VOL. LXVI 1993 FASC. 1
POINTS ENTIERS SUR LES COURBES DE GENRE 0
PAR
DIMITRIOS P O U L A K I S (THESSALONIQUE)
1. Introduction. Soient K un corps de nombres de degr´ e d et O
Kl’anneau des entiers de K. On notera K une clˆ oture alg´ ebrique de K et D
Kle discriminant de K. Consid´ erons un polynˆ ome F (X, Y ) ∈ K[X, Y ], absolument irr´ eductible, tel que la courbe alg´ ebrique C d´ efinie par l’´ equation F (X, Y ) = 0 soit de genre 0. Notons Σ l’ensemble des anneaux de valuation discr` ete V , dans le corps des fonctions K(C) de C, qui contiennent le corps K, et Σ
∞l’ensemble des ´ el´ ements de Σ qui se trouvent au-dessus de l’anneau de valuation discr` ete de K(X) qui est d´ efinie par 1/X. On sait d’apr` es Siegel ([12]) que si Σ
∞contient au moins trois ´ el´ ements distincts, la courbe F (X, Y ) = 0 n’a qu’un nombre fini de points entiers sur K. Toutefois, bien qu’il est connu qu’on peut calculer un majorant explicite de la taille des points entiers de F (X, Y ) = 0 sur K ([5], [11]), il n’y a nulle trace dans la litt´ erature d’un tel majorant. Dans cette note nous calculons un majorant explicite de la taille des points S-entiers de F (X, Y ) = 0 sur K, en r´ eduisant ce probl` eme au probl` eme de d´ eterminer les solutions d’une ´ equation de Thue en S-entiers; puis en utilisant une majoration de la taille des solutions de l’´ equation de Thue en S-entiers, dˆ ue ` a Gy˝ ory ([2]), on d´ eduit notre r´ esultat.
Soit V (K) = {| |
v: v ∈ M (K)} l’ensemble des valeurs absolues nor- malis´ ees de K ([4], chap. 2, §1). Soit S un sous-ensemble fini de V (K) qui contient les valeurs absolues archim´ ediennes. Rappelons que l’anneau des S-entiers de K est l’ensemble O
K,Squi contient les ´ el´ ements x ∈ K tels que
|x|
v≤ 1 pour tout | |
vqui n’appartient pas ` a S. Si v ∈ M (K), on note d
vle degr´ e local correspondant; alors si x = (x
0: . . . : x
n) est un point de l’espace projectif P
n(K), posons
H
K(x) = max Y
v∈M (K)
{|x
0|
v, . . . , |x
n|
v}
dvet H(x) = H
K(x)
1/d. On appelle les quantit´ es H
K(x) et H(x) hauteur de x (relativement ` a K) et hauteur absolue de x respectivement. Lorsque x ∈ K, on note H
K(x) =
1991 Mathematics Subject Classification: 11D57.
Key words and phrases: point S-entier, courbe alg´ ebrique, hauteur.
H
K((1 : x)). Soit f ∈ K[X
1, . . . , X
n] − {0}. Par hauteur H
K(f ) et hauteur absolue H(f ) de f nous entendrons respectivement la hauteur et la hauteur absolue du point projectif d´ efini par les coefficients de f .
Soit C : F (X, Y ) = 0 une courbe de genre 0 telle que l’ensemble Σ
∞contient au moins trois anneaux. Notons N le degr´ e total de F , s le nombre des ´ el´ ements de l’ensemble S et P (S) un entier positif tel que la norme de tout id´ eal premier (entier) ℘ de K qui correspond ` a une valeur absolue non-archim´ edienne de S satisfait N
K(℘) < P (S). Alors nous montrons le r´ esultat suivant :
Th´ eor` eme. Sous les hypoth` eses pr´ ec´ edentes la courbe C poss` ede un nombre fini de points S-entiers. De plus, si x, y ∈ O
K,Savec F (x, y) = 0, on a
max{H
K(x), H
K(y)}
< exp{N
106d2s3N5N +10P (S)
300sdN3N +4|D
K|
65dsN3N +4H
K(F )
6000sd2N3N +10}.
R e m a r q u e s. 1. Dans le cas o` u le corps K contient les racines de l’´ equation F (1, Y ) = 0, on a une majoration plus pr´ ecise :
max{H
K(x), H
K(y)}
< exp{N
2900d2s3N10P (S)
11sdN2|D
K|
7dsN3H
K(F )
220sdN9} . 2. Supposons que F ∈ Q[X, Y ]; alors si x, y ∈ Z avec F (x, y) = 0, le th´ eor` eme entraˆıne
max{|x|, |y|} < exp{N
106N5N +10H
Q(F )
6000N10+3N} .
2. Construction d’une fonction qui param´ etrise C. Consid´ erons F (X, Y ) comme polynˆ ome en Y et notons D(X) son discriminant; on a deg D < 2N
2. Alors il existe une place finie X = x
0, o` u x
0est un entier avec 1 ≤ x
0≤ 2N
2, qui est non-ramifi´ ee dans K(C). Par cons´ equent pour tout V ∈ Σ, au-dessus de X = x
0, le d´ eveloppement de Puiseux d’une fonction Θ (dans une clˆ oture alg´ ebrique de K(X)) avec F (X, Θ) = 0 est
Θ =
∞
X
s=s0
a
sX
Vs, o` u X
V= X − x
0et s
0≥ 0. Comme
F
X
V+ x
0,
∞
X
s=s0
a
sX
Vs= 0 ,
le th´ eor` eme d’Eisenstein ([8], [10]) entraˆıne qu’il existe un corps de nom-
bres K
0, avec [K
0: K] ≤ n, tel que a
s∈ K
0(s = s
s0, s
s0+1, . . .) et son
discriminant D
K0v´ erifie l’in´ egalit´ e
(2.1) |D
K0| ≤ N
630dN7|D
K|
NH
K(F )
48N7.
Comme a
s∈ K
0(s = s
s0, s
s0+1, . . .), il en r´ esulte que pour tout V ∈ Σ, au-dessus de X = x
0, le diviseur V est d´ efini sur K
0([9], page 186).
Si U ∈ Σ et f ∈ K(C) notons ord
U(f ) l’ordre de la fonction f en U . Soit W un anneau de Σ au-dessus de X = x
0. Consid´ erons le K-espace L(W ) des fonctions f ∈ K(C) telles que ord
W(f ) ≥ −1 et ord
U(f ) ≥ 0, pour tout
´
el´ ement U de Σ autre que W . La dimension de L(W ) est 2. D’apr` es [9], th´ eor` eme A2, il existe des polynˆ omes
q(X) = X
i
q
iX
iet c
i(X, Y ) = X
i,j
c
ijX
iY
j(i = 1, 2) avec
(2.2) deg q < 2N
3, deg
Xc
i< 5N
3, deg
Yc
i< n , et
(2.3) H(c
ij) < N
2930N11H(F )
370N13, H(q
i) < N
5N6H(F )
2N4, tels que les fractions
(2.4) c
i(X, Y )/q(X) (i = 1, 2)
repr´ esentent une base de l’espace L(W ). Le diviseur W est rationnel sur K
0. Alors le th´ eor` eme B2 de [9] entraˆıne que les coefficients des polynˆ omes q(X) et c
i(X, Y ) se trouvent dans K
0. Comme la dimension de L(W ) est 2, une des fractions (2.4) repr´ esente une fonction T ∈ K
0(C) non constante;
on a donc ord
WT = −1. Ceci entraˆıne K
0(C) = K
0(T ).
3. Les z´ eros et les pˆ oles de X. Comme X∈K
0(T ), il existe des
´
el´ ements a, a
1, . . . , a
s, b
1, . . . , b
tde K tels que
X = a(T − a
1) . . . (T − a
s)/(T − b
1) . . . (T − b
t) .
Alors on a ord
WX = s − t. D’autre part, la fonction X n’a ni z´ ero ni pˆ ole en W . Il en r´ esulte que s = t. D’apr` es nos hypoth` eses, Σ
∞contient au moins trois anneaux distincts; alors s = t = n ≥ 3 et au moins trois des nombres b
1, . . . , b
tsont deux-` a-deux distincts. Consid´ erons des coor- donn´ ees homog` enes (x : y : z) et notons T
het F
hles homog´ enis´ es des T et F . Les z´ eros de la fonction X sont les couples (0, y), o` u F (0, y) = 0 et
´
eventuellement quelques points ` a l’infini, (x : y : 0) avec F
h(x : y : 0) = 0.
On d´ eduit donc que les nombres a
1, . . . , a
n, b
1, . . . , b
nsont parmi les nombres T (0, y) avec F (0, y) = 0 et T
h(x : y : 0) avec F (x : y : 0) = 0. En utilisant (2.2) et (2.3) on trouve
(3.1) H(a
i), H(b
i) < N
2940N12H(F )
375N12(i = 1, . . . , n) .
Posons f (T ) = (T − a
1) . . . (T − a
n) et g(T ) = (T − b
1) . . . (T − b
n). Alors l’in´ egalit´ e (3.1) et le th´ eor` eme 5.9, page 211 de [14], entraˆınent
(3.2) H(f ), H(g) < N
2950N13H(F )
375N13.
Comme K
0(C) = K
0(T ), les coefficients des af (T ) et g(T ) se trouvent dans K
0. Soit z tel que F (1, z) = 0; alors on a a = g(T (1, z))/f (T (1, z)).
On en d´ eduit que
(3.3) H(a) < N
7350N14H(F )
950N14.
4. Calcul d’un discriminant. Soient %
1, . . . , %
µles diff´ erentes racines de F
h(1, Y, 0) = 0. Posons L = K
0(%
1, . . . , %
µ). Dans cette section nous allons calculer une majoration pour le discriminant D
Lde L, que nous allons utiliser dans la section suivante. Soit δ le plus petit entier positif tel que les nombres δ%
1, . . . , δ%
µsoient des entiers de L. Posons
F
1(Y ) = (Y − δ%
1) . . . (Y − δ%
µ)
et notons D(F
1) le discriminant de F
1(Y ). La formule de transitivit´ e des discriminants entraˆıne
|D
L| ≤ |D
K0|
nn|N
K0(D(F
1))|
nn. D’autre part, on a
|N
K0(D(F
1))| ≤ H
K0(D(F
1)) ≤ N
7dN2H
K(F
1)
2N2. Il en r´ esulte que
(4.1) |D
L| ≤ N
7dN2nn|D
K0|
nnH
K(F
1)
2N2nn. Consid´ erons le polynˆ ome
F
10(Y ) = (Y − δ%
1) . . . (Y − δ%
n) ,
o` u %
1, . . . , %
nsont les racines de F
h(1, Y, 0) = 0 avec multiplicit´ e. En utili- sant le th´ eor` eme 5.9, page 211 de [12], on d´ eduit
δ < 2
dn−1( max
1≤i≤µ
{H(%
i)})
dn≤ N
2dNH
K(F )
n. Il en r´ esulte que
H
K(F
10) < δ
dnH
K(F ) < N
2d2N2H
K(F )
2dN2. Alors la proposition 2.4, page 57 de [4], donne
(4.2) H
K(F
1) ≤ 4
dNH
K(F
10) ≤ N
3d2N2H
K(F )
dN2. Les in´ egalit´ es (2.1), (4.1) et (4.2) entraˆınent donc
(4.3) |D
L| ≤ N
635dNN +7|D
K|
NN +1H
K(F )
50dNN +7.
5. D´ emonstration du th´ eor` eme. Notons O
K0l’anneau des entiers de K
0et S
0l’ensemble des valeurs absolues de K
0qui prolongent les ´ el´ ements de S. Consid´ erons les homog´ enis´ es f
h(X, Y ) et g
h(X, Y ) des polynˆ omes f (T ) et g(T ) respectivement. Soit δ le plus petit entier positif tel que δf
h, δg
h∈O
K0[X, Y ]. Le th´ eor` eme 5.9, page 211 de [14], et les in´ egalit´ es (3.2) et (3.3) donnent
(5.1) δ < N
8100dN15H
K(F )
1100N15.
Les polynˆ omes f
het g
hn’ont pas de facteur commun; alors leur seul z´ ero commun est (0, 0). Le th´ eor` eme IV de [6] et les in´ egalit´ es (3.2) entraˆınent qu’il existe des polynˆ omes P
1, P
2, P
3, P
4dans O
K0[X, Y ], des entiers positifs ε, ζ et u, v dans O
K0tels que
(5.2) P
1(X, Y )δaf
h(X, Y ) + P
2(X, Y )δg
h(X, Y ) = X
εu et
(5.3) P
3(X, Y )δaf
h(X, Y ) + P
4(X, Y )δg
h(X, Y ) = Y
ζv, avec
ε, ζ ≤ (8n)
4et H
K0(u), H
K0(v) < Ω o` u
Ω = N
7·109d2N22H
K(F )
8·108dN22.
Soit x, y ∈ O
K,Savec F (x, y) = 0. Alors il existe t ∈ K
0tel que x = af (t)/g(t). On peut ´ ecrire t = ξ/η, o` u ξ, η ∈ O
K0et le plus grand commun diviseur des ξ, η divise un entier Φ de O
K0, avec
N
K0(Φ) ≤ |D
K0|
hK0(hK0−1)/2,
o` u h
K0est le nombre des classes de K
0. Alors on a x = af
h(ξ, η)/g
h(ξ, η).
On d´ eduit de (5.2) et (5.3) que δg
h(ξ, η) | ξ
εu et δg
h(ξ, η) | η
ζv; il en r´ esulte que
δg
h(ξ, η) | Φ
max{ε,ζ}uv .
Soit s
0le nombre des ´ el´ ements de S
0. On sait, d’apr` es [1], qu’il existe une base ε
1, . . . , ε
s0−1de la partie sans torsion du groupe des S
0-unit´ es de K
0avec
(5.4) H(ε
i) < exp{(sN
640dN8|D
K|
NH
K(F )
48N7log P (S))
sn} .
Alors il existe une S
0-unit´ e ε telle que la couple (ξε, ηε) est une solution de l’´ equation
δg
h(Ξ, H) = A = ε
r11. . . ε
rss0 −10−1B , avec 0 ≤ r
1, . . . , r
s0−1≤ n − 1 et B∈O
K0tel que
N
K0(B) < Ω
2|D
K0|
211n4h2K0.
Soit kBk la plus grande des valeurs absolues des conjugu´ es de B. En vertu du lemme 3 de [3], on peut supposer, sans restreindre la g´ en´ eralit´ e, que
kBk < N
K0(B)
1/dexp{dn(25d
3n
3)
dnR
K0} , o` u R
K0est le r´ egulateur de K
0; il en r´ esulte que
(5.5) H(B) < N
K0(B)
1/dexp{dn(25d
3n
3)
dnR
K0} .
D’apr` es le §3, le polynˆ ome g(T ) a au moins trois racines distinctes. Sup- posons que K contient les racines de l’´ equation F (1, Y ) = 0; par cons´ equent, g(T ) se d´ ecompose dans K. Le corollaire 1.1 de [2] entraˆıne donc
(5.6) max{H
K0(ξε), H
K0(ηε)} < exp{(25dsN
2)
110s2n2(R
K0h
K0)
ns+6× P (S)
10dn2(1 + log dH(g)H(A))} . On sait, d’apr` es [13], que
(5.7) R
K0< 3
dn(dn)
2|D
K0|
1/2max{1, log |D
K0|}
dn; aussi les r´ esultats de [7] impliquent que
(5.8) h
K0< 3|D
K0|
dn.
Alors les in´ egalit´ es (3.2), (5.1) et (5.4)–(5.8) entraˆınent (5.9) max{H
K0(ξε), H
K0(ηε)}
< exp{N
2890d2s3N10P (S)
11sdN2|D
K|
7dsN3H
K(F )
220sdN9} . Comme x = af
h(ξε, ηε)/g
h(ξε, ηε), (5.9), (3.2) et (3.3) entraˆınent
(5.10) max{H
K(x), H
K(y)}
< exp{N
2900d2s3N10P (S)
11sdN2|D
K|
7dsN3H
K(F )
220sdN9} , ce qui d´ emontre la remarque 1. Supposons que K ne contient pas les racines de g(T ). Alors en consid´ erant L ` a la place de K et en utilisant les majora- tions (4.3) et (5.10) nous d´ eduisons le r´ esultat.
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