait une constitution qui mérite ce n o m , il pourra être f i e r , mais il est à supposer q u ’il ne le sera plus. Se borner à faire entrer quelques mem­

bres électifs au conseil de l’e m p ir e , c’est s ’ex­

poser au ridicule. On a bien dit à l’Empereur que la meilleure constitution sera celle q u ’il voudra octroyer lui-m êm e, mais nous pensons que cela doit être l’œuvre de la première assem­

blée nationale, qui prendrait en conséquence le titre de la Constituante. Un projet élaboré à la

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deuxième section de la Chancellerie de l’Empe- reur ne devrait être q u ’un projet bureaucratique soumis à la révision des représentants, auxquels le pouvoir législatif revient en commun avec le pouvoir exécutif. La séparation des trois pouvoirs étant la base de toute sage co n stitu tio n , il ne faut ni les confondre ni les éparpiller.

La liste civile, la dotation de la cour, ne peu­

vent être un objet d ’embarras. Les apanages de la famille impériale ont été habilement améliorés;

on s’est défait des mauvaises terres en prenant aux paysans de l’É ta t, en échange, des terres excellentes. L’Em pereur n ’a p a s , pour bien per­

sonnel, que les cent paysans sur le champ de bataille de la Moskowa ; les meilleures pêche­

ries et les meilleures salines lui appartiennent.

Les nobles mêmes dépouillés sont prêts à faire une large part à la cour (1) : les Russes ne lésinent pas.

11 est plus difficile de relever la noblesse des coups que lui ont portés Pierre Ier et Alexandre I".

Il est question d ’introduire les m ajorats, en dotant les familles les plus illustres (2). L’Empe-

(1) Elle a dépensé cette année 8 0 m illions de ro u b les;

c’est u n p eu trop. Le m in istère de l ’in stru c tio n publique n ’a coûté q ue 8 m illions.

(2) On vient de p e rm ettre à M. Golovine de K oursk de p ren d re le titre de com te, et l’on réserve celui de prince llo m n e n à u n e a u tre b ra n ch e de cette fam ille.

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reur, qui s’appelle le premier gentilhomme de la R ussie, se souvient q u ’il y a une quantité de familles plus illustres que la sienne et une q u an ­ tité d ’autres dont l’illustration est douteuse (1).

L’Em pereur donne des poignées de mains aux affranchis, et il n ’aurait q u ’à faire un signe pour faire massacrer tous les nobles; mais il sent que sa monarchie serait mieux appuyée sur la noblesse que sur les paysans. Ce ne sont ni les titres ni les richesses qui rendent les gens nobles, mais bien les actes et les sentiments (2).

M. Minine, le descendant de cet illustre citoyen de Nijni qui a sauvé la Russie de concert avec Pojarski, est tout honteux de n ’être q u ’un citadin.

Aussi f a u t- i l relever la classe m archande plus efficacement q u ’on ne l’a fait en instituant la classe des citoyens honoraires et des médailles (3),

(1) D ern ièrem en t, D ..., se p re n a n t de querelle avec B..., appela ce d e rn ie r le petit-fils d ’u n m a rc h a n d de poisson, et l ’a u tre lu i ré p o n d it q u ’il était le petit-fils d ’u n m a ré c h a l-fe rra n t. Le b aro n M... (dont le nom v e u t dire mon village, a tten d u q ue son a n c ê tre , n ’en ay a n t p o in t, appelait sien to u t village où il venait), p rit la défense de son co m p ag n o n d e ré g im e n tB ..., et blessa D ... dans u n duel au pistolet.

(2) Nous avons eu 150 m em bres de n o tre famille m orts p o u r la p atrie. Ceux q u i en o n t eu davantage doivent avoir le pas et la préséance.

(3) D ernièrem ent, u n m a rc h a n d , en ap p ren an t q u ’u n

— “23 —

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ou même en choisissant un prince Stcherbatoff pour maire de Moscou. La civilisation pénètre lentem ent dans cette classe, et les fortunes qui s’y acquièrent vont s’engouffrer au service de la garde ou se dissipent dans un genre de vie déréglé. Il est inutile d’établir un antagonisme entre le négoce et la noblesse, il faudrait provo­

quer une noble émulation pour le bien de la patrie.

En vérité, je le dis, il est temps de se presser, parce que noblesse et négoce touchent à leur dé­

cadence, perdent leur énergie et se démoralisent à vue d’œil.

Les paysans ne sont pas tous satisfaits de l’affranchissement ni de la manière dont il s ’est fait (1). Quant à l’instruction, la manière dont elle leur est offerte les rend plus ridicules q u ’elle ne les relève (2).

de ses collègues avait re ç u la m édaille a u cou p o u r un don de bienfaisance, d o n n a deux m ille roubles, et re ç u t u n rem erciem en t de l ’em p ereu r q u ’il n e su t n i m ettre a u cou n i s’a ttac h er à la boutonnière.

(1) « Ja d is, disait u n affranchi, q u an d nous avions u n e bro u ille, n o u s allions tro u v e r le m aître, a u jo u rd ’h u i on n o u s envoie d ev a n t u n des nôtres. À -t-on vu chose p a­

reille. Que v e u t-o n q u ’il sache p lu s q ue n o u s? »

(2) Deux gars q u i so rtaien t de l ’école com m unale se fig u raien t savoir l ’alphabet. « Comment t ’appelles-tu?

dem anda l ’u n . — D evine, d it l ’a u tre . — Quelle est l ’i-

— 24 —

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La presse finira p ar se relever sous le régime d ’une liberté absolue, et les auteurs russes entre­

ront dans la plus noble de toutes les aristocra­

ties, celle de l’intelligence.

La classe des tchinovniks (employés) sortira de la boue où elle se vautre, avec le régime constitu­

tionnel, qui établira la responsabilité adm inistra­

tive, et la justice enfin refleurira bon gré mal gré.

Le clergé russe attend depuis longtemps l’a­

mélioration de sa position, surtout le clergé de la campagne. Il n ’est pas digne de lui de faire le commerce des offices. Il n ’a que trop d ’influence par les femmes bigottes et les hommes à courte vue ; mais il s’éloigne de plus en plus de la tolé­

rance religieuse, et, trop désireux de plaire au Roi de la terre, il oublie souvent les commande­

ments d u ciel.

Ce n ’est pas la capacité, c’est le favoritisme, qui distribue les emplois en Russie. La constitu­

tion relèvera l’esprit et écartera l’intrigue.

VIVE DONC LA CON STITUTION R U S S E !

nitiale de ton nom ? — L. — L au re n t? — Non. — Léon?

— Non. — Eh bien, c o m m en t?— Alexis, nigaud, Alexis.»

(Dans la p ro nonciation d u p ay s, on d it Lalexis.)

2S

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- “2i> -

LA SOCIÉTÉ RUSSE

( l e t t r e d ' u n m o s c o v i t e a l 'a u t e u r ).

Cher Monsieur,

La vie devient de plus en plus difficile, sous le rapport matériel comme sous le rapport moral.

Parlons d ’abord de ce dernier. On ne croit plus ni à la divinité du Christ, ni à un monde futur ; on commence à comprendre que tout est terrestre dans l ’homme et que tout doit revenir à la terre.

Mais laissons parler un philosophe qui est un héré­

tique et qui n ’est q u ’un boutiquier. « Crois-tu, lui demandai-je, à la tr in ité ? — Pourquoi pas? m eré- pondit-il. Dieu a fait les plantes, il leur a donné la nourriture et l’habillement, mais il les a dépouil­

lées de la volonté et de la liberté ; les arbres ont une écorce, mais ils sont attachés à la terre par la racine, qui les nourrit. Il a fait les an im au x ; en leur donnant le vêtement et en les privant de la nourriture, il leur a donné en revanche la liberté pour trouver cette dernière. L’oiseau a des plu­

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mes et des ailes pour chercher à se nourrir, mais il est privé de la volonté. Puis il a fait l’homme, qui n ’a ni poils ni ailes, mais qui a la volonté et la liberté. Voilà la trinité. »

Quel usage faisons-nous de la liberté que notre tzar actuel nous a rendue en partie ? Depuis q u ’il n ’est plus nécessaire de publier son départ pour l’étranger trois fois dans les jo u r n a u x , il est devenu encore plus difficile de se faire payer de ses débiteurs. L o rsq u ’un homme parle politique d ’une certaine m a nière, il y a cent personnes pour rapporter ses paroles, pour décacheter ses lettres et pour le mettre en lieu de sûreté. Mais essayez de vous adresser à un am bassadeur pour mettre opposition sur le passeport d ’un Russe qui vous aura escroqué de l’a r g e n t , et l’on vous répondra que cela ne regarde que les tribunaux du p ay s, e t , comme il n ’y a pas d ’extradition pour les fredaines de cette espèce, l’impunité est assurée au délinquant.

Les affranchis gens de cour 11e font d’autre usage de leur liberté que de se soûler du matin au soir. Il est impossible de trouver des servi­

teurs, et l’on est réduit à se servir soi-méme. Il n ’y a plus que des gens riches qui puissent trou­

ver des jardiniers et des cuisiniers, et ils sont obligés de les renvoyer à tout moment pour leur impertinence.

Qn a coupé nos terres p o u r les dettes à la cou­

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ronne. Or vous savez q u ’il n ’y avait presque pas de bien qui ne fût h y p o th é q u é , et, à la veille de l’ém an cip atio n , ceux qui « aimaient mieux tenir que de courir », et qui avaient des terres libres de dettes, les ont engagées; puis on les a coupées pour en donner aux paysans, qui sont tenus de nous en payer la rente, de sorte que les affranchis ne sont que des paysans redevanciers. 11 n ’y a q u e le sp ro ­ vinces polonaises où le rachat est obligatoire;

nous autres nous pouvons louer et ne jamais ven­

dre nos terres ; mais ce q u ’elles rapportent est si peu de chose, qu ’il y a bien des nobles réduits à faire leur cuisine et leur lessive eux-mêmes. Des emplois pu b lics, il n ’y en a pas pour to u s ; il faut les acheter, et la cherté de la vie va toujours en croissant, de sorte que ce qui coûte un franc à Paris en coûte quatre ici ; un pantalon se paye quarante roubles, des boucles d ’oreilles ordinai­

res trente roubles, et tout le reste en proportion.

Maintenant, revenons au moral. « Le v in , le je u , les belles », vont toujours leur train. Il se boit toujours plus de vin de Champagne en Rus­

sie q u ’il ne s’en produit en France. Le Russe est joueur comme les cartes, et, q u an t à la galante­

rie , elle est poussée aussi loin chez nous q u ’elle l’était du temps de la Régence en France.

Les hommes civilisés commencent à éplucher les s e n tim en ts, à appeler égoïsme l’u n , à flétrir l’autre du nom d’orgueil, ce qui fait que la vie

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devient difficile, e t , pendant que l’idée et la pa­

role russes sont toujours privées de leur essor (prostor) , les sentiments se resserrent de plus en p l u s , on se méfie des critiques, et l ’on n ’ose plus vivre avec l’insouciance de jadis (spoustia rouka- wa). Les réputations mal acquises sont d é sh a­

billées, et l’intégrité devient introuvable. Le gou­

vernement fait de faux assignats, p u isq u ’il ne les paye p a s , et les particuliers ne demanderaient pas mieux que de pouvoir écouler ceux qui se fabriquent clandestinement.

La femme remplit la chronique scandaleuse à elle toute seule. L’ancien maître de police, qui s’était marié par calcul, voit sa femme vivre à l’étranger avec son am a n t, et dem ande qu’on prenne ses biens en tu te lle , afin que ses enfants ne soient pas privés de moyens d’existence.

Promis et promises se donnent pour plus riches q u ’ils ne sont; c’est à qui trom pera mieux l’un l’autre. Les liens de parenté se relâchent de plus en plus; les filles font des procès à leurs pères pour se faire rendre compte de la fortune de leurs m ères, et un frère ne donnera pas cent roubles pour sauver un frère. Avec l’outrecuidance qui nous est propre, nous appelons « radotage » tout ce qui ne flatle pas nos passions et tout écrit qui ne nous sourit pas. Q ui?quoi? combien? sont les trois questions qui décident de nos rapports.

Qui veut dire quel n o m , quoi quel rang, et com­

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bien quelle fortune a la personne qui se présente devant nous. Et tout cet orgueil se boursoufle tant qu’il crève.Voici «la demoiselle d’hon n eu r » 0 — ff q u i, après avoir refusé ducs et p airs, ar­

rivée à l ’âge de qu aran te a n s , vient d ’épouser son domestique. La princesse Y .... en a fait au­

tant à l’étranger à l’égard d ’un domestique de place. Si la noblesse p érit, c’est aussi grâce à sa faute. Qui pourrait compter toutes les mésallian­

ces? Combien de princes et de comtes n ’ont pas épousé des bergères? Aujourd’hui q u ’il s’agit un peu p our tout le monde de viw e de son travail, l’incapacité perce de toute p a r t, et, la rapacité étant toujours la même, je vous demande où nous allons !

Tout à vous,

y * * *

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— 31 —

L’empereur Alexandre était disposé à faire des concessions aux notes des trois puissances sur la Pologne, lorsque des adresses patriotiques lui furent remises de toutes parts. « Mais que ferons- nous en cas d’une invasion? dem anda-t-il. — Nous déposerons nos ossements ( liagern kost- m i) plutôt que de céder aux menaces », lui fut- il répondu.

Aussitôt il y eut 700,000 hommes en Pologne et 200,000 recrues pour les appuyer.

Nous sommes 80,000,000, disait-on en Russie, nous ne nous laisserons pas faire la loi par les Polonais. Notre empire, loin de décroître, voit sa population augm enter d ’un million par an ; notre avenir est grand.

Les officiers russes disent tout h au t q u ’on battra les Français; que les canons, les carabi­

n e s , les baïonnettes-sabres, sont en bon é ta t, et q u ’une guerre limitée à une localité donnée a u ­ ra un tout autre résultat que n ’a eu la guerre d ’Orient, disséminée sur tous les points des limi­

tes de la Russie.

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«i Quand j ’entends parler des Polonais, disait un homme du peuple, je sens le sang me monter des talons à la pointe de la tête. Je ne ferai quar­

tier à perso n ne, pas même à l’enfant; c’est tout au plus si j ’épargnerai une petite fille polonaise. » Le gouvernement se mit à fortifier Cronstadt et à brûler les bois en Pologne, son langage de­

vint provoquant envers l’Autriche et la France, e t , par un mouvement h ab ile, il poussait l’Alle­

magne contre le Danemark pour la défense du H olstein, afin de la mettre entre la France et la Russie. L’Angleterre, au lieu d ’envoyer une flotte dans la B altiq u e, y envoyait des machines pour fortifier Cronstadt. Même après le refus des qua­

tre p o in t s , on ne reconnaissait pas les droits des belligérants aux Polonais. Évidemment l’Angle­

terre protestante n ’avait q u ’une envie médiocre de prendre la défense de la Pologne catholique, et l’Autriche aime mieux que la possession de la Gallicie lui soit assurée par la Russie que par la France.

Le gouvernement d’Alexandre le Bon redou­

blait de cruauté envers les Polonais à chaque pro­

testation en leur faveur. Le m arquis de Wielo- polski fils disait bien à un dîner, à Varsovie, que le tzar n ’avait jamais dit : « Je saurai p u n ir et je punirai » ; que ces mots avaient été inventés par un autre m a r q u i s , le m arquis Pauluci ; mais le cordon de Saint-André envoyé à Mouravieffprou-

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vait bien que le tzar savait punir. Les approba­

tions venant de tous points de la Russie au même général pendeur dém ontraient une grande ab er­

ration d’esprit, car le mal de la Pologne n ’est pas un mal matériel qui se résout par des moyens p h y siq u es, mais un mal moral qui réclame des remèdes moraux. La potence, les fusillades, peu­

vent détruire une génération, que la suivante grandira dans une haine plus forte encore, e t , au lieu de tuer les Polonais traîtres, elle tuera les Russes h au t placés.

Lord John R ussell, se m ettant sur ses échas- ses, proposait d ’ôter à la Russie la reconnais­

sance de ses droits sur la Pologne. On eût dit d ’un consul à qui il s’agissait de retirer l’exéquatur.

Les journaux russes, en attendant, prodiguaient l’insulte aux journaux français et même à l’em­

pereur Napoléon, q u ’ils encensaient naguère. Ils le connaissent si p e u , qu’ils ne savent pas q u ’il n ’agit pas avec l’étourderie des souverains q u i , ayant hérité d’une couronne, sont prêts à l’a b d i­

quer au profit de leurs fils aînés. Il n ’aime pas les fruits qui ne sont pas m û rs, et il n ’agit pas avec l’entraînem ent de son oncle. Il ne veut pas être le provocateur, fidèle à ces mots : « L’empire, c’est la paix. » Il sait mieux q u ’un autre combien il doit compter sur l’A ngleterre, et quel cas il doit faire des promesses de l’Autriche.

Mais, 1a. guerre v en an t, malgré tout le respect 3

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que j ’ai pour l’armée de terre et de mer ru sse , il est probable que la flotte de la Baltique se ca­

chera encore une fois à C ronstadt, q u ’Odessa ouvrira la route de la Pologne à une armée alliée, que la Samogitie recevra cette dernière à bras ou.

verts; et si 100,000 à 200,000 hommes débarqués sur la côte du golfe de Finlande m archaient sur Pétersbourg, la garde qui veille au palais d ’hiver ne le sauverait pas, caries gardes ne sont pas les meilleures troupes. A cela les Russes répondent q u ’ils seraient enchantés de voir Pétersbourg brûler, pour transporter enfin ailleurs la capitale de l’empire.

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C O N F I D E N C E S

(l e t t r e dü n h o m m e dé t a t r ü s s e a l'a u t e u r).

ÈHF3 Saint-Pélersbourg.

Monsieur,

En apprenant que les Polonais se jetaient dans les bras d e l à Turquie, que la France était prête à soutenir contre nou s, un homme haut

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placé ici s’est écrié : « La France est de trop en Europe. » En effet, q u ’est-elle ? conservatrice ou révolutionnaire? Les Français voudraient être li­

béraux, et jouir de la vie en même tem p s; avoir des rentes, beaucoup de rentes, et faire de la pro­

p ag an d e ; être m arquis et sans-culottes à la fois. Cela ne va guère ensemble. Les lords an­

glais font du libéralisme à l ’extérieur plus que chez eux, mais les idées françaises ont une con­

tagion que n ’ont pas les autres.

On n ’aime pas les Anglais à Paris, et on nous donnerait Constantinople si nous pouvions aider à les détruire, à abaisser la morgue britannique.

En ce cas, pourquoi nous avoir fait la guerre pour ce malade qui va assez bien, et pourquoi aujour­

d ’hui le pousser contre nous ? Le Danemark ne nous inquiète pas. Si cette fois nous fermons le Sund à te m p s, chose que nous avons omis de faire lors de la dernière g u e rre , on ne viendra pas nous troubler sur mer. Todtleben est allé fortifier Kertch, et la mer d ’Azow deviendra le réceptacle de tous nos navires de ces parages ar­

més en guerre. A la dem ande de la Porte Otto­

mane pourquoi nous armions de ce côté, nous avons répondu à peu près que nous saurons nous garder de qui nous nous méfions. La Finlande pacifiée ne fera pas cause commune même avec la Suède contre n ous; elle sait ce que son com­

merce gagne par son annexion à la Russie.

A

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On se préocupe ici de la guerre en Pologne moins q u ’on ne parlait ja d is de la guerre au Cau­

case. Quand les alliés viendront aider la Pologne, ils ne trouverons plus de Pologne, On crie fort contre nos cruautés; mais est-ce q u ’en temps d ’insurrection on n'a pas partout saccagé les mai­

sons dont des coups de feu sont partis contre la troupe ? Si la Pologne voulait se séparer entière­

ment de nous en p ren an t un prince allemand pour roi, nous y consentirions. Quant à lui don­

ner le grand-duc Constantin, ce serait encore par­

tie remise. Nos paysans offrent une double capi­

tation p our en finir de nos ennemis.

Nous faisons des pieds et des mains à Paris p our influencer les uns et les a u t r e s , pour con­

trecarrer certains projets. Nos dames se donnent beaucoup de m ouvem ent, nous prodiguons les cajoleries, et nous détestons le prince qui les a appelées des chatteries. Vous n ’êtes pas en odeur de sainteté chez nous non plus. L’ambassade russe à Londres se propose de faire un procès à M. H e r z e n , pour participation à l’enrôlement de volontaires en Pologne. Pareil procès a été ga­

g n é, je crois, aux États-U nis, en 1850. Il nous faudrait avoir un autre jo u rn al à l’é­

tran g e r que Le Nord. Le comte S... est allé à Paris commettre une brochure sur la Pologne. Il a été le rapporteur de notre guerre en Turquie d’Asie. La question de la Pologne n ’est pas

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une question jugée du moment q u ’elle n ’est pas résolue. Nous avons refusé d ’entrer en discussion par rapport aux provinces polonaises ; nous au­

rions fait aussi bien peut-être de décliner tout échange de notes sur la Pologne proprement dite. Ses amis lui ont fait un grand tort. Les Po­

lonais veulent être traités en belligérants, et nous ne pouvons les traiter q u ’en insurgés. S’ils s’en plaignent, c’est parce q u ’ils p n t toujours manqué de prévoyance. Ils ont mis à prix la tête de Mou- rawieff, qui, en l’apprenant, s’est écrié : « Ils don­

neront plus quan d j ’aurai vécu ici un peu davan­

tage. » Il est impossible de pénétrer ju s q u ’à lui, il ne reçoit personne.

Quand nous aurons une constitution, vous n ’aurez plus besoin d’exprimer des regrets pour rentrer en Russie. Fasse le ciel q u ’elle soit plus libérale que celle qui a été projetée par Alexan­

dre Ier, et qui était tout en faveur du despotisme.

Nous n ’aurons une justice q u ’avec une co nstitu ­ tion qui mettra aussi fin au gaspillage des fonds publics.

La Russie, dans son développement actuel, si elle est attaq u ée , enfantera des prodiges. Elle p oursuit sa révolution d ’une manière calme , pacifique et lente, mais elle la p o u r s u it, et ce n ’est pas à coups de canon q u ’on peut lui incul­

quer le principe du respect d ’une nationalité opprimée. Elle peut se séparer de la Pologne

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volontairement, mais c’est méconnaître le carac­

tère du peuple russe que de croire q u ’on peut lui faire la loi. Le tzar lui-mème n ’y peut rien ; c’est au temps et à la civilisation de produire ce résultat. Chaque État a une vie qui lui est pro­

pre, sa dignité et sa susceptibilité. Ce n ’est pas une question de gouvernement, mais une ques­

tion nationale, et, dès que les antres pays s’en mê­

lent, il ne suffira ni de 200,000 ni de 700,000 hommes pour faire la loi à la Russie, qui a eu le temps de se préparer à la guerre. A bon enten­

deur salut. Le rétablissement de la Pologne serait acquis chèrement au prix de l ’anéantissement de la Russie. « Périsse la Russie, et vivent les prin­

cipes! » Mais la Russie, en entrant dans le régime constitutionnel, ne représentera plus le principe de l’autocratie. La guerre activera-t-elle le pro­

grès de notre pays? Elle ne dim inuera rien du dévouement du peuple au trône.

Dans un article que vous avez fait dans le Lea­

der, à l’avénement de l’empereur actuel, le rédac­

teur a ajouté q u ’Alexandre II jouera le rôle d’une mouche sur la balance de Pierre Ier. Je vous promets qu ’il ne se laissera pas écraser comme une mouche. Au revoir...

FIN .

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Biblioteka S lq sk a w Katow icach

ID:0030001532467

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