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Gottfried Wilhelm Leibniz et les fondements du calcul infinitesimal

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O R G A N O N 5 (1968) LE 250e ANNIVERSAIRE DE LA MORT

DE G. W. LEIBNIZ

A. P. Y ouschkevitch (U.R.S.S.)

GOTTFRIED WILHELM LEIBNIZ ET LES FONDEMENTS DU CALCUL INFINITESIM AL *

I

Dans l’histoire de l ’hum anité il y a eu peu de penseurs dont l ’activité intellectuelle et pratiq u e eût été aussi universelle et aussi féconde que celle de Leibniz. Il s ’intéressait aussi bien à l’exploitation des mines qu ’à la m étaphysique de la religion. Il a non seulem ent conçu le plan d ’une expédition contre les Turcs, mais aussi, avec beaucoup plus de succès, élaboré des p ro jets pour la fondation de nouvelles sociétés sa­ vantes et il fu t l’un des organisateurs de l’Académie des Sciences de B er­ lin et un des conseillers de P ierre le G rand lorsque celui-ci se p ré ­ parait à fonder une Académie des Sciences à S aint-P étersbourg. Dans l’histoire de la mécanique, le nom de Leibniz est attaché à la notion des forces vives, en biologie — à la doctrine du préform ism e, en psycholo­ gie il tenta, le prem ier, une incursion dans la sphère du subconscient. Mais ses m érites les plus im portants ap p artien n en t au domaine des m athém atiques et c’est bien l ’em preinte de cette science que p o rten t tous les tra its essentiels de son activité créatrice.

La m ultitude des thèm es m athém atiques auxqels Leibniz s ’est in té ­ ressé était aussi surprenante. La logique m athém atique, les calculs n u ­ mériques, la théorie des nombres, l ’algèbre, l ’analyse com binatoire et la théorie des probabilités, l ’analyse, la géom étrie analytique et pro­ jective — voilà une énum ération incom plète des disciplines m athém a­ tiques qui ont attiré son attention et dont chacune lui doit des contri­ b u to rs originales. Bien que Leibniz se fû t adonné à des recherches m a­ thém atiques aussi variées, em brassant pratiq u em en t toutes les branches de cette science dans l ’état où elle se tro u v ait en ce temps, il n ’en est pas moins v ra i que son oeuvre m anifeste une profonde unité in tern e qui

* Conférence faite le 18 novem bre 1966 à la séance d’avant-m idi du Congrès International Leibniz à H anovre. T rad u it de l’allem and.

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s’explique p ar le fait que Leibniz a poursuivi, pendant des dizaines d’années, un but: celui de créer une m éthode universelle m athém atique ou même m étam athém atique. Ce travail a mené, en particulier, à des inventions aussi rem arquables que le calcul différentiel et intégral, ou le projet, seulem ent ébauché par Leibniz lui-mêm e, de YAnalysis situs.

L ’idée d ’une m éthode universelle de recherche et de dém onstration, qui était au centre même de la conception leibnizienne du monde, a une longue préhistoire. Ses sources rem ontent à la philosophie du M oyen- -Age; on en trouve des germes chez Raym ond Lulle au X IIIe siècle et — sous une au tre form e — chez les savants des écoles d ’Oxford et de P a ­ ris du XIVe siècle, tels R. Swineshead et N. Oresme. Les éclatants succès des sciences naturelles et de l’algèbre au X VIe siècle et au commen­ cem ent du X VIIe ont posé avec une extrêm e urgence le problèm e de la création de méthodes générales dans la recherche scientifique. Ce problèm e a été abordé p ar de nom breux savants et penseurs de l’époque, dont la p lu p a rt étaient bien conscients de l ’insuffisance des outils dont disposait l ’ancienne logique, entre au tres la syllogistique rhétorique d’A ristote et de ses adeptes et critiques du Moyen-Age. On a ten té de résoudre ce problèm e en p ren an t pour point de d ép art différents points de vue philosophiques, qui étaien t m anifestem ent contradictoires, mais, en fait, se com plétaient m utuellem ent. Telles étaient, p ar exemple, la méthode em pirique inductive de Francis Bacon et la m éthode rationnelle déductive de René Descartes. Le savant philosophe français croyait fe r­

m em ent à l’existence d ’une science qui serait capable de to u t expliquer en ce qui concerne l’ordre et la m esure, science q u ’il désignait comme une Mathesis universalis. La m athém atique universelle de Descartes était en fait une synthèse de la géom étrie et d ’une algèbre symbolique perfectionnée par lui-mêm e. Les parties composantes les plus im portan­ tes en étaien t la géom étrie analytique e t le procédé algébrique qui se r­ vait à déterm iner les tangentes et les norm ales aux courbes algébriques. Après avoir tenté à quelques reprises de pénétrer dans le domaine des problèmes transcendants, Descartes constata que sa m éthode algébrique était incapable de les résoudre et fut obligé d ’en dépasser les limites. Le conflit qui se m anifesta à cette occasion en tre la m athém atique u n iv er­ selle cartésienne et les exigences des m athém atiques et de la mécanique de l’époque, dans lesquelles les courbes et les fonctions transcendantes in ­ tervenaient de plus en plus, ne fut résolu ni p ar D escartes ni par ses dis­ ciples directs, tels Debeaune, F. van Schooten et d ’autres. Le cartésianism e resta im puissant devant la science de l ’infini, sans laquelle il était pour­ tan t impossible d ’étu d ier en règle la sphère du fini. Quelques dizaines d ’années plus tard, ce conflit a été tranché de principe et pratiq u e­ m ent p ar Leibniz et Newton.

En quête de nouvelles méthodes de recherche on a essayé de tran sfo r­ m er la logique elle-même en la fondant sur une base algébrique et de

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Leibniz et le calcul infinitesim al

l’adapter aux exigences croissantes de la nouvelle science. Ainsi, le géo- m etre J. Jungius de Lübeok a avancé dans sa Logica Hamburgensis (1638) l’idée de construire la logique comme un genre de calcul m athém atique et fit en même temps rem arq u er que la syllogistique classique était in su ­ ffisante pour englober toutes les im plications qui p o u rraien t se p résen ter dans la recherche scientifique. C onnaissant bien toutes les oeuvres de ses prédécesseurs qui lui étaient accessibles, Leibniz était d ’avis que dans la théorie de la dém onstration personne n ’avait p énétré aussi loin que le savant de Lübeck.

Dès ses jeunes années Leibniz avait conçu l ’idée d ’une m athém atique universelle. Il développa to u t d ’abord le p ro jet d ’un langage scientifi- gue universel. Après avoir pris un contact plus étroit avec l ’algèbre sym ­ bolique il eut i’idée de créer, en adoptant celle-ci pour modèle, une logi­ que universelle symbolique q u ’il appela Characteristica universalis.

Tous les concepts existants sont ram enés à des concepts prim itifs et chaque concept prim itif est désigné p a r un signe convenable, le caractère, qui lui correspond d ’une façon biunivoque. Ces caractères constituent en quelque sorte un alphabet de la pensée hum aine. «Les c a r a c t è r e s — écrivait Leibniz — sont des choses quelconques au moyen desquels on peut exprim er les relations entre d ’autres choses et dont l’usage est plus facile que celui de celles-ci» (Characteres su n t res quaedam , quibus aliarum reru m in ter se relationes ex prim untur, et qu aru m facilior est quam illarum tra c tatio ) 1. Les idées compliquées s ’exprim ent, d ’après des règles déterm inées, par des combinaisons des concepts prim itifs et, par conséquent, en com binant les caractères; les raisonnem ents sont remplacés p ar des form ules et des équations. Tout le processus de la pensée est ainsi form alisé et transform é en un algorithm e régulier spéci­ fique, un Calcul. Le propre des mots est d ’avoir une signification équi­ voque, ce qui provoque des m alentendus réciproques et des controverses sans raison; de plus, les mots ne se p rê te n t pas au calcul. En in tro d u i­ sant la caractéristique universelle, qui opère avec ses caractères comme l ’algèbre avec les lettres, il serait possible de résoudre le problèm e des dém onstrations et de tran c h er en principe toutes les controverses. Leib­ niz pensait que dans le cas où il su rg irait des différences d ’opinions entre savants et philosophes, il su ffirait de faire les calculs nécessaires et de s ’entendre en disant: calculons! Leibniz attrib u a it à la caractéristique universelle le pouvoir de résoudre tous les problèm es théoriques p ar un procédé purem ent algorithm ique. Elle d ev rait devenir un appareil de dém onstration véritablem ent universel pour toutes les sciences et s u r­ to u t pour les m athém atiques. Leibniz ne se contenta pas d ’annoncer son plan de la caractéristique universelle. Il trav ailla pendant de nom breu­ ses années à créer les fondem ents de la logique symbolique.

1 Leibnizens m athem atische Schriften, hgs. von C. T. G erhardt (= LMS).

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M aintenant que K. Gôdel et d ’au tres ont publié leurs trav au x sur le problèm e de la décision, il est clair que le rêve le Leibniz, qui cherchait à créer un algorithm e universel capable de v érifier toutes les proposi­ tions possibles d ’une théorie quelconque, ne saurait, pour des raisons de principe, être réalisé. Néanmoins les m érites de ce grand penseur comme pionnier et précu rseur de la logique sym bolique et de la théorie des algo­ rithm es, dont les conséquences théoriques et pratiques sont au jo u rd ’hui si im portantes, sont im m ortels.

Les idées fondam entales de la m athém atique universelle ont eu une grande influence su r toute l’activité m athém atique de Leibniz. Je voud­ rais insister ici su r l’im portance q u ’il a attachée aux notations. »11 fau t avoir soin — écrivait-il — d ’em ployer des signes commodes pour la décou­ verte. Cela peut se faire le m ieux lorsque les signes exprim ent briève­ m ent et reflè ten t en quelque sorte la n atu re intim e des choses, de sorte que le trav ail de la pensée en est m erveilleusem ent dim inué« (In signis spectanda est commoditas ad inveniendum , quae m axim a est quoties rei n atu ram intim am paucis exprim unt et velut pingunt, ita enim m irifice im m inuitur cogitandi la b o r)2. Cette préoccupation de douer de nota­ tions convenables les algorithm es correspondants a toujours été le souci de Leibniz et elle a produit des fru its dignes d ’adm iration.

II

Comme exem ple de la féconde influence des idées générales de Leibniz, dont nous venons de parler, sur ses recherches m athém atiques concrè­ tes on peut citer les indices et les d éterm inants introduits par lui pour la résolution des systèm es d ’équations algébriques linéaires, invention qui a contribué plus ta rd à la form ation de toute l’algèbre linéaire. Un au tre exemple, c’est son projet de calcul géom étrique, qui a été déve­ loppé avec succès dans les trav au x de H amilton, G rassm ann et Môbius. Mais l ’exem ple le plus convaincant et le plus im p o rtan t est la création du calcul différentiel et intégral, dont Leibniz a exposé les fondem ents dans ses notes m anuscrites à p a rtir de 1675 et auquel il a consacré de nom breux mémoires publiés en 1684 et plus tard.

Après 1670 les m athém aticiens réalisèrent de grands progrès dans l’élaboration de différentes m éthodes infinitésim ales p erm ettan t de dé­ term in er les tangentes et les valeurs extrém ales, de calculer les q u ad ratu ­ res et les centres de gravité, de déterm in er la vitesse en connaissant la longueur du chemin parcouru et, inversem ent, de tro u v er cette longueur pour une vitesse donnée etc. Non seulem ent les fonctions algébriques, mais aussi les fonctions logarithm ique et circulaires d evinrent des

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L eibniz et le calcul infinitesim al 1 5 7

tions d ’usage courant. En utilisan t le langage m oderne on peut d ire que les m athém aticiens de ce tem ps savaient résoudre, pour les fonctions des classes les plus simples, les problèm es qui relevaient de la dérivée prem ière, souvent aussi de la seconde, effectuer différentes intégrations et transfo rm er certaines intégrales en d ’autres et vice-versa. Sous form e géom étrique ou mécanique, le caractère inverse des opérations de l ’in té­ gration et de la différentation a été reconnu. Les prem iers pas ont été faits dans l ’étude d u «problème inverse des tangentes», c’est-à-dire dans l’intégration des équations différentielles ordinaires d u p rem ier ordre. Enfin, on a découvert les prem iers développem ents de fonctions en sé­ ries de puissances.

C ’est pourquoi quelques historiens des m athém atiques ont cru pou­ voir attacher différents noms à la découverte du calcul différentiel et intégral. Q uelques uns a ttrib u e n t l’honneur de cette découverte à P. F er­ m ât, d’autres à B. Pascal, d ’autres encore à I. Barrow. Dans cet ordre d ’idées on cite aussi parfois le nom d ’Archimède. Mais le plus souvent on considère comme inventeurs du nouveau calcul N ew ton ou Leibniz, ou encore l ’un et l’autre. A m on avis, cette d ernière opinion est correcte, notam m ent parce que seuls N ewton et Leibniz ont donné aux opérations infinitésim ales fondam entales la form e d ’un algorithm e.

En effet, il s ’en fallait de beaucoup que les brillantes découvertes qui ont été faites dans les deux prem iers tiers du X VIIe siècle fussent deve­ nues un calcul opérationnel. Aussi bien chez F erm ât que chez Pascal et d ’au tres savants du X V IIe siècle, (a fortiori chez Archim ède) il m an ­ quait un systèm e uniform e de concepts fondam entaux et de notations convenables, assujetties à des règles d ’opérations déterm inées. Le cal­ cul différentiel et intégral n ’est pas seulem ent un ensem ble de diverses méthodes servant à déterm in er les tangentes et les valeurs extrém ales, à effectuer des quadratures, des rectifications, des cubatures etc. Tout cela, et encore plus, app artien t bien au calcul différentiel et in tég ral (ou à ses applications), m ais ce calcul est encore quelque chose de beaucoup plus grand: c ’est un calcul opérationnel basé su r un systèm e de concepts a rith ­ m étiques généraux, exprim és p ar des signes de n atu re algébrique, dans le­ quel les opérations sont définies â l ’aide de ces signes. Leibniz était bien con

scient du problèm e de l ’algébrisation de l’analyse m athém atique, posé et résolu p ar lui. C om parant son calcul au procédé de D escartes, dans lequel les fonctions transcendantes étaien t bannies de sa m athém atique universelle, et aux méthodes de Cavalieri et de Wallis, il écrivait:

«L’analyse nouvelle des infinis ne regarde ni les figures, ni les nom­ bres, mais les grandeurs en général, comme fait la specieuse ordinaire [l’algèbre]. Elle m ontre un algorithm e nouveau, c’est-à-dire une nou­ velle façon d ’ajouter, de soustraire, de m ultiplier, de diviser, d ’ex traire, propre aux quantités incomparables, c’est-à-dire à celles qui sont in fi­ nim ent grandes, ou infinim ent petites en com paraison des autres. Elle

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emloye les équations ta n t finies q u ’infinies [les séries infinies]... elle se sert d ’une nouvelle affection des grandeurs variables, qui est la v aria­ tion même, m arquée par certains caractères et qui consiste dans les di­ fférences, ou dans les différences des différences de plusieurs degrés [les différentielles], auxquelles les sommes [les intégrales] sont récipro­ ques, comme les racines le sont aux puissances». 3

Au cours de ses tra v a u x su r le nouveau calcul Leibniz introduisit, pour la prem ière fois ou d ’une façon toute nouvelle, les notions de quan­ tités constantes et variables, de fonction, de param ètre, de différentielles de différents ordres, d ’intégrale, d ’équation différentielle et beaucoup d ’autres. Il im agina lui-mêm e, ou en collaboration avec ses disciples Jean et Jacques Bernoulli, des term es aptes à exprim er ces notions. Il dévelop­ pa avec soin des notations convenables et des règles de calcul qui se sont prouvées durables. Il indiqua les prem ières applications du nouveau calcul à de nom breux difficiles problèm es de géom étrie et de mécanique. La solution de cas p articuliers était d ’ailleurs pour lui de m oindre im por­ tance. Il avait coutum e de dire que son souci é ta it non pas de résoudre des problèmes, m ais de développer des m éthodes, puisque to u te méthode particulière com prend une in finité de solutions. E t il attach ait la plus grande im portance au perfectionnem ent d u calcul infinitésim al, en atte n d an t que l ’application de cette m éthode m ènerait à d ’énormes suc­ cès dans toute la physique. Il espérait aussi que la form ation du nouveau calcul serait bientôt achevée. En 1691 il écrivait à Huygens: «Je souhait- te que nous puissions encore dans ce siècle p o rter l ’analyse des nombres et des lignes à sa perfection, au moins quant au principal, u t hac cura genus hum anum absolvamus, afin que doresnavant on tourne toute la subtili­ té de l ’esprit hum ain à la physique» 4. Cet espoir quelque peu hardi témoigne de l ’enthousiasm e avec lequel Leibniz trav aillait à sa nouvelle analyse.

En m ai 1684 Leibniz publia dans les A cta E ruditorum son prem ier m émoire sur le calcul différentiel, publication qui fit époque dans l ’évo­ lution de l ’analyse m athém atique. C’é tait la célèbre „Nouvelle méthode des m axim a et m inima, et aussi des tangentes... avec un nouveau genre de calcul s ’y rap p o rta n t” (Nova m ethodus pro maxim is et minimis, item - que tangentibus ... et singulare pro illis calculi genus). Ce bref article contenait la définition de la différentielle (differentia) et le signe d que nous employons encore pour la désigner, la règle de différentiation de la somme, de la différence, du produit, du quotient et de la fonction puis­ sance, le théorèm e extrêm em ent im portant sur l’invariance de la diffé­ ren tielle prem ière; on y trouvait de plus la différentielle seconde in­ troduite sans aucune explication. Il n ’y avait aucune dém onstration.

3 LM S, B. V, p. 259. 4 LM S, B. II, 107—108.

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Leibniz et le calcul infinitesim al 1 5 9

Toutes les règles, rem arquait cependant Leibniz, se dém ontrent aisém ent, notam m ent en ten an t compte du fait que les différentielles sont pro­ portionnelles aux accroissem ents instantanés ('m om entaneis), c’est-à-dire infinim ent petits des variables correspondantes. «Si l’on connaît — écrivait Leibniz — ce q u ’on peut appeler l’a 1 g o r i t h m e de ce calcul, que j ’appelle calcul d i f f é r e n t i e l , on p eu t tro uv er toutes les autres équations différentielles par un procédé de calcul commun, déterm in er les m axim a et les m inim a ainsi que les tangentes...» (Ex cognito hoc velut A 1 g o r i t h m o, u t ita dicam, calculi hujus, quem voco d i f f e- r e n t i a l e m , omnes aliae aequationes d i f f e r e n t i a l e s inveniri possunt per calculum communem, m axim aque et m inima, item que ta n ­ gentes h a b e ri...)5. Rem arquons, à ce propos, que le term e a l g o r i t h m e a été employé ici dans un nouveau sens plus large; il avait au p arav an t servi à désigner le systèm e de l’arith m étiq u e décimale de position qui utilise les chiffres d it arabes. P our la prem ière fois aussi on trouve dans une publication le term e «équation différentielle». Le reste de l ’article é tait consacré à la solution de quelques problèm es géom étriques, entre autres celle du «problème inverse des tangentes» de Debeaune, consistant à déterm iner une courbe plane dont la tangente adm et une propriété donnée, c’est-à-dire relevant de la solution d ’une équation différentielle du prem ier ordre (à variables séparées). L ’au teu r a ainsi fait une in ­ cursion dans le calcul intégral.

Deux ans plus tard, Leibniz in troduisit aussi dans un article sur «La géom etrie secrète...» (De geom etria recondita...) le signe d ’intégration J l ’intégrale é ta n t entendue comme la somme des différentielles sous le signe / ; Leibniz donnait alors à l ’in tég rale le nom de somme (sum m a) et ce n ’est que plus ta rd q u ’il adopta celui d ’intégrale, proposé vers 1690 par les frères Bernoulli. Pour la prem ière fois il y signala publi­ quem ent le caractère inverse des opérateurs d et / et insista su r le fait q u ’en écrivant des intégrales il ne convient pas de «négliger p ar im ­ prudence» le signe différentiel de l’argum ent d ’intégration [ne quis ... ipsam d x tem ere negligat), car «il en résulte une infinité de tra n s­ form ations équivalentes des figures» (Cum tam en ex hoc uno innum era- biles figu rarum transfigurationes et aequipotentiae o ria n tu r)6. Chez Leibniz l ’intégrale ap paru t d ’abord sous form e d’intégrale définie, som­ me d ’une infinité de différentielles infinim ent petites, en lesquelles toute quantité peut être décomposée. En pratiq ue Leibniz et ses disciples ra ­ m enaient le calcul d ’intégrales à l’opération inverse de la différentiation, c’est-à-dire au calcul d ’integrales indéfinies. En 1694 ap p aru t pour la prem ière fois dans une publication la constante additive dans l’intégration indéfinie (quantitas constans pro arbitrio assum ta) que l ’on oublie parfois, comme l’a fait rem arq u er Leibniz, et q u ’il voudrait bien rappeler, car

5 LM S, B. V, p. 222. 8 LMS, B. V, p. 233.

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«elle est im portante pour l ’ensem ble des solutions» (quoniam interest ad solutionum g e n era litate m )7.

Le caractère algorithm ique de la nouvelle analyse fu t cependant corrom pu p ar la circonstance que l’intégration des fonctions élém entaires et des équations différentielles m ène â une m u ltitude infinie de nouve­ lles transcendantes et n ’est pas, strictem ent p arlan t, une opération a l­ gorithm ique. Bien que cela ne fû t dém ontré q u ’au X IX e siècle, cette difficulté a surgi dès le début. Leibniz a essayé de la surm onter et de restau re r dans un certain sens le caractère algorithm ique de son calcul, en rep résen tan t la quantité cherchée sous form e d ’une série infinie de puissances à coefficients indéterm inés, que l ’on peu t ensuite calculer de proche en proche en te n an t compte de la condition du problème. Leibniz a explicitem ent exprim é e t développé en détail cette idée dans le m émoire ’’S ur un supplém ent, s ’étendant aux problèm es transcendants, de la géom étrie pratiq ue au moyen d ’une nouvelle m éthode to u t à fait générale p ar les séries infinies” (Supplem entum geom etriae practicae sese ad problem ata transcendentia extendens, ope novae m ethodi genera- lissimae per sériés infinitas; 1693). C om parant sa m éthode au procédé, qui lui était bien connu, du développem ent en série trouvé p ar N. M ercator (par division) et à celui de N ewton (par extraction des racines), il écri­ vait: «... on y arriv e [aux développem ents en série] d’une façon plus commode et plus générale en ad m ettan t que la série elle-m êm e a été trouvée, de sorte que les coefficients se déterm in en t ensuite successi­ vem ent. De cette m anière non seulem ent lorsqu’une propriété d ’une ligne est donnée p a r un calcul ordinaire, m ais aussi lorsqu’elle l’est p ar une form ule différentielle ou différentielle d ’ordre supérieur, quelque compliquée q u ’elle soit, on peut toujours obtenir une série au m oyen de laquelle ce q u ’on cherche peut être représenté exactem ent si l’on prend toute la série, ou, si l’on n ’en emploie q u ’une partie, avec une approxi­ m ation arbitraire» (...posse ad eas perveniri commodius et universalius per suppositionem ipsius seriei quaesitae tamquam inventae, ita u t te r- m inorum coefficientes ex successu d efin iren tu r. A tque ita data lineae p roprietate non ta n tu m in calculo communi, sed et in sum m atorio vel d ifferentiali aut differentio-differentiali etc. utcunque im plicato sem per ad seriem ven iri potest, cujus ope quaesitum , si totam seriem concipias, exacte, si partem seriei adhibeas, quantum libet appropinquando exhi- betur) 8.

Cette m éthode de Leibniz, qui a été développée d ’une m anière un peu différente et indépendam m ent par Newton, a acquis une grande im portance dans l’intégration des équations différentielles. En ce qui concerne les vues de Leibniz sur la possibilité de la représentation d ’une

7 LM S, B. v , p. 315. « LM S, B. V, p. 285—286.

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Leibniz et le calcul infinitesim al 1 6 1 fonction quelconque par une série de puissances, que partag eait aussi Euler et que Lagrange a essayé de dém ontrer, bien que sous certaines restrictions, elles se sont m ontrées aussi exagérées que son idée sur la résolubilité algorithm ique de tous les problèmes. Au com m encem ent du X IX e siècle Cauchy a dém ontré l ’existence de fonctions qui ne sau­ raien t être représentées par des séries de puissances. La possibilité d ’une telle représentation est une propriété caractéristique d ’une classe étendue, po u rtan t bornée, de fonctions q u ’on appelle fonctions an aly ti­ ques. Il im porte de rem arqu er que dans ce cas Leibniz ne se souciait guère de la convergence de la série de puissances. Mais c’est là une to ut au tre question.

Tels étaient les fondem ents de l ’algorithm e du calcul différen tiel et in tég ral créés p ar Leibniz. Ce que nous avons d it ju sq u ’ici ne com prend pas to u t ce q u ’on doit à Leibniz dans le dom aine de l ’analyse m athém a­ tique et de ses applications. Je voudrais encore citer au moins quelques unes de ses découvertes: l’établissem ent de la form ule donnant dm(xyz), la te n tativ e bien hardie q u ’il a fait pour étendre la notion de la d ifféren ­ tielle dny aux indicés réels n quelconques, la règle de différentiation de l ’intégrale par rap po rt à un param ètre variable, l’intégration des fonctions rationnelles, le critère de convergence des séries alternées, différentes méthodes d ’intégration de certaines classes d ’équations diffé­ rentielles, l ’étude des enveloppes etc. Tout cela a été incorporé dans la substance fondam entale de l’analyse, bien que Leibniz, agissant en hâte, eût parfois commis des erreurs; de nom breuses idées n ’ont été que signalées p ar lui, souvent aussi elles sont restées inachevées. Leibniz n ’avait ni le tem ps ni la patience de m ettre la d ernière m ain à tous les détails. Il se com parait à un tigre «dont on d it que s’il n ’arriv e pas à cap tu rer sa proie du prem ier coup, du second ou du troisièm e, il la laisse s ’échapper» 9.

III

Nous fixerons m aintenant notre attention su r les problèm es qui se rap p o rtent aux fondem ents proprem ent dits du calcul infinitésim al. Nous trouvons ici chez Leibniz une foule d ’idées, un véritable em barras de richesse dans le choix des argum ents q u ’il opposa aux critiques du nouveau calcul.

A la base du calcul différentiel et in tég ral se tro u v ait l ’idée des infinim ent petits de différents ordres et le principe en v ertu duquel les term es infinim ent petits d ’une somme sont négligeables devant les term es finis et les infinim ent petits d ’ordres supérieurs le sont devant ceux d ’ordres inférieurs. Dans les applications géom étriques une courbe

9 LM S, B, VII, p .378.

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était considérée comme composée d ’une infinité de petits côtés. Les disci­ ples directs de Leibniz ont exprim é ces principes sous form e de postu­ lats. Le cours m anuscrit de calcul différentiel, rédigé p ar Jean Bernoulli en 1691-1692, commence p ar les trois postulats suivants:

«1. Une q u an tité qui est dim inuée ou augm entée d ’une quantité infini­ m ent plus petite n ’est ni dim inuée ni augm entée.

2. Toute ligne courbe est composée d ’une infinité de droites qui sont elles-mêmes infinim ent petites.

3. Une figure qui est comprise en tre deux ordonnées, la différence des abscisses et une portion infinim ent p etite d ’une courbe quelconque est considérée comme un parallélogram m e» 10.

Le troisièm e postulat, sur lequel sont fondées les applications géomé­ triques du calcul intégral, est à proprem ent p arler une conséquence du prem ier. Les postulats 1 et 2 se trouvent dans le prem ier cours de calcul différentiel que le m arquis G. F. de l’Hospital, élève de Jean Bernoulli, a publié en 1696 sous le titre Analyse des in finim en t petits pour l’in ­ telligence des lignes courbes.

Le caractère paradoxal de ces postulats et la vague notion d ’infini­ m ent p etit ne m anquèrent pas d ’être aussitôt rem arqués p ar de nom breux savants et provoquèrent de violents objections. Leibniz était bien cons­ cient du fait que de tels principes, si utiles q u ’ils fussent pour les cal­ culs, devaient donner su jet à des critiques. C’est probablem ent pourquoi il a défini, dans la «Nouvelle méthode...» m entionnée plus haut, la diffé­ rentielle d x de l’abscisse, resp. de la variable indépendante, comme un segm ent quelconque fini, «recta aliqua pro arbitrio assum ta» u , comme nous le faisons d ’après A. Cauchy, et il a introduit la différentielle dy de la fonction comme un segm ent égalem ent fini qui est à d x dans le même rapport que l’ordonnée à la sous-tangente. C ependant il n ’est pas arrivé, de cette façon, à faire disparaître de ses raisonnem ents l ’idée d ’infinim ent petit, car: 1° la tangente y était aussi définie comme une droite «qui joint deux points de la courbe dont la distance est infini­ m ent petite» (quae duo curvae puncta distantiam infinité parvam ha- bentia ju n g a t)12, et 2° pour le calcul des différentielles Leibniz propo­ sait de prendre celles-ci proportionnelles aux accroissements instantanés des variables correspondantes. En général, cette définition de la d iffé­ rentielle n ’a été utilisée en pratique ni par Leibniz ni p ar ses élèves. En fait, la différentielle a toujours été considérée comme un infinim ent petit.

La natu re des quantités infinitésim ales et les opérations que l’on faisait avec elles provoquèrent une stupéfaction bien naturelle. Un in ­

10 J. Bernoulli, Die D ifferentialrechnung, üb. von P. Schafheitlin, Leipzig 1924, p. 10.

11 LMS, В. V, p. 220. 12 LM S, В. V, p. 223.

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Leibniz et le calcul infinitesim al 163 finim ent petit sem blait être, d ’une façon m ystique, en même tem ps égal et non égal à zéro et devenait ainsi une sorte d ’am phibie qui existait en même tem ps q u ’il n ’existait pas. Dans le prem ier postulat, d ’après lequel les quantités qui différaient d ’un infinim ent p etit était considérées comme égales, on repérait, dans le cas où celui-ci n ’était pas nul, une contradiction logique. On se dem andait com ment le calcul infinitésim al pouvait-il donner des résultats exacts s ’il était basé su r des équations fausses, obtenues en négligeant les infinim ent petits? Newton, qui opérait d ’abord, comme Leibniz et ses disciples, avec des infinim ent pe­ tits, quantités évanouissantes, essaya plus ta rd d ’en débarasser l’analyse et de surm onter toutes les difficultés à l’aide d ’une théorie spécifique, celle du passage à la limite. Il insistait su r le fait que «en m athém ati­ ques il n ’est pas perm is de négliger des erreurs, si petites q u ’elles soient» (Errores quam minimi in rebus m athem aticis non su n t contem - n e n d i)13. Q uand un infinim ent petit était considéré comme nul, on de­ m andait: quel sens peut-on attrib u e r à la division de deux quantités nulles, c’est-à-dire de «rien» p ar «rien»? M. Rolle, algébriste renom m é et cartésianiste, avait essayé de d ém ontrer que la différentielle de Lei­ bniz était un zéro absolu.

Essayant de réfu te r ces objections et d ’autres, Leibniz avança une série d ’argum ents qui étaien t différents en ce qui concernait leur n atu re aussi bien que leur im portance historique. Le but principal de Leibniz étan t de défendre son nouveau calcul, il en appelait pragm atiquem ent tantôt à l’une, ta n tô t à d ’au tres propriétés des quantités infinitésim ales et des passages à la limite, propriétés que la com plexité de leurs rapports m utuels ren d ait alors quelque peu obscures.

Ainsi, Leibniz explique en 1701 l ’idée des infinim ent petits de diffé­ rents ordres p a r une analogie, d ’après laquelle ceux-ci sont sim plem ent des constantes, quelques uns d ’eux étan t très petits p ar rap p o rt à d ’a u ­ tres, ce q u ’il exprim e ainsi: «Et quand il y a plusieurs degrés d ’infini ou des infinim ent petits, c’est comme le globe de la T erre est estim é un point à l’égard de la distance des fixes, et une boule que nous m anions est encore un point en comparaison du sem idiam ètre du globe de la Terre» u . Une telle interp rétatio n ne p u t satisfaire même les partisans de Leibniz, par exem ple P. Varignon. P our se disculper Leibniz écrivit à Varignon q u ’il s ’était servi de ces argum ents pour «éviter ces su b tili­ tés», et aussi «pour rendre le raisonnem ent sensible à to u t le monde» 15. Nous trouvons encore chez Leibniz la notion d ’infinim ent petits entendus comme quantités infinim ent petites actuellem ent, non-archim é- diennes. «Je considère — écrivait Leibniz en 1695 — comme égales non

13 Cf. Issac Newton, Tractatus de quadratura curvarum (1704). Introductio. 11 LMS, B. V, p. 350.

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seulem ent les quantités dont la différence est un rien absolu, mais aussi celles dont la différence est incom parablem ent petite ... D’accord avec Euclide (5e définition du 5e livre) je considère comme comparables des quantités de même natu re dont l’une, m ultipliée p ar un nombre, peut être rendue plus grande q u ’une autre» (Caeterum aequalia esso puto, non tan tu m quorum differentia est omnino nulla, sed et quorum differentia est incom parabiliter p arva ...Scilicet eas tan tu m homogeneas q u antitates com parabiles esse, cum Euclide lib. 5 defin. 5 censeo, quarum una num éro, sed finito m ultiplicata, alteram superare p o te s t)16. Leibniz n ’a cependant pas tenté de construire un calcul des quantités non-archim édiennes et nous savons bien au jo u rd ’hui que l’analyse clas­ sique ne saurait être basée su r ces quantités (je laisse de côté les cons­ tructions non classiques les plus récentes, p.ex. la Non-Standard Ana- lysis de A. Robinson, 1965). Leibniz ajo u tait encore: «Et le résu ltat peut toujours être confirm é par la m éthode archim édienne de réduction à l ’absurde» (Et Archimedeo quidem processu res sem per reductione ad absurdum confirm ari p o te s t)17. La m éthode archim édienne, c’est-à-dire le procédé antique d ’exhaustion, n ’a été mis en doute par personne. Mais, pour cela, il fallait en prem ier lieu tran sfo rm er cette m éthode antique en une théorie générale des limites. L ’une et l’au tre ne nécessitent d ’ailleurs pas l’emploi des quantités non-archim édiennes.

Dans un de ses mémoires (1702) Leibniz fit rem arq u er que les infini­ m ent petits intervien n en t déjà dans le calcul algébrique ordinaire si l’on veut conserver les avantages que donne la généralité de ce calcul. Con­ sidérant deux triangles semblables, dont l’un avait des côtés infinim ent petits, et ad m ettant que ces derniers se sont confondus en un point, Leibniz fit appel à la conception d ’après laquelle les infinim ent petits étaient des «riens». C ependant ce ne sont pas des riens «absolument», mais des riens «comparativement» p ar rapport aux quantités finies qui, même lorsqu’ils sont devenus des points, resten t dans un rap p o rt n u ­ m érique déterm iné 18. La même idée a été développée plus ta rd d ’une m anière spécifique p ar Euler.

Mais il y a plus. P our apaiser les savants qui niaient la réalité des quantités infinim ent grandes et infinim ent petites, Leibniz consentait à ce que ces objets fussent considérés comme des «notions idéales» fécon­ des et même nécessaires, ou comme des «fictions» analogues aux quan­ tités im aginaires. Dans la lettre du 2 fév rier 1702, que nous avons déjà mentionnée, Leibniz écrivait à Varignon; «on ne sçaurait établir nostre calcul des Transcendantes sans em ployer les différences qui sont sur le point d ’évanouir, en p renant to u t d ’un coup l ’incom parablem ent petit au lieu de ce q u ’on peut assigner tousjours plus p etit „à l ’infini” . Il est

■s l m s, B. v , p. 322. 17 Ibid.

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Leibniz et le calcul infinitesim al 165 rem arquable que ces fictions aient leur fondem ent dans les choses — fundam entum in re — et que „tout se fait dans la Géométrie, et même dans la nature, comme si c’estoient des parfaites réalités» 19. La m étap h y ­ sique du calcul infinitésim al se raccorde ici intim em ent au x idées p h i­ losophiques générales de Leibniz.

C ependant nous trouvons en même temps, chez Leibniz, la conception de l ’infinim ent petit entendu comme quan tité potentielle évanouissante. C’est justem ent cette conception que Leibniz a appliquée pour ju stifier le fait que les erreu rs commises dans les opérations faites su r les in fi­ nim ent petits m ènent finalem ent à un résu ltat dont l’e rreu r est m oindre q u ’une e rre u r arb itraire donnée, c’est pourquoi elle p eu t être réd u ite à zéro. Dans la même note, dans laquelle Leibniz caractérisait un in fi­ nim ent petit comme une constante extrêm em ent petite, on trouve aussi le passage suivant: «Car au lieu de l ’infini ou de l ’infinim ent petit, on prend des quantités aussi grandes et aussi petites q u ’il fau t pour que l ’e rre u r soit m oindre que l ’erreu r donnée, de sorte q u ’on ne d iffère du style d ’A rchim ède que dans les expressions, qui sont plus directes dans notre méthode et plus conformes à l ’a rt d ’inventer» 20.

D’autre part, dans la le ttre à V arignon déjà citée, Leibniz écrivait à propos de ses quantités incom parablem ent petites: «qu’on peut [les] entendre comme on veut, soit des infinis à la rigueur, soit des grandeurs seulem ent, qui n ’en tre n t point en ligne de compte les unes au p rix des autres. Mais il faut considérer en même tem ps, que ces incom parables communs mêmes n ’estant nullem ent fixes ou déterm inés, et pouvant estre pris aussi petits q u ’on veut dans nos raisonnem ens G éom étriques, font l’effect des infinim ent petits rigoureux, puis q u ’un adversaire voulant contredire à nostre énonciation, il s ’ensuit p ar nostre calcul que l ’erreu r sera m oindre q u ’aucune e rre u r q u ’il pourra assigner, estan t en nostre pouvoir de p ren d re cet incom parablem ent petit, assez petit pour cela, d ’au tan t q u ’on p eu t tousjours p ren d re une gran d eu r aussi pe­ tite qu ’on veut» 21.

Leibniz n ’a d ’ailleurs donné aucune preuve de ces assertions. Au fond, il s’agissait ici de tout un program m e de construction du calcul infin i­ tésim al, program m e fondé sur la notion d ’infinim ent p etit potentiel. L. C arnot a fait en 1796 une intéressante ten tativ e dans cette direction, mais cela n ’a réussi pour la prem ière fois que dans les 20es années du X IX e siècle à Cauchy, qui s’est appuyé sur une synthèse des idées p ré ­ cisées de Leibniz sur les infinim ent petits et celles de N ewton su r les passages à la limite.

Les énonciations de Leibniz sur les fondem ents des m athém atiques contiennent aussi d ’autres idées qui n ’ont été développées à fond et

19 LM S, B. IV, p. 92—93. 20 LMS, B. V, p. 350. 21 LM S, B. V, p. 92.

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réellem ent appliquées que bien plus tard. Il s ’agit, entre autres, de l ’idée, m entionnée précédem m ent, du passage à la lim ite et de la continuité. Il est évident que les opérations effectuées sur les quantités infinitési­ males sont im plicitem ent équivalentes à certains passages à la lim ite et vice-versa. Ce n ’est toutefois pas un m aniem ent aussi im plicite que j ’ai ici en vue, mais les énonciations explicites de Leibniz qui sont contenues dans sa loi ou son principe de continuité: «Si parm i des cas d o n n é , ou bien supposés, la différence de deux cas p eu t devenir m oindre que toute quan tité donnée, elle doit nécessairem ent devenir m oindre que toute quan tité aussi dans les cas c h e r c h é s , ou conséquents, qui résu lten t des supposés», bien «si les cas (ou les données) se rappro­ chent d ’une m anière continue en sorte que finalem ent les uns se confon­ dent avec les autres, il en doit être de même pour les conséquents ou les résu ltats (ou cherchés) correspondants» (Cum differentia duorum casu- um in fra omnem quantitatem datam dim inui p o t e s t i n d a t i s sive positis, necesse est, u t simul dim in uatu r infra omnem quantitatem i n q u a e s i t i s sive consequentibus quae ex positis résultant. Vel ut loquar fam iliarius: Cum casus (vel data) continue sibi accedunt, ita ut tandem alter in alteru m abeat, oportet in consequentiis sive eventibus (vel quaesitis) respondentibus idem fieri) 22.

Un m athém aticien de l’école de Cauchy au ra natu rellem en t trouvé dans ce principe une analogie avec la définition d ’une fonction continue, mais Leibniz n ’eut pas l’idée de considérer les fonctions continues com­ me une classe, à part. Il a donné de son principe quelques applications en géom étrie projective et aussi en physique. Le principe de continuité est à proprem ent parler résulté de considérations p o rtan t su r la géomé­ trie projective. Je ne puis m ’étendre ici su r l’histoire u ltérieu re de ce principe en géom étrie ni sur son rôle dans la philosophie et la philosophie naturelle de Leibniz.

IV

Nous avons plusieurs fois m entionné le nom de Newton à côté de celui de Leibniz. Comme nous l ’avons dit, ils ont tous deux indépendam m ent créé le systèm e du calcul différentiel et intégral. Les prem ières décou­ vertes dans ce domaine ont été faites par N ewton dans les années 1665- -1666, p ar Leibniz dix ans plus tard. En ce qui concerne leur contenu et leurs résultats concrets, les méthodes de N ewton et de Leibniz sont en principe identiques. A la différentielle infinim ent p etite de Leibniz correspond chez Newton le m om ent évanouissant ou in stantané d ’une quantité. La fluxion est le rapport de deux différentielles, c’est-à-dire

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Leibniz et le calcul infinitesim al 167 notre dérivée, la fluente correspondante est en fait la fonction prim itive, l’intégrale. Dans la m éthode de Newton, de même que chez Leibniz, le développem ent des fonctions en séries de puissances joue un rôle de p rem ier ordre.

Les découvertes des deux créateurs de l’analyse eu ren t des destinées différentes. Bien que N ewton eût établi ses résu ltats fondam entaux un peu plus tôt, c’est Leibniz qui a donné une vigoureuse im pulsion à l’évo­ lution du calcul infinitésim al et déterm iné en principe la direction des nouvelles recherches. Newton, qui évitait prudem m ent to u te discussion et publiait ses oeuvres à contre-coeur, a toujours tard é à im prim er ses écrits m athém atiques. La prem ière exposition incom plète de certains résultats de Newton, notam m ent quelques théorèm es généraux su r le passage à la limite, fu ren t publiés en 1687 dans son oeuvre classique Phïlosophiae naturalis principia m athem atica et un résum é très succinct des idées principales de la m éthode des fluxions ap p aru t dans un livre de J. Wallis en 1693. A cette époque, les mémoires les plus im portants de Leibniz sur le calcul différentiel et intégral avaient déjà été mis au jour. Les écrits m athém atiques de N ewton ne fu ren t publiés q u ’au commencement du X V IIIe siècle. Les idées et les fondem ents de la m é­ thode des fluxions devinrent connus un peu plus tôt, circulant sous for­ me m anuscrite. Le cercle de ceux qui en ont fait connaissance était ce­ pendant assez restrein t et se bornait principalem ent à l ’A ngleterre.

Mais ce ne fu ren t pas seulem ent ces circonstances qui en trè re n t ici en jeu. Le fait décisif était que, contrairem ent à Leibniz, Newton, n ’avait pas suffisam m ent apprécié toute l ’im portance des notations. Il serait injuste de refu ser à la m éthode de N ewton le nom de calcul, mais ce calcul présente des avantages opératifs incom parablem ent inférieurs à ceux du calcul différentiel et intégral. Leibniz avait déjà insisté sur ce fait en 1694, lorsqu’il écrivait que N ewton «se sert d ’au tres caractères; mais comme la caractéristique même est, pour ainsi dire, une grande p art de l ’a rt d ’inventer, je crois que les nôtres donnent plus d ’ouver­ ture» 23. Les notations de Leibniz, résu ltat d ’une soigneuse réflexion, étaient rem arquablem ent adaptées au développem ent u ltérieu r de l’algo­ rithm e; contrairem ent à celles de Newton, ces notations peuvent p ar ex­ emple être directem ent étendues aux fonctions de plusieurs variables. «Etait-ce un dieu qui écrivit ces signes?» (Goethe).

Il im porte aussi de rem arq uer que Leibniz a exprim é les concepts fondam entaux de l ’analyse sous une form e arithm étique générale en les dégageant peu à peu de leur gangue géom étrique prim itive, tandis que chez N ewton ils ont toujours gardé leur caractère mécanique ou quasi-m écanique.

Tout cela fu t justem ent apprécié des jeunes savants de l ’époque, 23 LM S, B. v , p. 307.

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ravis des grandes possibilités que recelaient les nouvelles opérations de calcul. Au contraire de Newton, Leibniz était d ’ailleurs infatigable à propager la nouvelle analyse et à gagner des adhérents. P ar ses con­ tacts personnels et son énorm e correspondance il contribua à se créer une propre école scientifique. Dans ses lettres il faisait p a rt de décou­ vertes inachevées, ou même d ’idées qui n ’étaien t pas m ûres, posait de nouveaux problèm es et discutait sur les nouvelles idées et les progrès de la science. Les prem iers disciples de Leibniz, Jacques et Jean Bernoulli ont déjà considérablem ent développé ses idées, reprises plus ta rd par L. Euler, A. C lairaut, J. d ’A lem bert et d ’autres m athém aticiens du con­ tinent européen. Les résu ltats acquis par les disciples anglais de Newton, R. Cotes, B. Taylor, C. M aclaurin, eu ren t une bien m oindre im portance.

Il va sans dire que les résultats de Newton fu ren t, un peu plus tard , connus et appréciés su r le continent. De nom breux savants ont peut- -être trouvé attray an tes les idées de la m éthode des limites sur laquelle N ewton avait fondé sa m éthode des fluxions. Cependant, sous la form e q u ’il lui avait donnée, la théorie des lim ites ne devint pas — et ne le put pas encore — un outil d ’invention dans le développem ent des m athém a­ tiques. D ’une part, la m éthode n ’avait pas été suffisam m ent élaborée et, au bout du compte, n ’était pas plus rigoureuse que le calcul infinitésim al de Leibniz. D ’a u tre p art, les adhérents les plus persévérants de cette m éthode avaient rejeté l ’application directe des infinim ent petits et, par là même, renoncé à tous les avantages q u ’elle présentait. Comme nous l’avons m entionné, une féconde synthèse des idées de Leibniz et de New­ ton n ’a été réalisée que p a r A. Cauchy.

J ’ai essayé de re tra cer les contributions les plus im portantes de Lei­ bniz aux fondem ents de l’analyse m athém atique. En term inant, je vou­ drais encore insister su r la pénétration m utuelle des générales et pro­ fondes idées méthodoloogiques et de la recherche scientifique concrète, dont le résu ltat a été le calcul différentiel et in tégral de Leibniz. Cette création est un des exem ples les plus rem arquables de l ’unité de l’ab strait et du concret, de la théorie et de la pratique, unité qui constitue le sti­ m ulant le plus puissant du progrès de la science.

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