A C T A U N I V E R S I T A T I S L O D Z I E N S I S
FOLIA LITTERARIA 33, 1992
J Jacques Bailbé
SA INT-AM ANT EN PO LOGN E
Le poète norm and S aint-A m an t (1594— 1661), le ch an tre de la so litu-de, a bien vite rem placé les leçons du collège pa r l’expérience du m onde:
J'ay ve u l'un e et l'au tre H em isph ere; D e m es v o y a g e s on d isc o u r t1.
Il y a puisé le m eilleur de sa cu ltu re, com m e il le constate dans V A v er-tissem ent des O euvres de 1629: „Dieu m ercy, n y Grec, n y mon L atin ne me feront jam ais passer pour P ed an t [...] Il est vray que la conversation fam iliere des homnestes gens, et la diversité des choses m erveilleuses que j ’ay veuës dans mes Voyages, ta n t en l ’Europe q u ’en l ’A frique, et en Г Am érique, jointes à la puissante inclination que j ’ay eue dés m a Jeunesse à la Poésie m ’o n t bien valu un estude”2. Même si les souvenirs précis des récits de voyage ne tien n en t pas une place im portante dans son oeuvre, La Rom e ridicule (1643) ou VAlbion p résen ten t des aspects non négligeables du talen t de no tre au teur. P o u rtan t, c’est le d ernier voyage du poète hors de F rance, le voyage en Pologne et en Suède (1649—-1651), qui ne sera le plus court, ni le m oins pénible, qui a suscité son plus grand enthousiasm e. La Polonaise en form e d ’ép ître de sizains irréguliers, La V istule sollicitée, La G énéreuse, et le M oyse sauvé (1653), dédié „А la serenissim e reine de Pologne et de S uède” nous p erm etten t de m esurer, chez S ain t-A m ant, ce „sarm ate français”, combien la poésie inspirée par la Pologne s’accom plit dans le rêve, dans la réalité et dans l ’idéalisation du souvenir.
M arie de G onzague devient, le 5 novem bre 1645, Louise-M arie reine de Pologne. Elle q uitte P aris le 27 pour entrep ren d re, en pleine m auvaise saison, le long voyage qui devait la conduire dans son nouveau pays.
1 O e u v r e s , S.T.F.M., t. 4, p. 139. 2 I bid e m , t. 1, p. 21.
A vant son départ, elle avait désigné S aint-A m ant pour une charge de gentilhom m e de la Cham bre. Celui-ci ne p erdit pas le tem ps pour célé-brer sa nouvelle p ro tectrice3. D ans VEpistre à l’H yver, sur le voyage de sa serenissim e M ajesté en Pologne (1645), il adresse une requ ête p ressan-te à l ’hiver pour q u ’il se m ontre clém ent au m om ent où une „Déesse” va p arcou rir son em pire, et il fait un éloge obligé des a ttra its et des ve rtu s de la Reine, tout en in diq uan t les reg rets que ce dé pa rt cause à la Cour:
T ou te la Cour, où sa v ie a do rab le L aisse u ne odeur d iv in e et perdurable, L'a de s-ja m ise au C hem in d ésiré ; Et tou t P aris e n r ev ie n t esp loré'1.
Les supplications du poète ne fu re n t pas exaucées: sur les chem ins de la souveraine, les zéphirs ne faisaient pas croître l’oeillet, la rose et le jasm in, si l’on en juge p ar la Relation du voyage de la R eyne de Polo-gne, publiée en 1647 par Le L aboureur: „les canaux gèlent, les chemins sont couverts de neige, et les voyageurs, qui tro uven t souvent à l’étape un gîte des plus inconfortables, sont fort h eu reu x de recevoir à la fin de janvier, un peu ap rès avoir qu itté Rostock, un lot de fo u rru re s en -voyées par le roi L adislas”5.
Le désir du poète de se ren d re à la cour de Pologne est tellem ent vif que le rêve se précise de plus en plus. Ainsi, dans l’-Epistre diversi-fiée à M. D es-N oyers secretaire des com m andem ens de la Serenissim e Reine de Pologne, écrite à Collioure en 1647, ap rès une description des C atalans, de leurs m oeurs, il renonce soudain à être „S atirique agreable et cu isan t”, et se propose de se conform er à la „Polonoise m ode” :
Si la V is tu le à m es y e u x se fait voir, Com m e le C iel m 'en a d o n n é l'esp oir, D e m e v e stir en n ob le e t fier Sarm atę D'un beau V e lo u r s, don t C oule ur e sc la te , Q ui g r a v e et lon g , sur un P oil p r é c ie u x, R ende m on port su p er b e et gra cieu x;
D ’arm er m on flanc d'un co ur b e e t r ic he Sabre D e m 'agrandir sur un Turc qui se cabre; D e transform er m on F eu tre en un Bon net Q ui tie n n e chaud m on C rane r azé net; D e su iv r e en tout la P o lo n o is e m ode Jusqu 'à la B otte au m archer incom m ode ; Ju sq u 'au x F estin s, où tu dis qu’on boit tant,
3 V oir J. L a g n y, Le P o è t e S ain t-A m ant, N iz e t 1964, pp. 330— 347. 4 O eu vre s..., t. 3, p. 177, v v. 149— 152.
Et dont l'e x c è s m ’e sto n n e e n m e flatant;
Bref ju sq u 'a u x m oeurs: et m esm e je m 'e n g ag e, J u s q u ’à c e poin t d'apprendre le la n g a g e , D e le polir, de m 'y traduire e n V ers, D'un s tile haut, m agn ifiq u e, et divers; Si qu e de tou s, e n la Cour flo r issa n te D e n o str e R e in e a d orab le et pu issan te, Et pour qui s e u le au M onde je n asq u y, Je so is nom m é le gr os S aln t-A m a n tsk y6.
Le voyage en Pologne, c’est, nous d it-il encore, „le beau C hem in que m a gloire d em an d e”7. De m êm e, d an s u ne é p ître en prose, adressée A M onseigneur le com te d ’A rpajon po ur lu i déd ier la troisièm e p a rtie de ses O eu vres (1649), S a in t-A m a n t fait é ta t des „p uissantes ob lig ation s” d on t il est red ev ab le e t qui re p ré se n te n t sans d o u te ce que le poèts a tten d ait: une in vitation d e la Reine, ,,sa ra re e t divine M aistresse”, à se re n d re s u r les bords de la V istu le8. S a in t-A m a n t choisit po ur dé dicataire celui qui rev e n a it p récisém en t de Pologne, chargé de p o rte r le coilier de l ’O rd re a u roi Ladislas.
A u mois d ’octobre 1649, S ain t-A m an t se m it en r o u te p ou r la P olo-gne, et nous pouvons le su iv re dans son itin éra ire . Il é ta it m u ni d ’un sau f-c o n d u it q u ’il s ’é ta it p ro cu ré com m e g en tilh om m e de la re in e de Pologne. Cela ne l’em pêcha pas d ’ê tre a rrê té à S aint-O m er, ainsi q u ’il le raco n te dans l ’é p ître de dédicace du M oyse s a u v é : „L ors q u e m ’en a lla n t en Pologne, pour re n d re mes tre s-h u m b les et tres-fid elles devoirs à V.M. et p our lu y p o rte r ce q u e j ’avois déjà fa it de cette Piece, je fus p ris par la G arnison de S aint-O m er; sans d oute q ue si je n ’eusse dit au ssytost, qu e j ’avois l ’h o nn eu r d ’e stre un des G entilsh om m es de sa C h am bre, et qu e je ne m e fusse com m e rev e stu de si belles et de si fortes arm es, je n ’au rois jam ais pû p a re r ce coup d ’in fortun e, je courois risq u e de p e rd re la vie, et le Moyse sauv é estoit le Moyse p e rd u ”0. La Polonoise con tien t le réc it circonstan cié du voyage ju sq u ’à l’a rriv é e à Varsovie en m ars 1650, p e n d a n t le ru d e hiv er de 1649— 1650, d ’A n vers à A m sterdam , puis de H am b ourg à Lübeck. S u iv an t la ro u te de Louise- -M arie, et ap rè s une série d ’étap es précipitées, il p a rv in t à S te ttin:
Ma h as te à gran ds c ou p s d'estoc P erça V ism ar, et R ostoc;
J'en filay S tettin en su ite , O ù m ie u x qu e je n 'e u sse crû
6 O eu v res..., t. 3, p. 203, v v . 351— 372. 7 Ibidem , p. 209, v. 494.
8 Ibidem , p. 122, 129. ° Ibide m , t. 5, p. 2.
A u tre Liqueur q ue l'Eau c u itte Refit l'A pp olon rec rû10.
Il trav erse en suite la P om é ra nie occidentale, deven ue p rovince suédoise, à tra v e rs les m arécages et les in term in ab les forêts, peu ra ss u ra n te s si l ’on en cro it Le L abo u reur: „Le pays estoit to u t co u v ert de coureurs, q ui forçoient jusqu es au x ch asteau x de com pagne; et nous trouv io ns q u e l-quefois des quinze e t v in g t corps m orts dans les bois”11. A rriv é à G dańsk vers le 20 décem bre, il y séjo u rn e deux mois:
D anzic, du haut d'une Tour M 'offrit son am ple Séjour; J'en sa liia y la C ontrée Sou s le S o lstic e h yv e r n al.
A près avoir fêté le m ard i gras, il en r e p a r tit le m ercred i des C endres (3 m ars 1650), et com m e il avo it jadis visité G alilée à Sienne, il fit un d étou r p a r T horn pou r un p è le rina g e au tom beau de Copernic:
Le R e gn e m aigre venu, Je cen d r ay m on p oil chenu; P uis, entr e, jo y e u x et m orne Du tem ps, e ntre laid et be au , Je m 'en a lla y voir à Thorne Le C op ern iqu e Tom beau. C e d oc te M aistre Tourneur Y tourne a ve c grand honneur; D ans le M arbre qui l ’e nser re Il e st c ou c h é g ravem en t,
Et son corp s tr ou v e en la Terre Le repos au m o u v em e n t12.
Q uelques jou rs plus tard , il p a rv in t à Varsovie, plus de cinq mois après avoir q u itté la F rance. Les souv erains lui ré se rv ère n t un excellent accueil:
Je p arvin s à V arsovie; Et l'on m ’y r ec e u t si bien, Q ue de c rain te de l'En vie M on bon-heur n ’en dira rien.
Les accents de la ly re du poète é m u re n t à ce point la re in e que l ’en fa nt q u ’elle p o rta it en son sein en tressaillit:
10 Ibidem , t. 4, p. 96, v v . 139— 144.
11 Re lation du v o y a g e d e la Re y ne d e P olog ne , pp. Le Laboureur, 1647, p. 119. u O eu v re s... , t. 4, p. 102— 103, v v . 253— 256, 277— 288.
Les p u issa n c e s d e ce bruit Esm urent son n o b le Fruit: Il tr e ss a illit d 'a lle g r es se A l'o r a c le de m e s V ers, Et confirm a la G ro s se s se Q ui su sp en d o it l'U n iver s18.
S ain t-A m a n t q u itte V arsovie v ers le 15 septem b re. Il s’em b arque su r la V istule p o ur descend re le fleuve ju sq u ’à G dańsk, et de là passer en S uèd e pour anno ncer la naissan ce royale. D ans La V istu le sollicitée pour u n voyage de V arsovie à Danzic (1650), il fein t de s’ad resser à ce fleuve et lui dem an de de fav oriser son voyage. Il rapp elle , à ce tte occasion, les d a ng ers que lui o n t fait co u rir les ondes de la Seine. E tait-il las des fatigues du séjo ur, ou a sp ira it-il à rev oir les rives de la Seine? S ain t- -A m an t m et son d é p a rt su r le com pte de la poésie, comm e il le dit dans l ’ép ître du M oyse sauvé:
Je r econ n u s enfin qu e les M u se s de la S e in e e s to y e n t si d é lic a te s q u 'elle s ne m av o y e n t pû su iv r e dans un e si p en ib le et si lo n g u e Course; qu e la fatigu e du Chem in le s a vo it e sto n n é e s, et q u 'ab solu m e nt il m e falo it u n e Re traite solita ir e et n atu re lle où c e s b e lle s V ie r g e s h ab itas se n t, pour ve nir-à-b o u t de c e q ue j'avois p roje tté. C ’e st ce qui m e fit r eve nir en F ra n ce 11.
C om m ent S a in t-A m an t a -t-il vu la Pologne et les Polonais? Si, après un long tra je t, le séjou r à V arsovie n e fu t qu e de cou rte durée, il lui é ta it difficile, ap rès les déclaration s enflam m ées de l ’E p ître diversifiée, de b aisser le ton. A ussi faitil, avec quel lyrism e, les louanges de la P o -logne et celles de sa condition présen te:
U ne R ein e m 'y r etie nt,
Q ui com m e un R oy m 'en tretien t: Je su ie au ssi frais qu'un M oin e, J e n ag e dans le s d ou ceurs, Et fay g aign e r son a v o in e A u bon Bayard d es N eu f-S oeu rs. N arg ue , du Sort ind igen t,
M on p ié m arche sur l ’argent: Et ma m ain, m on esp atu le , D e l'or fait si peu de cas, Q ue je fa y sur la V istu le D e s ric o ch e ts d e d u c as15.
S u r un ton d ’am u san t badinage, il se déc rit en o pu len t seign eu r de la
13 Ibidem, p. 104, v v . 291— 294, 307— 312. 14 O e uv re s. .. , t. 5, p. 3.
Cour de V arsovie, et il voit la réalisation de ce q u ’il im ag in ait av a nt son d ép a rt:
J'en a y m anc hons, m ou ffle s, gan s, Et b on n ets, de s plu s fringans: Et so u s l'h orrible C asaqu e D e q u oy tu m e v is m eub ler, ft y tartare, ny C o saq u e N e m e feroit pas tr em b le r10.
On re m a rq u e su rto u t q u ’il p arle avec u ne p artic u liè re bien veillan ce de la Pologne. L es critiq u e s q u ’il fo rm u le co n tre l’Italie et co ntre l ’A n-g lete rre, dans La R om e ridicule et dans L ’A lbion sont violentes, m êm e s ’il fa u t te n ir com pte des e x ag ération s in h ére n te s au ge nre s a tiriq u e et a u x „caprices” du poète. Sans d ou te a -t-il p lu sie urs griefs con tre Rome: la ch ale u r, le vin m édiocre, un e n o u r ritu re détestable, un co n fo rt in e x i-sta n t. Mais il sa it ap p récier les sp len d eu rs de la R ome a ntiq ue , et il donne, selon le m ot de T héoph ile G au tier, „une e xcellen te leçon aux to u ristes trop en th o u siastes” 17. De l ’A n gleterre, e n traîn é p ar ses r a n c u nes, il nous p ré se n te un tab le au dont le fond de v é rité se tro u v e sy s té -m a tiq u e-m e n t trav esti: un pays où l ’on a fait -m ain basse su r sa bourse lo rs q u ’il a v ait un peu tro p bu. D ans L e Passage de G ibraltar, il co ndam -n e les Espag-nols „do-nt l’am bitio-n est plu s g ra-n d e qu e la T e rre, et à qui les n o u v e au x M ondes ne s u ffisen t p a s”18. Rien de tel po ur la Pologne, q ui lu i p e rm e t de m e ttre en p ra tiq u e cette a ttitu d e de bon accueil et de toléran ce q u ’il sav ait fo rm u le r à ses heu res:
Q uand j ’a y tout ve u , je tro uv e, à le b ien prendre, Q u e peu de c h o s e au M onde e st à rep rend re, Et q u e l'u sa g e en c ha qu e N a tion
P orte a ve c s o y so n A p p r ob atio n 18.
C ertes, pour m ieu x m a rq u e r sa reco nnaissance de l ’accueil m agnifiqu e qui lui a v ait été réservé, il n ’é v ite pas to u jo u rs les faiblesses du gen re conventionnel. P a r exem ple dans l ’éloge d ith y ra m b iq u e des q ua lité s p h y -siqu e et m orales de la reine de Pologne:
Un rare O bjet, qu e le C iel m esm e adore, U n e D e e s se , un M iracle charm ant,
16 I bid e m , p. 93, v v . 73— 78.
17 L es G r o te s qu e s , éd. C. R izza, S c h e n a -N iz e t 1985, p. 218. 18 O e u v re s ... , t. 2, p. 158.
D on t sur la T erre e st le seu l d ign e Am ant Le p lu s a u gu ste , et le plu s grand M on ar qu e10.
D ans La V is tu le sollicité, pour dire qu e la re in e a so u ffe rt d ’un accès de fièvre, il se g uindé dans u ne a ccum ulatio n de lieux comm uns:
Et q u o y qu'un dur m e sla n g e et d e g la c e , et d e braise, U n a c c è s p a sle , et rou ge, en L o u ys e en fe rm é,
A it e sm û q u e lq u e s jou rs so n alb a stre anim é81.
L a fla tte rie co u rtisan e se déploie aussi, comm e dans divers poèm es de circonstance, p ar ex em ple S o n n et sur la sa nté pour le second m ariage de la R eine de Pologne, S o n n e t sur les prochaines couches de S.M .P; S o n n et sur la naissance du P.D .P.2- Le sie ur d u Teil, à la fin d ’un son-n e t q u ’il adresse A.M . de S. A m a son-n t sur soson-n voyage de Pologson-ne et de S uèd e ne co n statait-il pas:
D an s la F rance au tr efois le s hom m es com m e to y J u stem e n t h o n no rez d e s c a r e s se s du R oy,
N e v o y o ie n t p as lon g -tem p s frustrer leu r e sp e r an c e, M aie au jou rd 'hui la Cour fav or ab le à d es sots, A fait qu'un S. A m ant, ô h on te d e la F rance, A tr ou vé son b onheu r au R oyau m e d e s G o tsas.
D ans les descriptions, où il excelle, il évoque des paysages v o lo n ta i-re m e n t em bellis p a r sa fantaisie: les v astes plaines où lu it „C erés avec m a je sté ” , ces forêts qui ra p p e lle n t les stro ph es de La Solitude:
U n e ta citu r n e horreur En au g m e n te la terreur: Et la noir e S olitud e
Qui dort en c es Bois e sp ais, F ait q u 'a vec in q u ie tu d e On y v o it leu r triste p aix ,
ces m auvais gîtes q ui re n o u v elle n t les thèm es de La C ham bre du déb a u-ché**.
L ’im ag inatio n du poète est h an tée, on le sait, p ar l ’eau et ses reflets. S ’a d ressa n t à la V istule, il annonce le ton de La Sein e e xtra va ga n te (1658) grâce à une lég èreté so u rian te et sp iritu elle , il donne u ne p itto -re sq u e description du c h âteau de Varsovie:
20 I b i d e m , p. 172, v v . 26— 30.
21 O e u v r e s . . . , t. 4, pp. 85— 86, v v . 206— 208; c f . Mo y s e s a u v é , p. 69, v. 215. 22 O e u v r e s . . . , t. 4, p. 106, 110, 197.
28 N o u v e a u r e c u e i l d e d i v e r s e s p o é s i e s d u s i e u r d u T e i l , Paris 1659, p. 98. 21 O e u v r e ' s . . . , t. 4, p. 92, v . 43; p. 101, v v . 235— 240; p. 98, v. 176,
Et r e v e n o n s à toy, N ym p h e d e c e grand F le u v e , A qui m on o e il de m an d e, au p ie d de c e C h aste au, Le com m od e se c o u r s d ’un a g ile Bateau.
Les N a y a d e s te s S oe u r s, d an s leu r s G rotte s flù ïd e s , Bru slen t d e se c h an ger en gr an d e s N e r e id e s 28,
C ’est une esth étiq ue de la diversité et de la liberté d ’inspiration qui lui p e rm e t de faire „briller ses pensées”28 et „d’im prim er dans l’âm e des images plus parfaites que ne sont les objets m esrnes”27.
R em arquons su rto u t le p o rtait q u ’il trace de lui-m êm e avec beaucoup d ’hum our: il fait „des ricochets de ducas” sur la V istule, il se voit tra n sform é en „gros SaintA m an tsk y ” . Ailleurs, dans son oeuvre, il se p ré -sen te à nous sous les traits de Don Q uichotte, du Paresseux, du Fu m eur, de l’Enam ouré, du D ém ocrite n orm and. S ’il trace son prop re p o rtra it avec tan t d e désinvolture, c ’est p our sourire de sa m élancolie et tro uv er la sérénité dans la constatation d ’une instabilité com m une à tous les hom -mes. La fantaisie lui perm et de pren d re ses distances vis-à-vis du réel, et de m esu rer ce qui le sépare des m irages dans lesquels il pense d ’o rd i-n a ire se recoi-ni-naître.
Mais, dans La Polonaise, il ne fau t pas oublier les reproches q u ’il adresse à D esportes en s’a ttac h a n t à souligner d eux a ttitu d es opposées dans la conception du voyage et de la poésie. En effet, le 24 janv ier 1574, D esportes accom pagne le duc d ’A njou en Pologne, et il a tte in t C ra -covie, où H enri fit son entrée le 18 fév rier 1574. Obligé de subir les assauts d ’un h iver rigoureux, de se contenter d ’habitation s paysannes et de m ets grossiers, ainsi que de ces „poeles” où l ’on s’entassait, il était pressé de fu ir le „pays des S arm ates” . C’est dans l 'A dieu à la Pologne q u ’il exprim e sa rancun e contre un pays qui lui a fait perdre n eu f mois de sa jeunesse:
A d ie u , P olo gn e, ad ie u , p la in e s d e se r te s, T ou jou rs de n e ig e et de g la c e c ou ve rte s. A d ie u , p ay s, d'un é te r n e l adieu!
T on air, te s m o eu rs, m 'ont si fort s c e u d e sp la ir e Q u'il faud ra b ie n q u e tou t m e so it contr aire, Si ja m ais plu s je re tou r n e e n ce lieu .
A d ie u , m aison s d'ad m ir ab le stru ctur e, P o is le s , ad ie u , qui dan s v o str e c lo stu r e M ille an im au x p e s le -m e s le e n ta sse z ,
F ille s, g ar ç o n s, v e a u x e t b oe u fs to u t en se m b le ! U n te l m e sn a g e à l ’â g e d'or r esse m b le ,
Tant r eg r etté par le s s ïe c le s p a s se z . [...] 25 I bid e m , pp. 79— 80, v v . 58— 62.
26 Ib ide m , t. 1, p. 50, v. 27.
... Barbare p e u p le , arrogan t et v o la g e ,
V an te u r, cau se u r , n ’a y an t rien qu e la n g a ge , Q ui, jour et nuit, dan s un p o isle en ferm é , Pour tout p laisir se jo u e a v e c un ve rr e, R on fle à ta b le ou s'end ort sur la terre,
P u is c om m e un M ars v e u t e str e renom m é . (...) ... Si v o s tr e ter re e sto it m ieu x c u ltiv é e ,
Q u e l'air fu st d ou x, q u 'e lle fust a b r e u v é e D e clair s r u isse au x , r ic h e en b o n n e s c ite z, En m ar ch an dise, en p ro fo n d es r iviè re s,
Q u 'elle e u st d e s v in s, d e s ports et d e s m in iè re s, V o u s m e s e r ie z si lo n gte m p s in d o m p te z...28.
Ju g em en t superficiel, fondé sur des observations de courte durée, et pen d ant un rud e hiver. D esportes dépein t de m anière carica tu rale la vanité, la v antardise, l’in stabilité des h ab itan ts et leur goût im m odéré des boissons. Son poèm e en traîn a des répliques sévères dans la Réponse faite par un Polonais à un digne Français, dans le poèm e Gallo croci- tanti, de Jean K ochanow ski2*. La célèbre villanelle de D esportes „Rozet- te, pour un peu d ’absence” sem ble faire allusion à ce tem ps perdu d ’un exil en Pologne.
S aint-A m ant, quelques soixante dix ans p lus tard , donne la rép liq ue à D éportés, dans La Polonoise. Loin d ’ê tre choqué par les beuveries des Sarm ates, il garde de leu r pays un souvenir délicieux dont il nous tra n s -m et l’écho:
C 'e st, ch er T he and re, un p ay s Où p lu sieu r s so n t e sb a ys:
M ais pour C e u x a u x p a n c e s fo rtes D an s le s Brindes ob stin ez ,
Q u oy q u'en ait c h an té D e sp o r te s, Ils n ’y son t p oin t e sto n n e z . C 'e sto it un M ign o n d e Cour Qui n e r ésp iro it qu'am our: Il se n to it le m u sc e t l'am bre. On le v oit b ie n à s e s V ers; Et ja m ais so if en sa Ch am bre N e m it b o u te ille à l ’e n v e rs . C e G en til, c e D am eret N 'e n tr oit p oin t au Cabaret: La se u l O nd e a g an ip id e Luy fa iso it faire de l'eauf Il l ’aym o it, et l'in sip id e F u y o it R on sard, e t B ellea u.
28 O e u v r e s , éd. A . M ich ie ls, D e la h a y s , P aris 1850, pp. 424— 425.
R egnie r, son rare N e v e u , S 'e n ten d oit m ieu x à c e jeu: Et s'il e u st v e u c e tte Terre, O ù B ac chu s est en credit, Je jure rois sur le V erre C u'il n'en aurait pas m édit. N o n qu e du c he r Bois tor tu S'y n ou rrisse la vertu:
M ais le Serm ent d e H ongr ie N o u s fou rnit d 'une Liqueur Q ui fait qu'à T ab le je crie
M asse, e t T opp e, de grand c o eu r 30.
Car l’inspiration bachique stim ule l’élan ly riq ue du Poète. Quand il raconte ses voyages, il se plaint ou se réjouit, selon le cas, des boissons q u’il a pu goûter. D ans Le Passage de Gibraltar, il célèbre le „vaillant h a rco u rt” :
D es-ja sur haut de la p ou pp e, Pour m e p ié g er il prend sa c ou p p e O ù p é tille et rit Le N ectar,
Et s'e sc r ia n t M asse à la troupp e, Sa v o ix e s to n n e G ibraltar31.
En A ngleterre, il m entionne le C abaret
O ù le Blanc, où le C lairet V oit sa g lo ir e fr e la té e 2*.
et à Rome il ne trouve
... q ue du v in noir,
Ou du vin jau ne, d o u x et fade, Q ui la it re c h ign e r l'e n ton n o ir1*3.
Chez S aint-A m ant l’inspiration bachique perm et de signaler la poésie de verve et de caprice, sem blable à l’ivresse rabelaisienne des Propos des bien ivres. C ette poésie n ’est pas celle de Desportes, qui se voit con-dam né pour avoir m al com pris la Pologne, et pour être le repré sen ta nt su rann é d ’une poésie fade et sans âme. L ’inspiration bachique exprim e donc à la fois, dans La Polonoise, un auth en tiq u e art poétique et un art de vivre.
30 O e u v re s . .. , t. 4, pp. 90— 92, v v . 13— 42. 31 I bide m , t. 2, p. 173, v v. 158— 162. 32 I b i d e m , t. 3, p. 310, v v. 534— 535. 33 I b i d e m , p. 52, v v . 668— 670.
Le voyage de Pologne est enfin idéalisé par le souvenir, notam m ent dans La G énéreuse (1658) q u ’ il se décide à écrire en ap p ren an t les d é-tails des com bats qui se d éro ulèrent devant V arsovie au cours de l’été 1656. S aint-A m ant p ut lire le récit des événem ents dans la G azette où il suivait avec attention les nouvelles de Pologne. La G énéreuse, c’est l’incom parable Louise, et le poèm e est écrit pour la plus grande gloire des souverains polonais. La p einture de la bataille de Varsovie ne m an -que pas de relief:
Q ui vit jam ais rien de su pe rb e C om m e c e terr ib le ap pare il O ù le fer r e n v o y e au so le il
L'or dont il pe in t l'ém ail d e l'h e r b e !»
Louise voit p araître d u ran t son som meil une vision angélique, celle de son enfant décédé, qui vien t lui prédire la victoire „de la p a rt du grand Dieu des D ieux” et lui décrit son bonheur céleste:
Pour m oi, dans u n e p le n itu d e
Q ui bien qu e b a sse , e st sa n s défaut, je m 'en r e v a y jo ü y r Là-haut
De ma sim p le b e atitu d e ’6.
Et le poème s’achève par deux strophes qui ex prim ent le sp iritu ali-sme chrétien:
L'Hom me n’e st point fait pour la Terre; Bien qu'il en soit fait et sor ty...
tl e st né pour le s C ie u x , il y doit asp ir er 86.
On y retrou ve le ton des Stances à Corneille, où S aint-A m ant souhaite que l’im itatio n de son am i Corneille soit lue par la reine de Pologne:
Ha! q u ’il fau t bien q ue m a P rinc esse ,
M on a u g u ste LOUYSE, h onne ur d es D ieu x-H u m ain s, V o y e en se s p r e c ieu s e s m ains
C es Tr esors q u ’à D ieu se u l ta r ic he M u se a d r e sse !87
C’est aussi dans La G énéreuse q u ’il découvre, em belli par le souvenir le paysage q u ’il a contem plé au cours de son voyage: „les beaux Cham ps de Varsovie”, ses parcs
81 I bide m , t. 4, p. 28, v v . 334— 337. 85 Ibide m , p. 51, v v. 847— 850. sc I bide m , p. 58, v. 1009, 1013. 57 I bide m , p. 224, vv. 343— 346.
... c e s Lieux jadis si b eau x Où tou s le s c e le s te s F lam b ea u x S e m b loye n t sou srire à la N atu re ,
La „V istule ay m ée” , et
... c e s c o u la n te s Eaux
D 'où P rague, non loin de s r oseau x, R egarde V a r so v ie en face,
Et d'où j'ay vu nager en la tr om p e u se G lace Les P o is son s d e ssu s le s O y s e a u x 8®.
Idéalisatio n qui ap p a ra ît aussi dans le M oyse sauvé (1653), dédié A la Seren issim e R eine de Pologne et de Su ède q ua nd S a ind -A m an t cherche à se faire valoir au p rè s de sa p ro tec tric e et à lui m o n tre r sa recon aissan - ce p ar une oeu v re plus im p o rtan te que les p récéd en tes. Le poèm e con-tien t un p etit nom b re d ’allusions au couple ro yale polonais, m ais le p o rtra it et le c ara ctère de la p rincesse T e rm u th o ffre n t q u elq u e re sse m -blance avec ceux de M arie de Gonzague:
U ne dém arch e au g u ste, une pom p e m od e ste O rnoit sa M aje sté d'un ce rtain air c e les te: L'habit en e sto it gr av e, et l'o b sc u r e c ouleu r On d isoit clair em e n t la se c re tte douleur. M ais m algré le s efforts de la m e lan c o lie , M algré s e s tr istes soins, e lle n e la is s o it pas D e ravir tou s le s coe u rs a v e c s e s d ou x ap pas8“.
A joutons que le so nn et lim ina ire du M oyse sauvé co n tien t un m ag ni-fique éloge de la souveraine:
REINE, dont le s v e r tu s b au te s et g e n e r e u se s, Sur un T rosne sa cr é br ille n t p lu s v iv em e n t Q ue c e s F eu x im m ortels qui dans le Firm am ent M arquent en C h iffres d'Or le s fortu n e s h e u r e u se s40.
L e voyage en P ologne m arq u e donc un e époque im p o rta n te de l ’e x ist-ence m ouv em en tée de S a in t-A m an t. L ’accueil c h a le u re u x q u ’il y re ç u t lu i fa it o ublier les m auvais so uv enirs d ’a u tre s expéditions. D ans un pays où „B acchus est en c ré d it” , et où on n e se lasse pas de d ég u ster un ex cellent vin de H ongrie, le poète de La V igne ou de La Débauche p eu t à n ou veau proclam er, c on tre D esportes le „ d am e re t”, les v e rtu s de la
38 Ibide m , p. 16, v. 70; p. 21, vv . 185— 187; p. 22, v. 208; p. 35; v v . 482— 486. 80 I b id e m , t. 5, p. 221, v v . 397— 404.
fu re u r poétique. C’est à la rein e de Pologne, „La Pologne où je suis lib re ” , avo ue-t-il, q u ’il dédie sa g ran d e oeuvre, le M oyse sauvé, qui d ev ait assu re r sa gloire d ev an t les g én ération s fu tu re s.
U n iv e r sité d e P aris-S orb o n n e F ran ce
J a c q u e s B ai lb é
S A IN T -A M A N T W POLSCE
T r eścią a rty k u łu je st p o d róż d o P o lsk i, k tó rą o d b y ł n orm a n d zk i p o eta S uint- -A m an t, ż y j ą c y w la t a ch 1594— 1661.
S a in t-A m an t od d a w n a f a sc y n o w a ł się k u ltu rą sło w ia ń s k ą , a w s z c ze g ó ln o śc i p o lsk ą. W y ja zd d o w y m a r zo n eg o kraju m o ż liw y b y ł je d n a k d z ię k i M arii d e G o n za - g u e, p rz y sz łe j k r ó lo w e j P o lsk i, k tóra p o w ie r z y ła p o e c ie fu n k c ję n a sw o im d w o rze. J e sie n ią 1649 r. S a in t-A m a n t u d a je s ię w p o d ró ż i p o o k o ło p ó łr o c zn y m p o b y c ie na d w o rze k r ó lew sk im w y j e ż d ż a d o S z w ec ji.
T w ó r c z o ść j e g o w ty m o k r e sie p ełn a j e st d y t y ra m b icz n y ch p o c h w a ł d la k r ó lo -w ej, d la d -w o ru oraz u r o k ó -w n a d -w iś la ń s k ie g o k rajob razu .
In sp ira cja b a ch ic zn a p o z w o liła S a in tA m a n to w i stw o rz y ć p o e z ję ż y w ą i p r z e c iw -sta w ić ją p o e z ji D esp o rte s'a . N a sz c z e g ó ln ą u w a g ę z a słu g u j ą p o em a t y La P o l o n o i se oraz La G é n é r e u s e (ten o sta tn i n a p isa n y w 1658 r.). D z iełem , k tór e m ia ło g o u n ie -śm ier teln ić , b y ł M o yse s a u v é .