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L'Orient. T. 1

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Academic year: 2021

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(1)

P A R I S

G. C H A R P E N T I E R , E D I T E U R

i 3 , R U E D E G R E N E L L E - S A I N T - G E R M A I N , 1 3

---

THÉOPHILE GAUTIER

L O R I E N T

T O M E P R E M I E R

(2)
(3)

L ’ O R I E N T

(4)

OUVRAGES DU MÊM E A U T E U R

P U B L I É S D A N S L A B I B L I O T H È Q U E C H A R P E N T I E R

A 3 f r. 3 0 l e v o 1 u ni e

Po é s i e s c o m p l è t e s, 1 8 3 0 - 1 8 7 2 2 v o l .

É m a u x e t c a m é e s . É dition d éfinitive, orn ée d 'u n e eau-

f o r t e p a r M . J. J a c q u e m a r t 1 vol-

Ma d e m o i s e l l e d e Ma u p i n 1 v o l .

Le c a p i t a i n e Fr a c a s s e. 1 2 e é d i t i o n 2 v o l .

Le romaniie l a Mo m ie. N ouvelle é d i t i o n 1 vol.

Sp i r i t e, n o u v e l l e f a n t a s t i q u e , ô ' é d i t i o n 1 v o l.

Vo y a g ee n Ru s s i e. N o u v e l l e é d i t i o n 1 v o l.

V o y a g e e n E s p a g n e [T ra s los m on tes). N o u Y e lle é d i ­

t i o n 1 v o l.

V o y a g e e n I t a l i e (I t a lia ) . N ouvelle éd itio n co n sid é­

ra b le m e n t a u g m e n té e 1 vol.

Romans e t Co n t e s i v o l.

N o u v e l l e s I v o l.

T a b l e a u x d e S i è g e . P aris, 1870-1871 1 vol.

Th é â t r e. N o u v e ll e é d i t i o n c o n s i d é r a b l e m e n t a u g ­ m e n t é e ..." I v o l.

Le s Je u n e s- Fr a n c e. I v o l.

Hi s t o i r edu Ro m a n t is m e, s u iv i d e No t ic e sr o m a n t iq u e s e t d 'u n e é t u d e s u r l e s Pr o g r è sd el a Po é s i e f r a n­ ç a is e ( 1 8 3 0 - 1 8 0 8 ) . . . ... . ' 1 v o l.

P o r t r a i t s c o n t e m p o r a i n s . 3 ' é d i t i o n 1 v o l.

2419-77, — C o r b e i l . T v p . e t s i é r . d e CnÉTÉ.

(5)

T H É O P H I L E G A U T I E R

L O R I E N T

?

T O M E P R E M I E R

1 8 7 7

T o u s d r o i t s r é s e r v é s .

C H A R P E N T I E R , E D I T E U R

1 3 , r.D E DE G U E N Ë L L E -S A IN T -G E R M A 1N , 1 3

(6)

%va^OTHfc, U N N fyjw *!

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’b ■o Vo n

B i b l io te k a J a g i e l l o n s k a

1001385585

1001385585

(7)

T héop h ile G autier a la issé ép ars d an s p lu sieu r s r ec u e ils et jo u rn a u x un gran d n o m b re d’é tu d e s su r l ’O rient, p a ru es à d ifféren tes ép o q u es et qui n ’on t

ja m a is, ju s q u ’à ce jo u r, été c o o rd o n n é e s et r é u n ie s , N ous av o n s p e n s é qu 'il se r a it du p lu s grand in té rê t de c la s se r et d e p résen ter d a n s le u r e n ­ se m b le c e s d iv ers travaux su r d es pays q u e c o n ­ n a issa it s i b ien et q u 'aim ait tant l ’illu s tr e é cr iv a in , et c ’e st la r é u n io n de c es étu d es v a r ié es q u e n o u s p u b lio n s so u s le titre de : L ’Orient.

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L ’ORIENT

V O Y A G E S E T V O Y A G E U R S

V E N I S E (l)

•Te me trouvais à Venise au mois de sep­

tem bre 18... Quelle raison avais-je d ’y être?

A ucune, si ce n ’est que cette nostalgie de l ’étranger, si connue des voyageurs, s’était, em parée de moi, u n soir su r le p erro n de Tortoni. Quand cette m aladie vous prend, vos amis vous ennuien t, vos m aîtresses vous assom m ent, toutes les femmes, m êm e celles des autres, vous déplaisent : Cerito boite, Alboni détonne ; vous ne pouvez lire de suite

I

(I) Écrit en 1 8 Ï2.

I. I

(10)

deux stances d ’Alfred de Musset ; Mérimée- vous p araît plein de longueurs ; vous vous apercevez q u ’il y a des antithèses dans Vic­

tor Hugo et des fautes de dessin dans Eugène- Delacroix ; bref, vous êtes indécrottable. P ou r dissiper ce spleen particulier, la seule re­

cette est u n passe-port pour l ’Espagne, l ’Ita ­ lie, l ’Afrique ou l ’O rient. Voilà pourquoi j ’étais à Venise au mois de septem bre 18...

J ’y traitais m a grise m élancolie p ar de fortes doses d ’azur.

La plus singulière ville du m onde, à coup sûr, c’est Venise, cet A m sterdam de l ’Italie.

On l ’a décrite m ille fois, elle est toujours aussi nouvelle. Qui a vu Vicence peut se faire une idée de P adoue; Rome ressem ble à Florence, Paris à Londres ; Venise ne ressem ble q u ’à elle-m êm e. Ce n ’est ni une ville gothique ni une ville rom aine : c’est quelque chose q u ’on ne saurait définir. Cette architecture étrange et fantastique n ’a rien de com m un avec celle que vous connaissez. Ces belvédères sur le som m et des toits, ces chem inées en forme de colonnes et de tou rs; ces grands palais de

2 I / O R I E N T .

(11)

m arbre aux fenêtres en arcade, aux m urs ba­

riolés de fresques et de mosaïques, aux fron­

tons hérissés de statues ; ces églises avec leurs clochers de formes si variées, dômes, coupo­

les, flèches, aiguilles, tourelles, cam paniles ; ces ponts aux arches sveltes et hardies tout chargés de sculptures ; ces piazzas pavées en m arqueterie ; ces canaux qui se croisent en tout sens, doublant dans leu r clair m iroir les maisons qui les b o rd en t; ces tentes de toile rayée où se tien nent les m archan ds;

ces poteaux arm oriés qui servent à a m arrer les barques des nobles ; ces escaliers dont la m er baigne les dernières m arches; ces em barcations de toutes grandeurs, yachts, felouques, chebecs et gondoles, qui filent si­

lencieusem ent sur- l ’eau endorm ie des la­

gunes ; ces costumes grecs, turcs, arm éniens, que le comm erce du Levant y a ttire ; tout cela, en face de l ’A driatique, sous le ciel de P au l Yéronèse, forme un spectacle extraor­

dinaire et m agnifique que l'o n ne peut ren ­ dre avec des paroles et q u ’on peut seulem ent im aginer. Canaletti et B onnington, D aguerre

V E N I S E . 3

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cl son dioram a, tout adm irables q u ’ils sont,.

restent encore bien au-dessous de la réalité..

Q u’y a-t-il de plus beau au monde que l ’aspect de la piazza di San-M arco, quand on Tient du côté de la m er ?

A gauche, le palazzo Ducale avec sa fa­

çade de m arbres rouges et blancs disposés en. petits carreaux, sa ceinture de colonnet- tés> ses trèfles et ses ogives, ses gros piliers trapu s dont le fût plonge dans le sol, sa frise crénelée, ses h u it portes, son toit de cuivre,, ses figures symboliques de Bartolo- meo Bono, ses lions ailés, la griffe su r leu r livre, son pont des Soupirs, son luxe lourd et som bre, qui le fait à la fois ressem bler à u ne forteresse et à une prison..

A droite, la bibliothèque publique,, du dessin de Sansovino, avec son double cor­

don de colonnes et d ’arcades, sa balustrade a jo u r, sa ligne de statues mythologiques, scs enfants nus, soutenant, au-dessus de la corniche, des feuillages et des festons.

Au m ilieu, les deux colonnes de granit africain d ’une grosseur et d ’une h auteu r

4 L ’O R I E N T .

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prodigieuses, qui servent de piédestaux,, l ’une à une statue de saint Théodore, l ’au ­ tre à u n lion ailé de bronze, la tcte to u rn é e vers la m er comme pour* dénoter q u ’il veille à son em pire. C’est entre ces deux, colonnes q u ’ont lieu les exécutions, qui se faisaient autrefois sur la piazza di San-Gio- v anni-in-B rag o la. Le doge M arino F aliero, battu p a r Ja tem pête, fut forcé de prendre terre en cet endroit le jo u r de son instal­

lation, et cela fut g énéralem ent regardé- comme de m auvais augure. On sait ce qui en arriva.

Au fond, la chiesa ducale di San-Marco,.

le plus étonnant édifice qui se puisse voir.

Ce n ’est pas une cathédrale gothique, ce n'est point une mosquée tu rq u e , encore m oins une m étropole grecque, et cependant c’est tout cela. Ses aiguilles et ses pignons, évidés à jo u r, sont gothiques ; ses trois cou­

poles de plom b, q u ’on p ren d ra it pour des casques, rappellent les m osquées orientales;

on est tout surpris d ’v voir une croix. Ce grand dôme est antique, ce plein cintre est

V E N I S E .

s;

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rom an ; cette trib u n e qui fait le to u r de l ’é­

difice, ces quatre colonnes qui portent sur une seule, ces cinq arches brodées et fleu- ronnées sont byzantines ou m oresques. C’est u n incroyable m élange de pierres, de m ar­

bres, de porphyres, de briques, de granits, de m osaïques et de fresques, de dorures et de statues, d ’arabesques folles et hardies, de piliers ventrus et de colonnes frêles, qui n ’a pas d ’exemple au m onde et qui n ’en sau­

rait avoir. Il faudrait un volum e pour dé­

crire l ’in té rie u r; on dirait une caverne fouil­

lée dans le roc vif avec des stalactites d ’or et de pierreries. Les quatre fam eux chevaux de bronze caracolent su r le portail.

La torre delCOrologio, bâtie en 1496, sur les dessins de Carlo R inaldi, avec son ca­

d ran , qui, outre les heures, m arque le m ou­

vem ent de la lune et du soleil, avec sa m a­

done dorée, ses anges en adoration, son lion sur cham p d ’azur étoilé, son doge a genoux, sa cloche où deux jacquem ars, représentant de Mores, frappent l ’heure de leu r m arteau au g rand réjouissem ent de la m ultitude.

6 L’O R I E N T ,

(15)

Les trois grands étendards, supportés par des piédestaux de bronze d ’un travail exquis, d’Alessandro Leopardi, auxquels, les jo u rs de fête, on append trois flammes de soie et d ’or qui se déroulent gracieusem ent à la brise de la m er.

Le Cam panile, tou r d ’une élévation pro­

digieuse, à qui tous les clochers de Venise ne vont q u ’à la cheville, et qui est plus haute que la tour de Bologne et d’A rgentine. L ’ange de cuivre creux qui lu i sert de girouette a quatorze pieds de hau t. On y m onte par une ram pe douce et sans escalier. Un im ­ mense panoram a se déploie à vos yeux ; un eiel clair et profond vous environne, l ’hori­

zon s’étend sans fin devant vos pieds; des côtes plates et des vases d ’une teinte cen­

drée, la m er bleue et transparente form ent les bords du cercle ; des toits de toutes les couleurs, de toutes les formes, chatoient au soleil dans le fond du gouffre. Le pa- lazzo D ucale, la Zuecca, les P rocuratorie, la chiesa di San-Marco se détachent de ces îlots de m aisons; le clocher de San-Moise,

V E N I S E . 7

(16)

If aiguille rouge de San-Francisco délia V i- gna, les tourelles de San-Jona sem blent se h ausser p o u r vous atteindre. Plus loin, la Do- gana avance sa pointe; San-G iorgo, toute frère de son église de Palladio, de son dôme et de sa tour,, se découpe, riante et verte, dans un archipel de petites îles-. Vous voyez les pram es, les polacres, les brigan tin s quii font quarantaine à San-Servolo, ou. qui vo­

guent à pleines voilés sur le grand bassin les canaux in térieu rs, dont vous ne pouvez apercevoir l ’eau,, coupent de sillons profonds les masses d ’architecture groupées au pied du Cam panile. Du reste, ce tableau est m uet ; cette ru m e u r sourde,, ce vagissement d ’u n e grande ville,, qu'on entend des tours de Notre Dame ou du dôme de Saint-Paul, ne frappent pas votre oreille : au cu n b ru it n e se fait e n ten d re; Venise, en plein jo u r, est plus silencieuse que les autres capitales dans la nuit. Cela tient à l ’absence des chevaux et des voitures. Un cheval est un phéno­

m ène à Venise. Aussi. Byron et ses chevaux, q u ’il dom ptait au Lido, étaient-ils pour les

8 L ’O R I E N T .

(17)

V énitiens un g rand sujet d ’étonnem ent..

Mais voici le revers de la m édaille. Venise est une ville adm irable comme m usée et comme panoram a, et non au trem ent. 11 faut la voir à vol d ’oiseau. L ’hum idité y est extrême ; une odeur fade, dans les chaudes journ ées d'été, s’élève des lagunes et des va­

ses ; tout y est d ’une m alpropreté infecte. Ces beaux palais de m arbre et d ’or, que nous venons de décrire, sont salis p a r le bas d ’une étrange m anière ; l ’antique B ucentaurc lui- m êm e, que les Français ont b rû lé pour en avoir la dorure, n ’était pas, s’il en faut croire les historiens, plus à l ’abri de ces dégoû­

tantes profanations que les autres édifices publics, m algré les croix et les rispetto dont ils sont couverts. A ces palais s’accrochent comme un pauvre au m anteau d 'u n riche, d ’ignobles m asures moisies et lézardées qui penchent les unes vers les autres, et qui, lasses d ’être debout, s'épaulent fam ilière­

m ent aux flancs de granit de leurs voisines.

Les rues (car il y a des rues à Venise, bien qu on n ’ait pas l ’air de le croire) sont étroi­

V E N I S E . t t

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tes et sombres, avec un dallage qui n ’a j a ­ mais été refait. Des vieux linges et des m ate­

las sèchent aux fenêtres ; quelque, figure hâve et fiévreuse se penche po ur vous regar­

der passer. Nul m étier b ru y an t, nulle an i­

m ation ; quelque rare piéton glisse silencieu­

sem ent sur les dalles polies. Hors Saint-Marc, tout est m ort ; c’est le cadavre d ’une ville e!

rien de plus, et je ne sais pas pourquoi les faiseurs de lib retti et de barcarolles s’obsti­

nent à nous p arler de Venise comme d ’une ville joyeuse et folle. La chaste épouse de la m er est bien la ville la plus ennuyeuse du m onde, scs tableaux et ses palais une fois vus.

Les gondoles, dont ils font tant de belles descriptions, sont des espèces de fiacres d ’eau qui ne valent guère m ieux que ceux de terre.

C’est un cercueil flottant, peint en noir, avec une dunette ferm ée au m ilieu, un m or­

ceau de fer hérissé de cinq à six pointes à la proue et qui ne ressem ble pas m al aux che­

villes d ’un m anche de violon. Un seul hom m e fait m arch er cette em barcation avec une

30 L’O R I E N T ,

(19)

ram e unique qui lui sert en m êm e tem ps de gouvernail. Quoique l ’extérieur n ’en soit pas gai, il se passe quelquefois à l ’in térieu r des scènes aussi réjouissantes que dans les voitu­

res de deuil après un enterrem ent.

Les gondoliers sont des m arins butors qui m angent des lazagnes et du m acaroni, et ne chan tent pas du tout de barcarolles.

Q uant aux sérénades sous les balcons, aux fêtes sur l ’eau, aux bals m asqués, aux im­

broglios d'opéra-com ique, aux m aris et aux tuteurs jaloux, aux duels, aux escalades, aux échelles de soie, aux grandes passions à grands coups de poignards, — cela n ’existe pas plus là q u ’ailleurs.

Voici la m anière dont vivent les habitants, j ’entends ceux qui ont les moyens de vivre ; elle est la plus monotone de la terre. Ils se lèvent à m idi, prom ènent leu r désœ uvrem ent par la ville ju sq u ’à trois heures, dînent fort sobrem ent, font la sieste, s’habillent et vont au casino ju sq u ’à neuf heures ; puis à l'O péra,

°ù personne n ’écoute, attendu que les Ita­

liens sont le peuple le plus m usicien de

V E N I S E . t i

(20)

l ’Europe ; puis au casino, où ils prennent des glaces, assis tran q uillem en t devant de petites tables, parqués chacun dans le u r café respectif : les nobles avec les nobles, les courtiers avec les courtiers, les juifs avec les j u i f s , les retirate (femmes sur le retour) avec les retirate, les fringantes (femmes à la mode) avec les fringantes, ainsi de suite ; car, à Venise, les classes ne se confondent pas. Tout ce monde attend le jo u r pour ren ­ trer chez soi et se coucher. Les Italiens n ’ont pas le sentim ent du foyer ; ils ne com pren­

n ent pas le b o n h eu r de la m aison; ils vivent entièrem ent dehors.

Les anciens nobles végètent obscurém ent dans quelque coin de leu r palais, sous les c o m b le s, m angeant du m acaroni au fro­

mage avec leurs valets, à demi vêtus de gue­

nilles pour m énager leurs habits neufs, ne lisant p as, ne s’occupant de rien. Chaque fem m e, comme dans tout le reste de l ’Italie, a son cicisbeo ou p otite qui l ’accom pagne à la messe, à l ’Opéra, au casino ; cela au vu

•et au su de son m ari, qui ne s’en inquiète

1 2 L’O R I E N T .

(21)

pas le m oins du m onde, et sert souvent de m édiateur dans les querelles qui surviennent en tre eux. Parlez-nous après cela de la ja ­ lousie italienne ! L ire, écrire tan t bien que m al, faire un peu de m usique, voilà à quoi se réd uit l'éducation des femmes. Peu vives et peu spirituelles, elles n'o n t aucune res­

source pour la conversation. Le sigisbéisme n ’est pas aussi im m oral au fond q u ’il le pa­

raît d ’abord : c’est une espèce de m ariage de cœ ur auquel elles sont ordinairem en t plus fidèles q u ’au p rem ier ; il est b ien rare q u ’on se quitte : quand il n ’y a plus d ’am our, l ’am i­

tié le rem place; quand il n ’y a plus d ’am i­

tié, l ’habitude en tient lieu. On ne saurait rien voir de moins rom anesque et de plus bourgeois.

Q uant a la beauté des femmes italiennes, dont nos jeu n es m odernes se sont enthousias­

més sur la foi de Byron, elle n ’a rien de bien extraordinaire. M algré la dénom ination générale de beau sexe, en Italie comme a il­

leurs, les laides sont en m ajorité : de grandes têtes droites, un peu trop fortes pour le corps,

V E N I S E . [3

(22)

1 4 lo r i e n t.

et tout à fait classiques, un coloris m at et sans transparence, la gorge m al faite et la taille épaisse ; ce q u ’elles ont de plus beau, ce sont les m ains et les épaules. Quoi q u ’en dise le noble poëte, qui j>robablement avait ses raisons pour cela, les Anglaises l ’em por­

ten t sur elles de toutes les m anières.

Je ne com prends guère non plus l ’adm i­

ration de nos gothiques pour cette ville. 11 y a très-peu d’ogives ; à l ’exception du palais Ducal et de Saint-M arc, toutes les fabriques sont de cette architecture que l ’on ne se fait pas faute ici d ’appeler rococote et p erru q u e.

L ’ionique y abonde, le corinthien y est en gran d h o n neu r ; le dorique n ’y est pas m al vu ; le toscan et le composite se carrent sur toutes les façades, et quelquefois tous ensem­

ble sur la m êm e. Les églises sont inondées de jo u r, enjolivées de m arb re de couleur, enlum inées de fresques, l ’or y b rille de toutes parts ; c’est un luxe m ondain, une coquette­

rie p ro fan e, toute différente de la m ajes­

tueuse gravité des cathédrales du moyen âge.

Enlevez l ’autel, cela aura l ’air d ’un salon,

(23)

d ’une galerie de tableaux. Ces anges seront des Am ours, cette Vierge une Vénus, ces saintes des Grâces. La piété des Italiens est toute de surface. Une m adone m al peinte au ra peu d ’adorateurs ; les saints vieux et b a r­

bus ne font pas fortune auprès des femmes.

Le Saint-Michel du Guide, à Rome, est célè­

bre p a r les passions q u ’il a inspirées. La plus petite église de Venise est riche en ta­

bleaux de grands m aîtres. P au l V éronèse, T intoret, T itien, le vieux P alm a, le Fia- m ingo, le cavalier L iberi, A llessandro, T a r- chi, Aliense, M alom bra, Giovanni Bellino, D iam antini, Giam batista da Conegliano, ont tous, plus ou m oins, contribué à em b ellir de leu r pinceau les dômes, les stanze, les scuole, les cloîtres, les palais et les chapelles. Les sculpteurs ne sont pas non plus restés en a rrière. A ndréa Riccio de P adoue, Sanso- vino, Alessandro V ittoria, Bartolomeo Bono, Danèse, Nicolo dei Conti, et cent autres, ont couvert de statues et de bas-reliefs tous les m onum ents publics.

11 y a à Venise cinq cents ponts : celui de

V E N I S E . 15

(24)

Rialto, d ’une seule arche toute de m a rb re , avec deux rangs de boutiques, et des bas- reliefs représentant des sujets religieux, par Girolamo Cam pagna, est un des plus con­

nus ; beaucoup d ’autres ne lui sont pas in ­ férieurs en hardiesse, en élégance.

Parm i ses trois cents églises, il y en a u n e foule dont on ne parle pas, et qui m éritent cependant q u ’on en fasse m ention : — La M adonna-de-M iracoli, dont la façade est or­

née de porphyre et de serpentine, et où l ’on voit l ’image de Notre-Dame, sculptée par le célèbre Pirgotèle. — San-Giacomo-di-Rialto, une des plus anciennes de Venise : il y a cinq autels ; su r le plus grand, fait de m ar­

bre b lanc, est placée une statue de saint Jacques, p ar Alessandro V ittoria ; l ’autel de saint A ntoine est em belli de colonnes de m ar­

b re de couleur, et l ’image du saint en bronze est de Girolamo Cam pagna. — San-Rocco : la statue du saint est de Bartolomeo B erga- m ano ; deux a u tre s, de saint Sébastien et saint P antaléo n , de Mosca. Le tableau d ’au­

tel représentant l ’A nnonciation a été peint

1 6 L ’O R I E N T .

(25)

p a r Francesco Solim eno, do Naples. Les au­

tres peintures sont de Poi’denone, du T into- ret, de Titien, de V ivarini et d ’Antonio F ir- raiani. — San-G em iniano : la M addalena, Santa-M aria-Zobenigo sont dignes d ’attirer l ’attention de l'artiste et du voyageur. San- Giovanni-et-Paolo, près la scuola di San- Mareo, possède quinze autels ; le principal est un des plus beaux et des plus m ajestueux de la ville ; il est fait de m arb re fin, avec un tabernacle élevé sous un arc, porté par dix grandes colonnes, et deux anges sur les côtés, qui ont chacun dans la m ain une cas­

sette dorée contenant les reliques de saint Jean et de saint P au l. La chapelle de Notre- Dame du Rosaire vaut q u ’on y fasse atten­

tion. L 'autel est isolé, avec une coupole soutenue p ar q uatre colonnes de m arb re p ré­

cieux ; la statue de la Vierge est d ’Alessan- dro Vittoria ; quelques autres, de Girolamo Cam pagna. Les bronzes de la chapelle de Saint-D om inique ont été fondus p a r Mazza, de Bologne. Il faudrait une page rien que pour écrire les noms des artistes célèbres

V E N I S E . î ?

(26)

dont on y adm ire les ouvrages, et des person­

nages illustres dont les m ausolées et les épi- taphes couvrent les m urs et le pavé.

Le palazzo D ucale, les scuole, les palais G rim ani, Pisani, Rezzonico et Grani ren fer­

m ent, en tableaux et en statues,, d ’innom ­ brables richesses. Nous ne parlerons pas de l’escalier des Géants, avec ses deux colosses de Sansovino ; des statues d ’Adam et d ’Eve, d ’A ndréa Riccio ; des deux puits de bronze ornés d ’arabesques et de figures, par Niccolo dei Conti, et de toutes les m erveilles du Cor- tile, ni de la gueule de lion, qui, dépouillée m ain ten ant de ses terreu rs m ystérieuses, res­

semble à s’y trom per à une boîte aux let­

tres, ni du conseil des Dix, ni des seigneurs de la n u it, ni de tout cet attirail de francs- ,juges et d ’inquisiteurs dont la R épublique sérénissim e aim ait à s’entourer ; d ’ailleurs, la dom ination autrichienne a rem placé tout cela, et, m ain tenant, c’est un officier alle­

m and, un tedesco, qui épouse la m er. Et po u rtan t rien n ’est changé à Venise ; car, c’est une chose digne de rem arqu e, en Italie,

18 L ’O R I E N T ,

(27)

on n ’a rien bâti depuis trois cents ans ; l a . ville a conservé sa physionomie du quinzièm e siècle ; pas une construction nouvelle ne vient faire dissonance. Ce luxe des habitations fait un singulier contraste avec la m isère des habitants. Ce sont des résidences royales oc­

cupées p ar des gueux. C’est comme si une fam ille ruinée était forcée, faute de se pou­

voir loger ailleurs, de g ard er la m aison de ses pères jadis riches, et de courir en gue­

nilles et nu-pieds p ar les beaux apparte­

m ents dorés et couverts de tableaux. Le con­

fort est ce qui m anque absolum ent à Venise, ville bâtie dans u n autre tem ps, pour d 'au­

tres m œurs et d ’autres usages. Les m œurs et les usages s’en sont allés ; la ville reste ; et ceux qui y sont n ’ont pas de quoi la re ­ faire. Venise, m aintenan t, n ’est plus q u ’une adm irable décoration, un beau sujet de dio- ram a ; tout v est sacrifié a l ’extérieur.

Artistes ! p endant q u ’elle est encore de­

bout, — et, dans quelque tem ps d ’ici, ce ne sera plus q u ’une ru ine im m ense au m ilieu d ’un m arais m éphitique, praticable tout au

V E N I S E . 19

(28)

.plus pour les poissons, — allez, copiez toutes ces façades, dessinez ces sta tu e s, faites des­

croquis d ’après ces tableau x ; puis, quand votre m ém oire sera pleine, et votre album couvert d ’un bout à l ’au tre, si vous voulez g arder votre illusion, suivez mon avis, p ar­

tez vite, et ne revenez plus, et vous croirez avoir fait un beau rêve!

2 0 L ’O R I E N T .

(29)

L E D A N U B E

ET LES POPULATIONS DANUBIENNES

da p r è s l e s a q u a r e l l e se t h n o g r a p h iq u e s DE SI. TH. VALERIO.'

I

Les touristes ont leurs habitudes. Ils affec­

tionnent de certains pays et ne poussent pas leurs excursions au delà. Les artistes eux- m êm es, que la curiosité pittoresque et le dé­

sir de trouver de nouveaux types sem ble­

raient devoir entraîn er vers les contrées m oins connues, s’en tiennen t presque tou­

jours à l ’Italie ou tout au plus à l ’Espagne et

a l ’Afrique française. M. T h . Valerio n ’est,

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pas de ceux-là, et il s’est bravem ent avancé en explorateur à travers des régions pour ainsi dire aussi vierges que les forêts de l ’A ­ m érique, bien q u ’elles occupent une grande surface de l ’Europe et fassent partie d ’un em pire civilisé. Un bien petit nom bre de voyageurs y ont pénétré, et parm i ceux-là presque tous étaient étrangers à l ’a rt et aux lettres et n ’ont point fixé leurs souvenirs.

M. Valerio a comblé cette lacune, et, après u n séjour de deux ans, il rapporte toute la Hongrie dans son portefeuille en aquarelles d ’une fidélité rare et d ’une exécution supé­

rieure.

P e n d a n t que nous exam inions ce riche al­

b um , l ’artiste nous racontait son voyage à m esure que se présentaient les types des pays q u ’il avait parcourus, et, de ces nettes et vives rem arques, nous allons composer une sorte de texte nécessaire à l ’intelligence des figures. La série de dessins term inée par M. Valerio, qui. ne s’en tiendra pas là et peindra tous les types de la m onarchie a u tri­

chienne, com prend la H ongrie, mais sur-

2 2 L ’O R I E N T ,

(31)

louf, cette Hongrie pittoresque et sauvage qui ne comm ence guère q u ’au delà du pont de Szolnok.

Quand on a franchi la Theiss su r le pont chancelant, un horizon indéfini se déploie devant les yeux comme un océan im m obile.

La plaine s’étend b ru n e et b leu âtre, m iroitée de llaques d ’eau et de m arécages au-dessus desquels tou rn ent des vols d ’oiseaux aqua­

tiques; seule, la silhouette d ’un puits, dres­

sant sa poutrelle comme l’antenne d ’un mât, se dessine sur le ciel et rom pt la m onotonie de la ligne droite. Quelques charrettes traî­

nées p ar des bœufs, des voitures de paysans attelées d ’un quadrige de petits chevaux échevelés et farouches sillonnent les che­

m ins défoncés, profondes ornières creusées dans un sol m euble. — Là, commence la Hongrie caractéristique où les vieilles m œ urs se sont le m ieux conservées, où le sang a subi le moins de m élange. — Le steppe, comme la pam pa d’A m érique, comme le despoblado d’Espagne, comme le désert d ’A­

frique ou d ’Asie, sert d ’asile à des popula­

LE D AN UBE . 2 3

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tions pastorales qui vivent, libres et vaga­

bondes, loin des villes, des villages et de toute agglom ération h um aine. Dans l ’été les m irages du Sahara se reproduisent su r ces vagues espaces, et le voyageur s’im agine cô­

toyer des lacs, des oasis, qui se recu len t et s'envolent lo rsq u ’on avance. — Parfois un sourd ouragan gronde au loin ; un ton­

nerre rhy thm é bat le court gazon, c’est une horde de chevaux sauvages qui parcourent l ’im m ensité les crins au vent, em portés par quelque caprice ou quelque terreu r, — ou bien d errière une touffe de bruyères rit et pleure, accom pagnant une chanson bizarre, le violon d ’un bohém ien.

Ce pays, étrange comme un rêve, est res­

serré entre la Theiss, la Koros, la Maros et Je D anube ; M. T h. Valerio l ’a visité et p a r­

c o uru dans tous les sens, étudiant chaque race, au point de vue ethnographique, et tâchant de jo in d re à la couleur du peintre l ’exacti­

tude du natu raliste, d ’après le conseil ju d i­

cieux de M. de H um boldt, qui l ’a engagé à faire ce travail anthropologique et pitto res­

2 4 L ’O R I E N T ,

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q ue pour toute la m onarchie au trich ien n e.

Le portefeuille que nous avons sous les yeux contient les dessins exécutés pendant un voyage fait en 1851 et 1852 en H ongrie, C roatie, le long des frontières m ilitaires et des frontières de Bosnie ; il est divisé en p lu ­ sieurs parties : 1° les populations hongroises de la plaine ; 2° les races slaves et hongroises des C arpathes ; 3° les tribus tsiganes ; 4° les populations slaves des frontières m ilitaires et de Bosnie ; 5° les populations valaques des frontières de Transylvanie.

Nous 'allons en détacher quelques feuilles e t les faire passer sous les yeux de nos lec­

teurs, au ta n t que des mots peuvent rem p la­

c er de vives et chaudes aquarelles.

En ouvrant le carton, nous tom bons sur des pêcheurs des bords de la Theiss. Un so­

leil noyé chauffe un horizon de brum es rous­

ses et de nuages pluvieux ; l ’eau, presque fondue avec le ciel et sillonnée de rives p la­

tes que b o rd en t des aunes, s’étend en larges nappes. Sur ce fond de transparence se des­

sine en vigueur une barque am arrée à des pi-

L E DA NUBE. 2 o

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quels, entre des roseaux, qui form e p rem ier plan, et où se tien nent deux pêcheurs, l ’un fum ant sa pipe et l ’autre ram en an t un filet.

Tous deux sont coiffés d ’une espèce de bonnet à bords relevés en tu rb a n , assez sem blable au som brero calanes espagnol. Celui qui est de­

bout se drape dans une houppelande à plis épais, d ’une m ajesté singulière ; l ’au tre, pour être plus lib re dans son travail, n ’a que des grègues, une chemise de toile et une sorte de gilet b le u ; leurs cheveux noirs à longues m èches, leurs nez m inces et aquilins, le u r teint couleur de cuivre, donnent bien l ’idée d ’une race à p art et dont le type ne s’est pas abâtardi.

Le b erger hongrois su r la Pusta vaut la peine d ’être décrit p articu lièrem en t, car il est national au plus h a u t degré. On appelle Pusta, en H ongrie, u n vaste espace inculte, éloigné de tout b o urg et de tout ham eau, ou habité p a r un propriétaire isolé ; c’est u n m ot slave que les Hongrois ont pris dans le u r lan ­ gue, et qui n ’a pas de juste équivalent en français.

2t> L’ O R I E N T ,

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Des archipels de nuages, laissant déjà tom­

b e r la pluie en hachures de leurs flancs g ri­

sâtres, ro u len t pesam m ent dans un ciel h u ­ m ide et blafard et se m êlent par des lignes violettes à la terre em brum ée ; quelques touffes de b ru y ère, quelques plaques de gazon varient seules ce paysage d ’une solitude m é ­ lancolique, au m ilieu duquel s’élève, comme une statue dans un désert, u n b erg er m on u ­ m ental au lourd m anteau à m anches, à la veste rouge soutachée, aux imm enses braies de toile à voile, ten an t d ’une m ain un fouet et s’appuyant de l ’autre sur un bâton. A quoi rêve-t-il im m obile et grave entre ses deux chiens, pareils à des loups apprivoisés, pendant que ses m outons paissent et rum i­

n ent ?

La troisièm e aquarelle représente des Bo­

hémiens faisant de la musique, et nous a rap­

pelé le Cabaret dans la bruyère de Lenau, ce poëte en qui palpite une fibre si n atio n a­

lem ent hongroise et qui a si bien com pris les charm es de la vie lib re et sauvage des Tsiganes. Tandis que le plus vieux joue d ’une

LE D AN UBE . 2 7

(36)

espèce de contrebasse, le plus jeu n e , accoté contre le m u r, attaque les cordes de son vio­

lon d ’un air fier et dédaigneux, ses n arin es se gonflent, sa bouche frém it, ses cheveux s’agitent comme de noirs serpents ; sans doute il exécute la m arche de Rakoczkv le rebelle, et les buveurs attentifs laissent leurs chopes pleines sur la table. Ce ne serait peut-être pas calom nier les pratiques de ce pittoresque cabaret que de dire, comme dans la ballade, « les filles étaient fraîches et je u ­ nes, elles avaient des corps sveltes, prom pts à se to u rn er, légers dans leurs sauts ; les garçons les garçons étaient des voleurs. »

Ces trois beaux dessins vigoureusem ent co­

loriés, et qui valent des tableaux, ap p artien ­ n ent au prince Esterhazy. Nous en avons- parlé avec détail parce q u ’ils sont composés et que leurs fonds donnent une idée du pay­

sage hongrois.

La femme mariée d ’Arokszallas allant à la messe est un superbe échantillon hum ain.

Jam ais plus noble costume n ’a revêtu plus belles formes. La tête, vue de profil, est

2 8 L ’O R I E N T .

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d'u n e régularité parfaite et semble frappée p ar u n coin de m édaille : la m arm otte de taf­

fetas noir qui l ’enveloppe a la m ajesté d ’un diadèm e. Une veste de velours v ert, fourrée, pareille à u n dolm an de hussard, ourlée d ’un galon d ’or et frappée d ’une plaque do broderie à la poitrine, est jetée opulem m ent sur un corsage rouge et su r une ju p e de soie changeante que recouvre un tab lier noir g arni de dentelles; la m ain, perdue dans les fourrures, tient un m ouchoir et u n livre de messe en velours nacarat à coins d ’argent.

Puis viennent des bergers pareils à ceux que nous avons décrits, des paysans aux yeux bleus avec des variétés de types que le dessin seul peut rendre. — A rrêtons-nous à cet boiduque d ’Arokszallas, si fièrem ent campé et si pittoresque avec sa cravate et ses m an ­ ches bouffantes, sa veste à brandebourgs blancs posée en dolm an su r l ’épaule, son pantalon bleu enjolivé de soutaches et en ­ glouti dans ses bottes, son m ouchoir sortant de sa poche, son chapeau retroussé, sa phy­

sionomie robuste et m artiale ; regardons aussi

LE DA NU BE- 2 0

(38)

cette jeu n e figure m ilitaire si fine, si douce et si résolue à la fois, dont les yeux d ’azur ressortent au m ilieu d ’un teint hâlé, et qui porte un bout d ’épaulette cousu à u n m an ­ teau b lanc, liséré de couleurs comme une capade muestra espagnole. Quelle charm ante créature que cette jeu n e paysanne allan t ch ercher de l ’eau au puits, chargée d ’am pho­

res comme Rebecca ou Nausicaa! Sa tète, pure et douce, est encadrée dans les plis vio­

lets d ’une étoffe nouée sous le m enton ; un ju p o n rose dépasse sa robe bleu foncé, une ccharp e blan ch e, striée à son extrém ité de raies rouges et bleues, pend gracieusem ent de son épaule. — Q uant aux pieds, ils sont nus, ressem blance de plus avec la Bible et l ’Odyssée.

Des Hongrois de la plaine, nous passons aux races slaves et hongroises des K arpathes.

Le p rem ier qui se présente est un serrecha- ner du régim ent frontière d ’Ottochaz ; le type et le costume sont tout à fait différents : c’est un m élange hybride de chrétien et de m usu l­

m an ; une veste turque cram oisie, un b u r

3 0 L ’O R I E N T ,

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nous rouge, une ceinture à raies hérissée d ’un arsenal d ’yatagans et de coutelas, des pantalons à la m am eluk, des babouches de sparterie, une carabine à crosse ouvragée por­

tée en bandoulière, form ent son équipem ent;

la tète, coiffée d ’u n b o n n e t rouge, estbasanée, hardie e tfière . Si celui-là paraît dem i-T ure, celui-ci est T urc tout à fait; un tu rb a n am a­

ran te roulé en spirale encadre son m asque fauve et ridé, aux yeux d ’u n gris pôle, aux m oustaches rousses, à l ’expression de férocité tran q u ille et de courage fataliste ; son corps m aigre s'affaisse sous les vestes, les gilets, les dolm ans et les ceintures aux m ille plis. Tel on se figure un des A rnautes d ’Ali-Pacha.

Voici m ainten ant Stana Popovic, du village de Skrad, une robuste et solide beauté qui vous regarde en face de ses yeux vert de m er aux longs cils noirs recourbés, et laisse pen­

d re sur son am ple poitrine ses cheveux en tresse échappés de sa coiffe blanche ; une ceinture orientale ornée de boutons m ain ­ tient sa taille, et sa m ain s’insère dans le pli d ’un tablier épais comme un tapis et garni

L E D A N U BE . 31

(40)

d 'u n e longue frange d ’effilé. Une ju p e blan­

che, une sorte de tunique de drap olive bordée d ’un galon rouge, quelques rangs de verroteries et d ’am ulettes, com plètent ce costume sévère, qui n ’est pas sans rapports avec celui des fem m es de la cam pagne de Rome.

La beauté de Sava B irtinka, femme grec­

que de Bosnie, diffère du type un peu tartare de Stana Popovic ; sa figure ovale, ses traits allongés, son nez en ligne droite rap p ellen t le type classique des statues, adouci p a r une expression de souffrance rêveuse ; une larg e ceintu re bariolée, enrichie d ’un rang de pièces de m onnaie p e rc é e s /s e rre son gilet rouge et son tab lie r étoffé comme un tapis tiirc ; sa chemise est agrém entée d ’une petite broderie rose ; son cafetan bleu a des brode­

ries vertes, jau n es et rouges, et des rangs de m onnaies jo u en t sur sa veste avec les tresses de ses cheveux.

M. Th. V alerio, qui n 'a pas fait dans un b u t p u rem ent pittoresque le g ran d travail auquel nous avons consacré celte étude, s’est

3 2 L ’O R I E N T ,

(41)

attaché à rendre avec une fidélité scrup u ­ leuse les individus des différentes races dont il rapporte les m odèles choisis. — Chaque dessin est à la fois u n type et un p o rtrait ; on y devine le caractère, les m œ urs et en quelque sorte l ’histoire du personnage rep ré­

senté, tant l ’étude est individuelle ; le vi­

sage, le port, l ’a llu re, tous les signes 'ethno­

graphiques occupent au tan t l ’artiste que les particularités, p ourtant si originales et si bien rendues, du costume. Quelle belle tête, p ar exem ple, que celle de Sava Momcillovic, aram basi du village de Duynak ! un type blond, aristocratique, presque anglais, et qui ferait croire à un lord déguisé, se passant la fantaisie excentrique de quelques mois de vie indépendante et sauvage : les grands yeux bleus ferm es et tristes, le nez fin, d ’une courbure légèrem ent aquiline ; la lèvre dé­

daigneuse que gonfle un spleen byronien, sous une longue m oustache effilée, le teint blanc et rose encore, à travers une couche de hâle du m êm e ton que les cheveux, com­

posent une physionom ie d ’une élégance rare

L E D A N U BE - 3 3

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et d ’une distinction suprêm e. Otez à ce gen­

tlem an de la m ontagne ses cafetans rouges, ses gilets à m ille boutons, ses cnémides grec­

ques, sa ceinture orientale, sa cartouchière de cuir, sa panoplie d ’arm es féroces ; m et­

tez-lui un frac noir, gantez de blanc sa m ain nerveuse et b ru n ie , et vous aurez u n élégant irrépro chable, un dandy dont la réception au Jockey-Club ne serait attristée d ’aucune boule noire.

Bozo Raatic, oberbascha du régim ent de Sluin, est d ’un caractère tout opposé. — La n ature sem ble avoir pris à tâche de réaliser en lu i l ’idéal q u’on se fait d 'u n brigand ro ­ m antique. Son m asque m aigre, osseux, orné d ’un nez en bec d ’oiseau de proie dont la courbure comm ence au front, charbonné de noirs sourcils, accentué de m oustaches et de favoris terrib les , bizarrem ent b ru n i du so­

leil et bleui des teintes d ’une barbe fraîche­

m en t faite, frappé d ’une fossette qui sépare presque le m enton en deux, paraît créé tout exprès pour épouvanter les voyageurs, les femmes et les petits enfants ; il est beau ce­

3 1 L ’O R I E N T ,

(43)

pendant, m ais d ’une beauté de m élodram e, visant à l ’effet et à la terreu r.

Un bonnet rouge, p areil au bonnet cata­

lan , retom be sur son épaule, alourdi p ar trois rangs de houppes violettes; sa soubreveste form e devant sa poitrine comme une cuirasse de boutons; son dolm an soutaché, garni de fo urrures, aux larges m anches fendues que rattache une ganse, laisse voir la chemise re­

tom bant su r les poignets brodés ; sa ceinture lâche, rayée de blanc, de rouge et de ja u n e , contient toute une boutique d ’a rm u rie r ; des m anches d ’yatagans et de coutelas, des cros­

ses de pistolets m on trent le nez hors de ses plis. Trois gibernes, dont une de velours cra­

moisi agrém entée d ’argent à la tu rqu e, con­

tien n en t les m unitions de cet arsenal form ida­

ble ; un petit godet de cuivre pou r m esurer les charges de poudre se rattache à ce sys­

tèm e de défense complété p a r une carabine reposant entre les jam bes du m atam ore; des grègues bleues à l ’orientale, des jam b a rts à dessins v a rié s , d ’épaisses sandales et un grand m anteau écarlate achèvent cet équipe-

L E DANUBE. 3 3

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3 6 L 0 R 1 E N T .

m ent com pliqué , et q u ’on croirait, dans son élégance b a rb a re , dessiné par un costum ier de théâtre.

P ou r faire opposition à ce gaillard farou­

che, esquissons, d ’après M. Valerio, les por­

traits de trois femmes de Bosnie (populati n catholique). — La prem ière de ces beautés, si l ’inscription tracée au bas de la feuille n ’indiquait le contraire, a plutôt l ’air d ’une odalisque échappée au harem d ’un pacha que la fem m e d ’un chrétien : une calotte blanche bordée d’un galon noir et constellée de p lu ­ sieurs rangs de pièces d ’argent trouées se dé­

tachant sur u n e strie rouge, emboîte exacte­

m ent le h a u t de sa tète, laissant lib re le lobe des oreilles, derrière lesquelles pendent deux longues tresses de cheveux; cette coiffure, presque sem blable à u n casque, sied adm ira­

b lem ent à cette physionom ie noble, triste et

douce, q u ’éclairent deux yeux gris rêveurs,

surm ontés de sourcils d ’un arc si p u r, q u ’ils

sem blent avoir été régularisés p ar le surm eth ;

l’O rient et l ’Occident se donnent u n baiser

sur les lèvres d ’un tendre in carn at, et la pla­

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cidité fataliste se m êle à la résignation catho­

lique dans ce ch arm ant visage si tran q u ille­

m ent beau ; le col disparaît presque sous un fouillis de grains de corail et de rassades, et des chaînettes, sem blables à des ju g u laires lâches, encadrent l ’ovale de la figure et se rat­

tachent aux boucles d ’oreilles. — Nous avons vu de pareilles m entonnières aux juives de C onstantine, et, comme ici, l ’effet en était charm an t. Une veste blanche historiée de ga­

lons et d ’agrém ents noirs, une grande tu n i­

que de toile enjolivée de broderies de cou­

leur au collet et serrée à la taille d ’une ceinture rouge, composent ce costume d ’une sim plicité et d ’une noblesse rares. La m ain gauche, cerclée au poignet d ’un b racelet de verre ou d ’ém ail b leu , joue avec le cordon en sautoir d ’une bourse ou d ’une am ulette pailletée de sequins. La m ain droite pose ferm em ent su r la saillie de la hanche. Les pieds, que n ’a jam ais déformés la chaussure, ont la sveltesse des extrém ités des statues an­

tiques.

Si cette beauté a quelque chose d ’oriental,

LE D A N U BE . 37

(46)

celle qui la suit dans la collection nous re ­ porte en plein moyen âge. — Vous ne vous seriez peut-être pas im aginé que les modèles de H em ling, de Lucas de Leyde et de Q uen­

tin Metzu vivaient encore, et vous pensiez q u e ces types d ’une grâce gothique n ’exis­

taient plus que su r les volets des triptyques

■et les retables des autels; M. T h, V alerio les a retrouvés intacts au fond de la Bosnie, et si nous n ’étions pas sûr de la rigoureuse fi­

délité de ses dessins, nous croirions volon­

tiers q u ’il a copié à l ’aquarelle les peintures naïves de ces m aîtres prim itifs. S u r une ca­

lotte rouge, dont on n ’aperçoit que le bord , s ’étale en bandeau u n large m ouchoir blanc qui laisse pendre ju sq u ’à l ’épaule sa pointe bro d ée; par-dessus est jeté un gaziilon rose m oucheté de fanfreluches b leu e s, dont les bouts retom bent de chaque côté ; une large étoile de saphirs, placée en féronnière, b rille a u m ilieu du front, des bandeaux nattés en­

cad ren t les tem pes et les pom m ettes; un flot de soie, crinière azurée du fez, ondoie d er­

rière l ’oreille, sous la transparence laqueuse

3 8 L ’O R I E N T ,

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du crépon ; la tête, d ’une ingénuité et d ’une douceur charm antes , avec ses grands yeux orangés, sa petite bouche d ’un rose fin et sa b lan ch eu r délicate, a la grâce enfantine et m ignonne des jeunes saintes et des nobles damoiselles représentées dans les missels et les rom ans de chevalerie par les enlum i­

neurs du quinzièm e siècle ; un collier d ’ai- gues-m arines joue sur sa poitrine serrée au - dessous du sein p ar une sorte de brassière de velours violet, cousue de galons d ’or form ant des zigzags et bordée d ’une tresse cram oisie ; la robe blan che, à m anches larges, ornée do quelques arabesques d ’or, et nouée à la taille d ’u n foulard cerise, descend ju sq u 'au x pieds, chaussés de petites babouches turques à houppes de soie.

La troisièm e a une coiffure presque pa­

reille, sauf un ran g de sequins percés qui frange le tarbouch ; une pièce d ’or d ’un plus grand m odule, rattachée à la calotte p ar un fil de soie, pend sur le front ju sq u ’à l ’en tre- sourcil et produit u n jo li effet de luxe b a r­

bare ; les yeux sont bleus et les cheveux

L E DA NUBE.

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blonds, et la johysionomie, quoique ch ar­

m ante, respire une certaine résolution ; la bouche a de la smorfia et le n e / du caprice ; ce n ’est plus la résignation passive et la sé­

rénité presque anim ale des autres types. Des colliers de pâte du sérail, des pièces de m on­

naie enfilées et des verroteries bruissent et scintillent su r la gorge. La brassière est de­

venue une veste de velours n acarat, résolu­

m ent tu rq u e, ram agée d ’arabesques d ’or ; la robe s’est divisée en larges pantalons rouges.

Q uand les artistes du moyen âge voulaient peindre une H érodiade, ils inventaient, dans leu r ignorante fantaisie, un costume oriental, m i-partie de gothique et de sarrasin, qui rap ­ pelle beaucoup celui de la femme bosniaque dessinée et coloriée p a r M. \a le r io .

Passons de ces infantes au paysan slova­

que d ’Arva ; c’est un jeu n e garçon à physio­

nom ie ouverte et franche, mais dont le n e/

n ’otfre plus ces courbures héroïques des ra ­ ces d ’O rient. Le type devient carré et cam ard et plus honn êtem en t rustique. Un chapeau à larges bords, une chemise de grosse toile, un

4 0 L ’O R I E N T ,

(49)

pantalon dem i-collant au to u r duquel to u r­

n e n t des ficelles d ’alpargatas, un caban d ’une

■épaisse étoffe b ru n e, u n ceinturon de cuir,

■remplacent le clin quan t oriental et le papil- lotem ent pittoresque de la coquetterie b a r­

b are ; ce débonnaire Slovaque porte su r l ’é­

p aule, au lieu d ’une carabine incrustée, un paquet de fil d ’arch al, et à son côté pendent, e n place de gibernes, trois ou quatre sou­

ricières, comme il sied à un lointain des­

cendant du p ren e u r de rats de Ilam m el.

— Nous voici en pleine civilisation. — Re­

gardez ce gren adier à la courte tunique blan che, au long jm ntalon b leu , à l ’énorm e bonnet à poil, dont une b ran ch e de feuillage forme le p lu m et; il y a loin de là aux pitto­

resques bandits du b a n a te t des frontières.

Sans négliger les races sédentaires, M. Va- lerio a étudié avec am our les populations tsiganes des Carpathes et de la plaine. En effet, rien ne peut séduire davantage un ipeintre que cette race bizarre et m ystérieuse apparue en Europe vers le com m encem ent d u quinzièm e siècle et ne se rattach an t à

L E D AN UBE . 41

(50)

aucune souche connue. Faut-il y voir la con­

descendance de quelque trib u paria de l’Inde, poussée loin de sa patrie p a r cet irrésistible instinct de m igration qui saisit les peuples comme les oiseaux à certaines époques cli- m atériques, ou peut-être fuyant le m épris et l ’oppression des castes supérieures? V ien­

d rait-elle d ’Egypte, comme on le croyait vulgairem ent au m oyen âge? C’est ce que la science n ’a pu encore décider, quoique les hypothèses plus ou m oins ingénieuses aient été soutenues en divers s e n s .— A ucune ci­

vilisation n ’a pu résorber ces hordes nom ades qui flottent su r l’Europe comm e u n e écum e.

— Comme les Bédouins, les Tsiganes de tout pays ont h o rre u r des villes et sem blent étouffer dans les m aisons de p ierre: ils cam ­ pent sous les toiles de leurs chariots ou se terren t dans des trous, sous quelque touffe de broussaille, toujours à l ’extrém ité du vil­

lage, au bout de quelque fau b ourg désert.

Le b ien-être et le confort n ’ont aucune sé­

duction pour le u r sauvage indépendance, et p artou t, en Espagne, en A n gleterre, en

4 2 L ’O R I E N T ,

(51)

F rance, comme en Bohèm e, vous les retro u ­ vez accroupis au tou r du chaudron où se p ré ­ pare leu r cuisine prim itive : ces Tsiganes des Carpathes et de la H ongrie, nous les avons vus au barrio de T rian a de Séville, à l ’A l- baycin de Cordoue, au potro de Cordoue, à la playa de San L ucar, avec le m êm e tein t de cu ir tan n é, les m êm es cheveux bleus, les m êm es yeux d ’aigle, les mêmes haillons pit­

toresques.

M. Yalerio a reproduit à m erveille ces vi­

sages de bistre, au nez busqué, que trouen t, comme des jets de flam me, des regards d ’une clarté et d ’une fixité inquiétantes, et autour desquels se tordent en fines annelu res d ’é­

troites m èches d ’un noir de jais, rebelles au peigne et au fer; ces cols et ces poitrines d’un b ru n violâtre, qui sem blent avoir été brû lés p ar le soleil caustique de l ’Inde et en garder l ’em preinte indélébile. Quels tons fauves, ra n c e s , déteints et rom pus il a su trouver pou r ces sordides d é fro q u e s, oit pointe cependant à travers la m isère u n e velléité de coquetterie sauvage! Parm i les

L E D A N U B E . 4 3

(52)

têtes de fem m es, une surtout nous a frappé :

— c’est une jeu n e fille tsigane, coiffée d ’un bout de foulard ja u n e , et b ru n e de ton comme un e Indienne du M alabar ou de Cey- lan ; l ’ovale du m asque est très-allongé ; le nez m ince et fin d ’arête a une noblesse sin­

gulière ; un dem i-sourire erre avec m élanco­

lie sur les lèvres presque violettes comme celles d ’une négresse, et les yeux vous tra ­ versent l ’âme p a r le u r éclat stellaire et le u r pénétration fatidique : ce sont bien là des prunelles qui doivent lire couram m ent dans les astres et dans l ’avenir. — Les m aqui­

gnons, les forgerons, les m usiciens abon­

d en t; car tout Tsigane se m êle d ’un de ces m étiers et souvent les professe tous trois.

Avec quelle indolente rêverie ce Bohême au teint couleur de revers de botte penche les longues boucles de ses cheveux su r son vio­

loncelle ! comme il s’endort et se berce dans sa m usique! En le dessinant, M. Valerio a dû se souvenir du Lied de L enau :

« En passant au m ilieu des bruyères, j ’ai trouvé trois Bohém iens couchés sous un saule.

4 4 L ’O R IE N T ,

(53)

« L 'u n d ’eux , tenant son violon, jo u ait à la lu eu r des derniers rayons du soleil u n air plein de feu.

« L’autre fum ait sa pipe et, aussi tra n ­ quille que s’il ne lui eût rien m anqué su r la terre, regardait sa fumée se disperser m ol­

lem ent dans les airs.

« Le troisièm e dorm ait nonchalam m ent ; sa cym bale était suspendue à un arb re au-des­

sus de sa tête. Le vent jou ait à travers son instrum ent , et un rêve ineffable charm ait son âme.

« Cependant leurs vêtem ents n ’étaient que des haillons m al assortis ; m ais, dans l ’ivresse de le u r indépendance, ils nargu aien t la m i­

sère ainsi que l ’injustice du sort.

« Ils m ’ont enseigné trois fois com m ent, si le sort nous tra h it, on peut le m épriser trois fois en fum ant, en jo u an t et en dorm ant.

« J ’ai longtem ps penché la tête hors de la voiture po ur contem pler ces Bohém iens, do n t les visages b ru n s, les longues boucles de cheveux noirs sont encore présents à ma pensée ! »

L E DA N U BE . 4 9

(54)

4 6 L ’O R I E N T .

— Les aquarelles de M. V alerio, d ’après les Tsiganes, traduisent adm irablem ent ces vers.

Il serait à d ésirer q u ’un pareil travail ethnographique fût entrepris sur les peuples qui offrent encore des physionom ies carac­

téristiques et des types que le m élange des races, am ené p ar la civilisation, ne tardera pas à faire disparaître. Le genre h u m ain re­

trouverait là ses archives.

Il

Nous venons de ren dre compte du travail si im portant, au point de vue de l ’a rt et de l ’anthropologie, accom pli par M. T h. Valerio dans les provinces sem i-orientales de la m o­

narchie au trich ien ne, la H ongrie, la Croatie, les frontières m ilitaires, celles de Bosnie et de T ransylvanie. M. V alerio a réu n i et fixé des types caractéristiques et curieux, des cos­

tum es sauvagem ent pittoresques, qui ne tarde­

ront pas à disparaître sous le niveau de la ci­

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v ilisation,et dont ses aquarelles serontbien tô t le seul tém oignage ; aucun peintre ne s’était ju sq u ’à lui hasardé à travers ces plaines im ­ m enses où galopent des bandes de chevaux en lib erté; ces landes de bru y ère où le Tsi­

gane joue du violon sur le seuil du cabaret hanté p a r les bandits; cespustas que domine le b erg er rêveur, im m obile comme une sta­

tue sous son épais m anteau im perm éable à la pluie, dont les fils grisâtres h achen t le ciel b ru m eu x ; ces m arécages drapés d ’h e r­

bes aquatiques ; ces routes, ornières de boue, qui cahotent si d u rem en t le chariot de poste attelé de petits chevaux échevelés et m aigres.

Outre le talen t de l ’artiste, il faut une v éri­

table vocation de voyageur pour affronter et supporter les fatigues, les privations, les en­

nuis et m êm e les dangers d ’explorations pa­

reilles : ces qualités, M. Valerio les possède au plus h a u t point. A peine revenu d ’un voyage périlleux pendant lequel sa patience à souffrir eut plus d ’une occasion de s’exercer et qui eût dégoûté tout au tre, M. V alerio ne put résister à cette idée que l ’arm ée irrégu ­

L E D A N U B E . 4 7

(56)

lière turcjue devait avoir rassem blé dans les provinces danubiennes le ban et l’arrière- ban de l ’islam , et q u ’il trouverait là un e am ple moisson à faire des types rares ou in­

connus, dont chacun, en dehors de cette cir­

constance, exigerait, pour être recueilli, un long pèlerinage en des régions d ’abord dif­

ficiles, sinon im possibles. C’était une belle occasion de continuer le portefeuille ethno­

graphique et anthropologique déjà si riche et d ’ajouter à ces races presque inédites de nouvelles variétés de l ’espèce hum aine.

Chargé d ’une mission d ’art et de sciences p a r le m inistre de l ’instruction publique, M. V alerio p artit et exécuta son travail pen­

dant la guerre et au m ilieu de l ’épidém ie qui dévastait les bords du D anube, exposé aux balles des Russes et aux miasmes du ty­

phus et du choléra, avec ce sang-froid que l ’am our de l ’art donne aussi bien que l ’h é ­ roïsme guerrier.

L ’attente de M. V alerio ne fut pas tro m ­ pée. La guerre, soutenue si énergiquem ent et si courageusem ent contre la Russie par la

4 8 L ’O R I E N T ,

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