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Histoire des papes depuis la fin du Moyen Âge : ouvrage écrit d'après un grand nombre de documents inèdits extraits des archives secrètes du Vatican et autres. T. 6

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(1)

HISTOIRE

Dr L. PASTOR ' ET FURCY RAYNAUD

HISTOIRE

DES PAPES

DEPUIS LA FIN DU MOYEN AGE

DES PAPES

DEPUIS LA FIN DU MOYEN AGE

OUVRAGE ÉCRIT D’APRÈS UN GRAND NOMBRE DE DOCUMENTS INÉDITS EXTRAITS DES ARCHIVES SECRÈTES DU VATICAN ET AUTRES

LE D‘ LOUI S PASTOR

P R O C E S S E U R A L * U N I V E R S I T É diN N S B R U C K

TRADUIT DE L ’ALLEMAND

P ar FIJRCY RAYNAUD

TOME SIXIEME

P A R IS

L I B R A I R I E P L O N

L E S P E T I T S - F I L S D E P L O N E T N O U R R I T

IM PRI M EU RS - É D IT E UR S — 8 , RU E GARANCiËRH, 6"

5 ' édition

(2)

I

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À

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(5)

HISTOIRE DES PAPES

D E P U IS LA F IN DU MOYEN AGE

(6)

Ce volume a été déposé au ministère de l’intérieur (section de la librairie) eu février 1898.

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HISTOIRE

DES PAPES

DEPUIS LA FIN DU MOYEN AGE

o u v r a g e é c r i t d'a p r è s u n g r a n d n o m b r e d e d o c u m e n t s i n é d i t s EXTRAITS DES ARCHIVES SEC RÈTES DU VATICAN ET AUTRES

P A H

LE D" LOUIS PASTOR

P R O F E S S E U R A L ’ u N I V F n S I T fc diN N S B R Ü C K

T R A D U IT DE L'ALLEMAND

P a r

FURCY RAYNAUD

TOME SIXIÈME

C I N Q U I È M E É D I T I O N

P A R I S

L I B R A I R I E P L O N

P L O N -N O U R R IT e t C , IM P R IM E U R S -É D IT E U R S 8 , Il DE G A H A N C 1 È 11 il 6°

1924 Tous droits réservés

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Droits de reproduction et de traduction réservés pour tous pays.

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(9)

HISTOIRE DES PAPES

LIVRE IX

A L E X A N D R E V I ( 1 4 9 2 -1 5 0 3 ) ( S U I T E )

V I

SAVONAROLE E T ALEXANDRE V I.

P lu s devenait évidente l’inanité des espérances données p a r A lexandre VI p o u r la réform e de l’Église, plus les regards des peuples d ’Italie se to u rn aien t vers l’élo q u en t dom inicain, en qui tout contrastait de la façon la plus tran ch ée avec l’es­

prit de la R enaissance an tich rétien n e, cet esprit qui ten d ait à tran sfo rm er le ch ef de l’Église en un prince sécu lier et dont A lexandre VI était la personnification *.

Dans la b rillan te ville de F lo ren ce, si profondém ent co r­

rom pue p ar les Médicis, peuplée de « philosophes païens, de viveurs, d ’artistes, de b anquiers et de m archands, de politi­

ciens et de critiques ra ffin és2 », Savonarole avait provoqué, au moins m om entaném ent, un m ouvem ent de re to u r

à

des m œ urs m eilleures, que rien n ’eût pu faire prévoir Aussi bien des gens étaient-ils disposés à attendre de lui la réform e de R om e, d ’au tan t plus q u ’il ne cessait de ré p é te r que F lo­

rence, « cœ u r de l’Italie », était appelée à ré p an d re su r le

1 Fïuntz, Sixtus IV 9 p. 56. Voy. t. V, Intro d u ctio n , p . 168, 179 et suiv.

* Gregorovius, t. V il, 3e éd it., p. 40V (4e é d it., p. 410).

V I . I

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î

m onde la lum ière qui le re n o u v e lle ra it1. La nécessité absolue d ’une réform e de R om e, du P ap e et de la curie était un de ses thèm es favoris. A la cour des Borgia, on s’inquiétait peu, ou, po u r m ieux d ire, on ne s’in q u iétait n u llem en t des h a r­

diesses de langage du dom inicain de F loren ce : elles lais­

saient en particu lier A lexandre VI parfaitem en t indifférent.

Du m om ent que le m oine de Saint-M arc n ’attaq u a it aucun dogm e essentiel, il ne venait m êm e pas à l ’idée du P ape d ’en trav er la liberté de sa parole. Si Savonarole avait su se re n ferm e r dans son rôle de religieux et de p ré d ic a te u r, il est à peu près certain que ses dém êlés avec A lexandre VI ne se fussent pas produits *. M alheureusem ent po u r lui, il n ’en fut pas ainsi; em porté p a r son im agination ard en te, il se lança de plus en plus dans la politique et fournit lui-m êm e à ses ennem is des motifs plausibles de réclam er l’intervention du P ape.

Savonarole fut, un m om ent, en passe de devenir « roi de F lorence «, et p o u rtan t il avait à com pter avec des ennem is nom breux et p uissants; c’étaient d’abord P ie rre de Médicis e t ses partisans, puis tous les adversaires de la constitu­

tion dém ocralico-théocra tique et de la rigoureuse police des m œ urs introduites sous son influence, com posant le parti auquel on donnait le nom d ’A rrabiati, ou enragés, p a r opposi­

tion à celui des F rateschi (sequelle des m oines) ou P iagnoni (sobriquet qui signifie pleurards, ou so u p iran ts, parce q u ’ils se lam en taien t de la corruption des tem ps) ; c’étaient, enfin, toutes les puissances italiennes, résolum ent engagées dans lu politique antifrançaise. Cette politique était aussi celle du P ape, qui l’approuvait et l’appuyait de to u t son pouvoir. F lo ­ rence seule résistait au m ouvem ent, sous l’influence de Savo­

narole, avocat infatigable et ard en t de l’alliance avec la F ran ce. F idèle au rôle prétendu d ’envoyé de D ieu, p a r lequel il m otivait ses m otions les plus hasardées, en p rêch an t l’a l­

liance avec Charles V III il affirm ait n ’être que l’in terp rète de la volonté divine. Après to u t ce qui s ’était passé, il s’obsli-

* Giticcurdini, Stor. fio r e n t., p . 138.

* V o y . Cosgi, Savonarola, p . 4 3 7, e t s u r t o u t l ’é t u d e d e Pel le giu hi, d a m VArch. d. Soc. R o m. , t . X I , p . 7 1 0.

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H I S T O I R E DE S P A P E S . 3

n aît à voir dans le roi de F ran c e, m algré sa frivolité et son libertinage, l’instrum ent choisi de Dieu pour la réform e de l ’Église : « C harles, disait-il su r un ton p ro p h é tiq u e , sera infailliblem ent victorieux, et si F lorence lui garde sa fidé­

lité , elle reco uvrera ses possessions perdues. » Il ne pronon­

çait po u r ainsi dire pas un serm on sans y p a rle r de la néces­

sité de l’alliance avec la F ran c e Souvent il ajoutait « q u ’en tout cas Charles V III réfo rm erait l’Église * » .

11 ne faut pas perd re de vue que la m enace d ’un concile réform ateur, équivalant à une m enace de déposition, était un des moyens de pression fréq u em m en t em ployés p a r le roi de F ran ce à l’égard du P ape, et l’on com p ren d ra que 1 attitude du m oine florentin devait finir p ar d o n n er de 1 om brage à R om e, d ’au tan t plus q u ’il était prouvé que l’adhésion de F lo ­ rence à la ligue, souhaitée et sollicitée p ar le P ap e, n ’avait pas d ’adversaire plus résolu que lui. Confiant dans la faveur populaire, il se croyait inexpugnable; les relations du temps constatent u n anim em ent le prestige extraordinaire de cet hom m e. « On le vénère com m e un saint et on 1 honore com m e un prophète » , écrit l’am bassadeur du duc d E s te 3. « N om bre de gens, rapporte le c h ro n iq u e u r florentin L anducci, étaient tellem en t entichés du nouveau prop h ète q u ’ils se seraient jetés au feu pour lui, sans hésitation. » Ainsi porté p ar la faveur populaire, Tardent dom inicain en tre p rit une cam pagne d ’exterm ination contre ses adversaires : dans un de ses s e r­

mons il se laissa em porter p ar le fanatism e politique ju sq u à dem ander, le crucifix en m ain, la peine de m ort p o u r tous ceux qui travaillaient à la restauration de la tyrannie à H o - rence*. Poussé à bout, co n train t d ’in terv en ir, A lexandre \ l fit preuve d ’une grande m odération 5. P a r un b ref du 25 ju il­

let 1495, rédigé en term es très bienveillants, il invita Savo- 1

1 Meier, p- 93; Ranke, Studien, p. 258.

* Cappelli, Savonarola, p. 52.

» Ibid., p. 41, 51, 52, 56, 63.

1 Voy. t. V, In tro d u ctio n , p. 206 et suiv.

• IUnke, Studien, p. 246, le reconnaît, tandis que Villmii, t. I, 2 ' édit., p. 392, insiste, comme il l’avait fait dans la première édition, sur la fureur et l’esprit vindicatif du Pape.

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naro le, « au nom du devoir sacré de l’obéissance », à venir sans délai à R om e, po u r y ren d re com pte des prophéties q u ’il présen tait au peuple com m e des révélations divines. Savo- narole répondit, dès le 31 ju ille t, p ar un refus : to u t en re co n ­ naissant l’obligation de l ’obéissance en sa qualité de re li­

gieux, il s’excusa, sous prétexte que son état de santé et les em bûches que ne m an q u eraien t pas de lui ten d re ses en n e­

mis ne lui p erm e tta ie n t pas de voyager, et q u ’en o utre son d é p a rt ne p o u rrait avoir lieu sans de graves inconvénients po u r la ville de F lo re n c e 1.

Cette réponse provoqua un deuxièm e b re f, daté du 8 sep­

tem bre et adressé aux religieux du m onastère de Sainte- Croix, adversaires déclarés de ceux de Saint-M arc. U n cer­

tain frère Savonarole, était-il dit dans le bref, se donne p o u r un prop h ète envoyé de D ieu, sans en fournir de preuves, soit par des m iracles, soit p a r un tém oignage spécial de l’É cri­

ture : la patience du P ap e est à b o u t; il ordonne q u e Savo­

narole s’abstienne de to u te espèce de prédication : d o ré n a­

vant, le m onastère de Saint-M arc sera de nouveau rattach é à la congrégation de L om bardie : le su p érieu r de cette congré­

gation désignera la résidence où Savonarole devra se ren d re : toute résistance à ces ordres en tra în erait, ipso fa c to , l’ex­

com m unication *.

L ’ordre du P ape m arquait p our Savonarole le m om ent d ’une crise décisive. Comme p rê tre e t com m e religieux il était obligé, p a r un vœ u, à l’obéissance envers le ch ef suprêm e de l’Église, quel que p û t être ce ch ef person n ellem en t et alors m êm e que sa décision eût été dictée p ar des motifs politiques.

O r, en vertu des règles canoniques, le P ap e avait in contesta­

b lem en t le droit d ’a rrê te r les dispositions ordonnées p a r le b ref du 8 sep tem b re. Savonarole ne le m éconnaissait point. L e 15 septem bre, il écrivait à un confrère de R om e : « Je c o n ­ nais l’origine de toutes ces em bûches, et je sais q u ’elles vien­

n e n t de citoyens pervers qui veulent la restauration de la ty ran n ie dans F loren ce et s’en ten d e n t avec certains potentats

1 Vili.ari, t. I, 2'^édit., p. civ, cyn.

* Voy. Ghkiurdi, p. 388.

L

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H I S T O I R E DES P A P E S . 5

d ’Italie... N éanm oins, si je ne puis faire au tre m en t p our le salut de mon âm e, je suis décidé à obéir, ca r je ne veux pas me ren d re coupable m êm e d ’un p éché véniel » C ependant, dans la réponse q u ’il adressa au P ape le 29 septem bre, on ne le trouve plus aussi décidé, et, de plus, les term es en sont pas­

sablem ent am bigus. A près s’être plain t de ses ennem is qui, dit-il, ont trom pé le P ap e, il ajoute : « P o u r ce qui concerne ma doctrine, je me suis toujours soumis au ju g em en t de l’Église : q uant à mes p rophéties, je n ’ai jam ais dit positive­

m ent que je fusse prop h ète, bien que j ’eusse pu le faire sans com m ettre le crim e d ’hérésie. Le fait est que j ’ai annoncé à l’avance certaines choses qui sont arrivées dep u is; d ’autres encore s’accom pliront avec le tem ps. Au reste, l’Italie entière sait que les châtim ents ont déjà com m encé, et que c’est un iq u em en t p ar ma parole que la paix a été m aintenue à F lo ­ re n c e ... R em ettre n otre cause à la décision du vicaire de L om bardie équivaut à nous d o n n er p our ju g e notre ad v e r­

saire m êm e... Les docteurs de l’Église enseignent u n an im e­

m ent q u ’il est perm is à chacun de passer d ’une règle à une au tre règle plus rigoureuse et plus sévère. C’est ce que nous avons fait en nous séparant de nos frères de L om bardie. Une nouvelle union avec eux ne ferait que réveiller les rancunes q u i, m alheureusem ent, existent en tre les deux congrégations, et provoquer de nouvelles dissensions et de nouveaux sca n ­ dales. V otre S ainteté dit q u ’elle ordonne cette réunion afin que d ’autres ne tom b en t pas dans les m êm es erreu rs que moi. J ’ai d ém ontré que je n ’étais tom bé dans aucune erreu r.

L ’effet doit donc cesser avec la cause. J ’ai prouvé la fausseté de toutes les accusations portées contre m oi; j ’attends une réponse à mon plaidoyer et une sentence d ’absolution. Je prêche la doctrine des saints d o cteu rs; je ne m’en écarte en rien ; si, cependant, j ’étais tom bé dans l’e rre u r, je suis p rêt, non seulem ent à me corriger, mais encore à l’avouer et à faire am ende honorable en présence de tout le p e u p le ... P o u r term in er, je répète ce que j ’ai toujours dit, à savoir que je

1 Cette lettre a été publiée p ar Perrens, p.

534-538

V oy. Villari, t. I ,

2e

é d it., p.

404

(14)

G

soum ets ma personne et mes écrits au ju g em en t de la sainte Église rom aine '. »

U n nouveau bref, en date du 16 octobre, fo u rn it une nou­

velle preuve de la sagesse et de la m odération d ’A lexandre \ I : pour le cas où Savonarole se so u m ettrait à l’in terdiction de la prédication, le P ape s’y déclare prêt à céd er sur le point le plus im portant du b re f précéd en t, la réunion du m onastère de Saint-M arc à la province de L om bardie. Mais, po u r le m oine de Saint-M arc, le rôle de p ré d ic ateu r se confondait avec celui d ’agitateur politique. L e b re f est réd ig é dans des term es calculés de façon à conserver « tous les m énagem ents pos­

sibles » ; il débute p a r un coup d ’œil ré tro sp ectif su r les actes de Rom e an térieu rs au sujet de l ’affaire en question.

Déjà, y est-il d it, à une époque p ré c é d e n te , le P ap e a exprim é le déplaisir que lui causaient les agitations dont F lo­

rence a été le th éâtre et dont la cause principale était la p ré ­ dication de S avonarole; c a r ce lu i-ci, au lieu de se b o rn er à p rê ch er contre les vices, a annoncé l’avenir et affirm é que ce q u ’il disait, il le savait p a r une inspiration du Saint- E sprit. Ce sont là des choses dangereuses p o u r le salut du peuple et de n a tu re à sem er des germ es de division. C’est pourquoi, après m ûre réflexion, le P ap e a appelé Savona­

role à Rom e p o u r y p ré se n te r sa justification. D epuis lors, il a appris, ta n t p a r la lettre de S avonarole que p ar des lettres écrites p ar lui à ses am is, que le religieux enten d faire sa soum ission su r tous les points à l ’Église ro m a in e , com m e il convient à u n bon chrétien . L e P ap e veu t donc croire que Savonarole a péché p lu tô t p a r excès de zèle q u e p ar m auvaise intention. C ep en d an t, afin de ne rien négliger dans une affaire de cette im p o rtan ce , il a décidé de lui écrire encore une fois et lui ordonne, au nom de la sainte obéissance, de s’abstenir de to u te prédication, ta n t en public q u ’en lieu clos, en atten d an t q u ’il puisse sû rem en t et com ­ m odém ent v en ir à R o m e, ou que l’on ait envoyé à F lo­

rence une com m ission d ’enq u ête. S’il se m ontre obéissant, les 1

1 ViLLitu, t. I, 2e é d it., p 405-406 Cf. Peiirens, p . 326-329.

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H I S T O I R E D E S P A P E S . 1

censures contenues dans les brefs précédents seront levées S ur ces en trefaites, le 11 octobre, Savonarolc, en présence des dangers que faisaient courir à F lorence les intrigues de P ierre de M édicis, m ettan t de côté toute au tre considération, avait reparu dans la chaire, pour p rê c h e r à ses concitoyens la lutte contre le tyran. M algré la sainteté du lieu, cette fois encore il dem anda la peine de m ort po u r tous ceux qui favo­

risaient le re to u r des M édicis. « On doit, dit-il, les tra ite r comme les Rom ains tra ita ie n t ceux qui travaillaient à faire rem onter T arq u in su r le trô n e. Vous n ’avez pas d ’égards pour le Christ, et vous voudriez en avoir pour un sim ple citoyen?

Laissez la justice suivre son cours. Faites to m b er sa tè te ; fût- il le chef de la plus noble fam ille, faites to m b er sa tète 1 » . Il répéta la m ôm e chose, à peu près dans les m êm es term es, dans deux autres serm ons, prononcés le 15 et le 26 octobre.

C’est alors seulem ent que parv in t

à

F lorence le b ref du 16 octobre, qui au rait dû y arriv er beaucoup plus tôt : la cause de ce retard est restée inexpliquée. Savonarole avait attein t le b u t q u ’il se proposait et fait échouer les projets de P ie rre de Médicis, mais sa conscience devait 1 obliger à re c o n ­ n aître q u e, depuis le 15, il était en é tat de violation du vœ u d ’obéissance, car il avait en frein t les ordres de son chef suprêm e, de qui, seul, les p rédicateurs tien n en t leurs pou­

voirs. L a publication du b re f devait donc le m ettre dans un terrib le em barras. 11 ne s’était pas attendu à une pareille m odération de la p a rt du P a p e ; nous en voyons la preuve dans un fait qui projette un jo u r fâcheux su r son caractère.

Il s’était mis secrètem en t en relation avec le duc de t e rrare p ar l’interm éd iaire de l’am bassadeur de ce prince à H o re n c e , et l’avait prié de le p re n d re sous sa p rotection dans le cas où l’on n ’ac cep terait pas ses excuses et où l’on voudrait d o n n er Suite

à

la procédure entam ée con tre l u i 3. Mais la situation

1 Me ie r, p. 115, 359-360 : la date indiquée par cet écrivain est fausse;

Gherardi, p . 390-391, donne la date vraie.

* Voy. t. V, Introduction, p. 206 et suiv.

8 Dépèclie du 26 octobre publiée par Gvpei.li, Savonarola, p 69. Il en res­

sort qu’à cette date le bref du 16 octobre n’avait pas encore été reçu à H o­

rence.

(16)

H I S T O I R E DE S P A P E S .

était changée : d ’un côté, le P ape se m ontrait disposé à des concessions et au p ard o n ; de l’au tre, Savonarole avait atteint le b u t q u ’il s’était proposé en rem ontant en c h a ire ; il avait déjoué les projets des M édicis; il pouvait donc, sans se faire trop de violence, ren o n cer à la parole pen d an t la station de l ’Avent. La soum ission, au moins ap p aren te, lui était d ’au­

tan t plus facile, que ses partisans avaient de plus en plus la haute main dans la ville 1 ; en fait, loin de songer à faire sa soum ission définitive en toute lo y a u té , il m ettait tout en œ uvre po u r a rra c h e r au P ape la levée du d éc ret qui lui in ter­

disait l ’accès de la chaire. Le gouvernem ent de F lorence tr a ­ vaillait dans le m êm e sens et frappait à toutes les portes. Il s ’adressa, notam m ent, au cardinalG araffa, p ro tec teu r d e l’ordre des Dom inicains à Rome. Son am bassadeur lui écrivit que ce prince de l’Église avait obtenu du P ape, en faveur de Savona­

role, l’autorisation de re p ren d re le cours de ses prédications, à condition q u ’il s’y tîn t strictem ent sur le terrain p u rem en t religieux. C ependant Savonarole lu i-m ê m e n ’a jam ais osé p réten d re que cette autorisation ait été donnée form ellem ent.

Il n ’existe aucun b re f au torisant une pareille supposition, et l’on peut affirm er que l’autorisation en question ne fut m êm e pas donnée verb alem en t : les actes de la S eigneurie de F lo ­ rence le p ro u v e n t5. E n effet, p a r un d écret du 11 février 1496, celle-ci ordonna à Savonarole de re p re n d re le cours de ses prédications à la cathédrale, sous peine d ’in d ig n ité 3. Le m oine, qui avait trouvé une infinité de prétextes pour déso­

b éir aux ordres du chef suprêm e de la religion, obéit sur-le- cham p aux ordres de l ’au to rité séculière.

Le 17 février, Savonarole re p rit le cours de ses serinons et

1 Ranke, Studien, p. 552.

* Voy. Gosci, p. 431-432; cf. Cipolla, p. 735. Il me paraît intéressant d’attirer l’attention sur la lettre de Savonarole à Antonio de Olanda (Villari, t. II, 2e édit., p. exiv) ¡ on y lit i * Si împetrabitur beentia prtedicandi pro me a Summo Pontífice, dabo vobis in prædicatorem Fr. Doininicuin de Piscia. Excitate ergo fratres et alios devotos ad orandum pro bac causa, quia res habet difficultatem. »

3 Gheiurdi, Documenti, p. 129 et suiv. Il ressort du document cité à la p. 136 et suiv. de cet ouvrage, que dAs cette époque l’attitude de Savonarole était 1 objet de nombreuses critiques i Florence même.

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H I S T O I R E DES P A P E S . 9

continua sans in terru p tio n pendant tout le carêm e. Dès le prem ier jo u r on pu t constater quel progrès il avait déjà fait dans la voie hérissée d ’écueils où l’avait engagé son im agina­

tion aventureuse. Gomme autrefois Jea n Ilu ss, il ne se fit point scrupule de d é c la re r que chacun ne doit l’ohéissance religieuse que dans la m esure où elle ne h eu rte point ses con­

victions personnelles. « Le P ap e, dit-il, ne p eu t pas m ’or­

d o nner une chose contraire à la charité ch rétien n e ou à l’Évangile. Je ne crois pas non plus que jam ais il veuille le faire ; mais, s il le faisait, je lui dirais en ce m om ent : « Vous

« n ’êtes point P asteu r, vous ne représentez point l’Église ro-

« m aine, vous êtes dans l ’e rre u r. » Dès q u ’il apparaît hors de doute qu un su p érie u r com m ande une chose co n traire aux ordres de Dieu et spécialem ent au com m andem ent de la c h a ­ rité ch rétien n e, il n ’est perm is à personne d ’obéir. Si, au con­

traire, la chose n ’est pas p arfaitem en t évidente, s ’il subsiste seulem ent un doute, si faible q u ’il soit, il faut o b é i r 1. » Plus loin, il déclare q u e, descendant dans sa p ro p re conscience, il a exam iné ses voies et q u ’il les a trouvées pures, parce q u ’il n ’a rien enseigné que de conform e aux doctrines de l’Église.

Bien qu il ait la conviction que les brefs ém anés de Rom e ne sont pas recevables, parce q u e les décisions q u ’ils re n ­ ferm ent sont basées su r des rapports faux et m ensongers, il ne veut com m ettre aucune im prudence. C’est p o u r ce m otif q u ’il a gardé le silence ju sq u ’à l’h e u re présente ; m ais, en

1 Cette importante déclaration se trouve dans les Prediche di frate Iliero- nymo da Ferrara, Firenze, 1496 (st. fl). Villaiu, t. II, 2“ édit., p. 425, prétend que la doctrine hussite de Savonarole était « absolument catholique et ne différait nullement de celle de saint Thomas et d’autres docteurs de l’Église et Papes» . Cette affirmation a été réfutée par Schwab, dans le Bonner Literaturblatt, t. IV, p. 904, et par Frantz, Sixtus IV, p. 79 et suiv. ; Cf. p. 182. Ce dernier rappelle que déjà Bayle avait fait remarquer que si Savonarole admettait en principe que l’on doit plutôt obéir à Dieu qu’aux hommes, il était inconséquent avec lui-même en renonçant à prêcher sur l’ordre du gouvernement. Frantz, op. cit., p. 80, démontre encore que la doc­

trine de saint Thomas diffère absolument de celle de Savonarole, « attendu que le cas extrême où le peuple eût été entièrement privé de la prédication et des sacrements n’existait pas dans les circonstances, puisqu’il restait à Saint- Marc d’autres bons prédicateurs et qu’il était suffisamment pourvu aux besoins religieux de la ville » .

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10

constatant l’inertie des bons et 1 audace croissante des m é­

chants, il a senti q u ’il devait re p ren d re sa place. « Avant de le faire, pourtant, je me suis tourné vers le S eigneur et je lui ai d it : J ’aspirais à la paix et à la tran q u illité ; mais vous m en avez tiré en me m o n tran t votre lum ière. Je voudrais me reposer, et je ne trouve point de lieu propice. Je voudrais vivre dans la retraite et gard er le silence, mais je ne le puis pas, car la parole de Dieu b rû le en moi com m e une flam m e dévo­

rante et consum era la m oelle de mes os si je ne lui donne point une issue. E h bien, S eigneur, puisque vous voulez que j ’affronte les dangers de cette m er orageuse, que votre volonté soit faite! » E n p arlan t ainsi, il avait, sans d o u te, oublié déjà q u e c’était l’autorité séculière qui lui avait ordonné de p rê­

c h e r et l’avait lancé de nouveau « sur la m er orageuse » . Dans son deuxièm e serm on, Savonarole visa p articu lière­

m ent les vices de Home. Il déb u ta par un com m entai!e sin­

gulier de ce passage du prophète Amos : a A u d ite verbum

hoc, vaccœ pingues, quœ estis in monte Sam ariœ (IV, i). 1 our

m oi, d it-il, ces vaches grasses signifient les prostituées de Rom e et d ’Ita lie ... D ira-t-on q u ’il n ’y en a point en Italie et à R om e? P o u r R om e, seulem en t, dire q u ’il y en a m ille, c’est trop p e u ; dix m ille, q u aran te m ille, c ’est trop peu encore A R om e, hom m es et fem m es font m étier de la prostitution. » Il continue ainsi et décrit les vices de Rom e dans des teim es que, de nos jo u rs, on n ’oserait m êm e plus reproduire Il ne songeait pas q u e, dans son auditoire, se trouvaient des cen­

taines d ’enfants innocents, po u r lesquels on avait construit des gradins spéciaux le long des murs de 1 église.

L a violence de ce langage n ’est pas un cas isolé, une explosion d ’indignation dans un m om ent d ’en tra în e m e n t;

loin de là, dans toute la série des serm ons de ce carêm e, Savo­

narole rep ren d sa d escription des vices de R om e, et toujours avec la m êm e exagération. De tem ps à a u tre , il tou ch e aux questions politiques, mais toujours il revient, avec une insis­

tance m arquée, à ses déclarations contre la c u rie ; de degré en

1 C ’e s t l’opinion d ’un adm irateur passionné de Savonarole : V i t U R i , t I ,

2' édit., p. 428.

(19)

H I S T O I R E D E S P A P E S . U

degré, il en arrive à s’écrier : « Fuyez R om e! car Babylone signifie confusion, et Rom e a jeté la confusion dans toute l’É criture sainte, elle a fait une confusion de tous les vices, elle a mis la confusion en toutes choses. » Dans le serm on final du carêm e de 1496, Savonarole expose encore une fois sa théorie nouvelle de l ’obéissance religieuse, théorie faite po u r bouleverser toute l’organisation de l’Église. « Nous ne som m es pas obligés, dit-il, d ’o béir à tous les com m ande­

m ents. L orsq u ’ils ont été donnés à la suite de faux rapports, ils sont sans v aleu r; s’ils sont en contradiction évidente avec la loi de la charité ch rétien n e co n tenue dans l’É vangile, le devoir est d ’y r é s is te r 1. »

Ces provocations ne ré u ssiren t pas à faire sortir A lexandre VI de sa m odération ; il était p arfaitem en t résolu à ne rien pré­

c ip ite r2. Il p atien ta plus de six mois, voulant laisser à Savo­

narole le tem ps de v en ir à résipiscence. C ependant, autour de lui on était de plus en plus d ’avis q u ’un nouvel acte de vigueur devenait indispensable. Des motifs politiques et re li­

gieux l’im posaient. La persistance de Savonarole à ne tenir aucun com pte de la défense de p rê ch er, à prodiguer dans ses serm ons les outrages contre R om e, à s’ad ju g er le rôle de pro­

phète, finissait p a r devenir into lérab le 3. D’au tre p art, la poli­

tique française suivie p ar F lo ren ce sous l ’influence de ce m oine constituait, aux yeux d ’A lexandre V I, un double dan g er : pour l ’Italie, celui d ’une deuxièm e invasion de Charles V III; po u r lui-m êm e, p eu t-ê tre, celui de la déposition et d ’un schism e.

C ependant, à F lo ren ce, les esprits s’échauffaient de plus en plus, et la prédication de Savonarole était faite pour surexciter les passions *. On savait, p ar des rapports venus de là, qu il

i V

illari

,

t. I,

2'

édit., p.

439

: cet écrivain dit, avec raison, que ces paroles résonnent comme une déclaration de guerre.

s Voy. l’étude de Pellegrixidans VArch. d. Soc. Rom., t. XI, p. 713. Voy.

encore : Creighton, t. III, p. 224.

3 Gh ei ur d i, p. 141.

* Perrens, p. 261, dit à ce sujet : Si Savonarole avait possédé véritablement la vertu d’humilité dont il faisait parade et qui est l’une de celles qui dis­

tinguent en première ligne le religieux digne de ce nom, il se fût éloigné de Florence, ou, tout au moins, il eût cessé de prêcher. Si convaincu qu’il pût être de posséder la vérité, il était prêtre, et, comme tel, il ne lui était pas

(20)

H I S T O I R E D E S P A P E S .

n ’eût pas parlé des T urcs com m e il parlait du P ap e et q u ’il disait pis des princes italiens que des h érétiq u es. A l ’étra n g er m êm e, on eu t bientôt connaissance des outrages prodigués p ar lui dans ses serm ons à l’égard du P ap e : il rép éta plus d ’une fois q u ’il avait reçu d ’A llem agne, p a r lettres, des tém o i­

gnages d ’approbation. On rap p o rte m êm e q u e le Sultan fit trad u ire ses serm ons en lan g u e t u r q u e 1. P as n ’était besoin des instigations des m em bres de la ligue, auxquelles s’ajoutèrent celles du cardinal Ascagne Sforza, po u r décider A lexandre VI à en finir. Savonarole et ses partisans appliq u aien t de plus en plus un systèm e de terro rism e intolérable. Le prop h ète poussait l ’extravagance ju sq u ’à d é c la re r dans ses serm ons que quiconque n ’avait pas foi en lui ne pouvait pas être un bon chrétien. Son plus a rd e n t satellite, F rè re D om enico de Pescia, exagérait encore ces hardiesses de langage : Avant que les doctrines de Savonarole soient dém olies, disait-il, la terre et la m er, le ciel m êm e p ériraien t : les ch éru b in s et les séraphins, la sainte V ierge et le C hrist lui-m êm e seraien t engloutis dans la to u rm en te s.

Le 7 novem bre 1496, le P ap e publia un nouveau b re f; il s’agissait de m ettre fin à ces scandales et d ’éloigner de F lo ­ rence Savonarole, chef du parti français, to u t en le traitan t avec tous les m énagem ents possibles. Le P ap e ab an d o n n ait son p rem ier projet de réun io n du m onastère de Saint-M arc à la congrégation de L om bardie, en considération de leu r hos­

tilité réciproque. Au lieu de cela, il form ait une nouvelle congrégation, com posée de tous les m onastères dom inicains de la T oscane et du territo ire rom ain, et plaçait à sa tête un vicaire spécial, qui devait être élu tous les deux ans p ar les divers p rieu rs, conform ém ent aux statuts de l’ord re. P o u r la p rem ière période bien n ale, il investissait de ces fonctions le

permis de provoquer l ’effusion du sang pour la faire triompher, ni de con- sentir à être une cause de déplorables dissensions entre les citoyens. Mais son aine était endurcie à la lutte; ces agitations étaient sa vie. « Je ne puis pas vivre sans prêcher » , disait-il.

1 Villari, t. I , 2e é d i t . , p . 458. V o y . Ranke, Studien, p 255, et Perrens, p . 236.

* Relation de Parenti, dans Ranke, Studien, p. 265.

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H I S T O I R E D E S P A P E S . 13

cardinal Caraffa, dont l’am itié pour Savonarole ne s’était jam ais dém entie 1

Le prophète florentin opposa de nouveau u n refus absolu d ’obéissance à cet ordre de son chef suprêm e, et, pour ju s ti­

fier sa conduite, il m it en avant des motifs bien singuliers.

« L e ratta ch em en t à la nouvelle congrégation, disait-il dans son apologie de la congrégation de Saint-M arc, ne dépend pas de moi seul, mais aussi de la volonté de deux cent cin­

quan te religieux qui on t écrit au P ap e en sens contraire ; je ne peux ni ne dois faire opposition à le u r résolution, car elle paraît équitable et respectable. L a réunion ordonnée p a r le P ape est im possible, d éraiso n n ab le, nuisible. Les m oines de Saint-M arc ne peuvent pas être contraints de l’accepter, car les su périeurs n ’ont pas le d ro it d ’o rd o n n e r u n e chose con­

traire à la constitution de l’ord re, à la charité ch rétienne et au salut de nos âm es. Nous devons donc adm ettre q u ’ils ont été induits en e rre u r p a r de faux rapports et, provisoirem ent, résister à un ordre qui blesse la charité chrétien n e. Ni m enaces, ni excom m unications ne doivent nous é b ra n le r;

loin de là, nous devons p lu tô t nous exposer à la m o rt que de nous so um ettre à une m esure qu i serait un poison et la p erte de nos âm es. » E n atten d a n t, Savonarole continuait à p rê ­ ch e r, et si, dans ses serm ons, il p arla it b eaucoup de son don de prophétie, il parlait encore plus de politique.

Tous ces faits, grossis encore p a r les ennem is de Savona­

role, qui in trig u aien t activem ent à R om e, ne pouvaient m an­

q u e r de blesser p rofondém ent le P ap e. A lexandre VI avait, parm i ses contem porains, une grande réputatio n de p rudence;

il la m érita une fois de plus en cette circonstance. E n véri­

tab le hom m e d ’É tat, au lieu de se laisser en tra în e r à e n tre r d irec tem en t en lutte contre le m oine de Saint-M arc, il p ré ­ féra c h e rc h e r d ’abord un au tre expédient p o u r arriv er à ses fins. E t d ’abord, p o u r d é ta c h e r les F lorentins de l’alliance française, il leu r prom it la restitu tio n de P ise et le u r dem anda 1

1 Ce bref se trouve dans le cod. 2053 de la Bibl. Riccardi et a été publié par Villmu, 1.1, 2” édit., p. c x l i i-c x i.i v, et dans le Bull. ord. prœdic., t . IV, p . 124-125.

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14

de lui envoyer un nouvel am bassadeur, chargé de tra ite r cette affaire. Le 4 m ars 1497, la Seigneurie répondit aux avances du P ape en désignant, pour cette m ission, A lessandro Bracci.

Celui-ci eu t une audience du P ape le 13 m ars. F aisan t allu­

sion à Ludovic le M ore, A lexandre VI lui dit : « Que Dieu pardonne à celui qui a attiré les F ran çais en Italie! car c’est l ’origine de tous les m aux qui affligent n otre pays. » C her­

chant ensuite à p ersu ad er à l’am bassadeur d ’ab an d o n n er l’alliance française, il s’écria : « Tenez avec nous, soyez de bons Italiens, et laissez les F rançais en F ran ce! Il faut que vous me donniez des sûretés là-dessus; pas de belles phrases, mais q u elq u e chose qui vous lie solidem ent. » L ’am bassa­

d e u r s’efforça inu tilem en t de faire valoir les m otifs de son gouvernem ent p o u r re ste r attaché à la F ra n c e ; le Pape ne cessa d ’affirm er que F lorence devait re n o n cer à cette poli­

tique. Il savait très bien, dit-il, que le m otif de cette conduite, indigne d ’une puissance italienne, était la foi des Florentins dans les prophéties d ’un bavard ; et il ajouta q u ’il était pro­

fondém ent affligé de ce que le gouvernem ent florentin tolérât les attaq u es, les m enaces, les invectives inouïes de ce m oine contre sa personne

Ces plaintes n ’étaient point sans fondem ent, car, p en d a n t le carêm e de 1497, les accusations contre l ’Église de ftom e furent encore le thèm e principal des serm ons de S avonarole.

Son langage devenait ch aq u e fois plus violent et plus incon­

v enant : « A rrive ici, Église infám e, s’écriait-il un jo u r, écoute ce q u e te dit le S eigneur : « J e t’ai donné ces beaux

« vêtem ents et tu t ’en es fait des idoles. Avec tes vases de

« prix tu as no u rri ton orgueil. Tu as profané les sacrem ents

b

p ar la sim onie. Ta luxure a fait de toi une fille de joie défi-

b

gurée. Tu es pire q u ’une b ê te ; tu es un m onstre abom i-

b

nable. A utrefois, du moins, tu rougissais de tes p éc h és;

b

m aintenant tu n ’as plus m êm e cette p u d eu r. A utrefois, si

b

les prêtres avaient des fils, ils les ap p elaien t leurs neveux;

b

m aintenant, on n ’a plus de neveux ; on a des fils, des fils tout 1

1 Goeiuiidi, p 149 et suiv. ; cf. Cosci, p. 4V0 et suiv.

(23)

H I S T O I R E DES P A P E S . 15

a court. Tu as élevé une maison de d éb au ch e, tu t’es trans-

« form ée du h au t en bas en m aison infâm e. Que fait-elle la

« fille p ublique? Assise su r le trô n e de Salom on, elle fait signe

b

à tous les passants; quiconque a de l’argent entre et fait

b

to u t ce qui lui p laît; mais qui veut le bien est je té dehors, a C’est ainsi, Église prostituée, que tu as dévoilé ta honte a aux yeux de l’univers entier, et ton haleine em poisonnée a s’est élevée ju s q u ’au ciel : p arto u t tu as étalé ton im pu- a dicité '. »

Ces invectives devaient finir p ar alién e r ceux-là m êm e qui, ju sq u e-là, s’étaient m ontrés le plus favorables au prophète florentin. Le général de l’ordre et m êm e le cardinal Caraffa re n o n cèren t à le défendre. Dès lors, la cause de Savonarole était perdue à R om e; mais un rev irem en t contre lui se pro­

duisit égalem ent à F lorence. Ses adversaires irréconciliables, les A rrabiati et les C om pagnacci (sobriquet qui signifie les com pagnons jouisseurs et viveurs) p re n aien t de plus en plus le dessus. L ’agitation atteignit de telles proportions que la Seigneurie publia un d éc ret p ar lequel elle interdisait la p ré ­ dication aux m oines de to u t ord re, à p a rtir de la fête de l’As­

cension. Ce jo u r-là (4 m ai), Savonarole p aru t encore dans la chaire de la cathédrale. 11 eut encore l’audace de dire que quiconque le persécu tait, p ersécu tait Dieu lui-m êm e; que l ’Italie et R om e, en particu lier, subiraien t de terrib le s ch â ti­

m ents, après quoi v iendrait la rénovation de l’É glise; que ceux qui disaient q u ’il n’au rait pas dû p rê ch er en ce jo u r, sous prétexte q u ’il p o u rra it en ré su lter des tro u b les, se tro m ­ p aien t ab so lu m en t; et q u ’alors m êm e que la Seigneurie lui in te rd ira it la p rédication, il y au rait encore lieu de discuter su r le p oint de savoir s’il fallait subir une pareille tyrannie.

E n ce m om ent, il se produisit u n form idable tu m u lte qui gagna bientôt la rue. P eu s’en fallut que partisans et adver­

saires de S avonarole en vinssent aux m ains*, a Les tem ps des Guelfes et des Gibelins sont revenus », écrivait un am bassa-

Villari, t. II, 2* é d it., p . 4 : cet écrivain d it avec raison que l’allusion aux fils des prêtres vise d irectem ent A lexandre VI.

* Ranke, Studien, p. 874 et suiv.

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H I S T O I R E D E S P A P E S .

d e u r '.L e s principaux auteurs de ces troubles re stè ren t im p u ­ nis : à ce signe, Savonarole pu t reco n n aître que son parti avait perdu la p rép o n d éran ce. Il résolut de risq u er une dém arche h ard ie , po u r d é to u rn e r l’orage qui le m enaçait du côté de Rome. Le 22 m ai, il écrivait au P ape une lettre qui débutait p a r ces mots : « P o urquoi m on seig n eu r est-il irrité contre son se rv ite u r? ... « Jam ais, dans ses serm ons, disait-il, il ne s’était perm is d ’attaques directes contre les p erso n n es;

contre celle du V icaire de Jésus-C hrist m oins encore que contre toute au tre . Puis il d éclarait soum ettre sa p ropre p e r­

sonne au ju g em en t de l’Église et affirm ait n ’enseigner q u ’une doctrine parfaitem en t conform e à celle des saints docteurs de l’Église, chose q u e, d ’ailleurs, il p ro u v erait sous peu à la face du m onde en tier, p ar la publication de son T raité du

triom phe de la C roix*.

A l’h eu re où Savonarole écrivait ces lignes, Rome avait prononcé sa sentence. Au d ern ie r m om ent, le seul am i et p ro tec teu r qui lui fût resté fidèle, le cardinal Caraffa, avait reconnu la nécessité d ’un acte de vigueur. Le Saint-Siège, usant d ’un droit incontestable, avait exigé de Savonarole qu il fournît la preuve de la vérité de sa mission p ro p h é­

tique : loin d ’obéir, il avait ch erch é à se d éro b er, sous de futiles prétextes. Il avait bien fallu se d em an d er ce que d eviendrait 1 au to rité du P ap e, le jo u r où d ’autres suivraient cet exem ple. E t cet hom m e, qui ch e rch a it à se soustraire au devoir de l’obéissance prom ise sous serm ent, était le m êm e qui préten d ait exiger de tous une obéissance aveugle à ses ordres, q u ’il donnait com m e des révélations de Dieu 1 * 3 !

Le 12 m ai 1497, A lexandre VI signa le b re f d ’excom m uni­

cation. Il avait voulu laisser, à un hom m e q u ’on pouvait sup­

p oser em porté p a r une im agination exaltée, le tem ps de venir à résipiscence; sa longanim ité avait été mise à une longue épreuve. L am bassadeur de F lorence dit positivem ent, dans

1 Relation de Somenzi, du 4 mai, publiée dans l’.-lrc/i. st. iial., t. XVHi, 2* part., p. 19.

* ViiLAai, t. Il, 2* édit., p. 26.

3 I’ehiiëss, p . 2 3 J et suiv

(25)

H I S T O I R E D E S P A P E S .

n ses relations, que, tout en se plaignant de la conduite de Savonarole, le P ape laissait clairem en t entrevoir « q u ’il dési­

ra it ne pas se voir co n train t de faire usage de toutes les arm es q u ’il avait à sa disposition » . Mais le refus obstiné­

m ent opposé par Savonarole à l’exécution du ra ttach em en t du m onastère de Saint-M arc à la nouvelle congrégation toscano- rom aine ordonnée p a rle Saint-Siège, son affectation à paraître ig norer la défense de m onter en chaire faite à lui p erson­

nellem ent, le constituaient en état de rébellion ouverte contre l’au to rité du P ape, et la répression s’im posait. Encore ne p a r­

lons-nous pas des attaques constantes q u ’il se p erm ettait contre Rom e et de l’audace avec laquelle il s’attrib u ait le rôle de prophète '. Il n ’est point niable que la politique ne fut pas étrangère à la décision d ’A lexandre VI et q u ’en frap­

pant celui q u ’il considérait, avec raison, com m e l’âm e de la résistance opposée à ses vues, il espérait o b ten ir la ren o n cia­

tion de F lorence à l’alliance française; mais la désobéissance de Savonarole à l’égard du Saint-Siège fut la goutte d ’eau qui fait d éb o rd er le vase. « Même u n A lexandre VI ne pou­

vait pas adm ettre un systèm e dans lequel un p ro p h ète eût été au-dessus de la h iéra rch ie a. »

Voici le texte résum é du bref d ’excom m unication : « Nous avons su, p ar diverses personnes dignes de foi, q u ’un certain Jérô m e S avonarole, actu ellem en t vicaire de Saint-M arc à F loren ce, a répandu des doctrines pernicieuses, au grand scandale et détrim en t des âm es sim ples. Nous lui o rdon­

nâm es, en conséquence, au nom de la sainte obéissance, de com paraître devant Nous p o u r se justifier de certaines

1 Voy. la dépêche envoyée de Rome par l’ambassadeur de Florenee, publiée par Giierardi, p. 141.

s E tu d e de Grisar dans la Zeitschr. fu e r Kathol. Théologie, t. IV , p. 397 ; BaL4n, p . 379; R aare, Studien, p. 278 : ce d ern ier ré d u it à sa ju ste valeur l ’influence exercée dans cette affaire p ar la politique antifrançaise du Pape :

« Le motif prépondérant », dit-il en effet, « était le maintien de l’autorité suprême en matière religieuse, et cette autorité était alors en droit de compter sur l’appui d’un nombre notable de citoyens de Florence. » Sur la part qui revient au cardinal Garaffa dans la rédaction de ce bref, voy. Gherardi, p. 160 et suiv. Voy. encore l’étude de Pellegrini dans l’Arch. d. Soc. Jiom., t. XI, p. 717.

xt. 2

•'"ÇA

UNIV

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18

erreu rs dont on l’accusait, de se conform er à certaines instructions que Nous lui avions données et de discontinuer sa p ré d icatio n ; mais il n ’obéit point. Mû p a r la bienveil­

lance et agissant envers lui avec plus de m ansuétude q u ’il n ’eût p eu t-être convenu, Nous acceptâm es ses excuses, dans l’espoir que N otre clém ence le ra m è n era it dans la voie de l’obéissance. N éanm oins, il persista dans son endurcisse­

m ent : sur quoi, p ar un deuxièm e b ref (du 7 novem bre 149(3), Nous lui ordonnâm es, sous peine d ’excom m unication, de ra ttach er le m onastère de Saint-M arc à la congrégation tos- cano-rom aine, récem m ent fondée p ar Nous. Cette fois encore, il persista dans son en têtem en t et il tom ba ipso facto sous le coup de la censure. C’est pourquoi Nous vous ordonnons en ce jo u r d ’ann o n cer, les jo u rs de fête, au peuple assem blé, que ledit F rè re Jérô m e est excom m unié, et q u e chacun a l ’obligation de le considérer com m e excom m unié, parce q u ’il n ’a pas obéi à Nos avertissem ents et ordres apostoliques.

Vous ferez égalem ent savoir q u ’il est in terd it à tous et à ch a­

cun, sous la m êm e peine de l’excom m unication, de lui venir en aid e, de le fréq u en ter et de le louer soit pour ses paroles, soit po u r ses actes, comme excom m unié et suspect d ’hérésie.

— D onné à R om e, le 12 mai 1497 *. »

P a r m énagem ent p o u r les susceptibilités des F loren tin s, ce b ref était adressé, non pas à la ville, m ais à chacun des divers m onastères. L a publication solennelle n ’en eut lieu que le 18 ju in 2. Dans l’in tervalle, les am bassadeurs de F lo ­ rence à Rom e avaient m ultiplié leu rs efforts po u r obtenir, sinon le re tra it, du moins la suspension de la sentence, et le P ape q u i, dès l’origine s’était efforcé de tem p o riser, afin d ’éviter que les choses en vinssent aux d ern ières extrém ités, avait reçu la lettre de S avonarole, datée du 22 m ai, dont la lecture l’avait disposé à l’indulgence. Il y au rait donc eu en

1 Etude de Del Lungo, dans l'Arch. st. ital., nouv. série, t. XVIII, 1", part, p. 17; Villaui, t. II, 2° édit., p. x xx ix-xi. (édit, allem., t. II, p. 151etsuiv., 339 etsuiv.); cf. Sandto, t. I, p. 632 et suiv. Le bien fondé de cette excommuni­

cation est reconnu même par certains écrivains protestants, entre autres par Krabbe, Savonarola (Berlin, 1862), p. 56.

* Landucci, p. 152-153

(27)

ce m om ent beaucoup de chances p o u r que l’on obtînt la suspension du bref, m algré les efforts contraires des ennem is de Savonarole. A lexandre VI était profondém ent ébranlé par l’h o rrib le assassinat du duc de G andia, et l’inutilité des rech erch es faites pour re tro u v er le m e u rtrie r ne laissait pas que de lui causer de l’inqu iétu d e II était trop habile politique pour songer à em p irer, p ar un nouveau conflit, une situation déjà très tendue. En conséquence, il chargea la com m ission récem m ent instituée po u r la réform e de l’Église de procéd er à une nouvelle e n q u ê te ; de sorte q u ’au m om ent m êm e où 1 éclat se produisit, tout p erm e tta it de présag er un arran g e­

m ent pacifique*.

Ce fut p ré cisém en t ce m om ent critique que Savonarole, dans son em p o rtem en t, sem bla choisir tout exprès po u r an é an tir les espérances d ’apaisem ent les m ieux fondées. Le 19 ju in , il com posa h âtivem ent son « É pître à tous les chrétiens et fils chéris de D ieu, contre l ’excom m unication su b rep tice­

m ent obtenue contre lui » . Dans ce docum ent, il ch e rch e à ré fu ter les accusations de ses adversaires, et expose à nouveau le p ré te n d u caractère divin de sa m ission. « Cette excom ­ m unication, dit-il en term in an t, est sans valeur, tan t à l ’égard de Dieu q u ’à l ’égard des hom m es, parce q u ’elle est basée su r des m otifs et des griefs faussem ent im aginés p a r nos ennem is.

J e me suis toujours soum is et je m e soum ets encore au ju g em en t de l’Église, et jam ais je ne m anquerai au devoir de l ’obéissance. Mais il n ’est perm is à personne d ’obéir à un co m m andem ent en contradiction avec la ch arité ch rétienne et avec la loi du S eigneur; en effet, dans ce cas, nos su p é­

rieurs ne sont plus les rep résen tan ts de Dieu. E n atten d an t, préparez-vous p ar la p rière à to u t ce qui doit a rriv e r; q u an t à nous, si les choses sont poussées plus loin, nous publierons la vérité entière à la face du m onde*. » Cette théorie était en

1 Voy. t. V, p. 476 et suiv.

1 Etude de Pellecrini, dans VAi'ch. d. Soc. Rom., t. XI, p. 719.

V illari, t. II (édit, allem.), p. 153 ; Me i e r, p . 135 et suiv. Les réponses de Savonarole furent publiées sur-le-champ. Sanuto, t, I, p. 634, signale le fait et ajoute que c est le motif pour lequel il ne les a pas insérées dans son

H I S T O I R E D E S P A P E S . 19

.

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opposition directe avec la doctrine de l ’Église, qui enseigne que l’on doit se soum ettre à l ’excom m unication alors m êm e q u ’elle est prononcée in ju ste m e n t; c’était le renversem ent absolu de toute discipline ecclésiastique Alors m êm e q u ’il eût été convaincu q u ’A lexandre VI com m ettait à son égard un scandaleux abus de pouvoir, S avonarole avait le devoir strict d ’obéir.

Le P ape ne pouvait faire au tre m en t que de considérer la conduite de Savonarole com m e une déclaration de guerre form elle. Le 26 ju in , il dit à l’am bassadeur de F lorence q u ’il avait décidé d ’ap p liq u er au m oine rebelle les m esures p re s­

crites p ar le d ro it canon contre les contem pteurs des décrets de l’Église. Les F lorentins ne d ésespéraient p o u rtan t pas d ’obtenir p ar voie diplom atique un revirem ent en faveur de leu r prophète, d’au tan t plus q u ’A lexandre VI avait dit q u e, si F lorence consentait à re n o n cer à l ’alliance de la F ran ce, il était disposé à se m ontrer, de son côté, aussi conciliant q u ’il serait possible. L ’am bassadeur de F loren ce ne cessaitd e faire des dém arches auprès des cardinaux en faveur de Savonarole : ses instances pressantes eu ren t un certain succès, dans ce sens que quelques m em bres de la com m ission des cardinaux ém iren t l’avis que l’on suspendît pen d an t deux mois les effets du bref, afin de laisser à Savonarole le tem ps de venir à R om e. Mais cette m otion ne fut pas acceptée. D ’accord avec le P ap e, les cardinaux de la com m ission d éc la rèren t que l’absolution dem andée ne pouvait être accordée en aucun cas, à moins que Savonarole ne fît, au préalab le, acte de soum is­

sion aux injonctions du général de son ordre et du P ape. Il n ’était, on le voit, déjà p lu sq u estio n de l’interdit dont on avait éventuellem ent m enacé F lorence. L ’am bassadeur florentin ne perdit pas encore courage. Mais, le 12 février 1498, après s’être épuisé en dém arches pendant des mois et des mois, il se vit enfin co ntraint d ’avouer q u e les difficultés étaien t énorm es 2.

journal, et que d’ailleurs il les a laissées de côté parce qu’elles sont très longues et « per esser cosa fratesclia » .

1 Frantz, S ixtu s I V, p . 8 2.

s Giierardi, p. 1 7 2 , 174-176. Voy. dans Ca ppelli, Savonarola, p. 89

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H I S T O I R E D E S P A P E S . 21

Vers le m êm e tem ps, plus ferm em ent persuadé que jam ais du caractère divin de sa m issio n 1, Savonarole faisait tout ce qui dépendait de lui pour accroître les difficultés, pour porter l’irritation du P ape à la d ernière lim ite, et po u r rendre toute réconciliation im possible.

Ju sq u ’alors il s’était abstenu de toute fonction ecclésias­

tiq u e, m êm e dans le tem ps que F loren ce était ravagée p ar la p este; il savait p arfaitem en t q u e, de la p art d ’un prêtre for­

m ellem ent et solennellem ent excom m unié, un acte de cette espèce eû t constitué un sacrilège.

Au m om ent où l’année 1497 touch ait à sa fin, il changea subitem ent d ’opinion. Le jo u r de Noël il célébra trois messes et donna la com m union à ses religieux et à de nom breux laï­

ques. Même parm i ses partisans, beaucoup de gens blâm èrent cette conduite sa c rilè g e 3. B ientôt après, on ap p rit q u ’il avait re p aru en chaire. L ’excom m unication, avait-il dit à l’am bas­

sadeur du duc de F e rra re , était inique et, p a r conséquent, n ’avait pas force obligatoire; p o u r son com pte, il ne s’en sou­

ciait absolum ent p as; ceux qui le critiq u aien t feraient mieux de penser à la vie q u e m enait A lexandre VI ; il p rê ch erait donc, quoi q u ’il advînt, « en v ertu de la m ission dont il était chargé p ar un su p érieu r beaucoup plus h au t placé que le P ape et que toutes les créatures s «. Le vicaire de l’arche»

et suiv., la dépêche de l'ambassadeur du duc de Ferrare : on y verra en outre que celui-ci signale l’opiniâtreté implacable de Savonarole.

1 Voy. la relation de l’ambassadeur du duc de Ferrare, du mois d’août 1497 : il raconte un entretien qu’il a eu avec le prophète; celui-ci lui a dit qu il n’est qu’un instrument de Dieu, que, par conséquent, il ne craint rien et que la victoire restera à Dieu : Cappëlli, p. 90. Voy. p. 98-99, où l’auteur dit que Savonarole avait pris la résolution formelle de ne pas obéir au Pape.

2 Naudi, 1.1, p. 120, écrit à ce sujet que Savonarole a recommencé d’officier

« con gran maraviglia d’ognuno e dispiacimento non piccolo de’ sui divoti » . 3 Cappëlli, Savonarola, p. 102. Ranke, Studien, p. 289 et suiv., écrit a ce sujet : « L’autorisation de prêcher, même au dehors de Saint-Marc, devait avoir, dans la pensée de ceux qui voulaient la lui donner, une portée bien plus grande (que l’exercice des fonctions religieuses par Savonarole); en effet, elle constituait une rébellion ouverte contre les décrets du Pape et contre l’excom­

munication publiée dès le mois de juin précédent. Il ne suffit pas de voir la un acte de simple désobéissance; c’était manifestement une attaque contre toute la constitution de l’Église. L’autorité suprême du Pape, son infaillibilité étaient mises en question... La résistance opposée à l’excommunication était

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véque de Florencc tenta d ’a rrê te r ce scandale. P a r m ande­

m ent spécial il in terd it rig oureusem ent à tous les m em bres du clergé d ’assister aux serm ons de S avonarole, et ordonna aux curés de faire au peuple des instructions sur le carac tè re et les conséquences graves de l’excom m unication : ils devaient lui faire com prendre que q u ico n q u e assistait à ces serm ons to m b ait lui-m ém e sous le coup de l’excom m unication, était exclu p ar sa p ropre faute de la participation aux sacrem ents e t ne pouvait être e n te rré religieusem ent. L a Seigneurie brisa cette tentative d ’opposition en m en açan t l’a u te u r du m andem ent des pénalités les plus sévères '.

Ainsi protégé p a r l ’au to rité civile et rom pant ouvertem ent en visière avec son chef suprêm e, Savonarole, to u t excom ­ m unié q u ’il était, m onta de nouveau dans la chaire de la ca th éd rale, le dim anche d e là Septuagésim e, 11 février 1498.

L à , il e n tre p rit, en term es v iru le n ts, l’explication de sa désobéissance à l’égard du Saint-Siège. « Le bon prince, le bon p rêtre, dit-il, n ’est a u tre chose q u ’un instru m en t dans la m ain du S eigneur, qui s’en sert po u r le gouvernem ent du peuple. Mais si Dieu se retire de lui, il cesse d ’étre un in stru ­ m ent, et alors il n ’est plus q u ’un « fer brisé ». Mais, direz- vous, com m ent puis-je savoir si D ieu est avec lui ou non?

le prélude de la réforme générale dont Savonarole nourrissait la pensée. » L’affirmation contenue dans la dernière phrase a été contesté avec raison par Villari, t. II, 2e édit., p. 85, note 2, et par Pellegrini, dans le Giorn. st. d. Lett.

ital.. t. XII, p. 258, note 2; mais le reste du passage que nous venons de citer renfermerait une erreur bien plus grande encore. Le principal mérite de l’étude de Ranke sur Savonarole est que le savant y décrit le caractère uu pro­

phète sans parti pris et y montre une répugnance marquée à prendre pour guide la légende dominicaine, trop facilement acceptée par Villari. Il est d’autant plus regrettable d’y rencontrer des passages tels que celui-ci. Dès que Ranke met le pied sur le terrain de la théologie catholique, il tombe dans des erreurs énormes, qui proviennent d’une grande ignorance de la matière. 11 dit, par exemple, à la page 327, que Savonarole a très clairement exposé la doctrine de la justification par la foi. A la page 331, il établit entre Savonarole, Luther et Calvin, un parallèle trop forcé pour être vrai. Il y dit, d ailleurs, que, tandis que Luther « prit position en dehors de la hiérarchie de 1 Kglise, Savonarole y resta attaché » . Mais comment peut-il, après cela (p. vi), nommer Savona­

role « un précurseur des réformateurs du xvi® siècle » ?

» Villari, t. II, 2e édit., p. 86-87; cf. Suppl, li ; PerreNS, p. 333; Meier, p 140 et suiv.

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H I S T O I R E DES P A P E S 23

Considérez si ses lois ou ses com m andem ents sont en con tra­

diction avec ce qui est la base et la racine de toute sagesse, je veux dire les bonnes m œ urs et la charité chrétienne. S’ils y sont contraires, vous pouvez être absolum ent certains q u ’il est « un fer brisé », et, dans ce cas, vous n ’êtes pas obligés à l’obéissance. Mais, dites-m oi, quel b u t poursuivent donc ceux qui, p a rle u rs faux rapports, ont provoqué l’excom m uni­

cation? C hacun le sait : ils veulent détru ire les bonnes m œ urs et le bon gouvernem ent, et ouvrir la porte à tous les vices.

M aintenant q u ’ils tien n en t leu r excom m unication, ils courent les cabarets et les maisons de je u ; ils se livrent à tous les excès, et c ’en est fini des bonnes m œ urs. O r donc, si quel- qu un com m ande une chose contraire à la charité ch rétienne, qui est la plénitude de n otre loi, q u ’il soit anathèm e ! Quand ce serait un ange, et tous les saints, et la Vierge Marie elle- m êm e (ce qui, certes, est im possible), q u ’ils soient anathèm es ! Q uand ce serait une loi, un canon, ou un concile, q u ’il soit anathèm e! E t si u n P ape quelconque contredisait ce que j ’affirm e ici, q u ’il soit excom m unié! Je ne prétends pas dire q u ’un tel P ape ait jam ais existé, mais ce que je prétends, c’est q u e, s’il a existé, il n ’était point un in stru m en t du S eigneur, mais un « fer brisé ». B eaucoup de gens ap p réh en d e n t que l’excom m unication n ’ait force de loi pour l ’Église, alors même q u ’elle ne serait point valable aux yeux de Dieu. P o u r m oi, il me suffit de n ’être pas excom m unié p a r le Christ. O m on Seigneur et m on D ieu, si jam ais je dem andais l’absolution de cette excom m unication, précipitez-m oi en enfer, ca r je croi­

rais avoir com m is un péché m ortel. «

« Le P ape p eu t se tro m p er, dit encore S avonarole dans un au tre serm on du 18 février, et cela de deux m anières : soit p ar fausse conviction, soit p a r m échanceté. Mais laissons ce d e rn ie r cas au ju g em en t de Dieu et adm ettons p lutôt q u ’il a été circonvenu. E n ce qui nous concerne, d ’ailleurs, je puis p ro u v e r que le P ap e a été abusé p a r de faux rapports. P a r conséquent, quiconque s’obstine à m ’opposer l’excom m uni­

cation et p rétend que je ne devrais pas enseigner cette doc­

trin e, parle contre le royaum e du Christ et pour le royaum e

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