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Le dossier des personnages du théâtre de Witkacy

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Jerzy Ziomek

Le dossier des personnages du

théâtre de Witkacy

Literary Studies in Poland 16, 69-100

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Jerzy Ziom ek

Le D ossier des personnages du théâtre de

W itkacy

1

O n a rem arqué depuis longtem ps que les héros des oeuvres de W itkacy, et su rto u t les héros de son th éâtre, constitu ent un m onde clos d o n t les p artic u la rité s sont caractéristiques des stéréotypes.

Il semble q ue d an s sa recherche incessante d ’une app ro che de cette F orm e P u re inaccesible au th éâtre (ne parlo n s p as du ro m an !), l’écrivain se soit répété lui-m êm e, en ad a p ta n t obstiném ent des p rin ­ cipes théoriques aux exigences d ’un genre. Boy avait perçu c e la 1; Irzykow ski a décrit ce m écanism e dans ses grandes lignes lo rsq u ’il a classé les héros de W itkacy selon deux types fon dam en tau x : 1) «la B rute bestiale, colossale, intelligente» et 2) «l’élégant décad en t» 2. Irzykow ski ajo u tait, sur un ton interm édiaire entre le reproche et la justification, q ue d an s cette «opposition» des personnages qui sont de rigueur, il subsiste «encore assez bien des exigences de l’ancienne dram aturgie». C ette re m a rq u e est très juste. M ais c ’est à to rt q u ’Irzy- kow ski en a tiré la conclusion suivante: W itkiewicz «plonge, p ar le coeur, dans le passé, m ais il résout à sa m anière les problèm es de la vie, en les p e in tu rlu ra n t d ’une sauce futuro-form iste».

à

1 T . B o y - Ż e l e ń s k i , « S z k ic e literack ie» (E ssais littéraires), [dans:] P ism a , vol. 6, W arszaw a 1956, p p . 70 — 85.

2 K . I r z y k o w s k i , « W a lk a o treść» (L a L utte p ou r le co n te n u ), [dans:] C ię ż s z y i lż e js z y k a lib e r, W arszaw a 1957, p. 340. Sur ce sujet cf. au ssi: A . van C r u g t e n , « W itk iew ic z, cz y li w alk a p łci» (W itk iew icz ou la lutte du sexe), trad. par W. B ień k o w sk a , T w ó rc zo ść , 1968, n o 1.

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D ans l’étude fondam entale q u ’il a consacrée à W itkacy, K o n stan ty Puzyna a proposé, dans son in troduction à Les D ram es, une systé­ m atique nouvelle et plus précise des personnages: «Les pièces de W itkacy voient revenir — écrit-il — à l ’instar d ’une certaine ton alité du dialogue, quelques types fixes — le ch ef titanique, le tyran, l’artiste ou le savant, l'h étaïre perverse issue du grand m onde, la douce fillette au m inois éq u iv o q u e» 3.

A dam W ażyk a n oté que les personnages du th éâtre de W itkie­ wicz se répétaient to u t com m e dans la commedia dell’arte, « q u o iq u ’ils n ’aient pas cette perm anence d ’A rlequin, de C olom bine, de Polichinelle ou de Sganarelle», car ils proviennent p lu tô t d ’une convention de c a b are t; ils so n t fortem ent conventionnalisés et reconnaissables d ’em ­ blée. «D ans le théâtre de W itkiewicz, on voit se répéter la dem oiselle dém oniaque, l’aristocrate perverse, la canaille arriviste [...] Le stéréo­ type principal, c ’est l ’être inassouvi, possédé p ar l’idée de grandeur, l’union de la Brute et de l’intellectuel»4.

C ette question du stéréotype principal est beaucoup plus com plexe. W ażyk sem ble avoir négligé un essai de systém atique an térieu r qui fut m ené p ar Jan K lossowicz. Selon Klossowicz, on peut diviser les personnages de ce théâtre en sept groupes, à savoir les prou pes suivants:

1. Le T itan, personnage principal;

2. Le P etit M onsieur, personnage troub le, affairiste, co m binateur, p ragm atiste dans sa philosophie de la vie;

3. Le Poète, vaguem ent H am let sur les b o rd s;

4. L ’H étaïre — la Séductrice — p en d an t féminin du T itan ; 5. La M atron e, m ère m alheureuse qui se dévoue p o u r son fils; 6. La P etite Fille, in carnation quelque peu am biguë de la do uceu r et du charm e;

7. L a Foule, m ultitu de de com parses qui constitue parfois un deus e x machina en son g en re5.

3 K. P u z y n a , Préface, [dans:] S. I. W i t k i e w i c z , D r a m a ty (L e s D ra m e s), v ol. 1, W arszaw a 1962, p. 31. A les pages su iv a n tes D r.

4 A . W a ż y k , «O W itk iew iczu » (A p ro p o s de W itk iew ic z), D ia lo g , 1965, n o 8, pp. 7 1 - 7 2 .

5 J. K l o s s o w i c z , « T e o ria i d ram atu rgia W itk a c eg o » (La T h éo r ie et la dra­ m atu rgie de W itkacy), D ia lo g , 1959, no 12, p. 89.

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L e D o ssie r des perso n n a g es d e W itk a c y 71 M ichał M asłowski a consacré un article particulier à la typologie de ces personnages. Il y a d énom bré dix-sept stéréotypes6 :

1. Le T itan, rep résentant ultim e du grand individualiste sur le fond d ’une vie qui se m écanise (K orbow a, G yubal Velleytar, Le G ra n d M aître de Janulka, T um eur C ervykal, J. M. C. Lenragey, Price, H yrkan);

2. La Séductrice, la vam p p en d a n t, parm i les femmes, du T itan dont elle est bien digne, dém on des dém ons, aristocrate toujours inassouvie;

3. L ’A rtiste, un poète le plus souvent, parfois un peintre, tou jou rs un philosophe (Pem brok d ans Niepodległość trójkątów — L ’Indépen­ dance des triangles, Istvan dans Le Sonate de Belzébuth, Edgar dans K urka Wodna — La Poule d ’eau, W alpurg dans W ariat i zakonnica — Le Fou et la nonne, B ezdeka dans M ątw a — L a Pieuvre)',

4. La Pieuvre, femm e qui, dan s ses appétits vitaux et am oureux, entrave l’hom m e, le plus souvent l’A rtiste (Ella dans L a Pieuvre,

K u rk a — L a Poule, W an d a dans J. M. C. Lengarey);

5. La C anaille, personnage cynique, dépourvu d ’égards et d ’idéal, le co n trep arten aire du T itan ou Yalter ego de l’A rtiste (Léon dans La M ère — la C anaille et l’A rtiste en une seule personne), un businessm an bien souvent (von Telek dans L es Pragmatistes, G olders dans M r Price), personnag e hau tem en t intéressant, car c ’est une canaille m étaphysique (M o rbidetto dans G yubal Velleytar). C ette C a­ naille est prête, p o u r son profit personnel, à railler la révolution (Cynga dans Bezimienne dzieło — L ’Oeuvre sans nom)',

6. Le D ém on vulgaire. On p o u rra it ranger dans ce type presque toutes les femmes entre 12 et 40 ans qui n ’ont pas été com ptées dans d ’autres groupes (l’au teu r ne donne pas d ’exemples);

7. Le Petit M onsieur, le plus souvent un aristo crate blasé, un dandy dépourvu d ’aspirations m étaphysiques, p ro d u it de l’abrutisse­ m ent m écanique (il arrive que le Petit M onsieur — tel P em brok dans L ’Indépendance des triangles, tel F lorestan dans Nowe W yzwo­ lenie — L a Nouvelle délivrance — subisse une évolution anoblissante; généralem ent, c ’est un p ersonnage secondaire);

8. La Jeune Fille — Fillette de m oins de vingt ans, naïvem ent

6 M . M a s ł o w s k i , « B o h a te r o w ie d r a m a tó w W itk a ceg o » (Les H eros de d ram es de W itkacy), D ia lo g , 1967, n o 12.

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perverse (Zosia et A n etk a dans W m ałym dworku — Dans le petit manoir, A nia d ans Straszliw y wychowawca — L e Terrible précepteur, N in a dans N adobnisie i koczkodany — Grâces et épouvantails, Co- chonette dans Gyubal Velleytar, Izia d ans Tumeur C ervykal);

9. L ’Ephèbe, g arçon terriblem ent intelligent de 17—18 ans, qui, une fois passée l’initiation à la vie — initiation éro tique le plus sou­ vent — m eu rt ou devient une canaille (Tadzio dans La Poule d ’eau, G entillet dans Velleytar, Jack Brzechajlo d an s M r Price);

10. Le Savant, hom m e sans scrupules à qui la science do n n e le pouv oir sur la n a tu re et la m étaphysique, à qui la science ap p o rte les profits m atériels (R ypm an dans Velleytar, Sir G ra n t dans Grâces et épouvantails, M ikulini dans M e ta fizyka dwugłowego cielęcia — L a M étaphysique du veau bicéphale, G rü n dans L e Fou et la nonne', souvent, le S avant est en m êm e tem ps un T itan, cf. Tumeur Cervykal)',

11. D es M essieurs d ’âge m oyen, qui o n t été trah is ou ab andonnés, qui sont p rêts à to u t sacrifier p o u r un ultim e am ou r (Bublikow dans L ’Indépendance des triangles, Seraskier Banga T efuan et A b lo pu to dans O ni — E ux);

12. Le V ieillard, perso nnage redoutable, avide et féroce (W ojciech W alpor dans L a Poule d ’eau, le père U nguenty dans Velleytar); c ’est cepen dan t un p ersonnage secondaire le plus souvent.

13. L a M atro n e, ex-femm e dém oniaque, de tous les personnages le plus fade, sentim ental, « to u t en tripes»; c ’est souvent une narco- m ane et une alcoolique (G rand-m ère Julia dan s L a Sonate de Belzébuth, Soeur B a rb a ra dans L e Fou et la nonne, le F an tô m e du P etit manoir, J a n in a W ęgrzewska dans L a M ère, Elza Fizdejkow a dans Yanulka);

14. Les D om estiques, la D om esticité,- le L aquais qui — à l’ex­ ception de F ierdusienko dan s Szew cy — Les Cordonniers — est un personnage secondaire en général;

15. Les T itans d u Passé, personnification de ce q u ’a perdu et anéanti la culture co n tem p o rain e; ce sont de véritables individua­ listes (R ichard III d an s L a Nouvelle délivrance, le pape Jules dans L a Pieuvre);

16. Les M onstres, m ystification, dans le style foire, du M ystère de l’Existence; de dessous le M onstre ém erge parfois le P etit M on sieu r;

17. Le Sauvage qui s’oppose à la culture européenne dégénérée. Les exemples figurant à l’intérieur des parenthèses viennent de

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L e D o ssie r des p erso n n a g es de W itk a c y 73 M asłow ski lui-m êm e; ils sont en fait plus nom b reu x ; je n ’en cite que quelques-uns, chosis com m e étan t les plus im p o rtan ts. M asłow ski — notons ce fait en l’a p p ro u v an t — attire l’atten tio n sur l ’origine des stéréotypes. A insi la Séductrice est «une variante de la grande dam e des dram es de l’époque précédente» (il faudrait, p o u r plus de précision, citer, à la su ite de P u z y n a 7, le p ro to ty p e de ces lionnes «terriblem ent séduisantes»: Lulu du Démon de la terre et de la Boîte de Pandore de F ran k W edekind). L ’A rtiste est une m étam o rp h o se sardonique d u poète-héros rom antique, une m étam orp hose qui, d ’ailleurs, s ’était déjà accom plie dans le m odernism e. La Pieuvre, c ’est la déform ation de l’am oureuse-bourgeoise des m odernistes. La Fillette, elle, est la m u tatio n sarcastique du type th éâtral ancien de la jeu ne prem ière naïve. Le S av ant est «un calque m alin du person nag e du m auvais m agicien», les M essieurs d ’âge m oyen rep ro d u isen t le m odèle des hom m es trom pés, tandis que les M atro n es o n t été dotées «des traits — grossis ju s q u ’à l’absurde — de la b o n n e m ère des rom an s polonais positivistes».

2

A rrêto n s-n o u s un peu à la question de la généalogie littéraire des p erso n n ag es; cette question possède en effet une im portance non négligeable p o u r la mise en ordre de ce dossier.

«Les pièces théâtrales de W itkiewicz on t — doivent avoir? — un caractère p arasite» — affirme B łoński8. A ndrzej K ijow ski a intitulé son re m a rq u ab le' résumé de Nienasycenie ( L ’Inassouvissem ent): «Le Suicide p ar la p aro d ie » 9. Puzyna p arle d ans ses écrits d ’une parodie littéraire qui «rem plit parfois même une fonction de canevas n a r­ ratif» ,0. O n sait que L a Nouvelle délivrance rap pelle dans une certaine m esure W yspiański, et, dans une autre, Shakespeare — il y a en tous cas ce shakespearien R ich ard III. Yanulka, la fille de Fizdejko trav estit sur le m ode taquin le titre du ro m an de Feliks B ernatow icz, Pojata, la fille de Lpzdejko, ce ro m an qui fut si p o p u laire au X IX e siècle

7 P u z y n a , op. c it., p. 11.

8 J. B ł o ń s k i , «Teatr W itkiew icza» (Le T h éâtre de W itk iew ic z), D ia lo g , 1967, n o 12, p. 73.

9 A . K i j o w s k i , « S a m o b ó jstw o przez p a ro d ię» , T w ó rc zo ść , 1960, n o 9. 10 P u z y n a , op. c it., p. 32.

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et qui était encore lu au début du X X e siècle. Le travesti ne co n ­ cerne-t-il que le titre? Y anulka elle-même ne d o it pas ta n t rappeler l ’héroïne du titre q u ’Hélène, un personnage du ro m an de B ernato­ w icz11. D ans L a M ère, les allusions à Ibsen sont conscientes et littérales. «D ans Tumeur C ervykal et dans L ’Indépendance des triangles flânent sans dou te quelques échos de C onrad» 12. On p o u rrait encore citer d ’autres exemples, m ais leur liste ne serait sans d o u te guère longue.

Le caractère parasite de W itkacy, d an s ce dom aine littéraire, a, en, effet, une n atu re com plexe:

1. W itkacy se sert d ’allusions à des oeuvres concrètes; en outre, ces allusions sont form ulées directem ent, d an s le discours de l’un des personnages (p. ex. dans B zik tropikalny — L a Dinguerie tropicale, Jack parle de Bazylissa Teofanu d ’un m onsieur M iczynko to u t à fait inconnu en Pologne, m ais qui doit être lu obligatoirem ent au collège d ’E aton).

2. D ans l’oeuvre ap p a raît un personnage ou une situ ation d ’une a u tre oeuvre (p. ex. R ichard III dans L a Nouvelle délivrance), et, le plus souvent, cette ap p aritio n dénote une certaine d éfo rm atio n p ar ra p p o rt à l’original, une d éform ation qui fait penser aux règles de la parodie. Il ne s’agit cependant pas tou jo u rs de parodie.

3. Plus com pliqué, p ar contre, sem ble le problèm e de ces em p­ runts de situations et de personnages d o n t la source n ’est pas un ouvrage bien concret, ni même toute l’oeuvre d ’un seul écrivain. Il s ’agit ici, il est vrai, de stéréotypes littéraires, m ais ils sont déchiffrés et repro du its com m e des loci communes. Bien sûr, on fait m ine, à m aintes reprises, d ’indiquer la source du stéréotype — p. ex. p o u r la femme dém oniaque, Bazylissa T eofanu de M iciński ou bien Lulu de W edekind, mais ce que nous som m es prêts à appeler «source» est p lu tô t, dans ce cas, la réalisation artistiq u e la plus évidente et la plus fameuse de l’archétype de la femm e — m ante re lig ieu se13. Le procédé génétique serait généralem ent ou difficile, ou — ce qui est pire — risqué: on suggérerait un lien d ’influences et de dépendances entre W itkacy et une oeuvre donnée d 'u n au teu r donné alors que

11 L. S o k ó ł , « G lo ss a d o Jan u lki», D ia lo g , 1969, n o 9, p. 115. 12 B ł o ń s k i , op. cit., p. 74.

13 Sut le m êm e sujet: R. C a l l o i s , «L a M ante religieu se», (dans :J Im R e sp o n sa ­ b ilité e t te s t y le ; M. P o d r a z a -K w ia tk o w sk a , « S a lo m e i A n d ro g y n e» , [dans:] M ło ­ d o p o lsk ie h arm onie i dysonan se. W arszaw a 1969.

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L e D o ssier d es p erso n n a g es d e W itk a c y 75

ce qui serait le plus réel ici, ce serait des liens qui ne concerneraient pas des oeuvres et des auteurs, m ais des conventions. Et ainsi p ar exemple, il v au d rait mieux dire, com m e le fait M asłow ski d ans l’article cité, que la Fillette naïvem ent perverse est une m u tatio n de la jeune prem ière naïve, p lu tô t que de m o n trer du doigt, d iso n s... L a Famille Polanecki, q u o iq u ’on ne puisse to u t de m êm e exclure que cet exemple, justem ent, ait fonctionné, et ce, d ans une version déjà ridiculisée. Et inversem ent: cette affirm ation de M asłow ski est quelque peu étroite, selon laquelle «quoique le m odèle de l ’initiation rappelle fo rtem ent certains schém as m odernistes, l’E phèbe [nous laissons de côté p o u r l’insant la question du nom de ce stéréotype] est une création assez originale de W itkacy» 14. En effet, on p o u rra it évoquer, parallèlem ent à Lulu, le personnage du lycéen H ugenberg du Démon de la terre, to u t L ’Eveil du printem ps du m êm e W edekind, et enfin le large c o u ra n t thém atique de l’adolescence, com m e l’appellent les F rançais, ou bien YErziehungsliteratur ou YEntwicklungsliteratur des A llem ands.

C ’est ici q u ’ap p a raît cette q u estio n : le recours de W itkacy à ces stéréotypes a-t-il un caractère p aro d iq u e ? U ne réponse claire est d ’au ta n t plus difficile à fournir que le com m entaire actuel sur W it­ kacy — ta n t le com m entaire de la critique, que le com m entaire des m etteurs en scène — trah it une tendance à accentuer la catégorie du com ique. Disons-le nettem ent: la F orm e Pure com prise com m e une com position de tensions dynam iques et com m e le résultat de la rencontre de l ’Existence Particulière et du M ystère de l’Existence est dotée de qualités q u ’on p eu t considérer approxim ativem ent com m e des catégories esthétiques. P arm i celles-ci, la catégorie du co m ique jo u e un rôle im p o rtan t puisque le thèm e le plus fréquent, le thèm e obsessionnel du théâtre (et des rom ans) de W itkacy, c ’est cette asp iratio n — aspiration v a in e 15 — de cette Existence P articulière au M ystère de l’Existence, cette asp iration vaine qui est, en cela, bien souvent, pitoyable et ridicule. T out cela est vrai. M ais cela ne signifie pas que le com ique co nstitue la catégorie unique et prim ordiale. A ttein dre l’étrangeté réaliste et la bizarrerie de la vie,

14 M a s ł o w s k i , op. cit., p. 92.

15 E. W y s i ń s k a , « W itk a c y ja k o k lasyk » (W itkacy en tant que l ’écrivain c la s­ siq u e ), D ia lo g , 1966, n o 5.

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en lieu et place de l’étrangeté véritable c ’est-à-dire m étaphysique, c ’était une expérience aussi am ère que ridicule. A p ro p o s du p ro jet de scenario consigné dans L ’Introduction à la théorie de la Forme Pure au théâtre, pro jet com m en çant p a r ces m o ts: «Ainsi d o n c : entren t trois personnes vêtues de rouge qui saluent on ne sait qui [...]», l ’au teu r a d it:

N o u s p réten d o n s q u e ce tte m éth o d e on p eu t, en écrivan t une p ièce p o u r d e vrai et en la m o n ta n t c o m m e il se d o it, on p eu t créer d es c h o se s d ’u n e b ea u té ja m a is a ttein te; cela p eu t être un d ram e, une tragéd ie, u n e farce, du g r o te s q u e 16.

P o u r nos m etteurs en scène, cependant, ce fut souvent une farce. N o tre vision de W itkacy est, en dépit d ’efforts co nstan ts de la p a rt de la critique, limitée. On p o u rra it tro uv er plusieurs causes à cet état de choses. La prem ière de c e s causes, ce sont les légendes de W itkacy dans lesquelles le W itkacy m o q ueu r cache souvent le W itkacy écrivain et p h ilo s o p h e 17. D euxièm em ent, les oeuvres de W it­ kacy o n t en elles une certaine tare originelle. C ette tare tient d an s cette pou rsuite sim ultanée p ar l’écrivain de deux tâch es: l’ob ten tio n de la Form e P ure dans des oeuvres qui en sont plus ou m oins proches et, en m êm e tem ps, l’exposé, d ans ces oeuvres, des principes théoriques de cette F orm e P ure, et m êm e de to u te la do ctrine de l’Existence P a rtic u liè re 18. T roisièm em ent — soyons sincères — to u t en étan t fascinés p ar l’écriture de W itkiewicz, nous ne som m es p as aptes à ses expériences m étaphysiques qu o iq u e nous puissions saisir plus ou m oins correctem ent, de façon rationalisée, ses divagations sur le M ystère de l ’Existence. En ta n t que critiques, nous po uv on s être des interprètes loyaux de la théorie et de la p ra tiq u e de W itkacy, m ais en ta n t q u ’acteurs et spectateurs de th éâtre, nous som m es des prod u its de cette société qui — com m e le dit Isidore d an s Jedyne wyjście {La Seule issue) — «est devenue, en soi, une sorte de divinité sur la toile de fond d ’un dépérissem ent général des senti­ m ents m étaphysiques». C ’est p o u rq u o i a u jo u rd ’hui, sensibilisés au

16 S. I. W i t k i e w i c z , « W stęp d o teorii C zystej F orm y w teatrze», [dans:] N o w e f o r m y w m a la rstw ie , W arszaw a 1959, p. 281.

17 K. W y k a , «T rzy legen d y tzw . W itk a c eg o » (T rois légen d es de W itk acy), [dans:] Ł o w y na k ry te r ia , W arszaw a 1965.

18 J. B ł o ń s k i , « Z n a cz en ie i zn iek sz ta łcen ie w „czystej fo rm ie” S. I. W itk iew icza » (L e S ig n ifica tio n et d éfo r m a tio n d a n s la « fo rm e pure» d e S. I. W .), M ie się c z n ik L ite r a c k i, 1967, n o 8, p. 27.

(10)

L e D o s sie r des p erso n n a g es d e W itk a c y 77 prophétism e réel ou supposé de l ’au teu r des Cordonniers, nous y cherchons des allusions. C ’est p o u rq u o i, lorsque nous assistons à des représentations de pièces de W itkacy, loin de frissonner, nous rions surtout.

3

R evenons à la question de la parodie.

W itkacy recourt-il à la p aro d ie ? L a réponse à cette question dépend bien évidem m ent de ce que nous voudron s considérer com m e éta n t de la parodie. O n m anque vraim ent d ’un accord, d ’une défini­ tion univoque de la parodie, m ais d ans toutes les considérations sur ce thèm e, on voit se répéter l ’idée selon laquelle la p arod ie est une im itation d ’une oeuvre (ou d ’u n ensem ble d ’oeuvres) sérieuse et universellem ent connue, im itatio n qui a p o u r b u t de to u rn er cette oeuvre en ridicule. C ette ridiculisation ne d o it pas être agressive­ m ent satirique, elle est souvent bienveillante dans ses traits h u m o ­ ristiques. Les m oyen utilisé p a r la parodie, c ’est «le grossissem ent» des traits stylistiques de l’original ainsi que l ’in tro d u ctio n d ’élém ents étrangers et inop portun s, c ’est donc l ’u nion d ’un thèm e sérieux et d ’un style peu élevé, ou bien d ’un thèm e com m un, insignifiant et d ’un style élevé.

La présence incontestable d ’élém ents étrangers dans le th éâtre et dans les rom an s de W itkiew icz crée des apparences de dém arches parod ian tes. P o u rtan t, on ne p eu t pas co m p ter tou tes les im itations d ’oeuvres, de poétiques, de styles étrangers au ra n g des parodies. P o u r que la paro die apparaisse, une condition fondam entale doit

ê tre rem plie: le m odèle (la con ventio n qui est parodiée) d oit se

situer plus h au t dans la hiérarchie des styles que l’oeuvre p aro d ian te. Le recours, p ar exemple, au style «com plainte de m endiant» d a n s des buts de badinerie-polém ique ne sera pas, à m on avis, de la parodie, m ais un trav e stissem e n t19.

19 J ’ai écrit sur ce sujet l ’article « K o m iz m — p a ro d ia — traw estacja» (Co- m ism e — p arod ie — travestissem en t), [dans:] P ra c e o lite ra tu rze ofiarow ane Z y g m u n ­ to w i S zw e y k o w sk ie m u , W ro cła w 1966. H . M a r k i e w i c z a p a ssé en revue les diffé­ ren tes p o sitio n s et c o n c e p tio n s de la p a ro d ie de m êm e q u ’il a d o n n é ses propres p r o p o sitio n s d an s l ’article « P a ro d ia a in n e gatu n k i literack ie» (La P a ro d ie et autrts genres littéraires), D ia lo g , 1967, n o 11.

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M êm e si l ’on élargit le concept de p arod ie à ce que j ’appelle ici travestissem ent, m êm e ainsi le co m p o rtem en t de W itkacy à l ’égard d ’autres oeuvres littéraires ne sera pas un co m po rtem en t de parodie. En effet, il y m an q u era ou bien la conviction de la supériorité du m odèle (de la convention parodiée), ou bien l’intention polé­

m ique à l ’égard du thèm e. P o u r W itkacy, pitoyables et risibles

p o u rraien t être ces m odalités vaines, hors de mise, de la p o ursu ite de sentim ents m étaphysiques — inanité du narcotiqu e, du po uvoir, de l'am o u r, de l’art lui-m êm e — m ais le problèm e qui réside en ce thèm e est form ulé de façon on ne p e u t plus sérieuse.

C e n ’est pas un hasard si l ’on en est venu à p arler de la parod ie à p ro p o s de la co n stru ctio n des personnages. En effet, si W itkacy a re p ro d u it plus rarem en t, et en to u t cas, m oins clairem ent, des schém as situationnels de la littératu re d ram atiqu e, il en a ce­ pen d an t repris des stéréotypes au niveau des personnages. A vant de revenir à la typologie déjà com m encée, rappelons où W itkacy a pris ces clichés de types hum ains. W ażyk d it: «D ans le superca­ baret de W itkiewicz, l’aristo crate perverse jo u e un rôle considérable. La p etite littératu re co n n aît celle-ci s u rto u t sous un nom italien. W itkiewicz lui a conféré un nom russe» 20. L ’origine italienne ou russe, c ’est une au tre histoire, qui n ’est pas la plus im p o rtan te ici. Im p ortan te, cep endant, est cette rem arque sur la petite littérature, sur la littératu re de troisièm e ordre, la littératu re de colportage, la littérature kitsch. Błoński parle, à p rop os des deux actio ns de ce théâtre, d ’action «superficielle» et d ’action «profonde». L ’action profonde, c ’est la poursuite de l’E trangeté d-e l’Existence, tand is que l ’action superficielle, c ’est l’arran g em en t com plexe et très habile des événem ents selon des recettes de la d ram atu rg ie traditionnelle, a rra n ­ gem ent qui rappelle le théâtre de boulevard et le m élodram e bon m arc h é21. P eut-être tous les schém as de W itkacy ne se laissent-ils pas ram ener à une littératu re de troisièm e ordre, m ais tous, ou du m oins les principaux, se ra m èn en t à des m odèles si populaires q u ’ils ont déjà été utilisés.

Je prévois le reproche su iv an t: il est difficile de parler de la littéra­ ture de troisièm e ordre, de schém as usés et de citer en m êm e tem ps

20 W a ż y k , op. c it., p. 72.

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L e D o ssie r des p e rso n n a g es de W itk a c y 79

W edekind et M iciński. M ais W edekind et M iciński, ce ne sont que des exemples de la réalisation la plus célèbre, ou d ’une réalisation bien connue de W itkacy, du m o tif de la fem m e dém oniaque. Ce m o tif a fonction né to u t aussi bien dans la littératu re élevée que dans la littératu re inférieure. N ous connaissons l’histoire de ce m o tif quand il est artistiq u em en t im p o rta n t22. P our décrire l’histoire de sa dégra­ dation, il fa u d rait fouiller des tonnes de cette littératu re populaire du X X e siècle, et m ême la littératu re carrém ent k itsch 23.

D ’ailleurs, il ne s’agit pas ici de donner une preuve philolo­ gique de l’histoire d ’un m o tif bien défini, m ais de décrire un phénom ène de plus grande envergure, celui de la réexploitation d ’une littératu re inférieure p ar la littératu re élevée, et ce, en liaison avec un jeu bien particulier des acceptions de ce qui est banal ou original. C o m m e il nous est plus aisé de saisir les intentions d ’un tel jeu d an s un dom aine plus contem p o rain , pren on s donc nos exem ples d an s la littératu re de l ’après-guerre.

Stanisław Lem a écrit son Śledztw o (Enquête) sur une tram e de ro m an policier. M ichał C h o ro m ań sk i a co n stru it l ’un de ses meilleurs rom an s, W rzecz wstąpić (Au fa it!), sur deux plans: au plan du ro m an d ’aventure, à sensations, qui se passe dans le grand m onde (la séduction à D a k k ar, la traite des blanches, le milieu des aristo- cra te s-d ip lo m a te s...) a été su rajo u té — et traite d ’ailleurs sur le m ode taquin — le plan du Bildgungsroman. D ans le Słow acki z wysp tro­ pikalnych (Słow a cki des îles tropicales), il a eu recours, à son tour,

à une réplique du thèm e de la Victoire de C o n rad ainsi q u ’à un schém a de ro m an policier ou de rom an d ’espionnage. W itold G o m bro w icz a parlé de la possibilité de recours à un genre trivial dan s le co m m entaire d o nt il a accom pagné O p érette:

« J ’ai été séduit par la form e de l’opérette, l’une des form es les plus heureuses qui aient été, à m on avis, p ro du ites au théâtre. A u ta n t l’o p éra est une chose indolente, livrée à une prétention absolue, a u ta n t l ’opérette, dans son idiotie divine, dans sa sclérose céleste, avec ses m agnifiques envols en m atière de chan t, de danse, de geste, de déguisem ent est p o u r moi le théâtre p arfait, parfaite­

22 P o d r a z a - K w i a t k o w s k a , op. eit.

2J C f. D . B a y e r , D er triviale Fam ilien- u n d L ie b esro m a n im 20. Jahrhundert, T ü b in g en 1963.

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m ent théâtral. U n ’est donc p as é to n n a n t que je m e sois finale­ m ent laissé tenter. M a is... com m ent farcir la m ario n n ette vide de l’opérette d ’un dram e véritable? O n le sait, en effet: le travail de l’artiste, c ’est d ’unir, éternellem ent, les co ntraires, les opposés — et si je m e suis em paré d ’une form e si frivole, c ’est afin de la revêtir de sérieux et de souffrance».

D e ces exemples, il ne fau d rait pas conclure q u ’il n ’y ait q u ’une seule règle u n iq u e de fonctionnem ent des conventions inférieures dans la littératu re novatrice, expérim entale. D an s chacun de ces exemples, on a exploité une p artie, chaque fois différente, de la stru ctu re du genre inférieur, et ce dans un b u t différent chaque fois, avec une in­ tensité différente. Jam ais, cepenant, nous n ’y avons eu affaire à la parodie. M êm e chez G om brow icz: celui-ci re p ro d u it vraim ent de façon conséquente, et dans to u te son étendue, la p oétiqu e d ’un livret d ’opé­ rette, m ais il ne caricature p as l ’«idiotie» évidente de ce genre. On ne parodie pas l’opérette dans son-principe. O n peut la travestir en ce sens que les conventions de l’opérette dans leur ensem ble ou bien le schém a n a rra tif et situationnel d ’une o pérette d onnée sont exploités dans un b u t de représen tation satirique d ’événem ents réels, ap p a rten an t le plus souvent à la vie publique, d ’événem ents actuels et connus du lecteur, au m êm e titre que le m odèle littéraire utilisé. U n exem ple d ’un tel travestissem ent, ce p eu t être L a Belle Hélène de Jan u sz M inkiewicz, qui travestit le livret écrit p ar Halévy et M eilhac p o u r la m usique d ’O ffenbach. Les cas, relativem ent rares, de p aro d ie d ’une littératu re de troisièm e rang ne consistent pas tan t en une caricatu re de la con vention inférieure q u ’en une raillerie à l’égard du lecteur-spectateur virtuel que sous-entend cette co n ­ vention.

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Puisque la parod ie et le travestissem ent sont les variantes les plus fréquem m ent rencontrées du parasitism e noble, on tend un peu tro p rap id em en t à définir de ces nom s toutes les relations possibles « d ’oeuvre à oeuvre», « d 'a u te u r à auteur», «de style à style». C e­ p en dan t, ces relations — que nous nom m ero ns transcriptions — p eu ­ vent être dénom brées en plus grande q uan tité. Sans com p ter le

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L e D o ssie r des p erso n n a g es de W itk a c y 81 plagiat — parasitism e m alho nnête, o n peu t citer, o u tre la parodie et le travestissem ent: le pastiche, la q uasi-citation, le centon et la contrefaçon.

P asticher, c ’est im iter un au tre a u te u r sans en exagérer les traits stylistiques caractéristiques et sans v ou lo ir s’en m o q u er: le pastiche est une m ystification évidente et p a r cela, il tient un peu d ’un jeu. Il peut m êm e servir des buts scientifiques sérieux: p ar exemple lo rsq u ’il re co n stru it la partie perdue d ’une oeuvre. E ntre le pastiche et la falsification, il n ’y a pas de bien grandes différences en ce qui concerne la technique d ’im itation. U n fait est essentiel: le pastiche n ’imite pas une oeuvre donnée, m ais une oeuvre possible.

La q uasi-citation, c ’est-à-dire la citatio n d ’une structure (distincte d ’une citatio n em pirique) possède beaucoup de traits du pastiche, m ais elle diffère de celui-ci en ce sens q u ’elle est greffée à l’oeuvre qui cite: il n ’y a donc pas de caractère de m ystification. Au co n tra ire, le b u t polém ique de la quasi-citation exige que sa présence soit signalée p o u r ainsi dire «entre guillem ets»24.

Le cen to n , c ’est une co n stru ctio n faite de fragm ents d ’oeuvres diverses d ’au teu rs divers (un p o t-p o u rri littéraire). Il d oit répondre, to u t com m e la parodie, à cette c o n d itio n : il fonctionne lorsque les citatio n s sont suffisam m ent connues p o u r q u ’apparaisse le com i­ que de la décom position et de l’assem blage inattendu.

La co n tre faç o n , c ’est la su b stitu tio n , dans la com position vocale, m usicale, d ’un nouveau texte au texte d ’accom pagnem ent trad itio nn el: d ’un texte religieux à un texte laïc ou vice versa. La contrefaçon n ’a pas u n caractère p aro d iq u e quoique parfois — lorsque le nouveau texte est un texte badin tandis que l’ancien était sérieux — la co n tre­ façon puisse être ressentie com m e une basse raillerie.

La p aro d ie , le travestissem ent et le pastiche, ce sont des tran s­ crip tio n s qui se fondent sur la re p ro d u ctio n d ’une convention donnée.

La q u asi-citatio n , le centon et la co n trefaço n sont des produits d ’une dém o litio n de cette convention.

24 C f. D . D a n e k , «O cytatach struktur (qu a si-cy ta ta ch ) i ich funkcji w w ew n ętrz­ nej p o le m ic e literack iej» (Sur les c ita tio n s d es structures — q u a si-cita tio n s — et leur fo n c tio n d a n s la p o lé m iq u e littéraire), [dans:] P ra c e z p o e ty k i p o św ię c o n e V I M ię d z y ­ n arodow em u K o n g re so w i S la w istó w , ss la dir. d e M . R . M a y en o w a et J. S ław iń sk i, W ro cła w 1968.

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La recherche witkiewiczéenne de la Form e Pure participe d ’un double effort: d ’un effort de déconstruction et d ’un effort de co n­ struction. La déconstruction consiste en une désintégration des an ­ ciennes conventions en leurs élém ents et en l’utilisation de ceux-ci avec une prodigalité dans laquelle on peut sans nul do ute percevoir un aspect ludique qui est assim ilé souvent — à to rt — à la parodie. Je ne veux pas dire p ar là q u ’il n ’y ait pas du to u t de parodie chez W itkiewicz. Elle y est p o u rta n t rare. Le plus souvent, W itkiewicz a recours à des tran scrip tio n s destructrices et non reproductrices des conventions. C ’est ainsi que nous pouv ons dire de ses stéréotypes de personnages q u ’ils sont des quasi-citations qui se ren co n tren t l’une l’au tre selon les règles du centon et qui rem plissent souvent une fonction de co ntrefaçon stylistique. N o u s pouvons utiliser ici le term e «contrefaçon» avec cette réserve: W itkacy ne transcrit pas ta n t d ’un style inférieur, trivial en un style élevé q u ’il ne dém olit de fond en com ble l’échelle des styles en tran sgressant sans cesse les frontiè­ res de ce qui est élevé et de ce qui est bas, du sérieux et de la raillerie, du toc et du ch ef d ’oeuvre.

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Les p rem ières thèses du sy stèm e ne se p eu ven t én o n cer sans q u ’on ait d ’abord p o sé q u ’il y a « m o i» et q u ’il y a «le m o n d e au tou r d e m oi».

Il n ’y a de réel q u e les E xistences P articu lières = (IP N ) et les q u a lités = (X N ) d an s leurs d u rées25.

Ces principes bien connus, qui on t été m aintes fois répétés par l’au teu r et m aintes fois analysés p ar les spécialistes, il faut les rappeler, car c ’est en eux que réside aussi la clé de ce problèm e des stéréotypes qui nous intéresse. O ù sont les pensées avant d ’avoir été pensées, dès lors que les qualités proviennent de IP et non l’in­ verse? — se dem ande Isidore (ibidem, p. 40). Peut-il exister une tache sans m aître? — se d em andait l’auteur des Nowe form y vv malarstwie {Les Formes nouvelles en peinture). On peut élargir la question: des qualités telles que les traits de caractère peuvent-elles exister en dehors de IP?

25 S. I. W i t k i e w i c z , J ed yn e w yjście (L a S e u le issue), éd. T. Jod ełk a-B u rzeck i, W arszaw a 1968, pp. 1 0 — 11, 28.

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L e D o ssie r des p erso n n a g es de W itk a c y 83 Par (IP) n o u s en ten d o n s c ette to ta lité: et la durée, et l ’eten d u e — par p erso n n a lité, n o u s d ésig n o n s p lu tôt la d u rée elle -m ê m e = (A T ), la durée en so i, q u o iq u e le «co rp s» = (A R ) = l ’éten d u e e lle-m êm e, l ’éte n d u e en so i se laisse résorber d an s cette durée (ib id em , p. 37).

Et voilà que IP, ex definitione irrépétable (car au sein de la m ultitude d ’IP N , il n ’existe pas deux mêm es IP) ap p araît, dans le théâtre de W itkacy com m e un exem plaire d ’une classe (celle des séductrices, des artistes, des femmes dém oniaques, des fillettes etc.). R em arquons que W itkacy accorde beaucoup d ’im portance aux in­ form ations co n cern an t l’apparence des personnages: grande, rousse, furieusem ent a ttra y a n te ... L ’indication précise de l’âge éveille le sou­ pçon — «M am alia, 26 an s» ... Q u ’est-ce que cela signifie? N e s’agit-il pas d ’une satire des habitudes du théâtre n atu raliste? C ’est sans d o u te égalem ent le cas, m ais l’entêtem ent avec lequel W itkacy o rd o n n e et classe son cabinet de curiosités dépasse sensiblem ent les besoins des polém iques littéraires. Il est aussi une raison de loin plus im p o rtan te: l’inanité de la p ou rsu ite du M ystère de l’Existence, cette défaite liée à l’E trangeté éprovée «au niveau des tripes», à cette basse sentim entalité que l’infortunée IP éprouve à la place l’étrangeté m étaphysique s’exprim e précisém ent — et peut-être m êm e est-elle co n ­ ditionnée p ar elle? — p ar l’ap p arten an ce de l ’individu à l’espèce. Les exem plaires les plus nobles, les artistes p ar exemple, entreprennent des tentatives incessantes — q u oiqu e vouées à l’insuccès — de m an i­ festation de leur particu larité «existentialo-personnelle». Des exem ­ plaires m oins nobles, telles les femmes (la m isogynie de W itkacy est ici rem arq uable, de m êm e, d ’ailleurs, que la m isogynie de to u t «lom ofam e» — l’«hom m e aux femmes» — de ce B ungo qui est passé p ar l’école de M adam e A kne) s’acco m m o dent plus facilem ent de la co n d itio n p ro p re à leur espèce. O n p o u rra it dire que ce sont des IP N d an s lesquelles A R l’em porte et résorbe AT, et non l’inverse. C e n ’est pas un h asard si à la création d ’Irin a W siew olodow na (et de beaucoup d ’autres séductrices à com m encer p ar M adam e A kne des 622 upadki Bunga — 622 chutes de Bungo) co n trib u en t des p ro ­ totypes littéraires, au même titre que l’archétype de la m ante-re­ ligieuse.

Je ne sais pas si W itkacy a lu Jung, m ais il s’est à coup sûr intéressé au problèm e de l ’ord re et de l’o rganisation dans la nature. L ’effroyable vision de la m écanisation n ’était nullem ent une simple

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vision de la société industrielle26. Selon la conception du m atérialism e biologique d ’Isidore dans La Seule issue, l’hum anité est organisée à l’instar d ’une «sorte [...] de fourm ilière em ployant au m axim um chaque individu selon ses capacités» (p. 73). La société des fourm is ou des insectes n ’était pas une obsession originale de W itkacy ni une idée p ro p re au X X e siècle. T o u t com m e le catastrop hism e, to u t com m e le m o tif de l ’artiste d o m in an t la foule, la topique de l’insecte ém ane p o u r le m oins du réperto ire des conceptions sociales du X IX e siècle. D ans L ’Indépendance des triangles, Viviani d it:

J ’ai m ain ten an t c o m m e livre d e c h e v e t les S o u ven irs e n io m o lo g iq u e s d e Fahre et je m e rep résen te avec u n e gran d e p récision l ’h u m a n ité future (D r., v o l. 1, p. 447).

Les lectures de W itkacy so n t le plus souvent celles de ses héros et vice versa. N ous pouvons donc préciser cette in fo rm atio n : Viviani lisait les Souvenirs entom ologiques en n eu f tom es de Jean H enri F abre p arus en 1870—1889 (la trad u c tio n polonaise est p aru e en volum e en 1916 soqs le titre Z życia owadów).

L a conception 4 ’une n atu re — ord re m enaçant la souveraineté de IP a des conséquences diverses p o u r la co n stru ction et la co nd uite des personnages. J ’qttire l ’atten tio n sur l’une de ces conséquences: le m ode de traitem ent des liens du sang. O n a b eaucoup écrit sur les personnages de la m ère et du père chez W itkacy, et ce, en soulignant le rôle du vécu personnel et des com plexes constitués dans l’enfance. Je n ’ai pas l’intention de discuter le co m po rtem ent biographico-génétique, mais je pense q u ’on ne p eut to u t expliquer de cette m anière ou que de telles explications seraient tro p simples.

L ’aversion à l’égard du père, chez W itkacy, n ’est p as tou jo u rs une revanche du fils sur l’hum iliation éprouvée p ar la mère. M aintes fois, le m o tif des parentés taquin es résultan t d ’un choix d ’ap p a ren te­ m ent des contraires ne rappelle pas du to u t la biographie de l’auteur. D ans Gyubal Welleytar, S cabrosa (la m ère de C ochonette) dit, au-dessus du cadavre de lui:

R y p m a n n , ne so y e z p a s cruel. C ’est son p ère, tou t d e m êm e. Elle le sent et c ’est pour cela q u ’elle est d ésesp érée.

26 C f. M . S z p a k o w s k a , « W itk ie w ic z o w sk a teo ria kultury» (La T h eo r ie de la cu ltu re de W itk iew ic z), D ia lo g , 1968, n o 10, p. 116.

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L e D o ssie r des p e rso n n a g es de W itk a c y 85 A lors C o chonette se lève sou dain et réplique:

O u iii? Je ne savais p as. Je p en sa is que c ’était un pur hasard si je l ’aim ais ainsi. M ais s'il est m on père, to u t cela m ’est égal. P ren ez-le, R y p m a n n {D r., vol. 1, p. 582).

D ans L a M étaphysique du veau bicéphale, K arm azyniello dit de M ikulini:

M on père! Q u elle m o n str u o sité ! C o m m e n t a-t-il o sé ? C o m m e n t a-t-il o sé être m o n p ère? T o u t de m êm e, j ’aurais pu ne p a s exister (D r., v o l. 1, p. 473).

D ans ces répliques, il s’agit de bien plus que d ’un quelconque «noeud», d ’un quelconque «enchevêtrem ent» (c’est ainsi que W itkacy p ro p o sa it d ’appeler, en polonais, le «com plexe»)27. Il y a en elles un réflexe de surprise et d ’etonnem ent devant le M ystère de l’Exi­ stence, le sentim ent d ’un hiatus entre le caractère accidentai de la co nceptio n, de la naissance et l’étendue des problèm es philosophiques et des obligations m orales qui découlent du fait q u ’on est une Existence Particulière. Q ue la paren té soit ressentie com m e une co n ­ trainte, il n ’en est guère q u estio n : «Les gens sont fils, mères, pères, frères et ils doivent s ’aim er en dépit des différences — ils le d o i v e n t » . Tel est le discours de Jan in a W ęgorzew ska dans L a M ère (D r., vol. 2, p. 391), un discours qui est particulièrem ent im po rtant ici, du fait que cette pièce est habituellem ent citée com m e une pièce à conviction p ro u v an t — com m e disent les juristes — la p art prise p a r les souvenirs et le vécu personnels de l ’auteur, particulière­ m ent p a r l’enfance et p ar la jeunesse, dans la créatio n de plusieurs personnages, de plusieurs situations du théâtre et des rom ans.

L’Existence Particulière est doublem ent m enacée: d ’un côté, par les m écanism es de civilisation, et, de l’autre, par les m écanism es de la n atu re. Le stéréotype constitue un signal indiqu ant que IP a été classée et, p ar là même, privée (ou bien que p ar suite d ’une erreur elle s ’est privée elle-même) de son aptitud e à éprouver des Sentim ents M étaphysiques.

La stereotypie est donc un m oyen d ’expression de l’inanité des asp ira tio n s au M ystère de l’Existence, un m oyen qui n ’est pas toujou rs com ique, m ais qui passe facilem ent dans le com ique et qui, à cause de

27 S. I. W i t k i e w i c z , « W çzlo w isk o u p o śled zen ia » (Le C o m p le x e de disgrâce) [extrait d es N ie m y te du sze], S k a w a , 1939, n o 2.

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cela, est de mise lorsque cette inanité oscille entre le m alheur de la défaite et le ridicule de l ’insuccès coupable.

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T entons de réfléchir au ra p p o rt entretenu p ar la stéréotypie avec la doctrine de la F orm e Pure.

La Form e P ure constitue un optim um inaccessible en son genre et une valeur graduable, mais le m esurage des présences de type «F orm e Pure» dans les tensions dynam iques n ’est pas une tâche aisée. Il est plus facile de m esurer ce que l ’au teu r appelait «con­ tam ination» de la F orm e P ure p ar la «tripaille».

Le problèm e central, si l’on veut expliquer la Form e Pure, c ’est celui du m im étism e de l ’art.

W itkacy lui-m êm e n ’a pas utilisé ce term e, m ais il to u rn ait sans cesse a u to u r de cette question lo rsq u ’il p arlait du «contenu», de l'objectivité, du m onde visible, des liens des objets représentés avec la vie. Il considérait que la m usique se rap p ro ch ait au plus hau t p o in t de l’art p u r en raison de son absence de lien avec la réalité qui la précède. M ais lorsque q u elq u ’un l’accusait de vouloir m usicaliser la peinture, il ré p o n d ait avec indignation:

R em a rq u o n s-le: l ’a n a lo g ie que l ’on voit entre les arts que n ou s a v o n s ap p elés «purs» — la p ein tu re et la m usiq u e — se fo n d e sur la ressem b lan ce réelle d e ces deux arts et elle n ’est pas une v o lo n té de « m u sica liser la pein tu re», co n tra irem en t à ce q u ’a affirmé un « sp éc ia liste » . La p ein tu re a tou jou rs été «picturale» c o m m e la m usique « m u sica le» et ja m a is p erso n n e n'a eu b eso in de la « m u sicaliser». C e term e utilisé par ce « sp éc ia liste » p ro u v e se u le m en t que celu i-ci est bien élo ig n é d ’une c o n n a issa n c e réelle, «p icturale» d e la p einture.

N ous com prenons le sens de cette rép liq ue: l’o pposant qui p arlait de m usicalisation de la peinture avait sans do ute en tête quelque chose dans le genre de la synesthésie. W itkacy, par con tre, consi­ dérait la ressem blance de la m usique et de la peinture, com m e celle de deux arts particulièrem ent dotés en m atière de fonction expressive, plus q u ’en m atière de fonction cognitive.

Il sem blerait que W itkacy doive en arriver à accorder to u te sa sym pathie à la peinture abstraite, laquelle se com pose de formes «qui, en l’absence d ’une autosuggestion évidente en ce sens, ne susci­ tent aucune association avec les objets du m onde extérieur». M ais

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L e D o ssie r des perso n n a g es de W itk a c y 87

n on: tout en reconnaissant une certaine nécessité d ’une thérapie ab- stractionniste en une époq ue de déclin des sentim ents m étaphysiques, W itkacy a écrit:

On ne p eu t créer de ta b le a u à l ’aide d ’une co m b in a iso n pure de form es abstraites, q u o iq u e n ous a y o n s c e s derniers tem ps b ea u co u p d ’ex em p les de ten tatives d ’un tel p rogram m e de fuite lo in des ob jets, ten ta tiv es qui so n t ap p aru es c o m m e les voies les p lus sp len d id es d e n otre étran ge é p o q u e 28.

Picasso lui-m êm e lui sem blait illustrer cela (peu im porte si cet exemple est bien choisi). Il y a effectivement dans ces co nsidéra­ tions une insistance constante, obstinée sur ce fait que l’objectivité n ’est pas et ne doit pas être le m oins du m onde opposée à l ’idéal de la Form e Pure. Ainsi, m êm e les actions des personnages qui entrent dans la com position de l’art th éâtral ne con tam in en t pas nécessairem ent l’art p ar la vie. A l’aide d ’une représentation d ’évé­ nem ents, la tragédie grecque tra n sp o rta it le spectateur dans une dim ension m étaphysique. Et il n ’a rien fallu livrer à la déform ation. La connaissance universelle du m ythe a eu p o u r effet que celui-ci a dévoilé une im portance, une signification ultérieure. D e m ême dans la pein ture: Botticelli ne devait pas éviter la ressem blance de l’objet dessiné et de l’objet réel, car «avec son psychism e non com pliqué, il po uv ait créer la F orm e P ure sans déform er le m onde visible»29. Seuls, la d ém ocratisation de la société grecque et le déclin des sentim ents religieux ont eu p o u r effet que le théâtre est de­ venu une image de la vie et rien que ça. C ’est la R enaissance qui a p o rté le deuxièm e coup à la Form e en déconventionalisant l’art religieux et en laïcisant progressivem ent celui-ci.

C ette révision de la F orm e P ure nous était nécessaire p o u r que nous nous en rendions bien co m p te: W itkacy n ’a p as exclu la valeur artistique des élém ents des concepts sém antiques dans la poésie ni les actions et les discours au th é â tre 30. A Irzykowski qui assurait ne pas com p ren dre Yanulka, la fille de Fizdejko, W it­ kacy ra co n tait la pièce avec ses m ots. D ans son autocom m entaire de La Nouvelle délivrance, il a écrit que la dernière scène n 'é ta it

28 W i t k i e w i c z , «W stęp d o teorii C zystej F orm y w teatrze», pp. 273, 279, 271. 2l> Ib id e m , p. 275.

}0 C f. S. 1. W i t k i e w i c z , « P o le m ik a z k rytykam i» (P o lém iq u e avec les critiq u es), éd . J. D eg ler. P a m ię tn ik T ea tra ln y, 1969, c. 3, p. 318.

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« q u ’une irruption d ’un certain com plexe artistiq u e différent des précédents», m ais en même tem ps, il n ’élim inait pas la possibilité d ’une in terp rétation de cette scène com m e d ’u n e chose conform e à un im portun pressentim ent du fu tu r, c ’est-à-dire d ’une victoire de la masse organisée sur les restes de l’individualism e d ’au tre fo is31. D ans sa réponse à Z ygm unt W asilewski, il a expliqué que to ut le c h a r­ me du goûter dans L a Nouvelle délivrance consiste- d an s la fait q u ’il est servi à 10 heures.

D ans les écrits de W itkacy revient sans cesse le problèm e de la déform atio n de la réalité. L a d éform atio n est un des m odes de dissim ilation de l’objet représenté p a r ra p p o rt à l ’objet réel. L ’un des m odes, m ais non le seul: W itkacy p arlait aussi de «résorption» de la réalité dans la co nstruction form elle des oeuvres de l ’art pur (oeuvres qui étaient opposées, p ar exemple, au ro m an dans lequel «personne ne s’occupe de la form e en ta n t que telle, mais seulem ent de la réalité qui est représentée à l ’aide de cette form e»)32. Le term e de «résorption» est ju ste et com m ode, il englobe en effet to u t à la fois au ta n t la d éform ation que le retournem ent de l’ordre sim ple des m otifs, que les o p ératio ns linquistiques m élan­ gées dans lesquelles la signification prim itive du m ot et sa moelle disparaissent dans une constru ctio n intraduisible, que toute accum u­ lation de choses étranges qui ne d oit pas du to u t tém oigner du caractère étrange de l ’existence (comme le suppose W ażyk33) et qui ne rappelle q u ’en apparence la poétique du surréalism e.

A vant tout, la résorption de la réalité chez Stanisław Ignacy W itkiewicz procède ou tente de procéder p ar l’individualisation du style. C ’est ici q u ’intervient l’uniform ité de la lanq ue des p erson na­ ges d o n t P uzyna a parlé dan s son In tro d u c tio n au D ram es, c ’est ici q u ’intervient le problèm e du «style collectif» sur lequel médite le M arceli de L a Seule issue, qui considère, sans les désapprouver, les conceptions de Skoczylas; c ’est ici q u ’intervient ce problèm e qui nous intéresse: celui des stéréotypes.

31 Ibidem , p. 314.

32 S. I. W i t k i e w i c z , « D la c z e g o p o w ieść n ie jest d ziełem Sztuki C zystej?» (P ou rq u oi le rom an n'est pas une oeu v re d ’A rt P ur?), Z e t, 1934 — cité d ’après A . M e n c w e l , « W itk a c e g o je d n o ś ć w w ielo ści» , D ia lo g , 1965, no 12, p. 95.

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L e D o ssie r des perso n n a g es de W itk a c y 89 En effet, les stéréotypes — est-ce parce q u ’ils proviennent d ’une littératu re inférieure, est-ce parce, q u ’ils se répètent de façon d é­ m onstrative? — sont soum is à une b analisation — à une b an alisation qui a to u t de m ême été prém éditée — et ils deviennent transp aren ts d ans une autre signification, dans u ne signification supérieure.

7

R evenons à présent à la typologie des personnages. J u s q u ’à présent, nous avons om is, dans nos considérations, la p ro po sitio n de B łoń sk i34 qui a ad o p té de to u t autres critères de classem ent, sans tenir com pte de la règle de l’em ploi appliquée dans les p ro p o ­ sitions de W ażyk, de P uzyna, de K łossow icz et de M asłowski. D ans l’ensem ble des héros de W itkacy, Błoński distingue les groupes suivants :

1. Le raisonn eur ou les raisonn eurs «qui suggéreraient aux spec­ tateu rs tan t une explication de l’art-m êm e q u ’un explication du com p o rtem en t des héros».

2. «Le m etteur en scène des événem ents qui est donc générale­ m ent un titan lequel, ayant saisi, serait-ce de travers, le m ystère de l ’existence, m et en scène cette vie artificielle grâce à laquelle ce m ystère doit être révélé».

3. «Les acteurs, c ’est-à-dire ceux qui acceptent de prendre part à cette com édie m étaphysique. L ’un d ’eux jo u e d ’ordinaire un rôle bien particu lier: c ’est celui qui accède précisém ent à la com p réh en­ sion du sens de la destinée hum aine [...] on peut l’appeler l ’adepte, celui qui accède à l’initiation».

4. «Les gens de l’extérieur qui m ettent un term e à tout». Je pense que la propo sitio n de Błoński ne liquide pas les essais d ’u ne systém atique des personnages fondée sur la règle de l’em ploi; elle concerne en effet une au tre couche, une couche supérieure de l’actio n dram atiq u e, celle où se jo u e la véritable com édie ou tragédie m étaphysique.

B łoński écrit que le m etteur en scène est d ’h abitude un titan. Sans doute, m ais on se dem ande néanm oins dans quel dom aine

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ap p a raît ce caractère titanesque. S ’agit-il d ’un titan ou du T itan ? S ’agit-il donc des traits titanesque de divers personnages ou bien des traits d ’un personnage T itan ?

C ette question, d ’ailleurs plus générale, concerne le principe du classem ent des héros: quels sont les traits qui co m po sent la substance

du personnage, quels sont les traits qui relèvent de l ’accident?

Plus sim plem ent: l’im portant, est-ce le sexe du personnage, est-ce son âge, sont-ce les relations de paren té, la profession, l’origine sociale, le tem péram ent, la stru ctu re corp orelle? Ces personnages dotés d ’une im m ense intelligence, d ’une grande énergie, m ais en m êm e tem ps inconséquents, ces personnages q u ’on a appelés titans doivent- -ils être situés dans un groupe à p art, ou bien faut-il réfléchir au caractère sym ptom atique de ce fait: le titanesqu e ap p a raît en

divers dom aines d ’activités, au niveau du pouvoir, au niveau de

l’art, de la science et de l’érotism e?

L ’ensem ble des personnages du théâtre de W itkacy p o u rrait être divisé en sous-ensem bles de plus en plus petits, décrits avec une précision croissante. M ais il n ’y aurait là de satisfaction que dans le chef de l’o rd o n n a te u r de ce classem ent. J u s q u ’à présent, les p ro ­ positions de classem ent on t ap p o rté un certain ordre, ont perm is une o rientatio n qui étaient, d ans certains cas, discutables, m ais d o n t l’im portance ne peut être q u ’appréciée.

En dépit d ’une extrêm e stéréotypie des personnages du théâtre

de W itkacy, les frontières entre les groupes p articu liers sont fluides, et ce, parce q u ’un des thèm es obsessionnels est ici le thèm e du changem ent. D ans quel groupe faut-il ranger, p ar exemple, K o rb ow a? La difficulté réside en ceci que, M aciej Korbowa et Bellatrix se désintègre — d irait-on — en deux dram es: l’un est celui d ’une absence de p o tentialité créatrice et d ’une absence — to u te h erm ap h ro d ite — d ’identité; l’autre dram e est l’histoire « d ’une band e d ’ex-êtres hu­ m ains, d ’êtres dégénérés, sur le fond d ’une vie qui se mécanise». Ce deuxièm e dram e, ou p lu tô t cette deuxièm e partie du dram e, c ’est une passerelle qui m ène à une nouvelle in carnation de K orbow a, qui m ène à Velleytar. D ’autres exemples: K u rk a (dans L a Poule d ’eau) se m étam orphose, de blondasse, in attiran te q u ’elle était, en dém on ten tan t au deuxièm e acte. K arm azyniello {La M étaphysique du veau bicéphale) est d ’abord un neurasth énique de seize ans, lecteur

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L e D o ssier des p erso n n a g es de W itk a c y 91 d ’oeuvres philosophiques, puis un «m âle velu» et, p o u r finir, un stérile bourreau de soi-m ême m étaphysique. K arm azyniello, Przy- jem niaczek (Gyubal Velleytar), Jack (M r Price), ce sont des adeptes, ou — com m e le dit M asłow ski — des Ephèbes. Et c ’est précisém ent dans la conception de l’adepte q u ’est fondé ce m om ent du changem ent à la suite duquel l’adepte — une créatio n typique de la «littérature de l’évolution» — ne peut p ren d re place dans un seul groupe. Il se passe quelque chose de sem blable avec les personnages féminins. Izia (Tumeur Cervykai) est incontestablem ent, au début, une nym phette ou une fillette p our devenir ensuite, de plus en plus, une vam p, une séductrice. La m étam orphose n ’est p o u rta n t pas seulem ent une fonction de la m atu ra tio n et de l’écoulem ent du tem ps. C ’est aussi le résultat de l’ingérence de la science dans la nature. Ainsi, les «femellons» — les herm ap hrod ites — sont des femmes qui sont en quelque sorte dépourvues de leur fém inité, des femm es q u ’on peut, «à l’aide d ’une greffe o p p o rtu n e de certaines glandes», tran sfo rm er en hom m es (Dr., vol. 1, p. 535).

O n peu t aisém ent citer des exemples d ’un autre genre, ne serait-ce que ces exemples de m étam orphoses idéologiques et politiques grâce auxquelles des pièces com m e Gyuabal Velleytar, L ’Oeuvre sans nom ou Les Cordonniers revêtent une férocité p roph étiq ue particulière. Au fond, il ne s ’agit pas ta n t ici de p rophétie que du m o tif de la recherche de sentim ents véritables, c ’est-à-dire m étaphysiques, et du renoncem ent à ces recherches, renoncem ent qui s ’exprim e p ar une satisfaction facile dans un vécu au niveau des tripes. Ainsi donc, to u t renoncem ent constitue une sorte de trahison. L ’aptitu de à passer d ’un souverain à un au tre dans le cas de personnages que l’on p o u rra it appeler des «exécuteurs» (dans le genre du M o rb id etto de Velleytar), c'est autre chose: certains héros restent dans la souillure originelle de l ’incapacité m étaphysique. C eux-là ne prennent pas p art à la tragicom édie de la m étam orphose. Ils ne sont m ême pas ridicules. Ils sont vils, to u t sim plem ent. C ’est ici q u ’intervient le groupe des Petits M essieurs, des businessm en etc.

D ans le théâtre de W itkacy, les héros ne se co n ten ten t pas de se m étam orphoser, ils «se révèlent» aussi au tre chose que ce q u ’eux-m êm es pensaient, que ce que pensaient les autres, que ce q ue n ous pensions nous-m êm es. Et d ’ailleurs, soit dit en passant,

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elle est significative, cette perspective com m une de l’ignorance des héros et des spectateurs.

Les personnages du théâtre de W itkacy se créent à l ’intersection de deux axes de cristallisation: l’axe horizo ntal, c ’est l’alternative d ’assouvissem ent ou de non assouvissem ent du héros, l’axe vertical, c ’est la sphère, les m odalités des sentim ents m étaphysiques ou de l’assouvissem ent m étaphysique.

L ’axe horizontal des héros peut o rdin airem en t se diviser en assouvis et non assouvis. P uisque l ’assouvissem ent p a r la F orm e P ure et p a r les expériences m étaphysiques est im possible, p a r c o n ­ séquent, ceux-là qui sont assouvis le sont au niveau des tripes, de la basse sentim entalité.

Sur l’axe vertical, le dom aine dans lequel les héros s ’efforcent d ’atteindre le M ystère de l’Existence est, essentiellem ent, l ’art. Aussi le personnage principal de la p lu p a rt des dram es de W itkacy est-il l’artiste (pas seulem ent le poète) lequel est, p a r son principe m êm e, vaincu, inassouvi p ar la form e et, le plus souvent, im puissant, to u t sim plem ent. L ’art est, à cô té de la religion, la seule voie qui m ène au M ystère de l ’Existence. C ’est en tout cas la voie la plus sûre en ces tem ps de déclin religieux généralisé. «M usik ist höhere O ffen­ b aru n g als jede R eligion und P h iloso ph ie” — W itkacy a placé ces paroles de Beethoven en exergue de la Sonate de Belzébuth. D ’o rd i­ naire, les artistes de W itkacy sont des raison neurs et des th éo ri­ ciens. Il est égalem ent significatif que le personnage du p rê tre fasse défaut chez W itkacy: il y a, il est vrai, le pape Jules JI, m ais c ’est plus un m écène et un souverain vieux style, grand style, q u ’un ecclésiastique. Il y a, il est vrai, ces E rrarq u es et ces Perpendi- cularistes associés aux P neum atiques D échaussés, m ais ces p erso n n a­ ges ne font penser q u ’à des d én a tu ratio n s institutionnelles de la religion.

L ’éros, le p ouvoir, la science, ce q u ’on appelle la créatio n «dans la vie», et enfin les narco tiques — ce sont des m oyens, en quelque sorte de su bstitution, p ar lesquels les héros tentent d ’attein dre l ’assouvis­ sem ent. On a souvent parlé des narcotiques et beaucoup des héros tâ te n t des narcotiques, m ais d an s les dram es de W itkacy, on ne trouve pas, à p ro p rem en t parler, de n arcom anie en ta n t que trait c o n stitu tif d ’un personnage.

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L e D o ssier des perso n n a g es de W itk a c y 93

Ainsi, nous pouvons tracer ce tableau typologique de classification:

I. A sso u v is II. In assou vis

A . A rt X B. E rotism e C. P o u v o ir D . P h ilo so p h ie E. S cien ce X F. C réation «d an s la vie» X

Si nous tentions d ’inscrire dans ce tableau les différents perso n ­ nages des dram es de W itkacy, il s’avérerait que:

A. En principe, les artistes doivent se trouver d ans la rub riq ue A. II puisque l’assouvissem ent n ’est possible q u ’en dehors de l’art véritable, p ar le su b stitu t des tripes. L ’artiste peu t être co n train t de p ratiq u er l’art à un h au t niveau d ’im pureté, m ais il ne peut suspendre ses recherches. En effet, alors, il se serait pas un artiste. Il ne p o u rra it être, to u t au plus, q u ’un P etit M onsieur — aquarelliste.

B. D ans ce groupe se trouvent su rto u t des femmes, p arm i lesquel­ les, en tête, vient la Séductrice ou la Fem m e D ém oniaque. L ’inas­ souvissem ent érotique de la Séductrice diffère de l ’inassouvissem ent form el de l’A rtiste en ceci que la Séductrice est dépourvue de cette autoréflexion grâce à laquelle l’artiste se rend com pte de sa pro pre défaite. La Séductrice ap p artien t d ’ailleurs davantage à l’ord re de la N a tu re q u ’à celui de la C ulture, et dans cet ordre, elle est éternelle. La Religion est née de la faim , de la peur et de l’am our. La faim et la peur n ’existent plus ou peuvent ne plus exister, m ais on ne peut pas écarter l ’am o u r — c ’est ce que déduit P em brok dans L ’Indépendance des triangles lo rsq u ’il propose de transform er le d ép artem en t de la Bêtise M étaphysique en voie de liquidation en

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