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Tombeaux vides

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Academic year: 2021

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Ryszard Przybylski

Tombeaux vides

Literary Studies in Poland 22, 57-102

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PL ISS N 0137-4192

R yszard Przybylski

Tom beaux vides

A cent milles de la cô te...

Après huit jo u rs de voyage, le 19 o cto b re 1836, encore en pleine mer, m ais déjà fort près d ’A lexandrie, «cent milles après av oir q u itté la côte et cent mille av an t de l’avoir atteinte», Słow acki subit une de ces attaq u e s de m élancolie d o n t il était coutum ier. Ainsi q u ’il arriv e souvent aux poètes, c’est la b eauté qui l’avait plongé d an s cette profo nd e tristesse: le spectacle d u coucher d u soleil, in co m p arab le sur cette m er légendaire d ’Ulysse. Le m ystère des âm es sensibles est q u ’elles sont soudain touchées par le chagrin lorsqu’elles sont éblouies par la beauté du m onde. Le prince H enryk dans Czerwone tarcze

(Les Boucliers rouges) de Jarosław Iwaszkiewicz p o u rrait n o u s en

dire long à ce sujet. N ous som m es redevables à cette im p lacable m élancolie, acco m p ag n an t les ro m an tiq u es tel un Ange G a rd ie n , d ’une poésie de Słow acki parm i les plus connues et les plus aim ées,

H ym n (Hymne).

Au com m encem ent, lorsque le poète écrivit cette poésie, sous form e d’ap o stro p h e à sa mère, l’eu phorie que lui p ro c u rait la b ea u té d ’un coucher du soleil lui sem blait être com m e une accession à l’éternité. C ’était un esthète ro m an tiq u e, de g ran d et m êm e de très gran d style, qui se tro u v a it sur le b atea u et p o u r qui l’étern ité consistait à ép ro u v er sans cesse la beauté. M ais le m om ent m erveil­ leux de co m m u n io n avec l’éternité était déjà passé avant q u e le crépuscule p ro m p t et épais ne succède au couch er du soleil. E t la m élancolie a p p a ru t: elle to m b a sur le poète littéralem ent d u ciel, q u an d il aperçu t soudain, volant au-dessus du b ateau où il se tro u v ait, des cigognes fuyant du n o rd vers le sud. A vant que la nuit

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ne soit tom bée, les oiseaux m igrateurs rap p elèren t à Słowacki son errance et c’est eux qui furent, en dernier lieu, la cause de sa tristesse.

Les oiseaux m igrateurs — écrit Jea n -P ie rre R ichard — n’étaient pas p o u r C h a te a u b ria n d les ém issaires de la m élancolie, ils étaient p lu tô t les seviteurs de la m ém oire. Ils rassem b laien t des endroits divers et éloignés les uns des autres en un paysage spirituel hom ogène. C ’est le rôle q ue rem plissaient les hirondelles qui, de C om b o u rg — pays de son enfance, de l’A m érique — livre de la n atu re sauvage et puissante, de la G rèce — m ère prem ière de notre civilisation, créaient un unique et m agnifique paysage m ental, vision colorée d ’une âm e ro m an tiq u e. D an s le ciel les oiseaux m igrateurs inscrivaient to u jo u rs p o u r lui la mêm e sagesse chrétienne: sur cette terre, l’hom m e n’est q u ’un éternel N om ade. M ais cette idée lui était déjà familière. D an s ses Essais sur les révolutions (1797), lorsqu’il

résidait à L ondres, s’a tte n d a n t à voir le m onde s’écrouler

définitivem ent, il estim ait que la vie hum aine est un voyage du néant au néant. A p a rtir du Génie du Christianisme (1802), ses errances prirent un caractère plus prosaïque. Avec le tem ps, to u t se trivialise en ce bas m onde et homo viator se m étam o rp h o sa en dernier lieu en touriste. Il fit un pèlerinage à Jérusalem sac h an t q u ’il reviendrait dans sa patrie. Le voyage de C h a te a u b ria n d en O rient était un voyage en cercle ferm é: de la F ran c e à la F rance.

Słow acki, lui, suivait une ligne allant vers l’infini. Il ignorait où il s’installerait à son reto u r. Il était co n d am n é à une errance p ro sa ­ ïque, ici-bas, et craignait q u e ce voyage ne résolve aucun de ses problèm es ni ne lui a p p o rte une idée salvatrice: Polonais errant! S ur cette m êm e M éditerranée, C h a te a u b ria n d av ait navigué avec des pèlerins, tous tra n sp o rté s p ar une jo ie com m une. De p a rto u t se faisait en tend re de la m usique. C ertain s mêm e avaient com m encé à danser et les danses to u jo u rs unissent les d anseu rs avec le cercle des spectateurs en joie. Słow acki, lui, était seul. Après l’Egypte, après Jérusalem , la ro u te allait vers l’inconnu, à vrai dire sans but et nulle part.

M ais la beauté du m onde m éditerranéen avait p rovoqué chez lui non seulem ent la tristesse. Elle avait p ro v o q u é avant tou t un n o u ­ veau com plexe, le com plexe d ’A ntigone.

D epuis q u ’était a p p a ru t René, cet archéty pe du voyageur ro m a n ­ tique, cherch ant la co n so latio n au bout du m onde ou dans la b eau té

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de la nature, ch aqu e nom ad e m élancolique finissait p ar «fouiller les tom beaux». Il n’y a d on c rien d’é to n n a n t à ce q u ’il se to u rm e n te au sujet de son p ro p re to m b eau et q u ’il songe au lieu de so n repos éternel. Les visites de ruines de to m b eau x l’am enaient im m a n q u a b le ­ m ent à se d em an d er ce q u ’est vraim ent l’im m o rtalité et l’éternité. Sous ce point de vue, Słow acki ne différait pas de C h a te a u b ria n d . P eut-être le seul qui n’aim ait ni o uvrir des to m beaux , ni m êm e s’en ap p ro ch er était L am artine. M ais chaqu e poète doit-il s’em po iso n n er le coeur avec les cendres des m orts? A cent milles de la rive égyptienne, au-dessus de l’abfme de la m er et sous celui d u ciel, le P olonais erran t se m it so u d ain à envier aux cendres des m o rts — leurs tom beaux. En m êm e tem ps que la beau té et la m élancolie, to m b a sur Słow acki l’obsession de «la dernière dem eure». L’hom m e d oit avoir une to m b e et son em placem ent n’est pas indifférent. Q u a n d un H ellène périssait en mer, on lui élevait un to m b e a u vide, sym bolique, un cénotaphe. La to m b e est une présence p erm an en te parm i les vivants, dan s la com m unauté, d an s la trad itio n .

P our A ntigone, d o n n e r une tom be à son frère était to u t sim p le­ ment un devoir religieux qui découlait du souci q u ’elle avait d u repos de l’âm e de son frère. La tom be, en effet, m ettait un term e à l’erran ce de l’hom m e sur la terre, qui, pen d an t la vie — en dépit de to u te s les souffrances — est jo ie ; qui, après la m ort — en dépit de la présence sur la terre — est une dou leu r atroce. P o u r les G recs, l’âm e de celui qui n’avait pas été enterré com m ençait une errance lu gubre sur la terre, mais cette fois-ci dépou rv u e de sens et de raison. C ’était — sans exagération au cun e — à cette m êm e errance de p ar le m onde q u ’était co n d am n é Słow acki après son exil de Pologne.

Le com plexe d’A ntigone prit chez C h a te a u b ria n d et chez S łow ac­ ki des formes quelque peu différentes. P o u r C h a te a u b ria n d , les cendres sans to m be étaient rejetées en dehors de la trad itio n . E n effet la tom be n’est pas anéantissem ent. Elle situe l’existence h u m aine — écrit Jean-P ierre R ichard — à la limite de la dispersion, m ais ne la précipite pas d an s le néant. Elle parle de la présence co n sta n te du défunt dans la m ém oire de ses descendants, est signe de liaison en tre les m orts et les vivants. C’est p o u rq u o i le lieu du dernier rep os est si im p o rtan t. Le to m b e a u participe à la créatio n de la pérennité, perm et la durée, in struit, met en garde. C ’est la d estru c tio n du to m beau qui seulem ent annihile l’hom m e définitivem ent. Le plus

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im p o rta n t p o u r Słow acki était ce lieu du d ern ier repos, car le n o m ad e erran t ne sait où il reposera ses os. Il est pareil en cela au soldat, to u t particulièrem ent au soldat erran t qui, lui aussi, ignore l’en d ro it que le destin a choisi p o u r sa dem eure dernière. Il n ’est pas exclu d ’ailleurs que cette po ig n an te ressem blance ait aidé plus tard, à son ép oque m ystique, Słow acki à se tran sfo rm er, se transfigurer, com m e il au rait dit lui-m êm e, d ’E ternel N o m ad e en soldat de la C ause de D ieu. Les deux offraient leurs cendres à la dispersion. Le N o m ad e — p o u r la Pologne, le soldat — p o u r l’E sprit Eternel R évolutionnaire.

Après ce g ra n d accès de m élancolie, d ’ab o rd le poète renonça à se plaindre. Se co uch an t dans la mer, le soleil, m o teu r du rythm e du m onde, devint to u t à co u p un tém o in éternel et indifférent de la procession des g énérations se dirigeant vers le n éan t, le cruel dispen­ sateu r de brefs instants d ’éblouissem ents esth étiq u es; in stan ts qui — com m e de beaux «m iroitem ents irisés» — d isparaissen t presque im m édiatem ent. L’im pression esthétique con stitu e u ne sorte de signe de la co m m u n au té existentielle des hom m es m ais, en dépit de to ut, elle se désagrège déjà alors que l’in stan t où elle a lieu dure encore. Q u a n d René se plongea en lui-m êm e «sur les ru in es de R om e et de la G rèce», il acheva ses pensées p ar cette réflexion:

Je méditai sur ces m onum ents dans tous les accidents et à toutes les heures de la journée. Tantôt c e m ê m e s o l e i l qui avait vu jeter les fondem ents de ces cités, se couchait majestueusement, à mes yeux, sur leurs r u in es...

Et C h a te a u b ria n d lui-m êm e re g a rd a n t la ville du h au t de la colline de l’A cropole conclut ainsi cette ten tativ e pour ressusciter l’ancienne A thènes:

C e s o l e i l , qui peut-être éclairait les derniers soupirs de la pauvre fille de Mégare, avait vu mourir la brillante Aspasie. Ce tableau de l’Attique, ce spectacle que je contem plais, avait été contem plé par des yeux fermés depuis deux mille ans. Je passerai à mon tour: d’autres hommes aussi fugitifs que moi viendront faire les mêmes réflexions sur les mêmes ruines. N otre vie et notre coèur sont entre les mains de D ieu; laissons-le donc disposer de l’une com m e de l’autre.

Ce m êm e soleil qui, p our C h a te a u b ria n d était le tém oin indifférent de ce qui est passager, chez Słow acki offrait à l’hom m e un in stan t de sensation esthétique, in stan t à la fois joyeux et triste. Toutefois, la m élancolie avait d an s ce cas l’avantag e de ra m e n er l’esthétism e ro m an tiq u e à de justes p ro p o rtio n s. A cent milles de la

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côte égyptienne, Słow acki avait perdu la foi dans l’aspect réd em p teu r de la beauté. A vant de poser le pied sur le sol égyptien, il re n o n ça à la sotériologie ro m an tiq u e du beau. Bien sûr, il re n o n ça pas à la jo ie q u ’ap p o rte n t les sensations esthétiques, m ais co m p re n an t l’av ertisse­ m ent qui se cache d errière la m élancolie — insép arab le de ce ravissem ent — il n’en a tte n d ra plus de m iracles. En un m ot, d é b a rq u e ra à A lexandrie un poète sachant ce q u ’on peut a tte n d re de la b eauté bariolée et exotique de l’O rie n t m éd iterranéen. C ’est p o u r­ quoi dès le p ort le plus proche il ra m èn era ses sensations esthétiq ues à de justes p ro p o rtio n s.

Instant de joie

Le lendem ain, 20 o cto b re à l’aube, le navire s’a p p ro c h a d ’Ale­ xandrie. Il s'a rrê ta dans la rad e et, suivant l’usage respecté ici po ur des raisons particulières, atten d it que le c a p ita n a t l’au to rise à en tre r d ans le port. Słow acki s’ap p ro c h a du bord. Le jo u r se levait.

En fait, A lexandrie n’a jam ais fait partie de l’Egypte. Elle a to u jo u rs eu une position spéciale et un caractère cosm opolite. D ans l’A ntiquité déjà, elle était considérée com m e l’an tich a m b re d u pays

des pharao n s. L’expression «A lexandria ad A eg yp tum » est

suffisam m ent éloquente. Et d ’ailleurs, si l’on en croit les récits des m arins polonais, ce p o rt, a u jo u rd ’hui non plus, ne révèle rien sur l’Egypte, bien que ce soit là déjà l’O rien t m éditerranéen le plus au thentique.

C ’est égalem ent un 20 o cto b re que C h a te a u b ria n d en tra d an s ce port, mais tren te ans plus tô t et non point à l’aube, m ais p en d a n t la nuit. L’am arrag e d an s ce port, o p ératio n to u jo u rs délicate, fut cette fois-là particulièrem ent facile, et C h a te a u b ria n d a u ra it pu m ettre pied à terre im m édiatem ent. Il ne profita p o u rta n t pas de cela et décida d ’atten d re le jo u r à bord. L’au teu r de R ené s’a rrê ta à la ram barde.

Il aim ait les p an o ram as, m ais il ne surch arg eait jam ais les vues d’ensem ble de détails. C ette fois-là sa tâche était simplifiée, car la nuit les lui cachait. Il ne faut pas oublier non plus que ch acu n de ces tableaux co n stitu ait p o u r lui une sorte de spectacle th éâtral. C ette mêm e nuit qui lui voilait les détails avait déclenché p o u r lui le th éâtre de l’im ag in ation. Il n’apercevait d o n c sur la rive q u ’un long

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band eau noir de m urs et de m aisons, mais, ici et là, il pouvait voir des ruines et des obélisques. C om m e il en ten d ait to u jo u rs la voix du passé, l’im agination rem plissait ses oreilles du tu m u lte des banquets nocturnes d ’A ntoine et de C léopâtre. Le calm e de la ville dans le noir lui sem blait ap p aren t. D an s l’obscurité vibrait la vie de l’ancienne Alexandrie. L’éblouissem ent ne d u ra toutefois q u ’un court instant. Il fut bientôt saisi par le silence de la ville co ntem p oraine, m orte, paralysée, accablée par l’esclavage. L o rsq u ’il revint à Alexandrie, après son voyage au C aire et à G izeh, elle lui sem bla le lieu le plus triste du m onde.

Słow acki eut une to u te au tre im pression. A l’aube, le po rt s’éveille à la vie. Il est une m agnifique poésie d u cri. M êm e sur les adm irables toiles du L orrain, peintre du calm e et du silence, qui aim ait passionném ent les havres m éditerranéens, on voit — et d onc on entend — com m e l’au ro re em plit le po rt du bruit du travail. Bien sûr, du large, Słow acki ne pouv ait pas bien disting uer ces allées et venues. La côte africaine lui sem bla, au début, triste et endorm ie. Le palais de M oham ed Ali, accroupi sur la côte telle une blanche colom be, la prem ière colom be égyptienne, des vols d ’oiseaux m ig ra­ teu rs sinuant com m e des serpents parm i «la p o u rp re de l’au b e» et «les petites étoiles du ciel pâle», voilà to u t. La rive se ten dait com m e la corde de la m élancolie rom an tiq u e.

Słow acki utilisa la techn ique p o u r arrac h er ce voile de tristesse. Les rom an tiq u es aim aient d’ailleurs user des inventions techniques et certaines de leurs descriptions font appel à des appareils de to u tes sortes et à des artifices ingénieux d ’o ptiqu e. P ar exemple, N erval et N orw id appréciaient b eau co u p le dio ram a, invention relativem ent récente, considéré au jo u rd ’hui com m e l’un des ancêtres du ciném a. M ickiewicz n’avait pas b eau co u p d’estim e p o u r J a n Śniadecki et m éprisait sa «loupe», m ais Słow acki, déjà, peut-être un peu par esprit de co n tra d ictio n envers l’a u te u r de Rom antyczność, m o n trait un g ran d respect p o u r le célèbre astro n o m e et p arlait de ses in stru m ents d’op tiq u e avec la plus g ran d e considératio n.

Les capitaines des navires ab o rd a n t à A lexandrie d istrib u aien t aux voyageurs des longues-vues p o u r q u ’ils puissent observer ce qui se passait sur la côte. Słow acki p o rta d o n c à son oeil «un télescope». Il s’agissait p o u r lui d’un rap p ro ch e m e n t grâce auquel il se tra n s p o r­ ta im m édiatem ent au centre m êm e du p ort réveillé par l’au ro re.

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M alczew ski était déjà un chau d p artisan de ces ra p p ro ch e m e n ts que p erm e tta it une sim ple longue-vue. En effet, c’était un ancien élève de l’Ecole d ’A pplication de l’A rtillerie et des Ingénieurs et il put apprécier ces «verres» lors d u siège de M odlin.

Słow acki régla d onc la netteté de l’instru m en t et le «télescope» le tra n s p o rta so u d ain au centre m êm e d’une vie b ru y a n te et colorée.

Chciałbym się teraz zbliżyć teleskopu szkiełkiem D o brzegu — spoić z tęczą kolorów i zgiełkiem.

[Je voudrais maintenant me rapprocher grâce au verre du télescope / D e la côte — m'unir à la richesse des couleurs et au vacarme.]

La longue-vue lui avait fait découvrir le splendide ja rd in o rien tal où ch a q u e être «veut devenir une fleur p o u r le plaisir de tes yeux». Le tro p plein d ’im pressions de couleurs était à ce point ép uisan t que le poète au rait été heureux de pouvoir, ne fut-ce q u ’un instan t, reg ard er l’azu r uniform e du ciel. M ais le tem ps m an q u ait p o u r cela. Il voit u n to u riste assailli p ar une foule d ’im p o rtu n s. Il est tém oin de ce qui l’atten d . Il com m ence à flotter d an s la foule tap ag eu se com m e sur les eaux d ’un fleuve en crue. Il se heurte aux écueils d ’ânes et de cham eaux. Il se noie d an s le m ouvem ent et d an s le bru it qui sont les sym ptôm es typiques, dan s le m onde m éditerranéen, de la vie p alp i­ tan te. U n e fois seulem ent pen d an t un bref in stan t, sur ce fleuve de vie lui a p p a ru t so u d ain un cercueil recouvert d ’un linceul n oir: une femme de l’O rien t. M ais, un m om ent après, la jo ie de vivre vient à nouveau ab u ser ses yeux, dép loyant son m agnifique éventail de couleurs, l’en tra în an t d an s le to u rb illo n anim é.

O n ne peut nier que ce fut là un m om ent de jo ie esthétique. M ais ce ne fut q u ’un in stant. U n parm i bien d’autres, m ais to talem en t isolé. U ne jo u rn é e ensoleillée com m ence p o u r le po rt en délire. Cueille ce jou r! Carpe diem\ P en d an t ce voyage, Słow acki parvint vraim ent à se co m p o rte r com m e un ho ratien ro m an tiq u e. Le to u riste le plus sérieux peut parfois se co nduire en épicurien, p o u r au ta n t bien sûr q u ’il ait l’âm e assez jeune. E n mer, déjà, Słow acki avait surpris la b eau té de la n ature, que celle-ci ne déployait q u e p o u r elle- mêm e ou p o u r D ieu seul. Ici, d ans le po rt, c’était les gens et le soleil, la ville et la vie qui, en com m un, créaient la beauté. Elle naissait de la couleur locale, de l’in stan t unique, des vagues de la m er, des bruits soudains. En m er, Słow acki était m étaphysicien. D an s le p ort, il se

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transfo rm ait en reporter. Et quel reporter! J ’ai lu bien des récits de voyages en O rient, écrits p ar des gens à qui on po uv ait su pp oser un talent de prosateu r. A llons donc! Ce poète subtil est p arv en u à un rare degré d ’acuité et d ’objectivism e, sans que po ur cela sa poésie ne perde quoi que ce soit de son brillant. Ainsi ses lettres poétiques d’Egypte co nstituent un m odèle incom parab le de l’épilre rom an tiq ue.

M ais je me suis laissé un peu em p o rte r par le sentim ent et j ’ai perdu de vue q u ’A lexandrie se tro u v ait devant l’E gypte et c’est seulem ent d errière l’horizon q ue se dissim ulait le triste pays de la m ort.

Dziś ludzi koloram i rozkwiecone klom by — Jutro ujrzę pomniki — trumny — k ata k o m b y ...

[Aujourd’hui — des parterres fleuris de couleurs — des hom m es / D em ain, je verrai des m onum ents — des cercueils — des c a ta co m b es...]

Ruban de mélancolie

Des deux m ystères de l’Egypte, le Nil et les pyram ides, o ccu po ns- -nous d ’ab o rd du fleuve, d o n t la source était à cette époq ue inconnue. Il nourrissait to u t le pays des p haraons, du sud — se p erd an t dans la savanne, ju sq u ’au n o rd — qui ressem blait presque à un ja rd in . C ’est p our cela q u ’il était ad o ré ainsi que le soleil nou rricier. Słow acki était conscient que c’était là un fleuve-destin, fleuve-dieu, car il avait créé une civilisation q u ’il pouvait à to u t m om ent anéantir. C ’est p ourquoi, son Pieśń na N ilu (Chant sur le N il) d o n n e justem ent cette im pression si forte d 'être un chant sur le destin.

Le Nil lui sem bla être Léthé et l’on peut im aginer ce q u ’il ressentit lorsqu’il se tro u v a sur le fleuve de l’oubli. Il navigua d o nc sur ce Nil, plongé dans la tristesse, le coeur serré, indifférent à to u t et résigné. C ’est seulem ent sur le saint fleuve du pays qui a d o ra it la m ort que la m élancolie de Słow acki atteignit sa plus haute intensité.

Le voyageur qui p arco u ra it l’E gypte devait tôt ou tard se re n d re com pte que c’était le pays des colom bes. Les colom bes y sévissaient p arto u t. T o u t à coup donc, un village l’arrac h ait à son e n g o u rd isse­ m ent «léthéien», un village com m e envahi p ar ces oiseaux, re p o sa n t en eux com m e dans un nuage, sau p o u d ré p ar eux com m e p a r de la neige. Bien sûr que sous la plum e de Słow acki, cette vue p ro sa ïq u e

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de l’E gypte se tran sfo rm a en un paysage sorti d’un rêve, plein de choses hallucinantes et a n n o n ç an t soit la terreu r soit la joie.

Le rêve de Słow acki, rêve qui ne cessait de l’acco m p ag n er depuis le plus jeu n e âge ju s q u ’à sa m ort, était d ’avoir une petite m aison, en to u rée d ’un jard in , et cela de préférence du côté de K rzem ieniec. Il n’y a d o n c rien d ’é to n n an t à ce que le regard de poète soit accroché so u d ain par une h u tte en terre séchée, «entourée d ’une cou ron ne d’épines et de colom bes». Elle réveilla en lui le com plexe de l’idylle. Elle lui inspira des idées de calm e et de repos. Les colom bes ne sont- -elles pas les oiseaux de l’am our, du calm e et du bon h eu r? Il eut donc to u t à coup envie de faire diriger l’em b arcatio n vers cette hutte, o u b lian t p o u r un m om ent q u ’elle reposait égalem ent dans une co u ro n n e d ’épines, sym bole de la passion du C hrist.

T outefois, il n’était pas seul à bord. Il était accom pag né p ar un guide arabe. Ce n’était plus là l’A rabe des poèm es de jeunesse et des ro m an s poétiques, ce «fils vengeur d u désert», une in c a rn a tio n du révolté ro m an tiq u e. C ’était un C h a ro n égyptien, tra n s p o rta n t les âm es sur «l’au tre rive» où devait se résou dre le m ystère des gig an ­ tesques pyram ides et des tem ples m o n u m en tau x de l’E gy pte antique. C h a ro n est bavard. Il connaft bien le pays situé sur les rives du Nil- Léthé et — com m e il a p p a ra îtra bientôt — il d ispose de solides connaissances sur le pays de la m ort. Il révèle donc au poète q u ’il ne doit pas envier le b o n h eu r des h ab itan ts de cette h u tte peu co m ­ mune, car y repose un cadavre. Ce n’est donc pas une h u tte idyllique. La placidité que sym bolisent d an s la poésie les colom bes assoupies ne reviend ra sous ce toit que lorsque le cadavre en sera enlevé p ou r être confié à la terre. M ais le voyageur ro m an tiq u e, saisi par l’obsession d ’une chaum ière idyllique, veut à to u t prix s’y rendre. Il est p ersu adé que sa som bre m élancolie et son déchirem ent intérieur ne tro u b le ro n t pas le som m eil des colom bes. Q u ’on em p o rte seule­ m ent l’horrib le cad av re de la hutte.

Le C h a ro n ara b e est d ’un au tre avis. In tro d u ire le déchirem ent intérieur sous le toit idyllique tu erait les colom bes ainsi que le voyageur assoiffé de paix. L’A rabe sent profondém ent q u e d ans cette dem eure s’in tro d u ira it ainsi un au tre cadavre, m ais cette fois-ci, un «m ort-vivant» p o rta n t une co u ro n n e d ’épines. Le p o ète lui d onne raison et reno nce à son intention. E tait-il possible au P o lo nais erran t de s’installer sur la rive du Nil? C ’est p o u rq u o i il désira alors

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s’envoler quelqu e part d ans le m onde. Le voyageur ro m a n tiq u e a to u jo u rs désiré, aux m om ents de désespoir et de do u te, s’enfuir n’im porte où, au b out du m onde. M ais le C h a ro n a ra b e est im pi­ toyable et lui rappelle q u ’il ne tro u v era le véritable repos que d ans le to m beau de pierre du p h araon.

Ce qui est le plus é to n n an t peut-être, c’est que Słow acki con tin ue à voir les to m b eau x des p h arao n s avec les yeux d ’un m élancolique rom an tique. Voilà le lieu de l’ultim e paix! C ’est seulem ent là, dans cet Erèbe de pierre, q u ’il a tte in d ra enfin le b o n h eu r: le bienheureux état d ’indifférence. Là, le «m ort-v iv an t» tro u v era enfin le som m eil. Il est curieux que tou s ces désirs rap pellent la prière de Jo b :

Car maintenant je serais couché et calme, je dormirais et alors ce serait repos pour moi

Avec les rois et les conseillers du pays, ceux qui se bâtissent des solitudes

(Job 3, 13-14)

Le to u riste ro m an tiq u e se dirigeait vers les pyram ides p o u r y tro u v er la léthargie de l’âme. La souffrance causé p ar l’erran ce avait dû être vraim ent lancinante puisqu’il désirait rester à jam ais un «m ort-vivant». P en d an t un instant, mais un in stan t seulem ent, il lui avait sem blé que la m om ification de l’âm e réso u d rait to u s les com plexes d u m alheureux proscrit. U n m om ent, m ais un m om ent seulem ent, l’idéal du Polonais erran t fut d ’être une m om ie. D e loin, l'hiéroglyphe de pierre était sem blable à la sain te m o n tag n e d u salut. M ais p o u r percer son m ystère, Słow acki devait pénétrer à l’intérieur de cette ruche tom bale. Le poète — ainsi q ue l’affirm ent P la to n et H orace — est une abeille. Il se dirigeait d o n c vers sa p ro p re m aison.

Hiéroglyphe de pierre

La T erre P rom ise par Dieu, M oïse la vit de loin, du haut d ’une m o ntag ne élevée, m ais il ne lui fut pas d o n n é de poser le pied su r ses prairies, ni de boire de l’eau de ses sources. Il en fut de m êm e p o u r C h a te a u b ria n d et les pyram ides. Il les vit, m ais il ne foula pas leurs som m ets. U n e g ran d e crue l’em pêcha de passer su r l’au tre rive du Nil. C ela n’est pas sans im p o rtan ce p o u r nous, car C h a te a u b ria n d les vit de loin, à peu près de la m êm e distan ce que Słow acki, lorsque celui-ci re m o n tait le Nil. R egardons d on c attentivem en t ce fragm ent

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de l'Itinéraire de Paris à Jérusalem , d’au ta n t plus que c’est là vraim ent un adm irab le poèm e en prose.

C h a te a u b ria n d ép rouvait p o u r les classiques du X V IIe siècle un respect non feint, m ais ses réflexions sur les to m b eau x constituen t une seule et longue polém ique avec B ossuet. Le to m b eau cessait d’être un serm on sur le néant et la vanité hum aine. D onc, la pyram ide n’était pas seulem ent une m o n tag ne de pierre enveloppant un squelette. Elle évo quait plutô t l’éternité que l’anéantissem ent. En fin de co m pte qui, sinon C h a tea u b rian d , se devait de tirer les conclusions du fait que le m onum ent le plus g ran d au m onde est justem ent un tom beau? Bien sûr, c’est avec pitié q u ’il observait tous les efforts que fait l’hom m e p o u r laisser une trace de son passage en ce bas m onde. P uisque l’on peut prier D ieu au pied d ’un arb re et que cette prière a la même valeur que celle faite à Dieu dans la basilique S ain t-P ierre de Rome, cette petite colline de terre vaut a u ta n t que la plus haute m ontagne. La pyram ide était l’oeuvre de la vanité, mais c’est cette vanité ju stem en t qui inspirait du respect à C h a tea u b rian d . Voilà un roi qui voulait vaincre le tem ps au m oyen d’un tom beau, sym bole de la vanité de to utes choses. Evidem m ent, bien plus tard , le désert b rû lan t eng lo u tira égalem ent dans le sable ces m ontagnes de pierre, com m e le désert vert de l’A m érique a englouti déjà les to m b eau x des Indiens de l’O hio. M algré to u t, la pyram ide, o xym o ro n de pierre, to m b eau devenu sym bole de l’éternité, forçait son respect.

11 ne faut pas perdre de vue que C h a te a u b ria n d regardait les pyram ides en ta n t que pèlerin chrétien qui venait de visiter le to m b eau du C hrist à Jérusalem , et qui se sentait renforcé dans sa foi. C ’est p o urq uo i, la tristesse qui im prègne ses réflexions sur les p y ra ­ m ides est, de ce fait, la tristesse d ’un chrétien conforté p ar la foi. C h a te a u b ria n d rép ro u v ait la m élancolie ro m an tiq u e:

Mais, de nos jours, quand les monastères, ou la vertu qui y conduit, ont manqué à ces âmes ardentes, elles se sont trouvées étrangères au milieu des hommes. D égoûtées par leur siècle, effrayées par leur religion, elles sont restées dans le monde, sans se livrer au monde: alors elles sont devenues la proie de mille chimères; alors on a vu naftre cette coupable m élancolie qui s’engendre au milieu des passions, lorsque ces passions, sans objet, se consum ent d’elles-m êm es dans un coeur solitaire.

Il est curieux que C h a te a u b ria n d définisse ici le m élancolique ro m an tiq u e com m e un m ort-vivant, em p loyan t les m êm es m ots que

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M ickiewicz utilisa p o u r parler d ’un fantôm e: «encore de ce m onde, m ais plus p o u r le m onde!» Le père Souël d an s la conclusion de René ém et du reste une critique sem blable de «la religion de la tristesse» ro m an tiq u e. C ’est du C aire que Slow acki p artit — com m e tous les to uristes — p o u r son voyage p o u r les pyram ides. Le C aire qui est, bien sûr, l’E gypte la plus véritable, m ais qui n’en est pas p o u rta n t le coeur, to u t au m oins le coeur de ses m ystères. Celui de l’ancienne Egypte se dissim ulait d ans la religion et était caché d an s les p y ra­ m ides d o n t Slow acki rêvait déjà à Rom e, re g ard an t le m on de du haut du dôm e de S aint-P ierre. Déchiffrer le m ystère des pyram ides signifiait d o n c com p ren d re le rôle de la religion des anciens E gyp­ tiens dans l’histoire de l’hum anité. P o u r les rom an tiq u es, les p y ra­ m ides co n stitu aien t une sorte d ’hiéroglyphe an th ro p o lo g iq u e. C h aq u e poète ro m a n tiq u e s’efforçait d ’être le C ham p o llio n de l’a n th ro p o lo ­ gie, con sid éran t que la poésie était la clé la plus parfaite qui perm ettait de décryp ter le testam ent chiffré de l’hum anité, enferm é dans ce g igantesq ue to m b eau de pierre.

Slow acki décrivit la ro u te de G izeh d an s sa poésie Les Pyramides. S ouven ons-nous su rto u t du 16e vers qui échappe, le plus souvent, à notre sensibilité ém oussée p ar l’épreuve du tem ps. A la vue des trois pyram ides, flo ttan t sur le sable com m e une nef, un sou pir étrang e échappa au poète: «sur mes yeux s’est posé m on â m e ...» Voilà! L’âm e s’est envolée du corps p o u r se poser sur les cils noirs. Il allait vers le m ystère, d onc son âm e tel un Ange G ard ien , avait résolu m ain ten an t de protéger sa vue de la ten ta tio n du beau. Le m ystère des pyram ides ne résidait pas, en effet, d ans la beauté.

M êm e N erval, qui en E gypte s’était tran sform é e n , re p o rter s’intéressant essentiellem ent à la sociologie des m oeurs, su ccom ba à la fin à la te n ta tio n de l’esthétism e ro m an tiq u e, et se perm it parfois de perdre de son objectivité de re p o rter. Slow acki, au co ntraire, aiguisa ses sens de l’ouie et de la vue. Il s’efforça de relater les événem ents et les paysages avec la précision d ’un d aguerréo typ e, et sans perdre p o u r cela son hum our! En apparence, les péripéties du to u riste l’am usaien t, m ais en réalité, il im prégnait sa d escription de sym boles qui constitu aien t la m eilleure in form atio n sur la ten eu r a n th ro p o lo g iq u e de l’ancienne religion de l’Egypte. Et sur le cham p, il réalisa l’h erm éneutiq ue de ces sym boles. De rep o rter, il se tra n s fo r­

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m a en herm éneute de la culture, soucieux de réso u d re le m ystère de l’art sépulcral.

P o u r co m p rendre le sens de la m étam o rp h o se spirituelle que subit Słow acki en Egypte, il nous faut nous pencher, ne fut-ce q u ’un instant, sur l’aspect religieux, sur les rites funèbres des anciens h ab itan ts de la vallée du Nil. Il nous faut d ’a b o rd affirm er q u ’en E gypte on considérait le corps d’une m anière to talem en t différente que dans les autres cultures, p o u r ne citer ici que les anciens H ébreux et chrétiens. En Egypte, le corps n’était pas irrem plaçable. O n pouvait lui sub stitu er n’im p o rte quelle re p résen ta tio n plastique, particulièrem ent une statu e et, à certaines époques, un p o rtra it peint soit sur le sarcophage, soit disposé dan s des san ctuaires fam iliaux com m e les célèbres p o rtra its du F ayo um . Bien que l’an th ro p o lo g ie égyptienne soit assez com plexe, on peut affirm er avec certitude q u ’elle p résu pposait que l’hom m e se com pose de principes vitaux et d ’un corps. La m ort signifiait la désagrégatio n de cette union. P o u r que la vie puisse co n tin u er après la m ort, il fallait, que d u re non seulem ent l’unité stru ctu ra le de to u s les principes vitaux entre eux, mais aussi avec le corps. Il fallait d o n c conserver le corps du m ort, en faire la statu e ou le p o rtra it.

V enons-en m ain ten an t au roi, puisque, en définitive, c’est son corps qui devait reposer au coeur de la pyram ide. « E n fait, seul le roi — écrit F rançois D au m as — com m e D ieu, possède la plénitude de la vie et le d ro it de la conserver, ainsi que le p o u v o ir de p rendre les m esures indispensables p o u r se g a ra n tir la vie éternelle — en faisant élever un to m b eau protégé des in trus et p ro tég ean t son corps». Aussi après la m ort, égalem ent le roi contin u ait-il être le centre d u cosm os. Les cham b res so uterrain es dans lesquelles Słow ac­ ki s’in tro d u isit en ra m p a n t co n stitu aien t une véritable re p résen tatio n de l’U nivers. Le corps m om ifié était le centre de ce cosm os. Le sarco p h ag e où on l’avait déposé, ou p lu tp t d ans lequel il avait o rd o n n é q u ’on le couche, im itait un palais. Le rituel de ces funérailles prévoyait to u t p o u r q u ’ici égalem ent le roi fût sem blable à Ré, et que, en ta n t que soleil éternel, il co n tin u ât à régner sur le m onde. La solarisatio n signifiait en E gypte l’im m o rtalisatio n . Le roi, p o u r g ard er l’im m o rtalité p ro p re au fils du soleil, se fondait d ans le disque solaire. Les objets familiers qui l’en to u ra ien t, et les corps des dignitaires enbaum és, com m e lui passaient d ans l’im m ortalité. O n ne

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pouvait atte in d re l’im m o rtalité en E gypte q u ’en m êm e tem ps que le roi. Il fallait d on c déposer d an s le to m b eau une statue, un p o rtrait, une rep résen tatio n , donc un substitu t valable de son corps. Jerzy N ow osielski m ’a confié un jo u r que si le p o rtra it du F ayoum , que l’on considère a u jo u rd ’hui généralem ent com m e à l’origine de l’icône du S inaï o u byzantine, avait fait sur lui une aussi forte im pression, c’est parce que vibre en lui ju s q u ’à a u jo u rd ’hui le pressentim ent de l’im m ortalité. Bien sûr, la m eilleure g aran tie d’im m o rtalité consistait à protég er le corps p ar la m om ification. Le p h arao n , gisant d an s la pyram ide, était au sens p ro p re du term e le Roi C adavre, co n tin u an t à régner su r to u t le C osm os. Słow acki pou vait d on c co m p ren d re la religion égyptienne com m e le culte du Roi C adavre.

Lors de la visite de la pyram ide de C héops Słow acki eut deux signes. Le prem ier lui a p p a ru t à l’in térieur de la ruche tom bale, lorsque — com m e ch aqu e to u riste — il fut in tro d u it d ans la salle où au rait dû se tro u v er le sarcophage avec le corps momifié. O r la m om ie m an q u ait, le sarco p h ag e m an q u ait. Le plus gran d to m b eau du m onde était vide. Sous ce ra p p o rt, il était sem blable à celui du C hrist. Słow acki d u t forcém ent s’in terro g er sur la signification du vide de cette pyram ide.

Le deuxièm e lui fut d o n n é au som m et. C h aq u e visiteur devait fouler le som m et de ce m onum en t, d o n c Słow acki n’avait pas le choix. Il décrivit son expédition d an s la poésie N a szczycie piramid

(Au sommet des pyramides). C ette escalade fut en réalité une pénible

épreuve, et si ce n’était la g rav u re que Skôrzew ski a exécutée p ou r son livre, si ce n’était le tém oignage de N erval lui-m êm e, jam ais je n’aurais cru que cet hom m e de faible santé, m enacé de tuberculose, avait réalisé cet exploit digne d ’un alpiniste.

Ce q u ’il ressentit là-hau t était un sentim ent d ’un genre particulier. K ord ian , su r le M ont-B lanc, n’avait pu épro uv er de pareilles sen sa­ tions. Les nuages et le b rou illard lui cachaient ta n tô t le soleil, ta n tô t la terre. S ur la m er de m ontagnes, l’horizo n ne pouvait avoir l’aspect d’une sphère. M ais ic i... La ligne de l’horizon lui confirm ait q u ’il voyait bien m ain ten an t la terre telle que D ieu l’avait vue: ronde. Słow acki avait d on c attein t une perspective cosm ique et, en to u t cas, s’était ra p p ro c h é du séjour du C réa te u r de l’univers. T outefois, la perspective d u soleil s’avéra être inaccessible. Il ne put em brasser du regard sim u ltan ém ent les q u a tre côtés de la pyram ide. T ro n q u é par

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le soleil et par le tem ps, le polyèdre de pierre lui a p p a ru t plus étran g er que le cercle idéal, sym bole de l’éternité. D eb o u t au centre m êm e de ce cercle, le P olonais erran t écoutait d an s un silence singulier seulem ent deux b ruits: le tic-tac de sa m on tre et les b attem en ts de son coeur — le ryth m e du tem ps et le rythm e de la vie. Au som m et de la pyram ide, Słow acki découvrit, ou plutôt e n t e n d i t une antin o m ie d o n t il espérait tro u v er la solution à l’intérieur de la ruche tom bale.

Le soleil par contre, qui est en quelque sorte créateu r et d o n n eu r de vie, lui ap p a ru t du haut de la pyram ide com m e un dieu ap o c aly p ­ tique, ennem i et cruel. Il inon d ait le ravin entre les pyram ides d ’un rouge to rre n t de feu et déversait des flots de p o u rp re d an s la vallée des tom beaux. «Le soleil pensant d ’E gypte» d o n n ait au m onde la couleur du sang. D an s sa lum ière l’histoire de l’hom m e se présentait com m e un déluge de crimes.

A ce m om ent, le regard du poète to m b a sur une inscription. C ’était une de ces inscriptions que laissent les to uristes. Nerval, qui lui aussi avait posé le pied sur le som m et de la pyram ide de C héops quelques années plus tard , avait noté les gribouillages gravés par les voyageurs anglais. Les jo u eu rs professionnels y offraient leurs servi­

ces, d o n n a n t leur adresse européenne, les fabricants avaient

confectionné une sorte de p an n eau publicitaire. Il y avait là des bribes de souvenirs, le nom de ceux qui — com m e les anciens égyptiens — co m p taien t entrer dans l’éternité d ans le cortège du Roi C adav re. L’in scrip tion qui to m b a sous les yeux de Słow acki était en po lonais et rappelait l’insurrection de 1830. Jan B ystroń suppose q u ’elle est de la m ain du général H enryk D em biński. A en croire ce chercheur, elle était ainsi conçue: «T ransm ettez aux siècles la d ate m ém orable du 29 novem bre 1830». Au som m et de la pyram ide, au centre de l’éternité, l’âm e posée sur les yeux du poète lui rappela la patrie mise au tom b eau.

R elatan t ses im pressions du voyage dans une lettre de B eyrouth, Słow acki écrivit à sa m ère que toutes les h au teu rs im p o rtan tes du m onde m éditerranéen, c’est-à-dire le m ont F au lh o rn , le dôm e de la basilique S aint-P ierre de Rom e, le Vésuve et la pyram id e de C héops avaient été p our lui des lieux de repos. Il s’y posa com m e un oiseau m ig rateu r épuisé. C ’est là une belle image, mais qui ne correspo nd pas entièrem ent à la réalité. Sur le m ont F au lh o rn ou su r le Vésuve,

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peu t-être se reposa-t-il. Au som m et du to m b eau du p h a ra o n , il se posa, il est vrai, com m e un oiseau épuisé, m ais certain em ent pas p o u r souffler. La P ologne mise au to m b eau au rait-elle perm is à ses enfants de se reposer? Allons donc! Elle to u rm e n ta it les ro m an tiq u es ju s q u ’au plus profond de l’enfer et ju s q u ’à la cim e des m onts. Elle les to u rm e n ta it p a rto u t et aux en d ro its les plus inatten d u s. C ’est p o u rq u o i la g ravité des q u a ra n te siècles qui avait plongé to u te l’arm ée de N a p o léo n d ans des m éd itations ne p ro tég ea pas le voyageur erra n t de l’im pitoy able patrie. La P ologne a p p a ru t alors à Slow acki au centre idéal de l’éternité, au m om ent m ême où il sentit sous ses pieds le m ystère de l’existence hum aine, cachée d an s le to m b eau vide du Roi C adavre.

Cet in stan t engend ra une poésie qui était p o u r ainsi dire la répon se au trio m p h e de la m om ie d ans Chants sur le N il, Rozm ow a z

piramidami (Conversation avec les pyramides).

Voilà une m on tag n e de pierre d o n t le rôle était de p ro téger un corps mom ifié. Voilà l’écrin de l’im m o rtalité des cadavres, la g aran tie d ’éternité p o u r un m ort em baum é. O n ne peut nier q u ’elle fit sur lui une forte im pression. Il lui sem blait q u ’elle p o u rrait bien être un abri de l’idée de vengeance q u ’en tretient une n atio n asservie et humiliée, ou encore un to m b eau gigantesque où cette n atio n a u ra it déposé les corps de ses m artyrs, p o u r tra n sp o rte r plus tard leurs restes dan s la patrie libérée. Il lui vint égalem ent à l’idée que la pyram ide pouvait être une cou p e de pierre où la n atio n polonaise recueille les larm es des m ères, ou encore un g ran d m onu m ent à la m ém oire de tou s ceux qui sont m o rts en c o m b a tta n t p o u r la sainte cause de la résurrectio n de la n atio n . Ce palais d’un cadav re au rait pu se p rêter à to u t sau f à être le sarco p h ag e de l’Ame, la seule force cap able de réveiller la n atio n et de lui red o n n er vie.

C ’est p o u rq u o i, la réponse logique au Roi C ad av re devait être bientôt le Roi E sprit, véritable source de déification de l’être, déification de l’hum anité. Slow acki définit la religion de l’ancienne E gypte co m m e une prison de l’âm e. Plus tard , en 1844, c’est la F ran ce q ui devien dra l’Egypte, cette F ran ce où l’âm e et la noblesse étaient tom bées en déchéance. C ’est p o u rq u o i le spiritualism e do n n e l’im p resion d ’être une g ran d e v ariatio n sur le th èm e de la déclaratio n faite p ar Iahvé au peuple élu: «Je suis Iahvé, to n D ieu, qui t’ai fait so rtir d u pays d ’Egypte, de la m aison des esclaves» (Ex. 20, 2).

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La sortie de la maison des esclaves

Słow acki a co m m uniqué une o p inion b eau co u p plus app rofon die sur le con ten u a n th ro p o lo g iq u e de la religion de l’ancienne E gypte dans la Lettre à Aleksander Holyński. C ette lettre co nstitu e un bel exemple du respect q u ’éprouvaient les g rands ro m an tiq u es polonais p our l’oeuvre poétique du m erveilleux classique S tanisław T rem b ec­ ki. Słow acki est redevable — écrivit Ju lian K rzyżanow ski — de son talent à filer la m étap h o re à «sa lecture attentive de T rem becki qui a aussi servi de m aître au jeu n e M ickiewicz dans ce dom aine». K rz y ża­ nowski cite com m e exem ple la description du parc lond on ien d ans

Kordian. D ’ailleurs, com m e il devait apparaître, en dép it de la fine

raillerie du style de Delille et de la poésie classique descriptive, Słow acki utilisait ce style assez souvent et cela m êm e dans Król-

Duch (Le Roi Esprit). D ans la lettre égyptienne, certains fragm ents

laissent l’im pression d ’être un pastiche v olontaire de Sofiówka. La th ém atiq u e de cette épitre est très diverse, m ais le héros principal — com m e l’on pouvait s’y atten d re — en est la momie. En définitive, l’E gypte était le pays des mom ies, et si l’on tient co m pte de ce que la pyram ide était le palais d’un corps em baum é, nous co m prenons p o u rq u o i pour, b eau co u p de voyageurs, y com pris p o u r Słow acki, le m ystère de l’E gypte se terrait d ans les sarcophages.

A vant de p rend re connaissance des opinions du poète, voyons com m ent le g ra n d philosophe de l’épo que ro m an tiq u e, Hegel, co m ­ prenait ce m ystère, car en effet son point de vue sur cette questio n était original et m érite q u ’on s’y arrête. Hegel estim ait que le cérém onial de la m om ification exprim ait entre au tres le culte de l’hom m e en ta n t q u ’individu, en ta n t q u ’entité au to n o m e.

Chez les Egyptiens, l’opp osition entre les vivants et les morts se manifeste dans toute sa netteté; le principe spirituel com m ence ici à se séparer de ce qui est non- -spirituel. Ce qui, peu à peu se forme maintenant, c’est la création d’une âme concrète, individuelle. Les morts sont en quelque sorte retenus en tant qu’unités individuelles, et en tant que telles, immortalisés et conservés, ce qui s’opp ose à l’idée de passage et de retour de tout à la nature, de mélange universel, de fonte et de dispersion de tout. Le caractère d’unité est le principe de la conception qui veut que le facteur spirituel soit indépendant: l’âme, en effet, ne peut avoir d’existence que com m e individuum, com m e personnalité.

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«noyau de l’âme». C ’était en fait le tem ple du sujet, le san c tu a ire où se conservait le principium individuationis:

En ce sens, les monum ents funéraires égyptiens sont les temples les plus anciens; l’essentiel, le centre du culte est le sujet — chose individuelle qui possède un sens en soi, et qui s’exprime par soi-m ême, qui est quelque chose de différent de sa demeure, construite uniquement com m e une enveloppe subordonnée.

La p lu p art des ro m an tiq u es pensaient égalem ent que la civilisa­ tion égyptienne avait b eau co u p fait p o u r l’hum anité, car elle lui avait fait prendre conscience de la signification de l’hom m e en ta n t que personne, en ta n t q u ’individu, mais sim ultaném ent, presque tou s les ro m an tiq u es qui voyagèrent dans ces lieux, ne fut-ce q u ’en im ag in a­ tion, étaient irrités p ar le culte exagéré du corps. Ils voyaient d ans cette attitu d e particulière envers le m ort un culte de la m atière, de la m ort, du néant. Ils étaient d ans l’ensem ble des spiritualistes in tra i­ tables, aussi une telle a d o ra tio n des dépouilles ne pou vait q ue leur déplaire. La m om ie rapp elait à C h a te a u b ria n d le trio m p h e de la m ort. La vie mom ifiée perdait co n tact avec le véritable m ouvem ent d ans le tem ps et d ans l’espace. Elle devenait an a ch ro n iq u e et im p uis­ sante. N erval estim ait que l’E gypte était et co n tin u ait à être le pays du culte de la m ort. La scène du déjeuner de C léo p âtre avec une m om ie prouve que chez N orw id, à re n c o n tre des croyances des anciens Egyptiens, le rite de l’em bau m em ent des cadavres était considéré com m e l’expression du culte du N éant. P ar co n tre p o u r Słow acki, c’était une civilisation a d o ra n t le cadavre. Le hiéroglyphe, com m e to u t rêve incom pris, est une dépouille de l’inconscient. Le Sphinx, p o u r b eau co u p de poètes sym bole du m ystère de l’existence, com m e ch aque sym bole m uet est le cadavre d ’une pensée. La pyram ide est la forteresse d ’un corps desséché, a b a n d o n n é p ar l’âme. C om m e to us les néo-platoniciens, Słow acki estim ait que le corps est la prison de l’âm e, et d onc la religion égyptienne lui a p p a ru t com m e une apologie d a la m aison de l’esclavage de l’âme. L’E gypte avait em prisonné l’inconscient dans un rêve incom préhensible et la co n s­ cience dans un sym bole indéchiffrable. P o u r Słow acki, la m om ie était le signe de la perte du principe spirituel, d onc de l’essence m êm e de la vie.

Au Roi C adavre, Słow acki opp o sait Moise, le Roi P rop hète, qui conduisit le peuple élu hors de la m aison de l’esclavage. D ’ailleurs, très peu de tem ps plus tard , à l’ép o qu e m ystique, il acquit la

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Tombeaux vides 75

conviction que le poète pouvait devenir un tel M oïse de la natio n polonaise, qui ferait so rtir la n ation de son état de léthargie et lui parlerait de sa vocation. A l’Egypte an tiq u e il opp osait l’Egypte des prem iers chrétiens, pays légendaire des erm ites, m éprisant la poussière, oeuv ran t à perfectionner l’âm e. A u-dessus de la Vallée des T om beaux, il plaçait la T hébaïde chrétienne — centre célèbre du m onachism e. Et c’est p ou rquoi, à la fin, il su b stitu a à la pyram ide de pierre du Roi C ad av re l’ex tra o rd in aire pyram ide de l’Ame: l’oeuvre artistiq u e de S hakespeare, m onum ent élevé dans le m onde de l’im a­ gination.

L’E gypte occupera une place bien déterm inée dans la future religion syncrétique de Slow acki.

Il travailla, d ans les années q u aran te, à une oeuvre d an s laquelle il te n ta it de décrire et d’expliquer la Q uestion Divine, la gran de odyssée spirituelle de l’hum anité. Ce qui devait être le prem ier ch a p itre de ce chef-d’oeuvre de la philosophie ro m an tiq u e polonaise est Le Dialogue triple auquel prennent p art Le M aftre, H élion et Héloïse. La troisièm e conversation, dernière partie du dialogue qui est la version ro m an tiq u e du Banquet de P laton, co nstitue la reco nsti­ tu tio n du chem in de la ré in carn atio n des trois particip an ts au festin spirituel. Le M aître est l’archétype du pro p h ète de Dieu, H élion et Héloïse sont les âm es éternelles de l’hom m e et de la femme. G râce à des réin carn atio n s successives dans différentes «formes hum aines», ce qui leur p rocu re un m ouvem ent incessant, tous trois subissent un gran d processus de perfectionnem ent spirituel. L’âm e n’évite pas les formes végétales ou anim ales. P ar exemple, Héloïse, avant de devenir au paradis la prem ière «forme hum aine», Eve, avait été une rose, un rossignol et une biche. En Egypte, elle s’était incarnée en Isis, et ro d a it a u to u r du tem ple de K a rn a k . Le M aître enseigne q u ’elle avait apprivoisé des form es anim ales la m enaçant de l’enfer, c’est-à-dire du N éant.

Le M aître enseigne égalem ent que d ans l’histoire de la Q u estion Divine, l’Egypte avait été, bien sûr, une étape provisoire, m ais non

d ép o u rv u e d ’im p ortance. Elle avait con stitu é une expérience

négative, sans laquelle le progrès hu m ain était im possible. De son histoire, il résulte que l'idée de l’im m ortalité des cadavres, idée sur laquelle Slow acki avait ta n t écrit dans ses lettres poétiques d ’Egypte, provenait de «la pitié du corps», ce qui eut p our résultat le «m épris

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de l’âm e de l’hum anité». Elle était liée au m ythe de l’éternel retou r. A rrêtons-no us un in stan t à ce m ythe qui — affirm ait Słow acki, très justem ent sem ble-t-il — co m p o rte l’expression de l’idô latrie du m o n ­

de m atériel ou p o u r utiliser sa langue de «la religion du

m atérialism e».

T an t en E gypte q u ’à R om e elle a engendré la foi d an s la G ra n d e Année. En fait, il fau d rait dire q u ’elle a do n n é naissance à deux croyances différentes. O n appelait G ra n d e Année to u t l’espace et to u t le tem ps cosm ique qui décidaient de la d ispositio n des élém ents et des ra p p o rts d ans le «tem plum », c’est-à-dire d an s le cosm os gouverné p a r le principe divin et im prégné p ar une volonté s u rn a tu ­ relle. La G ra n d e Ąnnće du re ju sq u ’au m om ent où le systèm e planétaire et stellaire revient au p o int de d épart. Des élém ents de sép aratio n s im p o rta n ts à l’intérieur de la G ra n d e Année étaient constitués p ar ce q u ’on appelait des seuils. Ils se m anifestaient en règle générale p ar une ca ta stro p h e tellurique, un déluge ou l’incendie du m onde. L’idée de la G ra n d e A nnée était d o nc en relation avec la foi en des tran sfo rm atio n s m orales et rév olu tion naires du m onde. «P rim itivem ent — écrit M ieczysław P opław ski — celles-ci étaient dépo urvues de m ysticism e p h ilosop hique et exem ptes dé cata stro p h es physiques, c’étaient des tran sfo rm atio n s m orales et religieuses des génération s actuelles. Chez Virgile, toutefois, elles a p p o rta ie n t déjà le reno uv eau universel du cosm os et la purification m orale de l’h um anité. C ’est de cette tra d itio n ju stem en t que dérivait la foi des adeptes de T ow iański en la révolu tio n pré-décidée, d ans les c a ta s tro ­ phes cosm iques périodiques qui régénèrent l’hum anité. L’idée de la G ra n d e A nnée était toutefois liée à la conception fataliste de l’histoire, au concept que les tran sfo rm atio n s sont am orales et, à vrai dire, in u ­ tiles. D an s l’A ntiquité déjà la spécu lation de la G ra n d e A nnée qui devait se term in er p ar un incendie universel ou un déluge, [ . .. ] avait perdu, en quelque sorte, son caractère m o ral; en effet, le seuil cosm ique du tem ps ne purifiait pas des péchés, ce qui avait lieu lors

du franchissem ent du seuil saecula, m ais initiait une chafne

entièrem ent nouvelle, bien q u ’identique, de la vie tellurique et de l’histoire de l’h um anité, avec la pureté prim itive, avec la lente croissance du péché et du mal». C ’est à cette tra d itio n q u ’il faut à son to u r ra tta c h e r l’affirm ation d ’un des philosophes exp rim an t d an s

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du m onde à des form es déterm inées par le ra p p o rt des élém ents dans la G ra n d e Année tran sfo rm ait l’histoire hum aine en une ro nd e insensée.

C ’est ce deuxièm e concept qui a inspiré à Isis d an s Le Dialogue

triple la foi en l’im m o rtalité des cadavres. «Si les étoiles reviennent,

nous aussi, nous re v ie n d ro n s ...» D ’où l’idée d ’em b au m er les corps, et to u t ce cérém onial en ra p p o rt avec la foi en une nouvelle vie dans la résu rrectio n des corp s qui, selon la croyance générale en Egypte, devait survenir trois mille ans plus ta rd , lorsque les étoiles au raien t repris leur position prim itive. C ’est le tem ps que devait durer la G ra n d e Année, croy ait-on. Et voila que le M aître, d o n t la nouvelle in carn atio n était bien sûr Słow acki, en trait dans le to m b eau d’Isis après ces trois mille ans légendaires; com m e M arie-M adeleine ou les trois saintes femmes, qui le m atin pascal allèrent voir le to m beau du C hrist, il d em an d a où étaient to us ceux qui avaient cru dans leur résurrection égyptienne. A yant tro u v é le sarco ph age vide, il accusa la religion d ’Isis d ’im posture. C ’est la m ême idée q u ’exprim e dans

Samuel Zborow ski le choeur m agnifique des esprits, expliquant le

rêve d ’E olion d ’une in carn atio n égyptienne:

O! sm ętny — o! kochany! Srodze ty o szu k a n y ... Przez sfinksow e aleje Piasek stepow y w ieje... Jaszczurki łuską brzęczą

I ludzi się nie boją. Palmy przy sfinksach stoją, W palmach wielbłądy klęczą. Na Luksoru wyżyni C icho jak na p u sty n i...

Przeszło lat trzy tysiące. T o sam o złote słońce

Przez niebiosa się pławi.

[O! triste — o! aimé! / Cruellement tu as été tr o m p é... / Par les allées des sphinx / Le vent de la steppe so u ffle... / Les lézards font bruisser leurs écailles / Et n’ont plus peur des hom m es. / D es palmiers se dressent près des sphinx / D ans les palmeraies les cham eaux s’agenouillent. / Sur le plateau de Louxor / Il fait calme com m e dans le d ésert... / Trois mille ans ont passé. / Le même soleil d’or / D ans le ciel se baigne.]

U ne accu sation ab solum ent id entiqu e term ine les réflexions du poète sur le sens de la religion de l’ancienne Egypte d an s la Lettre à

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Aleksander Holyński. C ette accusation explique égalem ent po u rq u o i

Słowacki considérait que le personnage le plus im p o rtan t de l’époque égyptienne était Moïse. Suivant la tra d itio n biblique, M oïse est la rep résen tatio n d ans Y Ancien Testament du C hrist. C om m e le C hrist le fit p our to u te l’hum anité, il a, lui, fait so rtir le peuple élu du pays d ’Egypte, de la m aison des esclaves. Selon la conception du M aître, M oïse allum a p o u r l’hum anité «le beau soleil m oral», éteignit par là m ême «le soleil logique d ’E gypte» et découvrit en quoi consistait l'étape su ivante de la Q uestion Divine. Il était un révélateur qui, violant une des lois éthiques, conduisit l’hu m anité à travers le sang et le crim e ju s q u ’au C hrist, ju s q u ’au soleil qui, dans le corps-cercueil, dans la «form e h um ain e» fragile et tem po raire, allum e la véritable lum ière de l’âme.

C'est d an s les mêmes «oeuvres philosophiques» que l’énigm e de la pyram ide tro u v a sa solution, égalem ent dans l'esprit des lettres poétiques d ’Egypte. Les to m beaux des p h arao n s y sont traités com m e une pyram ide de la form e qui oppressait l’âm e du libérateu r de l’hum anité. Moïse. A cette époque Slow acki-M aftre ten ta de co n s­ tru ire une pyram ide de m ots. C ’est en fait un genre de poésie figurative dont les vers form ent une image. Les poètes grecs de l’époq ue alexandrine com posaient de telles poésies en form e de croix, de coeur, de vase, de triangle et m ême de hache. Słow acki a fait des antinom ies le m atériau de sa pyram ide, d o n t la base est constituée par la «révo lution scientifique du XIXe siècle» qui de l’hom m e, de «sa pensée et de ses sens» a fait «la form e et le p hénom ène du m onde». Ensuite, sur la personne hum aine repose l’an tin om ie entre la form e qui perm et le m ouvem ent à l’âm e et l’am orphism e, c’est-à- dire la stag n atio n . Le corps en tan t que form e est d ’une im p ortan ce extrêm e, car il perm et à l’âm e de continuels voyages, qui ont p o u r conséquence de la perfectionner et de l’élever to u jo u rs plus haut. C ’est p o u rq u o i, au-dessus de la form e et de l’am orph ism e repose une couche de lum inosité et d ’obscurité, c'est-à-dire la vie et le néant, étape ou plu tô t m arche suivante du com b at p ou r «le but final» qui co u ro n n e la pyram ide de l’âm e. Définir la vie com m e une lum ière est caractéristiq u e de la Bible to u te entière, et surto u t du Livre de Job. Le som m et de la pyram ide et la solu tion de l’an tino m ie est l’Ame en Dieu, appelée aussi par Słow acki la Jérusalem du Soleil:

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Lumière

I II

M ouvem ent F orm e

I II Magnétisme N ord Sud I I Ame en Dieu Lumière II et O bscurité III M an q u e de m ouvement III IV Electricité Positive et Négative

Dieu cruel

La principale lecture des voyageurs polonais qui, au XIXe siècle partaient pour la Palestine et pour l’Egypte, était la rem arquable oeuvre de Mikołaj K rzysztof Radziwiłł Pamiętnik z pielgrzymki do

Ziemi Świętej (Mémoirs de pèlerinage en Terre Sainte). Il est vrai q u ’à

l’époque du R omantisme, c’était l’ancienne trad u c tio n du latin faite par Treter qui était encore lue, mais même dans cette version les mémoires sarmates faisaient sur le lecteur une forte impression. Aurait-il pu en être autrem ent? O u v ra n t la page adéquate, on pouvait com parer quel était l’aspect du m on u m en t célèbre quelques siècles plus tôt, ce qui n’était pas sans a p p o rte r une g ra n d e satisfac­ tion au touriste quel q u ’il soit.

Pour Słowacki, ce petit livre avait encore une signification supplémentaire. A dm irateur de Pasek et futur a u teu r de Z ło ta czasz­

ka (Crâne d'or), il s’était aperçu que c’était là une fantastique image

de la m entalité du m agnat polonais. C ’est pourquoi, un peu plus tard, après son voyage, il écrivit une sorte de prologue stylisé, mais fait avec bea u co u p de tact, pour cette oeuvre. Il d o n n a à cette prose rem arquable q u ’il transform a en étude délectable de la religiosité sarm a te le titre: Preliminaria peregrynacji do Ziem i Świętej J.O.

Księcia Radziwiłła Sierotki (Préliminaires au pèlerinage en Terre Sainte de S./L le Prince Mikołaj K r z y s z t o f Radziwiłł).

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Bien que je sois un fervent ad m ira te u r de cette oeuvre, ce n’est pas de sa valeur artistiq u e q u ’il s’agit en ce m om ent p o u r moi. C ’est le titre qui m ’intéresse avan t tout. Prélim inaires signifient préparatifs. Słow acki décrivit réellem ent l’affairem ent du prince sarm a te avant son dép art p o u r la T erre Sainte. Ainsi, ch aqu e fois q ue je pense au voyage du poète en Palestine, ce pèlerinage m’ap p a ra ù com m e une p ré p ara tio n au g rand to u rn a n t spirituel qui tro u v era avant peu son expression com plète d an s la splendide poésie de l’ép oq ue m ystique. C ette poésie, phénom ène to u t à fait exceptionnel et inim itable, éto n n e tan t par sa sagesse in q u iétan te que p ar son art adm irable. C 'est là un inestim able tréso r de la culture polonaise et c’est p o u r­ quoi il est si im p o rta n t de com p ren d re la tran sfo rm atio n intérieure du poète à laquelle nous som m es redevables de cette oeuvre. E s­ sayons donc d ’ap p réh en d er ce qui advint au poète p end an t ses pérégrinations dan s le pays où il tro u v a le signe d ’une au tre culture, d ’une au tre religion: un second to m b eau vide, cette fois-ci non celui de l’hom m e-dieu, le p h arao n , mais celui du D ieu-hom m e, le C hrist.

Le poèm e Ojciec zadżum ionych (Le Père des pestiférés) est conçu d’après une histoire en tendu e par le poète à El Arich. L’endro it lui- -m êm e où ce dram e lui fut raco n té n’est pas indifférent, car il a, en un sens, un caractère sym bolique. Cela se passe à la frontière entre l’E gypte et la T erre Sainte. C ’est là que Słow acki se détach era du culte égyptien du cadavre, et c’est là égalem ent, av an t q u ’il ne pénètre dans la patrie du D ieu-hom m e chrétien, q ue sera mise à nu la n atu re du D ieu des cultures préchrétiennes de cette région du m onde, du D ieu ty ran d ’une cru a u té im placable. Il n’est pas sans im po rtance no n plus que la tragédie se déroule pen dan t la q u a r a n ­ taine — l’hom m e cesse d ’être p o rteu r de germ es seulem ent q u a ra n te jo u rs après avoir été en co ntact p o u r la d ernière fois avec un cadavre. Q u a ra n te est un n om b re sym bolique de Y Ancien Testament. C ’est pendan t un tel no m bre d ’années que Iahvé en co u rro u x fit errer le peuple élu d an s le désert, ju s q u ’à ce q u ’ait péri to u te la gén ératio n qui avait osé s’o p p o ser aux décrets du M aftre du M onde. C ’est un tel n om b re de jo u rs que le m alheureux hom m e du Liban a tte n d ra le verdict. Ce nom bre signifie d on c tem ps de c ra in te et d ’attente. C ’est à vrai dire le nom b re de la m ort. D ans le Nouveau

Testament, il ap p a rtien t déjà entièrem ent au S aint-E sp rit. C ’est q u a ­

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