LXVIII.2 (1994)
Modifications de nombres normaux par des transducteurs
par
Jean Marie Dumont et Alain Thomas (Marseille)
0. Introduction. Soit un entier r ≥ 2 et soit une suite d’entiers positifs s = (n
j)
j≥1. Chaque n
ja un d´eveloppement en base r
n
j=
ra
jlj. . . a
j1=
lj
X
i=1
a
jir
i−1(avec a
jlj6= 0).
On notera
θ
s=
r0.n
1n
2n
3. . . le r´eel qui a pour d´eveloppement en base r
θ
s=
r0.a
1l1. . . a
11a
2l2. . . a
21. . .
Pour certaines suites s, le r´eel θ
sest normal en base r, c’est-`a-dire la suite n → θ
sr
nest ´equir´epartie modulo 1. Par exemple, si n
j= j pour tout j, θ
sest le nombre de Champernowne ([Ch]). Copeland et Erd˝os ([CE]) d´emontrent la normalit´e de θ
sdans le cas o` u la suite (n
j)
j≥1est strictement croissante et v´erifie, pour tout ε > 0 et N ≥ N (ε),
(1) #({j : n
j≤ N }) ≥ N
1−ε(autrement dit v´erifie, pour tout ε > 0, n
j= O(j
1+ε)). Par exemple, si (n
j)
j≥1est la suite des nombres premiers, elle v´erifie cette condition.
Supposons maintenant que n
jest la partie enti`ere de P (j), o` u P (X) est un polynˆome non constant ou un polynˆome g´en´eralis´e (c’est-`a-dire les exposants de X sont des r´eels positifs). Alors la condition (1), ou la condition (n
j)
j≥1strictement croissante, n’est pas v´erifi´ee suivant que le degr´e de P (X) est sup´erieur 1 ou inf´erieur `a 1. Mais θ
sest encore normal d’apr`es les articles de Naka¨ı–Shiokawa ([NS1], [NS2], [NS3]).
De plus, Schiffer [Sc] donne une estimation de la discr´epance de la suite n → θ
sr
ndans les deux cas suivants : n
jest la partie enti`ere de P (j), P (X) polynˆome non constant `a coefficients rationnels, ou bien n
jest la partie enti`ere de f (j), f application de [1, ∞[ dans [1, ∞[ telle que f (x) soit de l’ordre de x
δ, 0 < δ ≤ 1, f
0(x) de l’ordre de x
δ−1et |f
00(x)| = O(x
δ−2) quand
[153]
x → ∞. D’o` u la normalit´e de θ
sdans d’autres cas que le cas polynˆomial, par exemple pour f (x) = x
δ+ log x.
Sz¨ usz et Volkmann ([SV]) d´emontrent, par une m´ethode probabiliste, que θ
sest normal s’il existe un polynˆome non constant P (X) `a coefficients entiers et une suite strictement croissante (n
0j)
j≥1v´erifiant la condition (1), tels que n
j= P (n
0j). L’article de Grabner ([G]) est une g´en´eralisation au cas d’une base non enti`ere; voir aussi l’article de Bertrand-Mathis et Volkmann ([BV]).
Volkmann nous a pos´e la question de savoir si la normalit´e de θ
sest conserv´ee quand on remplace chaque n
jpar λ
jn
j, o` u les λ
jsont des entiers positifs v´erifiant une condition de croissance maximale. Nous montrons ici (paragraphe 4) que c’est le cas pour les nombres θ
sdes articles de Naka¨ı–
Shiokawa, avec la condition
(2) λ
j= O((log j)
ε) pour tout ε > 0.
Ceci est dˆ u au fait qu’`a chaque occurrence d’un bloc b dans le d´eve- loppement en base r de λ
jn
j, il y a au plus λ
jpossibilit´es pour le bloc de chiffres situ´e au mˆeme emplacement, dans le d´eveloppement de n
j. Plus g´en´eralement, ´etant donn´e une suite s et une famille de transducteurs (T
j)
j≥1v´erifiant certaines conditions (voir paragraphe 3), la normalit´e de θ
sest conserv´ee quand chaque n
jest remplac´e par (n
0j), o` u (n
0j) se d´eduit de (n
j) au moyen du transducteur T
j.
Pour pouvoir appliquer ce r´esultat g´en´eral de modification des nom- bres normaux aux nombres de Naka¨ı–Shiokawa, il est n´ecessaire d’avoir une estimation de la discr´epance de la suite n → θ
sr
n. Pour tout r´eel θ, la discr´epance de la suite n → θr
nest d´efinie par
D(θ, n) = sup
I⊆[0,1[
1
n N (θ, I, n) − (β − α) ,
o` u, pour tout intervalle I = [α, β[, N (θ, I, n) est ´egal `a #({i ≤ n : θr
i∈ I mod 1}). Remarquons que les trois articles de Naka¨ı–Shiokawa (contraire- ment `a celui de Schiffer) ne permettent pas de majorer la discr´epance, car dans leur estimation
1
n N (θ, I, n) − r
−l≤ C
l1 log n
pour tout intervalle I de la forme [k/r
l, (k+1)/r
l[, k et l entiers, la constante C
ld´epend de l. Nous reprenons donc, au paragraphe 2, les id´ees des articles de Naka¨ı–Shiokawa et de Schiffer de mani`ere `a majorer cette discr´epance.
D’autre part nous ne savons pas si elle est en O(1/ log n) comme dans les cas trait´es par Schiffer.
Remarquons qu’il n’est pas possible de r´epondre `a la question de Volk-
mann dans le cas g´en´eral d’une suite d’entiers positifs s quelconque, telle
que θ
ssoit normale, sans faire d’hypoth`ese sur la discr´epance de la suite n → θ
sr
n. La remarque 4 `a la fin de l’article prouve qu’il existe une suite d’entiers positifs (λ
j)
j≥1de croissance arbitrairement lente, et un nombre normal θ =
r0.n
1n
2n
3. . . tel que le nombre θ
0=
r0.(λ
1n
1)(λ
2n
2)(λ
3n
3) . . . ne soit pas normal.
Par contre, il est possible que l’hypoth`ese (2) ne soit pas la meilleure possible, et puisse ˆetre remplac´ee (dans le cas o` u n
jest un polynˆome en j) par l’hypoth`ese moins forte
(3) λ
j= O(j
ε) pour tout ε > 0.
N’arrivant pas `a le d´emontrer en utilisant les lemmes de Naka¨ı–Shiokawa ([NS1]) (pour lesquels il faudrait que λ
jn
jsoit une fonction f (j) telle qu’une des d´eriv´ees successives de f soit de signe constant), nous le d´emontrons dans le cas particulier n
j= j
2(paragraphe 5) par modification de la d´emonstra- tion de Besicovitch ([Be]).
D’autre part, la condition (3) est, en un sens, la moins forte possible : Soit ε > 0 et 0.n
1n
2n
3. . . un nombre normal en base r tel que lim
j→∞n
j= ∞ et n
j= O(j
α), α constante positive. On peut construire une suite d’entiers positifs (λ
j)
j≥1telle que λ
j= O(j
ε), mais le r´eel 0.(λ
1n
1)(λ
2n
2)(λ
3n
3) . . . ne soit pas normal en base r. Il suffit de poser λ
j= r
εjo` u ε
jest la partie enti`ere de ε log
rj. La fr´equence d’occurrence de tout bloc de z´eros dans le d´eveloppement de ce r´eel est alors au moins ´egale (en limite sup´erieure) `a ε/(α + ε), ce qui prouve qu’il n’est pas normal en base r.
1. Suites (k, ε)-normales. Soit r ≥ 2 et A
r= {0, 1, . . . , r − 1}. On note N (b, s) le nombre d’occurrences d’un bloc b dans une suite s :
N (b, s) = #{i ≤ n − k : ε
i+1. . . ε
i+k= b}
pour tout b ∈ A
kret s = ε
1. . . ε
n∈ A
nr.
D´ efinition. Une suite s est dite (k, ε)-normale au sens de Besicovitch ([Be]) (k ≥ 1 entier et ε > 0) si, pour tout bloc b ∈ A
kr,
|n
−1N (b, s) − r
−k| < ε.
D’apr`es le lemme de Copeland–Erd˝os ([CE]), il existe δ = δ(r, k, ε) < 1 tel que le nombre de suites s ∈ A
nrnon (k, ε)-normales soit inf´erieur `a r
nδpour n assez grand.
On peut pr´eciser ce lemme en utilisant une in´egalit´e de Bernstein (voir par exemple [R], chapitre 7, th´eor`eme 3) : Soit ζ
nla fr´equence relative d’un
´ev´enement A dans une s´erie de n ´epreuves ind´ependantes, soient η > 0 et 0 < ε ≤ p(1 − p) (o` u p 6= 0 est la probabilit´e de A) et
n ≥ 9 log(2/η)
8ε
2.
Alors P (|ζ
n− p| ≥ ε) ≤ η.
On obtient le lemme suivant :
Lemme 1. Si ε ≤ r
−k(1 − r
−k), le nombre de suites s ∈ A
nrqui ne sont pas (k, ε)-normales est inf´erieur `a 2kr
2kr
nδ, avec
δ = δ(r, k, ε) = 1 − 8ε
29k log r .
D ´e m o n s t r a t i o n. ´ Etant donn´e un bloc b ∈ A
kr, on va d’abord majorer le nombre de suites s ∈ A
nrqui v´erifient
(1) |n
−1N (b, s) − r
−k| ≥ ε.
On prolonge chacune de ces suites s = ε
1. . . ε
nen une suite s
0= ε
1. . . ε
n+k−1en posant
ε
n+i=
n 0 si b se termine par la lettre 1
(1 ≤ i ≤ k − 1).
1 sinon
Le nombre d’occurrences du bloc b est alors le mˆeme pour les suites s et s
0. Pour tout entier h tel que 0 ≤ h ≤ k−1, on d´efinit la suite s
h= s
h1. . . s
hnhen posant
s
h1= ε
h+1. . . ε
h+k, s
h2= ε
h+k+1. . . ε
h+2k, etc.,
n
h´etant le plus grand entier tel que h + n
hk ≤ n + k − 1; autrement dit, n
h= #{m : k ≤ m ≤ n + k − 1, m ≡ h mod k}.
Par cons´equent,
k−1
X
h=0
n
h= n, N (b, s) − nr
−k=
k−1
X
h=0
(N (b, s
h) − n
hr
−k),
o` u N (b, s
h) est le nombre d’occurrences de la lettre b (appartenant `a l’al- phabet A
0= A
kr) dans la suite s
h(s
h∈ A
0nh). Donc, si (1) est v´erifi´e, il existe h tel que
(2) |N (b, s
h) − n
hr
−k| ≥ n
hε.
On note m l’entier n
h, et r
0= #A
0= r
k. Puis on applique l’in´egalit´e de Bernstein, o` u la v.a. ζ
mrepr´esente la fr´equence d’occurrence d’une lettre b ∈ A
0fix´ee dans une suite σ ∈ A
0m. P est la probabilit´e uniforme d´efinie par
P ({a
0}) = r
0−1pour tout a
0∈ A
0. On obtient
(3) r
0−m#({σ : σ ∈ A
0m, |m
−1N (b, σ) − r
0−1| ≥ ε}) ≤ η avec comme conditions :
(4) η > 0, 0 < ε ≤ r
0−1(1 − r
0−1) et m ≥ 9
8ε
2log(2η
−1).
Or pour chaque suite σ ∈ A
0m, il existe r
hsuites s ∈ A
nrtelles que s
h= σ.
Donc si les conditions (4) sont v´erifi´ees pour tout h (par l’entier m = n
h), l’in´egalit´e (3) permet de majorer le nombre de suites s qui v´erifient (1) par P
k−1h=0
r
hηr
0nh.
Comme on a r
hr
0nh= r
h+knh≤ r
n+k−1, et comme il y a r
kblocs b possibles, on majore le nombre de suites s ∈ A
nrnon (k, ε)-normales par kr
n+2k−1η. Pour que les conditions (4) soient v´erifi´ees, il suffit de choisir η tel que
n
k − 1 = 9
8ε
2log(2η
−1)
(en effet n
h> n/k − 1 pour tout h). Le lemme 1 s’en d´eduit facilement.
Le lemme suivant permet de d´emontrer la (k, ε)-normalit´e d’une suite, dont on connait seulement une majoration du nombre d’occurrences des blocs d’une certaine longueur.
Lemme 2. Soit k ≥ 1 et ε ≤ r
−k(1 − r
−k). Une condition suffisante pour qu’une suite s ∈ A
nrsoit (k, ε)-normale est qu’il existe un entier l v´erifiant
12k
ε ≤ l ≤ nε 12 tel que
1
n N (b, s) ≤ ε
6kr
2kr
−lδ(r,k,ε/3)pour tout b ∈ A
lr(δ(r, k, ε) ´etant d´efini au lemme 1).
D ´e m o n s t r a t i o n. La m´ethode consiste `a calculer le nombre d’occur- rences d’un bloc b de longueur k dans les blocs successifs de longueur l de la suite s = ε
1. . . ε
n, et d’utiliser le fait qu’un grand nombre de ces blocs est (k, ε/3)-normal. Soit
S
b,s=
n−l
X
i=0
N (b, ε
i+1. . . ε
i+l).
A chaque occurrence du bloc b `a un rang j dans la suite s, avec l ≤ j ≤ n−l, il y a occurrence de ce bloc dans ε
i+1. . . ε
i+lpour l − k + 1 valeurs de i, donc on a
(1) |S
b,s− (l − k + 1)N (b, s)| ≤ 2l
2. On a un autre encadrement de S
b,s: compte tenu que
|N (b, ε
i+1. . . ε
i+l) − lr
−k| <
( ε
3 l si ε
i+1. . . ε
i+lest (k, ε/3)-normal, l sinon,
on en d´eduit, en sommant pour 0 ≤ i ≤ n − l, (2) |S
b,s− (n − l + 1)lr
−k| < ε
3 ln + lN (N , s),
o` u N est l’ensemble des suites b
0∈ A
lrnon (k, ε/3)-normales, et N (N , s) = X
b0∈N
N (b
0, s).
En majorant N (b
0, s) d’apr`es l’hypoth`ese, et #(N ) d’apr`es le lemme 1, N (N , s) ≤ n ε
3 . Puis, avec (1) et (2),
|(l − k + 1)N (b, s) − (n − l + 1)lr
−k| < 2l
2+ 2ε 3 ln,
|lN (b, s) − nlr
−k| < kn + 3l
2+ 2ε 3 ln et, compte tenu des hypoth`eses sur l, la (k, ε)-normalit´e de s.
2. Nombres de Naka¨ı–Shiokawa. Avec les notations de l’introduc- tion, on a la normalit´e de θ
sdans le cas suivant (d’apr`es [NS1] et [NS3]) :
Th´ eor` eme (Naka¨ı–Shiokawa). Soit la fonction g, d´efinie sur [1, ∞[ par g(x) = α
1x
β1+ . . . + α
dx
βdavec α
iet β
iconstantes r´eelles, α
i6= 0, β
i≥ 0 non tous nuls. On suppose g(x) ≥ 1 pour tout x ≥ 1, et on note [g(x)] la partie enti`ere de g(x). Alors le nombre
θ
g=
r0.[g(1)][g(2)][g(3)] . . .
est normal en base r. De plus, pour tout entier l ≥ 1 et tout bloc b = b
1. . . b
l∈ A
lr,
1
n N
r(θ
g, b, n) = 1 r
l+ O
1 log n
,
o`u N
r(θ
g, b, n) est le nombre d’occurrences du bloc b dans les n premiers termes du d´eveloppement de θ
g.
La constante impliqu´ee dans le terme en O(1/log n) d´epend de la fonction g et de la base r, mais aussi de l. Cependant on va la majorer par une fonction de l, ce qui permettra de majorer la discr´epance de la suite n → θ
gr
n.
Pour tout r´eel θ et tout intervalle I = [α, β[, on pose N (θ, I, n) = #({i ≤ n : θr
i∈ I mod 1}) et
D(θ, n) = sup
I⊆[0,1[
1
n N (θ, I, n) − (β − α)
.
Corollaire. D(θ
g, n) = O((log(log n))
2/ log n).
D ´e m o n s t r a t i o n. Les articles de Naka¨ı–Shiokawa d´emontrent l’esti- mation
(1) X
n≤x
N
r([g(n)], b) = 1
r
lx log
rg(x) + O(x log log x),
o` u N
r([g(n)], b) d´esigne le nombre d’occurrences du bloc b = b
1. . . b
ldans le d´eveloppement en base r de [g(n)]. Dans [NS1] et [NS3], le terme en O(x log log x) est am´elior´e en O(x). En reprenant les d´emonstrations (par exemple celles des paragraphes 3 de [NS1] et [NS2], qui sont plus simples que celle de [NS3]), on voit que la constante impliqu´ee dans le terme en O(x log log x) ne d´epend pas de l.
Puis ils d´eduisent de (1) l’estimation 1
n N
r(θ
g, b, n) = 1 r
l+ O
log log n log n
, o` u cette fois la constante impliqu´ee d´epend de l.
En effet, soit x l’entier qui v´erifie l
1+ . . . + l
x≤ n < l
1+ . . . + l
x+1, o` u l
jest la longueur du d´eveloppement en base r de [g(j)]; on a l’encadrement
X
n≤x
N
r([g(n)], b) ≤ N
r(θ
g, b, n) ≤ X
n≤x
N
r([g(n)], b) + xl + l
x+1. Comme n est ´egal `a x log
rg(x) + O(x), on d´eduit de (1) l’estimation
(2) 1
n N
r(θ
g, b, n) = 1 r
l+ O
l + log log n log n
.
Il reste `a calculer une estimation de N (θ
g, I, n) pour tout intervalle I. En utilisant la m´ethode de Schiffer (voir [Sc], fin de la d´emonstration du th´eor`eme 1), on peut se restreindre aux intervalles de la forme I = [0, i/r
j[, avec j = [log(log n)] et 0 ≤ i ≤ r
j. En effet, l’erreur commise est en O(log(log n)/ log n) (cons´equence de (2)). Puis on fait une partition de [0, i/r
j[ en (au plus) r intervalles de longueur 1/r, r intervalles de longueur 1/r
2, . . . , r intervalles de longueur 1/r
j:
[0, 1/r[, [1/r, 2/r[, . . . , [(ε − 1)/r, ε/r[ avec ε = [i/r
j−1] puis
[ε/r, ε/r + 1/r
2[, [ε/r + 1/r
2, ε/r + 2/r
2[ , . . . etc.
Ce permet de d´eduire de (2) l’estimation voulue (pour chacun de ces sous- intervalles, les entiers n tels que θr
nappartient `a cet intervalle correspondent aux occurrences, dans le d´eveloppement de θ, d’un bloc de longueur l, 1 ≤ l ≤ j).
La majoration de la discr´epance est meilleure dans les cas ´etudi´es par
Schiffer ([Sc]).
3. Modification de nombres normaux. Dans ce paragraphe, on con- sid`ere un r´eel θ ∈ [0, 1[, et un d´ecoupage en blocs de son d´eveloppement en base r; autrement dit, une suite d’entiers positifs (n
j)
j≥1telle que
θ =
r0.n
1n
2n
3. . .
On modifie le d´eveloppement de θ au moyen d’une famille de transducteurs (T
j)
j≥1d’alphabet A
r= {0, 1, . . . , r − 1}. Plus pr´ecis´ement, on dira que deux entiers positifs n et n
0, de d´eveloppement en base r
n =
ra
l. . . a
1= X
li=1
a
ir
i−1, a
l6= 0,
n
0=
rb
l0. . . b
1=
l0
X
i=1
b
ir
i−1, b
l06= 0,
se correspondent par un transducteur T s’il existe un chemin, d’´etat initial quelconque, dont les ´etiquettes d’entr´ee soient successivement a
1, a
2, . . . , a
l00(avec l
00= inf(l, l
0)), et les ´etiquettes de sortie b
1, b
2, . . . , b
l00; ou un chemin d’´etat initial quelconque dont les ´etiquettes d’entr´ee soient a
l00, . . . , a
2, a
1et les ´etiquettes de sortie b
l00, . . . , b
2, b
1. On dira qu’un r´eel
θ
0=
r0.n
01n
02n
03. . .
correspond `a θ par une famille de transducteurs (T
j)
j≥1si, pour tout j, l’entier n
jet l’entier n
0jse correspondent par le transducteur T
j, et si pour tout ε > 0 on a
|l
0j− l
j| = O((log j)
ε).
On est oblig´e d’envisager que l
0jsoit diff´erent de l
j, pour les applications du paragraphe 4.
La proposition 1 donne des conditions suffisantes pour que θ
0soit normal en base r; ces conditions portent sur la discr´epance de θ (et sont v´erifi´ees par presque tout r´eel θ), sur la suite (n
j)
j≥1et les transducteurs T
j. Rappelons qu’un transducteur est dit non-ambigu en sortie si, ´etant donn´es deux ´etats et une suite de lettres s, il existe au plus un chemin reliant ces deux ´etats, et dont la suite des ´etiquettes de sortie soit ´egale `a s. La notation D(θ, n) (discr´epance de θ) est d´efinie au d´ebut du paragraphe 2.
Proposition 1. On suppose que pour tout ε > 0, les conditions suivantes sont v´erifi´ees :
(i) D(θ, n) = O(1/(log n)
1−ε) (quand n → ∞), (ii) log n
j= Ω(log j),
(iii) les tranducteurs T
jsont non-ambigus en sortie, et le nombre d’´etats de T
jest en O((log j)
ε), de mˆeme que le nombre de transducteurs distincts parmi T
1, . . . , T
j.
Alors les nombres θ
0correspondant `a θ sont normaux en base r.
Dans le lemme suivant, on suppose qu’on a seulement une majoration du nombre d’occurrences N
r(θ, b, n) de certains blocs b dans les n premiers termes du d´eveloppement de θ, d’o` u on d´eduit une majoration analogue pour N
r(θ
0, b, n). On pose
N
r(θ, n) = sup
b
N
r(θ, b, n),
la borne sup´erieure portant sur tous les blocs b de longueur [log
r(log n)].
Lemme 3. Soit θ ∈ [0, 1[ tel que, pour tout ε > 0, N
r(θ, n) = O
n
(log n)
1−ε.
Si la suite (n
j)
j≥1et les transducteurs T
jv´erifient les conditions (ii) et (iii) de la proposition 1, alors N
r(θ
0, n) est aussi en O(n/(log n)
1−ε).
D ´e m o n s t r a t i o n. Pour tout j, soit l
jle nombre de chiffres du d´eve- loppement de n
jen base r (l
j= 1 + [log
r(n
j)]), et l
0jle nombre de chiffres de celui de n
0j. ´ Etant donn´e un bloc b
0de longueur l = [log
r(log n)], on a la majoration
N
r(θ
0, b
0, n) ≤ X
J j=1N
r(n
0j, b
0) + Jl
o` u J est le plus petit entier tel que P
Jj=1
l
0j≥ n. J est au plus ´egal `a n. Il s’agit donc de majorer pour tout j ≤ J, le nombre d’occurrences de b
0dans le d´eveloppement de n
0j. Si b
0apparaˆıt au rang h dans ce d´eveloppement (c’est-`a-dire, si le bloc des coefficients de r
h−1, r
h−2, . . . , r
h−lest ´egal `a b
0), si de plus l ≤ h ≤ inf(l
j, l
0j) alors le bloc de chiffres du d´eveloppement de n
jqui apparaˆıt au mˆeme rang est l’´etiquette d’entr´ee d’un chemin d’´etiquette de sortie b
0, dans le transducteur T
j. Plus pr´ecis´ement, la suite des ´etiquettes de sortie est ´egale `a la suite des lettres du bloc b
0, lue de gauche `a droite ou de droite `a gauche, et de mˆeme pour la suite des ´etiquettes d’entr´ee.
Soit ε > 0. On d´eduit de l’hypoth`ese (iii) qu’il existe une constante C (d´ependant de ε) telle que le nombre d’´etats de T
jsoit inf´erieur `a C(log J)
ε, pour tout J ≥ 2 et 1 ≤ j ≤ J. Donc pour j fix´e, le nombre de chemins appartenant au transducteur T
j(non-ambigu en sortie) et d’´etiquette de sortie b
0est inf´erieur `a C
2(log J)
2ε. D’autre part, il existe une constante D telle que le nombre de transducteurs distincts parmi T
1, . . . , T
Jsoit inf´erieur
`a D(log J)
εpour tout J ≥ 2. Le nombre de chemins appartenant `a un de ces transducteurs, et d’´etiquette de sortie b
0, est donc au plus ´egal `a l’entier
λ
J= [C
2D(log J)
3ε].
Soient b(1), . . . , b(λ
J) les ´etiquettes d’entr´ee de ces chemins. On a N
r(n
0j, b
0) ≤ |l
j0− l
j| +
λJ
X
i=1
N
r(n
j, b(i)),
N
r(θ
0, b
0, n) ≤ X
J j=1|l
0j− l
j| +
λJ
X
i=1
N
r(θ, b(i), m) + Jl,
avec m = P
Jj=1
l
j.
Le premier terme, compte tenu de l’hypoth`ese |l
0j− l
j| = O((log j)
ε), est en O(J(log J)
ε). Comme
|m − n| ≤ l
J0+ X
J j=1|l
j0− l
j|,
on peut remplacer m par n dans le deuxi`eme terme, avec une erreur en O(J(log J)
4ε). D’apr`es l’hypoth`ese sur N
r(θ, n), P
λJi=1
N
r(θ, b(i), n) est en O(λ
Jn/(log n)
1−ε), donc en O(n/(log n)
1−4ε). Il suffit, pour pouvoir con- clure, de v´erifier que les autres termes sont aussi en O(n/(log n)
1−4ε). On le d´eduit de l’estimation suivante de J : comme log n
jest en Ω(log j), on a
n = Ω
X
Jj=1
log j
= Ω(J log J), donc J = Ω
n
log J
= Ω
n
log n
. Lemme 4. Tout r´eel θ ∈ [0, 1[ v´erifiant la condition (i) de la proposition 1 v´erifie aussi l’hypoth`ese du lemme 3. D’autre part, tout r´eel θ ∈ [0, 1[ qui v´erifie l’hypoth`ese du lemme 3 est normal en base r.
D ´e m o n s t r a t i o n. Soit θ ∈ [0, 1[ v´erifiant la condition (i). Soient n ≥ 1, l = [log
r(log n)], un bloc b = b
1. . . b
l, et I l’intervalle des x ∈ [0, 1[ dont le d´eveloppement commence par b
1. . . b
l. Avec les notations du paragraphe 2 on a
N
r(θ, b, n) ≤ N (θ, I, n) ≤ n|I| + nD(θ, n).
Comme |I| = O(1/ log n), la condition du lemme 3 est v´erifi´ee.
Soit maintenant un r´eel θ ∈ [0, 1[ v´erifiant la condition du lemme 3. Il faut v´erifier qu’il est normal en base r. Il suffit de d´emontrer, ´etant donn´es k ≥ 1 et ε > 0, que les n premiers chiffres du d´eveloppement de θ forment une suite (k, ε)-normale si n est assez grand.
On peut appliquer le lemme 2 `a l’entier l = [log
r(log n)], qui v´erifie la premi`ere hypoth`ese de ce lemme pour n assez grand :
12k
ε ≤ l ≤ nε
12 .
Soit ε
0< 1 − δ, avec δ = δ(r, k, ε/3) < 1 d´efini au lemme 1. Puisque (1/n)N
r(θ, n) est par hypoth`ese en O(1/(log n)
1−ε0) = O(1/r
l(1−ε0)), il est inf´erieur `a (ε/(6kr
2k))r
−lδpour n assez grand, et la deuxi`eme hypoth`ese du lemme 2 est v´erifi´ee.
La proposition 1 se d´eduit facilement des lemmes 3 et 4.
4. Application aux modifications additives ou multiplicatives.
C’est l’application du paragraphe 3 au cas des transducteurs de multiplica- tion, de division, d’addition ou de soustraction (voir par exemple [BlDT]), dont on va rappeler la d´efinition dans le cas des nombres entiers.
Soit n ∈ N, de d´eveloppement en base r
n = a
lr
l−1+ . . . + a
1, a
l6= 0.
Le transducteur de multiplication par l’entier λ a pour alphabet A
r= {0, 1, . . . , r − 1} et pour ensemble d’´etats A
λ= {0, 1, . . . , λ − 1}. Deux ´etats c et c
0sont reli´es par un arc d’´etiquette d’entr´ee a et de sortie b ssi
λa + c = rc
0+ b.
Donc en choisissant pour ´etat initial c = 0 et en entrant successivement les lettres a
1, a
2, . . . , a
l, 0, 0, . . . , la suite des ´etiquettes de sortie
b
1, b
2, . . . , b
l0, 0, 0, . . . avec b
l06= 0 est le d´eveloppement de nλ, c’est-`a-dire,
nλ = b
l0r
l0−1+ . . . + b
1.
Le transducteur de division par λ a mˆeme alphabet et mˆeme ensemble d’´etats. La condition λa + c = rc
0+ b est remplac´ee par rc + a = λb + c
0. En choisissant l’´etat initial c = 0 et en entrant successivement les lettres a
l, a
l−1, . . . , a
1, la suite des ´etiquettes de sortie
0, . . . , 0, b
l0, b
l0−1, . . . , b
1avec b
l06= 0 est le d´eveloppement de [n/λ] : [n/λ] = b
l0r
l0−1+ . . . + b
1.
Le transducteur d’addition de λ d´epend de son d´eveloppement en base r : λ = λ
hr
h−1+ . . . + λ
1, λ
h6= 0.
Il a mˆeme alphabet A
rmais son ensemble d’´etats est {0, 1} × {1, . . . , h}.
Deux ´etats (c, i) et (c
0, i
0) sont reli´es par un arc d’´etiquette d’entr´ee a et de sortie b ssi
a + λ
i+ c = rc
0+ b et i
0= i + 1.
Avec l’´etat initial (c, i) = (0, 1) et les ´etiquettes d’entr´ee a
1, a
2, . . . , a
l, 0, 0, . . . on obtient comme ´etiquettes de sortie
b
1, b
2, . . . , b
l0, 0, 0, . . . (b
l06= 0)
telles que n + λ = b
l0r
l0−1+ . . . + b
1.
Pour le transducteur de soustraction, la condition a + λ
i+ c = rc
0+ b est remplac´ee par
(rc
0+ a) − (λ
i+ c) = b, avec c
0= 1 ssi a < λ
i+ c.
On obtient le d´eveloppement de n − λ de la mˆeme fa¸con que pour le trans- ducteur d’addition.
Proposition 2. On suppose qu’un r´eel θ =
r0.n
1n
2n
3. . . v´erifie les conditions (i) et (ii) de la proposition 1. Soient trois suites (λ
j)
j≥1, (µ
j)
j≥1(`a valeurs dans N \ {0}) et (ν
j)
j≥1(`a valeurs dans Z). On suppose que, pour tout ε > 0,
λ
j+ µ
j+ |ν
j| = O((log j)
ε) quand j → ∞.
Soit, pour tout j, n
0jla partie enti`ere de (λ
j/µ
j)n
j+ ν
j. Alors si les n
0jsont positifs, le r´eel
θ
0=
r0.n
01n
02n
03. . . est normal en base r.
La proposition 2 est bien sˆ ur applicable au cas o` u θ est un nombre de Naka¨ı–Shiokawa, ou un nombre de Schiffer.
D ´e m o n s t r a t i o n. θ v´erifie l’hypoth`ese du lemme 3, d’apr`es le lemme 4. Les transducteurs de multiplication par λ
j, division par µ
j, addition de sup(ν
j, 0) et soustraction de sup(−ν
j, 0) v´erifient la condition (iii). On peut donc appliquer le lemme 3 en utilisant successivement ces quatre familles de transducteurs; on obtient
N
r(θ
0, n) = O
n
(log n)
1−εpour tout ε > 0.
D’apr`es le lemme 4, θ
0est normal en base r.
R e m a r q u e 1. Le cas des modifications additives d’un nombre normal en base r,
θ =
r0.n
1n
2n
3. . . ,
a ´et´e trait´e par Volkmann ([V]), si la suite (n
j)
j≥1est non d´ecroissante et ν
j≥ 0. L’hypoth`ese ν
j= O((n
j)
ε) pour tout ε > 0 (autrement dit, log ν
j= O(log n
j)) implique que le nombre
θ
0=
r0.(n
1+ ν
1)(n
2+ ν
2)(n
3+ ν
3) . . . est aussi normal en base r.
Par contre, l’hypoth`ese ν
j= O((n
j)
ε) pour ε > 0 fix´e ne l’implique pas;
on peut construire facilement un contre-exemple. On d´efinit l’entier ν
jen posant que, si n
ja pour d´eveloppement
n
j=
ra
jlj. . . a
j1,
n
j+ ν
ja pour d´eveloppement
n
j+ ν
j=
ra
jlj. . . a
j(hj+1)(r − 1)
hjavec h
j= [ε log
rn
j].
Comme ν
jest au plus ´egal `a r
hj−1, on a bien ν
j< (n
j)
ε. La limite inf´erieure de h
j/l
j´etant au moins ´egale `a ε, le r´eel θ
0ne peut pas ˆetre normal en base r : pour tout k ∈ N, la fr´equence d’occurrence du bloc 0
kest au moins ´egale (en limite inf´erieure) `a ε, qui est ind´ependant de k.
D’autre part, on peut consid´erer que le nombre non normal θ
0est obtenu
`a partir de θ en multipliant chaque n
jpar (n
j+ν
j)/n
j, donc par un rationnel qui tend vers 1 quand j tend vers ∞. Ceci prouve l’utilit´e de faire, `a la proposition 2, une hypoth`ese sur le type de croissance de la suite λ
j+ µ
jet non sur celle de λ
j/µ
j.
R e m a r q u e 2. Pour la proposition 1, on peut avoir une estimation de D(θ
0, n) `a condition de renforcer les hypoth`eses sur θ et sur les transducteurs T
j. Supposons qu’il existe une constante λ telle que
D(θ, n) = O
(log log n)
λlog n
, |l
0j− l
j| = O((log log j)
λ)
et que le nombre d’´etats du transducteur T
j, et le nombre de transduc- teurs distincts parmi T
1, . . . , T
j, sont en O((log log j)
λ). On en d´eduit que N
r(θ, n) (d´efini au lemme 3) est plus petit que Cnl
λ/ log n (C constante, l = [log
r(log n)]).
Par la mˆeme d´emonstration qu’au lemme 3, N
r(θ
0, n) est plus petit que C
0nl
4λ+1/ log n (C
0constante). Pour pouvoir appliquer le lemme 2, on va v´erifier la majoration
C
0l
4λ+1log n < ε
6kr
2kr
−l(1−8ε2/(81k log r)).
Posons ε = l
−αet k ≤ l
β; cette in´egalit´e est v´erifi´ee pour tout k ≤ l
βsi 6C
0l
4λ+1+α+β< r
8l1−2α−β/(81 log r)−2lβ.
Elle est ´evidemment v´erifi´ee pour l assez grand si α + β < 1/2.
Les n premiers termes du d´eveloppement de θ
0forment donc une suite (k, ε)-normale pour tout k ≤ l
β. On en d´eduit par la m´ethode de Schiffer ([Sc], d´emonstration du th´eor`eme 1)
D(θ
0, n) = O
1
(log log n)
1/2−εpour tout ε > 0.
R e m a r q u e 3. Soit s (resp. s
0) la suite des ´etiquettes d’entr´ee (resp.
de sortie) d’un chemin de longueur n, dans un transducteur non-ambigu
en sortie. D’apr`es l’article [BlDT] sur la pr´eservation de la normalit´e par
transducteur, on sait (corollaire 3.4) que pour tout k, ε il existe l, η tels que s (l, η)-normale ⇒ s
0(k, ε)-normale.
On peut pr´eciser ici les conditions suffisantes sur l et η. Supposons 81k
8ε
2log 12d
2kr
2kε ≤ l ≤ nε
12 et η = ε
12d
2kr
2kr
−lδ,
o` u d est le nombre d’´etats du transducteur, et δ = δ(r, k, ε/3) est d´efini au lemme 1. (Cette hypoth`ese implique que n est assez grand. D’autre part, on suppose toujours ε ≤ r
−k(1 − r
−k).)
Soit b un bloc de longueur l; comme la suite s est (l, η)-normale, on peut majorer (1/n)N (b, s) par r
−l+ η, et finalement par 2η car on a (en rempla¸cant η et δ par leurs valeurs, puis en utilisant l’hypoth`ese sur l)
ηr
l= ε
12d
2kr
2ke
8lε2/(81k)≥ 1.
Par une d´emonstration semblable `a celle du lemme 3, on a N (b
0, s
0) ≤ d
2sup
b∈Alr