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Le simple fait de mener des conflits politiques était même traité d’une manière positive, comme un élément indispensable pour améliorer et développer les idées politiques de la communauté polonaise

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Un fouriériste dans la vie politique polonaise : Les polémiques de Jan Czyński (1801-1867)

La recherche présentée dans cet article est financée par le Centre national des sciences polonais (projets n° 2017/25/N/HS3/00131).

Au cours des premières années suivant la chute de l'insurrection de Novembre en 1831, quelque 8 à 9 000 Polonais avaient choisi l'émigration, dont environ 5 000 se sont installés en France. L'objectif de beaucoup de ces expatriés était de développer des idées politiques polonaises, de sorte qu'il soit possible de repenser les vieilles catastrophes et de trouver un moyen de regagner l’indépendance de la nation. Compte tenu que beaucoup d'entre eux avaient déménagé en France, et que le français était la langue la plus influente de l’époque, il n'est pas surprenant que l’imaginaire politique polonais se retrouva sous l'influence de la pensée française. Malgré cela, il y avait une forte réticence envers les idées inventées par des penseurs spécifiques et fortement associées à leurs noms. Tout type de cabétisme, de saint-simonisme et de fouriérisme étaient contestés en tant que tels, par les représentants des cercles politiques les plus importants parmi ceux en exil. Ainsi, la seule façon de populariser ces idées n'était pas de les traduire et de les diffuser de cette manière, mais plutôt de mettre en œuvre une certaine polémique avec les opposants. Le simple fait de mener des conflits politiques était même traité d’une manière positive, comme un élément indispensable pour améliorer et développer les idées politiques de la communauté polonaise.

Cet article est destiné à retracer les polémiques les plus importantes que Jan Czyński a formées dans le contexte polonais, particulièrement par le biais des publications de presse ou de correspondances privées. Ce premier fouriériste polonais déclara ouvertement que son but était de façonner des attitudes et des points de vue spécifiques pour vulgariser les idées de Fourier dans les milieux polonais. Par exemple, dans un court texte de 1841, il soulignait que l'émigration polonaise était motivée par de nobles motifs, raison pour laquelle les idées de Fourier devaient bientôt devenir populaires parmi ses représentants1. D'autres militants politiques polonais le considéraient également comme une personne

1 Le Nouveau monde : théorie de Charles Fourier, n°4, 1er avril 1841.

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visant à mener des polémiques2. D'une manière générale, je vois trois lignes de base de ces disputes, entreprises par ce premier fouriériste polonais. La première direction consiste dans les disputes avec les démocrates, en premier avec Jan Nepomucen Janowski. La deuxième concerne les relations entre Czyński et Ludwik Królikowski - proche collaborateur du communiste français Etienne Cabet, qui à partir de 1849 jusqu’en 1851 travaillait comme rédacteur en chef du principal journal icarien, Le Populaire.

Leurs relations étaient durables et familières, tandis que les directions de leurs discussions et collaborations peuvent montrer des domaines intéressants de la pensée politique de Czyński. Finalement, la troisième est relative aux discussions sur les slogans propagés par le fouriériste polonais, particulièrement à propos de l'égalité des droits des femmes et des juifs.

L’insurrection de Novembre et l’éveil politique

À titre de remarque préliminaire, il convient de mentionner que Czyński, en raison de son origine, n'était pas un représentant typique de l'émigration polonaise de l’après 1831, qui était surtout composée des membres de la noblesse. D'un autre côté, Czyński provenait d'une communauté aux expériences strictement différentes, car il était le descendant d'une famille bourgeoise (il était né à Varsovie) et frankiste, c’est-à-dire que ses parents appartenaient à une secte religieuse hérétique proche du judaïsme, créée par Jakub Frank et populaire en Europe centrale et orientale au tournant des XVIIIe et XIXe siècles. Son père Józef avait été baptisé (parce que pour les frankistes le baptême était l'une des étapes du chemin menant vers Dieu) et avait participé à l’insurrection de Kościuszko en 1794.

Avant le déclenchement de l'unsurrection de Novembre, Czyński avait obtenu son diplôme en droit à Varsovie, et après cela, il avait déménagé à Lublin, où il avait travaillé au Tribunal civil3.

Ce fut ce soulèvement qui marqua le début de l'activité de Czyński dans le domaine de la politique. Au début du l'insurrection, Czyński était resté à Lublin ; mais peu après, il fut muté à Varsovie, où il devint le vice-président de la Société patriotique. C'était une

2 Par exemple: W. Zwierkowski, Ostatnia odpowiedz „Północy”, Versailles [1835].

3 M.-D. Sibalis, « Jan Czynski. Jalons pour la biographie d’un fouriériste de la Grande Emigration polonaise », Cahiers Charles Fourier n°6, 1995, p. 60.

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organisation fondée à Varsovie le 1er r décembre 1830, qui associat des slogans de la lutte armée pour l'indépendance à des projets de réformes sociales. En général, la Société était inspirée par les idées de la Révolution française, et ses membres proposaient d'utiliser le symbole d'un arc de trois couleurs4. L'armée tsariste, en raison de l’activité politique considérable de Czyński pendant l’insurrection, avait même mis mille zlotys rouges de récompense pour sa tête5.

Un événement qui l'a influencé d'une manière particulière est la soi-disant « nuit du 15 août », au cours de laquelle des manfinestations et des lynchages eurent lieu, réalisés par la population de Varsovie. Leur cause première était la passivité des chefs de l’insurrection insurgées face aux défaites de la guerre contre la Russie, ainsi que la clémence des mêmes responsables envers les traîtres et les espions arrêtés au cours des combats. Ce jour-là, des débats houleux du Club patriotique avaient eu lieu sous la direction de Czyński, qui présenta ensuite la position de ce club et de ses nombreux partisans au prince Adam Czartoryski, alors président du gouvernement national. Mais la réponse des autorités tarda, ce qui rendit la foule rassemblée furieuse. On recensa des meurtres commis sur les personnes arrêtées pour avoir coopéré avec la Russie ; pour cette raison Czyński et une douzaine d'autres membres du Club furent arrêtés par les autorités polonaises sur des accusations d'incitation au crime. Pourtant, le 22 août 1831, il fut acquitté et libéré.

À la fin des combats, Czyński annonça une brochure, publiée un an plus tard à Paris dans une version largement développée en français, qui était consacrée aux événements de la nuit du 15 août. Il voyait dans les actions du peuple des côtés positifs et une certaine valeur, considérant qu'ils étaient une manifestation de l'esprit civique qui manquaient aux principaux leaders du soulèvement dans les moments cruciaux6. Son opinion à ce sujet persista : en 1862, il exprima des doutes sur les véritables auteurs des actes les plus sanglants de la nuit du 15 août 1831, considérant ces événements comme des

4 E. Oppman, Warszawskie „Towarzystwo Patriotyczne” 1830-1831, Varsovie 1937, p. 110.

5 Biblioteka Śląska w Katowicach [la Bibliothèque de Silésie à Katowice, désormais : BŚ], 371 IV/VII, Lettre de Czyński à Konstanty Zaleski, 28 mai [sans année, après 1860], f. 106.

6 J. Czyński, Dzień piętnasty sierpnia i sąd na członków Towarzystwa Patryotycznego, Varsovie 1831; J.

Czyński, La nuit du 15 août 1831 à Varsovie : précédée d’un aperçu rapide de toute la révolution, Paris 1832.

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provocations7. Ses opinions sur cette question suscitèrent rapidement de la résistance. Les opposants à la Société patriotique, dans ce Maurycy Mochnacki, Jan Nepomucen Młodecki et les auteurs rassemblés autour du journal Kronika Emigracji Polskiej (Chronique de l'émigration polonaise) (qui sympathisaient avec le prince Czartoryski), accusèrent les représentants de la Société d'inciter les habitants de Varsovie à des actes de terreur8. Le conflit aigu avec les autorités de l'insurrection vaincue semblait être favorable au rapprochement de Czyński et des démocrates, parce que les principaux idéologues de la démocratie étaient engagés dans les activités de la Société patriotique.

De la coopération aux différnts. Czyński et les démocrates polonais

Le 17 mars 1832 à Paris a été créée la Société démocratique polonaise (Towarzystwo Demokratyczne Polskie, désormais : TDP). Dès le début, cette organisation critiquait le commandement de l’insurrection et le conservatisme de la noblesse, et elle demandait des réformes sociales radicales en Pologne. Jan Nepomucen Janowski faisait partie des fondateurs, et ultérieurement il fut aussi l'un des idéologues les plus importants du TDP.

C'est avec lui que Czyński eut des polémiques féroces et sur une longue durée..

Au début de son séjour en exil, Czyński était étroitement associé aux démocrates, et Janowski séjourna même dans son appartement à Paris pendant un certain temps9. Leurs chemins, cependant, ont commencé à diverger après la création de la TDP, car cette organisation avait été créée à la suite de la scission du Comité National Polonais, dont Czyński continuait à être membre. Janowski lui-même, dans son autobiographie, a affirmé que leurs chemins se sont définitivement éloignés le 16 mars 1832, quand Czyński pour la première fois s'est décrit comme « fouriériste » 10. Comme Janowski lui a rappelé dans une ses lettres, il a vécu en relations cordiales avec Czyński pendant l’insurrection et au début de l'émigration: « Mais quand j'ai découvert qu'il aime jouer

7 A. Gałkowski, Polski patriota-obywatel Europy: rzecz o Janie Czyńskim (1801-1867), Varsovie 2004, p.

31.

8 Kronika Emigracji Polskiej, tome II, n° 15, 28 janvier 1835, p. 231; A. Gałkowski, op. cit., p. 29.

9 A. Eisenbach, « Jana Czyńskiego polemiki z Janem Nepomucenem Janowskim » in Przegląd Historyczny n° 70 (1979), p. 91.

10 Biblioteka Jagiellońska w Krakowie [la Bibliothèque Jagiellonian de Cracovie, désormais : BJ], 3659/1b, dossier : J.N. Janowski, Notatki i różne wyciągi pro memoria, f. 229.

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aux puces, qu'il est un caméléon, ou plutôt un spéculateur politique, j'ai rompu toutes relations avec lui »11.

Dans les années 1830, ils ne cessèrent leurs critiques qui - ce qui vaut la peine d'être souligné - influencèrent aussi la formation des opinions françaises sur la question polonaise. Janowski, dans ses mémoires, soulignait par exemple que François-Vincent Raspail, en travaillant sur une monographie sur l'histoire de la Pologne12, restait sous l'influence de l'opinion de Czyński sur les guerres cosaques, que Janowski devait alors réviser. Il n’indiquait pas cependant en quoi exactement son point de vue sur ces questions différait des convictions de Czyński.

Malgré ces différences entre lui et Janowski, en 1834, Czyński rejoignit le TDP, et même pendant un certain temps, était le rédacteur de Postęp (Le progrès), un magazine de la section centrale de cette organisation. Cependant, après une courte période d'adhésion au TDP, Czyński se vit déçu par les idées démocratiques et probablement à cause de cette déception, il s’engagea finalement à promouvoir l'idée de Fourier en dehors des rangs de la Société. Trois raisons principales ont finalement déterminé le départ de Czyński du TDP. La première était l'accusation de coopération avec l'ambassade de Russie mise en avant par le magazine Nowa Polska (La Nouvelle Pologne). Finalement, la section centrale du TDP, après avoir examiné l'affaire, rejeta cette accusation ; l'affaire, cependant, l'accusation elle-même, mit en péril les relations entre Czyński et les milieux démocratiques polonais. Le deuxième problème concerne les nombreux conflits personnels entre Czyński et les principaux idéologues du TDP, dont Janowski. La troisième raison était la critique que sa lettre sur la Russie avait provoquée au sein de cette organisation, parce que TDP, contrairement à Czyński, ne voyait pas de nécessité de coopérer avec les démocrates russes... Le 5 décembre 1835, Czyński annonça officiellement son abandon des rangs du TDP13.

Au fil du temps, Czyński tenta d'annuler toutes les déclarations publiques qu'il avait faites lors de la coopération avec les démocrates. Une de ces déclarations était une lettre, dans laquelle des membres des milieux démocratiques annoncèrent que le prince Czartoryski

11 Biblioteka Kórnicka w Poznaniu [la Bibliothèque de Kórnik à Poznań], 2449, Lettre de Janowski à Leon Wrześniewski, 15 décembre [sans année, après 1865], f. 13.

12 F.-V. Raspail, De la Pologne sur les bords de la Vistule et dans l'émigration, Paris, 1839.

13 A. Ciołkosz, L. Ciołkosz, Zarys dziejów socjalizmu polskiego, Londres, tome 1, 1966, p. 200.

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était l'ennemi de l'émigration polonaise. Cette lettre, datée du 18 août 1834, avait été signée par Czyński ; mais, en novembre 1839, il annonça qu'il n'avait jamais soutenu cet acte, déclarant : « Je n'ai pas pris la moindre part à l'acte d'accuser le prince Adam Czartoryski. Ce n'est que lorsque ce citoyen a annoncé dans les journaux français que ses partisans étaient ceux qui n'avaient pas signé l'acte de condamnation, que j'ai rejoint le groupe des signataires. Ma signature ne signifiait donc rien d'autre que le fait que je n'appuyais pas le système du prince Czartoryski. »14

Une autre dimension de son désaccord avec les démocrates peut être vue dans sa polémique avec un historien polonais nommé Joachim Lelewel. Critiquant ce démocrate modéré, qui n'était pas membre de TDP, Czyński indiquait que Lelewel se consacrait à l'étude de l'histoire et qu'il ne comprenait donc plus les temps contemporains et les tâches de la démocratie moderne dont le but était d'organiser l'industrie et le travail15. C'est, en passant, un exemple relativement rare d’une déclaration positive de Czyński sur la démocratie en tant que telle, mais pas difféente de la version présentée par les démocrates polonais.

Sur un ton différent, il a fait référence à ce concept lors d'un discours à Bruxelles, ce qui était important parce que le public présent à cet événement comprenait plusieurs démocrates polonais vivant en Belgique. Czyński souligna avec amertume que la démocratie, c’était l'oppression de la majorité par une minorité. Cependant, la théorie de Fourier, souligna l'orateur, était plus parfaite parce qu'elle supposait l'harmonisation de tous les intérêts et l'accomplissement de tous les besoins16.

Plus tard, sa critique des démocrates polonais et de leurs théories s’accrut et aborda progressivement de nouvelles questions et de nouveaux problèmes. Dans les pages du magazine Écho des villes polonaises (Echo Miast Polskich) un article parut de façon anonyme (cependant, il était très probablement dû à Czyński en raison de l'argumentation et du style d'écriture) ; l’auteur y avait indiqué que le principal organe de presse du TDP, Demokrata polski (Démocrate polonais), ne distinguait pas les artisans des travailleurs.

En France, soulignait l'article, il y avait des ouvriers, pas des artisans, parce que leur

14 Biblioteka Czartoryskich w Krakowie [la Bibliothèque des Princes Czartoryski à Cracovie, désormais : BCz], 5341, Lettre de Czyński au comité de rédaction du journal Korespondent, novembre 1839, f. 189.

15 Le Nouveau monde : journal populaire de la science sociale, 1er novembre 1843.

16 Le Nouveau monde : théorie de Charles Fourier, n° 38, 1er aout 1840.

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travail était divisé, c'est-à-dire qu'un cordonnier ne cousait pas lui-même ses chaussures17. Un autre de ses sujets de critique était lié à sa conviction que la liberté du peuple (compris d'une manière typique pour lui comme travailleurs des villes et des villages) ne dépendait pas nécessairement de la forme de l'exercice du pouvoir. En ce sens, les gens pouvaient bien, selon Czyński, être libres dans la monarchie et non libres dans la république18.

Les discussions de Czyński avec les démocrates reprirent de la vigueur dans les années 1860, quand Czyński revint à l'activité politique après une décennie d'absence dans les années 1850. Surtout, sa polémique avec Janowski était d'une importance particulière.

Cet échange assez long (35 lettres) eut lieu en 1862 et fut initiée par Czyński, qui demanda à Janowski de soutenir la revue Archives Israélites, comptant obtenir le soutien des juifs polonais en faveur du mouvement indépendantiste polonais. Janowski refusa, et - après quelques mois de querelle - Czyński proposa de cesser le conflit, notant l'existence de divergences idéologiques irréconciliables entre lui et son adversaire.

Comme il l'écrivait : « Nos lettres ne mèneront à rien : pour toi, la forme est tout, pour moi c'est le fond ; votre idéal est Lamennais, mon Copernic est Fourier. Ce n’est pas à notre âge et avec nos œuvres que vous pouvez espérer mettre ma recherche en poussière, que je vous convaincrai qu'une forme sans fond n'est rien. »19 Cette polémique, ainsi que les autres déclarations de Czyński des années 1860, illustrent aussi que, contrairement à l'opinion de Michel Sibalis, Czyński est resté fouriériste dans la dernière période de sa vie20.

Après de nombreuses années de disputes, Janowski ne ménagea pas ses mots, pleints d’amertume sur Czyński, dans ses notes rédigées après la mort du fouriériste polonais.

Sur le revers d'un extrait de la notice nécrologique favorable à Czyński, parue dans l'un des journaux polonais21, Janowski fit une remarque amère : « Pendant les troubles politiques, nous rencontrons souvent tels les chauves-souris, en même tempsoiseaux et souris, de tels caméléons changeant de couleur, de tels chats qui tombent toujours sur leurs pieds ; chez de tels êtres, le zèle exagéré n'est qu'un souci de sa propre sûreté, et

17 Echo Miast Polskich, n° 4, 25 décembre 1843, p. 27.

18 Echo Miast Polskich, n° 13, 1er juin 1844, p. 61.

19 BJ 3685/1, Lettre de Czyński à Janowski, 28 août 1862, f. 306.

20 M.-D. Sibalis, art. cit., p. 72.

21 Gazeta Narodowa, 5 mars 1867, n° 53.

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c'est ce qui inspire le plus de confiance pendant la révolution ; mais aussi la révolution est une fièvre, et vous ne pouvez discerner la vérité du mensonge dans la fièvre. »22

Fouriériste polonais et communiste polonais : les relations avec Królikowski

L'un des personnages les plus proches de Czyński était Ludwik Królikowski. Leurs relations, cependant, eurent un cours divers - de la polémique ouverte, avec un respect mutuel, jusqu’à une coopération étroite. Déjà en 1841 Czyński salua la direction idéologique de Zjednoczenie (L'Unité), le premier journal émigré édité par Królikowski après son départ de Cracovie. Czyński était convaincu que le magazine serait le premier organe de presse en langue polonaise qui diffuserait l'idée proche de l'association de Fourier, comprise comme une association de travail, de talent et de capital23. Bientôt, cependant, Królikowski, déçu par certaines des idées publiées dans ce magazine, se sépara de son comité de rédaction et commença à publier son propre journal. Le contenu, du premier numéro de Polska Chrystusowa (La Pologne du Christ), publié par Królikowski, a provoqué des polémiques de la part de Czyński. L'essentiel de cette polémique tournait principalement autour de la question de la propriété - Królikowski soutenait qu'elle devait être abolie, tandis que Czyński proposait une gestion conjointe des terres et des ressources dans le cadre de la Commune unitaire [Zjednoczona Gmina].

Ce qui provoqua la polémique de Czyński était, d'une part, le langage acéré utilisé par Królikowski (par exemple, les expressions « chiens de l'aristocratie », « pape-satan », « tuer », « assassiner », etc.), qui, pour le fouriériste, semblait grossièrement contradictoire avec la « simplicité divine et enfantine de l'Évangile »24 ; et, d'autre part, les postulats de l'abolition de la propriété mis en avant par l'éditeur de La Pologne du Christ et s'efforçant d’ établir une égalité sociale absolue. Comme l'a souligné Czyński dans la Commune unitaire, les gens seront comme des lettres dans l'alphabet - différentes les unes des autres, parfois au début, parfois à la fin, parce que « mille habitants de la commune signifient mille sons différents avec lesquels le maître, obéissant à Dieu, peut créer une merveilleuse aria ». Dans le même temps, il souligna que les différences entre les

22 BJ 3659/1b, dossier J.N. Janowski, Notatki i różne wyciągi pro memoria, f. 225.

23 Le Nouveau monde : théorie de Charles Fourier, n° 4, 1 avril 1841 24 Polska Chrystusowa, tome I, n° II, 1843, p. 433-434.

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personnes dans une telle commune ne seraient pas trop grandes, parce que Dieu a distribué les talents entre eux d’une manière équitable.25

Une autre différence séparant les points de vue des deux polémistes était l'échelle des systèmes qu'ils proposaient. Czyński était principalement intéressé par la création d'une communauté locale modèle, alors que Królikowski dès le début esquissa un nouveau système ayant une dimension globale, s'inspirant encore à ce stade principalement d'une pensée saint-simonienne26. Cependant, d'un autre point de vue, la Commune unitaire n'était pas seulement censée résoudre les problèmes de ses habitants (Czyński promettait, entre autres choses, la disparition de l'animosité entre les paysans qui réuniraient leurs fermes), mais elle conduisait aussi à une amélioration de la situation des animaux, par exemple à la « disparition des haridelles maltraitées »27.

Królikowski a tenté de contrer ces arguments en soulignant que si le projet de la Commune unitaire nécessitait avant tout des ressources financières, sa proposition de reconstruction de la société exigeait une profonde transformation de l'homme. Cette transformation, consistant à rendre les gens prêts à se sacrifier conformément au commandement évangélique de l'amour du prochain, devait résulter de « l'origine divine

» existant dans chaque homme28. Cependant, Królikowski était enclin à penser que la mise en œuvre du projet de Czyński aurait des effets positifs s'il le traitait comme une sorte de demi-mesure qui pourrait améliorer les conditions de vie de certaines personnes, ce qui serait préservé dans la recherche du vrai salut29.

Fait intéressant, à la fin, les deux polémistes formulèrent dans le Polska Chrystusowa une pensée similaire, avec de fait un appel à une action radicale sans attendre des circonstances favorables. Plus tard, Krolikowski a écrit : « Pour pouvoir joindre une ACTION aussi grande et incomparable dans le monde, il faut d'abord se préparer- il faut renaître de l'Esprit et devenir un nouvel homme plein de foi, d'espérance et d'amour du

25 Ibidem, p. 451-453.

26 Królikowski a fait la connaissance des idées de Saint-Simon en 1828, quand, après avoir été diplômé à Varsovie, il est allé à Paris avec son ami Bogdan Janski. Les informations sur ce sujet sont fournies par des lettres de Jański in Bogdan Janski. Letters 1828-1839, édition 1978-1980 Resurrection Studies Comission Fr. B. Micewski, C.R. Computer edition (2010-2011) Fr. W. Mleczko, C.R. R. Borowczyk, Rome 2011. p.

8-20, 123-126, 135-137, 175-178, 193-197.

27 Polska Chrystusowa, tome I, n° II, 1843, p. 403-404 28 Ibidem, p. 420-423.

29 Ibidem, p. 423.

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Christ, vivant seulement pour les fins du Christ.»30 D'un autre côté, Czyński a déclaré : « Exigez une action, exigez une preuve : commandez ces sauveurs qui essaient d'arranger la Pologne l’épée à la main pour organiser une commune en premier. Laissez-les vous montrer un échantillon de leur raison sur une petite parcelle de terre. La bonté d'un arbre peut être reconnue sur la base de ses fruits ! »31

Le conflit entre Królikowski et Czyński fut une étape importante dans le développement idéologique des deux penseurs. Dans une de ses lettres, Czyński déclara que cette polémique n'était qu'une introduction à de nouvelles œuvres, qu'il commença après quelques années de retrait de la vie d'émigration32. La publication du Polska Chrystusowa donna à Królikowski à son tour une popularité considérable dans les milieux émigrés.

Parmi les lecteurs de Polska Chrystusowa temporairement fascinés par les idées présentées dans ses colonnes, il y avait même Adam Mickiewicz, qui a discuté sur un ton positif les idées de Królikowski lors d'une conférence donnée au Collège de France le 20 juin 184333. Cette fascination de Mickiewicz par la personne de Królikowski a d'ailleurs provoqué un commentaire ironique de Czyński dans les pages de l’Echo Miast Polskich.

Le fouriériste sur un ton moqueur a indiqué que Królikowski cherche à créer une autre secte, et que Mickiewicz le considère comme le publiciste polonais le plus important34. Dans les années 1860, les relations entre les deux anciens polémistes se sont resserrées parce qu'ils exprimaient des positions communes sur la situation de l'émigration ; d’ailleurs, à l'intérieur de cette émigration, de nouveaux changements et reconfigurations avaient lieu ; ils étaient dus à l'intensification patriotique dans la partie russe, qui a conduit au déclenchement de l'insurrection de Janvier (1863-1864). Dans ces remaniements, il était important de lutter pour l'unité, une idée que les deux Polonais ne pouvaient cependant pas toujours accepter. Par exemple, face à la nouvelle de la fusion de deux magazines – Głos Wolny (Voix libre) et Polska (Pologne) – qui adoptèrent le « manifeste démocratique » comme base idéologique, Czyński déclara : « Je ne peux pas accepter un manifeste démocratique insuffisant. Ni Ludwik, ni moi n'acceptons d'être un

30 Ibidem, p. 254.

31 Ibidem, p. 460.

32 Biblioteka Narodowa [Bibliothèque Nationale de Pologne] 2953, Lettre de Czyński à Seweryn Goszczyński, f. 55.

33 A. Mickiewicz, Literatura słowiańska wykładana w Kolegium Francuzkiem, trad. F. Wrotnowski, tome III (1842-1843), Poznań 1865, p. 236–255.

34 Echo Miast Polskich, n° 10, 17 avril 1844, p. 52.

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instrument de quelqu'un d’autre.»35 L'entreprise la plus importante abordée conjointement par Czyński et Królikowski fut l'établissement intitulé Alliance Polonaise de toutes les Croyances Religieuses en août 186236. Cette initiative est discutée ci-dessous.

Il peut sembler surprenant que, malgré un certain nombre de différences existant entre les idées politiques de Czyński et celles de Królikowski, les deux hommes ont été considérés par leurs contemporains comme des personnes idéologiquement proches l’une de l’autre.

Par exemple, dans les pages de Zmowa (Conspiration) - un magazine polonais publié pendant plusieurs mois à Genève en 1870 - un auteur anonyme, discutant l'opinion de Mikhaïl Bakounine selon laquelle l'ancien ordre était universellement soutenu en Pologne, rappela les noms de Czyński et Królikowski comme ceux des premiers socialistes polonais37. Il convient toutefois de souligner que Czyński ne s'est jamais décrit comme socialiste, et n’a même jamais utilisé le terme « socialisme » pour décrire sa doctrine », alors que Królikowski, influencé par la pensée de Cabet, a écrit : « Je suis communiste »38.

Polémiques concernant les questions féminines et juives

Dans de nombreux ouvrages et articles, Czyński s'est référé à la question des femmes, ce qui fait de lui l'un des premiers Polonais à avoir traité ce problème comme une question politique distincte. En fait, ses opinions sur ce sujet étaient polémiques par elles-mêmes pour la majorité des militants politiques polonais de l'époque, qui ne considéraient pas la question de l'émancipation des femmes comme un problème spécifique, ou leur refusaient simplement une partie importante de leurs droits.

Son premier texte sur ce sujet est paru dès 1835, dans les pages du magazine Północ (Le Nord), coédité par Czyński. À cette époque, il soulignait que la situation du paysan serf était difficile, mais les conditions de vie de sa femme, de sa fille ou de sa sœur étaient encore pires. Czyński a noté, cependant, non seulement les problèmes sociaux des

35 BŚ 371 IV/VII, Lettre de Czyński à Zaleski, s.d., f. 97.

36 A.-G. Duker, « Jewish Emancipation and the Polish Insurrection of 1863 : Jan Czyński’s Letter of 1862 to Ludwik Królikowski » in Proceedings of the American Academy for Jewish Research 46/47, Jubilee Volume (1928-29 / 1978-79) [Part 1] (1979), p. 87–103.

37 Zmowa, 1er juillet 1870, p. 9-10.

38 Système de fraternité, n° 6, 1851, p. 176-181.

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femmes des classes sociales les plus pauvres, mais aussi de celles qui ont un peu plus d'aisance, qui souvent, manquant d'accès à l'éducation, ne peuvent pas décider pour elles- mêmes et sont forcées de se marier sans amour ou de rejoindre un monastère. De plus, Czyński était également convaincu que les femmes avaient un rôle à jouer dans la lutte pour la transformation sociale. Il a donc appelé à la solidarité entre les femmes de différents états et couches sociales, encourageant les femmes nobles à « reconnaître leurs sœurs » parmi les paysannes et les travailleuses39.

Le plus important des textes de Czyński sur la question des femmes est la brochure francophone Avenir des femmes40, qui a suscité une série de commentaires et de polémiques dans la presse française (mais, de façon caractéristique, pas dans la presse polonaise). Czyński a encouragé les femmes à s'engager et à lutter afin qu’elles puissent choisir elles-mêmes leur mari, leur profession, et de façon générale, afin que les conditions de vie des femmes soient améliorées. Des problèmes similaires sont soulevés dans un de ses romans au titre significatif de Bunt kobiet (La révolte des femmes)41, dans lequel il montre leur participation au renversement de l'un des rois polonais. Aussi dans la polémique avec Królikowski discutée plus haut, il y avait un fil conducteur concernant les femmes. Ici, cependant, Czyński se limite à des positions relativement non radicaux, indiquant seulement que la Commune unitaire résoudra le problème des vieilles filles qui n'ont pas de dot42.

Fait intéressant, l'un des critiques du livre Avenir des femmes, Charles Maron, accusa Czyński du fait que, citant les multiples problèmes des femmes, il ne proposait, comme remède aux phénomènes décrits, que l’octroi de la liberté de choisir leurs maris43. Peut- être à la suite de ces critiques, Czyński a développé son opinion sur cette question dans la dernière période de sa vie. En 1865, dans les colonnes du journal Gazeta Narodowa (Gazette nationale) publié à Lviv, il a suggéré sans ambiguïté que concevoir la désignation du pouvoir par l’élection, sans inclure les votes des femmes serait un malentendu. Comme il l'écrit, « chez nous, un grand nombre de frères, sans avoir l'éducation nécessaire prennent la plume, ils prêchent tout ce qui leur vient à l'esprit,

39 Północ, n° 12, 3 juillet 1835, p. 2.

40 J. Czyński, Avenir des femmes, Paris 1841.

41 J. Czyński, Bunt kobiet: powieść historyczna, Paris 1844.

42 Polska Chrystusowa, tome I, n° II, 1843, p. 406.

43 Le Nouveau monde : théorie de Charles Fourier, n° 3, 1 mars 1841

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répètent des mots banals et des phrases d’une vanité insupportable, traitant la règle des hommes adultes comme la règle des gens, traitant souvent le commerce comme une industrie, les artisans comme des travailleurs ; beaucoup croient encore aux désastres provoqués par le progrès, n'ayant pas la moindre idée du but ultime de la société humaine. » Dans la suite de l'article, il a souligné que les écoles pour femmes ne devraient pas non plus être oubliées44. En fin de compte, cependant, ses positions concernant l’égalité des hommes et des femmes en matière de droits politiques n'ont pas suscité un large soutien à cette époque.

Tous ces fragments de déclarations journalistiques de Czyński illustrent le fait que la question des femmes occupa une place importante dans ses recherches théoriques pendant la plus grande partie de sa vie. Ce qui est important, c’est que ses opinions sur ce sujet, notamment en ce qui concerne le rôle des femmes dans le mouvement indépendantiste polonais et la question de leurs droits électoraux, formulés de manière désinvolte, étaient novatrices chez les journalistes et aussi chez les militants politiques polonais de l'époque. Car, pour les démocrates, tous les problèmes sociaux trouvaient leurs solutions dans les réformes générales, tout d'abord dans l’affranchissement des paysans. Quant à la droite polonaise, toute vision de l'émancipation des femmes, même en termes d'indépendance économique vis-à-vis de leur mari, était inacceptable. Par exemple, en 1849, Kajetan Małecki affirmait que l'idée de l'indépendance des femmes vis-à-vis des maris n'était appliquée qu'en Afrique, ajoutant : « Les peuples d'Afrique servent d'exemple aux créateurs de telles idées. »45

En plus de la question féminine, le problème de l'égalité des juifs était sans aucun doute au centre des intérêts de Czyński tout au long de sa vie politique. Cela lui a attiré de nombreuses attaques de la part d'adversaires politiques, souvent empreintes d'antisémitisme. L'une de ses premières interventions de presse sur cette question a provoqué la tentative de créer une Société pour l'émancipation des juifs en 1833, à laquelle Czyński a invité, entre autres, le voïvode Antoni Ostrowski - président du Sénat polonais en 183146. Cela provoqua de violentes critiques de la part du magazine Kronika

44 Gazeta Narodowa, 7 juin 1865, n° 129, p. 2.

45 K. Małecki, Socyalizm i uwagi nad jego zasadami, Lviv 1849, p. 18.

46 Archiwum Akt Dawnych w Warszawie [Archives centrales des documents historiques de Varsovie]

390, Lettre de Czyński à Antoni Ostrowski, 16 mars 1833, f. 184-188.

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Emigracji Polskiej, qui accusa Czyński, entre autres, de manipulations concernant des préjugés antijuifs de diverses personnes47. La lettre, d'un ton moqueur, critiquait les idées de Czyński concernant l'égalité des juifs : « Admettre simplement les juifs, d'un coup de plume, à tous les droits, annoncer une déclaration de droits, rien n'est plus facile, cela suffirait probablement pour Monsieur Czyński ou une autre tribune du peuple, il cherche sa propre gloire, mais pas pour le bonheur de son voisin. Grâce au ciel, parmi les milliers de plaies qui nous ont été envoyées, il nous a sauvés au moins de la plaie de charlatanisme. Le législateur consciencieux, visant, non pas la diffusion de son nom, mais le bien de la Nation, sait que la loi, qui doit apporter le fruit désiré, n'est pas écrite sur le genou. » 48

Aussi parmi les représentants des milieux démocratiques, l'idée de créer la Société pour l'émancipation des juifs a été critiquée. Dans une lettre adressée à Janowski, Ignacy Płużański, co-fondateur de TDP, a souligné que, dans le concept même de démocratie, il y avait les mots d'ordre de l'émancipation universelle des différents groupes sociaux.

Płużański a fait valoir que « la spécialisation excessive de cette société est une idée nuisible et qu'elle est en opposition avec les objectifs de la démocratie, parce que celui qui veut l'émancipation des juifs, et, en même temps, ne veut pas libérer d'autres nombreux [illisible] gens qui ont besoin d'émancipation, les paysans et tous les prolétaires, veut clairement la liberté pour certains, l'esclavage pour d’autres. » 49 Ainsi, on peut voir que dès le début, l'intention de Czyński a été combattue par des représentants de divers groupes de la sphère politique émigrée.

Une contribution importante de Czyński dans ses efforts pour garantir l'égalité des droits des juifs fut l'invention du concept de « Polonais de la foi mosaïque », qui, selon ses intentions, devait remplacer le terme « juifs polonais », si courant jusqu’alors50. Ce concept a été critiqué avec véhémence dans les colonnes de Nowa Polska (probablement par Józefat Bolesław Ostrowski), où il a été considéré comme un mensonge « contre l'histoire, contre l'essence des choses. »51 Adam Mickiewicz a également utilisé des

47 Kronika Emigracji Polskiej, T. II, ark. 18, 24.02.1835, p. 274-286.

48 Ibidem, p. 286.

49 BJ 3685/6, Lettre de Płużański à Janowski, 11 janvier 1833, f. 261.

50 J. Czyński, Question des juifs polonais, envisagée comme question européenne, Paris 1833, p. 25;

Północ 1835, n° 9, p. 33-35.

51 Nowa Polska, 1835, p. 357-358.

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accents antisémites dans sa critique de Czyński. Celui-ci a publié une note négative sur l’œuvre bien connue de Mickiewicz Księgi narodu i pielgrzymstwa polskiego (Le livre de la nation et du pèlerinage polonaise) dans les pages du magazine Postęp, et le poète a répondu avec son poème Moitié juif, moitié polonais. 52

Observant les événements du Printemps des Nations sur les terres polonaises, Czyński a de nouveau saisi la plume pour défendre les juifs. Comme il l'écrivit alors dans une lettre au prince Czartoryski : « Les événements récents dans la région de Poznań ont renforcé ma conviction sur l'importance de la question religieuse en Pologne et sur le rôle important des villes dans le contexte de la renaissance nationale».53 Le résultat du travail de Czyński sur cette question en 1848 fut une courte brochure dans laquelle il souligna que la Pologne n'était pas un pays catholique ; il accusa également les jésuites (qui, à son avis, ont eu une grande influence sur le pays pendant le règne de le roi Stefan Batory au XVIe siècle) d’avoir contribué aux partitions de la Pologne54. En outre, il déclara que l'influence des jésuites (présentés comme des cercles conservateurs) s’exerçait aussi sur les diverses initiatives des émigrés, et ceux qui se déclaraient catholiques libres en 1831 devinrent orthodoxes en 1848. Pour ces raisons, selon Czyński, les protestants et les juifs étaient traités avec dédain et hostilité dans les assemblées polonaises, les clubs et les comités55.

La conviction que l'oppression des juifs, résultant de l'existence de divers préjugés, avaot un caractère spécial même en comparaison avec les conditions de vie tragiques des ouvriers et des paysans, a été répétée par Czyński dans la corrspondance qu’il eut avec Janowski à partir de 1862. Dans une lettre émouvante, il écrivait : « Je dis hardiment en toute honnêteté que la plus haute expression de l'humiliation humaine est représentée par les pauvres juifs, tandis que le paysan, le nègre, l'esclave de la terre, à côté de la misère et de la souffrance, sont libres d'être le sujet du mépris ». Et un peu plus loin, dans la même lettre, il ajoutait : « la situation des juifs était plus horrible, chassés dans les rues, privés

52 A. Ciołkosz, L. Ciołkosz, op. cit., p. 200-201.

53 BCz 6658, Lettre de Czyński à Czartoryski, 6 juillet 1848, p. 15.

54 J. Czyński, La Pologne catholique et la Pologne liberale, Paris 1848, p. 4.

55 Ibidem, p. 6.

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de droits civils et politiques, méprisés, bousculés et poussés, même par les honnêtes paysans et ouvriers pauvres ». 56

Dans les années 1860, l'initiative la plus importante de Czyński dans le domaine de la lutte contre les superstitions contre les juifs était l'Alliance Polonaise de Toutes les Croyances Religieuses. Dès le début, il essaya d'attirer le plus de monde possible dans cette organisation. Peut-être sans accord préalable avec un adversaire ouvert de l'aristocratie, comme Królikowski, Czyński a informé Władysław Czartoryski (le fils d'Adam) de l'initiative, en comptant sur son soutien57. Dans le texte de 1866, justifiant le but de l'existence de l'Alliance, il écrivait : « son but est d'amener les esprits à reconnaître et accepter cette vérité révélée dans un moment de zèle sacré, que les différences de foi ne font aucune différence chez les gens, qu'ils ne dispensent personne de devoirs partagés envers la patrie. »58 L'initiative de Czyński – la création de cette organisation – a trouvé un terrain fertile : en avril 1863, l'Alliance comptait 53 membres, et près de 150 en janvier 186659. Cependant, déjà au milieu de 1866, peut-être en raison du remaniement ultérieur de la scène politique des émigrés, cette organisation cessa d'exister.

Vers la fin de sa vie, dans une de ses lettres, Czyński a indiqué qu'il se sentait satisfait d’avoir, de longue date, lutté pour l'égalité des droits des juifs et l'éradication des superstitions. Il écrivit : « en 1831, quand Lelewel affirma qu'un juif était infidèle jusqu'à la sixième génération, Mickiewicz affirma qu'il y avait deux âmes, une âme juive et une âme chrétienne ; lorsque Czartoryski offrit de l'argent à un juif pour un couteau afin de se suicider, quand Worcell et Krępowiecki à l'assemblée de Londres m'accusaient d'avoir abandonné le chemin national, moi-même, inondé de larmes, confiant en Dieu, dans mon patriotisme et ma justice, déclarait la guerre à la superstition et luttait pendant trente ans. »60

Conclusion

56 BJ 3685/1, Lettre de Czyński à Janowski, [1862 – sans date de jour], f. 384.

57 BCz 7240, Lettre de Czyński à Władysław Czartoryski, 16 septembre 1863, p. 473-474.

58 Głos Wolny, 1866, n° 96, p. 389.

59 A. Gałkowski, op. cit., p. 270.

60 BŚ 371 IV/VII, Lettre de Czyński à Konstanty Zaleski, f. 106-107.

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Malgré les efforts de Czyński, le fouriérisme n'est jamais devenu une doctrine populaire dans la vie politique polonaise. Dans les années 1840, seul Jan Dworzecki, qui vit à Bruxelles, s'inspire des idées de Fourier depuis un certain temps, devenant même correspondant du périodique Le Nouveau Monde et soutenant activement des activités visant à établir la première colonie en France. Aussi Stanisław Bratkowski, engagé dans le cercle fouriériste déjà dans les années 1840, a publié en 1860 ses considérations les plus importantes sur l'organisation des villages dans la future Pologne. Ses réflexions sur ce sujet ont été formulées sous l'influence des idées de Fourier (mais sans aucune citation directe)61. Dans ce contexte, cependant, la déclaration politique de Czyński était la plus développée et la plus stable, parce que Czyński était le seul à oser lancer des discussions explicites dans la vie publique polonaise pour disséminer les conceptions de Fourier. Il était aussi le plus actif parmi les fouriéristes polonais, publiant au total plus de 300 textes (articles, livres, brochures) en cinq langues.

Malgré ces efforts, Czyński n’a jamais créé son propre groupe politique. Il n'a réussi à créer autour de lui qu'un petit groupe de partisans et de collaborateurs, dirigé par le cordonnier parisien Laurent Heronville62. Dans la correspondance dispersée des émigrés polonais, on peut également retrouver des déclarations individuelles selon lesquelles Czyński aurait suscité de l'admiration auprès des familiers des milieux fouriéristes ou démocratiques. Par exemple, selon Królikowski, Henri Carle considérait Czyński simplement comme le deuxième Christ63.

Néanmoins, dans l'histoire de la pensée sociale et politique polonaise, Czyński a sans aucun doute contribué au développement des discussions sur un certain nombre de problèmes importants, et ses publications ont influencé l'apparition graduelle de thèmes tels que les questions féminines, l'égalité des droits des citoyens et la nocivité des préjugés antijuifs dans le débat politique de l'époque. Stanisław Konwicki n'a pas exagéré alors en écrivant dans la nécrologie de Czyński : « il a consacré toute sa vie au triomphe de la liberté, luttant avec la persévérance apostolique pour l'indépendance des paysans et

61 S. Bratkowski, Gmina i szkoła wiejska w Polsce po zniesieniu pańszczyzny, Paryż 1860.

62 M.D. Sibalis, « Une mutuelle fouriériste au XIXe siècle: Laurent Héronville et la Société Laborieuse des Cordonniers-Bottiers de Paris » in Cahiers Charles Fourier n° 1 (1990), p. 67–83; T. Bouchet, « Les mues de l’organe sociétaire. La Phalange de Considerant » in Quand les socialistes inventaient l'avenir : presse, théories et expériences, 1825-1860, éd. T. Bouchet, V. Bourdeau, E. Castleton, L. Frobert, Paris 2015, p.

181-189.

63 BJ 3685/4, Lettre de Królikowski à Janowski, 26 août 1870, f. 197.

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pour l'égalité des droits des juifs - convaincu que c’est seulement en appelant toutes les couches de la société polonaise à participer aux droits de la citoyenneté, qu’il sera possible de rendre à la Pologne son ancienne splendeur historique ».64

Piotr Kuligowski (piotr.kuligowski.1990@gmail.com) Doctorant en histoire, Université Adam-Mickiewicz de Poznań (Pologne)

64 Gazeta Narodowa, n°53, 5 mars 1867.

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