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Widok Pour une définition discursive du discours rapporté

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Wrocław 2009

ELŻBIETA BIARDZKA Université de Wrocław

POUR UNE DÉFINITION DISCURSIVE DU DISCOURS RAPPORTÉ

0. EN GUISE D’INTRODUCTION

L’une des principales et des plus étonnantes1 divergences qui distinguent les travaux sur le discours rapporté (désormais DR) concerne les défi nitions que les chercheurs respectifs adoptent dans leurs analyses2. À notre connaissance, cette problématique n’a pas été tranchée dans les publications théoriques relatives au domaine du rapport de la parole d’autrui. Cependant, une fois de plus, il apparaît probable que les recherches sur les hétérogénéités énonciatives se fondent, para- doxalement, sur des outils hybrides. En gros, deux approches défi nitoires (et non pas une seule communément admise) sont en cours dans les travaux sur le DR.

La première, héritée certainement encore de Charles Bally3, identifi e le DR au segment qui reproduit la parole d’autrui. Celui-ci est entouré d’un contexte nar- ratif qui ne fait pas partie du DR. Cette approche semble être suivie par exemple dans le travail de Gérard Genette4.

La seconde approche, promue surtout par Jaqueline Authier-Revuz5 et inspi- rée des réfl exions de Mikhaïl Bakhtine6 souligne que le segment qui représente

1 Nous nous sommes sentie étonnée pour deux raisons au moins: d’abord par le fait que de nettes divergences portent sur le point crucial des recherches sur le DR, ensuite par le fait que celles- ci ne sont pas à vrai dire discutées dans les travaux.

2 Cette contribution contient des fragments remaniés du travail plus large qui vient de paraître:

E. Biardzka, Les échos du « Monde ». Pratiques du discours rapporté dans un journal de la presse écrite, Wydawnictwo Uniwersytetu Wrocławskiego, Wrocław 2009.

3 Ch. Bally, « Le style indirect libre en français moderne », Germanisch-Romanische Mo- natsschrift 4, 1912, pp. 549–556, 597–606, et Ch. Bally, « Figures de pensée et formes linguis- tiques », Germanisch-Romanische Monatsschrift 6, 1914, pp. 405–422, 456–470.

4 G. Genette, Figures III, Seuil, Paris 1972.

5 J. Authier-Revuz, « Repères dans le champ du discours rapporté », L’information gram- maticale 55, 1992, pp. 38–42, et J. Authier-Revuz, « Repères dans le champ du discours rapporté (suite) », L’information grammaticale 56, 1993, pp. 10–15.

6 C’est au chercheur russe que nous devons la défi nition qui souligne l’aspect métaénonciatif et/ou métadiscursif du DR (« le DR est un discours sur le discours, une énonciation sur l’énoncia-

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la parole rapportée est toujours accompagné d’un type de discours particulier qui verbalise les données de l’énonciation première. Le modèle du DR est pour la linguiste française décidément bipartite. Par exemple, l’analyse du DD s’effectue chez elle en termes de rupture sémiotique et syntaxique entre les segments qui le composent.

Le postulat de recherches plus approfondies sur le discours7 introduisant/en- tourant les paroles citées a été lancé par Gerald Prince8. Les caractéristiques sé- mantico-énonciatives et pragmatiques des segments textuels précédant/entourant les fragments représentant la parole citée et, de la sorte, faisant partie à part entière du DR, ont fait l’objet de publications de Aleksander Wit Labuda9 et, d’une ma- nière peut-être moins directe et développée, de Danielle Coltier10.

Cette dualité des approches envers les défi nitions du DR laisse ses traces dans le discours prescriptif des grammaires et des manuels. Ils présentent d’habitude le DR comme une structure bipartite en l’illustrant soit de la séquence minimale

« il dit: x », soit de « il dit que x »11 et s’intéressent beaucoup, pour ce qui est de l’indirect en particulier, aux ajustements temporels et adverbiaux entre la partie citante et la partie citée. Cependant, en même temps, ils ont tendance à identifi er le discours direct ou le discours indirect uniquement au segment représentant la parole citée. Ne citons à ce titre que les auteurs de la Grammaire méthodique du français qui écrivent à ce propos ceci: « Le discours direct est inséré dans un autre discours, avec des marques explicites du décalage énonciatif produit: il est enca- dré par des guillemets ou, dans le cas d’un dialogue inséré dans un récit, chaque réplique est introduite par un tiret ». Et plus loin encore, mais dans le même para- graphe: « Le discours direct est généralement signalé par une phrase introductive (...). Cette phrase peut occuper trois positions12:

tion ») ce qui conduit inévitablement, à notre avis, à la conception bipartite du DR. Bakhtine écrit aussi à ce propos: « L’erreur fondamentale des chercheurs qui se sont déjà penchés sur les formes de transmission du discours d’autrui, est d’avoir systématiquement coupé celui-ci du contexte narra- tif », cf. M. Bakhtine, Le marxisme et la philosophie du langage, Minuit, Paris 1977, p. 166.

7 Appelé aussi, rappelons-le, le discours attributif ou le commentaire du narrateur, cf. A.W.

Labuda, « Citation, commentaire et autocommentaire du narrateur. Remarques sur la poétique du texte écrit », Zagadnienia Rodzajów Literackich XV, 1972, 2, pp. 37–51.

8 G. Prince, « Le discours attributif et le récit », Poétique 35, 1978, pp. 305–313.

9 A.W. Labuda, op. cit., pp. 37–51.

10 Coltier s’intéresse plus aux fonctions du DR dans les textes littéraires, sans essayer de théoriser le modèle d’un RdP quelconque. Néanmoins, ses analyses montrent clairement que, pour elle, les séquences du DR englobent nécessairement les bouts de texte qui entourent les citations, cf.

D. Coltier, « Fonctions et fonctionnement des paroles des personnages », Pratiques 64, décembre 1989, pp. 69–109. Elle y consacre un paragraphe à part intitulé « Dialogues et commentaires », D. Coltier, op. cit., pp. 83–85.

11 Le manuel de Riegel, Pellat et Rioul cite à ce titre la séquence suivante qu’il qualifi e de DR:

« Groucho Marx a dit: Je ne voudrais pour rien au monde faire partie d’un club qui serait disposé à m’accepter comme membre », cf. M. Riegel, J.-C. Pellat, R. Rioul, Grammaire méthodique du français, PUF, Paris 1994, p. 597.

12 Nous avons essayé de garder la ponctuation originale.

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• Avant le passage au discours direct (...)

• À l’intérieur ou après le fragment au discours direct (...) »13.

L’exemple qui ouvre le chapitre de la grammaire citée accentue plutôt la face

« bipartite » du DR qui se modifi e pourtant en image pour ainsi dire « mono- bloc »14 dans la partie descriptive. Rosier également, dans son étude sur l’histoire, les théories et pratiques du DR, indique que tel discours indirect « a longtemps été traité comme une complétive »15. Dans ses propositions de modèle descrip- tif et explicatif des formes de DR16, elle avance que le DR met en rapport deux discours: celui qui cite (le « dire » ou le « discours citant ») et celui qui est cité (le « dit » ou le « discours cité »). Rosier semble préoccupée surtout par le pas- sage (conçu comme lieu de rencontre) entre les deux discours ainsi défi nis17. Cette théorisation ne dit rien sur les limites des séquences du DR et, plus particu- lièrement, sur des limites du discours citant: faut-il l’identifi er à la totalité du texte qui entoure le « dit »? Certainement pas, sinon chaque texte entier (qu’il soit mo- deste ou développé) contenant un segment reproduisant la parole d’autrui serait qualifi able de discours rapporté. Nous posons cette question car les implications méthodologiques de la conception du DR vont très loin et concernent surtout la pragmatique du rapport de la parole d’autrui. Celle-ci étudie souvent les effets de l’intégration du DR dans le discours. De tels projets peuvent aboutir à des conclu- sions très variées en fonction de la défi nition du DR adoptée.

Ainsi, dans la version bipartite du DR, nous aurons à vrai dire deux lieux de rencontre entre les différentes « paroles »: d’abord une rencontre interne18 entre le discours citant et le discours cité, ensuite une rencontre externe (avec deux pôles: gauche et droit) entre le DR bipartite (qui égale au discours citant + discours cité) et le texte qui n’est pas un discours rapporté, c’est-à-dire qui ne rapporte rien et qu’on peut appeler discours circonvoisin (désormais DCv). Sur le schéma ci- dessous, les fl èches illustrent ces deux lieux de rencontre.

13 M. Riegel, J.-C. Pellat, R. Rioul, op. cit.

14 Dans une telle conception du DR, on pourrait se demander à juste titre où est la place pour un « dédoublement de l’énonciation ».

15 Rosier souligne ainsi non seulement la conception du DR limitée au segment représentant la parole d’autrui mais aussi centrée sur le caractère purement grammatical (syntaxique) du rapport de la parole d’autrui. Cf. L. Rosier, Le discours rapporté. Histoire, théorie, pratiques, Duculot, Paris–Bruxelles 1999, p. 11.

16 L. Rosier, op. cit., pp. 125–129.

17 Ibidem, p. 127.

18 « Interne » car elle se place à l’intérieur de la séquence du DR.

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Le modèle de recherche pragmatique à suivre dans la version monobloc du DR où le discours rapporté égale le segment qui représente la parole citée et le discours citant soit se disperse quelque part dans le DCv, soit il s’identifi e à la totalité du DCv.

Les deux schémas que nous venons de présenter sont, nous l’espérons, assez simples mais non pas trop simplistes pour illustrer les dangers méthodologiques qui découlent de la théorisation divergente des modèles discursifs du DR.

1. ENTRE LES IMAGES MENTALES ET LES PRATIQUES DISCURSIVES Quand nous lisons une grammaire, un manuel de stylistique ou consultons d’autres usuels comme les dictionnaires de linguistique ou d’analyse du discours, les termes relevant de la nomenclature du DR sont le plus souvent pris au sens abstrait. Dans ce genre de textes, en effet, on ne s’occupe pas d’analyser un texte ni même de décrire un type (genre) de textes: on y dresse un inventaire autant que possible exhaustif de structures générales, de formes et de paradigmes (patterns) abstraits dont, depuis Saussure, on a pris l’habitude de dire qu’ils font partie du système de telle ou telle langue naturelle et qu’il est possible ensuite de retrouver ou d’utiliser comme incarnations concrètes dans l’organisation de tel texte ou type de texte particuliers. Il suffi t de lire attentivement le chapitre, la section, les ar- ticles qui dans ce genre d’ouvrages de consultation sont consacrés au DR, pour se convaincre qu’il y est question du DRA, du DDA, du DILA, etc.19 Un seul échan- tillon: « Le discours rapporté au style indirect perd son indépendance syntaxique et énonciative »20. Ce que visent les phrases de cet excellent manuel, ce n’est pas un DIC, mais bien le DIA. Dans le contexte du discours grammatical, même les exemples qui illustrent la description des formes abstraites21 ne fonctionnent pas comme des occurrences particulières, mettons du DIC, mais comme des (proto)- types, comme des paradigmes exhibant ce qu’il y a de général, de trans-individuel dans une forme. Compris de la sorte, le terme de discours rapporté ne renvoie pas au champ empirique large des séquences textuelles rapportant certains événements énonciatifs (désormais EE1). Tout en ménageant une ouverture vers l’inconnu, vers

19 Où le « A » en exposant se lit « abstrait » et le « C » se lit « concret ».

20 M. Riegel, J.-P. Pellat, R. Rioul, op. cit.

21 Voici un exemple venant de la grammaire citée: « Robespierre a dit que Danton était un traître ».

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les terrains pour ainsi dire vierges de tout regard analytique et classifi cateur, il ren- voie surtout à un champ déjà cultivé, en partie balisé, où nous voyons apparaître les frontières séparant les types de DRC, types défi nis par des faisceaux de propriétés formelles que doit posséder (ou ne pas posséder, car ces types sont non seulement défi nis, mais aussi interdéfi nis) tel ou tel bout de texte pour qu’il puisse être classé comme relevant de tel ou tel type: discours direct (DD), discours indirect (DI), discours indirect libre (DIL), discours direct libre (DDL), modalisation en discours second (MDS), îlot textuel (IT)...? Les dénominations dont ces types de DR ont pu être affublés désignent, elles aussi, non pas des bouts de texte (DRC), mais bien des concepts, images mentales simplifi ant la richesse du concret pour en donner une vision ramenée à un nombre réduit de propriétés présentes/absentes, vision plus économique, épargnant l’excès d’effort cognitif. Dans ce sens abstrait, le terme de discours rapporté désigne un concept très général (celui de tout texte relatant un ou plusieurs EE1) qui, lui, subsume des concepts plus spécifi ques correspondant à l’ensemble des types ou formes langagières (DD, DI, DIL, DDL, MDS, IT,...?) qui structurent ou pourraient structurer tout ce qui dans un texte est récit, description ou seulement évocation allusive de paroles réellement prononcées. Par rapport aux termes qui désignent ces formes, dans la nomenclature couvrant le champ du DR, il joue le rôle de terme générique ou, si l’on veut, de terme hypéronyme22.

2. VERS UNE DÉFINITION DISCURSIVE DU DR

À notre sens, point n’est besoin d’insister sur l’utilité des descriptions gram- maticales des formes du DR, c’est-à-dire de tout ce qui dans les pratiques diverses (littéraires, journalistiques, scientifi ques) du DRC en est venu à se grammaticali- ser. Elles nous aident à former dans notre cerveau des concepts autant que possible clairs et nets, ce qui, dans la lecture et l’analyse des textes nous permet de repérer et de classer les divers types de DR. Avec pourtant cet inconvénient que, armés de tout cet outillage conceptuel, nous risquons de découvrir dans notre corpus uni- quement du déjà découvert. C’est pourquoi, sans aucunement oublier ce que les autres nous ont appris, quand nous voulons décrire ce qu’il y a de spécifi que dans la pratique du DR dans un corpus de textes qui nous intéresse (un roman, l’œuvre romanesque de Flaubert, ou comme nous l’avons choisi de le faire, un discours journalistique) et que nous préférons ne pas demeurer aveugles à ce qui, du DR, peut se tapir dans ces terrains restés encore vierges, inexplorés par le regard des grammairiens, il vaut mieux partir avec, en tête, une défi nition minimale et em- pirique du DR, ou celle du DRC: séquence de texte qui raconte, décrit ou évoque des paroles.

22 L’analyse qui nous a conduit à distinguer le sens concret (DRC) et le sens abstrait (DRA) du terme discours rapporté doit être appliquée aux dénominations des formes du DR. Elle nous amène à distinguer les emplois DDC et DDA, DIC et DIA, etc.

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Le DR, séquence de texte, a pour référent l’acte de parole (ou – selon le point de vue adopté – l’acte de langage ou de discours, ou acte linguistique) que nous appellerons événement énonciatif (EE1), réel ou fi ctif, différent de l’événement énonciatif EE2 dont cette séquence du DR fait partie tout en offrant une image de EE1, image qu’on qualifi era, selon le point de vue adopté (séma- ou onomasio- logique), de textuelle ou de mentale, image jamais complète, toujours sélective (IEE1)23. C’est cette IEE1 qui constitue la (micro) diégèse d’une séquence du discours rapporté au sens concret (DRC ), celui d’objet empirique, de morceau du texte, d’un DR token, occurrence particulière. Dans un article de journal (EE2), un DRC tel que:

(1) Le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, a déclaré, samedi 8 février, que toute décision de recours à la force contre l’Irak devait être prise par les Nations Unies. (mardi, 11 février 03/2)24

donne une IEE1 sélective et réelle de l’EE1, son référent réel (déclaration de Kofi Annan faite le 8 février 2003 à... etc.). Ainsi, si le terme et le concept de dis- cours rapporté envisagent des phénomènes décrits dans leur dimension textuelle (grammaticale, énonciative et sémantique), le terme et le concept d’événements énonciatifs renvoient à leur dimension diégétique. En termes de celle-ci, les EE1 sont l’objet spécifi que d’un certain type de récit, le récit de paroles25, distinct d’un autre type de récit, que nous appellerons pour l’instant récit d’événements.

La distinction que nous nous proposons de faire reprend la dichotomie établie par Gérard Genette dans le cadre de sa théorie du récit26. D’une façon radicale, il y distingue deux modes narratifs nettement tranchés (double emploi): le récit d’événements et le récit de paroles qu’on trouve dans les textes romanesques (ou, plus généralement, narratifs). Pour lui, le récit d’événements est une transposition du non-verbal en verbal (le récit romanesque étant toujours, de par sa nature, le produit de l’activité verbale) tandis que le récit de paroles est une traduction du

23 Les abréviations EE1 et EE2 peuvent se lire, respectivement, événement énonciatif premier et événement énonciatif second. Il s’agit bien sûr d’une notation conventionnelle, mais qui n’est pas tout à fait arbitraire. Elle est motivée par une certaine vision des choses selon laquelle un EE2 (celui qui rapporte, par lequel passe le rapport) présuppose, logiquement et, le plus souvent, chronologi- quement, l’existence d’un EE1 (rapporté, celui qui est l’objet du rapport). Cette convention et sa motivation sont conformes aux motivations et aux implications de l’expression modalisation en dis- cours second, forgée par J. Authier-Revuz, « Repères dans le champ du discours rapporté », p. 39.

24 Les références des exemples suivent le modèle: journée de la parution du Monde, mois, année, numéro de la page.

25 Ainsi compris, le DR est une composante du discours journalistique qui, selon l’idée de beaucoup de chercheurs (cf. à ce propos F. Revaz, « Le récit dans la presse écrite », Pratiques 94, juin 1997, pp. 19–35) présente nombre de caractéristiques propres au récit: tels reportage et fait divers sont communément assimilés à des textes narratifs qui « racontent » et ont donc pour objet

« des histoires » ou, si l’on veut, des diégèses. Ce dernier est en fait un échantillon du récit de pa- roles.

26 G. Genette, op. cit., pp. 186–203, et G. Genette, Nouveau discours de récit, Seuil, Paris 1983, p. 23.

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verbal en verbal. Proposée pour rendre compte de la structure des textes de fi ction, cette opposition nous semble également applicable à des textes qui reproduisent des discours effectivement tenus27, et, partant, à des textes de presse. Pourtant, une précision reste à faire. Celui qui rapporte les propos de quelqu’un est censé non seulement représenter linguistiquement ceux-ci, mais aussi les attribuer à la personne qu’il cite et préciser, éventuellement, d’autres circonstances de prise de

27 G. Genette, Nouveau discours..., p. 34, précise lui-même que ces deux modes narratifs sont propres aussi aux récits non fi ctionnels (l’histoire, la biographie, l’autobiographie) qui relatent les propos réellement tenus. En fait, dans un article de journal (EE2), un DRC tel que:

• Le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, a déclaré, samedi 8 février, que toute décision de recours à la force contre l’Irak devait être prise par les Nations Unies. (mardi, 11 février 03/2) donne une IEE1sélective et réelle de l’EE1, son référent réel (déclaration de Kofi Annan faite le 8 février 2003 à... etc.). Dans Madame Bovary (EE2), un DRC tel que:

• Le Proviseur nous fi t signe de nous rasseoir; puis, se retournant vers le maître d’études:

– Monsieur Roger, lui dit-il à demi-voix, voici un élève que je vous recommande, il entre en cinquième. (Flaubert 1961:15)

offre une IEE1sélective et réelle de l’EE1, son référent fi ctif (présentation d’un « nouveau », Charles Bovary, au maître d’études... etc.). On voit d’après ces deux exemples que la situation dans laquelle se trouve le lecteur d’un article de journal d’une part et d’un récit romanesque de l’autre, n’est pas tellement différente. Dans les deux cas, il n’a pas d’accès cognitif direct au référent EE1du DRC (sauf, peut-être, les quelques consommateurs privilégiés du journal ayant, mettons, assisté le 8 janvier 2003 à la conférence de presse de Kofi Annan). La connaissance que le lecteur peut avoir de l’EE1 est indirecte, médiatisée par l’EE2. Que cet événement (ré)énonciatif soit médiatique ou romanesque, dans les deux cas, ce n’est qu’un morceau de la diégèse que le lecteur doit imaginer, c’est-à-dire (se)former une représentation mentale (réelle) de l’EE1 à partir de l’image textuelle (sélective) de cet événement que lui offre le DRC produit par le journaliste ou par le narrateur du roman. La seule différence concerne le statut ontique dont se voit qualifi é le référent du DRC. En lisant Madame Bovary nous aurons plutôt tendance à considérer la conversation entre le Proviseur et Monsieur Roger comme fi ctive, inventée par Flaubert, auteur du roman; face à l’article, nous sommes plutôt portés à croire que M. Kofi Annan a bel et bien tenu sa conférence de presse, et tout cela alors même que, et le journaliste, et le narrateur du roman de Flaubert nous présentent, l’un, la conférence de presse, l’autre, la conversation, comme quelque chose qui a réellement eu lieu, l’un, sa prose journalistique, l’autre, sa prose narrative comme de la parole vraie. Quant à savoir sur quoi se fondent d’une part cette quasi certitude et de l’autre, ce doute existentiel qui concernent le référent du discours journalistique et celui du discours romanesque, c’est une autre affaire que nous n’avons point le loisir de discuter ici. Nous nous permettrons de suggérer seulement ceci: n’ayant jamais eu l’occasion de connaître personnellement ni M. Le Proviseur, ni M. Kofi Annan, nous (notre cerveau) disposons quand même d’un fonds d’ouï-dire, de déjà-lu, de déjà-vu venant de sources diverses, fonds qui nous empêche de mettre sérieusement en doute l’existence du secrétaire général de l’ONU, alors que celle de M. Le Proviseur ne nous est garantie que par un seul texte ou, plus précisément, par le narrateur de Madame Bovary, que nous avons de bonnes raisons de consi- dérer, lui aussi, comme un personnage inventé par Flaubert. Nonobstant cette différence, face à des spécimens du DRC tels qu’en exemples précités, nos attitudes et réactions cognitives sont similaires:

nous fabriquons un petit bout de la diégèse nous permettant de nous faire une idée d’un événement auquel nous n’avons jamais assisté. Qu’il s’agisse du référent réel (historiquement attesté) ou fi ctif (c’est-à-dire nul), le résultat est le même: une image mentale qui, elle, est (insistons là-dessus) réelle quoique sélective.

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parole, mettons par exemple le temps ou le lieu. Contrairement à ce que paraît admettre Genette, il nous semble que le récit de paroles n’est pas une structure simple mais, au contraire, une séquence référentiellement complexe, à caractère binaire. Elle recouvre donc dans un premier temps, la reproduction ou la reformu- lation linguistique des paroles prononcées (qui seraient, comme le veut Genette, une transposition du verbal en verbal) et, dans un deuxième temps, une sorte de commentaire qui verbalise nécessairement certaines données paraverbales et non verbales de la situation de communication propre aux paroles convoquées. En fait, comme l’a souvent souligné Bakhtine28 on ne rapporte pas uniquement les paroles mais l’énonciation entière. Le discours présentant les événements énonciatifs con- tiendra donc non seulement du « verbal verbalisé » mais aussi du « non-verbal verbalisé ». Authier-Revuz le rappelle sous la forme du schéma suivant 29:

Graphie 1

Comme le précise Authier-Revuz, chaque acte d’énonciation E se caractérise par la présence d’un locuteur L et d’un récepteur R, une situation de communi- cation SIT (temps, lieu, une infi nité de données...) et d’un message M. Dans la situation particulière du discours rapporté, le message M a pour objet un autre acte d’énonciation à son tour caractérisable par la présence d’interlocuteurs l, r, de donnés situationnelles sit et comportant un message m. Ainsi, la reproduction ou la reformulation des paroles est-elle accompagnée d’une sorte de commentaire du locuteur rapportant qui essaie de relater des données situationnelles dans les- quelles est apparu un message m. Ce commentaire peut aussi bien précéder les paroles rapportées que les suivre; parfois il s’insère même à l’intérieur du frag- ment rapporté. Il dépasse souvent le cadre d’une phrase et c’est pourquoi il serait diffi cile de l’assimiler, par exemple, à ce qu’en grammaire on appelle le syntagme introducteur et qui n’en est souvent qu’une composante précédant immédiatement le segment cité en discours direct, qu’on peut considérer comme un rapport de

28 M. Bakhtine, op. cit., pp. 161–172.

29 J. Authier-Revuz, « Repères dans le champ du discours rapporté (suite) », pp. 10–15.

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paroles au sens strict. En fait, ce dernier, comme le remarque Bally dans sa publi- cation sur les fi gures de pensée et les formes grammaticales30, ne renferme par lui- même aucun signe d’attribution à l’énonciateur cité31. Aussi le linguiste genevois insiste-t-il sur le rôle primordial du contexte extérieur à tout rapport de la parole d’autrui. Un demi siècle plus tard, dans son article sur le « discours attributif », Prince s’étonne qu’il n’existe point d’expression en poétique pour désigner le dis- cours accompagnant les paroles rapportées des personnages et que, de surcroît, le sujet semble en grande partie négligé par les narratologues32. Pour lui, la citation ne peut pas non seulement indiquer par elle-même son origine mais non plus « son contexte et sa destination ». Pour Labuda33, le commentaire du narrateur accom- pagnant la citation est textuellement indispensable: il préserve le texte de la désin- tégration sémantique. En fait, il suffi t de lire un petit bout de texte d’information du Monde pour s’apercevoir que les énoncés cités sont escortés par des fragments de textes qui ne sont pas eux-mêmes des citations, et qui précisent le contexte de production, la manière dont il faut comprendre les paroles évoquées. De par leur contenu et leurs fonctions, ils sont comparables aux didascalies théâtrales34. Nous nous proposons d’adapter ce terme pour notre description du DR. Ainsi, les didascalies journalistiques ou, plus généralement, les didascalies du rapporteur, désigneront les commentaires du journaliste accompagnant les paroles citées dans les textes. Prises ensemble, les didascalies et les paroles citées qu’elles accom- pagnent constituent, sur le plan textuel, les séquences du DR qui ouvrent l’accès cognitif au plan diégétique, c’est-à-dire qui permettent au lecteur de (se) former des représentations des EE1. La défi nition du DRC, que nous venons d’esquisser correspond mutatis mutandi à celle qu’a proposée Bally35 en parlant des trois styles du rapport de paroles (direct, indirect, indirect libre): « Dans les trois cas on est en présence d’un énoncé [E] de paroles (...) ou de pensées (...) attribuées à un

30 Ch. Bally, « Figures de pensée... », pp. 405–422 et 456–470.

31 « En lisant une phrase telle que Victor Hugo n’aimait pas la musique, il ne la comprenait pas, tout le monde aura l’impression d’un jugement porté par la personne qui parle ou qui écrit. (...) Mais entourez cette même phrase d’un contexte (...) tout change et le doute n’est plus possible: (...) Une légende s’accroche presque toujours aux hommes illustres. N’essayez pas de la détruire; elle est entrée dans l’Histoire et elle y a reçu ses lettres de naturalisation: Victor Hugo n’aimait pas la musique, il ne la comprenait pas. C’est désormais un article de foi dans le catéchisme des erreurs répandues sur les grands hommes », Ch. Bally, « Figures de pensée... », p. 412.

32 Prince essaie de combler le vide terminologique et propose de les appeler « discours at- tributif », cf. G. Prince, op. cit., p. 305. Pourtant, selon sa défi nition, cette dénomination englobe uniquement des commentaires accompagnant le discours direct.

33 A.W. Labuda, op. cit., pp. 37–51.

34 Cf. les mémoires de maîtrise préparés en 2006 à l’Institut d’Études Romanes de l’Univer- sité de Wrocław dans le cadre du séminaire de Aleksander Wit Labuda; citons, à titre d’exemple celui de Małgorzata Rygiel, Les didascalies narratives dans « Les Caves du Vatican » d’André Gide.

35 Ch. Bally, « Figures de pensée... », pp. 405–422, 456–470.

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sujet [S], par une personne qui rapporte ces paroles ou ces pensées [R]36 ». Si nous laissons de côté la question de savoir s’il faut, oui 37 ou non 38, assimiler le rapport de pensées au rapport de paroles, on peut constater que pour Bally, les paroles rap- portées correspondent à une séquence textuelle et/ou un acte énonciatif reprodui- sant une autre séquence textuelle et/ou un autre acte énonciatif: « un énoncé (E) », par R, « de paroles » de S. Et précisons-le tout de suite: uniquement de paroles.

Car comme il l’ajoute plus loin, cet «énoncé (E) » peut être précédé, suivi, mêlé, pénétré « de paroles prononcées ou écrites par R » et, pour lui, ces paroles (de type

« Pierre déclara ») ne font plus partie du E, mais du texte « forcément narratif ».

Il les fi gure par le symbole N39. Notre séquence DRC, un objet textuel, empirique et concret, s’analyse, en termes de Bally, comme à peu près N + E40. N est un morceau du texte narratif (qui raconte sans rapporter) et E, un énoncé des paroles de S par R (qui rapporte au lieu de raconter)41. En passant de la nomenclature de Bally à la nôtre, nous dirons que le DRC est une structure binaire, comportant deux segments: la Didascalie (désormais Did) et la Citation (désormais Cit). Les majus- cules ne sont pas utilisées sans raison: nous allons prendre les deux termes au sens générique, recouvrant, dans les cas de Didascalies, plusieurs formes grammatica- les et textuelles, dans le cas de la Citation, tous les modes de la représentation des paroles citées (aussi bien reproduites « fi dèlement » que « reformulées »). Notre DRC se fi gurera donc sous l’équation suivante: DRC = Did + Cit.

Par rapport à d’autres séquences du texte qui représentent divers types d’évé- nements « muets »: actions, incidents, faits, qui n’engagent pas la parole, le récit de paroles a la particularité de représenter également le dit de brasser du verbal,

36 Nous avons supprimé les renvois aux exemples dont Bally a fait précéder sa description du rapport de paroles.

37 Cf. G. Genette, Figures..., pp. 191–192. Marcel Vuillaume écrit ceci à propos du rapport des pensées: « Je préfère parler du style indirect libre plutôt que de discours indirect libre, parce que le terme de discours évoque trop fortement l’idée de parole, alors que ce qu’on rapporte au SIL, ce sont aussi souvent des pensées que des paroles. Plus précisément, il me semble que l’innovation majeure de la littérature narrative du XIXe siècle, ce n’est pas tant l’usage massif du SIL que son emploi pour rapporter des pensées donc pour nous donner directement accès à la conscience des personnages » (2000: 107/note nº1).

38 D. Cohn, La transparence intérieure, Seuil, Paris 1981, pp. 24–25.

39 Ch. Bally, « Figures de pensée... », pp. 405–422, 456–470.

40 À peu près, car chez Bally N = toute la narration (sauf E), alors que, pour nous, Did = ce morceau de N qui commente E.

41 Dans la mesure où, disposant d’un ensemble suffi samment étendu de DRC, il devient possible de les regrouper en des sous-ensembles dont les éléments se ressemblent par la manière de rapporter les EE1, on peut commencer à prendre le terme de DR dans un sens plus abstrait. Il désignera non plus telle ou telle séquence de texte relatant tel ou tel EE1particulier, un DRC (DR au sens de token, occurrence), mais un concept subsumant l’ensemble des types ou des « formes » (schémas, modèles syntaxiques et/ou patterns textuels) dont relèvent les séquences du DRC. Re- lèvent ou peuvent relever, car il s’agit de toutes les formes, connues et inconnues, décrites et non encore décrites, au travers desquelles passe ou peut passer le rapport des paroles ou, plus précisé- ment, le rapport des EE1.

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c’est-à-dire un genre d’actions toutes particulières et pourtant omniprésentes. Et comme, pour les intégrer dans le discours, on est forcément obligé d’utiliser de la parole aussi, la presse en devient un lieu de rencontre, de choc parfois, de deux paroles, celle qui rapporte et celle qui fait l’objet du rapport.

3. EFFETS DE COMBINATOIRE ENTRE LA CIT ET LA DID

L’inventaire des séquences du DR que nous avons dressé à partir du corpus puisé dans Le Monde présente l’effet d’une combinatoire entre les deux segments constitutifs du RdP: entre le segment Did et le segment Cit. La relation syntaxique entre la Cit et la Did dépend de la forme grammaticale que prend cette dernière.

Les commentaires didascaliques des journalistes du Monde prennent plusieurs formes syntaxiques, allant de la simple phrase introductive, passant par la phrase complète, des séquences sans verbe, des syntagmes spécifi ques spécialisés dans le rapport de la parole, jusqu’à la séquence de phrases (segment textuel compact) ou des formes « originales », diffi cilement classifi ables. En général, les relations entre la Did et la Cit se défi nissent par deux cas de fi gure. Soit le journaliste rap- porte les paroles de différentes personnes sans les assimiler à la syntaxe de son propre énoncé, soit il les intègre dans son discours conformément aux règles de la syntaxe. Dans le premier cas, nous avons affaire à une combinatoire libre, dans le second cas, nous affrontons une combinatoire contrainte. Dans la combina- toire libre, la Did et la Cit sont syntaxiquement (et typographiquement) séparées, comme dans les textes dramatiques. La séquence du DR se caractérise par une rupture syntaxique42: la Did est en quelque sorte « ajoutée » à la Cit qui ne sem- ble pas limitée par les formes linguistiques que peut revêtir cette première. La combinatoire libre va au-delà des limites de la phrase. Le rapporteur journaliste est libre de choisir l’emplacement des Did: leur position par rapport aux Cit n’est pas syntaxiquement contrainte43. Pour décrire ce type de fonctionnement du RdP, nous avons parlé de Did transphrastiques.

Dans la combinatoire contrainte, la Did et la Cit sont syntaxiquement liées.

La séquence du DR qui résulte de la combinatoire contrainte est homogène du point de vue sémiotique et syntaxique, mais elle est hybride du point de vue énon- ciatif: elle abrite des contenus provenant de deux locuteurs distincts44. Ainsi, c’est seulement le segment Did qui contient les propos propres au rapporteur journa-

42 Abstraction faite pour l’instant de la rupture sémiotique et énonciative.

43 Toutefois, il convient de remarquer que la syntaxe « interne » des Did transphrastiques dépend de leur position par rapport à la Cit: dans les cas de postposition et d’insertion, l’inversion du sujet est obligatoire.

44 Sauf dans le cas du locuteur autodiégétique, diffi cilement trouvable dans le discours du Monde, qui cite ses propres dires, selon le modèle: « Je lui ai dit que je ne viendrais pas au ma- riage ».

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liste. Dans le segment Cit, ce même journaliste rapporte un contenu (un signifi é) qui ne vient pas de lui: les paroles des énonciateurs cités sont reformulées dans le langage propre au rapporteur (le journaliste donne à l’énoncé d’origine un nou- veau signifi ant approprié à sa situation d’énonciation). La jonction des Did et des Cit se fait à l’intérieur de la phrase45 qui est grammaticalement fi nie et autonome.

La Did est alors intra-phrastique parce qu’elle est syntaxiquement soudée à la Cit et non pas « ajoutée », comme dans la combinatoire libre. La liste des emplois du DR ainsi classés a été pour nous l’occasion de confronter, dans les limites du cor- pus, la pratique journalistique du DR dans Le Monde à la théorie grammaticale.

Ainsi, les séquences libres du DR relevées dans notre corpus ont été réper- toriées selon quatre positions principales que peut prendre la Did par rapport à la Cit: Did antéposée (Did + Cit), Did postposée46 (Cit + Did), Did intercalée dans la Cit (Cit + Did + Cit) et Did encadrant la Cit (Did + Cit + Did). Prenons l’exemple des DR dans le contexte Did + Cit ou Cit + Did. Ces séquences illustrent bien souvent l’une des formes consacrées par les grammaires: celle du discours direct, par exemple:

(2) Participant à plusieurs émissions politiques, dimanche 9 février, sur les chaînes de télé- vision américaines, Colin Powell a assuré: « Il est encore possible d’éviter la guerre ».

(mardi, 11 février 03/2)

La pratique discursive du Monde connaît pourtant des occurrences du DR où la phrase introductive caractéristique du DD, dotée d’un verbe de parole et ter- minée par deux-points introduit la Cit que nous avons qualifi ée de reformulation:

elle n’est pas typographiée47. Les Did de ces séquences contiennent souvent des verbes de parole (ou leurs équivalents) qui ont un sens de résumés d’opinions ou de dires, ou, tout au moins, signalent que les propos sont évoqués « en substan- ce ». La phrase introductive est parfois remplacée, comme en (7), par une phrase complète simplement terminée par un point. En voici quelques exemples (les Did sont soulignées):

(3) Abidjan a lancé, mercredi 19 février, un double signal à la France: offi ciellement, la logi- que d’apaisement prend le dessus, mais la rue reste méfi ante vis-à-vis du processus de paix et des autorités françaises. (vendredi, 21 février 03/5)

(4) Ce que la presse allemande avait traduit par une formule lapidaire: Gerhard Schröder a le choix entre tromper ses électeurs ou tromper les Américains. (mercredi, 15 janvier 03/2) (5) Central Intelligence Agency (CIA) persiste et signe: l’Irak s’est bien lancé dans la concep-

tion d’armes dites de construction massive (ADM) (...). (mercredi, 15 janvier 03/3)

45 Abstraction faite des cas complexes car les séquences du DR « contraints » peuvent ac- cueillir, en postposition, des Did libres supplémentaires.

46 Appelée par G. Prince, op. cit., p. 308, proposition incidente ou incise terminale.

47 Le discours prescriptif du Monde ainsi que l’analyse du corpus ne laissent pas de doutes: les Cit reproductions sont marquées dans le journal par une typographie cohérente et récurrente. Dans un corpus homogène comme le nôtre, de ce point de vue, la classifi cation des segments qui suivent les deux points ne pose pas trop de problèmes.

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(6) Pour calmer les esprits, le premier secrétaire du parti, François Hollande, a alors défi ni la ligne de conduite à tenir: l’Internationale socialiste – l’amitié – ne compte pas par rapport aux principes tels que la défense des droits de l’homme. (vendredi, 7 mars 03/4) (7) Nigel Roberts, le directeur de la Banque mondiale pour Gaza et la Cisjordanie a présenté,

mercredi 5 mars à Jérusalem, les conclusions du rapport d’étape soumis aux donateurs à Londres, en février. Rien ne semble pouvoir arrêter la destruction de l’économie pales- tinienne, qui compte désormais plus de 50 % de chômeurs, alors que plus de 60 % des Palestiniens (2 millions de personnes) vivent sous le seuil de pauvreté fi xé à 2 dollars (environ autant d’euros) par jour et par personne. (vendredi, 7 mars 03/3)

Ce qui nous a semblé clairement apparaître lors de l’examen de ces séquences c’est que, puisque entre la Did et la Cit reformulation il n’y a pas de mot régis- sant, elles se situent dans la combinatoire libre. Toutefois, les certitudes faciles à exprimer s’arrêtent là. Ainsi, concernant les ajustements déictiques entre les deux segments du DR, nous avons enregistré non pas un seul, mais trois cas de fi gures.

Dans le premier, le cadre énonciatif de la Cit n’est pas adapté à celui de la Did. La rupture syntaxique va donc de pair avec la rupture énonciative, comme en (8) où le passé composé de la Did (soulignée) s’associe au présent et, surtout, au futur (souligné) du segment Cit:

(8) Tout en se refusant à répondre à « des questions hypothétiques » sur l’attitude de l’Alle- magne au Conseil de sécurité en cas de vote sur d’éventuelles sanctions militaires contre Saddam Hussein; il a répété les trois principes qui fondent la position de son gouverne- ment: premièrement; la résolution 1441 doit être strictement appliquée; deuxièmement, tout doit être fait pour empêcher la guerre; troisièmement, l’Allemagne ne participera pas à une intervention armée. (mercredi, 15 janvier 03/2)

Dans le second cas, les ajustements temporels et ceux d’autres déictiques (pronoms personnels, adverbes) entre la phrase introductive et la Cit reformula- tion sont neutralisés: les pronoms personnels qui interviennent dans les contex- tes retenus appartiennent à la troisième personne grammaticale, les adverbes sont absents et le temps qui domine, c’est le présent qui a souvent valeur de vérité générale. Par conséquent, l’insertion d’une Cit dans n’importe laquelle de ces séquences semble particulièrement facile:

(9) Ariel Sharon le répète: la guerre qui se prépare contre l’Irak ne concerne pas directement l’Israël. (vendredi, 21 février 03/1)

(10) Réaffi rmée de plusieurs manières au cours de la journée, la thèse américaine se ramène à ceci: la résolution 1441 n’impose pas à Saddam Hussein de laisser les inspecteurs aller où ils veulent, mais lui enjoint de désarmer. Il doit se défaire de toutes ses armes non conventionnelles, mettre fi n à tout programme pour en fabriquer et fournir les preuves de ces actes. (jeudi, 23 janvier 03/4)

Le troisième cas de fi gure est représenté par des séquences dont la Cit s’a- dapte au cadre énonciatif de la Did, par exemple:

(11) En 1977, le Times citait un sondage: 99 % des Italiens avaient entendu parler du pape, 100 % de Giovanni Agnelli ! (samedi, 25 janvier 03/12)

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(12) Le New York Times citait hier, dans un ordre précis, la nouvelle grille des alliés européens de l’Amérique selon la Maison Blanche de George W. Bush. En tête de liste fi guraient la Grande-Bretagne, la Pologne, et l’Espagne. (samedi, 25 janvier 03/16)

(13) Le ministre avait annoncé ses intentions dès juillet 2002: la France allait procéder à des retours forcés collectifs et se disait prête à les organiser avec d’autres pays européens dans le cadre de la lutte contre l’immigration clandestine. (vendredi, 7 mars 03/6)

Le schéma distributionnel analysé ne renvoie donc pas à une seule, mais à trois pratiques discursives distinctes. Leur hétérogénéité est importante et on peut se demander si elle est conciliable avec les formes du DR. Selon la conception traditionnelle du DR – certainement pas. Mais la conception élargie offre un éven- tail de formes plus large. En examinant les DR du Monde illustrés par le dernier groupe de séquences (11–13), nous avons pensé les associer aux formes du DIL.

Le DIL est d’habitude48 considéré comme un cas particulier du DI se caractérisant par l’ellipse du verbe de parole et de la conjonction de subordination « que ». Ce discours est donc libre car non subordonné à un verbe de parole, et il est indirect car il garde les transpositions grammaticales des personnes et des temps. Bally, l’un des premiers à traiter du DIL en linguistique, l’a placé en grammaire à côté du duo consacré DD et DI. Bally reconnaît pourtant qu’il arrive que les indices grammaticaux se diluent dans le contexte narratif et que le style indirect « ne res- sorte que de la situation »)49. De la sorte, le DIL est souvent présenté comme une intrusion de la parole dans le récit50 et comme une forme très ambiguë, parfois trop opaque pour pouvoir être classée parmi les objets de recherche de la linguis- tique51. Allant à l’encontre des ces tendances, Marcel Vuillaume ou Sylvie Mel- let, entre autres, insistent sur la « signalisation » ou les « marqueurs » du DIL52, comme, à titre d’exemple, les temps grammaticaux en -ait, le pronom « on » dans certains de ses emplois, des fragments dénotant une activité langagière (asso- ciables pour nous aux Did), etc. D’autres chercheurs, comme par exemple Carl

48 C’est ainsi que Ch. Bally, « Le style indirect libre... », p. 553, défi nit le DIL (qu’il appelle style indirect libre). Cette défi nition est retenue, entre autres, par J. Authier, « Les formes du discours rapporté... », pp. 1–87.

49 Ch. Bally, « Le style indirect libre... », pp. 456–457.

50 Cette perspective est fréquente surtout dans les analyses des textes littéraires: les person- nages sont présentés par le narrateur « comme s’ils parlaient » (cf. par exemple à ce propos J.-P.

Davoine, « Le pronom, sujet disjoint dans le style indirect libre de Zola », Le Français moderne 38, 1970, pp. 447–451.

51 M. Vuillaume écrit à ce propos: « Il convient cependant de garder les pieds sur terre et de tirer les conséquences du constat de bon sens que fait Carl Vetters au terme d’une étude consacrée précisément à l’absence de marque formelle du SIL: „On doit remarquer que les passages probléma- tiques où il y a hésitation entre les (...) interprétations possibles ne constituent qu’une partie infi me de la totalité des occurrences de SIL. Dans la plupart des cas, il n’y a pas le moindre doute et le lec- teur ne rencontre pas le moindre problème pour choisir la bonne interprétation” (cf. C. Vetters, « Le Style Indirect Libre », [dans:] idem, Temps et Discours, Universiteit Antwerpen (= Antwerp Papers in Linguistics 59), Anvers 1989, pp. 30–70) ».

52 S. Mellet, « À propos de deux marqueurs de bivocalité », [dans:] S. Mellet et M. Vuillaume, Le style indirect libre et ses contextes, Rodopi, Amsterdam–Atlanta GA 2000, pp. 91–106.

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Vetters53 soulignent la transparence de l’énorme majorité des emplois du DIL.

Pour nous, on peut placer les occurrences analysées dans ce paragraphe parmi ce type d’emplois. Nous pensons donc que le DIL, comme toute autre forme du DR, peut être considéré comme une séquence textuelle bisegmentale, contenant la Did et la Cit54. La Did de nos séquences du DIL est relativement univoque:

elle contient un verbe du dire ou son équivalent, elle identifi e l’énonciateur cité et se termine par une marque typographique – par les deux-points – qui signalent la Citation, au même degré que la typographie de la phrase introductive typique du DD55. Une telle variante du DIL se caractériserait, d’une manière univoque, et par les transpositions déictiques et par l’absence de subordination conjonc- tive. En fait, les verbes qui se présentent en surface (« résumer », « répéter ») acceptent diffi cilement une formulation indirecte (« *? il résume que ... », « *? il répète que ... »)56. Le premier emploi (exemples 3–7), comportant une Cit non ty- pographiée, mais intervenant dans la séquence sans transpositions de déictiques, nous a semblé au premier abord avoir trait au modèle du DD interprétatif, ou plus précisément au discours direct libre (DDL) puisqu’il semble imiter certaines de ses caractéristiques: phrase introductive, deux-points, indépendance énonciative de la Cit. Dans la conception globalisante du DR, le DDL, pris au sens de « sans mention de verbe déclaratif »57 ne s’adapte pas aux occurrences relevées dans notre corpus actualisant comme Did une phrase introductive type. Mais si on comprend le discours direct libre au sens de « sans marqueurs typographiques de la reproduction » mais aussi au sens de « qui garde son cadre énonciatif »58, ap- paremment, on est plus près du modèle. Apparemment, car, à notre sens, on n’est certainement pas dans le modèle.

Pris ensemble, l’absence des guillemets-italiques et le signal de la résomption du dire (ou de son rapport approximatif) dans la Did ne collent pas à l’image du direct. Par ces traits, la séquence analysée actualise deux signaux très forts de la

53 C. Vetters, op. cit., pp. 30–70.

54 Si cette forme du rapport de la parole d’autrui est souvent considérée comme vague, c’est parce que la délimitation externe et interne des segments qui la composent est parfois particu- lièrement diffi cile faute des marqueurs spécifi ques propres au DIL. Nous avons vu d’ailleurs que la délimitation de beaucoup de séquences du DR (comprises évidemment comme Did + Cit) peut poser de réels problèmes sans pour autant bloquer l’analyse.

55 Le rôle des deux points est très important dans les emplois interprétatifs du DR.

56 Ainsi, si le « que » doit être associé à un verbe, ce sera à un verbe de dire « prototypique » (« dire que ») en ellipse.

57 Comme chez Ch. Bally, Linguistique générale et linguistique française, PUF, Paris 1944, pp. 50–51, ou chez G. Strauch, « De quelques interprétations récentes du style indirect libre », RANAM. Recherches anglaises et américaines VII, revue annuelle, 1974, pp. 40–73, voir aussi à ce propos L. Rosier, op. cit., pp. 266–270.

58 Comme chez J. Simonin, « Les plans d’énonciation dans Berlin Alexanderplatz de Doblïn ou de la polyphonie textuelle », Langages 73, 1984, p. 32, ou chez E. Meteva, « La citation journa- listique avec ou sans guillemets », Faits de Langues 19, 2002, pp. 117–125.

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reformulation: formel (absence de typographie59) et sémantique (verbe de dire/ses équivalents/éventuellement contexte). Sur le fond, on peut admettre que ces sé- quences du DR se rangent parmi les reformulations et que la non transposition des déictiques n’est qu’un jeu énonciatif se situant dans la logique de la « métaphore du présent »60. Les propos reformulés (parfois à valeur nettement illocutoire) sont saisis non pas par rapport au point de repère fourni par la Did, donc celui du rap- porteur, mais par rapport au moment de la lecture. Le dire condensé/reformulé des actants-agents de l’espace public fait dès lors partie du présent, donc de l’actualité du lecteur, devient son présent et son actualité. Les EE1 sont plus palpables et le public peut se croire véritablement plus concerné. Du coup, les espaces temporels de l’énonciateur cité et des lecteurs coïncident. Néanmoins, la séquence entière renferme, paradoxalement du point de vue de la vulgate, une reformulation non homogène. L’ordre des niveaux énonciatifs du DR est brouillé. La séquence évo- lue entre le modèle du direct (DD) lui empruntant de faibles marques de repro- duction (non transposition de cadre énonciatif) et celui de l’indirect (DI) dont elle tire les traits sémantiques (signal de la résomption du dire) et formels (absence de la typographie) de la reformulation. D’après ces constatations, nous pensons qu’il est judicieux de parler, une fois de plus, de discours mixtes du DR, une sorte de mosaïque de traits propres aux DD/DI. Serait-ce une sorte de DIL basculant vers le DD61? Pris isolément, le signal de la résomption ou du rapport approximatif du dire contenu dans la Did se cantonne dans les séquences « directes » inventoriées comme modèles dans la conception élargie du DR. Guillemetée, la Cit qui fait partie du DD « pseudo-textuel » reproduit « à peu près » les propos d’origine, ce qui est discursivement marqué par des expressions du type: « en gros, en sub- stance »62. En fait, la tâche du rapporteur ne consiste pas à s’adapter aux mo- dèles canoniques du rapport de la parole d’autrui. Le journaliste s’adapte plu- tôt à la réalité crue et aux besoins du contrat de communication. De la sorte, il peut « recréer une parole à la place de mots qu’il n’a pu retenir « par coeur »63, ou arranger « un peu » des propos qu’il croit répétitifs ou lassants. Conformé- ment aux prescriptions rédactionnelles du journal, dès qu’il trouve que ce qu’il a construit comme segment textuel Cit est très proche du discours d’origine, il peut le marquer par les guillemets. Dès qu’il estime que sa Cit s’éloigne de l’original, il les élimine. La reproduction et la reformulation ont donc, en discours, un carac- tère graduel et évaluatif. Ce n’est pas au grammairien de décider des propriétés

59 Dans une séquence prise comme reformulée, les deux-points sont interprétables aussi com- me signe d’explication (« c’est-à-dire ») et non de citation (« je cite »).

60 F. Recanati, « Le présent épistolaire: une perspective cognitive », L’information gramma- ticale 66, juin 1995, pp. 38–44.

61 Nous reprenons l’idée de la mixité de L. Rosier, op. cit., pp. 220–221, qui la lie avec les formes du DR, alors que nous parlerions plutôt des pratiques discursives.

62 En même temps, une telle Cit bénéfi cie du statut autonymique, cf. J. Authier, « Les formes du discours rapporté ... », p. 76.

63 J. Authier, « Les formes du discours rapporté ... », pp. 1–87.

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(littéral/reformulé) des segments textuels. C’est le rapporteur qui en décide. De la sorte, l’absence de typographie associée au signal du résumé reclassent les occur- rences analysées en discours « décidément » reformulés. Non régis, ils n’adhèrent pas au modèle du DI. Ils appartiennent aux discours libres mixtes (DLM). Dans le second contexte examiné (9–10), en quelque sorte « intermédiaire » par rapport aux deux précédents, les segments Cit, annulant pour ainsi dire les ajustements déictiques, rapprochent les séquences du DR dont elles font partie des types d’em- plois que Sophie Marnette appelle discours neutralisés (par opposition au discours direct et indirect qui s’inscrivent dans la dichotomie « sans/avec ajustements »64. S’alignant sur la même logique de la neutralisation, Greta Komur propose de par- ler d’archiformes65 du DR. Nos séquences neutralisées correspondraient-elles au cas du DIL dont les « indices se diluent dans le contexte » selon l’expression de Bally? Nous appuyons fermement cette interprétation. Les pratiques discursives du Monde montrent de multiples faces des hétérogénéités – Bakhtine en aurait été comblé: sa thèse sur d’innombrables variantes discursives du DR y retrouve sa meilleure illustration.

4. POUR TERMINER

En essayant d’extraire les manifestations du DR de la globalité des faits méta- discursifs, nous avons accédé à la défi nition « discursive » du DR qui présente les séquences du rapport de la parole comme des structures toujours bipartites, résul- tant de la combinatoire de deux segments: didascalie et citation. Ayant confronté de multiples occurrences aux modèles « canoniques » du DR, nous avons décelé un grand nombre de différentes « mixités » discursives: de nombreux traits pro- pres aux formes (patterns) du DR s’effacent ou s’actualisent dynamiquement en discours. En fait, un extraterrestre, d’une intelligence extraterrestre, mais n’ayant jamais fréquenté le collège ni l’université, arrivé en OVNI sur la Terre et ayant appris le français au moyen de méthodes interplanétaires ultra-perfectionnées, ne pourrait jamais se douter des modèles grammaticaux contenus dans les gram- maires des humains, tellement ils s’éloignent des pratiques discursives du journal.

Le décalage entre le nombre toujours modeste des formes du DR et la diversité des pratiques discursives, au moins celles que nous avons repérées dans le journal,

64 S. Marnette dans son article « L’effacement énonciatif dans la presse contemporaine », Langages 156, décembre 2004, pp. 51–64, signale que ce type d’emplois est confi rmé par U. Tuo- marlà, La citation, mode d’emploi. Sur le fonctionnement discursif du discours rapporté direct, Saarijärvi, Finland: Academia Scientarium Fennica, Ser. Humaniora, tom. 308, 2000, pp. 153,155, et L. Rosier, « La presse et les modalités du discours rapporté: l’effet d’hyperréalisme du discours direct surmarqué », L’information grammaticale 94, juin 2002, p. 31.

65 G. Komur parle des « archiformes » pour analyser le cas des DR « neutralisés » avec des incises, cf. G. Komur, « Les modes du discours rapporté dans la presse et leurs enjeux polypho- niques », Pratiques 123–124, décembre 2004, pp. 71–72.

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reste important, même si l’on en appelle à la conception élargie du DR. Sans as- pirer à résoudre une fois pour toutes le problème, nous croyons que le principe de constitution de notre inventaire, voire notre défi nition « discursive » du DR, aura contribué en partie à éclairer l’origine de la prolifération de différentes séquences du DR et à montrer le dispositif énonciatif et sémantico-grammatical qui conduit à cette variété du rapport de la parole d’autrui, en apparence seulement très dé- sordonnée. En effet, si on conçoit le DR comme une combinaison Did + Cit, une constance d’emplois assez rassurante se matérialise en discours.

TOWARDS A DISCURSIVE DEFINITION OF REPORTED SPEECH

Summary

This paper proposes and deals with an empirical “discursive” defi nition of reported speech (DR) assuming that DR is an actual piece of text which tells, describes or just quotes someone else’s words. DR relies on a designatum which is a speech act we call enounced event (EE1). It is real or fi ctive and differs from the speech act EE2 which belongs to a sequence of reported speech reporting only a certain image of EE1. This image can be described as a “text” or “think” image and is never complete, being only a selection of contents from EE1.We could then say that enounced events are subject to a certain specifi c kind of telling, a tale of speech, which can be distinguished from the telling of other events, because apart from the segments presenting someone else’s speech, it also puts forward a personal comment by the quoter. This comment is like didascalia in a play: it allows to identify the quoted person and other circumstances of the enounced act. DR has then a binary structure as it contains two elements: Didascalia (Did) and Quotation (Cit). We write these abbrevia- tions with capital letters because we consider these terms in a generic meaning. Didascalia can refer to many different grammatical and “text” forms, and Quotations to many different ways of giving account of other people’s words (“textual” or “transformed” quotations, but also “mixed” ones).

DR can be fi gured then as an equation: DRC = Did + Cit and the text segments it combines give a large number of speech use variants.

Key words: reported speech, free indirect speech, media-related speech

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