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LE NOUVEAU ROMAN HISTORIQUE EN AMERIQUE LATINE

3.1. Les prémisses

3.2.3. Les origines du boom

Quant à la popularité des romans historiques en Amérique latine, Seymour Menton souligne que le nombre des romans publiés entre 1979-1992 (il en compte 198) excède celui des 30 années précédentes, 1949-1979 (158 romans historiques, dont une dizaine seulement correspond à un désir de rénover l'ancien moule). A partir de 1979, la prépondérance du nouveau roman historique hispano-américain est notoire. Ainsi les grandes figures contemporaines cultivant le nouveau roman historique sont d'abord et surtout des auteurs latino-américains : Alejo Carpentier (1904-1980), Augusto Roa Bastos (1917-2005), Mario Vargas Llosa (1924- ), Carlos Fuentes (1928-), Abel Posse (1934-), Fernando Del Paso (1935-), Sergio Ramírez (1942-), Reinaldo Arenas (1943-1990).

Menton questionne les raisons d'une telle popularité des romans historiques en Amérique latine à partir des années 70. Par la très grande variété des romans historiques publiés, il est difficile d'imaginer un seul et unique motif incitant plusieurs auteurs à se pencher sur le passé.

Cependant, l'un des plus récurrents est sans doute l'imminence du 500e anniversaire de l'entreprise de Christophe Colomb : ce n'est certainement pas par hasard si la figure paradigmatique de l'Amiral marque en 1975 Terra Nostra de Fuentes et aussi, brièvement, El otoño del patriarca de García Márquez ; en 1979 El arpa y la sombra de Carpentier, et El mar de las lentejas, d'Antonio Benítez Rojo, puis en 1980 une apocryphe Crónica del descubrimiento de l'Europe par un groupe de 60 Indiens, chez l'écrivain uruguayen Alejandro Paternain ; en 1983 Los perros del Paraíso d'Abel Posse, en 1988 Memorias del Nuevo Mundo d'Homero Aridjis, et en 1992 Las puertas del mundo (una biografía hipócrita del Almirante) de l'écrivain et poète mexicain Herminio Martínez, puis Vigilia del Almirante d'Augusto Roa Bastos. Dans ce dernier cas, le nom de Colomb est rigoureusement absent du texte, tandis que l'auteur assigne à la figure de l'Amiral la conscience des cinq siècles qui ont suivi son expédition.

N'oublions pas Carlos Fuentes qui publie en 1987 un roman futuriste au titre symptomatique Cristóbal Nonato, ouvrage dans lequel il imagine un concours destiné à choisir l'héritier de Colomb :

El niño de sexo masculino que nazca precisamente a las 0:00 horas del día 12 de octubre de 1992 y cuyo nombre de familia, aparte del nombre de pila (seguramente, lo estimamos bien, Cristóbal) más semejanzas guarde con el Ilustre Navegante será proclamado hijo pródigo de la patria, su educación será proveída por la República y dentro de dieciocho años le serán entregadas las llaves de la República, proemio a su instalación, al cumplir veintiún años, como regente de la nación, con poderes de elección, sucesión y selección prácticamente omnímodos322.

Toutefois il est évident que l'influence du 500e anniversaire de la découverte du Nouveau Monde sur le développement de la nueva novela histórica ne concerne pas une remise en question exclusive du personnage de Colomb. Menton souligne l'importance d'un questionnement général, commun à tous les pays latino-américains, de l'histoire officielle de cette découverte, ainsi que de son héritage. Dans plusieurs d’entre eux surgissent de nouveaux héros nationaux, qui ne sont autres que des Indiens combattant des conquistadors, comme à Cuba – le rebelle Hatuey, au Mexique – Cuauhtémoc, le dernier souverain aztèque, pendu par Cortés, et au Chili – Caupolicán, Galvario, Lautaro, de légendaires chefs mapuches, dotés d'un courage impressionnant même aux yeux de l'ennemi.

La célébration du 500e anniversaire suscite, ou plutôt ressuscite une polémique entre critiques et défenseurs de la conquête espagnole. Menton évoque une réunion de plusieurs commissions nationales, convoquée en 1984 à Santo Domingo, où la délégation mexicaine propose de commémorer 1492 comme "Encuentro de Dos Mundos", selon l'idée de Miguel León Portilla – déjà très célèbre pour avoir déplacé le point de vue sur la conquête vers les positions des vaincus323. Au Mexique, le 12

322 C. Fuentes, Crístobal Nonato, México, Fondo de Cultura Económica, 1987, p. 13-14.

323 M. León Portilla est auteur ou éditeur de divers ouvrages sur la conquête vue par des Indiens, dont la plus connue est peut-être son anthologie de textes nahuatl préhispaniques, avec copies d'illustrations venant des Codex indigènes – Visión de los vencidos : relaciones indígenas de la Conquista (ed. M. León-Portilla ; versión de textos nahuas A.

Ma. Garibay K.) ; México, Ed. de la Universidad nacional autónoma, 1959, 188 p. ; voir aussi El reverso de la conquista. Relaciones aztecas, mayas e incas ; México, J. Mortiz , 1969, 195 p. ; Los franciscanos vistos por el hombre náhuatl : testimonios indígenas del siglo XVI, México, Universidad nacional autónoma de México, 1985, 87 p., Raíces indígenas, presencia hispánica : disertaciones de miembros del Colegio nacional reunidas en ocasión de su primer cincuentenario (introd. & éd. M. León-Portilla), México, Colegio nacional, 1993, 705 p. ; voir aussi In iihiyo, in itlahtol = Su aliento, su

octobre 1986, une manifestation indienne traverse la capitale pour commémorer "el Día de la Dignidad del Indio"324. En 1989, la Confederación de Nacionalidades Indígenas del Ecuador (CONAIE) proteste officiellement contre la commémoration de l'invasion espagnole : il a même été question d’organiser un congrès pour le 500e anniversaire de la résistance indigène325.

Rapelons également l'initiative du président vénézuélien, Carlos Andrés Pérez, de réunir en 1991 plusieurs éminents personnalités de la vie culturelle et politique, afin de préparer une autre rencontre et rédiger une déclaration latino-américaine sur la découverte de l'Amérique.

Néanmoins, la rencontre suivante n'a pas eu lieu et par conséquent la déclaration prévue pour 1992 n'a pas été rédigée. Et lorsque, la veille de la célébration, l'Uruguayen Eduardo Galeano, remarqué pour son engagement politique et ses prises de position radicales326 publie "Cinco siglos de prohibición del arcoiris en el cielo americano", il parle du génocide indigène des siècles passés, certes, mais surtout de "l'autrecide"

contemporain327.

Cependant, si c'est incontestablement autour de l'année 1992 que la production des romans historiques hispano-américains s'intensifie, il faut aussi chercher ailleurs la raison d'un tel phénomène. Menton livre une interprétation plus pessimiste, selon laquelle l'intérêt grandissant pour le passé répondrait en effet à un désir d'échapper à un présent de plus en plus oppressant. Nul besoin de rappeler que les années 70 (et le boom du roman historique hispano-américain) correspondent aux pires crimes et abus perpétrés par les dictatures militaires (Argentine, Brésil, Chili, Paraguay,

palabra : homenaje a Miguel León Portilla, México, D.F. Instituto de Investigaciones Históricas, UNAM, El Colegio Nacional, Instituto Nacional de Antropología e Historia, 1997, 364 p.

324 L'événement évoqué par S. Menton, op.cit., p. 50.

325 Cf. Casa de las Americas, La Habana, V-VI. 1989, p. 118.

326 E. Galeano est surtout connu pour avoir publié Las venas abiertas de América Latina (1971), dont l'édition française porte un titre bien symptomatique : Les Veines ouvertes de l'Amérique latine : une contre-histoire (trad. Cl. Couffon), Paris, Plon, 1971, 468 p.

Voir aussi El descubrimiento de América que todavía no fue y otros escritos, édité en France 500 ans après le premier voyage de Colomb : Amérique, la découverte qui n'a pas encore eu lieu (trad. P. Guillaumin), Paris, Messidor, 1992, 117 p.

327 E. Galeano, Ser como ellos y otros artículos (des articles et essais 1989 et 1992), Montevideo, Ed. del Chanchito, 1992, 129 p.

Uruguay…), soutenues, ouvertement ou en sous-main, par les Etats-Unis.

En écrasant les opposants politiques, en affaiblissant le mouvement social, les régimes militaires jettent les bases théoriques et pratiques des politiques néolibérales qui prendront toute leur ampleur dans les années 90. Entre temps, la "décennie perdue" des années 80 est marquée par une profonde crise économique, une hyperinflation dévastatrice, des déstructurations sociales et bien d'instabilités politiques. La crise de la dette extérieure, écartant le sous-continent des marchés financiers, le saigne à blanc, avec un transfert négatif de ressources financières (de près de 25 milliards de dollars en moyenne annuelle) en direction du Nord.

Aujourd'hui l'Amérique latine, avec ses 550 millions d'habitants environ (2006), est considérée toujours comme une "zone émergente", et comme une sorte de laboratoire où sont expérimentés tous les types d'ajustement et leur combinaison. Les réformes économiques mises en œuvre ces dernières années ont procuré de substantiels résultats quant à la stabilité macro-économique, le redémarrage de la croissance, l'insertion internationale et l'intégration régionale – mais la situation reste fragile, comme le prouve l'exemple argentin.

Il n'est pas étonnant que, face à une telle situation d'abord politique, ensuite socio-économique, les auteurs contemporains s'intéressent à l'histoire. Non seulement le fait de se plonger dans le passé permet d'oublier momentanément le présent – mais, surtout, de mieux comprendre la genèse de la situation actuelle. Or, la genèse de plusieurs conflits et abus semble bien remonter jusqu'aux premières découvertes géographiques. Les clefs pour comprendre les complexités du présent se cachent dans les méandres du passé, et le fait de récupérer et de dégager ne serait-ce qu'une parcelle du puzzle semble porteur d'espoir. D'autre part, il est clair que l'histoire aime se répéter, il est donc préférable de cultiver la mémoire des erreurs du passé, dotée d'une conscience moderne et des perspectives contemporaines. Telle est l'ultime hypothèse pour expliquer le succès que rencontre en Amérique latine non seulement le roman historique et le nouveau roman historique, mais également le roman-témoignage ainsi que les biographies romancées et soigneusement documentées. Menton estime d'ailleurs que la popularité du testimonio est comparable à celle de la nueva

novela histórica, même si c'est à cette dernière qu'appartient le succès éditorial328.

A la retraite depuis la publication de La Nueva Novela Histórica de la América Latina 1979 – 1992, Menton continue ses recherches sur la littérature hispano-américaine contemporaine. Lorsque je l'interroge sur ses préférences concernant le roman historique latino-américain, Menton mentionne Margarita, está linda la mar de Sergio Ramírez, qu'il classifie comme un nouveau roman historique, Rey del Albor. Madrugada de Julio Escoto, qui selon ses propres paroles : "no es Nueva Novela Histórica sino más bien una combinación de novela nacional, muralística y una novela cibernética estilo James Bond"329, et El año del laberinto de la costaricaine Tatiana Lobo Wiehoff. Ce dernier roman est écrit dans un style plus traditionnel, mais il lui plaît visiblement davantage que son Asalto al paraíso, salué par la critique locale comme le premier roman historique moderne330.

3. 3. La poétique

S'il est évident, tant pour Fernando Aínsa que pour Seymour Menton, qu’il faut chercher les racines du nouveau roman historique dans

328 "El único género novelístico capaz de competir, en las dos últimas décadas, con la Nueva Novela Histórica es la novela testimonial o la crónica. Aunque sus antecedentes se remontan a 1848-1961 : Juan Pérez Jolote (1848) de Ricardo Pozas, Quarto de despejo (1960) de Carolina de Jesús y Cinco familias (1959) y Los hijos de Sánchez (1961) de Oscar Lewis, su auge coincide en parte con la NNH : La noche de Tlateloco (1971) de Elena Poniatowska, Operación Masacre (1972) de Roberto Walsh, Miguel Mármol (1972) de Roque Dalton, Los periodistas (1978) de Vicente Leñero, La montaña es algo más que una inmensa estepa verde (1982) de Omar Cabezas Lacayo y Me llamo Rigoberta Menchú (1983) de Elizaberth Burgos Debray. […] Aun en su periodo de apogeo, la novela testimonial nunca alcanzó la alta productividad, la gran variedad y la calidad artística sobresaliente de la Nueva Novela Histórica. Como ejemplo simbólico de la victoria de la NNH sobre la novela testimonial, Elena Poniatowska, tal vez la mejor de todos los cronistas testimoniales, publicó en julio 1992 la novela histórica Tinísima. (S.

Menton, op. cit., p. 54-55.)

329 Cf. aussi S. Menton, "James Bond invade Honduras" in Ancora (Suplemento Cultural de La Nación), 11.03.2001.

330 "Tatiana Lobo le ha dado una lección a los escritores del país sobre cómo hacer una novela histórica al estilo de las corrientes literarias latinoamericanas de nuestros días…"

– "écrit E. Tovar, "Asalto al Paraíso", in Gaceta, 21.04.1993.

la littérature hispano-américaine, Celia Fernández Prieto de l'Université de Santiago de Compostela a la bonne intuition d'élargir cette notion à la littérature hispanique contemporaine comme à la littérature européenne.

Dans son travail d'investigation achevé en 1997 et publié l'année suivante, elle s'intéresse surtout à la poétique du roman historique dès sa constitution et à travers les différentes étapes de son évolution, et base son analyse sur un corpus constitué en majeure partie de romans espagnols et hispano-américains, mais également de romans français, italiens, anglais et allemands331.

Après avoir retracé l’évolution du roman historique traditionnel durant le 19e siècle et la première moitié du 20e, l'auteur rappelle le diagnostic de Julio Ortega y Gasset de 1925. Celui-ci décrétait non seulement l’épuisement de l’esthétique mimétique du roman réaliste et, en général, de tout roman renvoyant le lecteur à une réalité extra-littéraire, mais il estimait en outre le roman historique comme parfaitement impossible et difficilement inacceptable pour le lecteur :

…Encuentro aquí la causa, nunca bien declarada, de la enorme dificultad – tal vez imposibilidad – aneja a la llamada "novela histórica". La pretensión de que el cosmos imaginado posea a la vez autenticidad histórica, mantiene en aquélla una permanente colisión entre dos horizontes. Y como cada horizonte exige una acomodación distinta de nuestro aparato visual tenemos que cambiar constantemente de actitud ; no se deja al lector soñar tranquilo la novela, ni pensar rigurosamente la historia. En cada página vacila, no sabiendo si proyectar el hecho y la figura sobre el horizonte imaginario o sobre el histórico, con lo cual todo adquiere un aire de falsedad y convención. El intento de hacer compenetrarse ambos mundos produce sólo la mutua negación de uno y de otro : el autor – nos parece – falsifica la historia aproximándola demasiado, y desvirtúa la novela, alejándola con exceso de nosotros hacia el plano abstracto de la verdad histórica...332

Si les années suivantes prouvent que le diagnostic du penseur espagnol était trop pessimiste, c'est vraisemblablement parce que le roman historique a continué d'évoluer, que les attentes des lecteurs ont aussi changé et que le pire défaut du genre jugé trop hybride devient aujourd'hui

331 C. Fernandez Prieto Historia y novela : poética de la novela histórica, Pamplona, Ediciones Universidad de Navarra S.A., 1998, 240 p.

332 J. Ortega y Gasset, "Ideas sobre la novela" (1925) en Obras Completas, tome III, Madrid, Revista de Occidente, 1955, p. 411-412.

son attrait majeur, et cela même si les voix critiques face à cet hybridisme n'ont pas disparu pour autant333. En effet, le roman historique resurgit après la Seconde Guerre mondiale, et partage un succès universel auprès du public avec d'autres genres hybrides et limitrophes, comme l'autobiographie, la biographie, le journal, l'autofiction334 ou, dans le monde anglo-saxon, non fiction novel ou faction : mot-valise, composé de fact et de fiction335.

L'ouvrage contient un chapitre consacré à ce que Fernández Prieto appelle, elle aussi, la nueva novela histórica. Dans ce chapitre elle prend bien soin de dégager les deux axes majeurs de la fiction historique contemporaine : le premier, plus classique, respecte les traits essentiels du modèle traditionnel ; le deuxième, typique du nouveau roman historique proprement dit (qu'elle appelle aussi "le roman historique postmoderne"), les alterne. Les romans historiques qui poursuivent aujourd'hui la trajectoire initiée par Scott maintiennent le respect des sources et des données qu'ils en tirent, ainsi que le respect des versions historiques qu'ils épousent, et conservent l'intention d'enseigner l'histoire aux lecteurs. Mais les mêmes romans apportent d'intéressantes innovations formelles et thématiques, qui se concrétisent dans la subjectivisation de l'histoire et dans la dissolution des frontières temporelles entre le passé de l'histoire et le présent de l'énonciation, ce qui octroie à la narration une transcendance mythique. D'autre part, l'abandon du narrateur omniscient favorise des perspectives partielles, individualisées, souvent exprimées à la première personne. Afin d'illustrer cette actualisation du modèle traditionnel, Fernández Prieto cite comme exemple Mémoires d'Hadrien (1951) de M.

Yourcenar, Extramuros (1978) et Cabrera (1981) de J. Fernández Santos,

333 "La novela histórica me parece inadmisible, es un híbrido, algo de lo que abomino profundamente" – dixit Juan José Saer, lauréat du Prix Nadal pour son roman La ocasión, dont l'action se situe dans la pampa argentine au 19e siècle (Cf. El País, édition du 8.01.1988, p. 20).

334 Cf. Autofictions & Cie (sous la dir. S. Doubrovsky, J. Lecarme & P. Lejeune), Nanterre, Publidix, RITM, n°6, 249 p., 1994.

335 Le Prix Nobel (2001) V. S. Naipaul estime que l'appellation "faction" s'adapte mieux à ses romans que le terme traditionnel de "novel" : "there is a crust of fact but beyond that the writer's fantasy is working". Autrement dit, il s'agit de la fiction en tant que

"experience totally transformed". (Cf. "V. S. Naipaul, His third world", in The Hindu (online edition of India's National Newspaper), 21.10.2001.

El himno de Riego (1984) de J. Esteban, El insomnio de una noche de invierno (1984) de E. Alonso, El bobo ilustrado (1984) de Gabriel y Galán, Los espejos paralelos de (1991) de N. Lujan, La ronda del pecado mortal (1992) de J. Ma García López, En el último azul (1994) de C. Riera, Las visiones de Lucrecia (1996), de J. María Merino, Bomarzo (1962) et El laberinto (1974) de M. Mujica Láinez, Lope de Aguirre, príncipe de la libertad (1979), de M. Otero Silva, El general en su laberinto (1989) de G. García Márquez et La visita en el tiempo (1990) de Uslar Pietri.

Quant au nouveau roman historique, il remet ouvertement en question la validité des piliers fondamentaux de la tradition, essentiellement à travers la distorsion du matériel historique dans la narration et la méta-fiction devenue la dominante formelle et thématique du nouveau genre. Fernández Prieto nous propose une analyse détaillée de ces deux caractéristiques, qu'elle juge fondamentales pour distinguer le nouveau roman historique de sa variante contemporaine plus traditionaliste.

3. 3. 1. Distorsion des données historiques

Ce phénomène concerne les événements historiques, les personnages historiques, la chronologie établie par l'historiographie officielle – en un mot, tout le matériel qu'un romancier trouve à sa disposition et qu'un roman historique était, jusqu'ici, tenu de respecter. Or, le nouveau roman historique non seulement altère consciemment les versions généralement acceptées des faits, modifie volontairement les caractéristiques communément admises des personnages historiques, mais va jusqu'à douter manifestement du déroulement et du résultat des événements. L'analyse de Fernández Prieto permet de distinguer trois procédés narratifs propices à une telle distorsion de l'Histoire.

A. Suggestion des histoires alternatives

La narration peut proposer aux lecteurs des versions alternatives, apocryphes ou totalement inventées, relatives aux événements d'une grande importance historique ou aux personnages historiques universellement connus – comme dans l'exemple paradigmatique de Terra Nostra de Fuentes. Cependant, ajoutons avec Elisabeth Wesseling que

cette innovation du nouveau roman historique peut s'interpréter comme un croisement de deux genres hybrides, généralement méprisés par la critique littéraire : du roman historique avec de la science-fiction. Les romans qui présentent des histoires alternatives, à savoir un déroulement possible ou tout simplement désiré d'un événement ayant eu lieu dans le passé, entremêlent éléments historiques et fantaisies utopiques. Autrement dit, la fiction invente une alternative dans les limites de l'histoire documentée, et seules les connaissances requises de l'histoire "réelle" permettent aux lecteur d'accéder à la compréhension du texte336.

Pour Wesseling, les versions alternatives de l'histoire proposée notamment par des auteurs comme Thomas Pynchon337, Ishmael Reed338 ou Salman Rushdie339 correspondent, d'une part, au sentiment apocalyptique que l'histoire de la civilisation européenne est terminée, face aux forces déchaînées et impossibles à contrôler ; et d'autre part à un désir d'aborder l'avenir avec la perspective de possibilités encore non réalisées.

Dans ce cas, il s'agit moins de réécrire l'histoire que d'ouvrir de nouveaux horizons pour l'histoire future. En effet, ces romans présentent souvent la

336 E. Wesseling, Writing history as a prophet : postmodernist innovations of the historical novel, Amsterdam, Philadelphia, J. Benjamins, 1991, 218 p.

337 T. Pynchon est un auteur culte et mystérieux, couronné de prix littéraires et qui se tient délibérément à l'écart de la scène médiatique américaine. Mason & Dixon (1997) est jugé par la critique comme l'un des plus grands romans du 20e siècle. Ecrit dans un anglais du 18e, c'est à la fois un roman qui se moque du romanesque, un faux traité d'astronomie, un conte rabelaisien, un tableau de la société anglaise conservatrice, et l'épopée des astronomes Charles Mason et de Jeremiah Dixon. Mason & Dixon est son cinquième

337 T. Pynchon est un auteur culte et mystérieux, couronné de prix littéraires et qui se tient délibérément à l'écart de la scène médiatique américaine. Mason & Dixon (1997) est jugé par la critique comme l'un des plus grands romans du 20e siècle. Ecrit dans un anglais du 18e, c'est à la fois un roman qui se moque du romanesque, un faux traité d'astronomie, un conte rabelaisien, un tableau de la société anglaise conservatrice, et l'épopée des astronomes Charles Mason et de Jeremiah Dixon. Mason & Dixon est son cinquième