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Vers un changement de dominante

LE ROMAN DE L'HISTOIRE DANS L'HISTOIRE DU ROMAN

1.3. Vers un changement de dominante

Il existe des approches très intéressantes à la question du roman historique dans l'aire anglo-saxonne ; cependant, le temps nous manque pour une étude plus approfondie. Surtout à cause des différences et des complexités de la terminologie, problème bien connu, certaines catégories étant plus opératoires qu'en France – comme le postmodernisme, le roman postmoderne, la fiction métanarrative ou "postmodern fiction" – même si Brian McHale souligne d’un clin d'œil que le postmodernisme n'existe pas, de même que la Renaissance et d'autres catégories créées par les théoriciens245.

C'est à Brian McHale que nous devons les réflexions sur le changement de dominante d'une œuvre d'art – dans l'acception proposée par Roman Jakobson246 – phénomène sensible, à mon avis, dans le nouveau roman historique latino-américain. McHale lui-même s'inspire de Higgins, cité d'ailleurs dans l'épigraphe de son livre :

The Cognitive Questions (asked by most artists of the 20th century, Platonic or Aristotelian, till around 1958) : "How can I interpret this world of which I am a part ? And what am I in it ?"

The Postcognitive Questions (asked by most artists since then) : "Which world is this ? What is to be done in it ? Which of my selves is to do it ?" 247

Les questions typiquement postmodernes se concentrent sur l'ontologie du texte littéraire ou sur l'ontologie du monde crée par le texte : non seulement elles correspondent parfaitement à la catégorie des romans historiques anti-illusionnistes proposée par Spang, mais elles enrichissent la perspective théorique de l'étude du nouveau roman historique dans les chapitres à suivre.

245 Cf. B. McHale, Postmodernist Fiction, London & New York, Routledge, 1987, 264 p.

Surtout le chap. I : "From Modernist to Posmodernist Fiction : change of dominant", p.

3-25.

246 Cf. R. Jakobson, "The Dominant", in Readings in Russian Poetics : Formalists and Structuralists Views, L. Matejka & K. Pomorska (ed.), Cambridge, 1971, p. 105-110.

247 Cf. D. Higgins, A Dialectic of Centuries : Notes towards a Theory of the New Arts, New York, 1978, p. 101.

A cheval entre le roman historique traditionnel et le nouveau roman historique, Daniel Cowart divise la fiction historique en quatre catégories :

(1) The Way It Was – fictions whose authors aspire purely or largely to historical verisimilitude.

(2) The Way It Will Be – fictions whose authors reverse history to contemplate the future.

(3) The Turning Point – fictions whose authors seek to pinpoint the precise historical moment when the modern age or some prominent feature of it came into existence.

(4) The Distant Mirror – fictions whose authors project the present into the past248.

Dans la première catégorie ("comment les choses se sont passées") Cowart place les romans qui visent à recréer le passé de la manière la plus dramatique possible, en accentuant les différences avec le présent, parfois en pulvérisant la version officielle de l'histoire. Les romans de la deuxième catégorie ("comment les choses vont se passer") renversent l'ordre du roman historique pour s'intéresser au futur au lieu du passé, sans se défaire d'un vaste savoir historique. La troisième catégorie ("le tournant", "le point crucial") concerne les romans qui cherchent à déterminer le moment décisif dans le passé et tentent d'établir quand et comment le présent est devenu présent. La quatrième et dernière catégorie se place sous le signe d'un "miroir distant" – autrement dit, c'est le présent qui se reflète dans le passé. Voilà la raison pour laquelle on y trouve des visions de l'histoire beaucoup plus surprenantes. Selon Cowart, les romanciers qui projettent leur propre époque sur l'écran du passé offrent une nouvelle perspective sur le temps présent : soit ils suggèrent que les changements historiques n'étaient qu'une illusion, soit ils découvrent une véritable richesse d'allégories, soit ils démontrent une théorie cyclique de l'histoire. Bien entendu, peu de romans appartiennent à une seule catégorie.

En résumé de ce chapitre, définissons le roman historique traditionnel comme celui qui se propose de reconstituer l'image d'une époque passée (le trait historique), à travers les destins individuels des personnages fictifs (le trait romanesque). D'un côté, il se veut une résurrection du passé, sa reconstitution à la fois onirique et fidèle : d'où le travail de documentation, la minutie presque archéologique, l'effort

248 D. Cowart, ibidem, p. 8-9.

d'atteindre la vérité historique de l'événement ou de l'époque représentés.

De l'autre côté, le récit romanesque promet aux lecteurs de leur faire oublier le présent : il offre en quelque sorte un rêve éveillé, un voyage instantané dans le passé, une impression d'avoir participé aux scènes décrites comme si c'étaient des scènes vécues249. Le discours du roman historique traditionnel se veut transparent, tel le discours de l'historien, et le narrateur omniscient et omniprésent pénètre librement au cœur des personnages. Il se garde toutefois de faire transparaître son savoir d'homme de son temps, en se situant volontiers dans la perspective de ses héros.

Toutefois, les verbes employés au passé marquent solidement l'éloignement d'une action située dans une époque définitivement révolue.

Après avoir connu un grand succès dans tous les pays occidentaux déchirés par les crises politiques et économiques du 19e siècle, le roman historique entre lui-même dans une période de crise avec l'avènement du 20e siècle. Selon Gyorg Lukács cette décadence du roman historique est liée à son détachement de plus en plus dérisoire de la réalité. Si en 1905 un roman historique, de la tradition la plus pure, est encore capable d'obtenir le Prix Nobel250, c'est précisément parce que les préoccupations de son auteur entretiennent une complicité avec la situation de ses compatriotes. Dans les pays où, plusieurs générations durant, la nation cède à un régime étranger, la commémoration du passé reste la seule façon de lutter pour préserver la culture d'une nation et son identité. En déguisant le présent, les envahisseurs et les dissidents en costumes d'époques lointaines251, le roman historique peut jouer avec la censure et apporter indirectement à ses lecteurs un message d'espoir. Nous retrouverons la même lutte avec la version imposée des faits, la même histoire oubliée que la fiction permet de conserver, dans le roman historique contemporain.

249 Nous pourrons retrouver les mêmes objectifs et les mêmes promesses dans la plupart des films historiques du 20e siècle.

250 Quo vadis (1896) de Henryk Sienkiewicz, écrivain extrêmement populaire et auteur des cycles entiers de romans historiques consacrés, pour la plupart, à la gloire passée de la Pologne. Quo vadis est une remarquable exception qui tente de reconstituer la Rome de Néron, pour y peindre les amours d'un notable romain et d'une jeune fille chrétienne.

251 Comme le fait par exemple Boleslaw Prus dans son Faraon (1897), devenu plus tard un chef-d'œuvre cinématographique.

Chapitre II

LA TRADITION DU ROMAN HISTORIQUE EN AMERIQUE