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La nouvelle logique de l’histoire

HISTOIRE ENTRE RHETORIQUE ET NARRATOLOGIE

3.2. Franklin R. Ankersmit et la théorie de l'histoire

3.2.1. La nouvelle logique de l’histoire

3.2.1. La nouvelle logique de l’histoire

Franklin Ankersmit bâtit sa philosophie de l'histoire, inspirée aussi bien de Hayden White que de Richard Rorty, sur trois thèses fondamentales. D'abord, il n'existe aucune règle de transposition qui régisse une projection du passé sur le niveau narratif de sa représentation

168 Citons à ce propos quelques propos symptomatiques de F. Ankersmit qui permettent de mieux apprécier l'ironie et la franchise de ce physicien reconverti en historien : Lorsque j’ai commencé à étudier l’histoire, j’ai été frappé par le fait que, pour gagner un titre de docteur dans cette discipline, il suffisait de commenter ou de développer des idées de personnes telles que Hobbes, Kant ou Sartre. En gardant en mémoire la physique, j’avais toujours imaginé qu’une thèse de doctorat devait découvrir quelque chose d’original, que personne avant n’avait inventée. Or, une réinterprétation des textes des auteurs cités, qui, comme il est prévisible, s'étaient montrés assez intelligents pour immortaliser ses conceptions sur le papier d’une façon suffisamment claire et élégante, ne semble pas laisser beaucoup de place à une telle découverte... (Cf. "Od postmodernistycznej narracji do po-postmodernistycznego doświadczenia. Ewy Domańskiej rozmowa z Franklinem R.

Ankersmitem" in Teksty drugie, Instytut Badań Literackich Polskiego Instytutu Nauk, n.

2/3, 1996, p. 194 ; dans ma traduction.)

169 F. Ankersmit, Narrative Logic. A Semantic Analysis of the Historian’s Language (thèse de doctorat), Rijksuniversiteit te Groningen, Krips Repro Meppel, 1981, 282 p ; l'éd. suivante : The Hague, Boston, London, Martinus Nijhoff Publishers, 1983, 282 p.

J'ai pu consulter la première édition de l'ouvrage.

170 F. Ankersmit, op. cit, p. 56.

historiographique. En aucun cas la narration historique (narratio) ne peut être considérée ni comme tableau (picture), ni comme image (image) du passé. Il est évident pour Ankersmit que la narration historique ne reflète pas le visage du passé : c'est elle qui le définit, c'est elle qui fonctionne comme un système de règles indiquant la façon d’imaginer le passé171.

Qui plus est, il n'existe aucun mécanisme du passé que l'historien se doive de découvrir, car toute la structure est créée dans et par la narration. Cette structure de la narration historique peut uniquement être imposée par l'historien, car elle ne reflète aucune structure similaire du passé : le passé en lui-même ne possède pas de structure narrative172. Cependant, il existe une logique narrative (narrative logic), capable d'organiser et de construire notre savoir du passé, fourni par la narratio173. En second lieu, la narration historique nous offre une certaine interprétation du passé, qui se manifeste dans ce qu'Ankersmit nomme

"substances narratives" (narrative substances), comme par exemple la Renaissance ou la Révolution Française : ce sont des ensembles d'affirmations contenus dans la narration qui permettent de véhiculer toute l'information. De plus, les substances narratives n'entrent pas en rapport avec les événements – toujours, par exemple, de la Renaissance ou de la Révolution Française – mais avec leur interprétation narrative174.

Finalement, Ankersmit établit une parenté entre la métaphore et la narratio : toutes deux proposent un certain "point de vue" sur le passé, une

171 Ibidem, p. 83.

172 Ibidem, p. 83-92.

173 Ankersmit cite et critique comme vaines plusieurs définitions d'une narratio idéale :

"the ideal narratio is the narratio in which (implicitly or explicitly) an answer is given to all conceivable questions that may arise with regard to the subject-matter" (p. 30) ; "the ideal narratio is said to be the narration that is the most reliable guide for our actions" (p.

32) ; "the ideal narratio is the simplest, the most elementary narratio" (p. 37) ; "the narratio being a kind of argument, the ideal narratio shoud be a very well-knit argument that every reasonable reader is forced to admit" (p.37) ; "the narratio is a 'synoptic' seeing together of historical events and conditions in one single, cognitive grasp" (p. 48) ; "the ideal narratio should give a complete description of (part of) the past" (p. 51) ; "has an impressive plausibility and seems to be in conformity with all the reasonable and common-sensical intuitions about narratio" (p. 54).

174 "NNS [Narrative substances] have their ontological anchor not in things existing apart from them in extra-linguistic reality (as is the case with the component of statements) but exclusively and solely with themselves." Cf. ibidem, p. 144.

manière de le percevoir. Ce "point de vue" est une construction de l'historien, son interprétation d'une parcelle donnée du passé et ce n'est pas le passé qu'elle montre, mais ses aspects jugés importants ou utiles. Pour résumer, les réflexions historiques concernent moins les détails historiques que leur interprétation, c'est-à-dire le point de vue sur ces détails. Au lieu de justifier l'interprétation à partir d'un certain point de vue, la justification concerne précisément ce point de vue – qui est toujours une conclusion, jamais un argument. Par la suite, Ankersmit refuse de juger la narration historique selon les critères de "vrai/faux", mais il la juge plutôt en fonction de son objectivité ou de sa subjectivité, tout en soulignant l'importance, dans ce cas, des critères purement esthétiques et non épistémologiques175.

Le chercheur hollandais, qui fait la différence entre geschiedvorsing (une recherche sur le passé) et geschiedschrijving (une narration sur le passé)176 propose une distinction originale entre la narratio et le roman historique. Il prend comme point de départ l'opinion de Collingwood selon laquelle l'œuvre de l'historien et celle de l'écrivain se basent sur un travail d'imagination. Mais alors que la tâche de l'écrivain consiste à construire un tableau cohérent, qui fait sens, celle de l'historien est double : non seulement son tableau doit faire sens, mais il se doit aussi de représenter les choses et les événements comme ils étaient – vraiment177.

Le critère de véracité est extrêmement répandu dans les études comparatives de l'histoire et du roman (et plus concrètement du roman historique). Mais Ankersmit renonce immédiatement à ce critère, qu’il juge insuffisant et non pertinent. Les sources historiques ne sont pas toujours très fiables, les historiens peuvent être tendancieux, tout comme les écrivains ont souvent soit de très bonnes sources, soit de très bonnes intuitions. Voilà pourquoi Ankersmit préfère baser la distinction entre la narration historique et la narration littéraire concernant le passé sur, d'une

175 Ibidem, p. 220-238.

176 Ibidem, p. 8.

177 "As work of imagination, the historian’s work and the novelist’s do not differ. Where they do differ is that […] the novelist has a single task only : to construct a coherent picture, one that makes sense. The historian has a double task : he has both to do this, and to construct a picture of things as they really were and of events as they really happened."

R. G. Collingwood, The idea of history (1946), Oxford 1970, p.246.

part, les intentions de l’auteur, manifestes dans le paratexte ; très certainement, un historien va annoncer différemment la publication d'un ouvrage historique et d’une œuvre littéraire, les deux sortis de sa plume, souvent sur le même thème et présentant le même niveau de véracité.

D'autre part, Ankersmit établit un parallélisme intéressant entre la narration historique et le roman historique d’un côté, et la science théorique et appliquée de l’autre. Le roman est une application pratique de la théorie bâtie sur les recherches historiques. Finalement, pour revenir à l'idée d'un "point de vue" sur le passé – dans le roman historique, ce "point de vue" est le point de départ de la narration, tandis que dans la narratio historique il s'agit d'une construction faite par l'historien, et donc c'est une conclusion, pas un argument178.

Si la réception de Narrative Logic n'a guère été meilleure que celle de Metahistory, cela est vraisemblablement dû au fait que ces deux ouvrages invitent à étudier le travail de l'historien non pas comme une activité scientifique, mais en étroite relation avec la démarche d'un écrivain : approche intéressante dans le contexte du roman historique.

Puisque le passé ne trouve sa représentation qu'à travers une narration qui, par surcroît, n'est pas susceptible de dépendre des critères de vérité, le roman historique peut se prêter au jeu à l'instar d'un manuel d'histoire. C'est ainsi que les narrativistes non seulement réhabilitent la littérature devant la science, mais en plus semblent considérer que le fait de faire appel à l'imagination et aux émotions dans la reconstruction du passé, est loin de constituer un handicap quelconque.